PSYCHO-PHYSIQUES DU SUJET PORTEUR DE L'IMPLANTE
COCHLEAIRE Introduction
Le chapitre précédent a montré
l'efficacité du traitement du signal sur la reconnaissance de la parole.
Les résultats de la reconnaissance par ordinateur ou par restitution
acoustique aux normo-entendants sont similaires à ceux obtenus par les
meilleurs implantés cochléaires. Ces derniers assimilent donc
toute l'information pertinente envoyée par l'implant
cochléaire.
Afin d'améliorer les performances des autres patients,
Il est important de rechercher les facteurs qui limitent leurs performances.
Pour chaque patient, nous devons savoir s'il est capable d'extraire et
d'interpréter toute l'information transmise par l'implant. Les
contraintes psycho-physiques sont dues au fait que la stimulation est
électrique et que les capacités résiduelles du
système auditif du patient sont réduites. Elles peuvent
être de très bons indicateurs du décodage de l'information
sous ses trois dimensions que sont la fréquence, l'amplitude et le
temps. Une connaissance fine de ces caractéristiques psycho-physiques,
permettra peut être de transmettre une information mieux adaptée
et donc d'améliorer les performances des sujets actuellement en
difficulté. La mise en place d'un réglage et d'un traitement du
signal spécifique à chaque sujet semble être une bonne
solution.
I/ Le codage en fréquence
Dans le cas d'une stimulation électrique, le codage de la
sensation de tonie (perception de hauteur tonale) peut être de deux types
:
- tonotopique : la hauteur tonale évolue en fonction de
la zone de cochlée stimulée,
- temporel : la hauteur tonale évolue en fonction de la
cadence de stimulation.
a- Le codage fréquentiel tonotopique (en anglais
pitch place).
La biomécanique cochléaire procède
à une analyse fréquentielle du signal : Chaque fréquence
active une zone précise de la cochlée (de 20 à 20000 Hz).
Les fréquences aiguës sont localisées vers la base, les
fréquences graves vers l'apex. Cela induit une spécificité
fréquentielle des neurones afférents de type I (Kiang et al,
1965). Chez le normo-entendant, la résolution fréquentielle est
très fine. Des mesures perceptives montrent qu'un normo-entendant peut
discriminer un son de 1000 Hz d'un son de
1003 Hz Son champ fréquentiel est composé
d'environ 600 échelons de tonie.
Sans biomécanique cochléaire, lors d'une
stimulation électrique de la cochlée, les neurones de type I
perdent leur spécificité fréquentielle (Moxon, 1971).
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Frequency (kHz)
Figure 38 Réponses des
fibres nerveuses du nerf auditif lors d'une stimulation électrique en
fonction de la fréquence de stimulation, d'après Moxon et
Kiang 1972
Chez les patients implantés cochléaires, la
tonie liée à la tonotopie est essentiellement fonction de la zone
du modulus (ganglion spiral) stimulée (Cohen et al, 1996). Elle
dépend de la localisation des électrodes dans la cochlée,
du mode de stimulation, de l'étiologie, de la voie d'abord
(fenêtre ronde ou cochléostomie).
Le fait que la tonotopie ganglionaire soit très
différente de la tonotopie cochléaire (cf figure 2 page 11)
permet d'obtenir une perception de la tonie grave pour les électrodes
situées dès la fin du premier tour de cochlée (Blamey et
al, 1996).
Figure 39 : Estimation de la
tonie en fonction de l'électrode stimulée sur le système
multiélectrode Nucleus, d'après Cohen et al, 1996.
L'électrode 1 est la plus basale, l'électrode 20, la plus apicale
(à la fin du premier tour de cochlée en
général).
