17 4.5 LES LIGNES EDITORIALES
La presse privée en Algérie est née d'un
acte administratif comme nous l'avons décrit dans la section 4.2.
La lutte au sein de la profession a porté certes sur
l'arbitraire, sur la censure mais surtout sur les conditions de travail. Pas
contre le monopole de l'information1- sinon de
façon marginale-
Dès 1990, de nombreux journalistes auxquels est
proposé le choix de "partir ou rester" optent pour ce qui deviendra
"l'aventure intellectuelle."2
Ainsi la quasi totalité des journaux sont -à ce
jour- tenus par les plus anciens des journalistes. Cette libéralisation
de l'écrit est contredite par la persistance du monopole de
l'état sur la publicité ainsi que sur l'importation du papier
journal. Trois des quatre rotatives appartiennent à l'état. La
diffusion étant en partie non négligeable "entre les mains" de
l'état (ENAMEP). Ces situations -à elles seules- ne nous
autorisent pas à utiliser le terme de indépendant, pour
qualifier cette presse. Afin de saisir les positions éditoriales des
journaux algériens il est nécessaire de clarifier quelques
événements antérieurs.
Au lendemain de l'arrêt du processus électoral en
Algérie en janvier 1992 (l'annulation du second tour des
premières élections législatives pluralistes fut
décidée au vu des résultats du vote du 26 décembre
1991), plusieurs journaux sont saisis, des journalistes arrêtés.
Qu'ils soient proches ou non des islamistes : El-Balagh et
l'Eveil sont saisis. Huit journalistes du quotidien El-Khabar
sont arrêtés. La presse de "service public" fut aussi
touchée : saisie de Ech-Chaab en avril 1992.
Désormais, la presse - harcelée par les graves
événements et par les hommes - va se diviser. Elle va fortement
idéologiser ses tribunes.
Les écrits s'inscriront dans l'une ou l'autre des deux
lignes défendues par des organisations politiques. "Pour" ou "contre".
La presse commerciale subsistera. Par contre une presse clandestine
reparaît. Une presse islamiste (des brochures) ainsi
Minbar-El-Djoumoua...
1-Lire "Les nouvelles règles du jeu" in Etre
journaliste algérien Op.cit.
2-Dans un bref article daté 16 septembre 1991
El-Watan publie la répartition des subventions allouées
pour ce faire. Ainsi la presse du secteur public reçoit 80,8 millions de
Dinars Algériens, la presse "indépendante» :
52,2 ; la presse partisane ou associative : 40,5. El-Watan
précise :"Il est à signaler que la subvention allouée aux
organes de la presse indépendante et partisane correspond aux deux
années de salaires".
La première tendance focalisera ses commentaires sur "
la lutte anti intégriste" dans un soutien (critique et ambiguë) aux
démarches entreprises par les gouvernants pour sortir le pays de la
crise. Cette presse est la plus importante en
nombre.1
(Le Matin2,
Alger-Républicain, Le pays,
l'Hebdo-Libéré ainsi que toute la presse "publique" et
plus tard El-Watan à un moindre
degré)3
A ceux là il est reproché leur silence sur les
atteintes aux libertés fondamentales, de "jeter de l'huile sur le feu"
favorisant ainsi tous les extrémismes. (A plusieurs reprises un groupe
se dénommant "Front de l'Algérie Moderne"
préconisera la partition de l'Algérie et l'interdiction des
partis car ils sont devenus "un obstacle à l'expression politique
conséquente de l'autre projet de société, celui de
l'Algérie Moderne".)4
1- Le 10 novembre 1995 lors d'une rencontre-hommage à
Monique GADANT (décédée le 29 septembre), Mohamed HARBI
intervient : "Monique était tout à fait outrée que la
presse I algérienne I soit considérée comme une presse
indépendante et une presse libre. Elle écrit dans un texte
qu'elle a envoyé au Nouvel-Observateur pour son numéro
spécial consacré à l'Algérie I 19 janvier 1995 ?
