Tant que la terre est disponible et les demandes moins
fortes, la convoitise des espaces cultivables dévient moindre; en
conséquence, les champs en jachère peuvent rester sans susciter
des polémiques. Ce constat part du fait que les terres mises en
jachère stimulent de plus en plus des intentions de remise en cause des
contrats fonciers du fait du manque de terre conjugué à la forte
demande. Pour prévenir ces situations, les exploitants, en particulier
les migrants, s'abstiennent de mettre leur terre en jachère.
Lorsqu'un exploitant laisse sa terre au repos, cela
sous-entend qu'il a assez de parcelles en réserve et que les terres
qu'il a ensemencées suffisent pour satisfaire ses besoins. Et comme
d'autres exploitants en ont besoin, ces jachères sont reprises pour
ensuite être réattribuées. « Si tu laisses ta
parcelle au repos (allusion faite à la jachère) les
propriétaires terriens disent que c'est parce que tu en as beaucoup que
tu gardes d'autres au repos, et ils profitent te la retirer pour ensuite la
céder à d'autres migrants. Souvent ce sont les migrants qui vont
dire aux chefs que tu ne veux plus cultiver ton champ et qu'eux en ont besoin.
Comme ces derniers proposent de l'argent, les dougoukolotigew, surtout les
jeunes, n'hésitent pas à te la retirer pour ensuite la
réattribuer à d'autres migrants ». C'est ce que nous a
confie OA, un migrant mossi installé dans la zone en 1987. Au risque
donc de perdre une parcelle parce qu'elle est mise en jachère, certains
préfèrent la céder sous forme de prêt,
métayage ou location pour en tirer profit. Cela entraîne
l'exploitation continue des terres au détriment de la pratique de la
jachère. Cette technique est en général remplacée
par l'utilisation intensive des engrais lorsque le rendement baisse.
4.4.1.2. Le « nomadisme agricole » et le
blocage des investissements pérennes
Le nomadisme agricole est la conséquence du manque de
stabilité sur les parcelles exploitées. Il se traduit par la
mobilité agraire qui renvoie aux mouvements des exploitations
agricoles dans l'espace. Par exemple, lorsque les contrats de
courte durée d'un exploitant ne sont pas renouvelés, celui-ci est
obligé de renégocier d'autres contrats fonciers pour pouvoir
continuer son activité. Ce qui l'amène à ouvrir un nouveau
champ à un notre endroit. Ce nomadisme agricole est aussi visible
lorsque les paysans se voient interdire l'exploitation de leurs champs par les
propriétaires terriens coutumiers ou par les autorités
administratives. Après le déguerpissement qui a eu lieu dans
à Dèrègouè, certains ont abandonné leur
champ situé dans la zone pastorale pour en renégocier de nouveaux
dans la zone agro-pastorale.
Le blocage des investissements pérennes est lié
au refus de permettre à un exploitant de réaliser des
investissements durables dans son champ et aux contrats de courte durée
(1, 2, 3 ou 5 ans). Lorsqu'ils ne bénéficient pas d'autorisation
pour planter, de moyens financiers pour s'octroyer ce droit ou parce qu'ils
jouissent de droits temporaires, de nombreux migrants n'arrivent pas à
pratiquer la culture arbustive sur les parcelles.
Les incidences ne sont pas perceptibles seulement au niveau des
pratiques agricoles, car les problèmes fonciers affectent aussi la
situation socio-économique des paysans.
4.4.2. Les incidences sur le plan
socio-économique
La charge du prélèvement du loyer en nature sur
la production des ménages et les conflits fonciers sont les principales
incidences socio-économiques des problèmes d'accès
à la terre à Dèrègouè.
