D. Des résultats d'activités
relativement performants mais une affectation de la valeur ajoutée peu
favorable aux salariés.
Incontestablement, Casino est un exemple de réussite,
de celles qui restent dans les annales des histoires d'entreprise et des sagas
familiales d'entrepreneurs cités en exemple. Pourtant, à travers
les analyses que nous venons d'évoquer, on voit bien le danger d'une
simplification réductrice dont la distinction, voire l'opposition, entre
« l'économique et le social » est porteuse.
Il nous paraît donc utile, d'explorer les performances
de l'entreprise en confrontant plusieurs indicateurs différents
permettant de les évaluer au regard des intérêts de ses
différents acteurs.
a) Des indicateurs de productivité apparente du
travail qui montrent une forte tendance à son intensification
Les rendements de la surface de vente en chiffre d'affaires
et en valeur ajoutée, ont affiché (fig. 41) une progression
moyenne jusqu'en 2003, puis une chute sensible dans les deux dernières
années en raison de la conjoncture.
Fig. 41 Fig. 42
145
140
135
130
125
120
115
110
105
100
95
90
85
80
1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Evolution comparée des indices de
productivité de la surface de vente
CA / m2 (K€ constants)
VA / m2 (K€ constants)
Linéaire (VA / m2 (K€ constants))
y = 0,2303x + 98,913
y = 0,1658x + 101,08
145
140
135
130
125
120
115
110
105
100
95
90
85
80
1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Evolution comparée des indices de
productivité des salariés par m2
y = 3,5309x + 91,31
Surface de vente / salarié (m2) Surface de
vente / HT (m2)
y = 2,0058x + 93,097
Indicateurs
|
1994
|
1995
|
1996
|
1997
|
1998
|
1999
|
2000
|
2001
|
2002
|
2003
|
2004
|
2005
|
Surface de vente en milliers de m2
|
100,0
|
96,9
|
100,6
|
103,4
|
106,3
|
107,3
|
107,4
|
108,9
|
111,0
|
108,4
|
113,0
|
122,0
|
CA / m2 (K€ constants)
|
100,0
|
102,1
|
98,5
|
96,5
|
95,2
|
97,0
|
100,9
|
105,1
|
106,4
|
109,5
|
102,1
|
91,4
|
VA / m2 (K€ constants)
|
100,0
|
99,5
|
97,4
|
101,0
|
103,9
|
105,9
|
96,7
|
105,7
|
110,0
|
116,6
|
106,5
|
82,5
|
Surface de vente / salarié (m2)
|
100,0
|
97,0
|
98,2
|
99,5
|
101,0
|
104,7
|
107,0
|
110,1
|
110,1
|
106,4
|
114,1
|
125,5
|
Surface de vente / HT (m2)
|
100,0
|
99,0
|
101,6
|
104,4
|
106,4
|
109,5
|
111,8
|
123,4
|
123,7
|
121,0
|
128,8
|
141,5
|
|
Source : Bilans financiers Casino 1992 - 2005 et calculs
personnels
C'est ainsi, qu'en 2005, on observe un CA au m2 en
baisse de -8,6% par rapport à 199452 en € constants et
une VA au m2 en baisse de -17,5% sur la même période.
Ces résultats sont confirmés par l'évolution de
l'efficacité du capital (VA / Total Immobilisations brutes) dont la
tendance lourde à la baisse se traduit par un ratio divisé par 3
depuis 1992, même si on assiste à une stabilisation depuis
2001.
