Chambre d'isolement : du point de vue des patients. Impact d'un temps d'élaboration sur le vécu des patients après un séjour en chambre d'isolement dans une unité d'hospitalisation de psychiatrie adulte( Télécharger le fichier original )par Charlotte Mouillerac Université Paris 8 - Master 1 psychologie clinique et psychopathologie 2007 |
2 Discussion2.1 UN VÉCU GLOBALEMENT NÉGATIF· Hypothèse 1 : Comme l'ont montré les études existantes, les patients ont une représentation négative de leur séjour en CI. Il est certain que les données ne sont pas
représentatives étant donné le faible nombre de sujets.
Cependant, d'un point de vue descriptif, les résultats vont dans le sens
des études précédentes. Sur tous les points excepté
le point 1c, l'hypothèse se vérifie comme on le voit v Hypothèse 1a : Les patients ont un ressenti négatif du séjour en CI. Le thème donne lieu à l'expression du plus grand nombre de propositions : 137 contre 32 pour "soin intensif", 68 pour "utilité" et 32 pour "temps de parole". Contrairement aux autres items, les questions font appel à un vécu brut plutôt qu'à une élaboration, ce qui explique peut-être la profusion des données recueillies. Il semblerait aussi que les patients se saisissent de cet entretien de recherche pour exprimer un ressenti dont ils ont eu peu l'occasion de parler, ainsi que le montrera la variable "temps de parole". Leurs propos ont ainsi parfois l'allure d'une "décharge" d'émotions jusque là réprimées. Ils s'expriment apparemment sans réserve, probablement rassurés par le statut de stagiaire du chercheur, qu'ils perçoivent comme étranger à l'équipe. Les mots sont forts pour décrire cette expérience. L'hypothèse 1a est vérifiée d'un point de vue descriptif : comme le laissaient présager les précédentes recherches, le ressenti est globalement négatif. La catégorie Sensations positives ne rassemble que 3 patients sur les 11 interrogés. C'est peu, d'autant que la seule autre catégorie "positive" (apaisement, résignation) n'est pas sans soulever quelques réserves. En réponse à la question « Comment étiez-vous à la fin », 82% des patients reconnaissent avoir ressenti un apaisement. C'est une réponse qui présente un intérêt certain puisqu'elle confirme les observations des soignants. La décision de levée d'isolement est prise à partir du moment où les soignants constatent la présence d'un apaisement. Il est intéressant de noter que les patients partagent cette impression. On retrouve la notion repérée par P. Perret d'un isolement composé de 3 temps distincts : les premières heures sont empreintes d'une angoisse importante, voire de peur. Les patients passent ensuite par une période où l'ennui et les sensations de solitude prédominent. Puis vient un moment où l'on s'apaise. C'est souvent le début des temps de sortie provisoire qui préparent à la sortie définitive de CI. Néanmoins, pour 4 patients, ce calme recouvré n'est qu'apparence. La CI serait plutôt une manière de saper la résistance. Le calme serait en quelque sorte obtenu "à l'usure". Cette idée va dans le sens d'une CI normative qui tendrait à imposer aux patients une façon de se comporter. On retrouve dans les autres catégories des éléments déjà repérés dans les précédentes études125(*) : punition, sentiment de solitude et d'abandon, perte de repères, sentiment d'impuissance, peur, colère, tristesse, sentiment de privation. Il faut noter cependant que la notion de punition n'apparaît pas de manière significative. Seuls 4 patients en font mention. Cela doit être mis en lien avec la qualité du travail accompli dans l'unité Saint-Exupéry, où l'isolement a donné lieu à un important travail d'élaboration. Les soignants sont vigilants à repérer leurs contre attitudes et à respecter les indications de MCI prescrites par l'ANAES. Pour des catégories comme Tension interne ou Tristesse, il est difficile de déterminer avec précision ce qui est causé par l'isolement et ce qui directement lié à la pathologie qui fait l'indication de l'isolement. C'est une question que posait D. Friard126(*) à propos du fait que les patients exprimaient des angoisses de morcellement dont on ne pouvait déterminer exactement la cause, iatrogène ou liée à la pathologie. Angoisse et peur amène la même interrogation, à cela près que la peur semble bien être liée à un manque d'information. Lors d'un premier isolement, les patients sont confrontés à l'inconnu. Ils ne savent pas combien de temps ils vont rester isolés ni ce qui est attendu de leur part. D'autres catégories de ressentis semblent plus clairement liées à l'enfermement lui-même : Colère, Mal-être, Enfermement, Solitude, Ennui et perturbation du rapport au temps. Les trois premières catégories renvoient à la violence de l'isolement. Ce sont des représentations qui marquent fortement les esprits. L'isolement a un caractère insupportable qui ne peut pas être minimisé. Le reconnaître est déjà un pas vers l'amélioration des pratiques. Il est intéressant de noter que la colère est dirigée contre la société ou l'institution, ce qui permet de préserver les soignants. Comme le remarquaient déjà Meehan et al127(*), ces émotions persistent à la sortie de CI. Même à distance, reparler de cet épisode ravive des sentiments d'angoisse et de colère, particulièrement pour le patient E, qui a beaucoup hésité à participer, comme si le simple fait d'évoquer la CI lui