4.4.2.1. L'impact du prélèvement du loyer
en nature sur la production des ménages
Le prélèvement du loyer en nature sur la
production des métayers est perçu comme une charge insupportable
pour certains. Les exploitants qui cultivent des champs qu'ils estiment petites
en superficies pour faire face aux besoins des membres de leurs ménages
jugent que le prélèvement du loyer en céréales sur
leur production constitue une charge économique. Pour eux, les
récoltes ne suffisent pas aux besoins de subsistance de la famille et
lorsque les chefs viennent à prélever cette redevance, cela
aggrave davantage la situation. Mais ceux-ci n'ont d'autres choix que de
s'acquitter de cette contrepartie périodique quitte à se voir
retirer leur parcelle du moment où leur confrère migrant
s'acquitte des leurs.
Si pour les métayers le loyer a un impact
négatif sur leur production, ce n'est pas le cas pour les
propriétaires terriens. Le loyer annuel représente une source de
richesse pour ces propriétaires, car chaque année ce loyer est
acheminé vers les marchés locaux et urbains pour être vendu
ce qui leur procure des revenus. Selon certains migrants, c'est cette
redevance
périodique qui a permis à des
propriétaires de s'enrichir (construction de maison en ciment, achat de
mobylette, radio, télévision, etc.).
4.4.2.2. Les conflits fonciers et leurs
résolutions
Les conflits fonciers opposent d'une part les autochtones
entre eux puis ceux-ci et les migrants, et d'autre part les éleveurs aux
agriculteurs ainsi que l'Etat aux agriculteurs. Ces différends sont la
conséquence des retraits de terres, des réductions de superficie,
du non- respect des clauses des transactions, des dégâts d'animaux
et du déguerpissement.
Bien qu'ils soient fréquents dans la zone, nous
n'avons été témoin que de sept (7) conflits fonciers au
cours de nos travaux de terrain: Trois (3) différends causés par
les dégâts d'animaux, deux (2) relatifs à la
révocation des droits d'usage sur la terre et un (1) lié au non-
respect des limites de parcelles et un (1) autre lié à
l'implication des jeunes dans la gestion foncière. Ainsi, nous avons pu
identifier les conflits suivants:
· Les conflits fonciers entre
autochtones
Ce sont des désaccords entre les membres d'un
même lignage dans la gestion foncière. Certains jeunes se trouvent
confrontés aux aînés parce qu'ils attribuent les terres aux
migrants sans consulter les plus âgés. En revanche, les jeunes
n'apprécient pas le fait que leurs aînés attribuent des
terres aux migrants en contrepartie d'argents dont ils ne
bénéficient guère. Ainsi, chaque jeune cherche à
attribuer de façon personnelle la terre sans interférence d'un
autre membre du lignage. Cette situation s'explique par deux raisons : d'abord
les jeunes veulent se garantir des réserves pour l'avenir et veulent
profiter de l'arrivée massive des migrants agricoles en leur attribuant
des parcelles, le plus souvent par la « vente ».
Monsieur KS est le neveu d'un des chefs de terre de la zone
d'étude, et du fait de l'âge très avancé de son
oncle (le chef de terre, frère aîné de sa mère) il a
eu le privilège d'être le cédeur des terres relevant du
territoire coutumier de son oncle. Le fils légitime du chef de terre ne
pouvait assumer cette tâche à cause de son jeune âge. Mais
au fil des années, ce dernier s'impliquait dans l'attribution des terres
aux migrants sans le consentement de son cousin KS. Celui-ci n'a pas
apprécia pas cette attitude, et le fait de voir le fils du chef
impliqué dans la gestion des palabres relatives au conflit n'est pas
aussi vu d'un bon oeil. Aujourd'hui, un conflit latent existe entre les deux
cousins du fait de l'émancipation du jeune cousin dans la gestion
foncier. Pour certains témoins de ce litige latent « ce sont
les fortunes (construction de maison en dur, achat de moto, train de vie de la
bourgeoisie villageoise, etc.)
qu'obtient K.S à travers la gestion des terres qui
ont incité le fils légitime du chef de terre à s'y
impliquer de plus en plus ».
· Les conflits entre les autochtones et les
migrants
Ils résultent de l'opposition manifestée vis
à vis de certaines pratiques telles que les retraits de terre et les
réductions de superficie ainsi qu'au non-respect des interdits
imposés aux migrants (interdiction de planter, de céder la
parcelle à une tierce personne sans accord des chefs de terre, respect
des limites des terrains cédées, etc.). Ce sont des situations
qui ont émergé à partir de l'année 2000,
période marquant le début l'intensification des migrations dans
notre zone d'étude.
