UNIVERSITE PARIS 8
INSTITUT D'ENSEIGNEMENT A DISTANCE
MASTER 1 de Psychologie du développement et de
l'éducation
Mémoire de Recherche
LE ROLE DE LA THEORIE DE L'ESPRIT
DANS LE CONFLIT SOCIO-COGNITIF
présenté par Sarah BEGERT
No d'étudiante: 175525
Sous la direction de Caroline GUERINI
année 2006/2007
Remerciements
Je souhaiterais tout d'abord remercier ma
directrice de mémoire, Mme Caroline Guérini, pour son encadrement
et ses précieux conseils.
Je souhaiterais également remercier la directrice de
l'école maternelle Marceau, ainsi que l'ensemble du personnel encadrant
et plus particulièrement Emeline Marais pour son accueil dans sa classe,
sa disponibilité, sa gentillesse, et sa compréhension. Je
remercie aussi l'ensemble des enfants qui ont participé à cette
recherche.
Enfin, mes remerciements vont aussi à mes
proches : M. Anthony Ménard pour son soutien et ses éternels
encouragements, et Nicole Begert pour ses relectures attentives.
RESUME
La recherche présentée est menée au sein
d'une classe de moyenne section de maternelle, auprès de dix-neuf
enfants âgés de quatre à cinq ans, tous parlant et
comprenant bien le français sauf un. Cette classe a permis de
créer huit dyades symétriques dont quatre
« fortes » et quatre « faibles ».
Cette recherche vise à mettre en évidence
un lien entre le développement de la théorie de l'esprit et
le conflit socio-cognitif. Ce travail considère les effets du conflit du
point de vue du développement social. Il a pour objectif
d'évaluer les effets de la théorie de l'esprit sur le
déroulement d'un conflit socio-cognitif, et, inversement,
d'évaluer les effets du conflit socio-cognitif sur les
compétences en théorie de l'esprit.
L'intérêt de cette étude est de montrer
que le conflit socio-cognitif est une expérience sociale et, en tant que
telle, il nécessite d'une part certains prérequis qui
l'influencent, et d'autre part il peut favoriser le développement
socio-cognitif de l'enfant. Son but est d'ouvrir une réflexion sur le
lien entre ces deux champs que sont la théorie de l'esprit et le conflit
socio-cognitif, et plus généralement sur le développement
social de l'enfant, pour permettre de proposer des techniques d'apprentissage
en dyades dans le cadre scolaire ou pour favoriser ce type d'interaction
stimulante dans la vie ordinaire.
Une première sous-hypothèse de
l'hypothèse 1 supposait, pour le groupe ayant répondu
correctement aux questions sur la théorie de l'esprit, une
résolution du problème plus rapide et l'utilisation d'une
quantité plus importante de verbes mentaux. Cette première
sous-hypothèse n'a pas été validée statistiquement
en raison d'une forte hétérogénéité
interindividuelle au sein des groupes alors que l'observation des moyennes nous
aurait amenés à confirmer cette hypothèse. Une seconde
sous-hypothèse a été validée, considérant
l'existence d'une corrélation entre la quantité de verbes mentaux
utilisés, le nombre d'oppositions apparues et la durée plus
longue de résolution. La première partie de l'hypothèse 2
postulant l'amélioration des compétences en attribution
d'intentions suite à la participation à un conflit socio-cognitif
n'a pas été confirmée. De même, la seconde partie de
cette hypothèse supposant une progression en théorie de l'esprit
suite à la présence d'oppositions au sein du conflit
socio-cognitif n'a également pas été
vérifiée expérimentalement.
Nous pouvons cependant suggérer que ce type
d'interaction pourrait être bénéfique. Dans ce cas,
d'autres outils, une autre procédure, pourraient permettre de mettre en
exergue ces effets sur un échantillon plus élevé.
Sommaire
I REMERCIEMENTS p. 2
II RESUME p. 3
III SOMMAIRE p. 4
IV INTRODUCTION p. 6
V CADRE THEORIQUE p. 8
1. Le développement socio-cognitif p. 8
1.1. Le rôle de l'environnement social
1.2. Les représentations, un lien avec l'environnement
social
2. L'accès progressif à
l'altérité p.12
2.1. Le rôle des relations précoces
2.2. Une décentration perceptive
2.3. La théorie de l'esprit
2.3.1. L'émergence de la théorie de l'esprit
2.3.2. Les fausses croyances et le langage
3. Les apprentissages entre pairs p.19
3.1. Les apprentissages par l'imitation immédiate
3.2. Les interactions de tutelle entre pairs
3.3. Apprentissages et conflit socio-cognitif
3.3.1. Le conflit socio-cognitif et le marquage social
3.3.2. Les compétences préalables au conflit
socio-cognitif
3.3.3. Le conflit socio-cognitif, une conception
interactionniste et constructiviste de l'intelligence
3.3.4. Les facteurs intervenant dans le conflit
socio-cognitif
3.3.5. L'impact du conflit socio-cognitif
VI PROBLEMATIQUE p. 29
1 Problématique p. 29
2 Hypothèses p. 31
VII METHODE p. 34
1. Population p. 34
1.1. Le lieu
1.2. Description de la population
2. Description du matériel utilisé p.
36
2.1. Le tangram
2.2. Le test de la fausse croyance
3. Procédure p. 40
3.1. Premier contact
3.2. Première phase : familiarisation avec le
matériel et test de la théorie de l'esprit
3.3. Deuxième phase : le tangram
3.3.1. Formation des dyades
3.3.2. Déroulement de la tâche du tangram
3.4. Troisième phase : deuxième test de la
théorie de l'esprit
4. Description des variables et traitement statistique
p. 46
4.1. pour l'hypothèse 1
4.2. pour l'hypothèse 2
VIII RESULTATS p. 50
1. Résultats concernant l'hypothèse 1
p. 50
1.1. Résultats concernant l'hypothèse 1a
1.2. Résultats concernant l'hypothèse 1b
2. Résultats concernant l'hypothèse 2
p. 56
2.1. Résultats concernant l'hypothèse 2a
2.2. Résultats concernant l'hypothèse 2b
IX INTERPRETATION DES RESULTATS p. 59
1. Validation des hypothèses p. 59
1.1. Hypothèse 1
1.2. Hypothèse 2
2. Portée des résultats p. 62
2.1. Intérêt de la recherche
2.2. Limites
2.2.1. Limites liées à la population
2.2.2. Limites liées à la procédure
X CONCLUSION p. 65
XI BIBLIOGRAPHIE p. 66
XII ANNEXES p. 68
1 Tangram p. 68
2 Justifications de la réponse suite à
l'histoire 1 p. 69
3 Dyades p. 69
4 Calculs p. 74
5 Résultats bruts p. 77
INTRODUCTION
A l'âge de quatre-cinq ans, l'école
représente le principal milieu où l'enfant évolue et
s'initie aux conduites sociales, hormis l'environnement familial. De multiples
interactions entre pairs émergent dans cet environnement. Comme c'est au
travers des diverses expériences sociales que se réalise le
développement social, l'environnement scolaire pourrait être
propice au développement social de l'enfant en favorisant l'apparition
d'interactions entre pairs. L'étude de l'environnement scolaire est par
conséquent d'un grand intérêt en psychologie du
développement.
Lors de notre stage de licence dans une classe d'accueil, nous
avons eu l'occasion de suivre de nombreuses situations de résolutions de
problèmes tant en groupe qu'en dyade. Ce type de situation et les
oppositions entre enfants qui apparaissaient dans ce contexte nous ont fait
réfléchir sur le lien entre le conflit socio-cognitif et la
capacité à coordonner les points de vue, capacité
découlant du développement de la théorie de l'esprit.
Ce qui a motivé ce travail, c'est le souhait
d'intégrer des concepts appartenant à des domaines de recherche
différents afin de vérifier l'existence ou non de liens entre
eux. Une mise en évidence pourrait servir à
développer l'émergence de ce type de situation dans
l'enseignement scolaire afin de stimuler tant le développement social
que cognitif.
Le sujet de ce mémoire de recherche consiste donc
à appréhender le développement social de l'enfant au
travers de l'interaction entre deux notions distinctes dans la
littérature que sont la théorie de l'esprit et le conflit
socio-cognitif.
La théorie de l'esprit a été
définie par Jean-François Dortier (2006, p. 90) comme la
capacité d'attribuer à autrui des états mentaux, tels que
des intentions, des croyances, des désirs ou des représentations
mentales.
Le conflit socio-cognitif est défini par Doise, Mugny
et Perret-Clermont comme une « situation d'interaction sociale
faisant coexister en même temps deux centrations opposées, mettant
l'enfant dans un conflit de nature tant sociale que cognitive (...) et dont la
résolution consiste à intégrer partiellement ou totalement
la centration opposée (...) pour permettre le développement vers
un équilibre supérieur » (p. 42,
1997).
Dans notre questionnement, le lien entre ces deux notions
s'est donc avéré central et plusieurs interrogations ont
orienté notre travail. D'une part, comme les compétences en
théorie de l'esprit facilitent la coordination des points de vue, les
enfants ayant les meilleures compétences dans ce domaine auront-ils
davantage de facilité à résoudre le problème
à deux ? D'autre part, étant donné que le conflit
socio-cognitif incite les enfants à coordonner leurs divers points de
vue, et parfois à attribuer des fausses croyances à autrui, il
faudra se demander si leurs compétences en théorie de l'esprit
ont évolué après avoir vécu une telle situation.
L'approche théorique constituera la première
partie de notre travail. Dans un premier temps, nous donnerons du sens au
développement socio-cognitif en l'intégrant dans l'environnement
social et en insistant sur le rôle de ce dernier. La partie suivante
présentera les principaux fondements théoriques sur lesquels
s'appuie ce mémoire. Nous passerons en revue la théorie de
l'esprit, en identifiant les différents pré-requis et facteurs
favorisant son développement, comme le rôle des relations
précoces. Il s'agira de montrer combien certaines compétences
semblent nécessaires à l'apparition de compétences plus
complexes, telles que la théorie de l'esprit. De la même
manière, nous présenterons les multiples situations
d'apprentissage entre pairs pour développer ensuite la situation plus
spécifique du conflit socio-cognitif.
Afin de tenter d'apporter une réponse aux
questionnements sur le lien entre ces deux notions, nous avons utilisé
comme méthode (seconde partie) une situation de résolution de
problème, le tangram, en dyade avec pré-test, test et post test.
Cette situation a été analysée à partir des
dialogues (verbes mentaux, oppositions) et du temps de résolution. Nous
présenterons et discuterons ensuite les résultats obtenus
(troisième partie).
.
I CADRE THEORIQUE
1. Le développement socio-cognitif
La psychologie du développement recherche les facteurs
intervenant dans l'accès aux connaissances sur les objets et sur les
personnes. De nombreux facteurs interviennent dans le développement
cognitif. Parmi ceux-ci, l'environnement social, la maturation du
système nerveux, les activités du sujet et certaines
compétences jouant le rôle de pré-requis, y prennent une
part considérable.
1.1. Le rôle de l'environnement social
Les relations sociales auraient quatre fonctions dans le
développement cognitif et social selon Hartup (cité par Hinde et
al., 1988).
La première fonction consiste à former le
contexte d'apparition des compétences de base comme le langage, la
régulation des impulsions, la conscience de soi, ou encore la
coordination de ses propres actions à celles des autres. Elles
favorisent l'acquisition de certains processus d'apprentissage. De la
même manière, Vygotsky (1934) a développé une
approche historico-culturelle du développement cognitif en
conférant à l'environnement social et à la culture un
rôle constitutif dans le développement intellectuel de l'enfant.
Les « activités mentales supérieures »
n'apparaissent pas naturellement mais nécessitent une intervention
culturelle et sociale pour se développer. Ces «fonctions psychiques
supérieures » (attention volontaire, mémoire
volontaire, volonté, pensée verbale,...) se développent
par la médiatisation et l'appropriation des formes culturelles, à
savoir les techniques, le langage, l'art, l'écriture, les
systèmes de conceptualisation scientifiques ou philosophiques, et les
raisonnements mathématiques,... Ces formes culturelles font l'objet
d'une transmission sociale, lors d'interactions entre pairs ou lors
d'interactions de tutelle. Ainsi, c'est grâce aux confrontations avec son
environnement social que l'enfant acquiert des modes de pensée plus
élaborés.
Les relations sociales ont aussi pour fonction de donner les
ressources émotionnelles et cognitives qui procurent le sentiment de
sécurité et les compétences nécessaires à la
découverte de nouveaux territoires, à la rencontre de nouveaux
individus.
Les relations sociales jouent un rôle instrumental dans
la résolution de problème. C'est grâce aux relations que
l'enfant entretient avec les autres personnes chargées de
résoudre un problème que l'enfant parvient à
résoudre le problème. Il utilise ces relations en tant
qu'instrument pour changer de représentation de la situation, des
contraintes,...
Enfin, elles sont des précurseurs à d'autres
relations sociales. Chaque relation, tout en étant différente des
précédentes, s'en inspire fortement. Les relations se
développent en quelque sorte selon une chaîne, et se complexifient
au fur et à mesure du développement de l'enfant et de
l'émergence de nouvelles compétences comme la fonction
sémiotique, entre dix-huit et vingt-quatre mois.
1.2. Les Représentations, un lien avec
l'environnement social
Wallon (1934) a recherché les facteurs favorisant la
relation entre l'individu et son environnement. Le rôle des processus
représentatifs a été mis en évidence dans la
formation de cette relation. Ainsi, au travers des processus
représentatifs, les comportements de l'enfant face à son
environnement vont, progressivement, de l'acte à la pensée,
allant vers une emprise de plus en plus forte sur ce dernier.
Ce lien a également été mis en
évidence par Vygotsky (1934) au travers des concepts de
« formes culturelles » et « d'instrument
« psychologique ». Les formes culturelles permettent
l'acquisition des représentations mentales et organisent, de cette
manière, l'expérience du réel. En effet, quand l'enfant a
recours au langage, par exemple, il utilise cette forme culturelle en tant
qu'instrument pour être mis en relation avec les autres êtres
humains. En même temps, le langage joue le rôle d'instrument
psychologique : l'utilisation des formes culturelles modifie la
pensée et génère la formation d'activités mentales
supérieures.
Les représentations se développent dans trois
domaines, à savoir émotionnel, moteur, et cognitif, selon
Wallon.
Au début de la vie, ces émotions se
présentent sous la forme d'un réflexe générant une
réponse de tout son corps, comme les premiers pleurs du
bébé, l'aspect émotionnel sera de plus en plus
canalisé et intentionnel grâce au rôle de l'entourage,
s'inscrivant dans des systèmes d'expression conventionnels (comme la
peinture, l'écriture,...).
En ce qui concerne la constitution des connaissances, le
développement cognitif consiste à s'approprier des instruments
représentatifs culturels comme le langage. Par son utilisation, l'enfant
est mis en relation avec son entourage et sa pensée est modelée.
Il accède ainsi aux représentations.
La fonction sémiotique, qui apparaît vers
dix-huit mois, désigne la capacité de représenter des
actions, des objets, ou des événements en dehors de toute
représentation actuelle. Elle permet un dédoublement de la
réalité, à savoir objective et subjective, un
dédoublement du signifiant et du signifié. Cette fonction est
fondamentale dans l'acquisition des représentations, elles-mêmes
primordiales dans la compréhension d'autrui (Piaget, 1946). En effet,
les représentations structurent toutes formes d'action et de
connaissance. La fonction sémiotique comprend l'imitation
différée, le jeu symbolique, le dessin, l'image mentale et le
langage.
Le langage permet d'évoquer des actions, des objets ou
des événements en dehors de toute représentation actuelle.
Son apparition nécessite quelques pré-requis, dont la
catégorisation. En effet, la détection des phonèmes
nécessite une catégorisation (Bénédicte de Boisson
Bardies, 1996). En effet, les sons d'un même phonème varient
énormément selon les différentes personnes qui le
prononcent ou en fonction des différents contextes d'apparition. Par
exemple, sa «courbe mélodique» varie en fonction de son
apparition en début ou fin de mot. Leur reconnaissance malgré ces
changements nécessite donc des catégorisations.
De même, la compréhension des mots ne va pas de
soi car ils ne renvoient pas directement à la réalité mais
désignent des concepts faisant partie de catégories d'objets, ou
des catégories comprenant de nombreux objets. C'est grâce à
la construction de catégories que l'enfant pourra
généraliser la signification des mots et les comprendre dans des
contextes différents. Il accède ainsi au niveau sémantique
du langage. La compréhension et la production de langage
nécessitent donc la création au préalable de
catégorisations générales, même si elles ne
correspondent pas directement à celles créées par les
adultes. Ces premières catégorisations n'englobent pas les
mêmes éléments que celles construites par les adultes, en
raison des nombreux remaniements suite à l'expérience et du
développement des compétences langagières. Par exemple,
ils réussissent les épreuves de quantification de l'inclusion des
classes quand le terme utilisé pour désigner l'ensemble ne peut
être utilisé pour désigner une partie. Markman, cité
par Troadec (1998) a réalisé une expérience allant dans ce
sens. Dans son expérience, il a utilisé soit le terme
« famille », soit le terme « chiens »
pour désigner l'ensemble des chiens. Lorsque le mot
« famille » était utilisé, tous les enfants
répondaient correctement à la question. En revanche, lorsqu'il
utilisait à la place le mot « chiens », aucun ne
répondait correctement en raison de l'ambiguïté de ce terme,
qui peut désigner à la fois l'ensemble et un animal. Les enfants
connaissent donc l'ambiguïté de certains termes désignant
des noms de classe.
Le jeu symbolique, qui apparaît vers deux ans, est
également un indice de l'apparition de la fonction sémiotique car
il consiste à représenter une scène ou un objet absent
à l'aide d'un autre objet ou par des postures. Ce sont les jeux
où l'enfant «fait semblant» en imitant les actes des parents
ou des héros télévisuels par exemple. Il y a
dédoublement du signifiant et du signifié, étant
donné qu'il utilise des objets ayant une autre fonction normalement. Par
exemple, un balai peut devenir un cheval. Ce type de jeu est universel.
