LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT DES
CAPITAUX :
QUELS ENJEUX ?
La lutte contre le Blanchiment de capitaux,
thème majeur de réflexion et de politique à
l'échelle internationale, constitue pour le Maroc comme pour de nombreux
pays une composante essentielle de la coopération internationale.
La stratégie internationale de lutte contre
le blanchiment indique que les activités du blanchiment d'argent
inquiètent aussi bien les pays industriels que les pays en
développement.
Pour, d'une part, se conformer aux
législations et chartes internationales et répondre à
l'urgence d'une coopération internationale en la matière et,
d'autre part, lutter contre cette pratique qui nuit à l'économie
ainsi qu'à l'image du Maroc et à sa capacité d'attirer des
investissements étrangers, notre pays a récemment adopté
la loi contre le blanchiment des capitaux et le financement du
terrorisme.
Si les objectifs recherchés visent
globalement à préserver l'intégrité du
système financier international et à empêcher les criminels
de tirer profit de leurs actes, ils visent en particulier à couper les
terroristes de leurs sources de financement.
Etant donné l'importance de ses enjeux, au
niveau tant international que national, nous avons choisi cette
problématique comme thème de cette conférence sous
l'intitulé :« la lutte contre le blanchiment : quels
enjeux ? ». Loin d'être le fruit d'un hasard, ce
questionnement voudrait, à côté de l'éclairage que
nous allons tenter d'apporter, susciter un débat autour de cette
question brûlante d'actualité.
Présentation du plan :
PLAN
Introduction
I. LE BLANCHIMENT DES CAPITAUX
A. Compréhension du concept de
blanchiment
1. Définition
2. Description du processus
a.
Prélavage/placement/immersion
b. Lavage/empilement/dispersion
c.
Essorage/recyclage/intégration
3. Principales origines du blanchiment
4. Importance des flux financiers
générés par l'argent blanchi
B. Evolution du Blanchiment des capitaux
1. Aperçu historique
2. Le blanchiment dans un contexte évolutif et
globalisé
II. LES ENJEUX ECONOMIQUES DU BLANCHIMENT DES CAPITAUX
A. La déstabilisation du secteur
privé
B. L'atteinte à l'intégrité des
marchés financiers
C. Les effets de distorsion et l'instabilité
économiques
D. Augmentation des dépenses publiques et effet
corrosif sur la société
III.LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT : UN ENJEU
MONDIAL
A. Le Groupe d'Action Financière contre le
blanchiment des capitaux (GAFI)
1. Les recommandations du GAFI
2. Révision des recommandations
3. L'évaluation des dispositifs de lutte contre le
blanchiment
4. La liste des Pays et Territoires Non
coopératifs (PTNC)
5. Le GAFI et la lutte contre le terrorisme
B. Le groupe EGMONT : L'internationale du
renseignement financier
C. Le rôle du FMI
D. Le Comité de Bâle : Les nouvelles
réglementations relatives aux établissements
financiers
IV CADRE JURIDIQUE DE LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT
AU MAROC
A. La loi 43-05 contre le blanchiment de
capitaux
1. Les fondements de la nouvelle loi
2. L'Unité de Traitement du Renseignement
Financier
a) Bref aperçu sur l'Unité
b) La campagne de sensibilisation
B. Dispositif mis en place par Bank Al Maghrib pour
lutter contre le blanchiment d'argent
C. Conformité du dispositif national aux normes
internationales
INTRODUCTION
Face aux préoccupations croissantes que suscite
le blanchiment des capitaux, le Groupe d'action financière sur le
blanchiment de capitaux (GAFI) a été créé lors du
Sommet du G-7 à Paris en 1989 afin de mettre au point une action
coordonnée à l'échelle internationale à
l'égard de ce domaine phénomène. Le GAFI travaille en
étroite coopération avec d'autres organismes internationaux
participant à la lutte contre le blanchiment de capitaux.
Si le blanchiment d'argent existe depuis longtemps,
les attentats du 11 septembre 2001 ont en grande partie contribué au
renforcement de l'action concertée entre Etats pour la lutte contre le
blanchiment en même temps que pour la lutte contre le terrorisme et son
financement.
