§ I. Autonomie de la convention d'arbitrage
- Il conviendra de mettre en évidence les principaux aspects du
régime juridique de la convention d'arbitrage. Ainsi, seront
étudiés successivement, le principe d'autonomie (A) et la
fonction et le contenu de l'ordre public dans le principe de validité
(B).
- A. Principe d'autonomie
- 1. Le contenu du principe
- La convention ou clause d'arbitrage international peut être
définie comme l'acte juridique par lequel deux ou plusieurs parties
décident de confier à une juridiction arbitrale le litige qui les
oppose ou est susceptible de les opposer. Elle est une convention
particulière, et partant, doit faire l'objet d'une protection juridique
particulière. L'autonomie de la clause compromissoire est le principe
qui est appelé parfois le principe de la séparabilité
de la clause compromissoire.
- On reconnaît depuis longtemps l'autonomie de la clause d'arbitrage,
à l'intérieur du contrat qui la contient. Cela explique, par
exemple, que la convention d'arbitrage puisse être soumise à une
loi différente de celle qui gouverne le contrat principal et, partant,
la nullité de ce contrat n'affecte pas nécessairement la
validité de la clause arbitrale81(*). Elle entretient donc des rapports complexes avec le
contrat principal82(*). La
cause de nullité du compromis, lorsque le contrat est illicite, n'est
pas l'absence d'autonomie de la clause compromissoire par rapport au contrat
illicite83(*). Le
compromis est nul de façon autonome au motif de l'absence
d'arbitrabilité du litige.
-
- Sur ce point précis, la jurisprudence française84(*), comme mêmes certains
auteurs, ne fait aucune différence selon que la question de
l'illicéité est posée à titre principal ou
incident. La Cour de Pris a, en effet, retenu que « la nullité du
compromis ne découle pas de ce que le litige touche à des
questions d'ordre public, uniquement du fait que l'ordre public a
été violé ». La raison en est que si l'on
veut que l'arbitre puisse statuer sur la licéité, il faut le lui
permettre non seulement à titre incident mais également à
titre principal.
- Par conséquent, sous les aspects jurisprudentiels, les conventions
d'arbitrage conclues sur la terre entière doivent être
confrontées uniquement aux exigences de l'ordre juridique
français, visées par les tribunaux sous le vocable
d' « ordre public international85(*) ». Or, lorsque l'on envisage la
conformité à l'ordre public en tant que condition de
validité d'une convention, il n'est question que de la
licéité de son objet et de sa cause86(*).
- De surplus, l'indépendance juridique de la clause d'arbitrage ne
vise pas seulement une autonomie par rapport au contrat principal, elle vise
également une autonomie par rapport à tout droit étatique.
Mais, il ne faut pas conclure à l'hypothèse où il s'agit
d'un contrat sans loi. La réserve formulée est des règles
impératives du droit français et de l'ordre public
international87(*).
- Pour être plus éclairé, la Cour de cassation a
répondu à la question qui se pose au niveau du droit applicable
en la forme de la convention d'arbitrage : « Attendu qu'en vertu
d'une règle matérielle du droit international de l'arbitrage, la
clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat
principal qui le contient directement ou par référence et que son
existence et son efficacité s'apprécient, sous réserve des
règles impératives du droit français et de l'ordre public
international, d'après la commune volonté des parties, sans qu'il
soit nécessaire de se référer à une loi
étatique88(*) ».
- En vertu de cette jurisprudence de principe, la Cour de cassation a donc
conclu à l'existence d'une règle matérielle
éliminant le recours à une loi étatique89(*), ce qui veut dire que la
convention d'arbitrage est autonome par rapport aux droits étatiques.
- 2. L'évolution jurisprudentielle
-
- Auparavant, la jurisprudence a consacré la notion (pas encore le
principe) de l'indépendance de la clause compromissoire en
matière d'arbitrage international90(*). Le principe d'autonomie de la convention d'arbitrage
a été, pour la première fois, dégagé par un
arrêt de principe rendu par la Cour de cassation en 1972. Il s'agit de
l'arrêt Hecht91(*) dans lequel la Cour de cassation a retenu dans un
attendu peu précis qu' « ayant rappelé le
caractère international du contrat liant les parties et rappelé
qu'en matière d'arbitrage international, l'accord compromissoire
présente une complète autonomie, l'arrêt attaqué en
a justement déduit que la clause litigieuse devait en l'espèce
recevoir application ». Les enseignements tirés de cet
arrêt ne sont pas très clairs.