Mais c'est au travers de l'imitation différée
qu'apparaît d'abord entre quinze et dix-huit mois la fonction
sémiotique. L'imitation différée apparaît
après l'observation d'une scène ou d'un comportement. L'enfant
mémorise ce qu'il a vu d'intéressant, et l'intériorise
progressivement. C'est à partir de cette intériorisation que se
créent les représentations permettant l'imitation
différée. Elle consiste à reproduire une action
dorénavant sans modèle, alors qu'elle avait été
produite dans le passé en présence d'un modèle. Vers
dix-huit mois, l'enfant cherche donc à représenter une
scène qui ne se trouve pas directement dans la réalité,
d'où sont appartenance à la fonction sémiotique. Il y a
dédoublement comme lors du langage car elle évoque la
réalité tout en se distançant d'elle. Par ses ratés
et réussites, l'imitation différée facilite la
délimitation du moi...En effet, grâce aux différences entre
ses actions et celles de son modèle, le sujet prend conscience de sa
propre identité et se distingue d'autrui.
Avec la fonction sémiotique, l'enfant acquiert donc une
certaine conscience d'autrui. Il parvient à rentrer en contact,
intentionnellement, avec le monde extérieur grâce à
diverses techniques de communication. De plus, la fonction sémiotique
permet une première « compréhension »
d'autrui dans la mesure où l'imitation différée permet une
meilleure distinction entre ses propres actions et celles d'autrui. De plus, la
capacité de catégorisation permet de rapprocher les états
émotionnels d'autrui à ceux déjà rencontrés
et catégorisés auparavant. Mais cette compréhension
d'autrui ne se présente que sous la forme d'ébauche et la
représentation d'autrui va subir de nombreuses modifications au cours de
son développement.
2. L'accès progressif à
l'altérité
La compréhension qu'autrui est différent de
moi, ne pense, ne ressent, et ne voit pas de la même nanière que
moi, ne se réalise pas sous la forme d'un «déclic»
à un âge donné et fixe pour chacun des enfants. Cette
compréhension suit un long cheminement, comprenant de nombreuses
étapes qui amèneront le jeune enfant à une
représentation d'autrui de plus en plus élaborée. De plus
cette construction se réalise en parralèle avec d'autres
«constructions», comme celle de son univers cognitif.
2.1. Le rôle des relations précoces
Les relations précoces, comme les échanges
interpersonnels précoces avec la mère étudiés par
Kaye en 1977 (cité par Hinde et al., 1988), prennent part dans
l'accès progressif à l'intersubjectivité.
L'intersubjectivité désigne la compréhension par l'enfant
que d'autres personnes peuvent avoir des visions, des sensations, ou des
pensées différentes des siennes. Même si le langage
s'accompagne de progrès décisifs dans le développement de
l'intersubjectivité, des précurseurs indiquent une
compréhension progressive des représentations d'autrui dès
deux mois selon Trevarthen. Ce chercheur avance l'existence d'un
« mécanisme inné de déclenchement de la
coopération sociale » (cité par Thommen, 2001, p.
27).
L'environnement social permet au nouveau-né de se
distinguer progressivement de son proche entourage. A sa naissance, le
nouveau-né vit dans un état de confusion avec les autres.
(Wallon, 1934), il vit dans une sorte de «contagion
mimétique.» Son entourage reste constamment auprès de
lui, pourvoit à toutes les tensions à tous les besoins et les
apaise en les contentant immédiatement. La mère procure
temporairement l'illusion d'une fusion et le bébé ne parvient pas
à se différencier d'autrui. Son individualité psychique se
trouve alors dissoute à travers des suites de situations dominées
exclusivement par ces besoins. Il ne peut réagir qu'en fonction de
ceux-ci. Cette fusion se transforme progressivement en symbiose affective qui
durera plusieurs mois avant qu'un décalage entre ses attentes et les
réactions de son entourage apparaisse.
C'est grâce à ce décalage entre ses
attentes et la réalité et à sa capacité à
agir sur autrui que cette prise de conscience peut avoir lieu. C'est
également à ce moment-là que l'aspect imprévisible
des êtres humains l'intéresse davantage, par opposition aux
objets. Il établit une distinction entre les humains et les objets. Au
stade émotionnel, entre six et douze mois, l'enfant exprime ses
états internes d'une façon globale, par le tonus de tout son
corps, et agit par la même occasion sur autrui. Il se rend compte qu'il
peut donc agir sur les autres êtres humains, et qu'ils sont
différents de lui. Ainsi s'opère une première distinction
moi-autrui.
Un autre facteur intervient dans la perception de la
différence entre son corps et celui des autres. Il s'agit de la
réaction circulaire secondaire. L'enfant accomplit un mouvement.
Celui-ci provoque une sensation kinesthésique qui engendre à son
tour une action. Ce cycle permet au bébé de sentir et distinguer
ses propres membres par la relation entre les sensations et les mouvements
accomplis. Il ressent physiquement les frontières entre son propre corps
et celui des autres et apprend à connaître les différentes
parties de son corps. Par exemple, selon Trevarthen (cité par Thommen,
2001), l'intersubjectivité primaire désigne
l'ajustement des interactions mère-bébé dès le
deuxième mois. Ainsi, lors de dyades mère-bébé, le
bébé, sensible aux expressions de sa mère et à leur
rythme, parvient à se synchroniser avec elle pour échanger des
proto-conversations et pour s'exprimer en alternance. En s'accordant
mutuellement, en coordonnant leurs états subjectifs, ils créent
un seul et même espace mental: l'intersubjectivité primaire. Ces
interactions se déroulent soit en synchronie soit en alternance. Cet
ajustement mutuel est réglé par contact intermittent des yeux et
par la vue des mouvements de la bouche. Il constitue les bases de
l'intersubjectivité étant donné que ces comportements
impliquent une réciprocité et des attentes.
Un autre facteur intervient dans le développement de
l'interactivité. Il s'agit de l'attention conjointe. Ces situations
d'attention conjointe, comme la poursuite de l'orientation du regard d'un
proche ou le pointage, apparaissent entre six et douze mois. Bruner et Scaife
se sont particulièrement intéressés à ces
situations (cités par Thommen, 2001) en 1975 car elles font partie des
précurseurs de l'intersubjectivité.
L'attention conjointe désigne la capacité de
l'enfant à focaliser son attention sur le même objet que celui
fixé par l'adulte. Cela implique l'observation de l'adulte. L'enfant
détecte son orientation du regard choisie pour voir un objet jugé
intéressant, qu'il ne verrait pas autrement. L'adulte fixe donc un objet
invisible pour le bébé dans sa position ou avec l'orientation
actuelle de son regard. Il lui faut alors suivre la direction du regard pour
observer la même chose que lui. Cette compétence est un
précurseur de l'intersubjectivité secondaire
développée par Trevarthen dans la mesure où il est
nécessaire d'attribuer à l'autre une capacité
attentionnelle et intentionnelle (Baudier et Celeste, 2002). De plus, il s'agit
de partager avec l'autre un même centre d'intérêt.
L'autre comportement faisant appel à l'attention
conjointe est le pointage (Zaouche Gaudron, 2002). Ce comportement
proto-déclaratif apparaît entre neuf et treize mois. Il consiste
à montrer du doigt un objet pour que l'adulte le regarde et explique ou
nomme l'objet. Ainsi, le bébé cherche à attirer
l'attention d'autrui dans le but de partager un centre d'intérêt.
Cette compétence indique qu'à ce moment-là l'enfant
attribue à l'autre un état mental (l'attention) et qu'il lui est
possible de le modifier par ce geste.
Il prend ainsi conscience de ses propres intentions et de son
influence sur autrui. Cette prise de conscience prépare à
l'élaboration de la théorie de l'esprit mais il faudra encore
attendre quelques mois avant que l'enfant considère autrui comme un
être ayant une autre vision de la réalité que lui. Cette
nouvelle compétence apparaît avec l'émergence de la
théorie de l'esprit, préparée par les relations
précoces.
2.2. Une décentration perceptive
Avant trois ans, l'enfant a une pensée
égocentrique, c'est-à-dire qu'il ne parvient pas à se
mettre à la place d'autrui d'un point de vue perceptif, selon Thommen
(2001). Il a l'impression que tout le monde voit comme lui, et que sa
façon de voir est la seule possible. Sa représentation du
réel équivaut, selon lui, à la réalité
concrète. Ainsi, l'enfant agit en fonction de sa centration. Piaget,
cité par Doise, Mugny et Perret-Clermont (1997) définit la
centration comme un schème cognitif qui n'est pas encore
inséré dans une structure d'ensemble. Progressivement, il va
comprendre que la perception varie en fonction du point de vue adopté.
Selon Thommen (2001), à un an, il ne parvient pas encore à
orienter un objet de manière à ce qu'il soit visible pour une
autre personne, ayant un point de vue différent. En revanche, à
deux ans, tous y parviennent. A trois ans, il réussit à montrer
ou cacher correctement un objet de la vue de l'expérimentateur. Ainsi,
à trois ans, il comprend que chacun ne perçoit pas la
réalité de la même manière. La perception de la
réalité diffère selon les personnes qui se trouvent avec
lui étant donné que la situation n'est pas observée depuis
le même endroit. En revanche, il ne conçoit pas qu'une même
réalité peut être perçue de multiples
manières simultanément. Par exemple, lors d'une tâche
où deux enfants face-à-face doivent guider une voiture sur un
itinéraire, demander au partenaire de faire tourner la voiture vers la
gauche fera sortir la voiture de la route et provoquera un conflit. Comme ils
se trouvent l'un en face de l'autre, la gauche de l'un ne correspond pas
à la gauche de l'autre. Il s'agit alors de se centrer sur la droite ou
la gauche de la voiture, c'est-à-dire décentrer son point de vue.
Cette décentration sera facilitée par les actions et leur
investissement dans la tâche.
Cette décentration perceptive est un premier pas, un
préalable, vers une décentration plus générale. En
effet, grâce à cette dernière, il comprend que ses
représentations ne correspondent pas exactement à la
réalité. Il distingue l'apparence de la réalité
(Flavell, 1999). Il développe, à partir de cette prise de
conscience, la capacité à coordonner les différents points
de vue. Selon Flavell (cité par Thommen E., 2001), la coordination des
points de vue demande plus de compétences et s'acquiert vers quatre
à cinq ans. De nombreuses représentations différentes,
voire contradictoires, peuvent coexister selon les points de vues des
personnes, pour une même réalité.
2.3. La théorie
de l'esprit
2.3.1.
L'émergence de la théorie de l'esprit
Les recherches sur la théorie de l'esprit se sont
développées à partir des recherches de Premack et Woodruff
sur les chimpanzés, en 1978. Depuis, les études sur ce sujet se
sont multipliées, l'analysant sous de nombreuses facettes
(universalité, âge d'apparition, lien avec l'autisme et la
schizophrénie, caractère inné ou acquis d'après
Gopnik et Meltzoff, 1997).
L'émergence de la théorie de l'esprit a
intéressé de nombreux chercheurs car elle marque une sorte de
tournant dans la vie sociale de l'enfant. Elle correspond à un net
progrès en ce qui concerne la compréhension d'autrui, et sa
vision du monde. Elle lui permet une meilleure gestion des conflits, une
compréhension des métaphores, des plaisanteries ou encore la
participation à des jeux de fiction à plusieurs. Sa vie sociale
s'enrichit donc par cette nouvelle compétence. Le développement
de la théorie de l'esprit marque un tournant dans la vie sociale de
l'enfant car elle s'accompagne de progrès en ce qui concerne la
compréhension des états mentaux et désirs d'autrui (ce qui
permet de mieux gérer les relations sociales), et en ce qui concerne la
différenciation entre le réel et la fiction (qui favorisent la
compréhension des plaisanteries, des jeux de fiction,...). Flavell
(cité par Bradmetz, 1999) a réalisé une expérience
sur la distinction entre la réalité et l'apparence à
l'aide d'une éponge qui ressemblait à une pierre. Les enfants
étaient interrogés sur l'aspect (à quoi est-ce que
ça ressemble ?) et sur la nature réelle de l'objet
(qu'est-ce que c'est réellement ?) Avant 4 ans, les enfants font
souvent correspondre l'apparence à la réalité et ne
parviennent pas à donner des réponses correctes.
Mais la théorie de l'esprit ne fait pas son apparition
soudainement. Elle se développe progressivement. Avant son apparition,
l'enfant a du mal à différencier ses représentations
mentales sur un objet de l'objet physique lui-même. Il traite
l'imaginaire, la fiction, de la même manière que les connaissances
avérées réelles. Cela l'amène à attribuer
une grande vérité aux états mentaux, comme les
rêves. Avant l'émergence de la théorie de l'esprit,
l'enfant considère qu'il n'y a pas de différence entre les
états mentaux et la réalité. Selon Flavell cité par
Thommen (2001), «Avant cinq ans, les enfants ne maîtrisent pas le
fait que l'apparence et la réalité puissent ne pas
correspondre.» Progressivement, il va distinguer ses propres
représentations, ses états mentaux, de la réalité
concrète. Cette distinction est la fondation sur laquelle se construit
la théorie de l'esprit (Astington, 1993). Par exemple, le mensonge, qui
apparaît vers deux ans, correspond à une première
distanciation entre le discours et la réalité.
Dès deux ans et demi, l'attribution de désir
à autrui s'effectue correctement. L'attribution d'émotion, qui
constitue un état mental selon Gouin Decarie (2005), serait possible
avant l'attribution d'intentions. En effet, dans la troisième
année, la plupart des enfants attribuent la bonne émotion
à un personnage. Par exemple, suite à la lecture d'une histoire,
l'expérimentateur demande à l'enfant de choisir la vignette
représentant l'émotion du protagoniste. Malgré quelques
divergences selon les différentes émotions, il choisit la bonne
vignette et établit des liens corrects entre une action et sa
conséquence émotive (Gouin Décarie et al, 2005). En
revanche, l'attribution de croyances nécessitera plus de temps. Cette
compétence apparaîtra seulement entre trois et cinq ans.
Alors que Piaget affirme la persistance d'une pensée
égocentrique jusqu'à l'âge de sept ans, Wimmer et Perner
ont constaté, lors d'une expérimentation réalisée
en 1983, que les enfants attribuent des états mentaux à autrui
dès l'âge de trois ans. La théorie de l'esprit
émergerait à cet âge-là. Elle désigne la
capacité de l'être humain à attribuer des états
mentaux à autrui et à soi-même (désirs, croyance,
pensée ou sentiments) et à concevoir qu'autrui possède des
états mentaux différents des siens. Il commence à
comprendre que les actions de chacun sont gouvernées par des intentions.
Cette faculté de se faire une opinion sur les états mentaux
d'autrui facilite les relations sociales, affectives et communicatives. Les
comportements deviennent prévisibles, explicables et cohérents.
Comprendre ce que l'autre ressent lui permet désormais de planifier son
action en fonction de son interlocuteur.
Cette compréhension est sollicitée lors de
conversations. Ainsi, dans une perspective pragmatique, l'énonciation
doit être replacée dans son contexte au travers duquel elle
prendra sens. Les dialogues se produisent dans une certaine
interactivité où chaque interlocuteur reçoit des
informations sur son interlocuteur. Il peut alors les utiliser pour modifier
son élocution. Chacun peut donc prendre en compte des indices
contextuels transmettant des informations sur la compréhension ou la
pensée de son interlocuteur.
2.3.2. Les fausses croyances et
le langage
D'un point de vue pragmatique, le lien entre le langage et la
théorie de l'esprit paraît évident. Pour comprendre la
communication linguistique, l'énoncé doit être
décodé à l'aide de processus inférentiels livrant
l'interprétation complète de l'énoncé. Ces
processus inférentiels pourraient s'appuyer sur la théorie de
l'esprit. Cette utilisation des indices contextuels pour interpréter les
énonciations, comme les indices verbaux et non-verbaux, est rendue
possible par l'acquisition de la théorie de l'esprit. Elle se
développe progressivement, par étapes, grâce aux nombreuses
expériences sociales auxquelles l'enfant est confronté.
D'après Dunn, cité par Bradmetz (1999),
l'acquisition des verbes mentaux se réaliserait avec une
dissymétrie dans le développement du vocabulaire relatif aux
désirs et celui relatif aux croyances. Le vocabulaire se rapportant aux
désirs serait acquis en premier, suivi par celui qui se rapporte aux
croyances à partir de trois ans. Le vocabulaire concernant les croyances
se développerait sur une longue période.
Ainsi, même si l'enfant de cinq ans admet l'existence de
différentes croyances correspondant à une même
réalité, il ne réussit pas encore à les composer.
Il distingue la réalité des représentations, et sa propre
croyance de celles d'autrui en se centrant alternativement sur ses croyances
puis sur celles d'autrui, Gauthier, Bradmetz (2005).
La théorie de l'esprit va évoluer et permettre
de comprendre les fausses croyances, par exemple. Ainsi, la théorie de
l'esprit permet à l'enfant de mieux comprendre les erreurs de jugement
d'une autre personne, en les assimilant à un manque d'informations pour
juger la situation de manière correcte. C'est dans ce cadre que Wimmer
et Perner ont réalisé une expérience sur les fausses
croyances où l'enfant doit dire dans quelle boîte un personnage,
Maxi, va chercher des smarties alors qu'ils avaient été
changés de place en son absence. Les enfants connaissent l'endroit
où se trouvent les smarties et doivent établir une distinction
entre leurs états mentaux et ceux du personnage pour répondre
correctement à la question.
La réussite à une tâche de fausses
croyances serait facilitée par une bonne maîtrise du langage. Ce
dernier sert de moyen d'expression des états mentaux: maîtriser le
langage, sa compréhension, permet alors de mieux comprendre les
états mentaux des autres, pour agir et parler en conséquent. En
effet, Astington (1993) a démontré une forte corrélation
entre une bonne maîtrise du langage et la réussite aux
épreuves de fausse croyance, sans pour autant démontrer de lien
direct de cause à effet entre le langage et la théorie de
l'esprit. Le type de lien, co-évolution, pré-requis, etc, qui les
unit ne fait pas l'unanimité.
Tout comme l'enfant utilise les actes langagiers pour
interpréter les états mentaux d'un camarade, il va prendre en
compte les comportements d'autrui pour saisir ses états mentaux. Selon
Dunn, cité par Bradmetz (pp. 176-177, 1999), « les
conversations à propos de la causalité et
l'intentionnalité entre parents et enfants augmentent sensiblement entre
trois et quatre ans. La gestion des conflits se modifie dans le sens d'un
début d'utilisation par les enfants d'arguments rationnels et de prise
en compte des désirs et des buts d'autrui. » Ce
développement des interactions montre à quel point l'enfant a
conscience qu'un comportement est le produit d'une croyance et d'une intention
(Astington, 1993).