11
10 12 14 ffi
Certaines études chez le sujet normo-entendant
(Shannon et al, 1995 ; Fu et al, 1998) et chez le sujet implanté
cochléaire (Dorman et al, 1998) portant sur le nombre de canaux
nécessaires à la reconnaissance de la parole montrent que pour
avoir une bonne intelligibilité il faut bien maîtriser le spectre
que l'on attribut à chaque canal ainsi qu'avoir un nombre suffisant de
canaux (surtout avec un signal bruité).
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+2 eM 5,14 ci - 11.1,N.T. -2 c.C: reiti ' -
le 20
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a. 13
Figure 40 : Importance du nombre
de canaux sur l'intelligibilité, pour différent rapport signal
sur bruit. D'après Dorman et al, 1998
La résolution fréquentielle liée
à la tonotopie dépend de la zone stimulée par les
électrodes de l'implant. Elle comporte 10 à 15 niveaux
différents en moyenne (Tong et Clark, 1985 ; Busby et Clark, 1996).
Lorsque la cochlée est ossifiée le nombre d'échelons de
fréquence peut être inférieur à 5 (Truy et al,
1995).
Certains auteurs (Black et Clark, 1980 ; Merzenich et White
1979 ; Clark et al, 1988) trouvent une bonne préservation de la
tonotopie du colliculus inférieur en fonction de la zone de
cochlée stimulée électriquement, ce qui indique que la
perte tonotopique se situe principalement au niveau cochléaire.
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Figure 41: Mesure de la
différenciation en tonie entre électrodes en fonction de la
distance qui les sépare pour différentes zones
stimulées et différents patients, d'après Busby et al,
1996
Le nombre de canaux différenciés ne correspond pas
nécessairement aux nombre d'électrodes. Il dépend de
plusieurs facteurs.
- Facteurs physiologiques :
Après avoir réalisé de nombreux
réglages d'implants cochléaires nous avons observé que
:
- La différentiation de tonie entre différentes
électrodes varie en fonction de la durée d'implantation. Ce
phénomène pourrait être lié à un
apprentissage de la notion de tonie et une adaptation du système auditif
à la stimulation électrique.
- La tonie dépend de l'étiologie de la
surdité. Les sujets prélingaux acquièrent difficilement la
notion de tonie. Les personnes présentant une surdité
évolutive appareillée par des systèmes conventionnels ont
du mal dans les premiers temps à percevoir les fréquences
aiguës, correspondant à une zone de la cochlée qui n'a pas
été stimulée depuis longtemps. Ceci induit une
surestimation des seuils de détection.
- L'interface bioélectrique :
Les zones de la cochlée stimulées par les
différentes électrodes ne sont pas totalement
indépendantes les unes des autres (Shannon, 1983). Cette interaction
entre canaux a des effets sur la sommation de sonie (Oayoun, 1997) mais aussi
sur la discrimination de tonie (Mc Dermott et Mc Kay, 1994, ).
La différentiation en tonie des électrodes
dépend de l'interaction qu'évoque la stimulation (Busby et aI,
1996). Nous avons voulu étudier l'importance des caractéristiques
de l'impulsion sur la résolution en tonie entre chaque électrode.
L'étude a consisté à mesurer les confusions de tonie entre
chaque électrode voisine en fonction de 3 valeurs de l'amplitude de
l'impulsion pour des niveaux de sonie confortables. Les résultats
démontrent que plus l'amplitude de l'impulsion est élevée,
plus il y a une interaction entre les électrodes adjacentes ce qui rend
la différentiation de hauteur tonale difficile (cf figure 42). La
discrimination du 'pitch place' dépend donc des caractéristiques
de la stimulation électrique.
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amplitude de l'impulsion
Figure 42 : Pourcentage de
confusion de la tonie de deux électrodes adjacentes en fonction
de l'amplitude de l'impulsion. (Effectué sur 6 implantés
cochléaires Digisonic).
b- Le codage fréquentiel temporel (en anglais
pitch rate).
