V/ Performances des sujets implantés
cochléaires
Les études précédentes ont permis
d'évaluer l'efficacité du traitement du signal effectué
par l'implant cochléaire Digisonic® dans l'extraction
des éléments permettant d'obtenir une bonne séparation des
groupes de phonèmes. Nous avons aussi montré que l'information
extraite par l'implant pouvait être traitée de la même
manière par le système auditif qu'un signal de parole
conventionnel.
Cependant, nous ne pouvons en conclure que le traitement du
signal de parole effectué par l'implant apporte une bonne
intelligibilité chez le sujets porteur de l'implant. Pour cela, seuls
les résultats cliniques peuvent nous renseigner. Nous allons comparer
les résultats obtenus par les patients à ceux mesurés par
ordinateur ou chez les normo-entendants par reconstruction du signal.
Seize sujets porteurs de l'implant cochléaire
Digisonic® ont participé à
l'expérimentation consistant à évaluer les performances de
reconnaissance de la parole. Quatre parmi les seize ont eu une insertion du
porte électrode, difficile suite à une cochlée
ossifiée (Dur, Fau, Pin, Rob).
a/ Apport de l'implant cochléaire avec ou sans
aide de la lecture labiale
Plusieurs tests de reconnaissance ont été
effectués. En premier lieu, nous avons voulu estimer l'apport de
l'implant cochléaire sur la compréhension de la parole avec ou
sans support de la lecture labiale.
Pour chaque sujet, nous avons mesuré le pourcentage de
reconnaissance phonétique avec des listes de 34 mots
tri-phonémiques proposées par Lafon. Celles-ci ont
été prononcées par une orthophoniste dans trois
conditions, avec lecture labiale seule, avec implant cochléaire sans
lecture labiale, avec implant cochléaire et aide de la lecture labiale.
Dans chaque condition, une liste parmi 20 était choisie
aléatoirement.
Les résultats sont représentés
individuellement figure 32. Les phonèmes sont reconnus en moyenne,
à 44% (s.d. 5) avec la lecture labiale seule, 60% (s.d.6) avec l'implant
cochléaire sans lecture labiale et à 81% (s.d. 3 %) avec
l'implant cochléaire et la lecture labiale. Ces résultats sont
comparables avec ceux obtenus sur d'autres types d'implants cochléaires
(Tyler et al, 1997).
|
100
|
|
80
|
C C
o
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|
60 40
|
|
20
|
|
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|
|
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Figure 32 Pourcentage de
reconnaissance de listes de 34 mots tri-phonémiques pour 16
sujets porteurs de l'implant cochléaire Digisonice, avec
lecture labiale (LL) bâton vide, implant seul (IC)
bâton hachuré , lecture labiale plus implant (LL+IC)
bâton quadrillé.
Les résultats sont inhomogènes, mais peuvent
être déterminés en partie en fonction des
antécédents de chaque sujet porteur de l'implant
cochléaire (cochlée ossifiée, durée de privation).
L'implant cochléaire apporte statistiquement (par comparaison par
rapport à 0) de l'intelligibilité à tous les sujets
testés. L'implant cochléaire sans lecture labiale apporte une
information supérieure statistiquement (par anova) à la lecture
labiale seule (individuellement par comparaison de moyenne LL<IC pour 8/16
sujets, LL>IC pour 1/16 sujets). L'implant cochléaire avec lecture
labiale apporte une information supérieure statistiquement (par anova)
à l'implant cochléaire seul (individuellement par comparaison de
moyenne IC<IC+LL pour 14/16 sujets, LL>IC+LL pour 0/16 sujets). L'apport
de la lecture labiale est d'autant plus important que les résultats avec
l'implant seul sont faibles (sujets Pin, Fau, Roi).
Si l'on compare les performances obtenues par reconstruction
acoustique (puis écoutés par des normoentendants) et celles des
meilleurs sujets implantés, on trouve une grande similitude. Les
résultats varient au alentour de 90 % de reconnaissance avec des
plafonds de 95%. Par contre la reconnaissance par ordinateur a montré
des pourcentages très proches de 100%. Cela voudrait dire que
l'information envoyée par l'implant cochléaire est suffisante
pour reconnaître 100 % des phonèmes, mais que la manière
dont elle est codée n'est pas idéale pour le système
auditif (5% à 10% des
phonèmes sont mal différenciés).
le La suppléance mentale
La reconnaissance phonétique de non-mots
(Doumèche, 1997) ou logatomes est certainement le meilleur moyen chez
des sujets porteurs de l'implant cochléaire pour estimer le traitement
du signal transmis par les voies auditives. D'autres facteurs, tel que le champ
lexical, la mémoire de travail et le temps d'accès au lexique
conditionnent aussi les performances du sujet porteur de l'implant
cochléaire dans des situations réelles telles qu'une conversation
avec une autre personne.
