Conclusion
Comme toute chose a une fin ...
L'anhydrobiose est un phénomène d'une incroyable
complexité et les processus mis en jeu ne sont à ce jour pas
encore compris de manière précise comme nous l'avons vu.
Néanmoins, toutes les hypothèses évoquées
permettent de comprendre le rôle crucial des interactions entre l'eau et
le sucre, via la formation de liaisons hydrogène. A l'origine du
phénomène de cristallisation, de la vitrification, des variations
de viscosité..., les liaisons hydrogène sont responsables de
toutes les propriétés remarquables évoquées dans
ces systèmes biologiques complexes. Les études de dynamique
moléculaire réalisées sur des mélanges binaires
eau/sucre permettent donc de suivre indirectement l'évolution du
réseau de liaisons hydrogène et par conséquent d'en
apprécier la coopérativité.
La diffusion quasi-élastique des neutrons s'est
avérée être un outil particulièrement bien
adapté à nos systèmes hydrogénés puisqu'ils
nous ont permis de sonder sélectivement la dynamique du solvant et du
soluté. L'étude de solutions de glucose et de fructose a conduit
à la détermination des constantes physiques
caractéristiques du mélange, comme le coefficient de diffusion,
le temps de relaxation, ou encore la longueur de saut effective. Un effet de la
concentration en sucre sur les dynamiques du D-glucose, comme celles du
D-fructose, a clairement été mis en évidence. Une
réduction significative de la dynamique translationnelle de l'eau (~ 3)
est notée lorsque l'on augmente la concentration en sucre. Un
comportement complètement similaire a été constaté
pour la dynamique translationnelle du D-glucose, qui subit une diminution d'un
facteur comparable (~ 3). La température
s'est avérée jouer un rôle crucial,
puisqu'elle abaisse les dynamiques du fructose d'un facteur 3 lorsque la
température diminue de 40 K. Ces effets de la concentration ou de la
température relatent donc les interactions qui se produisent dans le
mélange entre l'eau et le monosaccharide. Mais de tels résultats
montrent bien qu'une augmentation en concentration du sucre est
équivalente à une baisse en température en terme
d'interactions et de dynamiques moléculaires. Notons également
que les différences stéréochimiques de ces deux
monosaccharides, qui influent sur leur hydrophobicité et donc sur leurs
interactions avec l'eau, sont à l'origine des différences de
dynamique observées.
Cette étude, qui n'a pas l'ambition de copier le vivant
mais seulement de l'imiter d'une certaine manière, tente
néanmoins d'apporter quelques réponses aux questions liées
au confinement de solutions aqueuses de sucres. Cette problématique,
tout à fait nouvelle d'un point de vue expérimental, était
assez difficile à mettre en oeuvre en raison des très nombreuses
contraintes inhérentes au système: concentration,
évaporation, matrice,... Le choix de la matrice a d'ailleurs
été l'une des plus grandes difficultés. Malgré
cela, deux matrices ont été sélectionnées et
synthétisées par nos soins: un gel de silice aqueux (ou hydrogel)
et une silice mésoporeuse de type MCM-41 présentant une
morphologie sphérique. L'originalité, dans le premier cas, a
été d'intégrer le sucre dès la synthèse,
permettant ainsi un confinement de la solution en une seule et même
étape. L'étude structurale des gels par diffusion des neutrons
aux petits angles a permis d'estimer la taille moyenne des pores à ~ 18-
20 nm, et l'étude de la dynamique moléculaire du D-glucose
confiné dans ces gels a montré un ralentissement des mouvements
de rotation et de translation lié à l'augmentation en
concentration. Il est apparu également que le confinement ne modifiait
que très faiblement la dynamique comparée à celle d'une
solution non confinée de même concentration. La même
observation a également été faite sur des solutions de
tréhalose confinées dans les mêmes conditions. Des
simulations de dynamique moléculaire très récentes sont
même venues corroborer ces résultats. Cette conclusion, qui
pourrait paraître assez surprenante au premier abord, indique finalement
que les solutions de sucre confinées se comportent comme dans une
solution «normale », permettant ainsi une protection active des
tissus. Ce résultat, tout à fait nouveau, apporte une information
importante, utilisable notamment par la communauté des
théoriciens qui considèrent les molécules de sucre comme
confinées à la surface des protéines...