Les fonds illicites permettraient en effet aux
blanchisseurs de financer de multiples autres activités criminelles. Par
ailleurs, le blanchiment des capitaux encourage la corruption, influence de
façon négative la prise de décisions dans le domaine
économique et menace l'intégrité des institutions
financières. Le caractère imprévisible du blanchiment de
l'argent rend plus difficile l'application d'une politique économique
judicieuse.
Avant de développer les principaux
enjeux de la lutte contre le blanchiment nous allons passer en revue certains
aspects de ce véritable fléau.
I. LE BLANCHIMENT DES CAPITAUX
A. Compréhension du concept de blanchiment
1. Définition
De nombreuses définitions du blanchiment ont
été formulées. Celui-ci a été notamment
défini comme étant :
«...un processus par lequel on dissimule
l'origine criminelle de fonds en faisant en sorte que cet argent acquis de
manière illégale paraisse acquis de manière légale
et ce, en l'introduisant dans un circuit économique
régulier.»
« C'est l'activité criminelle qui a
pour but de dissimuler, d'obscurcir l'origine illicite d'un bien pour permettre
à son auteur d'en jouir en toute légalité, de le faire
fructifier ou de financer d'autres activités criminelles par la
suite. »
Bien que les définitions données
paraissent claires, la notion de blanchiment d'argent n'est pas simple à
saisir dans sa pratique.
En effet, ce phénomène met en jeu des
techniques financières et utilise des processus économiques
souvent complexes et de nature transnationale afin de réinvestir de
l'argent acquis de manière illégale tout en brouillant les
pistes.
Il convient d'opérer la distinction entre
l'argent « sale », fruit d'activités criminelles et
illégales (drogue/armes/exploitation de la personne
humaine-prostitution, trafic
d'organes...) et l'argent « noir », fruit
d'activités légales mais non déclaré aux
autorités (fraude/évasion fiscale).
2. Description du processus de blanchiment
Le blanchiment est en général
effectué en trois phases :
a. Le placement ou l'immersion
(également appelé le prélavage) :
Cette première étape consiste à
introduire les fonds à blanchir dans le système financier. Cela
peut se faire en fractionnant de fortes quantités d'espèces
pour obtenir des sommes plus petites et moins suspectes qui sont alors
déposées directement sur un compte bancaire, ou en se
procurant divers instruments monétaires (chèques, ordres de
virement, etc.) qui sont ensuite collectés et déposés sur
des comptes en d'autres lieux (c'est à ce stade que le processus de
blanchiment est le plus vulnérable);
b. L'empilement/dispersion (le
lavage):
Cette deuxième étape consiste à
procéder à une série de conversions ou de
déplacements des fonds pour les éloigner de leur source. Les
fonds peuvent ainsi être transférés à travers
l'achat ou la vente d'instruments de placement (obligations, bons du
Trésor etc.) ou encore le blanchisseur peut se contenter de les virer
sur une série de comptes ouverts auprès de diverses banques
à travers le monde. Dans certains cas, le blanchisseur peut masquer les
transferts sous forme de paiements de biens ou de services, ce qui lui permet
de donner aux fonds une apparence légitime.
c. Le
recyclage/intégration (le lavage):
Cette troisième et dernière étape
revient à réintroduire les sommes blanchis dans l'économie
après leur avoir donné une légitimité. En effet,
l'intégration permet de réinsérer le produit des
opérations de dispersion dans l'économie de manière
à ce qu'ils apparaissent comme les profits légaux d'une
activité économique officielle (investissement dans des circuits
économiques officiels : immobilier, tourisme, finance).
Schéma du processus de
blanchiment
Trafics illicites et autres actes de criminalité
organisée
Criminalités transnationales
Criminalités économiques et
financières
Corruption
//==> Blanchiment
En AVAL:
Dissimulation et
recyclage des produits
d'activités criminelles
Continuation
d'activités criminelles
|
liens avec
l'économie
légale
|
3. Principales origines du blanchiment
Le blanchiment implique généralement une
multiplicité de transactions ayant pour but de dissimuler l'origine de
gains financiers afin qu'ils puissent être utilisés en toute
impunité par leurs détenteurs.
