Section IIème : L'Arbitrage et droit du logement
.
493. Dans ce paragraphe nous tenterons de démontrer
l'intérêt de l'arbitrage en droit locatif (I), tout en
établissant son inadéquation dans ce type de litiges (II).
I. Attrait de l'arbitrage en droit locatif.
494. L'arbitrage est un mode aux qualités attractives,
quant au choix de ce mode.
495. C'est un mode souple puisque c'est l'arbitre qui fixe les
règles sauf à respecter la volonté des parties et
certaines règles du procès. Rappelons que l'arbitrage peut
être rendu en droit ou en amiable composition. La souplesse porte aussi
sur le choix des arbitres.
496. Deux de ses autres avantages sont la technicité
des arbitres et la rapidité. Ce sont les parties qui fixent le
délai, puisque le fondement et conventionnel à défaut le
délai de six mois. L'arbitre peut imposer une prolongation du
délai, ou elle peut être décidée judiciairement.
497. Enfin, comme tous les autres modes amiables, l'arbitrage
respecte le principe de confidentialité. Sauf exception, il n'y a pas de
publicité des débats et les sentences arbitrales ne sont pas
publiées. Notons que si les voies de recours sont opérées
contre une sentence arbitrale devant la cour d'appel, la confidentialité
n'existera plus.
498. Cependant malgré ses qualités attractives, la
pratique permet d'affirmer que ce mode amiable est à ce jour
inadapté aux conflits de droit du logement.
II. Limite de l'arbitrage en droit locatif.
499. Pour la plupart des baux, « l'espace laissé
à une éventuelle clause d'arbitrage est réduit puisque les
points majeurs de contentieux sont l'objet de dispositions légales
marquées par l'ordre public »209. Ce
constat est particulièrement vrai en matière de bail d'habitation
où l'ordre public tient une place importante.
A. En présence d'une clause compromissoire.
500. Le 17 octobre 2000, lors de l'examen par le Sénat
du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques, les
sénateurs envisageaient d'abroger l'article 2061 du code civil et
parallèlement de réputer non écrite la clause
compromissoire dans un certain nombre de contrats tels que les baux de locaux
à usage d'habitation et commerciaux.
209 J. Monéger, « La clause compromissoire
insérée dans un bail commercial au regard de la réforme de
l'article 2061 du Code civil, RTD com. 2001, p. 631.
501. Le 15 mai 2001, l'article 2061 du code civil a
finalement été rédigé de la manière suivante
: « Sous réserve des dispositions législatives
particulières, la clause compromissoire est valable dans les contrats
conclus à raison d'une activité professionnelle
»210.
502. Avec la réforme, il y a une extension du domaine
de la clause aux professions libérales, aux artisans, à toutes
les personnes morales non commerçantes qui exercent une activité
professionnelle, qui peuvent dorénavant conclure des clauses
compromissoires.
503. Le caractère préventif de la clause
compromissoire ne semble pas pouvoir s'appliquer aux baux d'habitation, car ils
ne sont pas conclus à raison d'une activité professionnelle. Ils
ne peuvent être qualifiés de conventions conclues à raison
activité professionnelle211.
504. Cependant, si le cadre légal conditionne la
validité de la clause compromissoire au contrat conclu à raison
d'une activité professionnelle, aucune précision n'est
apportée. L'interprétation de cette condition pourra varier au
gré des humeurs doctrinales et jurisprudentielles qui
n'hésiteront pas l'apprécier212. Suppose-t-elle
d'être caractérisée à l'égard des deux
parties au contrat de bail ou d'une seule ? Et à quel moment se placer
pour l'apprécier ?
Il est à noter que le texte vise «
l'activité professionnelle » au singulier213. On peut
s'interroger sur la formulation : soit c'est simplement la
référence à l'activité professionnelle des deux
parties, soit à l'activité professionnelle d'au moins une des
parties. La distinction a son importance, car en fonction de la portée
que la jurisprudence voudra donner au texte son champ d'application sera
différent.
505. L'extension est quand même limitée. Si deux
particuliers concluent un contrat, la clause compromissoire contenue dans le
contrat ne serait pas valable. Les parties agissent dans le cadre
d'activités, de besoin privés. Il y a aussi des limites quant
à l'interprétation de l'expression « activité
professionnelle ». Faut-il que les deux parties agissent dans le cadre de
leur activité professionnelle ou une seule suffirait ? Pour la
doctrine quasi unanime214, le contrat doit être
conclu par chacune des parties agissant dans le cadre de leur activité
professionnelle. Si c'est un contrat « mixte », la clause ne serait
pas valable.