Genèse de l'action intentionnelle selon Bradmetz et
Amiotte-Suchet (p.325, 1999)
Désirs
Intention de résultats
Intention d'action
Action
Croyances
Analyse de la situation problème
(but, moyens)
Intention préalable intention en action
Selon ces auteurs, la prise de conscience, la
conceptualisation et le souvenir de cette intention d'action posent les
mêmes problèmes que ceux que pose la fausse croyance. Chez les
petits, l'intention d'action semble s'effacer lorque le résultat
escompté n'est pas réalisé.
Par la suite, et grâce à la théorie de
l'esprit, l'enfant sera donc capable de coordonner les points de vue. La
coordination des points de vue, du réel et des croyances provoque une
modification de la relation entre le réel et les possibles.
Dorénavant, le possible n'est plus considéré comme un
prolongement du réel mais fait partie de l'ensemble des possibles. Le
réel est dès lors considéré comme une
possibilité parmi d'autres. Ainsi, la présence d'autrui, les
interactions avec l'entourage, modifie la façon d'appréhender le
réel et favorise le développement des compétences
sociales.
3. Les apprentissages entre pairs
Le rôle des interactions humaines dans la construction
des connaissances et dans le développement cognitif est désormais
bien établi. Que ce soit avec des pairs ou avec des adultes, les
interactions se trouvent à l'origine de progrès cognitifs pour
l'enfant. Celles-ci servent d'intermédiaire entre la connaissance et
l'individu apprenant. Mead affirmait déjà en 1943 que
«l'interaction entre deux personnes fournit une base pour la
construction de la pensée symbolique» (Mead citée par
Doise et Mugny, 1997).
L'environnement social du jeune enfant se compose
principalement de la famille et de ses relations dans sa section à la
crèche ou à l'école maternelle. Pour cette raison, les
relations avec les pairs prennent toute leur importance dans le
développement socio-cognitif du jeune enfant. Les interactions entre
pairs se déroulent sous de multiples formes comme au travers de
l'imitation immédiate, les interactions de tutelle, ou le conflit
socio-cognitif. De par leur diversité, les interactions entre pairs
favorisent l'émergence de multiples apprentissages.
3.1. Les
apprentissages par l'imitation immédiate
L'imitation immédiate apparaît principalement
entre deux et trois ans, même si elle persiste plus tard dans certaines
circonstances particulières comme entre amis très liés. Ce
type d'imitation prend forme en présence du partenaire modèle, et
consiste à réaliser les mêmes gestes que ceux de son
partenaire de façon synchrone et d'intervertir,
régulièrement, les rôles entre imité et imitateur.
L'imitation immédiate intervient entre pairs pour leur
servir de mode de communication, alors que leurs capacités
langagières ne sont pas encore suffisamment développées
pour leur permettre de communiquer entre eux (Baudonnière, 1988).
Outre le système de communication qu'elle leur fournit
(Nadel, 1986), elle joue le rôle de transition entre le stade
sensori-moteur, avec des représentations en action, et l'accès
aux représentations. Au travers de celle-ci, les enfants, ayant
conscience d'être imités, tentent d'agir sur l'intention de
l'autre. L'imité attribue alors à l'imitateur une intention
communicationnelle. L'imitation permet donc de tester la volonté de
communiquer. C'est grâce à l'imitation immédiate que se
développe la capacité de comprendre l'autre comme intentionnel.
Ces tests d'intentionnalité «en action» disparaîtront
vers quatre ans grâce à l'émergence de la théorie de
l'esprit et le développement des capacités
méta-représentationnelles.
L'imitation dessert également deux autres fonctions
(Cartron et Winnykammen, 1995), à savoir, l'acquisition de savoirs et
savoir-faire.
Elle sert à initier les relations sociales entre pairs
et c'est grâce à l'imitation immédiate que l'enfant apprend
de nouvelles conduites sociales. En effet, l'enfant sait qu'il lui faut attirer
l'attention d'autrui pour obtenir ce qu'il désire. Ainsi, en imitant, il
attire l'attention de son partenaire sur lui et initie une relation entre
eux.
Elle favorise aussi d'autres apprentissages. En effet, tous
les enfants, à un âge donné, ne possèdent pas le
même répertoire d'actions. Cela suppose que lorsque l'imitateur
réalise des actions pour imiter un pair, il accomplit des types
d'actions ou des manipulations qu'il n'aurait pas réalisées seul
et qu'il ne saurait pas réaliser. Les actions réalisées
par son partenaire ne font pas systématiquement partie de son
répertoire d'actions. C'est grâce à l'activité de
l'enfant lors de l'imitation que de nouvelles manières d'agir sont
intériorisées.
3.2. Les interactions de tutelle
entre pairs
Les études sur les interactions de tutelle entre pairs
s'appuient sur la zone proximale de développement, où le plus
expérimenté faciliterait le développement cognitif du plus
faible en le mettant dans sa zone proximale de développement.
Les interactions de tutelle entre pairs désignent des
interactions en dyade où les deux individus n'ont pas le même
niveau de compétences. Le plus compétent, appelé expert,
interagit avec un sujet moins compétent, à savoir le novice. Ce
type d'interaction a été étudié dans la mesure
où il favoriserait les apprentissages tant pour le novice que pour
l'expert. Le plus expérimenté apprend tout en enseignant au plus
faible et en l'aidant à résoudre un problème qui serait
trop difficile seul. Il sert de médiation dans la résolution du
problème entre ce qu'il est capable de faire seul avant la tâche
et ce qu'il sera capable de faire seul par la suite.
Barnier (2001) insiste sur le fait que c'est le tuteur qui
retire le plus de bénéfices de l'interaction. D'après cet
auteur, le tutorat constitue « un dispositif médiateur du
développement de la capacité à apprendre des tuteurs en
sollicitant leur capacité à enseigner, à expliquer.»
(1996, pp. 44-47) En effet, lors de la résolution de problème en
situation de tutelle, le tuteur aide le tutoré à résoudre
la tâche pour qu'il parvienne à la résoudre seul
ultérieurement. Dans cette optique, le tuteur segmente le
problème en plusieurs sous-problèmes, donne des explications sur
les erreurs commises et met en évidence des indices facilitant la
résolution du problème. Donner des explications au tutoré
a des effets positifs pour le tuteur dont les connaissances deviennent plus
claires. Le tutorat renforce les connaissances acquises mais Barnier insiste
également sur d'autres bénéfices que peut retirer le
tuteur, à savoir la confiance en soi, la valorisation de l'image de soi,
et l'intégration. Il est donc important de choisir différents
tuteurs lors d'apprentissages en milieu scolaire pour que le plus grand nombre
d'élèves puisse bénéficier de ces effets positifs.
De plus, être d'un bon niveau scolaire ne suffit pas pour être un
bon tuteur. Cette situation nécessite de bonnes capacités
communicationnelles. Comme le but du tutorat est principalement d'aider
l'élève en difficulté à résoudre le
problème, il s'agit, pour le tuteur, de lui transmettre des
explications. Parvenir à résoudre le problème ne suffit
pas pour faciliter la résolution par le tutoré. Il lui faut
également trouver les mots adaptés, compréhensibles, se
mettre au niveau de l'autre élève...
3.3. Le développement cognitif et le conflit
socio-cognitif
3.3.1. Le conflit socio-cognitif et le marquage
social
Les études sur le conflit socio-cognitif se sont
développées à partir des travaux réalisés
par Doise, Mugny et Perret-Clermont en 1975. Doise explique le lien entre
l'élaboration de nouvelles réponses cognitives et le conflit
socio-cognitif à partir du concept de marquage social. Le marquage
social définit toute situation socio-cognitive où une
correspondance existe « entre la nature des relations qui sont
établies ou s'établissent entre des partenaires sociaux, et la
nature des relations cognitives impliquées dans la tâche qui
médiatise la relation entre ces partenaires. Dans certaines
conditions, ces correspondances peuvent favoriser l'élaboration
cognitive, notamment lorsqu'il existe entre elles une isomorphie
saillante.» (1997, p.121) Le mécanisme par lequel le marquage
social assure l'élaboration de nouvelles réponses cognitives est
le conflit socio-cognitif.
Par exemple, la situation expérimentale sur la
conservation de la longueur utilisée par Doise répond à
cette isomorphie. Dans cette situation expérimentale, on attribue deux
bracelets de grandeurs différentes à l'adulte et à
l'enfant. L'adulte reçoit un grand bracelet alors que l'enfant
reçoit un bracelet plus petit. Il existe donc une correspondance entre
les relations sociales (plus grand et plus petit) et la notion intellectuelle
de conservation des longueurs. Pour faire émerger un conflit
socio-cognitif, l'adulte s'oppose aux propositions de l'enfant. Dans la
condition témoin, les bracelets sont attribués de la même
manière, mais à des cylindres en papier. Il n'y a donc pas de
marquage social dans cette situation. L'apprentissage s'est avéré
plus efficace dans la condition avec marquage social.
3.3.2. Les compétences préalables au
conflit socio-cognitif
S'il peut favoriser des progrès cognitifs, le conflit
socio-cognitif nécessite tout de même certains pré-requis,
tant au niveau social que cognitif, pour être efficace.
Le conflit socio-cognitif est une situation d'interaction.
Comme tel, il implique divers savoirs et savoir-faire du registre de la
communication et notamment la capacité à appréhender les
états mentaux de son partenaire. De telles compétences peuvent
jouer un rôle important dans des situations d'apprentissage en
collaboration. C'est dans ce contexte que Gilly, Roux et Trognon
affirment : «Les situations d'interaction socio-cognitives, comme
toute situation de communication, s'organisent à partir du partage de la
négociation de signification», (1999, p. 22). Les significations
concernant les diverses composantes de la situation, les aspects sociaux mais
également les aspects cognitifs, comme la représentation du but
de la tâche ou les moyens à mettre en oeuvre pour la
résoudre, se co-construisent. En effet, chaque enfant construit sa
propre représentation de la situation. Cette dernière
évolue au fur et à mesure des échanges. Ainsi, les
partenaires parviennent progressivement à une représentation
commune et partagée par une négociation de la signification de la
situation. Dans ce cadre, les connaissances résultent d'une construction
intersubjective. Cette dernière ne paraît possible que si le
sujet repère le point de vue de son partenaire. C'est pourquoi
l'intersubjectivité, la compréhension des états mentaux
d'autrui, peuvent être considérés comme des
préalables au conflit socio-cognitif. Mais la subjectivité
intervient à de multiples reprises dans cette situation et ne se limite
pas à la compréhension des états mentaux d'autrui dans la
construction d'une représentation commune du problème. En
réalité, il est nécessaire de se représenter les
difficultés éprouvées par son partenaire, sa
représentation de la situation, ses connaissances et ses intentions, ses
croyances quant à la signification de la consigne pour s'engager dans la
négociation ou pour proposer de l'aide. Par exemple, proposer de l'aide
à un partenaire alors qu'il n'en ressent pas le besoin risque
d'être mal perçu. Ainsi, le conflit socio-cognitif fait intervenir
les compétences en théorie de l'esprit à différents
niveaux.
Pour traduire ces états émotionnels mais
également cognitifs, les comportements non-verbaux sont utilisés
comme indices. C'est à partir de ceux-ci que les enfants émettent
des inférences sur autrui dans le cadre des situations de
co-résolution de problème. Produire des inférences
pertinentes peut leur permettre de mieux s'adapter à leur partenaire
(Gauducheau et Lusinier, 2004).
3.3.3. Le conflit socio-cognitif, une conception
interactionniste et constructiviste de l'intelligence
C'est une conception interactionniste qui s'est
développée à partir des recherches de Vygotsky et de
Piaget. Selon Montmollin (cité par Doise et Mugny, 1997), l'interaction
sociale désigne les effets résultant de la présence, des
paroles ou de l'action d'autrui sur les réponses (réactions
observables) de l'individu à son environnement social ou non social.
Ainsi, l'acquisition d'une connaissance peut être la conséquence
de la présence d'autrui et être d'abord acquise au travers de la
situation d'interaction sociale comme lors du conflit socio-cognitif.
Résultant de l'interaction sociale, ces connaissances seront
progressivement intériorisées. Les interactions sont plus ou
moins favorables à l'acquisition de nouvelles connaissances. Pour
facililiter leur acquisition d'une manière optimale, il s'agit de
« placer » un des enfants dans sa « zone
proximale de développement » en le faisant interagir avec un
enfant de niveau cognitif légèrement plus élevé.
La zone proximale de développement désigne alors
les compétences d'un enfant en situation d'interaction avec une personne
d'un niveau cognitif plus élevé, soit un pair plus
compétent, soit une personne plus âgée. Ses performances
sont plus élevées que celles réalisées quand il est
seul. Grâce à l'interaction, il apprend de nouveaux raisonnements,
de niveaux supérieurs, qu'il intériorisera pour les reproduire
seul ultérieurement. L'apprentissage précède alors le
développement.
La théorie du conflit sociocognitif s'appuie aussi sur
une conception constructiviste piagetienne selon laquelle le conflit cognitif
interne joue un rôle majeur dans le développement des structures
des connaissances, de même que l'équilibration
(Piaget cité par Doise et Mugny, 1997). Le conflit cognitif
interindividuel rend les oppositions entre les centrations plus saillantes et
incite à une coordination des points de vue interindividus. Cette
dernière se trouve à la base d'une réorganisation
cognitive individuelle. C'est ainsi que se réalise
l'équilibration.
Le conflit socio-congitif s'inscrit également dans une
conception constructiviste dans la mesure où les actions du sujet, sa
recherche active de solution, et son investissement dans la tâche, jouent
un rôle primordial dans son propre développement cognitif
(Sorsana, 1999). En effet, le conflit socio-cognitif ne concerne pas uniquement
un conflit intra-individuel mais également un conflit interindividuel
où chacun agit en affirmant son propre point de vue. Le conflit provient
de la mise en commun des différents points de vue
hétérogènes, et, logiquement incompatibles, lors d'une
situation d'interaction dans un groupe de pairs, lors d'une résolution
de problème. Cette mise en commun favoriserait la découverte de
la solution et l'apprentissage de la démarche.
3.3.4. Les facteurs intervenant dans le
développement cognitif
De nombreux facteurs modifient le déroulement et
l'impact cognitif du conflit. Des facteurs très variés
interviennent, touchant tant au contexte, qu'aux relations ou aux
démarches mises en oeuvre pour résoudre le problème.
Comme il a été mentionné
précédemment, le contexte du conflit socio-cognitif joue un
rôle décisif. Il s'agit, pour le maître, de créer un
contexte, un environnement propice aux apprentissages. En effet, encadrer la
situation d'interaction semble nécessaire pour qu'elle soit efficace
d'un point de vue cognitif. Cet encadrement doit être
réalisé par le maître, qui invite les enfants à se
poser des questions, et les incite agir (Beaudichon, 1992). Le maître
jouerait en quelque sorte le rôle de médiateur entre les
élèves et la connaissance. Cette dynamique interactive, pourtant
nécessaire, ne s'instaure pas dans chaque situation
expérimentale, peut-être à cause des dispositifs
expérimentaux pas suffisamment contraignants.
En ce qui concerne les facteurs se référant au
relationnel, on trouve le climat socio-affectif. D'après Hartup (Hinde
et al., 1988), la résolution de problème entre amis se
réalisera plus aisément. Ainsi, les amis vont dialoguer, et
chacun va prêter une grande attention aux points de vue des autres et
veiller à ce que chacun puisse s'exprimer librement. Les échanges
d'explications, qui ont un impact sur les progrès, sont plus
fréquents et plus riches dans les groupes d'amis. Sorsana (1999, p.51) a
montré que « des dyades d'enfants affines, âgés
de six à huit ans, ont résolu une version agrandie et alourdie de
la Tour d'Hanoï avec des performances statistiquement supérieures
aux dyades au dyades d'enfants non-affines au cours du deuxième
essai. » En revanche, dans un groupe de pairs ayant des
problèmes relationnels, certains tenteront d'imposer leur propre point
de vue sans demander l'avis des autres et sans donner d'explication sur les
raisons de leur choix. Que ce soit dans un groupe d'amis ou non, l'engagement
social pousse le sujet à s'investir davantage dans la tâche.
De plus, le degré de symétrie de la dyade a
été évalué, associé au degré
d'expertise de chacun (expert, moyen, novice). Il en ressort qu'un certain
niveau d'expertise est nécessaire pour que l'interaction soit
bénéfique. Les dyades symétriques et
légèrement asymétriques sont efficaces. Par exemple, des
dyades comprenant des enfants de niveaux novice et moyen ou de niveaux novice
et faible sont peu efficaces, car leur niveau d'expertise est faible. De la
même manière, les dyades fortement asymétriques sont peu
efficaces en ce qui concerne les progrès, car l'expert n'inclut pas
forcément le novice dans la démarche de résolution. Une
relation de type dominant-dominé s'instaure entre eux. Il s'agirait,
pour l'expert, de donner des informations sur la démarche pour parvenir
à la solution.
Les oppositions jouent également un rôle
particulier dans le conflit socio-cognitif. Mais elles ne sont pas
nécessaires et ne sont pas le seul moyen pour que des progrès
personnels aient lieu après la situation. D'ailleurs, dans quasiment
toutes les expérimentations (Perret-Clermont, 2001), des effets
bénéfiques de l'interaction ont été observés
sans qu'il y ait eu de véritable conflit. La résolution peut se
réaliser dans une co-construction où un enfant élabore une
solution tandis que l'autre acquiesce (Gilly, 1999). Ainsi, le fait de motiver
les membres du groupe, de contrôler ses propres actions
(vérification des actions réalisées par son partenaire) et
une intervention déstabilisante du partenaire lors de la
résolution de problème, sont bénéfiques et peuvent
conduire à un élargissement du champ d'action ou de
représentation. Ainsi, l'opposition du partenaire ne semble pas
nécessaire à l'apparition de progrès.
Même si les progrès ne dépendent pas de
l'existence d'oppositions, celles-ci sont tout de même un moyen
privilégié pour produire un déséquilibre
intra-individuel car elles font coexister de façon plus saillante des
centrations opposées alors que, dans un conflit interne, diverses
centrations oscillent successivement et provisoirement. Elles peuvent
être produites volontairement, en mettant les enfants l'un en face de
l'autre dans une tâche spatiale par exemple.
Cependant, les oppositions ne suffisent pratiquement jamais
à elles seules pour que le sujet progresse. En effet, ces
dernières ne doivent pas porter sur le résultat mais bien sur la
procédure de résolution, la manière de faire pour parvenir
au résultat comme le mentionne Gilly (Gilly cité par
Perret-Clermont, 2001).
