Chambre d'isolement : du point de vue des patients. Impact d'un temps d'élaboration sur le vécu des patients après un séjour en chambre d'isolement dans une unité d'hospitalisation de psychiatrie adulte( Télécharger le fichier original )par Charlotte Mouillerac Université Paris 8 - Master 1 psychologie clinique et psychopathologie 2007 |
2.5 LIMITES DE L'ÉTUDEIl est certain que les résultats présentés ci-dessus ne sont à prendre en compte qu'en regard des limites de cette étude. Le simple fait d'avoir participé à ces entretiens de recherche a constitué en soi une forme de travail d'élaboration, qui a pu générer un biais. Plusieurs patients m'ont en effet fait la remarque que parler avec moi de leur expérience d'isolement leur avait fait du bien. N'avoir pu interroger que 11 patients limite la validité de la recherche qui n'a qu'une portée descriptive. De même, le fait que les conditions d'isolement soient si différentes d'un lieu à l'autre permet difficilement d'en généraliser les résultats. Il s'agissait avant tout de recueillir des témoignages, dans un lieu et un temps donné. Chaque cas est de toute façon particulier. La part de subjectivité dans le vécu des patients rend difficile une approche statistique de la question. Il est intéressant de noter cependant que les résultats vont dans le sens des quelques études précédentes ayant pris le parti d'interroger des patients.
C ette étude a été réalisée au travers de onze entretiens auprès de patients ayant fait un séjour en chambre d'isolement, dans une unité classique d'hospitalisation pour adultes. Dans les limites relatives à ce travail, elle a pu mettre en lumière l'importance d'un temps d'élaboration qui permet aux patients de prendre du recul face à une expérience qui reste néanmoins difficile. Au terme de ce mémoire, il semble important de souligner plusieurs points :
· Il permet aux patients de mieux comprendre et analyser leur vécu, · Il permet aux soignants de mieux prendre conscience de la pénibilité de ce soin, et d'améliorer leur pratique, · Il participe à la construction d'un meilleur lien thérapeutique. L'information des patients n'est pas seulement une obligation légale. C'est aussi une façon de les aider à mieux traverser leur hospitalisation, même dans les moments les plus difficiles Ce mémoire aura pu aussi souligner la difficulté du travail des soignants en psychiatrie. Etre thérapeutique en CI demande en effet à prendre du temps, à aller vers l'autre, à entrer en contact avec quelqu'un d'agressif et/ou de non compliant, dans des conditions matérielles qui sont loin d'être facilitantes. Le patient en CI nous fait en effet violence en nous renvoyant à notre impuissance : impuissance à soigner, à calmer l'angoisse, à gérer l'agressivité, à comprendre le délire... Le patient isolé ne peut pas venir vers les soignants. Au plus peut-il sonner pour demander une présence. Pour entrer en contact avec lui, le soignant doit entrer "chez lui". Il n'y est pas invité, souvent il est mal reçu. Il est généralement debout quand le patient est couché ou assis sur son lit, le protocole exige la présence de deux personnes, la notion de danger est sans cesse présente... : ce n'est pas une démarche naturelle. L'effort demandé est d'autant plus considérable qu'il n'est pas reconnu. On ne dit jamais combien il est difficile d'aller vers le patient isolé. La démarche est plus facile s'il existe une réflexion d'équipe à ce sujet et si le personnel a reçu une formation à ce type de soins. Il s'agit de « constituer et maintenir un espace de pensée, où les affects et les représentations peuvent se dire, circuler, se travailler et se modifier.131(*) » L'existence d'un protocole oblige les soignants à un minimum de présence pour des soins ou passages prescrits. Cependant, le protocole ne suffit pas : seule la volonté des soignants, qui doivent être dans une proximité attentive, peut permettre de créer un lien thérapeutique. Le patient isolé est dans une situation de
dépendance totale qui peut être très angoissante. Chacun va
tenter de retrouver une maîtrise et de se rassurer à sa
