II-2 Les articulations de la gestion du service public
La sous-section précédente nous a permis de
revisiter le concept de gestion, on a ainsi pu mettre en évidence ses
deux principaux aspects, le traditionnel et le modernisé notamment.
Cependant, il faut dire que les techniques, telles qu'elles ont
été développées faisait plus
référence à la gestion des entreprises privées
qu'à celle des entreprises produisant des biens collectifs, donc
publics. Il est alors intéressant pour nous de savoir ce qu'il en est de
cette catégorie d'entreprises. Nous examinerons, pour ce faire, tour
à tour, les spécificités de la gestion publique par
rapport à la gestion privée et les différentes fonctions
(quatre) de gestion de l'entreprise publique.
II-2-1 Les faits non marchands
Deux points ressortent particulièrement pour aborder
les spécificités de la gestion publique dont l'accroissement de
la diversité et de la complexité des biens concernés par
ce type de gestion (ceux relevant de l'Etat) a conduit à la qualifier
par une négation : le non marchand.
II-2-1-1 Les organisations à but non
lucratif
Une organisation à but non lucratif (OBNL) est une
organisation dont le mobile d'action n'est pas un avantage monétaire
proportionnel à la cotisation de chacun de ses membres. Cette
organisation - publique ou privée - produit des biens ou des services au
profit de ses adhérents ou de ses non-adhérents.
L'adhésion étant cependant volontaire ou obligatoire. Toutes les
organisations publiques relèvent de cette catégorie. Mais il
existe aussi des grandes OBNL privées, c'est le cas des mutuelles
d'assurance, des coopératives de production ou d'achat, des
organisations caritatives, des syndicats, des clubs, etc. Les OBNL sont aussi
appelées institutions non marchandes (INM).
II-2-1-2 Les biens et services collectifs
Deux singularités caractérisent les biens
collectifs purs : la non-rivalité et la non-exclusion. La
non-rivalité signifie qu'un bien disponible pour un individu l'est aussi
pour tout autre, sans modification de la quantité disponible pour
chacun. La non-exclusion signifie que tout consommateur se trouvant dans un
espace donné, et éventuellement sous réserve de sa
capacité à être consommateur accède librement
à l'usage de ce bien. Il faut cependant signaler avec Samuelson P. que,
le fait que le bien soit disponible pour tous n'implique pas le même
degré de satisfaction.
Ces deux caractéristiques permettent alors de faire la
différence entre les biens publics et les biens privés. Pour les
derniers, la demande totale d'un bien s'obtient en additionnant horizontalement
les demandes individuelles, ce qui signifie que pour satisfaire une demande
supplémentaire il faut accroître la production. Au contraire, pour
un bien public, la demande totale s'obtient en additionnant verticalement les
demandes individuelles ; une demande supplémentaire non seulement ne
nécessite pas une augmentation de la production, mais encore elle permet
d'abaisser le coût moyen par consommation. Le tableau suivant
résume bien ce mécanisme.
Tableau I-3 La dualité
duale
Biens
Variables
|
Bien privé pur
|
Bien public pur
|
Quantités consommées
q1, q2, , qi, ,qn
|
n
~ qi = qt
i = 1
|
|
q1 = q2 =
|
=qn = qt
|
Prix
p1, p2, , pi, ,pn
|
p1 =p2=
|
= pi....= pn=cm
|
n
E pi = CT
i= 1
|
|
1,2, , i, , n : indice caractérisant les individus
p : prix ; qt: quantité
totale ; q: quantité ; CT : coût
total ; c: coût ; cm: coût
marginal.
Source: Kolm S.C., (1970), L 'Etat et le
système des prix, Dunod, Paris.
Les biens publics purs existent rarement. En revanche, il
existe de nombreux biens qui possèdent simultanément tel ou tel
attribut de bien collectif et de bien privé : il s'agit des biens
collectifs mixtes23.
En ne retenant que deux catégories, les biens
privés et les biens collectifs et deux organisations de production
(entreprise et INM), il apparaît la distinction suivante entre la gestion
des entreprises publiques et celles du domaine privé.
Figure I-2 Le graphe des modes de
gestion
Organisation
Public
Privée
|
|
Cahier des charges
Concurrence
|
Monopole
Indicateur de succès
|
|
|
|
|
|
Bien
Source: Le Duff R., Papillon J.-C., (1988), p.37
Le graphe nous indique que le cahier de charges et le monopole
sont les deux modes de gestion qui relèvent du domaine des entreprises
publiques.
II-2-2 Les principales fonctions de gestion du non
marchand
Nous articulerons notre propos autour de quatre principales
fonctions qui singularisent le mieux la gestion des biens collectifs. Il s'agit
notamment de la tarification, du marketing, de la gestion des achats et de la
gestion des ressources humaines (GRH).
