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Pour l'amélioration des performances des entreprises publiques camerounaises: le rôle du conseil d'administration

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par André Marie MBILI ONANA
Université de Yaoundé II SOA - DEA ès Sciences de Gestion, option Finance 2004
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITE DE YAOUNDE II

 

POUR L'AMELIORATION DES PERFORMANCES DES
ENTREPRISES PUBLIQUES CAMEROUNAISES : LE
ROLE DU CONSEIL D'ADMINISTRATION

Mémoire présenté et soutenu publiquement
Par

Monsieur MBILI ONANA André Marie

En vue de l'obtention du Diplôme d'Etudes Approfondies en Sciences de Gestion

Option Finance

Sous la direction des

Pr. Henry WAMBA, agrégé en Sciences de Gestion

Pr. Roger TSAFACK NANFOSSO, agrégé en Sciences Economiques

Juillet 2004

Introduction générale

0.1 CONTEXTE ET INTERET DE L'ETUDE

«Historiquement, dans nos pays, on observe que quelle que soit l'option idéologique, l'évolution de nos économies s'est accompagnée d'une forte intervention de l'Etat. » C'est en ces termes que Bekolo-Ebe (cité par Tamba I., 1991) justifie l'existence prépondérante des entreprises publiques au sein de l'économie camerounaise. En effet, en marge de toute considération du débat sur l'interventionnisme étatique, le Cameroun s'est doté d'un ensemble important d'entreprises publiques dans le but de donner un coup d'accélérateur à son économie. Touna Mama et Tamba I. (1996) remarquent à cet effet que le poids des entreprises publiques dans l'économie camerounaise est tel qu'elle se trouverait revigorée si ces dernières florissaient. Le secteur public à lui seul emploie près de 100.000 personnes, la masse salariale variant entre 100 et 120 milliards de FCFA soit 18% des dépenses publiques et 50% des recettes pétrolières (Banque mondiale, citée par Touna Mama et Tamba I., 1996).

Il convient cependant de rappeler que la situation politique va constituer un obstacle à la création de ces entreprises (Tedga, 1990). Excepté les entreprises publiques françaises et anglaises qui ont été nationalisées, à peine une dizaine d'entreprises publiques ont été créées en dix ans d'indépendance. Les années 70 seront plus sereines, c'est ce qui, avec le décret de juin 1986 portant délimitation du secteur public et para-public, va favoriser l'essor des entreprises publiques dont on dénombre près de 170 (Nguiffo et Owona Etoundi, 1988) en 1988. Cette course vers le développement d'un secteur public solide trouve sa légitimité dans la thèse du libéralisme planifié prônée par le président Ahidjo, ainsi que dans le manque de culture entrepreneuriale qui caractérise encore le secteur privé.

Cependant, depuis quelques années déjà, la crise économique aidant, le contexte de fonctionnement de ces entreprises a laissé entrevoir de multiples turbulences ; les entreprises publiques dans leur grande majorité ont cessé d'être rentables mieux elles ne réalisent plus que d'énormes pertes (Tedga, 1990). Celles du secteur non financier

totalisant ainsi pour la période 1985/1986 un déficit global de 33,6 milliards de FCFA (Touna Mama, 1996). Depuis lors, beaucoup d'entre elles ont été sorties du portefeuille de l 'Etat (privatisées) quand elles n'ont pas été purement et simplement dissoutes1. Il faut dire ici que la privatisation est l'une des principales mesures préconisées par la mission de réhabilitation des entreprises publiques, laquelle avait mission de trouver des solutions aux problèmes dont faisaient face les entreprises publiques.

