Envoyé Spécial : une approche de l'environnement à la télévision française (1990-2000).( Télécharger le fichier original )par Yannick Sellier Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2 Histoire et Audiovisuel 2007 |
Chapitre 4 :L'environnement devientun enjeu de santé publique.(1995-1997)A- Problèmes d'environnement : retour en FranceAu début des années 1990, l'environnement était appréhendé d'une manière assez floue entre « cadre de vie », « nature » et « humanitaire », tous ces termes étant liés à l'écologie politique. Du fait de l'instauration de lois envisageant une gestion de l'environnement et de la remise en cause d'un discours écologiste extrême, les vocables écologistes perdent leur pertinence au profits de vocables tenus pas les experts, plus proches d'une écologie scientifique. Tous deux parlent d'une même réalité, mais de manière différente. Les uns accusent, leurs preuves correspondent à une dénonciation. Les autres observent et fondent leurs conclusions sur des critères vérifiables. Tous deux apportent donc des preuves de nature différentes. Voyons ce que le regard des experts, a priori plus convaincant, change dans le traitement de l'environnement par Envoyé spécial ?
a- L'appréhension nouvelle de la pollution atmosphérique.Le 16 janvier 1992, suite à deux reportages l'un tourné à Soumgaït (Azerbaïdjan), l'autre à Komchamica (Roumanie), Envoyé spécial achève un cycle de reportages sur les sites industriels les plus pollués de l'ex-Union Soviétique avec la diffusion d'un reportage tourné à Katowice (Pologne). Envoyé spécial fête alors son deuxième anniversaire et sa 80e émission. La diffusion d'un reportage, par son propos, comparable à celui diffusé deux ans auparavant, n'est pas anodine. C'est une preuve pour le téléspectateur de la continuité et du maintien de convictions partagées par Paul Nahon et Bernard Benyamin. Le reportage commence par l'alternance de plans établissant un lien de cause à effet entre d'un côté un accouchement difficile et de l'autre un nuage de fumée envahissant l'écran par intermittence. Plus tard dans le reportage, un médecin démontre que les rejets du complexe sidérurgique, encore en fonction, affectent le corps humain. Il a amassé depuis deux ans les photos d'enfants mal formés, dont il assure que le nombre augmente chaque année. Une autre séquence, dans un hôpital, montre plusieurs dizaines d'enfants dont le système nerveux a été atteint suite à une ingérence de plomb et de césium. Ils sont couchés dans des lits et paralysés. Enfin, alors que des plans subjectifs montrent les usines qui défilent à travers les vitres d'un tramway, un homme de passage dit : « Toute la gamme de ce qui peut polluer, on fera de nous des dégénérés ! ». L'asphyxie des populations locales est donc visible ; elle est fortement liée à la présence d'usines. Le 19 mars 1992, Envoyé spécial diffuse un reportage sur la circulation automobile autour de Paris, appelé « Paris phérique ». Si la présentation du reportage (« Comment vivent tous ces gens ? Comment vit-on dans cet enfer ?») laisse présager un propos virulent, il est finalement plutôt question de faire le portrait du conducteur type (le journaliste parle d'un « homopériphéricus ») qui ne se soucie pas, s'habitue à l'encombrement des voies d'accès à la capitale et éprouve un certain sentiment de liberté (à l'inverse des transports en commun, il peut écouter sa musique, il a de l'espace et peut fumer). Les riverains du périphérique sont partagés quant à eux. D'un côté, il y a ceux qui ne supportent pas le bruit. On voit un professeur d'école se lever le matin et enlever les couvertures qu'il accroche tous les soirs à ses fenêtres et qui lui servent d'isolants acoustiques. D'un autre côté, il y a ceux qui s'en accommodent et profitent du spectacle des voitures. Ainsi une vieille dame trouve que la nuit, le périphérique ressemble à un sapin de Noël. En bruit de fond, on entend des extraits de radios très écoutées, Fip et Europe 1. Il n'y a pas une volonté, de la part du journaliste, de dramatiser : le trafic automobile semble donc surtout distrayant et les mécontents sont apparentés à des « râleurs ». Envoyé spécial, 19-01-1995, 21h04, « A bout de souffle », avant l'affichage du titre, 1- ville de Paris (bruit sourd) ; 2- le périphérique apparaît au loin (timbales et ronronnement des moteurs ; 3- vue sur le périphérique, les voitures roulant au pas croisent un RER circulant sans encombre. En 1995, tout