Fig. 43 Fig. 4453
180%
170%
160%
150%
140%
130%
120%
110%
100%
40%
90%
80%
70%
60%
50%
1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
2005
Evolution comparée de
l'éfficacité du capital et de la productivité apparente
du travail (1 992-2005
Efficacité du capital (VA/Immo B) VA / FP
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
2005
Evolution comparée de la rentabilité
économique et de celle des capitaux propres (1 992-2005
Rentabilité capitaux propres (Profit total net / CP)
Rentabilité économique (EBE/CP)
Ratios financiers
|
1992
|
1993
|
1994
|
1995
|
1996
|
1997
|
1998
|
1999
|
2000
|
2001
|
2002
|
2003
|
2004
|
2005
|
Rentabilité économique (EBE/CP)
|
23,1%
|
5,6%
|
42,0%
|
38,6%
|
42,3%
|
52,3%
|
65,1%
|
68,9%
|
27,7%
|
37,0%
|
41,7%
|
38,8%
|
15,7%
|
8,4%
|
Rentabilité capitaux propres (Profit total net / CP)
|
5,0%
|
0,9%
|
12,4%
|
8,6%
|
12,3%
|
17,3%
|
23,7%
|
24,7%
|
8,6%
|
17,4%
|
17,3%
|
13,9%
|
7,5%
|
5,4%
|
Efficacité du capital (VA/Immo B)
|
168,5%
|
118,6%
|
93,4%
|
83,5%
|
81,6%
|
78,7%
|
80,7%
|
78,3%
|
49,1%
|
53,7%
|
54,8%
|
54,4%
|
56,4%
|
56,4%
|
VA / FP
|
123,6%
|
127,1%
|
126,3%
|
127,1%
|
128,9%
|
134,2%
|
139,0%
|
141,0%
|
147,3%
|
157,6%
|
160,1%
|
163,8%
|
162,8%
|
162,8%
|
|
Source : Bilans financiers Casino 1992 - 2005 et calculs
personnels
A l'inverse, on peut relever une forte augmentation du nombre
moyen de m2 par salarié qui progresse sur la période
de +25,5% et pour le nombre de m2 par heure travaillée de
+41,5%. Il s'agit d'un premier indice d'une intensification du travail,
corroboré par l'évolution du ratio Valeur ajoutée / Frais
de personnel qui mesure l'évolution de la productivité apparente
du travail d'un point de vue comptable (fig.43). La parole des salariés
dans l'enquête confirme également ces résultats :
Entreprise
Auchan Carrefour Casino
Charge Trav.
normale trop importante pas assez importante ne sait
pas
52,7%
38,9% 48,8%
2,3% 1,0% 3,4%
6,1% 1,0% 2,9%
49,1%
44,9%
48,7%
TOTAL
100,0% 100,0% 100,0%
TOTAL
46,8%
47,7%
2,7%
2,8%
100,0%
34. - Votre charge de travail est-elle ?
52 Nous n'avons pas pu utiliser la même période
1992-1 994, en raison d'une comptabilisation différente de la surface de
vente et des données comptables suite à l'intégration du
groupe rallye en 1992.
53 Le décrochage des courbes que l'on constate sur ce
graphique n'ont qu'une signification technique et correspondent au changement
de périmètre comptable considéré par Casino en 2000
avec la filialisation qui a séparé les comptes du siège,
des entrepôts et des magasins.
Question 48
N° 343 : « moins de fatigue, plus de temps libre
donc meilleures conditions dans le travail »
N° 7 : « le partage du temps de travail doit
être prioritaire pour le bien être de chacun avec une
réduction du temps de travail sans baisse proportionnelle du salaire
mais aussi comme axe de réflexion contre le chômage
».
N° 14 : « ... effectif convenant à la
charge de travail »
N° 49 : « Avoir plus de loisirs pour être
davantage au service du client. Moins de travail = bonne humeur ».
29. - Qu'est ce qui a le plus changé dans votre
travail depuis votre embauche ?
Chang.Trav.
les technologies l'organisation du travail la baisse des
effectifs la charge de travail ne sait pas
TOTAL
Entreprise
Auchan Carrefour Casino
100,0% 100,0% 100,0%
28,2% 30,5%
22,2%
31,0%
12,9% 12,1% 11,2%
5,6% 1,3% 2,9%
29,2% 30,6%
26,9% 30,0%
25,2%
TOTAL
100,0%
26,9%
29,4%
29,3%
11,6%
2,8%
L'augmentation de la charge de travail et la baisse des
effectifs sont les éléments considérés par les
salariés, comme ceux qui ont le plus changé depuis leur embauche.