-
- Ultérieurement, afin de rendre le principe un peu plus
éclairé, la Cour d'appel a rendu un autre arrêt dans lequel
elle a retenu que « compte tenu de l'autonomie de la clause
compromissoire, instituant un arbitrage dans un contrat international, celle-ci
est valable indépendamment de la référence à toute
loi étatique92(*) ». Encore, plus précis la cour
indique qu' « en matière d'arbitrage international le principe
d'autonomie est d'application générale en tant que règle
matérielle internationale consacrant la licéité de la
convention d'arbitrage, hors de toute référence à un
système de conflits de lois, la validité de la convention devant
être contrôlée au regard des seules exigences de l'ordre
public international ».
- Avec une série d'arrêts datant de 1990 à 1991,
l'ordre public international réapparaît. La solution est devenue
ensuite constante en la jurisprudence qui considère la
contrariété à l'ordre public international comme l'unique
cause de nullité de la convention d'arbitrage93(*). Cependant, on aura
intérêt de faire une étude sur la référence
à l'ordre public dans la jurisprudence la plus importante dans l'affaire
Dalico.
- Dans cette jurisprudence94(*), très commentée et abordée, le
problème de droit était celui de l'existence et de la
validité en la forme de la clause compromissoire. La cour de cassation
confirmant l'arrêt de la cour d'appel a rejeté le pourvoi
formé par la Municipalité d'El Mergeb, tout en décidant
que la Cour d'appel a souverainement retenu que les parties avaient
manifesté leur volonté commune de se soumettre à la clause
d'arbitrage et rejette en conséquence le pourvoi.
- On peut ainsi tirer quelques enseignements de cet arrêt dont la
formule fait penser immédiatement à un arrêt de principe
puisque la juridiction suprême a entendu consacrer un principe de
portée générale d'existence et d'efficacité de la
clause d'arbitrage95(*).
Deux conditions de validité sont : l'existence d'un consentement
des parties, d'une part, et l'absence de contrariété aux
règles impératives du droit français et à l'ordre
public international, d'autre part. Dans cette optique, dès que l'accord
de volonté suffit à valider la clause et le raisonnement
conflictuel classique étant banni96(*), faut-il conclure qu'il s'agit d'un contrat sans
loi ?
- Bien évidemment, la réponse est négative,
c'est-à-dire que l'ordre public devient la seule limite à la
validité de la convention d'arbitrage dès lors que la
volonté des parties ne heurte pas l'ordre public international. Il n'est
donc pas question de contrat sans loi, mais de contrat sans conflit de
lois97(*).
- B. Fonction et contenu de l'ordre public dans le principe de
validité
- 1. La fonction de l'ordre public
- A l'issue du principe d'autonomie de la convention d'arbitrage, l'ordre
public joue également un rôle essentiel dans le principe de
validité de ladite convention. En raison de la règle de
l'autonomie, il remplit une fonction originale.
- Au terme de la jurisprudence Dalico, déjà
signalée, aucune loi étrangère n'a vocation à
s'appliquer quelle que soit la question à résoudre. Dans cette
optique, l'unique fonction de l'ordre public est d'annuler la convention
d'arbitrage qui y est contraire. A ce titre, l'ordre public remplit une
fonction impérative, c'est-à-dire un rôle d'éviction
de la volonté des parties, ce qui est logique car il implique
naturellement que la méthode des conflits de lois soit totalement
abandonnée98(*).
- En réalité, l'ordre public international visé dans les
arrêts de la Cour de cassation se distingue à la fois de l'ordre
public au sens du droit international privé et des lois de police d'un
Etat parce que la règle matérielle issue de cet arrêt
exclut toute application d'une loi étrangère. Alors, les concepts
traditionnels d'ordre public d'éviction et de loi de police sont
inutiles99(*).
- En dernier lieu, il est important de souligner la différence entre
l'ordre public interne et l'ordre public international. Par rapport à
leurs objectifs, ils se distinguent dans la mesure où l'ordre public
interne joue un autre rôle qui est de valider la clause-or. Mais, l'ordre
public concerné pourrait éventuellement être l'ordre public
interne puisque sa fonction est d'annuler une convention.
- 2. Le contenu de l'ordre public
- L'ordre public reçoit un contenu propre dans le domaine particulier
de l'appréciation de la clause d'arbitrage international100(*). Il s'agit d'un ordre public
propre à l'arbitrage international et répond à ses
besoins. Ainsi, s'il n'existe pas de réelle distinction entre la
fonction de l'ordre public interne et celle de l'ordre public international
dans l'arrêt Dalico, le contenu n'est pas la même :
il est plus réduit et aussi plus étendu.