Toutefois, il n'est pas nécessaire que chacune agissent
dans le cadre de leur spécialité.
B. En présence d'un compromis.
506. La loi du 6 juillet 1989 relative aux baux d'habitation
est d'ordre public, un compromis ne devrait pas être envisageable dans ce
cadre. Mais l'indisponibilité est-elle absolue ou peut- elle être
temporaire ?
L'ordre public classique est absolu, on ne peut jamais y
déroger. Pour l'ordre public de protection, quand le droit est acquis,
le droit redevient disponible donc l'arbitrage sera possible.
210 Confère la loi n° 2001-420 relatives nouvelles
régulations économiques, article 126.
211 E. Loquin, « Les métamorphoses de la clause
compromissoire », RTD com. 2001, p. 645.
212 N. Reboul-Maupin, « Arbitrage et bail », droit et
patrimoine, n°104, mai 2002, p.70.
213 N. Reboul-Maupin, idem, p. 74.
214 Ch. Jarrosson, « Le nouvel essor de la clause
compromissoire après la loi du 15 mai 2001», JCP éd. G 2001,
I, n°333 et JCP éd. E 2001, p. 1371 ; M.-Cl. Rivier, « La
réforme de la clause compromissoire, in L'arbitrage, une
question d'actualité », colloque CCI, Nantes, 15 mai 2002, Petites
affiches.
507. Il y a « ordre public ... et ordre public
»215.
Ainsi la règle d'ordre public octroyant une
compétence exclusive au tribunal d'instance pour connaître les
contestations relatives aux baux d'habitation soumis à la loi de 1948,
rend-elle le litige inarbitrable ?
508. L'article 46 de la loi du 1 septembre 1948 dispose que :
« sous réserve des dispositions de l'article 5, toutes les
contestations relatives à l'application du présent titre sont
portées devant le tribunal d'instance du lieu de la situation de
l'immeuble, lequel statut selon les règles qui lui sont propres
».
509. Dès lors, la validité du compromis conclu
entre le bailleur et le locataire pouvait créer des
difficultés.
C'est pourquoi, à l'époque, on estimait que
l'article 50 de la loi, aujourd'hui abrogé, qui dispensait de droits
d'enregistrement pouvait donner lieu en application de la loi, au compromis
d'arbitrage.
De cet article, les arrêts conclus ont pu en
déduire que la loi de 1948 autorisait expressément le recours
à l'arbitrage tant que cet article existait216.
510. Cependant cette position de compétence exclusive est
vivement combattue en ce sens qu'elle procède d'une confusion.
En effet, les textes attribuant compétence exclusive
à une certaine catégorie des tribunaux le font par rapport aux
autres catégories des tribunaux étatiques, mais cela ne
préjuge en rien de la possibilité de recourir à
l'arbitrage.
511. Il est plus judicieux de rechercher pour la validité
de l'arbitrage dans quelle mesure l'ordre public s'oppose ou non à la
faculté d'y recourir.
C'est l'indisponibilité du droit qui
sera le critère, elle supplante la compétence exclusive des
tribunaux.
512. Il est important de distinguer l'ordre public de
direction ou de protection, l'objectif recherché par l'ordre
public de protection reste la protection des parties réputées
faibles ainsi qu'une sécurité juridique.
Cette protection doit essentiellement exister au moment de la
conclusion du contrat de bail. Une fois le contrat de bail conclu, rien
n'empêche le locataire de renoncer à cette protection ordre
public.
513. En effet, « l'arbitrage n'est pas exclu par
principe et a priori en raison de ce que le litige touche à l'ordre
public, il est tout simplement parce que l'ordre public ait été
violé »217 . Il en va ainsi dans l'hypothèse
où les parties à un contrat de bail d'habitation confient
à un arbitre la fixation ou la révision du loyer en dehors des
limites impératives fixées par la loi218. En revanche,
le compromis demeure valide même si l'ordre public est impliqué
par l'exécution de la convention, dès lors que sa
rédaction n'oblige pas l'arbitre a violé une règle d'ordre
public.
215 Ch. Jarrosson, « L'arbitrabilité :
présentation méthodologique », RJ com. 1996, p.1 et s.,
spé. P.4, n°17.