Initialement né de la production et de la
commercialisation de stupéfiants, le blanchiment de capitaux
émane de bien d'autres crimes, comme les détournements de fonds,
la corruption, le chantage ou le trafic d'êtres humains, la
criminalité informatique pour n'en citer que quelques-uns.
Selon certaines estimations la moitié provient
du commerce illégal de stupéfiants. L'autre moitié vient
de multiples autres sources qui vont de la fraude à l'extorsion.
Le phénomène de Blanchiment n'a pas
seulement évolué quant à la diversité de l'origine
des fonds apportés pour être recyclés. Le processus a pu
innover et prospérer en utilisant les moindres failles et
défaillances du système économique mondial et ce, au sein
d'une intensité croissante des réseaux bancaires et de
l'importance prise par les marchés boursiers.
4. Paradis fiscaux offshore et secret
bancaire
Les services offerts par les multiples
établissements bancaires implantés dans les paradis
réglementaires et les centres financiers off-shore sont
particulièrement appréciés par les blanchisseurs. Il est
à noter que ces territoires sont surtout connus pour leurs avantages
fiscaux ; cela étant, ils attirent d'abord les blanchisseurs en
raison de l'extrême simplicité des règles applicables pour
la création et la gestion des sociétés de tous types.
Il en résulte que plusieurs millions de
sociétés sont aujourd'hui domiciliées dans quelques
dizaines de paradis financiers ; la très grande majorité
d'entre elles peuvent être qualifiées de
sociétés-écran : il s'agit d'entités dont
l'existence a pour but de dissimuler l'identité de ceux qui les
possèdent ou les contrôlent. Les dirigeants occidentaux ont certes
multiplié, depuis quelques années, les déclarations
officielles pour dénoncer les conséquences de cette situation,
mais leurs propos n'ont pas été suivis, pour l'instant, de
mesures concrètes.
L'existence de banques offshore, dans des paradis
fiscaux qui assurent le secret à leurs clients, a permis aux trafiquants
de drogues d'élaborer de complexes réseaux internationaux. Le FMI
qualifie de «grands centres offshore» les pays suivants :
Antilles néerlandaises, Bahamas, Bahreïn, Hong Kong, îles
Caïmanes, Panama et Singapour. Il existe aussi des centres offshore
secondaires : Dublin, Chypre, Madère, Malte, Malaisie (île
Labaun) et Thaïlande (Centre bancaire international de Bangkok).
Près de 40 pays situés dans toutes les parties du monde sont
considérées comme des paradis fiscaux qui garantissent le secret
à leurs clients.
5. Importance des flux financiers
générés par le blanchiment
Par sa nature même, le blanchiment de capitaux
est en dehors du champ normal couvert par les statistiques économiques.
Néanmoins, comme pour d'autres aspects de l'activité
économique souterraine, on a pu avancer des estimations afin de donner
une idée de l'ampleur du problème.
D'après le Fonds monétaire international
(FMI), le volume annuel des opérations de blanchiment dans le
représente entre 2% et 5% du PIB mondial.
Le trafic de stupéfiants représenterait
34% de l'argent blanchi, la fraude douanière (19%) et les autres
activités criminelles telles que la corruption, le vol, le trafic
d'êtres humains, le trafic d'organes... (46%). Quant au terrorisme il ne
représenterait que 1%.
Le Programme des Nations Unies pour le contrôle
international des drogues (PNUCID) estime que le trafic illicite des drogues
produit chaque année environ 400 milliards de dollars de vente au
détail, soit près du double du revenu de l'industrie
pharmaceutique mondiale ou 10 fois environ le montant total de l'aide publique
au développement.
On peut déjà en conclure que ce
problème, qui émane bien plus que de l'argent provenant du trafic
des stupéfiants, est difficilement chiffrable. C'est une activité
criminelle et toute activité criminelle ne prospère que si elle
se fait dans l'ombre et n'est pas mesurable.