23 Voir Le Duff R. et Papillon J.-C., (1988).
II-2-2-1 La tarification publique
Les objectifs poursuivis par la tarification sont divers et
parfois contradictoires ; les plus souvent cités sont le bien-être
et la solidarité. Dans le premier cas, l'usager doit couvrir le
coût pour la collectivité ; dans le second, la tarification est
l'occasion d'un transfert de richesses des plus riches vers les plus pauvres.
Avant d'analyser ces objectifs, attardons nous quelque peu sur les
généralités de la tarification.
A- La tarification en bref
Les critères de tarification
généralement admis sont liés entre autres à la
production, à l'échange et à la consommation. Relativement
à la production, la tarification tient compte de la quantité, de
la qualité et du mode de production. Les critères liés
à l'échange intègrent les circonstances qui varient avec
le moment de la délivrance du service, et les indicateurs de
quantité. Une double discrimination sur le plan notamment de l 'usager
(vieux et j eunes par exemple) et de l 'usage caractérise les
critères liés à la consommation.
De ces critères naissent deux tendances opposées
en matière de structure tarifaire (voir tableau I-4) : la tendance
à l'uniformisation et celle relative à la modulation. Les
dispositifs de tarification visent à répondre à trois
questions : qui va payer ? selon quelles modalités ? et qui va recevoir
les sommes versées ?
Pour ce qui est des payeurs, le plus fréquemment ce
sont les utilisateurs des services publics. C'est le cas des hôpitaux ou
l'expression de « tiers payant » est bien connue. La figure I-3 en
constitue une illustration.
Les modes de perception varient avec le type de tarif et de
service rendu. Selon l'agencement temporel du paiement, les modes de perception
sont au préalable, concomitant et postérieur.
L'affectation des ressources fait de l'organisme public
prestataire du service le bénéficiaire des recettes et les impute
entièrement à son crédit.
B- Le bien-être optimal et la
solidarité
La recherche du bien-être impose que chacun paye le
coût de sa consommation ce qui conduit l'INM à fixer tous les prix
au niveau du coût marginal. Il lui revient donc de
calculer les coûts marginaux de ces diverses productions en
y incluant, le cas échéant, les coûts que son
activité fait supporter à la société.
Tableau I-4 La structure
tarifaire
Création de multiples services
différenciés
Service unique
Critère lié à la qualité ou à
l'occasion
Discrimination fine selon l 'usager
Tarifs identiques pour tous
Critère lié à l'usager
Tendance à Dimension sur laquelle Tendance
à la
l'uniformisation porte le choix tarifaire
modulation
Forfaitisation ou tarif proportionnel aux quantités
Critère lié à la quantité
Tarif par tranches (dégressif ou progressif)
Source: Le Duff R., et Papillon J.-
|
C., (1988), p.137
|
Figure I-3 Illustration du «
tiers payant »
Cotisant
Malade
Hôpital
S.S
Mutuelle complémentaire
Flux financier Service rendu S.S : service social
Prestation
Source: Le Duff R., et Papillon J.-C., (1988), p.138
Si la référence est faite à la
solidarité, la tarification va se faire influencer par les subventions.
Tantôt certains usagers subventionnent d'autres usagers ; ces subventions
croisées sont invisibles de l'extérieur tant que l'INM a un
monopole public. Tantôt les subventions proviennent du budget
général. Dans ce dernier cas, elles peuvent être
suffisantes pour que le service soit gratuit. Cependant quelles que soient
leurs formes, les subventions posent les problèmes d'efficacité
économique, de la réalité de la solidarité et de la
liberté individuelle.
II-2-2-2 Le marketing public
L'amélioration de la gestion du service public est
susceptible de s'opérer au moyen de son marketing. Cependant dans le
service public il a plutôt un souci de la légitimation du secteur
public.
A- La participation des usagers
Le succès de nombreux services publics est
conditionné par l'adhésion des usagers. L'INM a donc
intérêt à les convaincre de modifier leur conduite dans un
sens favorable pour tous. Les moyens dont elle dispose sont entre autres la
persuasion, l'information mais surtout la coercition.
B- Le marketing, légitimation de
l'INM
Les institutions ont le devoir de rendre des comptes à
leurs mandants, l'information va constituer de ce fait un moyen de
démontrer que les dirigeants ont bien interprété les
désirs des mandants, voire défendu leurs véritables
intérêts, cependant qu'ils n'en ont pas tous une claire
conscience.
II-2-2-3 La gestion des achats
L'acheteur public, du fait de l'importance des achats
effectués par les diverses autorités publiques
représentant une grande part de la demande nationale, est de loin le
premier. Il convient donc d'en analyser le processus.
