1.2 VÉCU DES
PATIENTS
Pour rappel, l'hypothèse est la suivante :
· Hypothèse 1 : Comme l'ont
montré les études existantes, les patients ont une
représentation négative de leur séjour en CI. Cette
hypothèse se décompose en quatre points :
v Hypothèse 1a : Les
patients ont un ressenti négatif du séjour en
CI.
v Hypothèse 1b : Les
patients ne reconnaissent pas la CI comme un soin intensif.
v Hypothèse 1c : Les
patients ne reconnaissent pas d'utilité à la
CI.
v Hypothèse 1d : Les
patients ne sont pas satisfaits des temps de parole en CI.
1.2.1 RESSENTIS
Les termes et propositions relevés évoquent des
ressentis liés au séjour en CI : affects, sentiments,
impressions, vécu subjectif...
Ne sont reprises que les réponses donnant lieu à
des expressions de sentiments.
Ont été laissés de
côté : les expressions trop ambiguës, les ressentis se
rapportant à un épisode de contention. Au total, 137 propositions
ont été relevées.
Le thème est principalement véhiculé par
les questions 3 à 6 et 9 et 10 mais les patients évoquent aussi
leurs sentiments en réponse à d'autres questions.
Le relevé de toutes ces propositions a permis
d'opérer des regroupements en 11 catégories :
1) Apaisement, résignation
2) Tension interne
3) Mal-être
4) Ennui, perturbation du rapport au temps
5) Solitude
6) Angoisse, peur
7) Sensations d'enfermement
8) Punition
9) Colère
10) Sensations positives
11) Tristesse
1) Apaisement, résignation
9 patients sur 11 (82%) se disent apaisés par le
dispositif (chiffre auquel on peut ajouter la patiente C qui dit avoir
été toujours calme).
Le retour au calme est l'effet recherché en
priorité, et le signe qu'il va être possible de retrouver une
chambre ordinaire. Cette notion d'apaisement vient en effet pour tous en
réponse à la question 5 (Comment étiez-vous à la
fin ?). Pour le patient 5, il y a bien un début où l'on est
« angoissé, agité » et une fin
où l'on est « calme et détendu ».
La CI calme pour différentes raisons :
« le vide devient rassurant (F)», on s'habitue, on
fatigue, c'est « à cause des
injections (1)»... On finit par être :
« calmé à fond et ça
suffit (A)».
Pour 4 patients, cet apaisement n'est qu'une forme de
résignation. « On comprend que ça sert à
rien (B)» (de taper sur la porte) ; « C'est
la fatigue qui donne l'air apaisé (4)»,
« On n'a plus de forces, on s'épuise
(E) ».
2) Tension interne
8 patients (73%) évoquent une tension interne
qui se manifeste de diverses façons : agitation, stress,
labilité de l'humeur, confusion des sentiments (« on
pleure, on rigole, tous les sentiments (B)»)...
3 patients se demandent ce qu'ils font là :
« on ne sait pas pourquoi on y va » (E). L'un
d'eux se plaint de n'avoir pas eu d'explications (1).
Pour 2 autres, « ça travaille dans la
tête » (3). « Pourquoi
moi ? », se demande l'un d'eux (4).
Cette tension interne est manifeste, même lorsqu'elle
n'est pas dite directement : un patient (5) se plaint qu'on lui ait
retiré ses chaussures orthopédiques, ce qui lui a
occasionné des douleurs aux pieds « à force de
tourner autour du lit (5)».
Un autre raconte qu'il tapait sur la porte (B).
3) Mal-être
L'intitulé Mal-être a été
choisi faute de trouver une meilleure expression : il regroupe les
expressions d'un mal-être profond, lié à l'impression d'une
violence subie, et d'une pénibilité importante.
8 patients (73%) expriment des ressentis de cet ordre.
Les termes utilisés sont forts :
« désastreux (1) »,
« cauchemar (F) », « sentiment de
honte, d'être un animal (F) », « la
misère (B) », « trou noir
(E) », « l'enfer (4) ».
