Chambre d'isolement : du point de vue des patients. Impact d'un temps d'élaboration sur le vécu des patients après un séjour en chambre d'isolement dans une unité d'hospitalisation de psychiatrie adulte( Télécharger le fichier original )par Charlotte Mouillerac Université Paris 8 - Master 1 psychologie clinique et psychopathologie 2007 |
1.2 ORIENTATION THÉORIQUEL'orientation choisie au départ de cette recherche s'inscrit dans une démarche pragmatique. En effet, plutôt que de se limiter à l'analyse des pathologies, la recherche en pragmatique se porte du côté des professionnels de la santé mentale et notamment sur les dispositifs thérapeutiques. Si comme il a été mentionné plus haut, le soin est une interaction entre un patient, des soignants et un environnement, il n'empêche que le dispositif de soins est rarement mis au centre des recherches. Les dysfonctionnements de la pensée ne peuvent cependant être analysés en dehors du contexte. C'est vers cette idée que s'oriente la pragmatique linguistique avec Austin et Searle, partant du constat que la signification d'un énoncé doit être infirmée à partir du contexte verbal situationnel dans lequel il s'inscrit. Le principal objectif de cette recherche est d'approcher le point de vue des patients, usagers des soins, sur une pratique, dans une perspective d'évaluation et d'amélioration des prises en charge. 1.3 HYPOTHÈSE GÉNÉRALELes recherches portant directement sur le vécu des patients en CI sont, on l'aura vu, peu nombreuses. Le sujet reste encore peu développé et la forte disparité des études ne permet encore aucune généralisation. Néanmoins, ce qui ressort de manière évidente des recherches évoquées plus haut, c'est que l'isolement ne peut être thérapeutique qu'à la condition d'être envisagé comme un véritable soin intensif, encadré par une équipe formée et ayant accompli un véritable travail de réflexion sur le sujet. Les rares témoignages obtenus auprès de patients au sujet de la chambre d'isolement montrent une majorité de sentiments négatifs, des sentiments souvent très forts qui interpellent forcément la place de ce soin. Cependant, il apparaît que quelques perceptions positives sont évoquées à plusieurs reprises. Elles portent principalement sur l'aspect rassurant de la chambre, qui est alors vécue comme un endroit paisible et réconfortant, à l'abri des sollicitations du service. Comment se peut-il que des patients (parfois d'un même service ?) aient pu percevoir ce temps d'isolement de manière si différente ? De nombreux facteurs peuvent être en cause, notamment la pathologie en question, l'histoire du patient dans le service, la durée de l'isolement... L'hypothèse posée ici est que le fait d'avoir pu bénéficier d'un temps d'élaboration auprès de soignants après la période d'isolement pourrait justement être un facteur déterminant. Il n'est pas négligeable que nombre de patients soient isolés plusieurs fois au cours de leurs différentes hospitalisations. Le fait d'avoir pu donner du sens à cette expérience difficile pourrait entraîner une meilleure acceptation de cette pratique qui pourrait alors se dérouler dans de meilleures conditions. Je reprendrai à ce sujet certains points d'un article extrait d'Alcoologie et Addictologie114(*), qui, bien que portant sur le thème des addictions, me semble apporter un éclairage intéressant. Partant de la théorie de l'autodétermination de Deci et Ryan, les auteurs soulignent l'importance du besoin d'autodétermination dans la motivation d'un patient : « Si ce besoin est réprimé ou menacé, la personne va réagir pour retrouver sa liberté de choix. » Cette théorie est en lien avec le concept de résignation acquise115(*) de Martin Seligman qui pose que lorsqu'une personne ne peut pas faire de lien entre ses actions et leurs conséquences, elle éprouve une forte baisse de motivation et une augmentation des sentiments de déprime. Sous l'incitation de personnes significatives (soignants, famille, par exemple), une personne peut tendre à intérioriser et à s'approprier un comportement pour lequel elle ne manifestait a priori pas d'intérêt. « Lorsque cela se produit, la personne se perçoit alors comme la cause de son comportement qui devient donc, ainsi, autodéterminé. » Pour obtenir une meilleure adhésion au programme de soins, il est nécessaire que les patients se sentent motivés, qu'ils aient le sentiment d'être partie prenante dans les décisions, c'est-à-dire que le besoin d'autodétermination soit satisfait. « Les personnes amotivées se sentent incompétentes, elles se comportent comme si elles n'avaient pas de contrôle sur leurs actions, elles perçoivent leurs comportements comme étant produits par des facteurs extérieurs et souvent même elles l'abandonnent. » Dans le cas de la psychose, il est d'autant plus difficile d'obtenir une motivation à se soigner que les patients n'ont pas une réelle conscience des troubles. Ces propos renvoient à la théorie de la dissonance cognitive de Léon Festinger : face à une incompatibilité entre ses cognitions, la personne va rechercher un moyen de réduire la dissonance, source de tension pénible. Ainsi, face à un soin pénible comme la CI, modifier les représentations des patients en leur permettant de donner du sens à cette expérience (utile, soin intensif) pourrait entraîner une minimisation du vécu de pénibilité et par là favoriser la motivation à accepter les soins proposés. En plus des entretiens post isolement, les patients bénéficient de temps de parole avec les soignants (médecins et infirmiers) pendant leur temps d'isolement. Le médecin les voit une fois par jour, pour un entretien ou du moins une évaluation de leur état. Les infirmiers passent toutes les heures, amènent les repas, prennent les constantes, accompagnent les temps de douches ou de sorties provisoires. Quelle perception les patients ont-ils de ces échanges ? Ces temps de parole sont-ils suffisants et répondent-ils à leurs attentes ? L'HYPOTHÈSE GÉNÉRALE EST DONC LA SUIVANTE : C'est par le travail d'élaboration accompli pendant et après le temps d'isolement que les représentations des patients peuvent être modifiées. Le sens que les patients donnent alors à cette période d'isolement modifie leur vécu. Les patients ont l'impression d'avoir pu bénéficier d'un soin intensif, reconnaissent une utilité à ce soin et profitent davantage des temps de parole proposés. * 114 Csillik, A.S. / Le Merdy, T. (2007) Type de motivation et engagement du processus motivationnel chez les personnes dépendantes. Alcoologie et Addictologie. 29(1). P 9-15 * 115 http://www.lepsychologue.be/psychologie/impuissance-apprise.asp |
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