La synchronisation des décharges des neurones en
fonction de la fréquence de stimulation acoustique (phase locking en
anglais) permet de coder en partie la fréquence. Un neurone isolé
ne peut coder que des fréquences inférieures ou égales
à 300-500 Hz (Rose et aI 1967) alors que pour un groupe de neurones
(nerf auditif), la synchronisation peut permettre de coder des
fréquences supérieures à 1kHz
(Kiang, 1965). Cette limitation est principalement liée
à la période réfractaire du neurone. Pour le
normo-entendant, la résolution du codage fréquentiel temporel
(pitch rate) est très fine pour les fréquences 100-300 Hz. Ce
type de codage de la fréquence est utile à la
compréhension lorsque le codage fréquentiel tonotopique ne peut
plus se faire (intensité de stimulation forte ou rapport bruit sur
signal important).
Chez le sujet porteur d'un implant cochléaire, des
études (Shannon, 1983 ; Tong et Clark, 1985) montrent des variations
fines de la tonie de 100 à 500 Hz, voir même au-delà de
1000 Hz (Dorman et al, 1996).
Les mêmes mesures effectuées chez cinq patients
implantés cochléaires Digisonic montrent des résolutions
de l'ordre de 6 % (soit environ 12 pas par octave) pour des fréquences
comprises entre 200 et 300 Hz (cf figure 43). Les performances sont moindres en
dehors de cette zone. Les mesures sont effectuées à 70 % de la
dynamique sur une électrode apicale. Chaque mesure provenant d'une
méthode par convergence deux intervalles choix.
2
o
0 100 200 300 400 500 600
Fréquence (Hz)
Figure 43 : Résolution
fréquentielle (dF/F) en fonction de la fréquence de stimulation
pour 5 sujets porteurs de l'implant cochléaire Digisonic.
La sensation de hauteur tonale sature en général
entre 300 et 500 Hz (cf figure 44). Le codage temporel de la hauteur tonale
(pitch rate) chez le sujet porteur d'un implant cochléaire dépend
de l'étiologie. Lorsque le système auditif est bien
conservé, il pourrait être supérieur à celui des
normoentendants (Townshend et al, 1987). La stimulation électrique
induirait une meilleure synchronisation (phase locking), ce qui corrobore les
études sur la mesure de période réfractaire de neurones
stimulés électriquement via un implant cochléaire (Abbas
& Brown, 1991 ; Kasper, 1991).
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FREQUENCY <KHZ)
Figure 44 : Estimation de la tonie
en fonction de la fréquence de stimulation, d'après Shannon,
1983
En résumé, pour les sujets porteurs d'implant
cochléaire, le codage fréquentiel tonotopique est très
réduit par rapport au sujet normo-entendant alors que le codage
fréquentiel temporel est semblable voire meilleur selon
l'étiologie de la surdité. Le codage de la parole chez le sujet
porteur d'un implant cochléaire doit donc privilégier le codage
de la fréquence de manière temporelle. Le codage
fréquentiel temporel ne doit pas être négligé dans
le traitement de stratégie de stimulation de l'implant
cochléaire.
III Le codage en intensité
Le système auditif utilise plusieurs méthodes
complémentaires pour coder les variations d'intensité de
stimulation. Le codage se fait essentiellement par un accroissement du taux de
décharge des fibres lorsque l'intensité de stimulation augmente.
La dynamique des fibres est d'environ 30 à 40 dB ne suffit pas à
expliquer la dynamique acoustique qui est de 100 à 120 dB. Liberman
(1978), montre qu'il existe deux types de fibres de type I au niveau de la
cochlée. Ils se différencient par leur diamètre et leur
taux de décharge spontanée. D'un point de vue fonctionnel, les
fibres ayant un petit diamètre et un taux de décharge
spontanée supérieur à 18 potentiels d'action par seconde
ont un seuil de déclenchement bas vers 0 dB HL. Les fibres ayant un gros
diamètre et un taux de décharge spontanée inférieur
à 18 potentiels d'action par seconde ont un seuil de
déclenchement haut vers 40 à 50 dB HL. De 0 à 40-50 dB HL,
le premier type de fibres (à seuils bas) code l'intensité de
stimulation, les autres types de fibres sont inactifs. De 40-50 à 80-90
dB HL, les fibres à seuils hauts codent l'intensité de
stimulation, les fibres à seuils bas sont saturées.