En effet, les entreprises publiques se sont révélées être d'énormes gouffres financiers ; les subventions, constituant une règle pour elles, ont joué un rôle négatif en ce sens qu'elles ont permis de masquer leurs défaillances et d'entretenir un pilotage à vue (Bekolo C., 1995). On estime à 150 milliards par an les subventions reçues par ces dernières, soit 20 à 25% des budgets annuels de l'Etat, sans compter qu'elles grevaient à concurrence de 40% la dette publique du Cameroun. Outre ces appuis financiers, on déclame aussi les choix de gestion qui tenaient moins compte d'un souci d'efficacité que de celui du prolongement de la politique, parfois incohérente, de l'Etat.

Cependant il faut rechercher en la construction même des entreprises publiques les causes de leur désuétude. La volonté de protéger notre économie de la concurrence étrangère au lendemain de notre indépendance aurait conduit les autorités à créer, sans études de marchés préalables des entreprises qui constituent aujourd'hui de véritables «tonneaux de danaïdes. »

Face donc à tous ces griefs, et convaincus que le secteur public est d'une importance indéniable pour l'économie camerounaise, des thérapeutiques ont été administrés au secteur public. Contrats de performances, programme d'ajustement structurel (PAS),

1 On dénombre 52 entreprises publiques dissoutes (Ndjom Nack Elie desiré, Les liquidations administratives, Editions imprimerie nationale, novembre 1992) en mars 1992 sur les 170 existantes en 1988, soit un taux de faillite de l'ordre de 31%.

programme d'aide à la gestion (PAGE)2 semblent jusqu'ici ne pas avoir remédié aux difficultés que rencontrent les entreprises publiques.

La présente proposition de recherche s'inscrit dans le sillage de l'étude des causes du déclin des entreprises publiques camerounaises, mais elle se veut, à l'exemple de Faye (2003) pour le Sénégal, une contribution à l'explication du malaise persistant des entreprises publiques camerounaises via l'analyse de leur mode de gouvernement.

Ainsi cette étude présente un intérêt certain, lequel peut être appréhendé à différents niveaux.

Primo, elle intervient au moment où le secteur public camerounais, compte tenu du marasme économique, connaît des turbulences. Ces entreprises ont coûté 750 milliards de Francs CFA à l'Etat (Mayegle, 1992) et ne demandent qu'à être remises sur pied. C'est dans cette optique que la mission de réhabilitation3 a proposé qu'elles soient privatisées, mais seulement les résultats des récentes privatisations ne semblent pas convaincre sur la pertinence de ce choix. Notre étude peut donc permettre de relativiser cette approche trop radicale et minimiser par là le coût d'opportunité associé à cette mesure.

Deusio, une étude sur les entreprises publiques est toujours intéressante ceci eu égard au poids qu'elles représentent dans le tissu économique indifféremment de l'espace et du temps. Au Cameroun, elles demeurent les plus grandes pourvoyeuses d'emplois.

Tertio, l'ouverture du Cameroun aux investisseurs étrangers (privatisations) et la création du marché boursier (DSX) sont des opérations qui ne sont pas sans conséquences dans la mesure où elles sont de nature à favoriser le développement d'un nouvel actionnariat, souvent peu familier des règles et pratiques de fonctionnement des

2 Le début de la crise économique favorise l'adoption de pilules tel le programme d'ajustement structurel (PAS), signé le 27 juillet 1989 avec le FMI et la BAD, le programme d'aide à la gestion (PAGE) avec la banque mondiale et dont la mission depuis l'exercice 1986-1987 était de réhabiliter les entreprises publiques et parapubliques décadentes.

3 La mission de réhabilitation des entreprises publiques a été créée en 1986 (décret n° 86/656 du 3 juin 1986, puis modifié et complété par les décrets n° 89/010 du 4 janvier 1989 et n° 90/428 du 27 février 1190).

entreprises publiques et privées camerounaises et qui est naturellement demandeur d' éclaircissements.

