Les Tiéfo de Dèrègouè ont une
société de type segmentaire. L'organisation sociale est
basée sur la juxtaposition et l'équilibre des rapports entre les
lignages. Le système de filiation est de type bilinéaire et se
caractérise par l'appartenance de chaque individu à la filiation
matrilinéaire et la filiation patrilinéaire. L'héritage
est aussi bilinéaire ; le neveu maternel peut hériter des biens
de son oncle par voie matrilinéaire tout comme le fils de ce dernier.
Jadis le système d'héritage était de type matriarcat.
Mais, avec à l'islamisation des populations il est devenu mixte
(patriarcat et matriarcat).
2.3.1.1. Les autorités
traditionnelles
Les autorités impliquées dans la gestion
traditionnelle de la zone d'étude sont : le chef de village, les chefs
de terre et le chef des eaux.
· Le « Dougoutigui » ou le chef de village
Il est investi des pouvoirs politiques et coutumiers. Le chef
de village est chargé du contrôle social et politique de la
communauté villageoise. Il régule les litiges et conflits
sociaux. Son rôle est surtout perceptible à travers les sujets qui
interpellent toutes la communauté villageoise. Aussi, est-il le
dépositaire des rites relatifs au « Dougou » (qui
signifie en français village ; mais ici il correspond plutôt au
fétiche protecteur du village) ;
· Le « Batigui » ou le chef des cours d'eau
Il assure la gestion des cours d'eau à
l'échelle du village. Il officie les rituels et les sacrifices en
rapports avec les cours d'eau. Le chef des eaux règle tous les litiges
et malheurs en rapport avec l'eau. Chaque année, il immole une
chèvre ou un mouton pour remercier les ancêtres des eaux dans la
rivière Koba.
· Les « Dougoukolotigew » ou les chefs de terre
;
Ils assurent la gestion des terres qui leur sont
dévolues traditionnellement. Au nombre de six, ceux-ci installent les
migrants et attribuent les terres aux populations qui en font les demandes. Par
ailleurs, Ils officient les rites en rapport avec la terre et sont
impliqués dans la régulation des litiges fonciers
localisés sur leurs territoires respectifs.
2.3.1.2 Les unités socio-spatiales
Les autochtones s'identifient à trois unités
socio-spatiales que sont :
· le « Fêsso»
Il signifie « chez soi » et représente le
territoire dont se réclame un groupe de lignage ayant en commun le
même ancêtre. Par exemple, les descendants de Ouattara Amora
antérieurement cités sont assimilés au «
Dougoutiguifêsso » ; par contre, ceux de Sawari sont
assimilés à « balankanfêsso » et
« Missifêsso ». La gestion du fêsso est
assurée par l'aîné. Il oeuvre pour
la cohésion des segments de lignage regroupés
respectivement à travers des grandes concessions familiales
communément appelées « Lou »
· Le « Lou » ou la concession familiale
Il est le reflet des segments de lignage maternel ou
paternel. Les activités au sein de ces concessions sont
coordonnées par l'aîné à qui sont subordonnés
les cadets. L'aîné défend les intérêts de son
groupe auprès des autres familles. Les « Lou » sont
un regroupement de plusieurs familles nucléaires communément
désignées par le terme « Gbâ ».
· Le « Gbâ » ou foyer
Il symbolise le ménage et regroupe en
général le chef de ménage, son épouse ou ses
épouses et ses enfants. Dans cette unité, c'est le chef de
ménage, assisté de son épouse et de ses enfants qui
coordonne les activités. Il arrive parfois que ces ménages
regroupent les neveux, nièces, frères, cousins, etc. du chef de
ménage.
De ces unités sociales se dégagent les
unités de production suivantes:
- le champ collectif ou « foroba »
; c'est une unité de production agricole dont la main d'oeuvre
est composée d'individus se réclamant d'un même
ménage. Les activités y sont coordonnées par le chef de
ménage et la production sert à faire face aux besoins de
subsistance du groupe. On en fait usage dans les situations d'urgence, pour
la
simple raison que nombre de membres du ménage ont des
champs individuels ;
- le champ individuel ou «
djonganiforo » ; c'est unité de production
appartenant à un individu. Ces champs individuels sont en
général détenus par les femmes et les jeunes
célibataires.