« C'est dur, très dur »,
dit le patient 4.
Pour le patient F, la CI symbolise l'échec :
« l'impression qu'on restera toujours des gens faibles, qu'on
n'avance pas et que ça se répète à
l'hôpital : comme dehors, on n'est pas
grand-chose. »
4) Ennui, perturbation du rapport au
temps
8 patients sur 11 (73%) se plaignent du temps qui ne
passe pas. La journée est rythmée par les repas, il n'y a
d'ailleurs « rien d'autre à faire que manger
(E) ». « On dort, y a que ça à faire
(D) »... « C'est très routinier
(D) ».
Mais l'ennui a du bon. Il oblige à penser et à
réfléchir. C'est ce que souligne le patient A quand il dit :
« ennui mais imagination. On peut rester planté des heures
à regarder le décor et à faire travailler
l'imagination ». Pour ce patient, l'ennui est vécu avec
tranquillité : « On dort. Il n'y a pas beaucoup de
bruit. La clim fait du bruit mais ça fait une présence, on s'y
fait.
Le moteur c'est une notion de temps pour moi. Un peu comme
une montre. Ca berce. On voit la pendule, ça remonte le
moral. »
Pour tuer l'ennui, on s'occupe l'esprit et le corps.
« Ca fait repenser au passé, il faut bien
s'occuper, sinon on devient fou. (B) ». La patiente C
décrit ainsi ses journées d'isolement : « La
journée, je fais ma gymnastique, je chante, je danse. Le
déjeuner, la douche, les médicaments matin, midi et soir.
(C) » La CI est l'occasion de se retourner sur son passé, de
réfléchir à sa vie, à ce qui a conduit à
l'hôpital...
4 patients parlent de désorientation temporelle ou
spatiale : « on est surpris par l'heure qu'il
est (A) ». On ne sait pas « si c'est le jour ou la
nuit (10) ».
Certains éléments concrets de l'isolement sont
mis en avant pour expliquer cette sensation : la lumière, toujours
allumée, l'absence de vue sur l'extérieur (« on ne
voit rien de la fenêtre (F)»), le fait de ne pas disposer
de ses lunettes (D).
Tableau 1 - Ressenti /
Nombre de sujets par catégorie de réponse
Ressentis
|
Nombre
de sujets
|
Moyenne
en %
|
Apaisement, résignation
|
9
|
81.81%
|
Tension interne
|
8
|
72.72%
|
Mal-être
|
8
|
72.72%
|
Ennui, perturbation du rapport au temps
|
8
|
72.72%
|
Solitude
|
7
|
63.63%
|
Angoisse, peur
|
6
|
54.54%
|
Sensations d'enfermement
|
6
|
54.54%
|
Punition
|
4
|
36.36%
|
Colère
|
4
|
36.36%
|
Sensations positives
|
3
|
27.27%
|
Tristesse
|
3
|
27.27%
|
Total
|
11
|
Figure 1 - Ressentis /
Moyennes du nombre de sujets par catégorie de réponse
5) Solitude
Dans le prolongement de cette expression d'ennui, 7
patients (64%) évoquent la solitude et le sentiment d'abandon
qu'elle provoque.
Pour le patient F, « On perd le statut d'humain,
comme un chien qu'on a enfermé en lui disant : je reviens te
chercher. »
On tape dans la porte (B). On a peur d'être
oublié : « On appelle, mais on n'est jamais
entendu à cause de la double porte (F) ».
En conséquence, les visites des soignants sont
attendues avec impatience et vécues comme un soulagement. C'est le cas
pour 5 patients qui évoquent pour les uns les visites qui font
« chaud au coeur (A) », pour d'autres
« les infirmières très gentilles (5) ».
Le patient F parle notamment du « bruit des
clés qui rassure » et fait une comparaison avec la
prison, où il a fait plusieurs séjours : « C'est un
bruit qui veut dire : « c'est bon, ils
viennent ».