0.2 PROBLEMATIQUE

Le gouvernement des entreprises dont la manifestation la plus visible est la production de codes de conduite pour dirigeants4 trouve ses origines dans les travaux de Berle et Means en 1932. C'est le développement de la grande entreprise aux Etats-Unis, il y'a plus d'un siècle, caractérisée par un actionnariat dispersé, qui a donné lieu aux premières réflexions sur le gouvernement des entreprises. Pour Berle et Means, les dirigeants ne possédant pas (ou très peu) d'actions de telles entreprises, ils ne cherchent pas à maximiser la richesse des actionnaires. Puisqu'un tel risque existe, il est donc apparu nécessaire de s'interroger sur les moyens à mettre en oeuvre pour protéger les investisseurs contre le comportement opportuniste des dirigeants.

En effet, cette hypothèse de l'opportunisme managérial est fortement mobilisée par la théorie des coûts de transaction (Williamson, 1975). Elle constitue une représentation extrême du comportement humain, qui, motivé par la recherche d'avantages personnels, serait caractérisé par une tendance à tricher et à transgresser les règles éthiques. La quasi-institutionalisation de la concussion, des détournements du bien public, de la volonté illimitée d'enrichissement des dirigeants, etc. participe de cette hypothèse notamment pour expliquer les choix stratégiques des dirigeants d'entreprises publiques au Cameroun.

Dans une étude - bien que les résultats des études empiriques menées sur l' efficacité des entreprises publiques et privées soient contradictoires (Bös, 1991 et Lawson, 1994) - Nash et Van Randenborgh (1994) concluent, à partir d'un échantillon de 61 entreprises appartenant à 18 nations différentes et relevant de 32 secteurs d'activité, à

4 La réflexion sur le gouvernement d'entreprise est marquée par la publication de travaux généralement admis comme des codes de bonne conduite des dirigeants. Les plus connus sont le rapport cadbury (1992) pour la Grande Bretagne, les rapports vienot (1995 et 1999) et le rapport bouton pour la France, le rapport dey (1993) pour la Canada et l'OCDE (1999). Le Kenya et l'Afrique du sud demeurent les seuls pays africains à avoir publié un code en la matière. Les réflexions menées ont également donné lieu à des modifications réglementaires. On peut citer à titre d'exemple les lois KonTrag (1999) en Allemagne, Sarbanes Oxley (2001) aux Etats-Unis ou la loi NRE (Nouvelles Régulations Economiques) du 15 mai 2001 en France.

une supériorité de performance des entreprises dont la propriété serait privée, semblant ainsi condamner la propriété publique. Cependant, pour les tenants de la théorie des droits de propriété, à l'exemple de De Alessi (1969, 1973) c'est le comportement discrétionnaire des dirigeants des entreprises publiques, faiblement contrôlés en raison de la forme publique de propriété et peu incités à être performants qui expliquerait cette supériorité de la propriété privée. Cette explication s'adapte aisément au contexte des entreprises publiques camerounaises dont les dirigeants, au vu et au su des organes chargés de les contrôler procèdent souvent à des choix qui tiennent plus du libertinage managérial que du souci d'agir dans l'intérêt du propriétaire l'Etat.

Relativement donc à la protection des intérêts des propriétaires (de l'Etat dans le cadre des entreprises publiques) contre l'opportunisme des dirigeants, la modélisation faite par Jensen et Meckling en 1976, s'intéressant à la relation d'agence, qui lie un principal (les actionnaires) à un agent (les dirigeants) montre que la valeur des entreprises dépend de leur mode de financement en ce sens que l'ouverture du capital par un entrepreneur (qui entraîne une forte dispersion de l'actionnariat) donne naissance à des coûts d'agence et réduit par conséquent la valeur de l'entreprise. Divers mécanismes permettant alors de réduire les coûts d'agence résultant de l'opportunisme des dirigeants sont proposés, l'ensemble de ceux-ci formant ce que Charreaux (1997) nomme «système de gouvernement d'entreprise » et définit comme l' << ensemble des mécanismes organisationnels ayant pour effet de délimiter les pouvoirs et d'influencer les décisions (notamment de financement et d'investissement) des dirigeants, autrement dit qui << gouvernent >> leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire >>. La fonction d'un mécanisme de gouvernance et, plus généralement, d'un système de gouvernance étant de contribuer à améliorer l'efficience de la firme (Charreaux, 2004).