Les facteurs qui se rapportent aux représentations du
problème et aux démarches mises en oeuvre concernent d'une part
la façon de résoudre les tensions et, d'autre part, la prise de
conscience des différentes centrations.
Ainsi, le centre du conflit et la recherche de solution ne
doivent pas être d'ordre relationnel, c'est-à-dire en essayant de
résoudre les tensions sociales entre les différents protagonistes
ou en se soumettant au choix de son partenaire, mais d'ordre cognitif, par la
recherche d'une solution au problème cognitif en allant au delà
des oppositions entre les propositions. C'est la résolution sur un mode
socio-cognitif qui fait progresser, comme l'indique Gilly, (cité par
Perret-Clermont et Nicolet, 2001). C'est pour cette raison que la tâche
de guidage d'une voiture par des enfants face-à-face est si efficace (cf
p. 9). La déstabilisation porte bien sur leurs actions et non sur la
solution, sa destination finale.
La prise de conscience des différentes centrations a un
impact sur le développement cognitif. En effet, lors de la
résolution de problèmes en groupe, chacun participe et propose
une solution. Alors que l'enfant n'entrevoyait qu'une façon de
résoudre le problème, il prend connaissance de l'existence
d'autres propositions. Cette prise de conscience le pousse à abandonner
sa centration, et à se décentrer pour prendre en
considération les autres points de vue, pour les confronter, et, enfin,
pour coordonner les points de vue initialement opposés. Cette solution
sera progressivement intégrée pour permettre à l'enfant de
résoudre des problèmes du même type seul
ultérieurement. Le progrès cognitif résulte donc de
l'intégration de plusieurs centrations différentes dans un
système de régulations cognitives compensant les oppositions. Il
y a un double déséquilibre, à savoir inter-individuel et
intra-individuel et c'est grâce à la résolution du conflit
inter-individuel que le conflit intra-individuel est résolu.
D'après Doise (1997), c'est par intériorisation de coordinations
sociales que se mettront en place de nouvelles coordinations
intra-individuelles.
Par exemple, ce type de conflit peut être observé
lors d'un problème sur la conservation des liquides. Ce dernier,
élaboré par Piaget, a été repris par Doise, Mugny,
et Perret-Clermont (1997). L'expérimentateur donne à un groupe de
trois enfants, dont le niveau de conservation a été testé
au préalable, un verre rempli de jus de fruit, un verre vide haut et
étroit, un verre large et bas, ainsi qu'un berlingot de jus de fruits.
L'expérimentateur demande à un des enfants de donner autant
à boire à ses copains pour qu'ils soient autant contents.
L'enfant non conservant va évaluer la quantité en fonction de la
hauteur. Certains penseront qu'il y a plus de liquide dans le premier
récipient parce qu'il est plus haut alors que d'autres en verront
davantage dans le second puisqu'il est plus large. Ces divergences vont les
pousser à combiner ces variables pour arriver à la conclusion
qu'elles se compensent.
3.3.5. L'impact du conflit socio-cognitif
Le conflit socio-cognitif favorise le développement de
nombreuses compétences, dans des domaines très variés. Il
influe sur le développement et certaines fonctions cognitives mais
également sur les compétences sociales.
Le conflit socio-cognitif facilite les apprentissages
cognitifs. Les progrès réalisés sont
généralisables à d'autres connaissances du même
type. Par exemple, lorsqu'un enfant fait des progrès dans des
problèmes concernant la conservation des longueurs, il
généralisera cette acquisition. Ainsi, les problèmes
concernant la conservation des quantités seront résolus avec
davantage de facilité. Le conflit socio-cognitif permet donc à
l'enfant d'accéder à un schème de niveau supérieur.
En effet, il parvient à repérer dans une action ou une situation
ce qui est généralisable et à le transposer dans une autre
situation représentant des éléments communs avec la
précédente.
D'autres progrès ont lieu dans le domaine cognitif,
plus particulièrement au niveau des fonctions cognitives comme les
« régulateurs d'action ». Ces progrès ont
lieu grâce aux déstabilisations provoquées par les
interventions du partenaire. Cette déstabilisation concerne la
représentation du problème et des possibilités d'action.
En effet, après une intervention
« déstabilisante », le sujet change la
représentation qu'il s'était faite du problème ou sa
représentation de la manière d'exécuter la tâche.
Ainsi, les progrès se rapportent à certaines fonctions
cognitives fortement liées aux relations sociales comme les
régulateurs de l'action. Ces derniers désignent les
capacités d'organisation, de contrôle et de vérification
impliqués dans la résolution de problème. Ainsi, le sujet
développe ses capacités d'identification du problème
(déduction d'un certain nombre de faits à partir de la situation
de problème permettant sa résolution), de création de
stratégie, planification (anticipation des actions ainsi que les
résultats de celles-ci), de contrôle des opérations
(attention aux résultats des actions, et mémorisation des erreurs
pour éviter de les reproduire), ou encore la capacité de
changement de représentation du problème en cas d'impasse ...
D'autre part, les compétences sociales seront
facilitées par la participation du sujet à de telles situations
d'interactions. Les catégories mentales se mettraient en place lors de
la participation de l'enfant à des interactions sociales de nature
très variées. Le développement cognitif se structurerait
à partir de la structuration de l'environnement social (normes
représentations, règles) qui organiserait les interactions
sociales. Ces nouvelles compétences cognitives favoriseraient le
développement des compétences sociales et permettraient à
l'enfant de participer à des interactions sociales plus
élaborées. C'est dans ce contexte que Doise affirme «A tout
moment de son développement, des compétences spécifiques
permettent à l'individu de participer à des interactions sociales
relativement complexes qui peuvent donner lieu à de nouvelles
compétences individuelles qui pourront s'enrichir de nouveau lors de
participations à d'autres interactions sociales.» (pp.125-126,
1993)
De cette manière, une sorte de spirale
développementale se réaliserait dans le conflit socio-cognitif.
Les apprentissages cognitifs servent de prérequis à de futurs
apprentissages. Ils servent de base à la régulation
d'interactions sociales plus complexes, qui, elles-mêmes, permettront
l'émergence de processus cognitifs plus évolués. C'est ce
qu'exprime Doise (p. 37, 1997) en disant qu'en coordonnant ses propres
actions avec celles d'autrui, il élabore des systèmes de
coordination de ses actions et arrive à les reproduire tout seul par la
suite. La causalité que nous attribuons à l'interaction sociale
n'est pas unidirectionnelle; elle est circulaire et progresse en spirale :
par l'interaction, l'individu maitrise certaines coordinations lui permettant
alors de participer à des interactions sociales plus
élaborées, qui, à leur tour, deviennent source de
développement cognitif. Ainsi, à des niveaux précis du
développement cognitif, certaines interactions sociales, agissant comme
un de ces inducteurs de l'embryogenèse, entraînent le
développement d'une nouvelle organisation cognitive.
II PROBLEMATIQUE
1. Problématique
Dans le système éducatif actuel, l'enseignement
s'éloigne de plus en plus des images que l'on se construit de la classe
comprenant la maîtresse à son bureau ou devant le tableau et les
élèves assis en rang qui l'écoutent silencieusement.
L'hétérogénéité des classes est devenue un
problème préoccupant. Dans un souci de transmettre le meilleur
enseignement possible dans une classe si particulière, l'organisation du
travail et de l'enseignement sont dorénavant aménagés bien
différemment, replaçant l'élève au centre de
l'apprentissage. L'apprentissage ne consiste plus, pour l'instituteur/trice,
à donner un cours en parlant devant une classe d'élèves
assis qui écoutent plus ou moins passivement. Désormais,
l'élève est replacé en tant qu'acteur de son
apprentissage. C'est en partie au travers des actions qu'il réalise avec
les autres élèves qu'il apprend. Une importante partie du temps
est consacrée à du travail par petits groupes
d'élèves, des groupes tant symétriques
qu'asymétriques, des situations de co-résolution de
problème ou d'application de règle d'orthographe par exemple (il
s'agit de remplir des fiches comprenant du texte où certains espaces ont
été laissés blancs dans les phrases. Le remplissage se
fait en suivant la consigne, à savoir la règle d'orthographe, en
groupe). Ces situations se retrouvent aussi et tout particulièrement
dans les écoles maternelles. Dans un contexte où l'apprentissage
est censé se réaliser partiellement au travers de situations
d'interactions entre enfants, rechercher les conditions d'apprentissage les
plus efficaces paraît essentiel. Comme il a été
exposé plus haut, Vygotsky (1934) avait déjà établi
le lien entre le développement des fonctions psychiques
supérieures et la transmission sociale. Cette vision a des
répercussions sur la façon d'organiser l'enseignement.
Pédagogiquement, il s'agit de s'interroger sur la façon dont se
déroule cette transmission sociale et sur les éléments
intervenant dans les situations d'interaction qui favorisent l'apprentissage.
Les recherches sur le conflit socio-cognitif et la
théorie de l'esprit ont particulièrement retenu notre attention
dans la mesure où elles se rapportent aux situations d'enseignement
actuelles et les éclairent en valorisant
l'hétérogénéité des classes. Ainsi, les
études sur le conflit socio-cognitif indiquent que l'apprentissage
cognitif se réalise au travers de la coordination des points de vue,
nécessitant un certain degré de compétences en
matière d'attribution d'états mentaux.
De la même manière, les recherches sur la
théorie de l'esprit montrent que cette compétence se
développe progressivement, vers une aisance de plus en plus apparente
dans la distinction de ses propres états mentaux de ceux des autres,
dans l'attribution d'états mentaux, puis dans leur coordination. Les
recherches montrent également à quel point les interactions,
ainsi que l'utilisation du langage, semblent essentielles pour que se
développe cette compétence.
Doise et Mugny (1997) ont mis en évidence le lien entre
ces recherches en montrant que le sujet se construit sa propre
représentation de la situation, la distingue de celle d'autrui, pour
ensuite les intégrer l'une et l'autre et les coordonner dans une
représentation plus complexe et plus élaborée. C'est donc
grâce à l'attribution d'états mentaux que le conflit
socio-cognitif favorise les apprentissages. Cette capacité à
attribuer des états mentaux joue le rôle de prérequis.
Ainsi, les enfants parvenant le mieux à se représenter les
états mentaux d'autrui coordonneraient plus facilement les divers points
de vue et tireraient davantage de bénéfices du conflit
socio-cognitif.
Mais c'est une étude de Doise (1993) portant sur les
compétences sociales qui nous a donné le plus à
réfléchir. Selon lui, des compétences spécifiques
de l'individu rendent possibles certaines interactions sociales et c'est au
travers de celles-ci que l'individu développe de nouvelles
compétences qui favoriseront l'émergence de nouvelles
compétences sociales plus évoluées. Par exemple,
l'acquisition de compétences spécifiques telles que l'attention
conjointe est nécessaire pour que se développe
l'intersubjectivité. De la même manière, Astington (1993)
affirmait qu'un entraînement langagier favorisait le développement
de la théorie de l'esprit. On pourrait alors se demander si le conflit
socio-cognitif, en tant que situation d'interaction, ne favoriserait pas
également le développement de compétences sociales comme
la représentation d'états mentaux.
En définitive, la problématique sur laquelle le
travail de recherche est centré porte sur le lien étroit unissant
la théorie de l'esprit et le conflit socio-cognitif.
2. Hypothèses
Notre hypothèse générale est la
suivante :
Il existerait un lien
« bidirectionnel » entre les compétences sociales
telles que la théorie de l'esprit, et la coordination des points de vue
lors du conflit socio-cognitif. Aux environs de quatre-cinq ans, les enfants
reconnaissent l'existence de différentes croyances pour une même
réalité mais éprouvent encore des difficultés
à les composer entre elles pour parvenir à une vision plus
globale. Ainsi, la théorie de l'esprit faciliterait le bon
déroulement de l'interaction et se développerait suite aux
sollicitations inhérentes au conflit socio-cognitif.
Hypothèse 1 :
L'hypothèse 1 suppose que le groupe le plus fort en
théorie de l'esprit utilise plus de verbes mentaux et termine plus
rapidement le tangram alors que des oppositions augmenteraient le temps de
résolution et le nombre de verbes mentaux utilisés. Cette
hypothèse se décompose en deux sous-hypothèses.
A De bonnes compétences en attribution d'états
mentaux s'accompagnent d'une meilleure coordination des états mentaux
lors du conflit socio-cognitif alors que des difficultés dans
l'attribution d'états mentaux à autrui s'accompagneront
également de difficultés dans la gestion du conflit
socio-cognitif, en ce qui concerne la coordination des divers points de vue, ou
la représentation des problèmes de son partenaire. Les enfants
ayant le mieux acquis la théorie de l'esprit parviendraient mieux
à coordonner les divers points de vue lors d'une situation de conflit
socio-cognitif.
Ainsi, les enfants ayant réussi le test d'attribution
d'intention utiliseraient plus de verbes mentaux que ceux qui ont
échoué au test, et termineraient plus rapidement la figure, un
lapin, avec les formes du tangram.
B Les enfants ayant des opinions divergentes sur la
résolution du jeu de tangram (décrit ci-dessous, p.38) devront
justifier leur point de vue pour essayer de faire comprendre à leur
partenaire ce qui ne leur convient pas. En justifiant leur point de vue, ils
utiliseront plus de verbes mentaux que les autres. De plus, cette coordination
prend plus de temps que s'ils résolvent un tangram dans la
co-élaboration.
Ainsi, il y aurait un lien entre l'apparition d'oppostions, le
nombre de verbes mentaux utilisés et le temps de résolution. Les
enfants s'étant opposés à leur partenaire utiliseront plus
de verbes mentaux et leur temps de résolution du tangram risque
d'être plus long que celui des enfants ayant coopéré dans
la résolution du tangram.
Hypothèse 2 :
L'hypothèse 2 consiste à évaluer les effets
du conflit socio-cognitif sur les compétences en théorie de
l'esprit. Elle suppose une amélioration de ces compétences
après le conflit, renforcée par la présence d'oppositions.
Elle se divise en deux sous-hypothèses.
A- A l'issue du conflit sociocognitif, il s'agit de parvenir
à une solution commune après avoir coordonné les diverses
représentations. Parvenir à ce résultat nécessite
la représentation d'états mentaux comme inférer le point
de vue de l'autre, identifier l'origine de ses difficultés et proposer
une aide adaptée, ou encore detecter la conception de la consigne d'un
partenaire grâce à l'utilisation d'indices contextuels. Comme les
situations telles que le conflit socio-cognitif sollicitent la
représentation d'états mentaux à partir
d'éléments contextuels, les enfants confrontés à de
telles situations d'interactions sont davantage entraînés que les
autres. Ils font preuve de meilleures compétences en régulations
sociales et en théorie de l'esprit que ceux n'ayant pas participé
aux résolutions de problème dans une situation de conflit
socio-cognitif.
Ainsi, les enfants ayant participé au conflit
sociocognitif obtiendraient de meilleures performances aux tests d'attribution
qu'au premier test passé avant la résolution du tangram.
B- Les membres d'un groupe confrontés à des
oppositions devront davantage justifier leur point de vue, chercher divers
moyens pour le faire comprendre aux autres, c'est-à-dire rechercher les
difficultés ou les causes des divergences... Les oppositions au sein des
dyades entraîneraient à attribuer des intentions.
Par conséquent, les enfants ayant participé
à des dyades où des oppositions ont eu lieu obtiendraient de
meilleurs résultats aux tests d'attribution, que ceux ayant
participé à des dyades fonctionnant dans la coopération.
C-
III METHODE
1. Population
1.1. Le lieu
La recherche s'est déroulée à Vanves, une
ville de vingt-cinq mille habitants située dans les Hauts-de-Seine (92),
dans la banlieue sud de Paris. Ce département est plutôt
considéré comme « privilégié ».
La population est donc assez aisée, même si de nombreuses
nationalités sont présentes.
Les expériences se sont déroulées dans le
cadre scolaire en raison de son aspect familier pour les enfants et son lien
avec les apprentissages. En effet, ce lieu est bien connu des enfants et il ne
nécessite donc pas de phase d'adaptation. De plus, cet endroit est
propice aux apprentissages. C'est un lieu dans lequel les enfants restent dans
une dynamique d'apprentissage, nécessaire au bon déroulement du
conflit socio-cognitif. Comme il a été mentionné
précédemment, les enfants doivent rechercher activement la
solution pour que les interactions aient un effet. Il s'agit alors de les
intégrer dans une dynamique d'apprentissage.
Comme la recherche fait intervenir des enfants
âgés de quatre à cinq ans, elle s'est passée dans
une école maternelle. L'école choisie comporte cinq classes.
L'étude a été réalisée dans la classe III,
comprenant vingt-cinq élèves au total, répartis entre la
petite et la moyenne section ; soit vingt élèves de moyenne
section et cinq enfants inscrits en petite section. Seuls les
élèves de moyenne section ont participé à la
recherche.
Une salle de dortoir annexée à la classe,
reliée à celle-ci par une porte, nous a été mise
à disposition. Cette proximité nous a permis de travailler en
petit groupe sans être dérangés par le bruit produit par le
reste de la classe, tout en restant à proximité de la
maîtresse qui proposait régulièrement à des
élèves de venir nous voir les deux premiers jours. La salle de
dortoir comprend quelques petits lits et une table ronde avec des chaises.
1.2. Description de la population
Pour valider les différentes hypothèses
émises, nous avons choisi de mener notre recherche sur une population
composée de dix-neuf enfants des deux sexes, âgés de quatre
à cinq ans, scolarisés dans la même classe de moyenne
section en maternelle. La population se limite à des enfants de cet
âge car à ce moment-là de leur existence, ils
possèdent déjà quelques compétences en
théorie de l'esprit. C'est une sorte de période charnière
dans la mesure où ils reconnaissent l'existence de divers points de vue
pour une même réalité. Il leur est donc dorénavant
possible de considérer un fait selon de multiples points de vue mais
uniquement alternativement. Mais ces difficultés de coordination peuvent
peut-être être surmontées plus facilement par un
entraînement lors d'interactions telles que le conflit socio-cognitif.
Même si beaucoup d'élèves sont d'origine
française, d'autres viennent d'Amérique du Sud, de l'Europe de
l'Est, du Maghreb, et d'Asie. En revanche, leurs parents vivent en France
depuis de nombreuses années, voire depuis plusieurs
générations, et tous parlent et comprennent bien le
français mis à part C.. Pour cette raison, cet enfant n'a pas
participé à la seconde partie de la recherche.