Ils sont près de 1 sur 2 (48,7%) à juger leur charge de travail
trop importante (question 34). On notera les aspirations à la
réduction du temps de travail exprimées dans l'enquête
réalisée en 1997, avant l'accord de RTT mis en place en 1999.
Dans le même sens, on peut souligner que cet accord ne s'est nullement
traduit par une baisse de la productivité apparente du travail (fig.
43). C'est au contraire la période où elle a évolué
le plus, ce qui montre que ce sont les salariés qui se sont «
financé » leur RTT par une hausse de productivité,
malgré les dispositions de l'accord sur la stabilisation des salaires.
L'ensemble de ces résultats, met en évidence une intensification
du travail que l'on peut mettre en relation avec la dégradation de
l'état de santé des salariés54.
Par ailleurs, les indicateurs de rentabilité
économique55 et de rentabilité des
capitaux56 (fig. 44), montrent des évolutions et des niveaux
tout à fait honorables. Cette dernière affiche même un
niveau supérieur aux 20%, admis comme étant la norme d'exigence
des marchés financiers aujourd'hui en 1998 et en 1999. Si les niveaux
ont baissé à partir de 2000, c'est à la fois lié au
changement de périmètre, qui ne comptabilise plus, à
partir de cette date que les magasins57 et à une conjoncture
concurrentielle dégradée depuis cette date.
Il convient, par conséquent, d'expliquer les raisons
de ces données en apparente contradiction, en sachant que la hausse de
la productivité apparente du travail, suggère une
réduction du « coût du travail ».
54 De nombreux travaux ont été
réalisés sur le lien entre intensification, densification du
travail et santé. Nous pouvons citer ISERES (2001), POITOU (2005),
MENAHEM (2000), THERY et coll. (2006), KERGOAT J., BOUTET J., JACOT H.,
LINHARDT D. et coll. (1999), CARTRON D. (1999), BAUDELOT C., GOLLAC M. et
collectif (2002), etc.
55 Nous avons calculé la rentabilité
économique par le rapport entre l'excédent brut d'exploitation
(EBE) et les capitaux permanents.
56 Rapport entre le profit total net et les capitaux propres.
Elle constitue la rémunération de l'actionnaire.
57 La création du groupe CASINO, qui fait figure de
holding en 2000, absorbe une partie de la rentabilité, notamment, par le
biais des frais de groupe qui lui sont versés (comptabilisés dans
les charges externes).
Fig. 45 Fig. 46
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
2005
Evolution de la répartition en % de la Valeur
ajoutée (1992-2005)
Coût personnel
(Salaires+Cotis.+Intér.+Particip.)
Etat (Impôts exploit.+Impôts
bénéf.-Subventions exploit.)
Profit total net
660
610
560
510
460
410
360
310
260
210
160
110
60
1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
2005
Evolution comparée du coût du personnel
avec le profit et les dividendes (1 992-2005)
Montant total distribué aux actionnaires
Profit total net
Coût personnel
(Salaires+Cotis.+Intér.+Particip.)
y = 44,567x - 6,0704
y = -0,7518x + 93,305
y = 18,344x + 63,949
Répartition de la VA (en %)
|
1992
|
1993
|
1994
|
1995
|
1996
|
1997
|
1998
|
1999
|
2000
|
2001
|
2002
|
2003
|
2004
|
2005
|
Coût personnel
(Salaires+Cotis.+Intér.+Particip.)
|
83,4%
|
80,5%
|
79,7%
|
78,1%
|
76,7%
|
75,6%
|
71,9%
|
69,4%
|
70,9%
|
64,6%
|
64,0%
|
62,8%
|
59,5%
|
66,9%
|
Etat (Impôts exploit.+Impôts
bénéf.-Subventions exploit.)
