§ II. Etats et personnes morales de droit public :
parties à la convention
- On examinera les données du problème (A) puis l'on
envisagera les éléments de sa solution (B).
-
- A. Données du problème
- 1. La présentation générale
- Il faut commencer par rappeler que l'aptitude à compromettre des
personnes morales de droit public est parfois considérée comme
l'arbitrabilité subjective ou rationae personae. En
doctrine, l'arbitrabilité subjective est celle qui dépend de la
réponse à la question : qui peut compromettre ? En
raison de la qualité de l'une des parties à la convention
d'arbitrage, qu'il s'agisse de l'Etat ou d'un organisme public, le
législateur exige parfois qu'ils soient exclusivement soumis à la
juridiction étatique105(*) dans le but de respecter la souveraineté de
l'Etat concerné. Cette position sur la qualification de
l'arbitrabilité subjective est partagée, en la doctrine, par
plusieurs auteurs.
- Quant à certains d'autres, ils préfèrent de dire que
cette question ne relève pas de l'arbitrabilité au sens strict du
terme. Ils raisonnent à partir de l'idée formulée par M.
C. Jarrosson et reprise plusieurs fois par autres auteurs, selon laquelle la
seule et véritable arbitrabilité est celle dite objective ;
l'arbitrabilité subjective est un abus de langage et recouvre une autre
notion, qui peut résider soit en une règle de capacité
soit en une règle matérielle relative à l'aptitude des
personnes morales à compromettre106(*).
-
- Dans cette optique, notre problématique ne s'arrête pas
à la qualification de l'arbitrabilité subjective. En effet,
l'aptitude à compromettre des personnes morales de droit public doit
être considérée comme étant une catégorie
juridique autonome. L'important est alors de présenter rapidement les
étapes de la reconnaissance de l'aptitude à compromettre des
personnes morales de droit public. Dans un premier temps, la prohibition de
compromettre n'a pas été d'ordre public international, ce qui
fait l'objet de l'étude suivant. Dans un second temps, l'aptitude de
compromettre est reconnue d'ordre public international, ce qui fait l'objet de
l'étude dans la partie suivant (Éléments de solution).
- 2. Les prohibitions de compromettre et ordre public interne
- Le tribunal de grande instance de la Seine a, le 25 juin 1959,
énoncé à propos de l'article 1004 de l'ancien Code de
procédure civile concernant l'interdiction faite à l'Etat
français de compromettre qu' « en permettant aux parties
à un acte de commerce de se soumettre à l'avance par contrat
à la juridiction arbitrale, ladite loi n'a pas dérogé
à la règle antérieure et générale quant
à la qualité et à la capacité requises pour
compromettre107(*). » Cet ancien article prohibait
l'arbitrage pour les « contestations sujettes à la
communication au ministère public » et l'article 83 du
même code y ajoutait « les causes... qui concernent... l'Etat,
le domaine, les communes, les établissements publics... »
- Une telle interdiction peut se justifier par le fait que les personnes
publiques prennent en charge des intérêts publics, la raison
découlant du souci d'éviter que les collectivités
publiques... négligent dans la défense des intérêts
publics qu'elles ont en charge les garanties que seule cette justice (la
justice d'Etat) comporte108(*). Ainsi, selon M. C. Jarrosson, la prohibition de
compromettre relève d'une question qui n'est pas d'ordre juridique mais
d'ordre politique, ce qui veut dire qu'il faut réserver le contentieux
public aux juridictions de l'Etat et d'exclure toute compétence
concurrente (y compris l'arbitrage), c'est-à-dire de réserver le
pouvoir de connaître ces questions au juge étatique.
- C'est la raison pour laquelle on peut conclure que la prohibition de
compromettre est, dans la sphère interne, d'ordre public. Alors, en
effet, le fait que l'Etat ou les personnes morales de droit public ne puissent
valablement se soumettre à l'arbitrage constitue une véritable
hypothèse de non-arbitrabilité du litige précédent
de considérations d'ordre public109(*).
- Quelques d'autres raisons peuvent être retenues. Par exemple, le
Conseil d'Etat est traditionnellement très hostile à l'aptitude
à compromettre des personnes morales de droit public. Mais le
législateur le 9 juillet 1975 a ajouté un second alinéa
à l'article 2060 du code civil disposant que toutefois, des
catégories d'établissements publics à caractère
industriel et commercial peuvent être autorisées par décret
à compromettre110(*).
