Chapitre III.
L'INITIATIVE PPTE ET LES PERSPECTIVES DE CROISSANCE
EN RDC
Les problèmes du financement de la croissance en
Afrique constituent un thème qui s'inscrit tout naturellement dans le
droit fil des préoccupations majeures du moment. La relance
économique de l'Afrique Subsaharienne qui est aujourd'hui un sujet qui
mobilise aussi bien les gouvernements du continent que les membres de la
Communauté Internationale, constituera l'objet de la première
section de ce chapitre. On se souviendra à ce sujet que les chefs d'Etat
de l'Ex Organisation de l'Unité Africaine ont adopté en 1985 le
« Programme Prioritaire de Redressement Economique et de
Développement de l'Afrique 1986 - 1990 », programme qui a
été soumis et adopté par la Communauté
Internationale au cours d'une session spéciale des Nations - Unies
consacrée à cette crise économique que traverse le
continent Africain. Par ailleurs, le régime PPTE a été
conçu par les Institutions de Brettons Woods (IBW) en 1996 pour
rencontrer les problèmes liés à l'allègement de la
dette des pays à faible revenu, dette considérée comme un
obstacle pour leur développement. L'admission de la République
Démocratique du Congo à cette Initiative constituera notre
deuxième section. Alors que l'allégement de la dette sera
progressif au niveau de son service d'ici 2006, quelles seront les perspectives
d'une croissance pour une économie aussi délabrée que
celle de la RDC ? C'est autour de cette dernière question que sera
organisée la troisième section de ce chapitre.
Section I. Problèmes du financement de la
croissance en RDC
I . 1 . Le poids de l'histoire
Dans les lignes qui suivent, nous allons partir d'abord d'une
restrospective historique des mécanismes fortuits du financement de la
croissance en Afrique en remontant à la période coloniale, nous
présenterons ensuite pour terminer les difficultés de financement
en R.D.C.
Le financement de la croissance provient, en premier lieu, de
l'épargne nationale, c'est - à- dire la somme de l'épargne
publique et l'épargne privée. Lorsque celle - ci est
insuffisante, pour financer la croissance possible, on peut alors recourir
à l'épargne d'autres pays, c'est-à-dire du reste du monde.
Cependant, comme le bon sens l'exige, à terme les prêts
extérieurs doivent être remboursés grâce aux
excédents de production réalisés à l'aide d'apports
financiers extérieurs et de l'épargne nationale. Comme l'indique
Chandra HARDY67, au cours des années 60, les taux de
croissance du PNB par habitant de l'Afrique Subsaharienne étaient
faibles mais positifs et des acquis considérables ont été
enregistrés en matière d'augmentation du niveau de
l'épargne et de l'investissement. Les entrées des capitaux
étrangers correspondaient en moyenne à 3% du PIB et le niveau de
l'investissement est passé de 16 à 21% entre 1960 et 1970.
67.Hardy cité par Kabuya Kalala,(1987)
«Problèmes et gestion de financement du développement en
Afrique », in Zaïre -Afrique, n°163 , Kinshasa, p.620
Au cours des années 70, la décennie des chocs
pétroliers, la détérioration des termes de
l'échange s'est traduite par une baisse de 50% du pouvoir d'achat des
exportations et par une baisse régulière des revenus. Les
entrées de capitaux étrangers ont considérablement
augmenté après la première et la seconde hausse du prix du
pétrole. Ce qui permis initialement d'amortir la baisse du niveau de vie
et à maintenir le niveau des investissements, mais n'a pas suffi pour
à compenser les effets défavorables de la sécheresse et de
la crise en général de la balance des paiements. Les ressources
en devises de nombreux pays Africains ne permettent pas d'honorer le service de
la dette et de financer les importations de première
nécessité. Le taux d'épargne intérieure qui
était passé de 13% du PIB en 1960 à 20% en 1979 a
été que de 12% en 1983. L'Afrique se trouvait manifestement dans
une situation où les contraintes de l'épargne et des devises
constituent des entraves.
GORDON 68 retrace l'origine de la
débâcle des politiques africaines de financement de croissance
partiellement dans la fragilité et le manque d'adaptation des structures
institutionnelles en matières de politique économique et
financière. Les pays Africains, pour la plupart et la République
Démocratique du Congo en particulier, ont accédé à
l'indépendance sans y être bien préparés:
système monétaire représentait un accessoire marginal de
la Banque Centrale Métropolitaine; les banques commerciales
étaient, elles aussi, des avant- postes secondaires des centres
monétaires européens avec très peu d'autonomie de
financement; la croissance économique était financée par
des dons venant de la métropole. 40 à 50% de l'investissement
global étaient consacrés à l'industrie contre 5% seulement
à l'agriculture au cours des années 60 et 70.Or comme l'affirme
FRIMPONG - ANSAH 69, dans la plupart des pays
Africains, il a été constate une détérioration du
potentiel d'épargne au cours des années 1980.