L'ordre social au sein des groupes est régi par le
principe d'aînesse, qui se traduit par des rapports d'autorité des
aînés sur les cadets et des hommes sur les femmes au sein des
segments de lignage. Toutefois, les prises de décision se font par
concertation où chacun (vieux, jeune, homme, femme, etc.) donne son
point de vue sur les questions ou les problèmes
évoqués.
La société autochtone de
Dèrègouè n'est pas figée, elle connaît des
mutations dues à plusieurs facteurs : migrations, introduction de
l'économie de marché, la modernité, etc. Ces mutations se
traduisent par le morcellement des grandes familles, libérant ainsi les
jeunes ménages en quête d'autonomie. Ces jeunes créent
leurs propres habitations en dehors des grandes concessions familiales et
organisent leurs propres productions. Néanmoins, ils restent
sous l'autorité des aînés pour ce qui
concerne le mariage, les sacrifices et rituels. L'organisation sociale des
autochtones côtoie celle des migrants.
2.3.2. L'organisation sociale chez les
migrants
C'est une organisation sociale qui a été
crée sur la base de l'ethnie, de l'origine villageoise ou de la zone de
provenance de la migration. Elle fonctionne dans l'optique de maintenir la
cohésion au sein du groupe dont un tiers migrant s'identifie et de faire
face aux problèmes socio-fonciers et économiques de la zone.
L'organisation des migrants est centralisée autour
d'un individu qui, en général, est le premier migrant du groupe
avec lequel il partage la même ethnie ou la même origine
villageoise (province, département, village). Ceux-ci sont
regroupés dans des villages satellites dont les noms renvoient souvent
à l'ethnie pour certains :
- Kounbrangan, quartier regroupant les Mossi originaires du
yatenga ;
- Hobaga, village regroupant en majorité les Mossi
originaires du Zandoma ; - Karaborosso (Faraba, Sounsoun), quartier regroupant
les Karaboro ;
- Flatchin, quartier peul, etc.
Le chef de chaque groupe de migrants oeuvre pour la
préservation de la cohésion sociale au sein du groupe qui
s'identifie à lui. Il facilite l'insertion de tous les nouveaux migrants
qui s'assimilent à son groupe et participe à la défense
des intérêts de ces derniers auprès des autorités
coutumières. Les chefs de migrants sont considérés comme
des hôtes par ceux qu'ils accueillent. L'existence de ces deux groupes
d'organisation sociale n'exclue pas des inter-relations entre eux.
2.3.3. Les relations entre autochtones et
migrants
Á Dèrègouè, les autochtones, et
plus précisément les Tiéfo, sont les « djatigui
» (les hôtes) des migrants. Car ce sont les Tiéfo,
propriétaires terriens coutumiers qui autorisent à priori
l'installation, l'habitation, l'exploitation agricole, etc. aux migrants. Sans
leur accord, aucun migrant ne peut à priori s'installer dans le village
et exploiter un espace cultivable.
Chaque migrant a son hôte représenté par
la famille du chef de terre qui l'a installé. Tout se passe comme si le
chef de terre était le tuteur du migrant. Lorsqu'il attribue une portion
de terre à ce dernier, celui-ci lui devient redevable chaque fin de
saison. En plus, il existe des entraides mutuelles et des relations amicales
entre autochtones et migrants. Les
migrants participent, contribuent financièrement et
matériellement aux cérémonies des autochtones et vis versa
(baptême, mariage, etc.).
L'ordre social à l'échelle villageoise est
assuré de concert par le chef du village, les chefs de terre et les
chefs de migrants avec l'assistance des RAV. Ces derniers sont
interpellés dans la régulation des litiges sociaux et fonciers.
Lorsque les protagonistes sont insatisfaits, les problèmes sont soumis
aux forces de l'ordre (police ou gendarmerie) ou à la préfecture
en vue d'une résolution.