Le recrutement de fibres dû à un
élargissement de la zone de cochlée stimulée lorsque
l'intensité de stimulation s'accroît participe également au
codage de l'intensité (Sacks et Abbas, 1974). Bien que les neurones
codant la fréquence centrale de stimulation soient saturés, les
neurones situés aux extrémités de la zone excitée
peuvent coder l'intensité de stimulation.
Figure 45 : Décharge des fibres auditives en
fonction de l'intensité acoustique (haut), électrique
(bas), d'après Sachs et Abbas,1974 (Haut), Kiang et Moxon, 1972
(bas)
Pour le normo-entendant, le nombre d'échelons
discriminés en intensité pour une fréquence donnée
est d'environ 150, chez le sujet porteur d'un implant cochléaire il se
situe entre 5 et 50 (Pfingst et al, 1983 ; Nelson et al, 1996). Le codage par
type de fibres (seuils haut et bas) ne semble pas intervenir pour une
stimulation électrique. De plus, la forte synchronisation produite par
une stimulation électrique défavorise le codage par recrutement
des fibres et augmente les pentes des courbes représentant les taux de
décharge en fonction de l'intensité de stimulation. Le codage de
l'intensité de stimulation par le nombre de potentiels d'action par
seconde semble donc être le seul des trois systèmes de codage
(taux de décharge, deux types de fibres, recrutement des fibres)
utilisé par le sujet porteur d'un implant cochléaire. Ceci
pourrait expliquer que le nombre de pas en intensité
discriminé est plus faible que chez le normo-entendant et que la
dynamique électrique varie de l'ordre de 2 à 20 dB alors que la
dynamique acoustique est de 100 à 120 dB (Shannon, 1983 ; Pfingst et al,
1991) .
Figure 46 : Estimation du nombre de pas en
intensité pour différents patients implantés
cochléaires, d'après Nelson et al, 1996
En résumé, la résolution en
intensité chez le sujet porteur de l'implant cochléaire est
beaucoup moins bonne que pour le normo-entendant et un seul des trois
mécanismes (codage par taux de décharge) semble être
utilisé pour coder l'intensité de stimulation.
L'objectif est de définir les caractéristiques du
codage de l'intensité perçue par les sujets implantés
cochléaires Digisonic (seuils de détection et de confort, seuils
différentiels en intensité, sonie).
a- Seuils et dynamiques électriques
La plus petite et la plus grande quantité
d'énergie perceptible par un système sensoriel sont d'abord
déterminées par les propriétés biophysiques de
l'organe sensoriel périphérique et des cellules transductrices.
Les fonctions de seuils d'un système sensoriel reflètent en
général les limitations physiques de l'organe
périphérique à convertir l'énergie physique en
impulsion nerveuse.
Avec un stimulus électrique, les
propriétés biophysiques sont déterminées par
l'activation du neurone par un champ électrique induit. Les seuils de
détection et d'inconfort varient selon le patient. Il est
nécessaire de détecter chacun d'eux sur toutes les
électrodes lors de l'adaptation de l'interface bioélectrique. Les
valeurs sont difficilement prévisibles. Il semble intéressant
d'étudier les différents paramètres qui influencent la
définition des seuils de détection et d'inconfort.
1- Seuils (détection et confort) et dynamiques en
fonction du patient
Les spécificités de la stimulation
électrique de l'implant cochléaire Digisonic, justifient
l'étude des modifications de ses seuils de détection et de
confort ainsi que celles des dynamiques en fonction du site stimulé et
des caractéristiques du patient.
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