Comme la recherche s'est déroulée en fin
d'année scolaire, tous les enfants se connaissent bien. Les
élèves qui ont participé à cette expérience
ont comme point commun d'habiter dans les Hauts-de-Seine et de suivre les cours
dans la même salle de classe. Mais chaque enfant comporte
déjà un passé bien particulier, une histoire
personnelle qu'il convient de mentionner afin de mieux situer et comprendre les
résultats obtenus par chacun aux tests. Ces informations sur une partie
des élèves ont été transmises par leur
institutrice. Les autres n'ont pas particulièrement attiré son
attention comme leur parcours scolaire se déroule de façon
ordinaire.
Pour garder l'anonymat des enfants, seules des initiales ont
été utilisées pour les nommer. La scolarisation de F
nécessite l'assistance d'une personne en plus de l'ATSEM (agent
territorial spécialisé de l'école maternelle) en raison de
problèmes respiratoires et du comportement violent qu'il a eu envers ses
camarades en début d'année scolaire.
C, quant à lui, est originaire du Sri Lanka. Il a
été scolarisé en petite section à l'école
Marceau l'année dernière. Ensuite, il est parti vivre huit mois
au Sri Lanka avec sa famille. Il n'est revenu en France qu'au mois d'avril.
Comme ses parents ne parlent quasiment pas français, il n'a pas
l'occasion de parler français à la maison. Cet enfant
éprouve de grosses difficultés de compréhension et de
vocabulaire. Par exemple, lorsque nous lui avons demandé son
prénom, il l'a donné en chuchotant mais quand nous lui avons
demandé de donner son âge, il a redit son prénom. De
même, lors de la première partie de la recherche, nous lui avons
demandé de nommer les formes du Tangram qui se trouvaient devant lui,
mais il répondait systématiquement et en chuchotant par des noms
de couleurs. Nous lui avons donc montré du doigt le contour de la forme,
mais il a continué de donner des couleurs.
B. est une fille qui a fêté ses quatre ans au
début de l'année 2007. Elle a débuté l'année
scolaire en petite section et a sauté une année dans le courant
de l'année scolaire.
O. est un garçon dont le développement se
déroule de façon hétérogène. Il peut avoir
le niveau d'un élève de grande section dans certains domaines
alors qu'il éprouve de grosses difficultés dans d'autres
où il se retrouve plus au niveau d'un enfant de petite section.
P. a de la peine à se concentrer.
K. éprouve des difficultés scolaires en
règles générales.
2. Description du matériel utilisé
2.1. Le Tangram
Le Tangram est un jeu de patience d'origine chinoise de sept
pièces pouvant constituer un carré ou d'autres figures en
fonction de leur place et de leur orientation. Il comprend des pièces de
différentes formes (trois triangles, un carré, et un
parallélogramme) et de plusieurs grandeurs.
Le but du jeu est de constituer une figure, choisie parmi
plusieurs modèles avec l'ensemble des pièces, sans les
superposer. Ce jeu est parfois utilisé comme casse-tête (certaines
figures sont très difficiles à réaliser), ou comme
matériel d'évaluation de la flexibilité et de la
créativité.
Ce jeu nous paraît intéressant dans une telle
recherche car il fait intervenir l'orientation. Les enfants devront utiliser un
vocabulaire relevant de la structuration de l'espace pour décrire
l'orientation des pièces. En plaçant les enfants l'un en face de
l'autre dans les dyades, ils ne voient pas les pièces selon le
même point de vue et il y a de fortes probabilités pour que leurs
descriptions et leurs propositions divergent. Il risque donc d'y avoir des
oppositions, des conflits au sein des dyades et une nécessité
accrue de coordonner leurs points de vue.
Enfin, il paraît adapté à la population
participant à l'expérimentation. En effet, le tangram fait
intervenir des compétences relatives aux formes. En fin de maternelle,
l'enfant doit être capable de reconnaître, différencier, et
comparer les formes, c'est-à-dire catégoriser des formes et
reproduire un assemblage. Un manque de maîtrise du matériel ne
risque pas de perturber l'expérimentation.
De plus, aucun travail sur le tangram n'a été
réalisé en cours d'année scolaire sur ce sujet. A moins
d'avoir été confronté à ce jeu en dehors de
l'école, ils sont tous plus ou moins au même niveau avant de
commencer l'expérience.
En effet, à part un enfant ayant des difficultés
de compréhension de la langue française, tous sont parvenus
à nommer les triangles et les carrés. Seul le
parallélogramme a posé des difficultés. Aucun n'a
donné son nom. Certains l'ont appelé losange ou
« diamant ». Même s'ils ne connaissent pas encore son
nom, ils parviennent à le distinguer des autres et peuvent se mettre
d'accord pour lui donner un nom lors du conflit socio-cognitif.
2.3. Le test de la
fausse croyance
Nous avons choisi de faire passer deux tests standards de
fausse croyance aux enfants pour évaluer leurs compétences en
fausse croyance. Ces tests ont été créés à
partir des expériences fondatrices de Wimmer et Perner datant de 1983.
Dans un premier temps, les résultats obtenus à
cette tâche servent à regrouper les enfants à partir de
leurs résultats en dyades symétriques. Dans un second temps, ils
permettent d'évaluer les effets dûs au conflit socio-cognitif. Il
s'agit de faire passer des tests comportant des histoires du même type
racontées avec des poupées et comprenant le même nombre de
personnages, lieux, type de questions. Ces similitudes évitent de
biaiser les résultats en raison de difficultés variables entre
les tâches en ce qui concerne la compréhension, la
mémorisation, etc.
Ces expériences semblent appropriées dans la
mesure où elles font intervenir les actions d'autres personnages et les
enfants doivent réfléchir à partir de ces actions pour
ensuite donner des informations sur leurs états mentaux. Ce type de
compétence intervient également lors du conflit sociocognitif
comme l'enfant va rechercher, à partir des actions de son partenaire,
à comprendre pourquoi il a agi ainsi, quelle est sa
représentation du problème...
Ces histoires sont tirées des expériences
réalisées par Bradmetz et Bonnefoy-Claudey en 1997 (Bradmetz,
1999, pp. 179-180) sur l'acquisition de la compréhension et de la
production des verbes savoir et croire.
Histoire 1: Julie est assise sur le canapé et
lit une histoire. Dans la même pièce, le chat dort sous le piano.
Au bout d'un moment, Julie arrête de lire car elle veut donner à
manger au chat. Pour cela, elle sort du salon et va préparer à
manger dans la cuisine. Pendant qu'elle est dans la cuisine, le chat se
réveille, se lève, et va se coucher sur le canapé. Quand
Julie a terminé de préparer à manger, elle sort de la
cuisine avec l'assiette du chat et va rentrer au salon.
Question: Où Julie va-t-elle chercher le chat?
Pourquoi ?
Histoire 2: Max est un garçon qui s'amuse dans
la cuisine auprès de sa maman. Sa maman lui prépare un
gâteau au chocolat. Pour le faire, elle doit utiliser du chocolat qui se
trouve dans l'armoire. Max voit sa maman prendre le chocolat dans l'armoire et
le redéposer au même endroit. Après, Max a envie d'aller
jouer dehors. Alors il sort de la cuisine. Mais pendant qu'il s'amuse dehors,
sa maman reste dans la cuisine pour préparer à manger et elle a
de nouveau besoin de prendre du chocolat. Alors elle prend le chocolat qui
était dans l'armoire. Et quand elle a terminé, elle se trompe et
range le chocolat dans un tiroir. Ensuite, Max a terminé de jouer
dehors, il commence à avoir faim, alors il se dirige vers la cuisine
comme il a envie de manger du chocolat.
Question: Où pensez-vous que Max va aller
chercher le chocolat ? Dans l'armoire ou dans le tiroir ? Vous pouvez
avoir des réponses différentes.
3. Procédure
La recherche se réalise sous la forme
« pré-test, test, retest ». Cette réalisation
nécessite un déroulement en plusieurs étapes. Dans cette
optique, l'expérimentation se déroulera en trois étapes,
sur plusieurs séances.
Pré test :
- Familiarisation avec les formes du tangram
- Test d'attribution d'intentions avec l'Histoire 1
- question sur l'histoire pour vérifier les
compétences en théorie de l'esprit
|
Test
Tangram : formation d'une figure avec les formes par huit
dyades symétriques :
quatre dyades « fortes » (réponse
correcte suite à l'histoire)
quatre dyades « faibles » (réponse
erronée suite à l'histoire)
|
Post-test
Histoire 2 suivie d'une question pour revérifier les
compétences en théorie de l'esprit, afin de vérifier si le
conflit socio-cognitif a eu une influence sur celles-ci
|
3.1. Premier
contact
La prise de contact s'est d'abord réalisée par
l'intermédiaire de la Directrice de l'établissement. Cette
personne nous a ensuite mise en relation avec la maîtresse de la classe
de maternelle III.
A neuf heures, l'institutrice a réuni tous les
élèves autour d'elle pour faire l'appel. A cette occasion, elle a
demandé aux élèves s'ils n'avaient pas remarqué
dans la classe la présence de quelqu'un qu'ils ne connaissaient pas. Et
elle a fait les présentations de la manière suivante :
Sarah, vous ne la connaissez sûrement pas encore, mais c'est une dame
qui fait un travail sur les enfants. Dans son travail, elle cherche à
comprendre comment les enfants travaillent ou réfléchissent. Et
pour le réaliser, elle a besoin de votre aide. Alors elle va vous
demander de venir faire des jeux et travailler avec elle, et elle, elle va
regarder et écrire des fois ce que vous faites. C'est chouette d'aider
quelqu'un, non ? Qui est-ce qui veut commencer ?
Afin d'éviter que la manipulation du matériel soit
un obstacle au bon déroulement des interactions, il nous semble
essentiel que les enfants se familiarisent avec le matériel.
3.2. Première phase : familiarisation avec le
matériel et test de la théorie de l'esprit
La première phase de l'expérimentation s'est
déroulée dans la salle annexe de la classe, pendant les heures de
cours. La maîtresse proposait à des élèves de venir
vers nous au fur et à mesure que d'autres enfants sortaient après
avoir terminé les tâches.
Le recueil de données a été
réalisé dans des conditions identiques pour l'ensemble des
sujets : le moment de la journée, la salle, la place de
l'expérimentateur, la consigne,...
Dans un premier temps, chaque enfant est venu seul dans la
salle. A son arrivée, on s'asseyait autour de la table. Il lui
était demandé de donner son prénom et son âge.
Ensuite, les formes composant le Tangram étaient déposées
devant lui sur la table et il s'est attaché à les décrire.
Et plusieurs questions lui étaient posées, l'une après
l'autre : Tu connais ces formes ? Et est-ce que tu pourrais me
donner leurs noms ? Ensuite, chacun s'est progressivement
habitué à manipuler le Tangram en créant individuellement
des figures simples à partir de son imagination.
Après avoir réalisé une figure et
rangé le matériel, nous avons continué avec l'histoire 1.
Avant de la raconter, il a fallu préparer le matériel et donner
quelques consignes à l'enfant. En effet, nous avons emprunté une
poupée à la classe et une élève nous a gentiment
prêté son doudou pour faire le chat. Ensuite, nous avons averti
l'enfant qu'après avoir raconté l'histoire, une question lui sera
posée. Les personnages et les lieux ont été
clarifiés afin de faciliter la compréhension de l'histoire de la
manière suivante :
La poupée qui est là, en fait, c'est une
petite fille qui s'appelle Julie. Elle est en train de lire une histoire au
salon. Alors ici, c'est le salon, et nous sommes assis à la table du
salon. Et derrière le lit, on dit que c'est la cuisine, d'accord ?
A côté d'elle, la peluche, c'est son chat, il dort sous le piano.
Cette chaise, dans l'histoire, on dit que c'est un piano.
Après avoir raconté l'histoire, nous posions
deux questions à l'enfant : Où est-ce que Julie va aller
pour donner à manger au chat ? Pourquoi va-t-elle à cet
endroit ?
3.3. Deuxième phase : le tangram
3.3.1. Formation des dyades
Dans un second temps, les enfants ont été
regroupés en dyades pour créer ensemble les figures
indiquées sur le modèle à l'aide des formes du Tangram.
Comme l'interaction nécessite tout de même certaines
compétences verbales tant au niveau de la compréhension que de
l'élocution et du vocabulaire, nous avons
préféré faire participer seulement les enfants qui ont
compris les questions et qui connaissaient le nom des formes. Ainsi, un enfant
qui n'a pas compris les questions sur les noms des formes n'a pas
participé à la création du tangram (C). Les autres enfants
ont été regroupés en dyades. Malheureusement, deux enfants
ont manqué les cours plusieurs jours et n'ont pas pu participer à
la seconde partie de l'expérience.
Le regroupement a été effectué en
fonction de la réponse, correcte ou erronée, que chacun a
donnée au test de la fausse croyance au préalable. En fonction de
leurs compétences, les enfants ont été regroupés de
manière à former quatre dyades symétriques fortes,
composées chacune de deux enfants ayant répondu correctement
à la question de l'histoire 1, et de quatre dyades symétriques
faibles composées chacune de deux enfants ayant répondu de
façon erronée à la question qui a suivi l'histoire 1. Sept
enfants ont répondu correctement à l'histoire 1. Dix enfants
n'ont pas trouvé la réponse.
Comme le nombre d'enfants ayant répondu correctement
à la question est impair, un enfant a participé deux fois au
tangram mais il n'a pas été évalué la seconde fois.
En ce qui concerne le sexe des enfants, nous avons
réparti les enfants de manière à créer des dyades
mixtes, seule une dyade ne comporte que des garçons et une autre ne
comporte que des filles.
En ce qui concerne les affinités, aucune dyade ne
comprend des enfants étant de très grands amis ou se
détestant.
3.3.2. Déroulement de la tâche du
Tangram
Préparation
Cette partie de l'expérimentation s'est
déroulée dans la même pièce que celle
utilisée pour la première étape de
l'expérimentation. Seule la table a été modifiée.
En effet, pour faciliter l'apparition du conflit socio-cognitif entre les
enfants, ces derniers ont été placés l'un en face de
l'autre. Ce positionnement peut faciliter l'apparition d'un conflit dans la
mesure où l'orientation des formes diffère selon le
positionnement des enfants. Ce positionnement était plus facilement
réalisable avec une table rectangulaire qu'avec une table ronde. Pour
cette raison, nous avons changé de table.
Consigne
La consigne a été formulée une fois avant
de commencer :
Je vais vous présenter des formes que vous avez
déjà vues la dernière fois. Aujourd'hui, vous allez les
utiliser à nouveau pour former la figure se trouvant sur le
modèle que je vais déposer à côté de vous.
Pour former la figure, vous allez réfléchir tous les deux,
ensemble. Chacun a le droit de dire ce qu'il pense, d'essayer de construire la
forme et vous pouvez vous aider. Toutes les formes doivent être
utilisées. Les formes sont vertes d'un côté et grises de
l'autre. Faites attention, elles peuvent être utilisées soit du
côté vert, soit du côté gris, d'accord ? Mais
elles ne doivent pas se superposer, ça veut dire que vous ne pouvez pas
en mettre une par dessus l'autre, même un petit bout. Vous pouvez les
mettre sur le modèle et remplir le jaune (l'intérieur) et les
formes ne doivent pas dépasser les traits rouges du contour. Ce n'est
pas grave si vous ne trouvez pas tout de suite, vous pouvez prendre tout votre
temps pour trouver la figure.
Après avoir donné la consigne, les
formes du tangram et le modèle ont été
déposées au milieu de la table, entre les enfants. Le
modèle ne comporte que le contour de la figure. Les espaces entre les
formes ne sont donc pas perceptibles. L'intérieur a été
colorié en jaune. Pour faciliter la résolution de la tâche,
le modèle a été réalisé à la
même échelle que les formes à utiliser.
Le dictaphone a été déposé sur la
table à côté des enfants et a été introduit
de la manière suivante : Est-ce que l'un de vous deux a
déjà vu cet appareil ? Après avoir attendu la
réponse, d'autres questions ont suivi : Est-ce que vous
connaissez son nom ? Et savez-vous à quoi il sert ? En fait,
c'est un appareil qu'on utilise pour enregistrer les voix. Il va rester
à côté de nous pendant que vous faites la figure mais il
ne va pas déranger, d'accord ?
Interventions Lors de la résolution, quelques
interventions ont eu lieu pour plusieurs raisons :
- rappeler brièvement la consigne
- répondre négativement aux demandes d'aide
- « recadrer » leur activité. En
effet, certains enfants s'oubliaient de temps en temps et utilisaient les
formes pour s'amuser
- relancer l'activité : lorsque la figure
n'était pas terminée à cause d'une erreur et qu'aucun
enfant n'était actif, ni modifiait l'emplacement des formes, des
interventions ont eu lieu sous la forme d'une répétition de la
consigne
Notes
Des notes ont été prises lors de la
résolution du tangram afin de prendre en compte certains
éléments plus pragmatiques qui ne peuvent paraître avec la
seule utilisation d'un dictaphone, comme secouer la tête en signe de
désaccord, retirer une forme des mains de l'autre enfant,...
3.4. Troisième phase, deuxième test de la
théorie de l'esprit
La troisième phase s'est déroulée
directement après la tâche du tangram. De cette manière,
quand une dyade avait terminé la formation de la figure du tangram, nous
préparions la dernière partie de l'expérimentation,
à savoir le second test de la théorie de l'esprit avec l'histoire
2. L'histoire 2 a donc été racontée à deux enfants
simultanément.
Pour présenter « l'histoire 2 »,
nous avons procédé de la même manière qu'avec
« l'histoire 1 ». Ainsi, des éléments ont
été clarifiés avant de conter l'histoire avec des
poupées, comme les lieux, les personnages, les objets, de la
manière suivante : Là, nous nous trouvons à la
cuisine. Derrière la porte, s'est le jardin, d'accord ? La
poupée qui est assise avec nous, en fait, c'est un garçon qui
s'appelle Max. Entre les lits superposés, ce sont des tiroirs, et de
l'autre côté, il y a une armoire. Pour faciliter la
mémorisation des lieux où était déposé le
chocolat, un dessin représentant des tiroirs et un autre
représentant l'armoire ont été scotchés à
ces endroits. De plus, ces éléments ont été
rappelés au fur et à mesure qu'ils intervenaient dans l'histoire.