Les mécanismes du système de gouvernance sont répertoriés selon qu'ils sont de nature externe ou interne. Les mécanismes externes comprennent le marché des biens et services, le marché financier (particulièrement comme lieu de réalisation des prises de contrôle), les relations de financement avec les banques, le marché du travail

notamment celui des cadres dirigeants et l'environnement légal, politique et réglementaire, notamment par les relations qui s 'établissent avec les bureaucraties publiques et par le régime légal qui encadre le règlement des défaillances. L'efficacité de ces mécanismes pour ceux qui relèvent du processus de marché est fondée pour l'essentiel sur le caractère concurrentiel. Les mécanismes de contrôle externes sont complétés par des mécanismes internes, susceptibles de pallier leurs carences éventuelles. Quatre principaux types de contrôles peuvent être distingués : le contrôle exercé par les actionnaires, la surveillance mutuelle entre dirigeants, les contrôles formels ou informels mis en place par les employés et le conseil d'administration (désormais CA) qui joue un rôle important dans la résolution des conflits d'intérêts entre agents et principaux (Fama et Jensen, 1983).

Par ailleurs, si l'actionnariat dans les entreprises publiques est moins dispersé, il n'en demeure pas moins vrai que le problème de l'opportunisme managérial relevé dans les firmes managériales (caractérisées par une forte dispersion du capital) se pose avec acuité du fait da la complexité de la relation liant l'Etat-actionnaire et ses dirigeants. Il convient donc dans cette optique de doter les mécanismes de contrôle des entreprises publiques de pouvoirs nécessaires, afin de juguler les dérapages des dirigeants, dans le but ultime d'améliorer leurs performances et par delà leur gestion.

C'est donc conscients du débat sur l'opportunisme managérial, de sa présence dans nos entreprises publiques, et des travaux entrepris dans les pays européens notamment en France afin de réformer les mécanismes de gouvernance tel que le conseil d'administration dans l'objectif d'améliorer le fonctionnement des entreprises, que nous souhaitons analyser la gestion des entreprises publiques camerounaises à travers le rôle qu'y joue le CA. De manière spécifique, il s'agira de répondre à la question de savoir quel est l 'impact des attributs du conseil d 'administration sur les performances de ces dernières ? Le conseil d'administration tel qu 'il fonctionne dans nos entreprises publiques peut-il con tribuer à améliorer les performances de ces dernières ?

0.3 OBJECTIF DE L'ETUDE

Notre principal objectif est de déterminer entre les différentes caractéristiques du conseil d'administration celle qui influencent de façon significative la performance des entreprises publiques.

De manière spécifique, notre étude consiste à retracer la constitution des entreprises publiques au Cameroun afin d'en faire une analyse qui nous permette de comprendre les causes de leur échec.

De plus, en référence à la littérature sur le gouvernement d'entreprise, il sera établit un lien entre les différentes variables du conseil d'administration dans les entreprises publiques camerounaises et leurs performances économique et financière. En effet, les attributs du conseil d'administration sont censés agir sur la gestion de l'entreprise à travers le développement des systèmes d'incitation et de contraintes à l'égard de l' équipe dirigeante.

0.4 REVUE DE LA LITTERATURE

Dans les sociétés cotées en bourse, caractérisées par une certaine diffusion de l'actionnariat, il existe un risque de spoliation des intérêts des actionnaires par les dirigeants (Berle et Means, 1932 ; Jensen et Meckling, 1976). Cette situation est transposable aux entreprises publiques, bien que celles-ci soient aux mains d'un actionnaire dominant l'Etat. En effet, la difficulté réside dans ce que le statut d'actionnaire de l'Etat est caractérisé par un laxisme, favorisant le développement de comportements opportunistes de leurs dirigeants.

