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Envoyé Spécial : une approche de l'environnement à la télévision française (1990-2000).

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par Yannick Sellier
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2 Histoire et Audiovisuel 2007
  

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Envoyé spécial :

une approche de l'environnement

à la télévision française.

(1989-2000)

Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

Master 2 Histoire et Audiovisuel

Yannick Sellier

Sous la direction de Marie-Françoise Lévy

Juin 2007

Aux générations futures

Fred, extrait de Le Petit Cirque, Paris, Dargaud Editeur, 2000, [1ère éd. 1973] p. 57

Sommaire

6 Introduction

16 Première partie - Le retour de l'écologie (1989-1992).

17 Chapitre 1 - La mise en place d'Envoyé spécial

41 Chapitre 2 - L'affirmation de l'écologie

comme thème d'Envoyé spécial.

65 Deuxième partie - Une redéfinition des priorités de l'écologie

au sein d'Envoyé spécial (1992-1997).

66 Chapitre 3 - Vers une conception plus tempérée

de l'écologie ? (1993-1996).

84 Chapitre 4 - L'environnement devient un enjeu

de santé publique (1995-1997).

102 Troisième partie - Le temps des bilans (1997-2000).

103 Chapitre 5 - Envoyé spécial, moteur ou accompagnateur

des politiques publiques ?

127 Chapitre 6 - L'évaluation des moyens employés

et des mécanismes de décision (1998-2000).

142 Conclusion

148 Table des matières.

152 Annexes.

Introduction 

En 2007, tout le monde est d'accord, même si les modalités diffèrent en fonction des partis, l'environnement est une priorité politique. Les trois principaux candidats des élections présidentielles, lui consacrent un paragraphe entier dans leur programme. François Bayrou l'intitule « Ecologie : déclarer l'urgence » ; Ségolène Royal veut être la « Présidente de l'excellence environnementale » ; Nicolas Sarkozy souhaite « Répondre à l'urgence du développement durable ». Nicolas Sarkozy et François Bayrou veulent mettre en place un grand ministère, dans leur gouvernement, qui permette de prendre en compte l'environnement dans toute décision, nationale et internationale. Tous les trois souhaitent créer une fiscalité qui contraigne les pollueurs. Enfin, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy voient dans la gestion de l'environnement un gage d'avenir pour la France, c'est à dire la possibilité de créer un secteur économique innovant et surtout, de créer des emplois.1(*) Que s'est-il donc passé pour que l'écologie, l'environnement et le développement durable soient considérés comme des thèmes de campagne importants ? Est-ce parce que Nicolas Hulot, fervent défenseur de ces concepts et de leur traduction pratique, leur a fait signer à tous, au début de l'année, un « pacte écologique » ? Cette explication est réductrice. Elle occulte les transformations profondes que connaît la société française, depuis la fin des années 1980, en la matière.

Dans le livre « L'écologisme à l'Aube du XXIe siècle, de la rupture à la banalisation ? », paru en l'an 2000, sont présentés les résultats d'une enquête sur l'engagement écologique au sens large. Les enquêteurs demandent aux participants de citer les émissions de télévision à l'origine ou corrélatif d'une sympathie ou d'un engagement écologiste. Sur 635 réponses, seize personnes citent spontanément les émissions du Commandant Cousteau ; vingt-neuf personnes, Thalassa ; trente, Droit de réponse ; trente et un, La Marche du siècle ; trente quatre, Envoyé spécial, ce dernier magazine étant le plus cité. Par ailleurs, lorsqu'ils mentionnent un événement ayant suscité une prise de conscience. Si certains remontent jusqu'à la guerre du Viêtnam, Tchernobyl est considéré comme un puissant déclencheur. Dans les années 1990, l'enfouissement des déchets nucléaires et les organismes génétiquement modifiés (OGM) ont encore précipité une prise de conscience. Ces derniers faits correspondent plus à des campagnes de presse qu'à des événements proprement dits, ce qui, selon les enquêteurs, souligne l'importance des médias2(*). Dans son rapport statistique sur La sensibilité écologique des Français, l'Institut Français de l'Environnement et de la Nature (Ifen) s'accorde avec les enquêteurs précédemment cités. Selon ce rapport, « Il importe d'étudier la façon dont sont présentés les enjeux environnementaux dans les médias ». Pour exemple, la télévision est considérée, dans les années 1990, par la majorité des jeunes comme un moyen d'information privilégié sur l'environnement. Et dans le cas des problèmes de l'eau, la télévision est la source d'information privilégiée par un Français sur deux en 1999. 3(*)