Pas comme en prison où c'est effrayant parce que
ça peut vouloir dire qu'on va au tribunal par exemple. Là, c'est
plus libérateur. » « En prison, on sait
qu'il y a du monde ».
Pour ce patient, les multiples demandes (« comme
les clopes ») qui peuvent être faites ne sont en
réalité que des prétextes à voir du monde.
Pour lutter contre ce sentiment de solitude, deux patients (4
et F ) imaginent que l'on pourrait installer un poste de radio qui diffuserait
de la musique classique. Ils l'imaginent encastré dans le mur,
inaccessible et contrôlé par les soignants, mais cela ferait au
moins « une voix humaine ».
6) Angoisse, peur
6 patients (54%) reconnaissent avoir été
angoissés particulièrement au début. L'angoisse est en
général un des déterminants qui a conduit à
l'isolement. Il est donc difficile de faire la part entre cette angoisse et
l'angoisse iatrogène, générée par la CI
elle-même.
Un patient (E) mettra plusieurs semaines à accepter de
participer à cette recherche, à nouveau assailli d'angoisse
à l'idée d'en parler, comme si le seul fait d'évoquer la
CI pouvait conduire à y retourner. « Ce que je ne
supportais pas, dit-il, c'est quand je voyais plusieurs
médecins, nombreux pour regarder, c'est plutôt effrayant,
ça fait peur. »
3 patients parlent de peur : « Le premier
instinct est de remettre tout de suite le pied dehors (F) ».
Un patient (1) dont c'est la première hospitalisation
dit avoir eu « peur d'y rester longtemps » pour
avoir entendu des histoires de patients à qui c'était
arrivé.
7) Sensations d'enfermement
6 patients sur 11 (54%) parlent de sensations
d'enfermement. La petitesse de la pièce et le fait d'y être
enfermé à clé provoquent des sensations d'oppression pour
2 patients. Aucun ne dit littéralement qu'on y est comme en prison
(même si le patient D dit se sentir
« prisonnier ») mais cette notion sous-tend les
propos : « quand on nous relâche on se sent libre
(B) ». Deux patients (F et 5) qui ont fait des séjours en
prison comparent les conditions de vie dans les deux lieux.
8) Punition
Seuls 4 patients (36%) parlent véritablement de
punition, contrairement à ce que l'on aurait pu penser.
Un patient (3), répond littéralement à la
question de départ de cette recherche : ce n'est
« pas un soin, une punition ».
Le patient F précise : « Le terme de
punir n'est pas adapté mais c'est ce qui est ressenti. On est
condamné. On est dans les limbes. »
La notion d'injustice est présente : la patiente C
l'exprime par ces mots : « c'est moi qui
trinque ».
9) Colère
4 patients (36%) évoquent de la
colère : contre la société (4), contre les
médecins (1) ; contre le système et contre lui-même
pour le patient 4 qui se reproche « de n'avoir pas su [se]
contrôler »
10) Sensations positives
3 patients (27%) évoquent des sensations positives.
Il est important de rappeler que, pour l'un d'entre eux (A),
les circonstances de MCI sont particulières. Il s'agit du seul patient
qui ait été en accord avec la procédure, envisagée
comme un temps où l'on prendrait « bien soin de
lui ». Le temps d'isolement a par ailleurs été de
courte durée (1 jour).
Pour un autre (F), ce qui est souligné est l'absence de
stimulations extérieures, qui donne une impression de pureté
apaisante.
La troisième (C) manifeste plutôt un déni
des troubles (et particulièrement de l'agressivité) qui l'ont
conduite à l'isolement.
11) Tristesse
De la tristesse est ressentie par 3 patients (27%). La CI les
a « déprimé (1) », et
« beaucoup affecté moralement
(4) ». La patiente 2 parle de « tristesse
d'être enfermée ».
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