Mais, le gel s'est également
révélé être une excellente matrice pour
étudier la déformation de la structure siliceuse sous l'effet de
la perte en eau. Les déshydratations réalisées in-situ sur
ces gels ont été suivies par diffusion des neutrons aux petits
angles. Alors que les gels sans sucre présentaient des fissurations
importantes dans leur structuration, les gels contenant du glucose conservaient
leur structure interne alors même que le taux d'hydratation était
extrêmement faible. Cette étude expérimentale a donc
montré une résistance accrue des gels contenant du sucre. L'effet
protecteur du sucre a alors été clairement mis en
évidence.
L'étude s'est ensuite tournée vers le
confinement de solutions de sucre dans des pores de taille et de morphologie
contrôlées. Pour ce faire, il a fallu synthétiser des
silices mésoporeuses adaptées à nos besoins et nos
contraintes. La diminution de la concentration en tensioactif a ainsi permis de
former des particules sphériques mésoporeuses pour des
concentrations en CTMABr jamais utilisées jusqu'alors. L'optimisation
des conditions de synthèse a notamment permis d'obtenir des
sphères de silice mésoporeuses de type MCM-41 homodisperses en
taille. Les multiples caractérisations (MET, MEB, DRX, SANS, BET) ont
permis de déterminer le diamètre moyen des particules (Ø ~
125 nm), mais également le diamètre des pores (Ø ~ 3 nm),
et l'épaisseur des parois (1,5 nm). Nous avons pu mettre en
évidence un élargissement des pores lorsque la concentration du
tensioactif diminue. Le très bon accord des différentes
techniques de caractérisation est également à noter.
L'accessibilité des pores aux solutions aqueuses a également
été démontrée.
L'étude de la variation de l'intensité
élastique en fonction de la température des solutions de sucre
confinées a permis de mettre en évidence la présence de
plusieurs transitions selon l'échantillon : une première vers 270
K correspondant à la fusion du solide non confiné, une seconde
vers 230 K pour la fusion du solide confiné, et enfin une
troisième vers 90 K qui n'a pas encore été
déterminée. Dans le même temps, une perte de la
coopérativité a été observée lorsque l'on
passe d'une solution à une solution confinée. Une diminution de
la dynamique translationnelle des molécules de sucre confinées
dans la silice mésoporeuse a également pu être mise en
évidence.
Perspectives
Avant toute chose, il convient de finaliser le traitement des
mesures de dynamique moléculaire des solutions de D-glucose
confinées dans des MCM-4 1. Les résultats obtenus seront ensuite
comparés avec ceux obtenus pour les solutions et pour les gels. Les
expériences portant sur l'évolution de la structure en fonction
de la déshydratation nous semblent assez prometteuses, et il serait donc
intéressant de poursuivre ces expériences en élargissant
l'étude à des systèmes biologiques comme des membranes par
exemple. Une étude, qui pourrait être complétée par
des expériences de dynamique moléculaire mais également
par des mesures thermiques.
De nombreuses pistes sont envisagées pour
étendre les recherches sur le sujet, comme l'étude de la
dynamique dans un autre milieu confinant comme des structures carbonées
par exemple. Les carbones présentant des interfaces plutôt
hydrophobes, les interactions de l'eau ou du sucre avec la surface en seront
profondément modifiées. D'autres pistes sont également
envisageables, comme l'étude de solutions confinées dans une
matrice lamellaire comme des argiles ou des membranes. Ce confinement
bidimensionnel pourrait ainsi induire des effets inattendus ou rendre
anisotrope les mouvements diffusifs si l'épaisseur atteinte est
suffisamment faible. L'utilisation d'autres techniques
expérimentales est également envisagée
pour étudier les effets du confinement. La RMN à gradient de
champ pulsé, par exemple, serait particulièrement
intéressante car tout comme la diffusion de neutrons, elle permet de
sonder les dynamiques moléculaires, et permet également
d'accéder à des échelles temporelles différentes.
Des mesures Raman sont également envisagées. L'étude de
films minces de mono- ou de disaccharides nous paraît également
intéressante en raison de l'aspect bidimensionnel, mais également
en raison du très faible taux d'hydratation. Des mesures thermiques
(DSC, ATD) ou de diffusion de neutrons (scans élastiques) nous
permettraient de déterminer la température de transition vitreuse
de ces films en fonction de l'épaisseur.
Enfin, les nanosphères de silice méritent encore
de nombreuses investigations pour caractériser pleinement leur
structure. Des mesures de RMN du solide pourraient nous aider à
comprendre de manière plus détaillée les mécanismes
de formation lors de la synthèse. Une continuation des mesures de DRX et
de BET sur les échantillons non sphériques serait
également intéressante. Nous envisageons maintenant de
réduire la taille des sphères (< 100 nm), mais
également de modifier le diamètre des pores.
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