Nous avons voulu étudier l'effet de la
suppléance mentale dans la reconnaissance de la parole chez les sujets
porteurs d'un implant cochléaire. Pour ce faire nous avons mesuré
le pourcentage de reconnaissance phonétique pour trois tests de
reconnaissance phonétique différents sans aide de la lecture
labiale.
- Le premier test consiste à reconnaître des mots
mono-syllabiques. La suppléance mentale n'intervient
pas pour ce type de tache, seuls des éléments
phonétiques vont permettre la discrimination,
- Le deuxième test consiste à reconnaître des
mots tri-phonémiques ( cf a/). La suppléance mentale joue un
rôle limité,
- Le dernier test consiste à reconnaître les
phonèmes contenus dans une liste de phrases. La suppléance
mentale est ici importante.
Les résultats sont représentés
individuellement figure 33. Les phonèmes sont reconnus en moyenne,
à 53% (s.d. 6) pour les mots mono-syllabiques, 60% (s.d.6) pour les mots
tri-phonémiques et à 70% (s.d. 8) pour les phrases.
Les phonèmes sont statistiquement (anova) mieux
reconnus dans les phrases que dans les mots. Les phonèmes sont
statistiquement mieux reconnus dans les mots tri-phonémiques que dans
les mots mono-syllabiques.
Il existe de fortes corrélations entre les tests (test
de Pearson R=0.88 p<0.001 entre les mots monosyllabiques et les mots
tri-phonémiques, R=0.85 p<0.001 entre les phrases et les mots
monosyllabiques, R=0.87 p<0.001 entre les phrases et les mots
tri-phonémiques)
100 80 c 60
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|
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0 °0 1. 43 u
41e o
U oe --1 0 0 ° 0
Figure 33 : Pourcentage de
reconnaissance phonétique sans lecture labiale pour 16 sujets
porteurs de l'implant cochléaire Digisonice, mots
mono-syllabiques (bâton vide), mots tri-phonémiques
(bâton hachuré), phrases (bâton quadrillé).
La figure 34, représente les corrélations entre
les reconnaissances phonétiques de la liste de mots mono-syllabiques et
celles des deux autres tests. Il existe une relation linéaire entre les
performances à partir des deux listes de mots et une relation
non-linéaire entre les performances avec la liste de mots
mono-syllabiques et la liste de phrases. La suppléance mentale pourrait
expliquer cette non-linéairité. Il suffit d'avoir entre 50
à 60 % de reconnaissance phonétique avec des mots
mono-syllabiques pour avoir environ 100 % de reconnaissance phonétique
avec des phrases.
100 80 60 40 20
·
·
100
aft
80 60
0
.c
a 40
20
o
0 20 40 60 80 100
Mots mono--syllobiques (%)
ei lew
· · · ·
·
·
· ·
·
·
|
|
0 20 40 60 80 100
Mots mono--syllobiques (X)
Figure 34 : Relation entre la
reconnaissance phonétique avec la liste de mots mono-syllabique
et, la liste de mots tri-phonétiques (gauche), la liste de phrases
(droite) pour les 16 sujets implantés cochléaires.
cl Speech tracking
Cette suppléance a un coût. Plus on
supplée, plus on doit être attentif et moins l'on peut analyser de
mots à la minute. L'objectif de cette partie est, d'étudier le
nombre de mots à la minute que peut reconnaître chaque sujet
implanté cochléaire par le test de "speech tracking". Nous
cherchons également à savoir s'il y a une relation entre le taux
maximum de mots analysés et la reconnaissance phonétique.
Les résultats sont représentés
individuellement figure 35.
90 80 70
"I- 60 o
50
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40 o
30 20 10
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C t.) D VI .0 0 · ·
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|
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·
2
|
|
Figure 35 : Flux moyen de mots
(speech tracking) analysés pour chacun des 16 sujets porteurs de
l'implant cochléaire Digisonice:
Le débit moyen de mots analysés par le groupe de
sujets implantés testés est de 36 mots à la minute (s.d.
29). Il est compris entre 0 et 82 mots/minutes.
Comme l'indique la figure 36, de fortes corrélations
existent entre les résultats des tests du "speech tracking" et les
résultats des tests de reconnaissance phonétique (test de Pearson
R=0.89 p<0.001 entre le speech tracking et les mots mono-syllabiques, R=0.82
p<0.001 entre le speech tracking et les mots tri-phonémiques, R=0.78
p<0.001 entre le speech tracking et les phrases).