> Ecologie, environnement, développement durable :

Avec la volonté d'apporter un éclairage sur les récentes transformations de la société française, nous avons décidé d'étudier l'évolution des différentes représentations de l'environnement, dont le magazine Envoyé spécial a été à la fois le révélateur et le moteur. Ce magazine n'est certes pas le seul à avoir compté. Mais, du fait de la constance et de la cohérence de sa programmation, il est évident qu'il a joué un rôle pour une partie non négligeable des téléspectateurs, et surtout des téléspectateurs français, à partir de 1990. Avant de poursuivre cette réflexion, définissons les termes d'écologie, d'environnement et de développement durable, autant de termes utiles à l'enrichissement des problématiques qu'offre un tel sujet. L'écologie, avant d'être un parti politique, est une science. Les principes de l'écologie scientifique ont été définis, en 1866, par Ernst Haeckel, naturaliste allemand, pour désigner l'étude des relations et interactions entre les êtres vivants et leur milieu. Avec l'école de sociologie de Chicago, l'écologie devient urbaine. Elle vise alors à déterminer des modèles et à expliciter les logiques de distribution de la population et les phénomènes de ségrégation4(*).

En 1921, le géographe Vidal de la Blache réintroduit le terme « environnement » (ayant quasiment disparu de la langue française depuis le XVe siècle) dans ses Principes de géographie humaine. L'usage du mot « environnement » se répand peu à peu hors des cercles de spécialistes. L' « environnement » devient un terme populaire à la fin des années 1960 : l'environnement est alors défini par et pour les sociétés humaines. Il renvoie à l'ensemble des systèmes naturels et/ou artificialisés dans lesquels l'homme, en tant qu'individu et/ou que groupes, intervient ou est intervenu, soit en les utilisant soit en les aménageant5(*). L'environnement est encore un espace, le territoire dans lequel se déploient les activités humaines (habitation, travail, circulation). Il n'a pas de caractère totalisant, puisqu'au contraire, il introduit une pluralité des univers et des acteurs. La diversité des approches de l'environnement proposées par Envoyé spécial en rend compte.

Au cours des années 1980, l'environnement acquiert un sens plus étroit : celui donné à un secteur de la vie sociale ayant trait à tout un ensemble de problèmes concernant d'abord la nature, en ce que celle-ci est exposée, soumise à l'action destructrice de l'homme et demande à être protégée ou restaurée. Les hommes, eux-mêmes, sont toujours concernés, aussi bien que leur univers collectif, puisqu'on les considère la fois comme cause de et menacé par ces processus. Enfin, l'environnement fait référence à l'ensemble des actions humaines liées à ce souci et à ces restaurations. Par conséquent, il rassemble des dimensions esthétiques, étiques, techniques, scientifiques, sociales et politiques6(*). Autant de dimensions qu'Envoyé spécial traite dans ses reportages et que nous aurons à coeur d'articuler et de désarticuler, pour en comprendre les évolutions. C'est aussi pourquoi, nous avons préféré le terme « environnement » à celui d' « écologie » pour le titre de ce mémoire.

Néanmoins, ce panel de définitions resterait incomplet si l'on occultait l'apparition depuis le début des années 1970, d'une nouvelle mouvance, et d'un véritable parti politique à la fin des années 1980, en cours de définition durant les années 1990 : l'écologie politique. Celle-ci part du principe que le mode de vie, de produire, de consommer, de se distraire de plusieurs individus assemblés, remodèle l'environnement. Ce principe est conforme à la définition de l'environnement que nous avons déjà donnée. « L'écologie politique est une science sociale, la politique écologiste est d'abord une politique sociale » écrit Alain Lipietz dans l'incipit de Qu'est-ce que l'écologie politique ?. C'est à la fois un mode de pensée et une discipline de vie que chacun peut appliquer, avec plus ou moins de conviction, basée sur une forme de respect vis à vis de soi, des autres et de l'espace dans lequel les hommes et les femmes se meuvent. Alain Lipietz évoque aussi les conséquences sur la santé de nos actes, du sort des générations futures. Mais cet incipit, étant rédigé en 1999, témoigne d'un long processus de maturation des concepts d'écologie et d'environnement dont Envoyé spécial s'est fait autant le vecteur que l'acteur.