En principe, divers mécanismes de contrôle limitent le comportement opportuniste des dirigeants (Shleifer et Vishny, 1997). En particulier le conseil d'administration, en tant qu'autorité légale chargée de ratifier et de contrôler les décisions des dirigeants, joue un rôle majeur dans la résolution de ces conflits d'intérêts (Fama et Jensen, 1983). Il constitue un mécanisme de gouvernance interne, dont l'efficacité n'est probablement

pas sans incidence sur la création de valeur et par conséquent, sur la satisfaction des actionnaires.

Cependant, au cours de ces dernières années, le fonctionnement de cet organe a été critiqué dans de nombreux pays notamment la France oü les rapports viénot (1995, 1999) ont essayé pour autant que faire se peut de réformer ce dernier en préconisant quelques règles admises comme des codes de conduite des dirigeants. Il est admis à travers ces codes que le conseil d'administration, du moins certaines de ses variables peuvent avoir une influence sur la performance de la firme.

L'analyse théorique du conseil d'administration attribue un rôle central aux administrateurs externes5 qui sont chargés de contrôler les dirigeants et de garantir la performance afin de préserver les intérêts des actionnaires. L'étude directe de la relation entre performance pour les actionnaires et pourcentage d'administrateurs externes révèle une influence positive (Baysinger et Butler, 1985 ; Rosenstein et Wyatt, 1990 ; Scott et Kleidon, 1994). Cette relation positive est également confirmée tant pour la performance passée que future, par Pearce et Zahra (1992), à partir d'un modèle stratégique6 expliquant la composition du conseil d'administration. Enfin, Hermalin et Weisbach (1991) montrent que les firmes dont les performances se dégradent ont tendance à accroître le poids des administrateurs externes.

L'influence de la composition du conseil d'administration sur la performance a été également mise en exergue à travers le pouvoir de révocation 7de ce dernier. Ainsi, Weisbach (1988) établit qu'il y'a une forte relation entre la performance réalisée et la probabilité de démission du dirigeant lorsque le conseil est dominé par des administrateurs externes. Charreaux (1991), prenant en compte les autres systèmes de

5 Ce sont des administrateurs qui n'ont aucun contrat avec l'entreprise dont ils occupent des sièges dans le CA. Cependant, ils peuvent ne pas être indépendants. Ces derniers désignent des personnes n'étant pas employées dans l'entreprise, n'ayant ni aucun intérêt dans l'entreprise considérée, ni aucun lien de familiarité avec un membre de l'équipe dirigeante ; ils peuvent tout au moins entretenir un lien d'amitié (Becht M. et alii., 2002, p.42).

6 Le modèle utilisé dans cette étude est d'ailleurs inspiré de celui de Pearce et Zahra.

7 Le conseil d'administration dispose en effet de deux leviers d'action pour assurer sa mission de contrôle : le pouvoir de révocation des dirigeants et le système de rémunération.

contrôle (notamment la discipline exercée par les marchés), conclue à une influence positive et significative du pourcentage d'administrateurs externes sur la performance des sociétés managériales et contrôlées.

La taile du conseil d'administration peut influencer la performance de l'entreprise. Elle se réfère au nombre d'administrateurs dans le conseil. Pearce et Zahra (1992) ont mis en évidence une relation positive entre la taille du conseil et la performance. De même, Dalton et alii. (1998) confirment cette relation et surtout pour les entreprises de petite taille. Par contre, Yermack (1996) met en évidence une relation négative entre la taille du conseil d'administration et la performance. Ce résultat est confirmé par Eisenberg et alii. (1998), par Godard (1999) en France et par Dalton et alii. (1998) aux Etats-Unis. Jensen (1993) soutient l'idée que les conseils d'administration composés d'un nombre élevé d'administrateurs, plus de sept ou huit membres, ne fonctionnent pas efficacement et qu'il est facile pour le dirigeant de les contrôler.