· Les conflits entre les éleveurs et les
agriculteurs
Ils sont récurrents dans la zone pastorale et
déclenchent suite à des dégâts de champ par le
bétail. Même si ladite zone revient de droit aux éleveurs,
il ne faut cependant pas occulter le fait qu'elle est revendiquée par
les agriculteurs qui n'approuvent pas les incursions de bétail des
pasteurs dans leurs champs. Selon les éleveurs, c'est le manque de
pistes pour conduire le troupeau vers les pâturages et les points d'eau
suite à « l'envahissement » de la zone pastorale par les
agriculteurs qui rendent récurrents les incursions de bétail dans
les champs. Par contre, pour les paysans, la période de mobilité
(période de récolte) des éleveurs n'est pas propice et les
dégâts de champs par les animaux sont
prémédités par les éleveurs peul, mais il est
difficile de mettre un terme à cette situation puisque le site revient
de droit aux éleveurs. L'inertie des agriculteurs face aux
dégâts de champs par le bétail est confirmée par DS,
éleveurs installé dans la zone pastorale de
Dèrègouè il y'a 10ans : « Avant, lorsqu'il y 'a
des incursions de bétail dans les champs situés dans la zone
pastorale, les paysans en faisaient un problème et il y 'avait toujours
des querelles. Mais depuis qu'ils ont été déguerpis pour
la première fois, ils ne se plaignent plus lorsque des
dégâts sont causés dans leurs champs par les troupeaux de
bétails. ».
· Les conflits entre les agriculteurs et
Etat
Le premier conflit a été perceptible à
travers le déguerpissement foncier. Ce conflit s'est traduit en deux
phases: le préavis de suspension des activités dans la zone
pastorale qui fut désapprouvé par les agriculteurs et le
déguerpissement sous la direction des forces de l'ordre. Si certains
agriculteurs se sont réinstallés dans la zone après une
demande adressée aux autorités administratives, d'autres par
contre se sont réinstallés parait-il sous pression des hommes
politiques.
La résolution des conflits à
Dèrègouè impliquent plusieurs acteurs : les chefs de
terre, le préfet, les RAV et souvent les agents techniques de
l'agriculture ou de l'élevage. Les protagonistes exposent leurs
problèmes en vue d'une résolution aux acteurs qui peuvent
départager à leur faveur. C'est le cas de certains migrants qui
préfèrent soumettre leurs problèmes au préfet
lorsqu'ils n'ont pas été satisfaits au niveau du village. Au fait
ce sont les conflits qui opposent les migrants aux propriétaires
terriens qui sont le plus souvent exposés à l'autorité
administrative. Par contre, lorsque les protagonistes sont tous des migrants,
les faits sont soumis aux chefs de terre ou aux RAV qui leur
départagent. Souvent, ces deux instances de régulation s'unissent
pour trancher un litige. Dans ce cas de figure, l'autorité
administrative est le dernier recours lorsque l'arbitrage n'a pas
été satisfait à l'échelle locale.
Les différentes émanations de l'Etat et les
services techniques s'impliquent dans les conflits qui opposent les exploitants
agricoles aux éleveurs. Par exemple, pour résoudre la question
des conflits entre éleveurs et agriculteur dans la zone pastorale, ils
ont décidé du déguerpissement des agriculteurs. Les
services techniques, notamment les ATC, sont aussi impliqués dans la
résolution des litiges qui opposent les agriculteurs aux éleveurs
et qui résultent des dégâts de champ de coton par le
bétail. Leur rôle est, comme nous l'avons constaté à
Hobaga, de faire le constat des dégâts et d'en évaluer le
coût qui sera communiqué à l'éleveur dont
appartenait le troupeau. Pour entrer en possession de son troupeau, celui-ci
doit s'acquitter du coût des dégâts estimés par
L'ATC.