216 Cass. Soc., 30 décembre. 1954, D 1955, jur., p.321,
RTD civ. 1955, p. 361, obs. P.Hébraud; Cass. Soc., 3 nov. 1955, JCP
éd. G 1956, IV, p.14.
217 P. Ancel, « Conventions d'arbitrage : conditions de
fonds, litiges arbitrables », J.-Cl. Procédure civile, Fasc. 1024,
1986, n°85.
218 Cass. Soc., 27 octobre 1955, JCP éd. G 1956, IV,
p.15.
514. Les parties signataires à un contrat de bail ont
toujours la faculté de renoncer aux droits conférés par
l'ordre public dès lors qu'il s'agit de droits disponibles.
La renonciation est aujourd'hui valable à condition
qu'elle soit éclairée, consentie sans fraude et porte sur un
droit acquis219. Seules sont donc interdites les renonciations
anticipées qui porteraient atteinte au principe même de la
protection voulue par la loi impérative220.
515. Dans un bail d'habitation dans lequel les parties
auraient confié à des arbitres la fixation ou la révision
du loyer, la clause compromissoire est interdite en ce qu'il s'agit d'un
contrat civil qui n'est pas conclu en raison d'une activité
professionnelle.
Le compromis sur le montant du loyer, quant à lui,
sera possible. Mais si l'arbitre fixe un loyer supérieur au maximum
autorisé par les dispositions d'ordre public, sa sentence sera
annulée. Ce garde-fou assure une protection pour le locataire. L'arbitre
pourra aussi intervenir après l'expiration du contrat de bail s'il met
en cause, par exemple, un droit au maintien dans les lieux. Nous constatons par
ces développements les dissensions et les équivoques de la
doctrine sur ces questions.
516. La question de l'arbitrabilité a soulevé
un important débat doctrinal et jurisprudentiel dans les années
1950. La réponse apportée par la jurisprudence fut
négative221 et la doctrine montra de manière
décisive que l'attribution impérative de compétence ne
suffisait pas à exclure le recours à
l'arbitrage222.
517. L'arbitre n'est pas « le gardien naturel de l'ordre
public »223.
III. L'arbitrage, mode alternatif inadapté à ce
jour aux litiges locatifs .
518. La clause compromissoire est valable lorsqu'elle est
insérée dans un contrat conclu « à raison d'une
activité professionnelle »224. C'est la principale
raison pour laquelle l'arbitrage est peu fréquemment choisi en
matière de droit locatif malgré les discussions en cours.
L'arbitrage sera adéquat en matière de litiges de baux
commerciaux voir professionnels, alors qu'une clause compromissoire ne pourra
apparaître dans un contrat de bail d'habitation de loi de 1989, de 1948
ou dans un contrat de logement meublé.
519. Si juridiquement l'arbitrage pourrait être
désigné en matière de baux d'habitation, aux vues des
débats doctrinaux et jurisprudentiels, en pratique c'est le coût
de ce mode alternatif qui rend ce dernier inadapté aux litiges locatifs
d'habitation.
520. Cette « technique d'un coût très
onéreux »225 ne répond pas aux
réalités économiques qui régissent les litiges de
droit locatif. « En général, la justice est plus
coûteuse que la justice étatique, car aux honoraires des avocats
s'ajoutent ceux des arbitres. On peut craindre que
219 Ph. Mallaurie et L. Aynés, « Droit civil, Les
obligations », t. II, Contrats et quasi-contrats, Cujas, 1 1è
éd., 200 1-2002, n°256.
220 N. Reboul-Maupin, « Arbitrage et bail », droit et
patrimoine, n°104, mai 2002, p.78.
221 Cass. Soc., 7 février 1948, Bull. civ. III,
n°148.
222 V.R. Savatier, sous CA Angers, 27 mars 1953, D. 1954, jur.,
p.407.
223 P. Mayer, « La sentence contraire à l'ordre
public au fond », Rev. arb. 1994, p.615 s., spéc. N°18,
p.630.
224 L'article 2061 du Code civil.
225 A. Guillemain, « Le temps du changement où la
réalité économique retrouvée », AJDI, 1999, p.
1226.
l'influence de la partie forte ne se fasse sentir non seulement
dans le choix de cette idée justice, mais aussi non celui de la personne
de l'arbitre »226.
L'arbitrage est onéreux. Il n'y a pas de principe de
gratuité de la justice en matière arbitrage.
226 P. Mayer, « La protection de la partie faible en droit
international privé in La protection de la partie faible dans
les rapports contractuels (comparaison franco-belge), p. 513 et s.
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