D'après cette divergence de la littérature, nous pouvons dire que l'impact de la taille du conseil sur sa capacité de surveillance et sur la performance est ambigu du fait de la divergence des résultats et des problèmes d'agence (Lipton et Lorsh, 1992).

Parmi les recommandations des rapports viénot, il est une dont les résultats des études empiriques divergent en l'occurrence le cumul des fonctions de président du conseil et de directeur général. Le débat concernant les effets du cumul de ces deux fonctions sur la performance de l'entreprise n'est pas tranché. Nlemvo Ndonzuau (2000) corrobore ce point de vue. En comparant deux groupes d'entreprises, le premier constitué d'entreprises dont les fonctions de président et de directeur sont assurées par une même personne et le second constitué d'entreprises où les fonctions sont séparées, et à partir d'un test de variance, Nlemvo conclue à une indifférence du niveau de performance entre les deux groupes.

D'autres caractéristiques du conseil d'administration tels que l'indépendance des administrateurs, le nombre de réunions du conseil, la présence de comités dans le conseil d'administration, influencent positivement la performance de la firme.

Une autre façon d'appréhender l'influence du conseil d'administration sur la performance est de recourir à une typologie des conseils qui fait intervenir deux dimensions, le pouvoir du conseil sur les dirigeants et l'activité du conseil. Pearce et Zahra (1991) distinguent ainsi quatre types de conseils : formel, contrôleur, dominant et participatif. Aux Etats-Unis Pearce et Zahra trouvent que les conseils appartenant aux types dominant et participatif conduisent à une meilleure performance. Ce n'est pas l'avis de Charreaux et Pitol-Belin (1992) qui, à partir du taux de rentabilité des capitaux propres comme indicateur de la performance, concluent qu'un conseil dominant ne conduit pas à une meilleure performance qu'un conseil du type formel.

Nous nous servirons des variables illustrées dans la revue de la littérature pour une application au cas des entreprises publiques camerounaises.

0.5 METHODOLOGIE

 

Hypothèses

Le premier effet potentiel du gouvernement d'entreprise auquel on s'intéresse est relatif aux incitations (Mayer C., 1996). En effet, le conseil d'administration dans sa structuration met en place des systèmes d'incitations et de contraintes dont le but est d'atteindre de meilleures performances de la part de la technostructure8, au profit de toutes les parties prenantes au noeud de contrats. C'est donc un mécanisme participant à la gestion de l'entreprise.

H1/ Le conseil d'administration, à travers ses attributs (composition, caractéristiques, structure et processus), développe des systèmes d'incitations et de contraintes à l'égard de la technostructure et qui ont pour objet de réduire les coûts d'agence associés associés à l'opportunisme des dirigeants.

8 Elle désigne l'équipe dirigeante dans l'entreprise. Elle est constituée généralement de cadres supérieurs qui prennent les grandes décisions engageant la vie de l'entreprise.

H2/ Le conseil d'administration, à travers ses attributs (composition, caractéristiques, structure et processus), développe des systèmes d'incitations et de contraintes à l'égard de la technostructure et qui ont une influence sur la performance de l'entreprise.

~ Illustration des hypothèses
Figure O.1
Illustration générale du sujet.

ATTRIBUTS DU CONSEIL D'ADMINISTRATION

Processus

- Réunions

- interface PDG- CA

- Consensus

- Evaluation

- Formalité

Composition

- Taille

- Nature des administrateurs

- Représentation

Caractéristiques

- Antécédents des administrateurs

- Personnalité du conseil

Structure

- Comités

- Organisation

- Système d'information

- Leadership

Rôles du conseil

- Incitations

- Contraintes

Gestion de l'entreprise

- Performance

- Coûts d'agence

Source: construction de l'auteur inspiré de celui de Réal Labelle.