Comme l'histoire 2 était racontée
simultanément à deux enfants et que les deux enfants devaient
donner la réponse, nous leur avons demandé de ne pas
écouter l'autre parce qu'il pouvait se tromper et de donner la
réponse en chuchotant à l'oreille.
4. Description des variables et traitement
statistique
4.1. pour l'hypothèse 1
La sous-hypothèse 1A
G+
|
|
|
Nombre de Verbes mentaux/sujet
|
4 dyades "fortes"
|
TR Temps de résolution/sujet (identique pour deux
sujets d'une même dyade)
|
G-
|
|
|
Nombre de Verbes mentaux/sujet
|
4 dyades "faibles"
|
TR Temps de résolution/sujet (identique pour deux
sujets d'une même dyade)
|
- La variable indépendante provient du résultat
au test d'attribution d'intention 1 qui sert à former deux groupes:
G+ : Groupe le plus fort en
théorie de l'esprit de la classe, composé d'enfants ayant
répondu correctement à la question qui a suivi l'histoire 1.
Le test est considéré comme réussi
(R) si l'enfant donne le bon endroit comme réponse,
soit verbalement, soit par un geste.
G- : Groupe le moins fort en
théorie de l'esprit de la classe. Il est constitué d'enfants
n'ayant pas donné le bon endroit comme réponse à
l'histoire 1.
Le test est considéré comme échoué
(E) si l'enfant ne donne pas la bonne réponse comme
localisation.
- Les variables dépendantes sont deux variables
quantitatives :
· le Temps de Résolution du tangram, variable
quantitative continue: TR calculé en secondes pour
chaque dyade. Les sujets d'une même dyade obtiennent donc le même
temps de résolution.
· le Nombre de Verbes mentaux utilisés par
chaque sujet, variable quantitative discrète :
V
Les résultats du groupe G+ et du groupe G- seront
comparés à l'aide du t de Student pour vérifier s'il
existe une différence significative entre les deux groupes tant du point
de vue du temps de résolution que du point de vue du nombre de verbes
mentaux utilisés.
De plus, l'écart-type sera utilisé afin de
vérifier s'il existe une certaine homogénéité au
sein de chaque groupe. L'écart-type sera à nouveau utilisé
pour les deux variables dépendantes (temps de résolution, nombre
de verbes mentaux utilisés).
La sous-hypothèse 1b
L'hypothèse 1b fait intervenir des sujets pour lesquels
plusieurs traitements ont été effectués. La structure du
plan est du type S*T.
Les variables dépendantes sont:
le temps de résolution du tangram, variable
quantitative continue: TR calculé en secondes
le nombre de verbes mentaux utilisés, variable
quantitative discrète : V
les répliques s'opposant au partenaire
O
Le r de Bravais-Pearson peut permettre de vérifier s'il
existe un lien entre la rapidité de résolution et le nombre
d'oppositions au sein du groupe, entre la rapidité de résolution
du tangram et la quantité de verbes mentaux utilisés, et entre le
nombre d'oppositions et le nombre de verbes mentaux utilisés.
4.2. pour l'hypothèse 2
La sous-hypothèse 2a
L'hypothèse 2a fait intervenir l'ensemble des sujets,
chacun évalué de façon individuelle. Chaque sujet est
évalué sur deux variables, des variables dépendantes qui
seront croisées pour voir s'il existe un lien entre les résultats
au premier test et ceux réalisés au second test.
- les variables dépendantes nominales sont les
résultats obtenus aux tests d'attribution d'intention 1 et 2. Chaque
variable comporte deux modalités:
R1 pour réussi à l'histoire 1
E1 pour échoué à
l'histoire 1
R2 pour réussi à l'histoire
2
E2 pour échoué à
l'histoire 2
Pour tester cette hypothèse, un tableau à double
entrée, un tableau de contingences, sera utilisé. D'un
côté du tableau se trouveront les résultats obtenus
à l'histoire 1 (réussite ou échec) pour chaque sujet et de
l'autre se trouveront les résultats obtenus à l'histoire 2
(réussite ou échec). Ce tableau permettra d'en créer un
autre, à savoir celui des fréquences afin de comparer les
fréquences ensuite avec le Khi-Deux.
La sous-hypothèse 2b
- La variable indépendante nominale est le climat du
conflit socio-cognitif, qui sert à former deux groupes et comporte deux
modalités:
G.O., Groupe comprenant des enfants de dyades
confrontées à des oppositions
(O pour Oppositions)
G.C., Groupe comprenant des enfants de dyades
ayant fonctionné dans la coopération (C pour
Coopération)
- La variable dépendante nominale est le
résultat au test d'attribution 2, avec deux modalités:
R pour Réussi
E pour Echec
Pour tester l'hypothèse 2b, nous comptons utiliser un
tableau de contingence comprenant d'un côté le groupe
d'appartenance du sujet, à savoir G.O. (comprenant les enfants
s'étant opposés à l'action de leur partenaire) ou G.C.
(comprenant les enfants qui ont coopéré entre eux), et de l'autre
le résultat à la question qui a suivi l'histoire 2.
G.O. groupe de sujets s'étant
opposés
|
Réponse au deuxième test
|
à leur partenaire
|
|
R2/E2
|
G.C. groupe de sujets ayant
coopéré
|
Réponse au deuxième test
|
|
|
|
R2/E2
|
IV RESULTATS
Dans cette partie, nous décrirons les résultats
et les analyserons plus finement en les mettant en relation avec les
hypothèses émises précédemment pour vérifier
si elles sont confirmées.
La retranscription de l'ensemble des dyades se trouve dans les
annexes tout comme les résultats bruts.
1. Résultats concernant l'hypothèse 1
Nous décrirons d'abord les résultats concernant
la sous-hypothèse 1A, puis ceux de la sous-hypothèse 1B.
1.1. Résultats concernant l'hypothèse 1a
L'hypothèse 1a suppose d'une part l'existence d'un lien
entre le type de réponse donné à la première
tâche sur la théorie de l'esprit (correcte ou erronée) et
le nombre de verbes mentaux utilisés en dyade et, d'autre part, un lien
entre la réponse suite à l'histoire 1 et le temps de
résolution de la figure du tangram.
Création des groupes G+ (réponse correcte) et
G- (réponse erronée)
Comme C. n'a pas compris les questions, il n'a pas
participé à la suite de l'expérimentation. De plus, deux
enfants (F et J) étaient malheureusement absents lors de la seconde
partie de la recherche. Ces résultats permettent de former les groupes
suivants :
G+ : Comme il y a un nombre impair d'enfants dans ce
groupe, un enfant (M) a participé deux fois au tangram.
G+<S8 Ce groupe comprend les quatre dyades
suivantes :
N-M E-G
L-A D-M
G-<S8 Ce groupe de dix sujets ne comporte que quatre
dyades en raison des deux absents :
P-H I-K
B-O Q-R
Dans un premier temps, nous calculerons le temps de
résolution par dyade. Les enfants d'une même dyade obtiendront
donc le même temps de résolution. Ensuite seront
présentés les résultats concernant le nombre de verbes
mentaux utilisés.
Lien entre le groupe d'appartenance et le temps de
résolution
Les temps de résolution de chaque sujet sont
mesurés en secondes pour obtenir les résultats les plus fins
possibles.
Tableau 1 : temps de résolution pour chaque
groupe
- mG+ désigne la moyenne du temps de resolution pour le
groupe ayant répondu correctement à la tâche sur la
théorie de l'esprit.
- mG- désigne la moyenne du temps de resolution des
enfants ayant répondu de façon erronée à la
tâche sur la théorie de l'esprit.
La moyenne du groupe G+ est inférieure à celle
du groupe G-. Ce résultat va dans le sens de l'hypothèse.
Le t de Student permettra de tester cette hypothèse
plus précisément.
t= 0.65 Avec 14 degrés de liberté (16-2) et au
seuil á =0.05, t =2.14. t (0.65) <2.14.
Même s'il existe une différence entre les deux
groupes à partir des moyennes, celle-ci n'est pas significative avec le
t de student au seuil 0.05. On ne peut pas dire que les enfants ayant
réussi la tâche d'attribution d'intention terminent plus
rapidement le tangram.
S G+= 146.58 S G- = 63.5
Les écarts-types sont élevés dans les
deux groupes. Cela signifie qu'il existe de fortes disparités au sein
des groupes. Les résultats du groupe n'ayant pas réussi à
répondre correctement à la question 1 semblent
légèrement plus homogènes que ceux de l'autre groupe,
même si l'écart-type reste très élevé. On
peut constater cette hétérogénéité
interindividuelle à l'aide du graphique suivant :
Graphique 1 : Comparaison des temps de
résolution par sujet.
L'abscisse correspond aux huit sujets du groupe G+ en bleu, et
aux huit sujets du groupe G- en violet.
L'ordonnée correspond au temps de résolution,
calculé en secondes.
A part les temps de résolution du tangram des sujets 5
et 6 du groupe G+, les temps de résolution de ce groupe ont tendance
à être inférieurs à ceux du groupe G-.
De la même manière, les temps de
résolution des sujets 7 et 8 du groupe G- sont fortement
supérieurs à ceux des autres sujets du même groupe. Ces
disparités
Lien entre le groupe d'appartenance et le nombre de verbes
mentaux utilizes
Tableau 2 : lien entre l'appartenance à un
groupe et le nombre de verbes mentaux utilisés
Groupes
|
Moyennes
|
Ecart-types
|
G+
|
3.25
|
3.8
|
G-
|
0.88
|
0.93
|
Les moyennes indiquent que le groupe G+ a tendance à
utiliser davantage de verbes mentaux que l'autre groupe. De plus, au vu de
l'écart-type, cette tendance semble plutôt
généralisée à l'ensemble des sujets de ce groupe.
En effet, l'écart-type est assez faible et montre une certaine
homogénéité dans ce groupe. Ce résultat confirme
l'hypothèse de départ. Ce groupe utilise effectivement plus de
verbes mentaux que l'autre.
En ce qui concerne l'écart-type du groupe sG-, il est
encore plus faible que celui de l'autre groupe : Le nombre de verbes
utilisés reste plus ou moins similaire pour chaque sujet de ce
groupe.
t=0.77 avec 14 degrés de liberté et au seuil
á =0.05, t á=2.14, t<t á.
L'hypothèse nulle ne peut être rejetée
suite au calcul du t. L'hypothèse de départ n'est donc pas
vérifiée. La différence entre les moyennes des deux
groupes n'est pas signficative. Cela signifie que l'utilisation de verbes
mentaux faite par les enfants ayant répondu correctement à la
question suite à l'histoire 1 n'est pas significativement
supérieure à celle de l'autre groupe.
1.3. Résultats
concernant l'hypothèse 1b
Selon l'hypothèse 1b, plus l'enfant s'oppose à son
partenaire, plus il utilise des verbes mentaux et du temps pour justifier son
point de vue.
Graphique 2 : lien entre les oppositions et les verbes
mentaux
- « V » désigne le nombre de verbes
utilisés par chaque sujet.
- « Op. » désigne le nombre
d'oppositions réalisées pour chaque sujet. Seule une opposition
est notée par intervention.
- Chaque lettre située sur l'abscisse correspond
à un sujet.
Ce graphique montre d'un point de vue purement descriptif
combien ces deux variables sont liées. Par exemple, M, O, P et D ne se
sont pas opposés et n'ont pas utilisé de verbe mental. La plupart
des sujets sont intervenus pour s'opposer à une action et ont
utilisé un ou deux verbes mentaux. Seuls A et L se sont vivement
opposés et ont utilisé beaucoup de verbes mentaux.
Cette tendance est confirmée statistiquement par le
calcul du r de Bravais Pearson. rVO= 0.9
Cet indice nous renseigne sur l'existence d'une liaison entre
ces deux variables et sur le sens de cette relation. Il existe une liaison
très forte entre ces deux variables comme le r se rapproche de 1. La
liaison est positive. Ainsi, plus les enfants s'opposent, plus ils utilisent
des verbes mentaux. Ce résultat confirme donc l'hypothèse de
départ.
Lien entre les oppositions et le temps de
résolution
Graphique 3 : lien entre le temps de résolution
et le nombre d'oppositions
- Le temps de résolution est exprimé en minutes
pour donner davantage de lisibilité au graphique.
- La variable « opposition » est à
nouveau exprimée par prise de parole qui conteste l'action du
partenaire.
Ce graphique montre à quel point la variable
« temps de résolution » et la variable
« opposition » évoluent dans le même sens.
Calcul du r de Bravais Pearson :
rot=0.8
Le calcul du r de Bravais-Pearson montre une liaison
très forte entre le nombre d'oppositions et le temps de
résolution du tangram. Cette liaison est positive. Ainsi, plus l'enfant
s'oppose à son partenaire, plus le temps de résolution est
élevé. Ce résultat confirme l'hypothèse de
départ.
Lien entre le temps de résolution et le nombre de
verbes mentaux utilisés
Calcul du r de Bravais-Pearson : rtv=
0.68
A nouveau le r indique une liaison entre les deux variables.
Même si cette liaison est moins forte que les précédentes,
elle reste significative et dans un sens positif. Ainsi, les deux variables
évoluent dans le même sens simultanément. Plus l'enfant
utilise des verbes mentaux, plus le temps de résolution est
élevé. Ce résultat confirme l'hypothèse
annoncée.
2. Résultats concernant l'hypothèse
2
Dans un premier temps seront présentés les
résultats concernant la sous-hypothèse 2A, puis nous
présenterons les résultats se rapportant à la
sous-hypothèse 2B.
2.1. Résultats concernant
l'hypothèse 2a
Pour vérifier l'hypothèse 2a,
c'est-à-dire l'évolution des performances en attribution
d'intention après le conflit socio-cognitif, nous avons repris les
résultats obtenus suite à l'histoire 1 et 2 pour les comparer
ensuite à l'aide d'un tableau de contingence.
Tableau 3 : Correspondance des réponses entre
l'histoire 1 et l'histoire 2/ individu
INDIVIDU
|
A
|
B
|
C
|
D
|
E
|
F
|
G
|
H
|
I
|
J
|
K
|
L
|
M
|
N
|
O
|
P
|
Q
|
R
|
R H.1
|
1
|
2
|
2
|
1
|
1
|
2
|
1
|
2
|
2
|
2
|
2
|
1
|
1
|
1
|
2
|
2
|
2
|
2
|
R. H2
|
1
|
2
|
0
|
1
|
2
|
0
|
1
|
2
|
1
|
0
|
1
|
1
|
2
|
1
|
2
|
2
|
2
|
1
|
O : absent R H1 : réponse à l'histoire
1
1 : réussi R H2 : réponse à
l'histoire 2
2 : échoué
Tableau 4 : tableau de contingence pour les variables
histoire 1 et histoire 2 :
|
Histoire 2
|
|
Histoire 1
|
réussi
|
échoué
|
total
|
réussi
|
5
|
2
|
7
|
échoué
|
3
|
5
|
8
|
total
|
8
|
7
|
15
|
Les enfants qui ont échoué à l'histoire 1
ont tendance à échouer également à l'histoire 2. De
la même manière, les enfants qui ont répondu correctement
à la question après l'histoire 1 semblent réussir
également à répondre à l'histoire 2, même si
les différences sont légères.
Tableau 5 : tableau des fréquences pour les
réponses suite à l'histoire 1 et l'histoire 2
|
Histoire 2
|
|
Histoire 1
|
réussi
|
échoué
|
total
|
réussi
|
0.33
|
0.13
|
0.46
|
échoué
|
0.2
|
0.33
|
0.53
|
total
|
0.54
|
0.46
|
1
|
X2 = 1.73
Avec un degré de liberté et au seuil á
0.05, X2 á =3.84
X2 (1.73) < X2 á (3.84).
Comme le X2 est plus petit que le X se trouvant au
seuil 0.05, il n'y a pas de différence significative entre les deux
réponses. On ne peut pas rejeter l'hypothèse nulle au seuil
á=0.05 L'hypothèse n'est donc pas confirmée. Les sujets
n'obtiennent pas des résultats significativement meilleurs suite
à une participation au conflit socio-cognitif.
2.2. Résultats concernant l'hypothèse 2b
Selon l'hypothèse 2b, les enfants s'étant
opposés à leur partenaire se seraient entraînés
à coordonner les points de vue, ce qui leur permettrait de progresser en
théorie de l'esprit. Pour vérifier cette hypothèse, nous
avons recherché les oppositions qui ont eu lieu dans les dyades afin de
constituer deux groupes : le groupe avec oppositions (G.O.) et le groupe
ayant fonctionné dans la co-construction (G.C.).
Tableau 6 : Groupe des enfants s'étant
opposés à des actions de leur partenaire:
G.O.
|
E
|
G
|
L
|
A
|
H
|
B
|
Q
|
R
|
|
2
|
2
|
13
|
10
|
2
|
2
|
2
|
1
|
G.O. < S8
Il ne peut y avoir qu'une opposition par intervention.
Seuls L. et A. ont beaucoup montré leur
désaccord lors du déroulement du conflit socio-cognitif avec
treize répliques avec des oppositions pour L. et dix pour A. De plus, L.
a arraché une forme des mains de A.. En règle
générale, les autres individus sont juste intervenus deux fois
pour s'opposer à des actions de leur partenaire.
G.C. < S8: N M P O K I M D
Tableau 7 : tableau de contingence pour les variables
Opposition et Réponse à l'histoire 2
|
R H2
|
E H2
|
G.O.
|
4
|
4
|
G.C
|
4
|
4
|
R H2 signifie « réponse correcte
à l'histoire 2 ».
E H2 signifie « réponse erronée
à l'histoire 2 ».
Il ressort du tableau ci-dessus que les deux groupes se
répartissent exactement de la même manière. Sans faire le
test du Khi deux comme il était initialement prévu, on peut dire
qu'il n'y a pas de différence significative entre les deux groupes.
L'hypothèse n'est donc pas vérifiée. Le groupe
Go ne comprend pas mieux l'histoire 2 que le groupe
Gc.
V INTERPRETATION DES RESULTATS
1. Validation des hypothèses
1.1. Hypothèse 1
Notre première hypothèse se décomposait
en deux sous-hypothèses.
La première sous-hypothèse supposait le lien
suivant :
Les enfants ayant les meilleures compétences en
attribution d'intention utiliseraient davantage de verbes mentaux et
termineraient plus rapidement le tangram que les autres.