Nous reviendrons au cours de ce mémoire sur les tensions et les discordances qui animent la mouvance écologiste en France et qui privilégient tantôt une approche naturaliste, tantôt une approche sociale de l'environnement. Plus subtil et plus philosophe, dirons nous, Bruno Latour, lui aussi en 1999, tente de dépasser le cadre de la définition pour imposer l'évidence de ce qui reste malgré tout une relecture récente des événements du passé:

Nous ne pouvons faire autrement [que de l'écologie politique] puisqu'il n'y a pas d'un côté la politique et de l'autre la nature. Depuis l'invention du mot, toute politique s'est défini par rapport à la nature dont chaque trait, chaque propriété, chaque fonction dépend de la volonté polémique de limiter, de réformer, de fonder, de court-circuiter, d'éclairer la vie politique. Par conséquent, nous n'avons pas le choix de faire ou de ne pas faire de l'écologie politique, mais de le faire subrepticement, en distinguant les questions de nature et les questions de politique, ou explicitement en les traitant comme une seule question qui se pose à tous les collectifs7(*).

Et c'est cette dernière option que le magazine Envoyé spécial a choisie et servie, plus ou moins consciemment, au cours des années 1990. L'affirmer si vite, dès l'introduction de notre travail, est une manière de rendre le lecteur attentif aux définitions qui viennent d'être données, car chaque mot recouvre un pan de l'histoire humaine et de l'histoire plus contemporaine des représentations télévisuelles de l'environnement.

> Pour l'étude d'une « sensibilité environnementale » et d'une « culture environnementale » :

Arrivé à ce point du développement de notre réflexion, on peut dire que l'environnement, tout comme l'écologie, renvoient à tout et à rien. C'est parce que l'application des vocables « écologique » ou « environnemental » à une mesure ou à un reportage définirait plutôt un certain type d'attentes et de relations au monde des choses et au monde vivant. Ces attentes et ces relations bornent remettent premièrement en cause une vision positiviste8(*), fortement ancrée dans la société française. Attention, loin de nous l'idée de reprocher à quiconque d'être positiviste. Cette remarque nous oblige à une digression. Elle met en exergue la difficulté de traiter d'un tel sujet dans le contexte actuel, sans provoquer les passions ou sans être accusé de partialité. Et ce, depuis le sommet de Johannesburg d'août 2002, au cours duquel l'Europe s'est engagée à continuer résolument ses efforts de législations environnementale, soutenue par quelques associations très performantes sur le plan de la communication. Refermons cette parenthèse. Nous disions donc que la conception positiviste de l'histoire humaine, héritée d'Auguste Comte et promue par la bourgeoisie du XIXe siècle, est celle qu'appliquent encore les planificateurs et les urbanistes fonctionnalistes de l'après-guerre en France. Un point saillant de cette conception est qu'il n'est de limite à leur action que celle de la capacité humaine à modeler et remodeler infiniment les espaces qu'il occupe.

Le prisme de l'écologie permet de percevoir le monde et l'environnement différemment. La dynamique des interactions entre l'homme et son milieu de vie, serait plutôt soumise à un principe d'incertitude (très proche de la théorie physique du chaos) et limitée par d'autres paramètres sur lesquels les hommes peuvent parfois influer, sans pour autant les contrôler. Cette perception nouvelle amène les écologistes à avancer l'idée d'un « développement soutenable » à la fin des années 1970. Cette idée, reprise par des personnalités politiques (Gro Harlem Bruntland en Norvège, Mansour Kalid au Soudan, respectivement président et vice-président de la Commission Mondiale de l'Environnement et du Développement) et intellectuelles (Hans Jonas et Dieter Binrbacher en Allemagne, Edgar Morin et Michel Serres en France), obtient une reconnaissance internationale dans le rapport Notre avenir à tous commandé par l'Organisation des Nations Unies (ONU) et rendu public en 1987. Nous l'appelons aujourd'huis, en France, le « développement durable ». Nous aurons l'occasion de revenir, au cours de ce travail, sur les nuances qui distinguent l'idée d'origine anglo-saxonne de sa récente traduction française.