- La prohibition d'ordre interne peut également se justifier par la
création de règles matérielles de droit international
privé. On peut en citer deux exemples. Il existe, d'une part, la
Convention de Genève du 21 avril 1961, qui dans son article
II § I, dispose que « les personnes morales
qualifiées par la loi qui leur est applicable de personnes morales de
droit public ont la faculté de conclure valablement des conventions
d'arbitrage ». D'autre part, le second traité international
intéressant cette matière est la Convention de Washington du 18
mars 1965 qui a créé le Centre International pour le
Règlement des Différends Relatifs aux Investissements (CIRDI).
Son article 25 s'étend « aux différends d'ordre
juridique entre un Etat contractant... et le ressortissant d'un autre Etat
contractant qui sont en relation directe avec un investissement et que les
parties ont consenti par écrit à soumettre au Centre. »
- On a vu que la justification principale de cette prohibition en droit
interne réside dans la volonté de ne pas permettre aux
personnes publiques d'échapper à la juridiction des tribunaux
spécialement établie pour elles. Deux inconvénients
peuvent être tirés de ce principe. Pour le premier
inconvénient, lorsque le principe est respecté, les personnes
morales de droit public ne peuvent convenir valablement d'une clause
d'arbitrage, souvent proposée par le cocontractant étranger. Pour
le second inconvénient, lorsque le principe n'est pas respecté,
lors de la signature des clauses d'arbitrage, elles se retranchent souvent
derrière cette prohibition pour tenter de se soumettre à
l'arbitrage convenu. L'atteinte à la bonne foi est alors
manifeste111(*).
B. Éléments de solution
- 1. L'aptitude à compromettre et ordre public international
- C'est pour cela que la Cour de cassation a décidé que
« si la prohibition résultant des articles 83 et 1004 du Code
de Procédure civile est d'ordre public interne, elle n'est pas d'ordre
public international et ne met pas obstacle à ce qu'un
établissement public soumette, comme pourrait le faire tout autre
contractant, la convention de droit privé qu'il passe à une loi
étrangère admettant la validité de la clause
compromissoire, lorsque ce contrat revêt le caractère d'un contrat
international112(*) ».
- La portée de cet arrêt nous enseigne que la prohibition n'est
pas d'ordre public international, ce qui veut dire a contrario qu'au
niveau international, le fait de compromettre par un Etat ou un de ses
établissements publics est autorisé. C'est alors en ce sens que
la qualification proposée par M. Zamzam est la possibilité de
compromettre113(*),
c'est-à-dire une faculté de recourir à l'arbitrage.
- Les questions paraissent aujourd'hui résolues, au moins en droit
français, par l'existence d'une règle internationale qui admet
l'aptitude à compromettre de l'Etat, des organismes et
établissements publics114(*). Dans cette optique, la Cour de cassation a rendu
une décision célèbre consacrant la validité d'une
convention d'arbitrage conclue par une personne morale de droit public au nom
d'une règle matérielle du droit de l'arbitrage commercial
international. Il s'agit de l'arrêt Trésor public C.
Galakis115(*).
- L'intérêt de cette jurisprudence réside dans l'absence
de référence à une loi étatique pour valider la
clause compromissoire qui doit être valable indépendamment d'une
quelconque loi étatique. Il faut et il suffit que la convention dans
laquelle est insérée la clause compromissoire soit un contrat
international passé pour les besoins et dans des conditions conformes
aux usages du commerce international116(*).
- 2. Les fondements de l'aptitude à compromettre
L'aptitude à compromettre des personnes morales de
droit public est alors un principe d'ordre public international qui a pour
fondement les dispositions dans les droits étatiques et dans la
jurisprudence arbitrale.
- La question était de savoir si le principe de l'aptitude à
compromettre de l'Etat français n'avait pas un caractère d'ordre
public international. La réponse en est qu'il s'agit d'une règle
de droit français. Mais elle est d'ordre public international,
c'est-à-dire qu'elle évince une loi étrangère
différente, normalement applicable soit comme loi du contrat, soit comme
loi définissant la compétence de l'Etat en cause et se substitue
à elle117(*).
Disons autrement, qu'il s'agit d'un ordre public international propre au
commerce international.
- Selon l'arrêt Galakis, il semble que la règle
consacrée présente bel et bien les caractères d'une
règle d'ordre public international. En plus, on peut trouver une
solution juste aux deux inconvénients déjà
signalés, qui portent sur le problème du respect de la
prohibition d'ordre public interne. Ainsi, cette faculté repose
essentiellement sur le principe de la bonne foi dont l'objectif de la
jurisprudence est de faire prévaloir la valeur de l'engagement de
compromettre au détriment d'une loi nationale prohibitive.