La première partie de cette hypothèse n'est pas
validée. En effet, les résultats obtenus au t de Student ne
permettent pas de rejeter l'hypothèse nulle. Les enfants ayant les
meilleures performances en théorie de l'esprit n'utiliseraient pas une
quantité de verbes mentaux significativement plus élevée
que les autres. Cependant, même si l'hypothèse n'est pas
validée statistiquement avec le t de student, les moyennes indiquent que
le groupe le plus fort utilise plus de verbes mentaux et termine en moyenne
plus rapidement que les autres. Un lien pourrait exister entre ces deux
variables. De plus, la quantité de verbes mentaux utilisés par L.
et A., deux sujets atypiques, tend ainsi à confirmer cette
hypothèse. Cependant, les autres sujets n'en utilisent pas autant.
Ces différences au sein d'un même groupe nous
amènent à relativiser les liens entre les variables et à
réfléchir sur la représentativité des sujets ayant
participé à cette étude. En effet, en raison de la
quantité plutôt restreinte d'enfants sur lesquels portent les
résultats et de leurs comportements forts distincts les uns des autres,
il est difficile de dire si les comportements observés correspondraient
à une tendance plus générale. Prolonger cette recherche en
faisant intervenir un nombre plus élevé de sujets pourrait nous
renseigner à ce propos.
De plus, en ce qui concerne le temps de résolution, les
résultats ne confirment pas l'hypothèse énoncée,
mais ce temps de résolution plus ou moins rapide ne correspond pas
seulement à des capacités plus ou moins bonnes de
représentations des états mentaux et de coordination des points
de vue mais semble également correspondre à la présence ou
absence de conflit. C'est ce que nous allons vérifier au travers de
l'hypothèse suivante.
La seconde sous-hypothèse, la sous-hypothèse 1B
était la suivante :
les enfants qui marquent leur désaccord
utiliseraient plus de verbes mentaux que les autres et mettraient plus de temps
pour terminer le tangram en raison du temps nécessaire pour se
justifier.
En ce qui concerne cette sous-hypothèse, cette
dernière est totalement vérifiée après l'analyse
des résultats. Cette forte corrélation entre le nombre
d'oppositions, la quantité de verbes mentaux utilisés, et la
durée nécessaire pour terminer le tangram montre à quel
point, quand un conflit apparaît principalement, les enfants ont recours
à des verbes mentaux. La plupart du temps, ils utilisent les expressions
« je sais », « tu ne sais pas » ou
encore « je me suis trompé ».
Ce type d'expression, utilisée dans ce contexte
particulier de la création d'un tangram à deux, marque bien
l'opposition entre ce que le partenaire a fait, selon sa représentation
du problème, et la propre représentation de la situation
construite par l'enfant et ce qu'il compte faire. L'enfant établit donc
un lien entre le savoir et les actions réalisées. Cette
compétence en attribution d'intentions lui permet de mieux gérer
cette interaction sociale (Thommen, 2001).
De plus, ces verbes sont souvent utilisés suite
à une action du partenaire qui n'aboutit pas. Exprimer son savoir permet
ensuite à l'enfant de tenter de prouver son savoir concrètement
en posant la forme au bon endroit et dans le bon sens. Cette volonté
d'interférer dans une action qui ne correspond pas à sa
représentation, de tenter de résoudre le problème, et de
rechercher une solution ensemble, nécessite du temps et se
répercute systématiquement sur le temps de résolution.
1.2. Hypothèse 2
La première partie de l'hypothèse 2 porte sur
les effets de la participation à un conflit socio-cognitif sur les
compétences en théorie de l'esprit. Selon cette hypothèse,
la participation à un conflit socio-cognitif aurait
un effet bénéfique sur les compétences en attribution
d'intentions.
Cette hypothèse n'est pas vérifiée
après l'analyse du tableau de contingence. Le conflit socio-cognitif n'a
pas eu d'effet bénéfique sur les compétences en
théorie de l'esprit.
Cependant, cette absence de progrès peut s'expliquer
par le manque d'entraînement à des situations de ce type. En
effet, les enfants ont été familiarisés avec les formes et
à la construction de figures avec ces dernières, mais n'ont
été confrontés qu'une seule fois à une situation de
résolution d'un tangram à deux lors de cette expérience.
Comme les progrès socio-cognitifs se réalisent au fil des
multiples expériences sociales auxquelles est confronté
l'individu, cette simple confrontation peut ne pas être suffisante pour
faciliter le développement de la théorie de l'esprit.
Il serait intéressant de prolonger cette recherche en
entraînant les enfants à la résolution de tangram à
deux sur une plus longue durée, sur plusieurs séances. Un tel
entraînement sur le long terme permettrait aux enfants de travailler avec
plusieurs partenaires différents. La diversité des dyades
pourrait être bénéfique à chacun car l'enfant est
parfois le plus fort, et parfois le plus faible dans la dyade. Varier les types
de dyades pourrait favoriser le développement de compétences
sociales. Ainsi, cette procédure permettrait de vérifier l'impact
d'une telle situation sur les compétences en théorie de l'esprit.
La seconde partie de l'hypothèse 2 postulait
l'existence d'un lien entre l'apparition d'oppositions lors de la
résolution du tangram et la réussite à l'histoire 2. Elle
suppose que les enfants s'étant opposés aux actions de leur
partenaire produiront plus de réponses correctes à une question
sur des attributions d'intention que les autres sujets ayant
coopéré. Ces progrès seraient dûs à un
entraînement à coordonner les points de vue divergents. Selon
Perret-Clermont (2001), les oppositions, même si elles ne sont pas
nécessaires, peuvent avoir un rôle bénéfique. Par
contre, les oppositions et les tentatives de résolution du conflit
doivent porter sur les divergences cognitives et non relationnelles pour avoir
des effets positifs. Les oppositions qui ont eu lieu lors de cette
expérience se réfèrent systématiquement à
des erreurs produites par leur partenaire lorsque celui-ci place mal une
pièce. Ces oppositions sont du type « Non, ça
dépasse. ». Seules quelques répliques de la dyade L-A
ont porté sur la relation entre les enfants, lorsque L . a
traité A. de « petit menteur ». En règle
générale, les oppositions et les tentatives de résolution
de ces oppositions ont effectivement porté sur la recherche commune
d'une solution et n'a pas porté sur la relation entre les
partenaires.
Même si les oppositions se sont principalement
rapportées au problème, cette hypothèse n'a pourtant pas
été vérifiée expérimentalement. Les
oppositions n'ont pas favorisé l'émergence de progrès. Les
enfants du groupe G.O. n'ont pas obtenu de meilleurs résultats à
l'histoire 2 que les autres.
Par ailleurs, un élément explicatif de nos
résultats pourrait se trouver dans le nombre d'oppositions
relevé. En effet, peu d'enfants ont véritablement
été confrontés à un conflit socio-cognitif. En
fait, la plupart des enfants de ce groupe ont fait part de leur
désaccord au travers d'une ou deux répliques, qui ont abouti soit
à une résolution correcte du tangram, soit à un blocage
temporaire. Les enfants ont éprouvé des difficultés
à déplacer les formes lorsqu'elles étaient mal
placées et pensaient parfois qu'il était impossible de
réaliser la figure. Dans de telles circonstances, nous leur rappelions
une partie de la consigne afin de relancer l'activité. Seule la dyade
L-A s'est trouvée réellement en désaccord sur une plus
longue durée.
2. Portée des
résultats
2.1. Intérêt de la recherche
De multiples recherches ont été
réalisées pour tenter d'expliquer le développement de la
théorie de l'esprit chez l'enfant. Un grand nombre de ces travaux s'est
concentré sur un seul facteur explicatif comme le lien avec la culture
ou l'autisme, etc. D'autres auteurs ont été conduits à
envisager la théorie de l'esprit selon son aspect
développemental, et ont étudié son évolution au fil
du temps.
De la même manière, le conflit socio-cognitif et
les différentes « variantes » de résolution
de problème à deux (tutelle, co-élaboration,
guidance,...), ont donné lieu à de nombreux écrits, se
penchant sur divers aspects tels que la symétrie, le degré
d'expertise, les oppositions... D'autres se sont appliqués à
rechercher les prérequis nécessaires ou encore les effets de ce
dernier sur le développement cognitif.
Nous avons souhaité inscrire notre réflexion
dans ce courant de pensée, à partir d'un facteur
déjà étudié mais en l'envisageant sous un angle
nouveau. Les effets mutuels que peuvent avoir le conflit socio-cognitif et la
théorie de l'esprit n'ont jamais été traités. Le
premier intérêt de ce travail de recherche consiste donc en
l'élargissement du champ observé.
Le second intérêt de notre recherche
réside dans ses applications scolaires possibles. Comme il avait
été mentionné précédemment, cette
résolution de problème à deux peut être
utilisée dans de nombreux domaines comme complément de
l'enseignement transmis par le maître. Son utilité intervient
lorsque des élèves ont terminé des exercices longtemps
avant d'autres, alors que certains ne parviennent pas à le
résoudre malgré les multiples explications données par
l'enseignant. Ce type de situation pourrait alors être utilisé en
proposant aux élèves de travailler ensemble, sans
forcément créer des interactions de tutelle. Ce type
d'interaction pourrait être bénéfique en regroupant des
enfants forts ensemble et des enfants plus faibles ensemble. Développer
ce type de pratique peut, dans un premier temps, faciliter la gestion de la
classe, et, dans un second temps, multiplier les aides sous des formes
variées, et développer les compétences de chacun en
résolution de problème.
Enfin, si le conflit socio-cognitif a effectivement des
répercussions positives sur les compétences en théorie de
l'esprit, et que les résultats sont généralisables suite
à une autre recherche réalisée sur un échantillon
plus vaste, cette pratique serait également intéressante pour
introduire et développer une réflexion sur autrui et favoriser
l'apprentissage de la vie en commun dans le cadre scolaire, un des objectifs de
l'école maternelle. Ce mode de travail serait d'autant plus efficace que
c'est grâce aux multiples confrontations avec son environnement social
que le développement cognitif se réalise (Vygotsky, 1934). Il
aurait donc des effets bénéfiques tant du point de vue cognitif
que social.
2.2. Limites
Notre travail présente un certain nombre de limites,
liées tant à la population étudiée qu'à la
procédure utilisée.
2.2.1. Difficultés
liées à la population
En ce qui concerne les difficultés par rapport à
la population, la première se rapporte aux absences. Il est
arrivé plusieurs fois que nous nous rendions à l'école
dans l'intention de faire participer certains enfants au tangram, et que
ceux-ci soient absents ce jour-là, voire sur une plus longue
durée. Ces absences ont donc nécessité des
déplacements inutiles, prolongé la durée de la recherche,
mais ont également modifié le nombre de dyades
réalisées et leur formation. Pour cette raison, un enfant a
participé deux fois au tangram, ce qui peut biaiser les
résultats.
La seconde difficulté, qui est en partie une
conséquence de la première, se rapporte à la taille de
l'échantillon. En raison des absences de certains, des
difficultés de compréhension d'un autre, et de la quantité
peu importante de sujets dès le départ, la population s'est
amoindrie. Ces absences ont accentué le problème dû au
nombre de sujets qui ont participé à l'expérimentation. Ce
nombre trop peu élevé risque de biaiser les résultats,
d'autant plus qu'une dyade s'est comportée de façon atypique
(temps de résolution plus long, présence de plus d'oppositions,
utilisation de plus de verbes mentaux) et ne nous permet pas de
généraliser ces résultats. La taille de
l'échantillon gagnerait à être plus grande.
2.2.2. Difficultés liées à la
procédure
La première limite consiste au lien entre la
capacité à coordonner les points de vue et son
opérationnalisation à l'aide du temps de résolution. Le
temps de résolution semble plus particulièrement refléter
la présence ou absence d'oppositions au sein du groupe. Il aurait
été intéressant de poursuivre cette recherche en analysant
uniquement les dyades confrontées à des oppositions afin de
vérifier si les enfants ayant les meilleures compétences en
attribution d'intention coordonnent plus facilement les divers points de vue.
Une autre difficulté a consisté à faire
émerger un conflit au sein des dyades. Les enfants avaient
été placés l'un en face de l'autre afin de faciliter son
apparition. Pourtant, peu de véritables conflits ont eu lieu. De plus,
lorsqu'un enfant plaçait une pièce au mauvais endroit, son
camarade hésitait souvent à la déplacer et admettait
parfois le positionnement de cette pièce comme définitif car il
imaginait difficilement que ses difficultés de résolution
provenaient d'elle. Et il tentait de continuer la résolution en fonction
de la position de la pièce ou arrêtait toute recherche de
solution.
VI CONCLUSION
La connaissance des facteurs intervenant dans le
développement socio-cognitif de l'enfant intéresse le psychologue
en vue d'une meilleure compréhension de ce dernier. C'est pourquoi nous
avons fait porter notre travail de recherche sur le lien entre la participation
à des situations d'interactions et le développement social de
l'enfant, et plus précisément sur la réciprocité du
lien entre le conflit socio-cognitif et le développement de la
théorie de l'esprit. Nous avons donc emprunté à plusieurs
théories pour construire notre réflexion.
Cette recherche s'appuie sur l'importance des diverses
compétences précoces, s'intégrant aux premiers rangs du
développement social de l'enfant. Ces dernières permettent
l'apparition de nouvelles compétences sociales plus
élaborées s'appuyant sur elles, ou de se complexifier suite aux
confrontations à un environnement stimulant. La théorie de
l'esprit s'intègre dans cette chaîne évolutive et subit
également les influences du milieu et des interactions sociales, comme,
peut-être, le conflit socio-cognitif.
A partir de ces éléments théoriques, nous
avons mis en place une méthodologie basée sur des outils
standardisés. Nous avons émis l'hypothèse que les
compétences en théorie de l'esprit influenceraient le
comportement de l'enfant dans une situation de résolution de
problème lors d'un conflit socio-cognitif. Par ailleurs, une telle
situation entraînerait les compétences en théorie de
l'esprit par la nécessité de coordonner les points de vue.
Les résultats obtenus auprès des dix-neuf
enfants montrent que, conformément à nos attentes, le groupe de
la classe ayant les meilleures compétences en attribution d'intentions
termine plus rapidement le problème que les autres, même s'il
existe d'importantes divergences au sein du groupe. En revanche, les enfants
n'obtiennent pas des résultats meilleurs en attribution d'intentions
suite à une participation à un conflit socio-cognitif. Un
entraînement serait certainement nécessaire pour favoriser ce
développement progressif.
L'intérêt majeur de ce travail, en dehors de
l'apprentissage qu'il a représenté pour nous, réside dans
ses éventuelles applications scolaires. Fidèle à la
perspective environnementale, stimulante pour le développement social de
l'enfant, nous souhaitons en effet insister sur la possibilité de mettre
en place des situations de conflit socio-cognitif dans le milieu scolaire pour
favoriser le développement de la théorie de l'esprit.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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découvrent la pensée, Retz, Paris
· BARNIER (2001), Le Tutorat dans l'enseignement et la
formation, l'Harmattan
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Paris
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enfants, Ed Odile Jacob
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l'enfant, PUF
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l'esprit dans la psychologie de l'enfant de 2 à 7 ans, Presses
universitaires franche-comtoises, Paris
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chez l'enfant: genèse, développement, fonctions, Ed. Armand
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Ed. Delachaux et Niestlé
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développement cognitif, Ed. Armand Colin, Paris
· DOISE et MUGNY (1981), Le développement
social de l'intelligence, InterEditions, Paris
· DORTIER (2006), L'intelligence de l'enfant, le
regard des psychologues, collection Les Dossiers de
l'éducation, Edition Sciences Humaines
· FLAVELL, O'DONNELL (1999), Le développement
des savoirs intuitifs à propos des expériences mentales,
Enfance, No 3
· GAUDUCHEAU et LUISINIER (2004), Les états
mentaux d'autrui lorsqu'il interagit, Enfance n°4
· GAUTHIER, BRADMETZ, Le Développement de la
compréhension des fausses croyances chez l'enfant de cinq à huit
ans, Enfance n°4 2005, PUF, Paris
· GILLY, ROUX, TROGNON (1999), Apprendre dans
l'Interaction: analyse des médiations sémiotiques, Presses
Universitaires de Nancy, Nancy
· GOPNIK et MELTZOFF (1997), Words, Toughts, and
Theories, MIT Press, Cambridge
· GOUIN DECARIE et al., La Compréhension
précoce de l'émotion comme cause de l'action, Enfance
n°4 2005, PUF, PARIS
· NADEL (1986), Imitation et communication entre jeunes
enfants, Ed. PUF, Paris
· NADEL et DECETY (2002), Imiter pour
découvrir l'humain, Ed. PUF
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Connaître, L'Harmattan, Paris
· PIAGET (1946), La Formation du symbole chez
l'enfant: imitation, jeu et rêve, image et représentations,
Ed Delachaux et Niestlé, Paris
· ROBERT, HINDE, PERRET-CLERMONT (1988), Relations
interpersonnelles et développement des savoirs, Ed. DelVal,
Fribourg
· ROCHAT (2002), Naissance de la conscience de
soi : Débat actuels sur la cognition chez le
bébé, Intellectica no 34 pp 99-123, Ed.
Association pour la recherche cognitive, Paris
· THOMMEN (2001), l'Enfant face à autrui,
Ed Armand Collin collection Cursus Psychologie, Paris
· TROADEC (1998), Psychologie du développement
cognitif, Ed Armand Collin collection Cursus Psychologie, Paris
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sociocognitives, Ed Armand Colin, collection Synthèse, série
« Psychologie », Paris
· VYGOTSKY (1995), Pensée et Langage,
Editions sociales, Paris
· WALLON (1934), Les Origines du caractère chez
l'Enfant, PUF
· ZAOUCHE GAUDRON (2002) Le Développement social
de l'Enfant: du bébé à l'enfant d'âge scolaire
Ed. Dunod coll. Les Topos
ANNEXES
1. Tangram
2. Justifications de la
Réponse suite à l'histoire 1
Noms
|
Justifications
|
A
|
Julie sest trompée par ce que le chat était sous le
piano quand elle est partie
|
B
|
Le chat est parti sur le canapé alors elle va le chercher
là-bas
|
C
|
montre du doigt le canapé
|
D
|
Elle s'est trompée, elle va se baisser pour rien et
après elle va voir le chat sur le canapé.
|
E
|
Le chat a changé de place mais Julie ne sait pas.
|
F
|
Le chat est sous le canapé
|
G
|
Elle s'est trompée
|
H
|
Le chat dort sous le canapé
|
I
|
idem
|
J
|
idem
|
K
|
idem
|
L
|
après, elle va chercher autre part
|
M
|
parce qu'il était là-bas
|
N
|
Elle va voir sous le piano et après sous le
canapé
|
O
|
Le chat est sous le canapé. Elle va le chercher
là-bas.
|
P
|
Julie va au magasin acheter des barquettes au chocolat et va
à la cuisine après avecle chat.
|
Q
|
parce que
|
R
|
le chat était là-bas
|
3. Dyades
XXXXX= oppositions, soit 1 par réplique maximum
XXXXX = verbe mental
1 N/M
M Voilà. Ensuite...là.