-texte qui ne sera pas publié I
: " Le malentendu consiste dans la présentation de
cette presse dont les responsables s'appliquent à donner une image
idyllique, qui me paraît bien éloignée de la
réalité. Cette image est toujours susceptible de convaincre ceux
qui ne la lisent pas (...). Cette image est construite par les efforts
conjugués de la presse française et des journaux
algériens. Du côté français il me semble que cela
fait partie de l'aide accordée à une profession qui paie en
Algérie un lourd tribut d'assassinats. Mais à qui paie-t-elle ce
prix ? A la liberté de la presse ? A la liberté d'opinion ?
J'avoue que j'en doute.(...)"
2- "Des journaux comme Le Matin réputé
être éradicateur et qui en réalité sur le plan de
l'information a fait le lit des islamistes : "Les troupes d'El-Afghani
déferlent sur Hussein-Dey ! ". C'est le recours au sensationnel, c'est
le n'importe quoi pour vendre. Les règles morales, d'éthique ont
été bafouées..."
(.H. Responsable d'une agence de presse algérienne
à Paris. Entretien 12/1995)
3- A.MAHMOUDI écrit dans l'Hebdo-Libéré
du 08/06/1994 : "Faut-il le dire aujourd'hui ? Faut-il dire cet énorme
soulagement lorsqu'un peu après l'attentat raté contre
BELHOUCHET, nous avons constaté le changement de ligne intervenu dans
El-Watan sur la question de l'intégrisme ? En quelques jours, ce
quotidien est ainsi passé d'une ligne réconciliatrice,
dialoguiste et capitularde totale à un anti intégrisme virulent
qui laissa pantois la majorité de notre rédaction et de nos
lecteurs"
4-L'Hebdo-Libéré du 11/02/1992.
La deuxième tendance met l'accent sur "le respect du
choix du peuple". Les articles traitant des "Droits de la personne humaine"
sont permanents ainsi que des mises en gardes contre toutes les dérives.
Moins nombreux sont par contre les contenus traitant de la violence islamiste.
C'est une presse fortement contestataire.
Il s'agit essentiellement des journaux : La Nation,
El-Haq, Le quotidien d'Algérie et quelques journaux de
l'opposition.
A ceux-ci par contre il est reproché leur silence sur
les dérives des groupes armés islamistes et de "reproduire des
thèses anti-algériennes élaborées à
l'étranger".
La troisième tendance est essentiellement commerciale.
Elle consacre plusieurs pages aux faits divers, aux annonces matrimoniales, ou
même au "politique". Cette presse est composée de
Liberté, Détective, Le Soir d'Algérie,
Ech-Chourouk....
L'ensemble des média algériens sont soumis
depuis le 7 juin 1994 à une circulaire du ministère de
l'intérieur dans laquelle il y est expressément
énoncé :
" Au moment où tous les efforts des forces vives de la
Nation sont tendus vers l'éradication du terrorisme et de la subversion,
je sais pouvoir compter sur votre contribution positive dans la lutte
antiterroriste et antisubversive (...)."
Cette circulaire est suivie d'un arrêté
interministériel relatif au traitement de l'information à
caractère sécuritaire, et de recommandations adressées aux
médias nationaux (lire annexe 20).
L'information ayant trait à la situation
sécuritaire est désormais soumise à l'imprimatur.
Quelles que soient leurs obédiences les journalistes
algériens sont depuis ces dernières années des cibles
permanentes de tueurs islamistes ou non.1
1-Un mois après l'assassinat de l'écrivain et
journaliste Tahar DJAOUT, un comité pour la vérité sur son
assassinat lance un appel (le 14/06/93) :
"Maintenant que la justice vient d'innocenter les
lampistes présumés, réussira-t-elle à
démasquer les véritables commanditaires de l'ombre ?"
(Le professeur Boucebci, membre de ce comité est
assassiné le lendemain de l'appel)
Il nous parut intéressant dans un premier temps de nous
interroger sur les différences et les analogies entre la presse
écrite algérienne existant avant 1990 et celle née
à la faveur de la loi d'avril 1990 dans leur traitement de l'opposition
politique algérienne ; par une analyse comparative.
Dans un second temps au gré de l'avancement des
travaux, le thème de la recherche est
reformulé.1 Notre interrogation porte sur la
lecture de la presse algérienne en France.
Pourquoi des algériens vivant en France lisent la
presse algérienne ?
Quelles sont les motifs qui les y incitent ?