- On précisera sur ce point, à nouveau, qu'en droit
français l'ordre public qui annule la convention d'arbitrage conclue par
une personne publique, a été écarté dans le domaine
de l'arbitrage international. Alors, un autre exemple est celui du droit
suisse. L'article 177 al. 2 LDIP a la même justification qu'en droit
français et que dans la pratique arbitrale : il s'agit des
principes de la bonne foi. En effet, il dispose que « si une partie
à la convention d'arbitrage est un État, une entreprise
dominée ou une organisation contrôlée par lui, cette partie
ne peut invoquer son propre droit pour contester l'arbitrabilité d'un
litige ou sa capacité d'être partie à un
arbitrage. » Il est certain que cette règle suisse
reflète les exigences de l'ordre public international. Cela veut dire
qu'il sert de fondement à une règle matérielle de
validité de la convention d'arbitrage conclue par une personne morale de
droit public. Récemment, une résolution de l'Institut de droit
international proclame : « Un Etat, une entreprise
d'État ou une entité étatique ne peut pas invoquer son
incapacité de conclure une convention d'arbitrage pou refuser de
participer à l'arbitrage auquel il a consenti118(*). »
- Quant à la jurisprudence arbitrale, cette règle d'ordre
public est une partie composante de l'ordre public transnational qui serait le
reflet d'un ordre public propre à la lex mercatoria puisque
selon certains auteurs, la divergence des droits étatiques en la
matière rendrait impossible l'élaboration d'un principe
général de droit. Mais le principe le plus important est toujours
celui de la bonne foi.
- On pourrait citer, à titre d'exemple, la sentence arbitrale de la
CCI n° 5103 de 1988. Cette sentence, sans faire référence
à l'ordre public transnational, s'est fondée sur la bonne foi
pour reconnaître l'aptitude à compromettre d'une personne
publique. Le tribunal arbitral a pu décider qu' « il serait
contraire à la bonne foi qu'une entreprise publique, qui a
dissimulé dans un premiers temps l'existence de telles règles de
droit interne, les invoque ultérieurement, si tel est son
intérêt dans un litige déterminé, pour
dénier la validité d'un engagement qu'elle a souscrit pourtant en
parfaite connaissance de cause. La pratique, la doctrine et la jurisprudence
arbitrale condamne aujourd'hui, de manière quasi-unanime, un tel
comportement. 119(*)»
- Finalement, on arrive à conclure que l'ordre public joue plusieurs
rôles dans les règles matérielles de la convention
d'arbitrage. Il est tout d'abord une limite à la validité de la
convention d'arbitrage et pose ensuite le principe de la validité des
clauses compromissoires conclues par l'Etat. Toutefois, on constate que l'ordre
public a subi une mutation qui l'oblige à se déplacer de la
convention d'arbitrage vers la sentence arbitrale.
* 105 Abdel Moneem
ZAMZAM, Les lois de police dans la jurisprudence étatique et
arbitrale : étude comparée franco-égyptienne,
ANRT thèse à la carte, 2003. p. 312.
* 106 Charles JARROSON,
« Arbitrabilité : Présentation
méthodologique », RJ. Com. 1996. pp. 1-2.
* 107 Abdel Moneem
ZAMZAM, Les lois de police dans la jurisprudence étatique et
arbitrale : étude comparée franco-égyptienne,
ANRT thèse à la carte, 2003. p. 314.
* 108 Jean-Baptiste Racine,
L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999. p.
202.
* 109 Philippe FOUCHARD,
Emmanuel GAILLARD, Berthold GOLDMAN, Traité de l'arbitrage
commercial international, Litec, 1996. p. 333.
* 110 Jean-Baptiste Racine,
L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999. p.
204.
* 111 Jean-Michel Jacquet et
Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz,
Cours, édition 3e, 2002. p. 393.
* 112 Cass. 1re
Civ., 14 avril 1964, JCP 1965. II. 14406, note P. Level.
* 113 Abdel Moneem
ZAMZAM, Les lois de police dans la jurisprudence étatique et
arbitrale : étude comparée franco-égyptienne,
ANRT thèse à la carte, 2003. p. 316.
* 114 Marie-Noëlle
JOBARD-BACHELLIER, « Ordre public international », Fasc.
534-2, J-CL éditions techniques 1992. p. 14.
* 115 Cass. 1re
Civ., 2 mai 1966, Rev. Arb. 1966. 99.
* 116 Jean-Baptiste Racine,
L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999. p.
211.
* 117 Jean-Baptiste Racine,
L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999. p.
217.
* 118 Jean-Michel Jacquet et
Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz,
Cours, édition 3e, 2002. p. 397.
* 119 CCI n° 5103 de
1988, Rec., CCI, II, p. 361.
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