façon : certains patients sonnent sans arrêt, certains
refusent l'entrée aux soignants, d'autres se réfugient dans le
sommeil, Dans les conditions de travail qui sont celles des services de psychiatrie (manque de personnel et de moyens), il est facile de se laisser déborder et de finir par considérer le patient qui sonne toutes les cinq minutes comme un gêneur ou un provocateur. Enfin, que propose-t-on au patient qui sort de CI ? Si un travail s'accomplit pendant l'isolement, il faut aussi qu'il s'en fasse un en dehors (réflexion sur le cas, ce qui s'est passé, ce qui aurait pu être autrement, accès à la parole, réappropriation du patient par les soignants, réappropriation du soin par le patient, préparation à son retour dans le service). Les raisons qui ont conduit à la décision d'isolement doivent avoir été explicitées et comprises et si un passage à l'acte a été le déclencheur de la situation de soins, il faut qu'il ait été travaillé en équipe, afin que les conditions d'une réelle relation thérapeutique soient réunies, et que l'on ne soit pas dans le rejet ou l'exclusion. Une réflexion d'équipe et une bonne formation des personnels sont indispensables. La place du psychologue est auprès du patient dans les jours qui suivent l'isolement afin de l'aider à analyser ce qu'il a traversé et de proposer un espace d'écoute, de mise en mots du vécu et de la souffrance. Elle est aussi avec l'équipe dans toutes les étapes de la prise en charge. Le psychologue doit pouvoir offrir un espace de pensée qui permettra au groupe de travailler sur ses clivages, ses antagonismes et ses contre attitudes. De par sa position de tiers, il est à même d'aider les soignants dans ce soin qui n'est pas un soin comme les autres. Il est enfin celui qui peut, sans la trahir, transmettre la parole des patients. Il y a encore beaucoup à faire pour que les chambres d'isolement puissent être partout considérées comme un soin à part entière. Plusieurs patients ont ainsi pu me dire qu'ils espéraient que cette recherche pourrait servir à en améliorer les conditions. Certains ont été plus catégoriques et ont souhaité leur disparition pure et simple. Travailler sur des alternatives à l'isolement pourrait apporter des réponses intéressantes. Les signes avant coureur sont en effet souvent repérés, mais peu utilisés. Dans un premier temps, généraliser l'expérience menée à Saint-Exupéry par Monsieur Perret serait une démarche simple qui bénéficierait à tous. Ce travail a été enrichissant d'un bout à l'autre. Il m'a offert des rencontres à la fois passionnantes et émouvantes avec des patients qui m'ont fait confiance pour évoquer un sujet parfois douloureux et toujours difficile à aborder. Il m'a aussi permis de prendre du recul par rapport à un dispositif sur lequel je n'arrivais pas à me prononcer - et pour cause ! Je travaille actuellement comme infirmière en psychiatrie, dans un service d'hospitalisation pour adolescents, et mon approche de l'isolement, dans cette unité comme dans les cas d'appel à renforts dans d'autres unités, s'en ressent de manière tout à fait positive. J'ai aussi eu l'occasion, au cours de mes recherches préliminaires, de m'inscrire dans un groupe de travail sur la contention, dans le cadre des évaluations des pratiques professionnelles (en vue des démarches d'accréditation). Ces échanges de points de vue à la fois complémentaires et contradictoires m'ont apporté une aide non négligeable. La réalisation de ce mémoire s'est faite en lien avec toute l'équipe de l'unité Saint-Exupéry qui m'a apporté son entier soutien. Je les en remercie à nouveau. Rendez-vous a été pris pour que je puisse présenter ce travail en réunion d'équipe courant septembre. Il pourrait être question par la suite que l'équipe se serve de cette recherche pour ré aborder, dans le cadre du projet de soins de l'unité, cette question de l'isolement et du recueil du vécu des patients. * 131 Prieto, N./ Vignat, J.P. (Avril 1998). La violence comme contre-attitude. Soins. N° 624. p 23 |
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