Quant à nous bien au delà des messages
véhiculés par les uns et les autres de ces journaux, au
delà de leurs prises de position respectives, notre propos est de saisir
les référenciassions des lecteurs algériens à leur
appartenance communautaire ou pas.
1-Notamment par le fait des entretiens que nous avons eus avec
des lecteurs et des journalistes : ainsi les responsables du quotidien
Alger-Info, des journalistes de l'agence
Algérie-Presse-Service, Radio Chaîne 4 et
chaîne 2, Le-Matin...et des séminaires
5-LECTURES
INTRODUCTION
Nous allons tenter à présent une typologie des
lecteurs de la presse écrite algérienne. Des types idéaux
à partir de notre enquête.
" On obtient un idéal-type en accentuant
unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en
enchaînant une multitude de phénomènes donnés
isolément, diffus et discrets, que l'on trouve tantôt en
grand nombre, tantôt en petit nombre et par endroits pas du tout, qu'on
ordonne selon les précédents points de vue choisis
unilatéralement pour former un tableau de pensée
homogène. On ne trouvera nulle part empiriquement un pareil tableau dans
sa pureté conceptuelle. "1
" (...) l'idéal-type est un tableau de
pensée il n'est pas la réalité historique ni
surtout la réalité
authentique "2.
" Le souci dominant du typologiste n'est donc pas le
réalisme mais la cohérence logique et la valeur explicative. Le
rôle du chercheur est ici prédominant car il s'agit d'une
construction à base intuitive pour une grande
part "3.
Nous avons quant à nous retenu les critères
suivants pour élaborer notre typologie des lecteurs.
Le lien avec la presse écrite. Nous entendons par lien,
l'importance de la distanciation prise par le lecteur vis-à-vis de
celle-ci. Ce rapport s'exprimant par la fréquence et les modes de
lecture.
L'analyse transversale fait apparaître des comportements
plus ou moins homogènes en fonction des thèmes et des
locuteurs.
Certains interviewés disent une chose et plus loin son
contraire. Ainsi
le locuteur D après avoir explicitement rejeté
l'existence de manière générale de la censure, y revient :
En gros je ne sais pas si on peut parler de censure (...).
Texte dirigé j'appelle moi, texte dirigé. c'est à dire
quelqu'un, quand il écrit on le corrige, on pèse les mots.
1-M.WEBER.Essai sur la théorie de la science.
Paris : Plan, 1992. p172.
2-M.WEBER. Ibid.p176.
3-J.L.LOUBET-DEL-BAYLE.Introduction aux méthodes
des sciences sociales. Paris : Privat, 1989.p148.
Certaines spécifications ou thèmes apparaissent
chez tous les locuteurs comme la comparaison entre journaux ;
contenu de la presse écrite algérienne, difficultés,
rapport qualitatif.
D'autres spécifications n'apparaissent que chez
quelques uns : la référence à la presse écrite
algérienne éditée en France (entendre destinée aux
algériens) n'intervient que chez deux locuteurs. La rubrique immigration
n'apparaît qu'une seule fois chez un locuteur qui est récemment
arrivé en France. Journaliste sportif, il est dit-il un des rares a
avoir consacré des pages entières à des équipes
sportives issues de l'immigration, dans un journal algérien.
Paradoxalement certaines spécifications internes
à ces thèmes n'apparaissent nulle part, par exemple la
déontologie.
L'évolution de la presse algérienne, le monopole
de l'Etat sur la publicité, sur l'impression...ne sont que
superficiellement relevés. Les interviewés n'ont pas
traité de la violence dont sont victimes les journalistes
algériens. La violence est évoquée de manière
générale qui touche l'ensemble du pays, de la population.
Nous avons abouti à trois types de lecteurs de la
presse écrite algérienne en Ile-de-France. Trois
silhouettes. Le lecteur Passionné, le lecteur entre deux,
le lecteur occasionnel.1
1-" Malgré l'usage brillant et convaincant qu'a
fait Max WEBER de la méthode des types idéaux, il est
resté très peu explicite sur la manière de les construire,
et les applications ultérieures relèvent plus de
l'habilité du chercheur, de son savoir-faire, que d'une
méthodologie communicable ".
R.GHIGLIONE, B.MATALON. Les
enquêtes...Op.Cit..p199.
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