N Je n'arrive pas. Ca dépasse.
EXP Oui, il y a un bout de cette forme qui dépasse le
trait. C'est interdit. On peut peut-être les mettre autrement.
N Pourquoi ça ne va pas ?
M C'est trop grand.
EXP Tu te souviens des différentes manières de
poser les formes ?
N On peut les tourner.
TR 91 secondes
OBS M prend une forme dans les mains de N..
2 E/G
E J'ai gagné!
G Ben non, regarde, ça là.
E Ah oui ! J'ai oublié.
E Et ça... attends.
G Oui.
E Oui, oui, je sais ! Je sais ! Moi, je sais le
faire.
G On va bientôt réussir, c'est qu'on n'a pas bien
réfléchi.
E Ca dépasse un petit peu le trait. Il reste ça, je
vais le mettre...
G Non, attends !
E C'était toi qui l'as fait, hein !
G Quand même... ça dépasse.
E Oui, ça dépasse.
E Oui...voilà
E Allez !
EXP Il y en a juste une qui ne rentre pas bien.
E Comment on va faire ?
EXP : Vous vous souvenez de ce que j'ai expliqué au
début ? On peut mettre comment les formes ? On peut les mettre
dans ce sens, dans celui-là aussi et du côté vert et du
côté gris.
G Euh...je ne sais pas, moi.
E Il faut la tourner.
E Attends !
EXP Voilà ! La figure est terminée.
TR 155 secondes
3 L/A
L Chante
A L., on est là pour travailler.
L Je sais. Ca, ç'est pour moi.
L Non ! Non, ce n'est pas...
A Si, ça rentre !
L Oui, c'est vrai. Ca c'est pour moi.
A Ah ? On voit encore du jaune. Il ne faut pas voir de
jaune.
L C'est toi qui as fait !
EXP Si on en voit un tout petit peu, ce n'est pas grave.
A D'accord.
A Après, si ça ne veut pas rentrer ...
L Ca ne veut pas rentrer, là. (Rires) Si! Ca ne veut pas
rentrer là. Non...
A. continue...
L Arête ! Attends, ce n'est pas toi qui
décide.
A Oui, je sais mais j'ai le droit.
L Mais...
A Je me de-mande où je vais pou-voir le me-ttre. (En
chantant)
L Non, là, c'est trop difficile.
A Ce sera peut-être...
L Non Non Non ! Non c'est moi !
L prend une forme dans les mains de A
A Oh L. ! Pourquoi c'est toujours toi qui dois mettre les
trucs.
L Parce que regarde. Comme ça.
A Tu as oublié quelque chose, hein ? Un trait. Comme
ça, comme ça.
L C'est toi qui as dû oublier, là. Petit
menteur !
A Quoi ? Qu'est-ce que tu as dit là ?
L J'ai dit « petit menteur » (rires)
A Ah! Je n'aime pas quand on m'appelle comme ça.
L Petit menteur?
A Oui
L Ca dépend.
A ah non...mais non
EXP L., ce n'est pas gentil, on continue la figure.... ?
A Mais, L. pourquoi tu l'as mis ici ?!
L Ce n'est pas moi.
A Alors moi non plus. Ah non ça ne va pas là. Je ne
sais pas.
L Moi, non plus, je ne sais pas.
L Mais où ca va, là ? (rires) Mais où
ça va là ?
A Ah non, ça ne va pas là. (Rire) Ca
dépasse. (Rires)
EXP Vous réfléchissez pour savoir où vont
les formes?
EXP Et celui là tu veux le mettre où ?
A Celui-là...Je me demande pourquoi on ne va pas mettre
celui-là ici. Alors, il ne faut pas voir de jaune. Il faut...il faut...
il ne faut pas voir de jaune. Attends...
A Ah ben voilà, il fallait mettre un truc comme ça
mais pas comme ça parce que après....
L La suite, elle n'est pas facile.
L Je me suis trompée (rires) Je me suis trompée.
L On pourra le refaire deux fois ?... trois fois ?
EXP Euh...Il faut déjà finir cette figure.
L Oui, je sais. Celui-ci va là.
A Il est un petit peu trop grand. Je me demande comment...Est-ce
que je peux mettre du côté gris ?
EXP Tu peux mettre du côté gris si tu veux, mais on
ne doit pas voir le jaune, ni dépasser le trait, il y a quelque chose
qui ne va pas à cet endroit.
A Est-ce que tu as vu comment les autres ont mis les
pièces pour réussir tout à l'heure? Ils avaient mis
un morceau ici et un autre là ?
EXP Je ne sais plus mais je suis sûre que vous allez aussi
réussir sans ces informations.
EXP Regarde, le triangle dépasse encore un peu.
L Presque juste. Et le triangle...voilà!
A Ah ben si, je sais comment le mettre. Voilà, fini.
L Regarde, ça va quand même aller sur l'autre
forme.
EXP Il y en a une sur l'autre.
L Ah ! Tu ne sais pas le mettre, A.. C'est de ta faute.
EXP Non A, ce n'est pas un vaisseau, on joue à les poser
maintenant. A, où tu peux mettre le triangle ?
L A ton tour, A..
A Voilà, oui ! C'est bien.
L Il y a de la place là pour ton triangle.
A Moi, je sais comment le mettre. C'est comme ça.
L Moi, aussi.
L Non, ça ne rentrera pas, regarde.
A Oh ! Ca ne va pas...
L (rires)
EXP Vous vous souvenez de la consigne ?
A Oui.
EXP Comment on peut utiliser les formes?
A Alors L., il faut mettre comme ça et comme ça.
L Arrête ! Arrête de bouger. C'est aussi du
côté gris.
TR 406 secondes
4 D/M
D On va parler tout doucement, je n'ai pas le droit de parler
fort. (D. s'est absentée pendant deux jours en raison d'une angine et a
encore mal à la gorge)
EXP D'accord.
TR 55 secondes
5 H/P
H Il est trop grand! Il ne rentre pas.
P Moi, j'ai le carré. Il va là? On peut commencer?
EXP Oui.
P Ah ! Ca dépasse la ligne. Ce n'est pas
ça.
H Ben oui, ce n'est pas ça.
P Et là ? Ah non ça dépasse.
EXP Un tout petit peu, ce n'est pas grave
H Voilà !
P Qu'est-ce qu'on peut faire là ?
H Là, elle dépasse. Il ne faut pas dépasser
la ligne. Il ne faut pas dépasser. Non. Ca dépasse.
P Et là ?
H On ne peut pas. Non, non.
EXP On ne peut pas mettre sur les autres formes. Il doit y en
avoir une qui n'est pas au bon endroit.
H Celle-là ne va pas. Là, ça
dépasse.
P Oui ça dépasse encore. Elle ne rentre pas
là, H..
H On la met où ?
P Là ?
P Ca, c'est pour faire quoi ?
EXP C'est pour enregistrer.
P ah ouais? C'est à toi ?
EXP Oui.
P Oh ! C'est dommage. Et tu t'appelles Sarah ?
EXP Oui.
P Moi, je connais une autre Sarah
H Où on peut mettre celle-là ?
EXP Vous vous souvenez comment on peut mettre les
formes ?
H Oui
P Et après comment on va faire ? Ca dépasse
encore.
H Attends.
H Ouais ! Là, elle rentre.
P Elle rentre!
TR 230 secondes
6 B/O
B Ca, c'est un triangle, il peut aller où...
O Un triangle. Un grand.
B Un grand triangle, il va ici. Un carré, un petit
triangle, un grand triangle...
B Non, O., il ne va pas ici.
O Là...
B Il est où le petit triangle...ah oui, bien
José ! Il va ici le petit triangle. Attends... comment on peut le
mettre... comment on peut le mettre celui-là ? Ah Oui ! Je
sais. On peut le mettre comme ça. Et le carré va
déjà ici. Et le petit triangle, il va où ?
O Et ça...ici.
B Ca, c'est difficile, dis donc.
O C'est comme ça. Voilà ! Fini !
B Non, on n'a pas fini. Regarde, le losange ne rentre pas
là.
EXP Vous vous souvenez comment on peut mettre les formes ?
On peut les mettre dans tous les sens et de quels côtés ?
O Comme ça...voilà !
B Voilà, on a fini.
EXP Et puis là ?
B On a fini mais on ne trouve pas....
EXP Mais si, il en reste une là, elle était un peu
cachée sous la feuille.
B Ah! Du côté gris... voilà !
EXP Non, il reste du jaune encore, là.
B Alors...
TR 185 secondes
7 I-K
K Moi, j'ai le carré. Ce n'est pas toi qui le prends. Moi,
j'ai déjà réussi.
I Celui-là, je ne sais pas où il va.
K Celui-là...je ne sais pas !
I Je me suis trompé. Ca ne va pas là. Il est trop
grand. J'ai bougé le carré. Peut-être que...
I prend une forme dans les mains de K.
K Quoi ? Quoi ? Quoi ?
EXP Il dépasse de ce côté.
I Après tu nous raconte une histoire ?
EXP Oui, et la dernière forme?
TR 139 secondes
8 Q-R
R Où ça va là...
Q Non, là, ça ne va pas du tout.
EXP Le contour de la forme n'est pas sur le trait.
EXP Est-ce qu'on a le droit d'en mettre une sur l'autre ?
R Non.
EXP Alors, comme elle ne rentre pas, à moins d'en mettre
une sur l'autre, il y en a sûrement une au mauvais endroit.
R Comme ça.
Q Ca ne va pas ici. Je ne pense pas qu'elle va là. Elle va
pas comme ça.
Q secoue la tête négativement.
R Non, elle dépasse.
TR 300 secondes
Calculs
Hypothèse 1a
Calcul du t de Student du temps de
résolution
- Variance de G+ = 1 (400334 - 14142)= 1 (400334
-1999396) = 8-1 8
7 8
1 (400334 -249924.5) = 150409.5 = 21487.07
7 7
S G+= v21487.07 = 146.58 S G+ sans la
dyade L-A= 41.3
s2= 7 (21487.07) + 7 (4033.43)= 150409.49 +
28234.01=178643.5 = 12760.25
14 14 14
- Variance de G- = 1 (392892 - 17082)= 1 (392892
-2917264) = 8-1 8 7 8
1 (392892 - 364658) = 28234 = 4033.43
7 7
SG-= v4033.43 = 63.5
m G+= 176.75 m G+ sans la dyade L-A=
100.3
m G -= 213.5
t= 176.75- 213.5 = -36.75 = -36.75 = 0.65
v12760.25 (1/4) v3190.06 56.48
Lien entre le résultat à l'histoire 1 et
l'utilisation des verbes mentaux
G+
|
N
|
M
|
L
|
A
|
E
|
G
|
D
|
M
|
|
1
|
0
|
9
|
10
|
3
|
3
|
0
|
0
|
G-
|
H
|
P
|
B
|
O
|
I
|
K
|
Q
|
R
|
|
0
|
0
|
2
|
0
|
2
|
2
|
1
|
0
|
S G+= v1/8(200-676/8)= v1/8(200-84.5)= v115.5/8=
v14.44=3.8
SG-= v1/8(13-49/8)=
v1/8(13-6.13)= v1/8(6.87)=
v0.86=0.93
S^=7 (3.8)+ 7(0.93) = 26.26+ 6.51 = 32.77 = 2.34
14 14 14
t= 3.25-0.88 = 2.37 = 0.77
v (1/4) (2.34) v 0.59
Oppositions
Oppositions dans la dyade 1 N : 0 M : 0
Oppositions dans la dyade 2 E :2 G : 2
Oppositions dans la dyade 3 L :13 A :10
Oppositions dans la dyade 4 D : 0 M : 0
Oppositions dans la dyade 5 H : 2 P : 0
Oppositions dans la dyade 6 B : 2 O : 0
Oppositions dans la dyade 7 K : 0 I : 0
Oppositions dans la dyade 8 Q : 2 R : 1
Calcul du lien entre les oppositions et les verbes
mentaux utilisés
INDIVIDU
|
A
|
B
|
C
|
D
|
E
|
F
|
G
|
H
|
I
|
J
|
K
|
L
|
M
|
N
|
O
|
P
|
Q
|
R
|
V
|
10
|
2
|
ABS
|
0
|
3
|
ABS
|
3
|
0
|
2
|
ABS
|
2
|
9
|
0
|
1
|
0
|
0
|
1
|
0
|
Oppositions
|
10
|
2
|
ABS
|
0
|
2
|
ABS
|
2
|
2
|
0
|
ABS
|
0
|
13
|
0
|
0
|
0
|
0
|
2
|
1
|
Calcul de r vo = 235 - 34*35
16 =235-74.38
v (290-1156) (213-1089) v (290-72.25) (213-68.06)
16 16
=160.62 =160.62 =160.62 = 0.9
v217.75*144.94 v31560.69 177.65
Calcul du lien entre le temps de résolution et
les oppositions
Calcul de r to = 11688 - 3158*34
16 = 11688-6710.75
v (764257-9972964) (290-1156) v (764257-623310.25) (290-72.25)
16 16
=4977.25 =4977.25 =4977.25 = 0.8
v140946.75*217.75 v30691154.81 6196.82
Calcul du lien entre le temps de résolution et les
verbes mentaux
Calcul de r tv = 9961 - 3158*35
16 = 9961-6908.13
v (764257-9972964) (213-1089) v (764257-623310.25)
(213-68.06)
16 16
=3052.87 = 3052.87 = 3052.87 = 0.68
v140946.75*144.94 v20428821.95 4519.83
Hypothèse 2a
Calcul du Khi 2
|
Histoire 2
|
Histoire 1
|
Réussi
|
échoué
|
réussi
|
3.73
|
3.27
|
échoué
|
4.27
|
3.73
|
Effectifs observés Effectifs
théoriques
|
Histoire 2
|
|
Histoire 1
|
réussi
|
échoué
|
total
|
réussi
|
5
|
2
|
7
|
échoué
|
3
|
5
|
8
|
total
|
8
|
7
|
15
|
X2= (5-3.73)2 + (2-3.27)2 +
(3-4.27)2 + (5-3.73)2= 0.43 + 0.49 + 0.38 + 0.43 = 1.73
3.73 3.27 4.27 3.73
Avec un degré de liberté et au seuil á
0.05, X2 á =3.84
X2 (1.73) < X2 á (3.84). Comme
le X2 est plus petit que le seuil, il n'y a pas de différence
significative entre les différentes réponses. On ne peut pas
rejeter l'hypothèse nulle au seuil á= 0.05
5. Résultats bruts
5.1. Résultats concernant l'histoire 1
Tableau 1 : Réponses à l'histoire 1
INDIVIDU
|
A
|
B
|
C
|
D
|
E
|
F
|
G
|
H
|
I
|
J
|
K
|
L
|
M
|
N
|
O
|
P
|
Q
|
R
|
RESULTAT
|
R
|
E
|
E
|
R
|
R
|
E
|
R
|
E
|
E
|
E
|
E
|
R
|
R
|
R
|
E
|
E
|
E
|
E
|
R= 7 individus E= 11 individus
Création des groupes G+ et G-
Comme C. n'a pas compris les questions, il n'a pas
participé à la suite de l'expérimentation. De plus, deux
enfants (F et J) étaient malheureusement absents lors de la seconde
partie de la recherche. Ces résultats permettent de former les groupes
suivants :
G+ : Comme il y a un nombre impair d'enfants dans ce
groupe, un enfant (M) a participé deux fois au tangram.
G+<S8 Ce groupe comprend les quatre dyades
suivantes :
N-M E-G
L-A D-M
G-<S10 Ce groupe comporte quatre dyades en raison des
absents :
P-H I-K
B-O Q-R
5.2. Résultats concernant le temps de
résolution
Tableau 2 : Temps de résolution pour chaque
dyade
groupes
|
Dyades
|
TR
|
G+
|
N-M
|
91
|
|
E-G
|
155
|
|
L-A
|
406
|
|
D-M
|
55
|
G-
|
H-P
|
230
|
|
B-O
|
185
|
|
I-K
|
139
|
|
Q-R
|
300
|
m G+ : 176.55 secondes
m G- : 213.5 secondes
La moyenne du groupe ayant répondu correctement
à la question après l'histoire 1 est légèrement
plus basse que celle de l'autre groupe.
5.3. Résultats concernant le nombre de verbes
mentaux utilisés
Tableau 3 : nombre de verbes mentaux par individu
INDIVIDU
|
A
|
B
|
C
|
D
|
E
|
F
|
G
|
H
|
I
|
J
|
K
|
L
|
M
|
N
|
O
|
P
|
Q
|
R
|
V
|
10
|
2
|
ABS
|
0
|
3
|
ABS
|
3
|
0
|
2
|
ABS
|
2
|
9
|
0
|
1
|
0
|
0
|
1
|
0
|
5.4.
Résultats concernant les oppositions
Tableau 4 : Nombre d'oppositions par individu
INDIVIDU
|
A
|
B
|
C
|
D
|
E
|
F
|
G
|
H
|
I
|
J
|
K
|
L
|
M
|
N
|
O
|
P
|
Q
|
R
|
Oppositions
|
10
|
2
|
ABS
|
0
|
2
|
ABS
|
2
|
2
|
0
|
ABS
|
0
|
13
|
0
|
0
|
0
|
0
|
2
|
1
|
5.5. Résultats concernant l'histoire 2
Tableau 5 : Réponses à l'histoire
2
INDIVIDU
|
A
|
B
|
C
|
D
|
E
|
F
|
G
|
H
|
I
|
J
|
K
|
L
|
M
|
N
|
O
|
P
|
Q
|
R
|
RESULTAT
|
R
|
E
|
ABS
|
R
|
E
|
ABS
|
R
|
E
|
R
|
ABS
|
R
|
R
|
E
|
R
|
E
|
E
|
E
|
R
|
3 absents
7 réponses fausses
8 Réponses correctes
|