Cette crise africaine est caractérisée
essentiellement par une baisse continue de la production face à une
augmentation rapide de la pression démographique. Selon Kabuya
Kalala, pour mesurer l'ampleur de la crise il faut revoir le niveau des
investissements qui avait été relativement élevé en
Afrique Subsaharienne pendant les années 1970 ( 22% du PIB) a
amorcé, depuis 1980, une baisse continue pour se situer à
seulement 14,5% environ en 1984. Ce phénomène, résulte de
l'effet combiné de la faiblesse de l'épargne intérieure et
surtout de la diminution de l'apport des capitaux extérieurs. Il est
évident que la relance des économies exige de renverser ces
tendances défavorables au développement, et pour y parvenir il
faut une mobilisation d'importantes ressources financières aussi bien
intérieures qu'extérieures. L'investissement destiné
à répondre aux besoins vitaux n'est pas seulement souhaitable
pour mettre un terme à la souffrance humaine; c'est également un
élément clé dans une stratégie
intégrée de croissance.
68.D.L.GORDON, cite par KABUYA KALALA,Op.
Cit.,p.621
69.J.H. FRIMPONG - ANSAH, cite par KABUYA
KALALA,Op. Cit.,p.622
Or, les perspectives de mise en oeuvre de ces ressources
financières doivent non seulement se fonder sur les leçon
tirées de plusieurs dizaines d'années de gestion
économique des pays africains depuis les indépendances
politiques, mais surtout sur l'adoption et la mise en oeuvre des mesures visant
à tirer le meilleur profit des ressources ainsi mobilisées. Il a
été cependant constaté que peu de résultats
positifs ont été enregistrés malgré l'injection
massive des capitaux dans le circuit économique de la République
Démocratique du Congo. Certains en concluent que beaucoup de ressources
ont été ainsi gaspillées70.
Lorsqu'une économie fait toujours recours à
l'emprunt extérieur, ne dégage pas une épargne suffisante,
est connaît des sérieux déséquilibres au niveau de
sa Balance de paiements. C'est ce que nous avons fait remarquer au premier
chapitre de cette étude; telle est la situation de l'économie
Congolaise depuis bien des années et jusqu'aujourd'hui.
L'économie Congolaise plus que jamais a besoin d'une importante
bouffée d'oxygène pour se relever mais comment parvenir a une
relance durable est soutenue alors que le pays doit faire face annuellement au
paiement du service de la dette et aux arriérés dus aux dettes
contractées. Est- ce en prélevant une partie sur des recettes
intérieures ou avec les fonds reçus des nouveaux emprunts que le
pays effectuera son service de la dette? Pourra-t-il financer son
développement avec la réduction de sa dette dans le cadre de
l'Initiative PPTE ?
Voilà autant d'interrogations posées par les
problèmes du financement de la croissance en République
Démocratique du Congo. Mais le débat sur le financement de la
croissance remonte à l'époque des indépendances et jusque
là, on semble pas trouver une réponse adéquate à
cette question. Les engagements financiers se sont multipliés au cours
des décennies dans le chef des pays riches mais la plupart de ces
promesses sont restées lettre morte.
Le débat de ce troisième millénaire a
été marqué par une prise de conscience de cette question
épineuse dictée par l'ampleur de la pauvreté et des
inégalités dans le monde. Nous pouvons nous demander si la
communauté internationale peut faire mieux aujourd'hui que dans le
passé? Il ne semble pas exister une réponse unique à cette
question cependant sans négliger le sentiment des institutions de
Bretton Wood en la matière, les prêteurs ont leur conception
globale sur la question et les emprunteurs la leur.
Concernant la RDC, le non paiement de sa dette envers les
institutions de Bretton Woods pouvait constituer un handicap à
l'éligibilité aux mécanismes existant de réduction
de sa dette extérieure. Elle doit chercher à se mettre en phase
avec ses partenaires tant bilatéraux que multilatéraux afin de
pouvoir bénéficier des différentes mesures de
réduction et d'annulation des dettes. Les mesures d'annulation ne
concernent que les pays les plus pauvres dont la dette comprend une forte
proportion de crédits d'Etat à Etat.
70.MUELA BAKUETU.B, Op.Cit.,p.49
Avec un revenu annuel de 68,3 USD, soit à peu
près 6 USD par mois et par habitant, la République
Démocratique du Congo est loin en deçà du seuil de la
pauvreté (à 0,21 dollar par jour et par personne soit environ
97,05 Franc Congolais), donc la tranche de l'extrême pauvreté. Par
ailleurs la grande partie de sa dette est d'origine publique (à peu
près 70% envers le Club de Paris). Voilà autant des
problèmes qui empêchent le financement de la croissance
économique de la RDC depuis des décennies alors que la RDC,
était en droit de brandir son état, pour bénéficier
des mesures d'allégement de sa dette extérieure. Dans le
même ordre d'idées la RDC pouvait se référer au
plan BAKER pour solliciter un rééchelonnement
pluriannuel de sa dette, et obtenir par conséquent des flux substantiels
de nouveaux prêts tels que prônés par ce plan et ainsi
relancer son économie.