Après avoir évoqué
certains aspects du blanchiment d'argent il importe pour mieux cerner ce
véritable fléau et saisir la complexité des techniques
utilisées, il importe de retracer l'évolution du blanchiment par
rapport à son environnement.
B Evolution du blanchiment des capitaux
1. Aperçu historique
Historiquement la notion de blanchiment d'argent est
apparue dans les années 20 aux Etats-Unis, à l'époque de
la Prohibition. La première technique utilisée fut de se servir
de laveries automatiques, commerce où les paiements se font par nature
en monnaie fiduciaire, afin de mêler l'argent « sale »,
provenant de la vente illégale d'alcool, à de l'argent «
propre », issu des revenus réguliers de l'activité de
blanchisserie.
Le phénomène a pris de l'ampleur dans
les années soixante-dix, avec la progression des ressources
procurées par les trafics de drogue aux grandes organisations
criminelles.
La criminalité économique a fait son
apparition d'abord pour contourner les législations fiscales et puis
avec le temps et surtout par l'avancée des techniques modernes elle est
devenue un domaine où le crime organisé est source de gains
énormes.
Les principaux besoins de blanchiment sont directement
liés aux activités de la criminalité organisée dont
le développement est caractérisé par un double mouvement
de diversification et d'internationalisation. Les voies, les moyens et les
lieux utilisés pour la réalisation d'opérations de
blanchiment sont très variés ; cela étant, l'objectif
recherché est toujours le même : l'optimisation des conditions
dans lesquelles les capitaux à recycler pénètrent dans les
circuits de l'économie légale.
En se développant de manière très
importante, depuis une vingtaine d'années le blanchiment a peu à
peu délaissé les structures archaïques et nationales pour
adopter et utiliser des organisations flexibles, tournées vers
l'international (emploi de managers et conseillers spécialisés,
déploiement de stratégies d'accords, programmation de
coûts, profits et investissements par la recherche d'une
rentabilité économique).
2. Le blanchiment dans un contexte évolutif et
globalisé
Le Blanchiment d'argent est un phénomène
ancien dans son concept mais dont les modalités de mise en oeuvre sont
récentes et évolutives. Les modalités du blanchiment sont
à l'image du système financier moderne : évolutives,
sophistiquées et internationales.
Dans le sillage de la mondialisation et de la
libéralisation des échanges, les syndicats du crime
organisé et des individus entreprenants tirent profit de l'ouverture des
frontières, de la privatisation, des zones de libre échange, de
la faiblesse de certains Etats, de l'existence de banques offshore, des
transferts financiers électroniques et des techniques bancaires de
l'âge cybernétique pour blanchir chaque jour des millions de
dollars de profits tirés des trafics tout genre notamment les
stupéfiants.
La réalité de cette mondialisation
s'étant traduite par un accroissement considérable du volume des
transactions financières, le processus de blanchiment d'argent a connu
des transformations, au niveau de son organisation et de ses techniques
d'acheminement, pour s'adapter à la nouvelle donne économique et
continuer d'être rentable aux yeux des trafiquants et autres groupes
criminels organisés.
Le domaine de la Finance s'est en effet
profondément transformé sous l'impulsion d'échanges et de
rapatriements transnationaux de capitaux et de services. La croissance
exceptionnelle des marchés financiers internationaux (les transactions
quotidiennes sur les seuls marchés des changes portent sur près
de 1 500 milliards de dollars), favorisée par l'essor des technologies
de l'information et de la communication, a ainsi provoqué de profondes
et durables ruptures.
L'intégration des pays au sein de
l'économie mondiale, se traduisant par une mobilité accrue des
capitaux et par le développement rapide des nouveaux moyens de paiements
associés aux nouvelles technologies de l'information, tend à
offrir des outils de plus en plus sophistiqués permettant de blanchir le
produit de l'argent du crime tout en préservant l'anonymat des
transactions.
L'examen du processus du blanchiment et de son
caractère évolutif montre la complexité de ce
phénomène, dont la menace peut être également
perçue à travers ses conséquences négatives sur les
secteurs économique et financier.
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