change. Le 19 janvier 1995, Paul Nahon introduit le reportage « A bout de souffle » en déclarant qu'un lien existe désormais entre pollution de l'air et problèmes respiratoires (lien formellement établi par des scientifiques à Paris lors des pics de chaleur de l'été 1994). Or, selon les statistiques, de 1992 à 1998, on a d'autant plus tendance à trouver mauvais l'état de l'environnement que l'on parle de territoires vastes et éloignés (depuis sa région jusqu'au monde entier)92(*). Le reportage va donc, en 1995, à l'encontre d'un avis plutôt favorable de la population vis à vis de son propre environnement. Nous avons pu en rendre compte par l'analyse de la séquence/clip diffusée le 30 décembre 1991, de même que par celle de la série des reportages dans l'ex-Union Soviétique. Rappelons encore que 75% de la population française est urbaine dans les années 1990. Autrement dit, l'ensemble de la population française est concerné, même si cela ne veut pas dire que tous les français se sentent concernés (cf. statistique précédente). Envoyé spécial, 19-01-1995, 21h06, « A bout de souffle », alternance de plan sur pot d'échappement avec bruit de moteur et enfants à l'arrière d'une voiture (image d'un enfant prisonnier ou victime du mode de transport de ses parents ?) ou derrière un vélo (image d'un adulte conscient ou inconscient des risques encourus par lui et son enfant ? / concurrence vélo- voiture sur l'axe de circulation). Le reportage « A bout de souffle » commence par un plan général et aérien sur les toits de Paris au petit matin. Une musique sourde se fait entendre, des timbales retentissent, tandis que soudainement apparaît à l'écran un flot incessant de voitures, cadrées en plans serrés. Le commentaire indique que « chaque matin, 1,6 millions de véhicules entrent dans Paris », en renforçant ainsi l'impression d'un envahissement. Les plans rapprochés et les gros plans se multiplient donnant à voir une mer de véhicules au milieu desquelles surnagent les corps de coureurs, de cyclistes ou de passants attendant devant un passage piéton et observant le flot incessant des voitures. Enfin, les gros plans sur la fumée noire des pots d'échappements s'intercalent avec les prises de vue d'un marathon ou de bébés dans leur poussette. Tandis que le commentaire indique qu'il est désormais fort déconseillé de promener son enfant en poussette, et que « certains jours, courir peut avoir des conséquences mortelles». Soudain, Paris devient une ville asphyxiée comparable à Katowice. Une séquence longue se passe dans un hôpital dans lequel on voit des enfants souffrir de problèmes respiratoires. Puis le reportage se focalise sur le cas d'un enfant obligé de vivre dans un refuge aéré à la montagne, à 900 km de sa famille. L'enfant dit que, lors des pics de pollution, en période de forte chaleur, il sent qu'il étouffe. Le reportage se conclue sur ces quelques mots : « Dans toutes les villes de France, il y a trop de voitures. [...] Les docteurs ont déjà lancé un cri d'alarme, la santé de nos enfants est menacée. » Josée Blanc Lapierre, lors de son entretien avec Paul Nahon, désigne l'accusé principal de cette pollution : le véhicule particulier (la « voiture ») et non pas les industriels (« qui ont fait des efforts »). Elle rappelle qu'un trajet sur deux fait moins de 3 km. Selon elle, les personnes n'utilisent pas assez les autres moyens de transports mis à leur disposition tels que les transports en commun (Tramway à Grenoble) et les modes de transport propres (vélos à la Rochelle). Elle estime aussi qu'il faut enfin améliorer la qualité de l'essence. Ce reportage sera rediffusé le 6 avril 2000, confirmant qu'un changement des comportements de chacun s'impose. Ceci étant dit, ce reportage marque un tournant dans la perception par les Français de leur environnement et de leur responsabilité individuelle vis à vis de celui-ci. L'image type de la pollution industrielle cède la place à l'amélioration nécessaire du comportement et des pratiques citadines. Avec la question des déchets, ce changement de perception était déjà amorcé. Avec les conséquences sanitaires de la pollution atmosphérique, la gestion de l'environnement participe désormais pleinement de l'amélioration des conditions de vie, au même titre que la sécurité en ville. * 92 IFEN, La sensibilité Ecologique des Français, « à travers l'opinion publique », Orléans, Edition Tec et Doc, 2000, p.18 |
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