faisait courir le risque d'y retourner. La question de l'ennui et de la solitude renvoie davantage à la notion de soin. Malgré la pénibilité de ces affects, ce sont des sentiments sur lesquels les soignants peuvent agir. L'ennui oblige à réfléchir sur soi et sur ses actes. Le patient A, qui n'a passé qu'un jour en CI (mais pour qui ce n'était pas un premier séjour) remarque qu' « on peut rester planté des heures à regarder le décor et à faire travailler l'imagination », C'est tout de même « trop long » pour les 10 autres patients qui se plaignent de l'inactivité. L'étude de Meehan et al avait déjà évoqué les stratégies mises en place pour tenter de reprendre le contrôle. Les patients sont ici dans la même démarche : « il faut bien s'occuper, sinon on devient fou ». Alors qu'Akimi et al considéraient que l'isolement permet de « retrouver un sens aigu du temps qui s'écoule »128(*), les résultats semblent montrer le contraire. 4 patients évoquent plutôt une difficulté à se repérer dans le temps, dont parlaient déjà Meehan et al. L'importance qu'il y a à travailler sur les rythmes a déjà été évoquée. Les repas, les soins d'hygiène, les visites des soignants... sont autant de micro-événements qui permettent aux patients de retrouver des repères. On conçoit alors qu'être dans l'incertitude quant à l'heure à laquelle vont passer les soignants soit une source importante d'angoisse et d'agressivité. Fixer des horaires et s'y tenir est déjà une manière d'apaiser le patient. La solitude peut favoriser la création d'un lien thérapeutique. Le fait est que les patients attendent les visites des soignants avec impatience. P. Perret fait cette hypothèse que la CI permet « l'évocation de relations personnalisées avec les soignants où la notion d'altérité prend le pas sur l'indifférenciation. Dans la continuité de ce processus, le clivage cède du terrain à l'ambivalence rendant possible l'expression d'un sentiment de gratitude. 129(*) » v Hypothèse 1b : Les patients ne reconnaissent pas la CI comme un soin intensif. 82% des patients déclarent effectivement ne pas reconnaître la CI comme un soin, ce qui va clairement dans le sens de l'hypothèse. Cependant, quelques réponses viennent s'opposer à ce résultat et montrent qu'une partie des patients perçoit l'intention de soin présente dans cette pratique : attention de la part des soignants, absence de stimulations, cocooning, médicaments. Mais ce point donne lieu à très peu de discussion, comme si les patients ne s'étaient jamais posé la question auparavant. Le fait que la chambre d'isolement soit justement appelée CSI (chambre de soins intensifs) à Saint-Exupéry n'est pas repéré. Peut-être peut-on interpréter cela en soulignant le manque de communication autour de la chambre d'isolement. Dans de nombreux services, la porte n'est même pas identifiée, ce qui renforce l'idée d'une pratique honteuse, dont on ne parle pas. Très rares sont les soignants qui évoquent l'existence de cette chambre lorsqu'ils font faire le tour du service à un nouvel hospitalisé. Encore plus rares ceux qui la font visiter. La chambre d'isolement n'est pas mentionnée dans le livret d'accueil de l'hôpital, ni dans le règlement intérieur des unités. Comment les patients pourraient-ils l'envisager comme un soin intensif ? v Hypothèse 1c : Les patients ne reconnaissent pas d'utilité à la CI. Cette hypothèse n'est pas vérifiée. Si 55% des patients déclarent que la CI ne sert à rien, un seul d'entre eux se contente de cette réponse. Les patients ont leur idée sur l'utilité de la CI. Leurs propositions se rapprochent de ce que les soignants pourraient eux-mêmes en dire. Peut-être est-ce là le produit des échanges entre patients et soignants. Les patients isolés interrogent en effet beaucoup les soignants sur les raisons de leur isolement. On est loin de retrouver ici la grande pauvreté de théories explicatives que décrivait D. Friard.130(*) v Hypothèse 1d : Les patients ne sont pas satisfaits des temps de parole en CI. Cette hypothèse se vérifie pleinement. Pour 73% des patients, il n'y a pas de temps de parole en CI. Hormis les moments d'entretiens médicaux, qu'ils se représentent plutôt comme des évaluations, les soignants sont trop pressés pour prendre du temps. Interrogés à ce sujet, les soignants confirment : avec deux infirmiers et un aide-soignant pour une unité de 28 lits, il n'est pas possible de prendre vraiment du temps en CI. Les visites horaires sont assurées, mais il est difficile de faire plus. Ce sont souvent les temps de sortie provisoire, les soins d'hygiène et les repas qui offrent des espaces d'échange. La cigarette a une place importante dans les discours : parce qu'on en manque, parce que la CI permet d'arrêter de fumer pendant un moment, parce que le temps-cigarette permet des contacts humains et des sorties temporaires. * 125 Cf. Partie B. Paragraphe 6.5. En conclusion. * 126 Cf. Partie B. Paragraphe 6.2. L'étude de Dominique Friard. * 127 Cf. Partie B. Paragraphe 6.3 L'étude de Meehan et al. * 128 Cf. Partie B. Paragraphe 5.2.2. L'étude d'Akimi et al. * 129 Perret P. / 2004 / Recueil de vécu. Une étude de vingt fiches. Approche quantitative et qualitative / Document de travail / Unité Saint-Exupéry - Secteur G16 - Dr J.P. Vignat * 130 Cf. Partie B. Paragraphe 6.2. L'étude de Dominique Friard. |
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