Le « développement durable » imbrique des menaces écologiques et économiques auxquelles tous les gouvernements et toutes les populations doivent se confronter depuis les années 1960. A partir de cette date, les scientifiques et les économistes s'intéressent aux conséquences sur l'environnement et sur les hommes, à court, moyen et long terme, de l'industrialisation des pratiques de consommation et de production. Pour exemple, prenons un ouvrage qui fit date : Le printemps silencieux, publié par la biologiste Rachel Carson en 1962. Ce livre critique l'usage répandu d'insecticides très performants, dont le DDT, mais menaçant à terme divers écosystèmes. De même que les spécialistes, les journalistes participent à cette réflexion. Et ce, dès la première année de son existence, pour Envoyé spécial, sachant que la première émission du magazine est diffusée le 18 janvier 1990. Nous avons ainsi recensé quatre-vingt-huit reportages en tout de 1990 à 2000.

Nous les avons choisis d'abord parce que l'on y faisait expressément mention de l'écologie ou de l'environnement, ensuite parceque les sujets étaient relatifs aux problématiques évoquées plus haut. Nous n'avons pas voulu appliquer une définition a priori trop stricte car nous envisageons de comprendre et d'expliquer la définition actuelle que l'on peut donner de l'environnement à partir de 1999-2000. Le rapport Notre avenir à tous l'indique et nous le reformulons pour l'intégrer à notre propos : les limites, autrement dit la définition que l'on peut donner du développement durable, de l'écologie ou de l'environnement, en théorie et surtout en pratique, ne sont pas absolues ; ce sont celles qu'imposent l'histoire de l'état des techniques, de l'organisation sociale et des connaissances que l'on possède à propos de la capacité de la biosphère et des hommes à supporter les activités humaines.

Certes, ce qui est valable à partir de 1989, le reste pour l'essentiel jusqu'en 2000. On observe néanmoins, durant cette décennie, des variantes significatives du traitement et des points de vue des journalistes sur l'environnement. Nous avons donc croisé les critères retenus par les concepteurs d'Envoyé spécial avec ceux des statisticiens pour retenir quelques catégories de sujets : le traitement des déchets, l'énergie nucléaire, toutes les formes de pollution (qui se sont diversifiées au cours de la décennie étudiée) et les reportage traitant d'actions spécifiques en faveur ou à l'encontre de la faune et de la flore. S'ajoutent aussi les reportages mêlant ces différentes dimensions et les traitant à l'échelle d'une ville, d'une région ou de la Terre entière (cf. effet de serre). Cette question de l'évolution de l'échelle et de la taille des groupes concernés par les thématiques de l'environnement, sera l'une de celles que nous traiterons transversalement au cours de ce travail.

En 1989, le parti français des Verts entrent au Parlement Européen créant la stupéfaction. Au même moment, la télévision publique cherche à donner de la consistance au « service publique de l'audiovisuel ». C'est dans ce contexte que se décide et se concrétise l'avènement d'un magazine d'information et de reportages, Envoyé spécial, encore diffusé en 2007. Durant les années 1990, Antenne 2, qui programme le magazine chaque jeudi soir, intègre le groupe public France Télévisions, pour devenir France 2. Pendant ce temps, les acteurs de l'environnement se diversifient. Ils délimitent petit à petit leur domaine respectif de prérogative. Et tandis qu'on le concevait comme un défi ou un pari au début des années 1990, l'environnement devient un espace à gérer et à gouverner9(*). Il s'institutionnalise, perturbant encore un peu plus les anciens repères sur lesquels les écologistes fondaient la légitimité de leur militantisme. Envoyé spécial rend compte de toutes ces transformations et parfois les précède. L'évolution du traitement, par ce magazine, de thématiques liées à l'environnement rend compte, sur dix ans, de l'évolution de ce que nous appelons « sensibilité environnementale ». Cette sensibilité correspond aux manières d'appréhender, par la vue, par l'ouïe, et finalement par l'intellect, le monde qui entoure à la fois les journalistes et les téléspectateurs.