|
7,2%
|
7,7%
|
7,5%
|
9,3%
|
10,9%
|
12,6%
|
10,7%
|
11,9%
|
13,8%
|
14,7%
|
13,8%
|
13,8%
|
13,0%
|
7,9%
|
Profit total net
|
9,4%
|
11,8%
|
12,9%
|
12,6%
|
12,4%
|
11,8%
|
17,4%
|
18,7%
|
15,3%
|
20,7%
|
22,2%
|
23,4%
|
27,4%
|
25,2%
|
|
€ constants 2005 par salarié
|
1992
|
1993
|
1994
|
1995
|
1996
|
1997
|
1998
|
1999
|
2000
|
2001
|
2002
|
2003
|
2004
|
2005
|
Coût personnel
(Salaires+Cotis.+Intér.+Particip.)
|
100,0
|
93,8
|
91,3
|
87,5
|
85,6
|
86,3
|
87,0
|
88,8
|
75,6
|
85,2
|
87,3
|
87,3
|
86,0
|
85,6
|
Profit total net
|
100,0
|
123,2
|
139,4
|
130,5
|
129,8
|
126,8
|
197,9
|
224,6
|
171,9
|
249,8
|
278,7
|
298,1
|
359,6
|
293,2
|
Montant total distribué aux actionnaires
|
100,0
|
96,3
|
165,2
|
111,9
|
155,8
|
215,6
|
290,9
|
316,3
|
306,5
|
581,4
|
562,5
|
525,5
|
675,8
|
490,8
|
|
Source : Bilans financiers Casino 1992 - 2005 et calculs
personnels
Problèmes méthodologiques dans le calcul
des soldes intermédiaires de gestion :
La valeur ajoutée : Elle est le
résultat du solde entre le chiffre d'affaires et les consommations
intermédiaires (achats consommés + charges externes).
Mais les normes comptables ne permettent pas toujours une
bonne appréciation économique des grandeurs utilisées dans
les comptes sociaux des entreprises. Les principales difficultés sont
liées au classement des différents postes de charges externes.
Par exemple, les rémunérations des personnels
intérimaires et celui des entreprises sous-traitantes figurent dans ces
dernières. Il convient, par conséquent, quand c'est possible de
les reclasser dans les coûts de personnel. La plupart des experts
comptables, le font dans leurs rapports sur les comptes annuels pour les
comités d'entreprise.
D'autres postes, peuvent contribuer à minorer la valeur
ajoutée et, par conséquent, le résultat d'exploitation. On
peut citer, notamment :
· Les redevances immobilières, notamment, dans le
cas où le propriétaire des locaux est lié à
l'actionnaire principal, ce qui peut faire évoluer les loyers selon des
critères autres que celui du prix de marché.
· Les frais de siège et autres frais versées
à des filiales appartenant au même groupe, dont la
réalité peut être discutée.
Dans le cas de Casino, on ces difficultés, du fait
d'un niveau de détail insuffisant dans les données
financières que nous avons pu traiter. On a pu, néanmoins,
surmonter ces difficultés, en rapprochant certaines données non
comptables (par exemple le nombre des intérimaires et le nombre de
salariés dépendant d'entreprises extérieures (obtenues
dans les bilans sociaux) pour vérifier que cela n'altérait pas la
pertinence de nos analyses.
Le coût du travail : Nous l'avons
calculé en additionnant les salaires et traitements, les cotisations
sociales, l'intéressement et la participation et après
déduction des 10 plus hauts salaires de l'entreprise que nous avons
réintégré dans le profit total net.
Le profit total net : Nous l'avons
calculé en déduisant le coût du travail et les impôts
(d'exploitation et des sociétés) de la valeur ajoutée et
en ajoutant les résultats financier et exceptionnel. Il permet ainsi de
mesurer le profit total net disponible pour les actionnaires et pour le
financement de l'entreprise.
|
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ISST - Paris I - DEA Politiques Sociales et
Société 2006 / D. Sanchis sous la direction de M. J.M. MONNIER
79
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