A- Les procédures normales de passation des
contrats
Deux principaux objectifs sont visés : l'obtention du prix
le plus bas et l'équité entre les offreurs.
En référence à ces objectifs, on distingue
aujourd'hui quatre modes de passation des marchés publics.
1- L'adjudication
C'est le mode de passation le plus ancien et le plus
rigoureux. L'adjudication ouverte et l'adjudication fermée sont ses deux
composantes. Dans la première, tout fournisseur peut soumissionner ;
alors que dans la seconde, le soumissionnaire doit au préalable avoir
été retenu. Indifféremment du cas de figure, quatre
conditions sont obligatoirement remplies.
- La publicité de l'ouverture des soumissions et de
l'attribution provisoire du marché.
- L'attribution du marché, si une soumission au moins
répond aux conditions de l'adjudication.
- L'attribution du marché à l'offreur le moins
disant.
- La fixation d'un prix maximum au-delà duquel
l'adjudication ne sera pas prononcée.
Le fait que l'adjudication soit manipulable, fait qu'on lui
préfère l'appel d'offres.
2- L'appel d'offres
Deux points l'en distinguent du précèdent.
- L'ouverture des plis n'est pas publique. Les ententes sont
donc particulièrement découragées.
- L'attribution du marché ne va pas obligatoirement au
moins disant. La commission chargée de l'attribution examine les
différents dossiers et choisit le meilleur candidat en fonction de
critères qui lui sont propres. Le prix est cependant un critère
déterminant.
3- La négociation
Cette démarche se rencontre très peu souvent. Elle
a cependant le mérite d'être moins contraignante que les deux
précédentes du point de vue des formes à respecter,
elle
garanti aussi une plus grande autonomie. Elle n'assure pas
l'égalité entre tous les fournisseurs aussi son utilisation est
limitée.
4- Les achats sur facture
L'existence de monopole au niveau des fournisseurs et la
faible importance de l'achat entraînent la disparition de toutes les
procédures suscitées. L'acheteur public n'est plus qu'un acheteur
ordinaire qui paie le prix qu'on lui demande.
B- Les dérogations
Elles sont nombreuses et constituent ne pas toujours à
proprement parler des dérogations.
La participation à une centrale d'achats :
elle est comparable, du moins en partie à un achat sur facture.
L'acheteur public commande ses fournitures à une centrale publique
d'achats.
La commission d'enquête : elle doit s'assurer que
l'acheteur public ne fait pas trop la part belle au fournisseur.
La négociation : elle est spécifique au
secteur. Ainsi, les hôpitaux et les hospices publics peuvent en
être autorisés par décision préfectorale.
II-2-2-4 La gestion publique des ressources
humaines
Dans la quasi-totalité des pays, les services publics
constituent pour la plupart d'entre eux de véritables entreprises de
main-d'oeuvre. D'où l'intérêt qu'il y'a à observer
comment se fait la gestion de cet important patrimoine. Théoriquement,
l'organisation de la fonction publique obéit à deux
systèmes : celui de la carrière et celui de l'emploi.
A- Le système de carrière
Ici le fonctionnaire est recruté à un certain
niveau dans un corps et dans un grade donnés. Il peut ensuite monter
dans la hiérarchie en fonction de l'appréciation de ses
résultats et dans des proportions plus ou moins fixées. Les
techniques de recrutement dans ce système encouragent le mérite,
tant à l'entrée qu'à l'intérieur. Le concours
s'avère donc être la technique la plus indiquée.
B- Le système de l'emploi
Dans ce système, l'agent est recruté pour
occuper un poste bien déterminé, dans lequel il reste pour une
période fixée ou indéfinie et sans aucune
évolution, sauf les augmentations de traitement, qui peuvent être
liés à l'ancienneté ou aux performances. Les techniques de
recrutement utilisées sont la sélection des agents et le
recrutement automatique. Ce dernier est le plus présent et consiste
à embaucher tous les candidats titulaires d'un certain diplôme.
Au terme de ce chapitre théorique se rapportant aux
fondements et aux modes gestion des entreprises publiques, les leçons
suivantes mérites d'être retenues. Premièrement,
l'entreprise publique est une composante importante du tissu économique
tant du point de vue du courant classique que de celui des marxistes en passant
par les keynésiens. Deuxièmement, ses modes de gestion se
différencient nettement de ceux appliqués dans les entreprises
privées, même si l'objectif à la fin est quasiment le
même. Qu'en es-il de la gestion des entreprises du secteur public au
Cameroun, évidemment au regard de ce qui a été
développé sur le plan théorique ? C'est la question
à laquelle se propose de répondre le chapitre suivant
consacré exclusivement à l'exploration du secteur public
camerounais.
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