,00 100
80
60 60
40 t 40
20
0 0
0 20 40 60 80 100 0 20 40 60 80 100
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80
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·
·
·
·
·
·
· · ·
· ·
·
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· ·
· ·
· ·
·
Speech trocking (mot/min) Speech tracking
(mot/min)
· · · ·
· · ·
· ·
·
·
· ·
· ·
·
·
20 40 60 80 100 Speech trocking (mot/min)
t 00
ifts
2 80
o
3 60 P.
ô 40
20
o o
Figure 36 : Relation entre le
speech tracking et la reconnaissance phonétique des trois tests (mots
mono-syllabiques, mots tri-phonémiques, phrases).
La relation entre le "speech tracking" et les tests de
reconnaissance phonétique de mots est linéaire alors qu'elle est
non-linéaire avec la reconnaissance phonétique de phrases. La
suppléance mentale améliore la reconnaissance des phrases mais
n'influe pas sur le flux maximum de compréhension. Ce débit
correspond étroitement à la faculté de discriminer les
phonèmes indépendamment du contexte.
di Compréhension dans le bruit
Nous avons quantifié l'influence de l'ajout d'un bruit
sur les résultats. Douze des seize sujets ont participé à
cette étude. Les signaux de parole sont des mots tri-phonémiques
générés par ordinateur. Un bruit rose correspondant au
spectre moyen de la parole vient se superposer au signal. Cinq valeurs de
rapport signal sur bruit sont testées.
La figure 37, représente les discriminations
phonétiques moyennes en fonction du rapport signal sur bruit (S/B).
Comme le montre la figure 37, les performances sont sensibles
au rapport signal sur bruit (par Anova p<0.001 ; la reconnaissance est de
17% à S/B=-3dB, 25% à S/B=0 dB, 36 % à S/B=3 dB, 43%
à S/B=6 dB, 54% sans bruit). Ces résultats
moyens sont en deçà de ceux obtenus par reconstruction acoustique
(cf article 8) ; par contre les résultats des 2 meilleurs sujets sont
identiques (36% à --3 dB, 57% à +3 dB).
L'extraction du signal dans le bruit par les meilleurs sujets testés
semble être identique à celle effectuée par reconstruction
acoustique chez les normo-entendants.
60
eftC
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V %.
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a.
|
|
|
-3 0 3 6 Without
Signal to noise ratio (dB)
Figure 37 : Pourcentage de
reconnaissance phonétique en fonction du rapport signal sur bruit pour
une population de 12 sujets implantés cochléaires.
Comme l'indique le tableau V, la reconnaissance
phonétique dans le bruit est moins reliée à la
reconnaissance phonétique non bruitée de mots ou surtout de
phrases qu'au débit maximum de compréhension du sujet (speech
tracking).
S/B dB
|
Mots mono-syllabiques
|
Phrases
|
Speech tracking
|
+6
|
R=0.57
|
0.46
|
0.52
|
|
p=0.02
|
NS
|
0.09
|
+3
|
R=0.71
|
0.456
|
0.70
|
|
p=0.01
|
NS
|
0.01
|
0
|
R=0.48
|
0.235
|
0.60
|
|
p=NS
|
NS
|
0.04
|
-3
|
R=0.40
|
0.17
|
0.53
|
|
p=NS
|
NS
|
0.08
|
|
Tableau V : Corrélation
par le test de Pearson entre la reconnaissance phonétique dans le bruit
et, les tests de reconnaissance de mots mono-syllabiques, de phrases, de
débit maximum de reconnaissance (speech tracking) pour une population
de 12 sujets porteurs de l'implant cochléaire
Digisonic®.
Conclusion
- Des résultats montrent que l'information
envoyée par l'implant cochléaire peut être
décryptée de différentes manières suivant les
sujets. Cela nécessite donc soit un codage redondant de l'information
par l'implant cochléaire, soit un codage adapté à chaque
sujet implanté.
- D'autres expérimentations montrent qu'un codage trop
riche en informations détériore l'intelligibilité.
- Une comparaison entre les performances des sujets
implantés cochléaires et celles obtenues par ordinateur montre
qu'une partie de l'information transmise est mal décryptée par le
sujet implanté cochléaire.
Malgré cela les résultats obtenus avec
l'implant cochléaire sans aide de la lecture labiale indiquent que deux
tiers de la population testée comprend plus de deux tiers des
phonèmes contenus dans une phrase.
|