En l'an 2000 qu'une page se tourne : les aspirations du début ont cédé le pas à l'action. Le 19 janvier 2001, Paul Nahon et Bernard Benyamin, coordinateurs et présentateurs du magazine, sont remplacés par Guilaine Chenu et Françoise Joly, qui ne partagent pas la même conception du monde ni les même objectifs que leurs prédécesseurs. Preuve s'il en est : le nombre de reportages sur l'environnement devient insignifiant après 2001. En janvier 2000, Envoyé spécial, pour commémorer ses dix années d'existence, compose un montage des reportages diffusés depuis 1990, ayant trait à l'environnement. Ce montage constitue un condensé de ce que nous appelons « culture environnementale ». Elle s'appuie sur des événements qu'Envoyé spécial relate ou crée, et sur un système de représentations de l'environnement auquel Envoyé spécial apporte sa contribution. La formation de cette culture10(*) aboutit à une manière commune de penser l'environnement, propre à orienter l'action des hommes politiques vers des normes, contraignantes notamment, applicables à l'a société dans son ensemble.

> Envoyé spécial et l'Histoire de l'Environnement.

Ce travail s'inscrit dans le cadre d'une Histoire de l'environnement, telle qu'elle fut théorisée par Edgar Morin et Emmanuel Leroy-Ladurie, lors des Rendez-vous de l'Histoire organisés à Blois en 200111(*). Cette histoire se base sur trois piliers : une histoire des représentations de l'environnement, une histoire des sensibilités par rapport à l'environnement et une histoire dite des « faits naturels » (séismes, pollutions, ...). Jean-Louis Robert, ayant aussi intervenu dans le cadre de ces Rendez-vous, explique à ce propos qu' « il n'y a pas une histoire isolée de l'Homme à l'environnement qui ne soit pensable sans une histoire des relations des hommes entre eux. »12(*) C'est pourquoi l'on peut appliquer cette Histoire à l'étude d'une société en particulier, autrement dit à l'étude des évolutions de sa culture, de ses modes de vie et de pensée. L'Histoire de l'environnement présuppose, comme le faisait Bruno Latour dans l'extrait cité précédemment, que l'Homme s'est de tout temps soucié du milieu dans lequel il vivait. A noter cependant que c'est le président George Pompidou qui, après un voyage à Chicago, crée pour la première fois au monde, un ministère de l'environnement en 197113(*). S'intéresser au magazine Envoyé Spécial, c'est donc tenter de comprendre pourquoi et en quoi les Français se sont souciés, dans les années 1990, différemment du milieu dans lequel ils vivaient. L'étude du traitement par Envoyé Spécial des rapports de l'Homme à son environnement, correspond dès lors à l'étude d'un moment particulier de cette Histoire en France.

Afin de mener à bien cette étude, nous avons donc constitué un corpus de quatre-vingt-huit documents audiovisuels, dont quatre-vingt-un sont des reportages en première diffusion. Pour gagner en concision et proposer l'approfondissement de certaines tendances, nous n'avons pas souhaité les citer de manière exhaustive. Nous les avons évidemment tous visionnés et analysés. Puis, nous en avons sélectionnés quelques uns, plus particulièrement parcequ'ils regroupent les caractéristiques que l'on retrouve dans divers reportages de la même période ou traitant de la même problématique. Nous aurions pu choisir de n'étudier que les reportages sur les déchets ou sur la production d'énergie nucléaire. Telle n'était pas notre aspiration. Par ailleurs, ce travail restitue d'abord le discours, les interprétations et les représentations que propose et élabore Envoyé spécial. Autrement dit le contexte et les conditions de productions sont détaillés ; les reportages sont décrits afin d'en saisir l'essence et l'intention ; mais la réception, compte tenu de l'impossibilité de consulter le courrier et les messages minitels des téléspectateurs (ils n'ont pas été conservés), reste, dans la majeure partie des cas, liées à ce que nous pouvons potentiellement déduire au travers des réactions de la presse, des statistiques et de l'évolution générale de l'histoire culturelle et politique de la France des années 199014(*).

Nous commencerons par établir l'histoire du magazine afin de comprendre avec quel état d'esprit, Paul Nahon, Bernard Benyamin, et les journalistes travaillant pour Envoyé spécial, abordent les thématiques de l'environnement. Nous exposerons ainsi les attentes supposées du public en matière d'information et la conception du journalisme, en pratique et théorie, du magazine. Nous verrons ensuite comment l'écologie s'affirme au fur et à mesure des reportages, de 1990 à 1992, comme un thème, voire comme un véritable souci d'Envoyé spécial. Nous chercherons notamment à savoir si l'on peut, au cours de cette période, parler d'un engagement écologiste, et ce en dépit de ce qu'en disent Paul Nahon et Bernard Benyamin au cours de notre entretien (cf. annexes).