- Il est plus réduit de l'ordre public interne à propos de
l'ordre public impératif qui évince la volonté des
parties. Toute règle impérative dans l'ordre public interne n'est
donc pas d'ordre public dans le domaine international. Il est plus
étendu que le contenu de l'ordre public interne, parce qu'il n'existe
pas d'autres causes de nullité et il constitue la seule et ultime
réserve à la validité de la clause.
- Toutefois, une critique a été faite à ce propos. La
solution française demeure très isolée en droit
comparé. L'argument selon lequel cette solution permet de faire
échapper les clauses d'arbitrage internationales aux particularismes
locaux ne convainc pas. En effet, le régime de la clause varierait, non
plus en fonction des aléas de la détermination de la loi
applicable par le jeu des règles de conflit, mais en fonction de la
juridiction saisie, qui appliquerait systématiquement ses propres
règles matérielles à la convention d'arbitrage101(*).
- La dernière étape est de suivre l'évolution
jurisprudentielle dans l'état du droit positif. La Cour de cassation a
rendu récemment un arrêt le 25 octobre 2005102(*) selon lequel elle affirme
qu' « en application du principe de validité de la convention
d'arbitrage et de son autonomie en matière internationale, la
nullité non plus que l'inexistence du contrat qui la contient ne
l'affectent ». La solution est donc désormais claire et
s'inscrit dans la logique de l'affirmation du principe de validité de la
clause compromissoire internationale par l'arrêt Zanzi103(*).
- Cependant, le problème le plus sensible est l'arbitrabilité
des litiges résidant au premier rang des conditions de validité
de la convention d'arbitrage. Il s'agit normalement des vices du consentement,
de la capacité et du pouvoir de compromettre. On va préciser
à ce point que la jurisprudence a consacré une règle de
nature identique à propos de l'aptitude à compromettre des
personnes morales de droit public104(*).
* 81 Homayoon Arfazadeh,
Ordre public et arbitrage international à l'épreuve de
mondialisation, LGDJ, 2005. p. 45.
* 82 Jean-Michel Jacquet et
Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz,
Cours, édition 3e, 2002. p. 402.
* 83 Pierre MAYER,
« Le contrat illicite », Rev. Arb. 1984. p. 212.
* 84 C.A Paris, 15 juin
1956.
* 85 Sylvain BOLLÉE,
Les méthodes du droit international privé à
l'épreuve des sentences arbitrales, Economica, 2004. p. 9.
* 86 Sylvain BOLLÉE,
Les méthodes du droit international privé à
l'épreuve des sentences arbitrales, Economica, 2004. p. 302.
* 87 J. Béguin, G.
Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C.
Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce
international, Litec, 2005. p. 872.
* 88 Cass. 1re
Civ., 20 décembre 1993, Dalico, JDI 1994.432, note G.
Gaillard.
* 89 Jean-Michel Jacquet et
Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz,
Cours, édition 3e, 2002. p. 405.
* 90 Civ., 1re, 7
mai 1963.
* 91 Cass. 1re
civ., 4 juill. 1972, Hecht : Rev. crit. DIP. 1974, p. 82, note P.
LEVEL.
* 92 C.A Paris, 13
déc. 1975, Menicucci: Rev. Arb. 1997, p. 147, note Ph. FOUCHARD.
* 93 Jean-Baptiste Racine,
L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999. p.
187.
* 94 Cass. 1re Civ.,
20 décembre 1993, Dalico, JDI 1994.432, note G.
Gaillard.
* 95 Jean-Baptiste Racine,
L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999. p.
189.
* 96 Nicolas
NORD, Ordre public et lois de police en droit international
privé, thèse pour le doctorat en droit, 2003. 132.
* 97 J. Béguin, G.
Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C.
Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce
international, Litec, 2005. p. 873.
* 98 Jean-Baptiste Racine,
L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999. p.
192.
* 99 Jean-Baptiste Racine,
L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999. p.
193.
* 100 Nicolas
NORD, Ordre public et lois de police en droit international
privé, thèse pour le doctorat en droit, 2003. p.132.
* 101 J. Béguin, G.
Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C.
Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce
international, Litec, 2005. p. 874.
* 102 Cass. 1re
Civ., Rev. Arb. 2006, note J.-B. Racine, à paraître.
* 103 Thomas Clay,
« Arbitrage et modes alternatifs de règlement des
litiges : panorama 2005 », Recueil Dalloz Sirey, 2005. p. 3052.
* 104 Jean-Baptiste Racine,
L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999. p.
199.
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