Quel devrait être l'argument de la RDC face à son
incapacité à dégager des ressources nécessaires au
remboursement de sa dette Jean Claude Williame71, s'inspirant de
l'une des résolutions des Nations - Unies avait abordé cette
dimension du problème. Il envisageait pour la RDC
l'éventualité de refuser le remboursement d'une partie de la
dette étant donné l'incidence négative de cette
dernière à la relance de l'économie nationale et le bien -
être de la population. Pour ce dernier, la responsabilité de la
dette congolaise devrait être partagée entre l'élite
dirigeante congolaise et certaines puissances étrangères. Pour ce
faire, il rappelle un principe du droit public international
relatif aux dettes qualifiées « d'odieuses
», qui dispose que:« si un pouvoir despotique contracte
une
dette non pas pour le besoin et dans les
intérêts de l'Etat mais pour fortifier son régime
despotique, pour réprimer la population qui le combat etc. cette dette
est odieuse pour la population de l'Etat entier. Cette dette n'est pas
obligatoire pour la nation ; c'est une dette de régime, dette
personnelle du
pouvoir qui l'a contracté, et par conséquent
elle tombe avec la chute de ce pouvoir >>. L'ancien
Président Tanzanien Mwalimu Julius Nyerere lors
de son passage à Kinshasa à l'invitation de feu Président
Laurent Kabila, avait aussi qualifié la dette Congolaise
d'odieuse.
Dans le même ordre d'idées, Rolf
KNIEPER72 renchérit en citant un passage de la Charte des
Nations Unies pour appuyer le principe stipulé ci-dessus: «
S'il existe une obligation de tous les
Etats de contribuer à la justice sociale et à
la solidarité internationale, la destination des crédits à
des
fins clairement imp roductives devrait être
qualifiée d'odieuse... En conséquence, ils ne seraient pas
à
rembourser. Les bailleurs de fonds privés qui contribuent
au financement de tels projets effectuent dans ce cas un investissement
à haut risque>>.
On s'apercevra à cette occasion que la
rhétorique politique de la décolonisation a certes
contribuée à la prise de conscience pour un processus rapide de
croissance, mais cela s'est appuyé sur une recherche excessive de
l'industrialisation. Plusieurs crédits ont servi à financer des
projets dont le matériel livré n'était pas conforme aux
conditions climatiques locales, ni aux besoins immédiats de
l'économie nationale il s'agit entre autres de la sidérurgie de
Maluku, de la zone franche d'Inga, de la Cinat : Cimenterie Nationale au
détriment de l'accroissement de la productivité agricole.
71 .Williame,J.C.cité par Mokonda Bonza,Op cit.p.86
72.KNIEPER,R.cité par Mokonda Bonza,Op. cit.,p.87
Conformément au principe ci haut cité, une grande
partie de la dette extérieure du pays devrait être
déclarée odieuse.
Le problème d'ordre économique se rapportent aux
aspects structurels de l'économie congolaise et notamment à la
Balance de paiements: effritement des recettes d'exportation et diminution des
importations face aux besoins croissants de l'économie, diminution des
montants obtenus au titre de l'aide et de l'emprunt à cause de la dette
extérieure et de l'accumulation des arriérés. La
détérioration de la qualité de la vie des populations
congolaises n'est qu'une véritable conséquence des
problèmes d'ordre économique.
La réduction du revenu par habitant et l'augmentation
du déficit du secteur public expliquent la tendance à la baisse
de l'épargne intérieure. Les perspectives de mobilisation des
ressources financières internes doivent naturellement se fonder sur les
possibilités d'action sur tous les paramètres de formation de
l'épargne, notamment le niveau général du revenu, le taux
d'intérêt des dépôts d'épargne,
l'accroissement et la diversification des exportations, l'accroissement des
recettes fiscales.
Le mécanisme PPTE, comme proposition de
résolution de la crise présente des limites et ne garantit pas la
tolérabilité du niveau de l'endettement des pays pauvres. Nous
pensons qu'une réduction de la dette ou son annulation totale dans le
cadre de cette Initiative peut entraîner des gains en termes de
croissance économique et être aussi bénéfique pour
les pauvres. Ce gain de la croissance pourraient amorcer un cercle vertueux qui
à l'absence d'un nouvel accroissement ou d'un nouveau paiement de la
dette, abaisserait le ratio d'endettement en finançant la croissance
économique. Mais ce dividende de la croissance risquerait de ne pas se
matérialiser si le pays enregistre fréquemment des
déséquilibres macroéconomiques.
Il convient cependant de noter que, quelles que soient les
stratégies adoptées et les mesures institutionnelles mises en
place à l'intérieur de la RDC, la croissance de l'épargne
nationale ne pourra suffire à assurer la relance économique: les
res sources extérieures constitueront encore longtemps un
complément indispensable.
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