Nous étudierons ensuite la période de transition qui s'étend de la fin 1992, après la Conférence de Rio, à l'été 1997, date à laquelle Dominique Voynet, membre du parti français des Verts, entre au gouvernement. Cette période se scinde en deux sous parties: l'une va de 1993 à 1995, se prolongeant jusqu'en 1996, et l'autre de 1995 à 1997. Au cours de la première, nous analyserons la remise en cause de l'idéal écologiste et ses conséquences dans le traitement de l'environnement par Envoyé spécial. Au cours de la suivante, nous nous intéresserons à une évolution qui allie environnement de proximité et santé publique.

Enfin, nous avons intitulé la troisième partie : le temps des bilans. Nous aurions aussi bien pu l'intituler : le temps du retour à l'action. Puisque par les événements qu'il initie, dont la « journée sans voiture », et par le ton qu'il adopte, le magazine renoue avec un engagement, relativement similaire à mais distinct de celui du début des années 1990. Nous en analyserons les caractéristiques pour déterminer en quoi elles annoncent le passage à une nouvelle étape, dans la prise en compte de l'environnement, et ce en dépit de l'impression d'un retour au point de départ.

* 1 Les mesures envisagées et citées sont extraites des programmes des trois candidats, disponibles sur leur site officiel de campagne électorale. Ils ont pour titre : La France de toutes nos forces, François Bayrou ; Le pacte présidentiel, Ségolène Royal ; Mon projet - Ensemble tout devient possible, Nicolas Sarkozy.

* 2 Bozonnet Jean-Paul, L'écologisme à l'aube du XXIe siècle, De la rupture à la banalisation ?, Genève, Georg Editeur, Coll. « Stratégies énergétique, Biosphère et Société. », 2000, p. 138-140

* 3 Ifen, La sensibilité écologique des Français, Paris, Editions Techniques et Documents, 2000, p. 36

* 4 [auteur inconnu], « Mots et maux de l'environnement », dans Sauver la planète ?, Sciences Humaines Hors Série, n° 49, juillet - août 2000, pp.. 14-15

* 5 Extrait d'une fiche de cours, rédigée par Martine Tabeaud (citant le livre The quality of envrionment paru en 1968 dans), « Pour une définition des enjeux environnementaux », UFR de Géographie, Master de gestion de l'environnement, Université Paris 1, Septembre 2006.

* 6 Charles Lionel, « Environnement, incertitudes et risque : du pragmatisme aux développement contemporains », dans Alliage, n°48-49, automne 2001, pp.. 57-59

* 7 Latour Bruno, Politiques de la nature, Comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris, La découverte, Coll. « Sciences humaines et sociales », 1999, p. 9

* 8 Propos librement inspiré de la lecture de Steiner George, Dans le château de Barbe Bleue, Notes pour une redéfinition de la culture, Paris, Gallimard, Coll. « Folio Essais », 2004, 160 p.

* 9 Nous renvoyons le lecteur aux livres parus dans les années 1990, de Marc Abélès, de Bernard Kalaora, et de Jean-Guy Vaillancourt.

* 10 Cf. Maigret Eric, Macé Eric, Penser les médiacultures, Nouvelles pratiques et novelles approches de la représentation du monde, Paris, INA/Armand Colin, coll. « Médiacultures », 2005, 190 p.

* 11 Morin Edgar, Le Roy Ladurie Emmanuel (collectif), L'homme et l'environnement : quelle histoire ?, Blois, Les rendez-vous de l'Histoire, 2001, 153 p.

* 12 Morin Edgar, Le Roy Ladurie Emmanuel (collectif), Op. Cit., p. 83

* 13 Morin Edgar, Le Roy Ladurie Emmanuel (collectif), Op. Cit., p. 24

* 14 Charaudeau Patrick, Le discours d'information médiatique : la construction du miroir social, Paris, Nathan/INA, Coll. « Médias Recherches », 1997, 288 p.

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