Démarche empirique

Pour arriver à la vérification de nos propositions de recherche, nous avons retenu au départ 60 entreprises qui remplissaient les critères d'appartenance au secteur public ou parapublic. Seulement 34 de ces entreprises (échantillon statistique) ont pu faire l'objet de traitement.

Les données y relatives proviennent, pour les indicateurs de performance de l'exploitation des déclarations statistiques et fiscales (DSF) déposées par ces entreprises à la Direction Nationale de la Statistique sur une période de trois ans ; et pour les attributs des conseils d'administration de l'exploitation de 120 rapports des réunions de cet organe, disponibles à la Commission Technique de Réhabilitation9 (CTR). Dans l'un et l'autre cas, la collecte des données s'est effectuée au moyen de protocole de collecte d'informations figurant en annexe.

Le traitement de ces données s'est fait en deux phases :

- Les logiciels SPAD et SPSS nous ont permis de faire une analyse factorielle multiple pour déterminer les variables du conseil d'administration agissant sur la performance des entreprises publiques camerounaises.

- Ensuite nous avons opéré deux régressions à l'aide du logiciel EVIEWS 3.1 à partir de ces variables pour déterminer l'impact des variables du CA sur la performance des entreprises.

La démarche ainsi retenue a imposé la structuration qui suit.

0.6 PLAN

PREMIERE PARTIE

La gestion de l'entreprise publique : fondements théoriques et expérience camerounaise.

DEUXIEME PARTIE

La nécessité d'ajustement de la gestion des entreprises publiques camerounaises : les déterminants associés au conseil d'administration.

9 C'est une division de la mission de réhabilitation des entreprises publiques.

PREMIERE PARTIE
LA GESTION DE L'ENTREPRISE PUBLIQUE :
FONDEMENTS THEORIQUES ET EXPERIENCE
CAMEROUNAISE

Nonobstant les nombreuses difficultés que traversent les entreprises publiques camerounaises - révélées par la crise économique (Bekolo Claude, 1995) - celles-ci occupent toujours une place importante dans notre économie. C'est fort de cette conviction que l'Etat camerounais, par le biais de la mission de réhabilitation10 a proposé des thérapeutiques afin de les sortir de la tourmente. Ceci est de nature à confirmer l'idée qu'elles demeurent de véritables supports de l'activité économique, même si d'aucuns s 'interrogent sur leur avenir et leur utilité.

Il appert cependant que les restructurations et autres mesures jusque là préconisées semblent ne pas avoir les effets escomptés. Il convient alors de revenir un temps soit peu sur la gestion de nos entreprises publiques, notamment sur les principaux organes qui en orientent les actions.

L'examen du conseil d'administration mis en cause pour expliquer les défaillances de gestion au sein de l'entreprise publique (Tamba I. , 1991) retiendra notre attention (chapitre II) dans l'optique ultime de déterminer certains de ses dysfonctionnements qui influenceraient la saine gestion de l'entreprise publique.

Mais avant cela, nous nous attèlerons d'abord à analyser de manière théorique le concept d'entreprise publique et sa gestion (Chapitre I) afin de mieux comprendre les écarts par rapport au cas camerounais.

10 Les éléments de procédure d'une réhabilitation sont : la réforme juridique (textes de base conformes), la réforme de l'environnement, la réforme organisationnelle, la rationalisation des ressources humaines, la restructuration financière, la réforme de l'approche managériale et l'informatisation des systèmes de gestion.

Chapitre I

L'entreprise publique et son système de gestion

La légitimité de l'entreprise publique, surtout en ce temps de quasi-déclin de ce type d'entreprise, ne semble plus faire l'unanimité non seulement parmi les chercheurs mais aussi parmi ses initiateurs ; la tendance est maintenant au désengagement de l'Etat au profit des entrepreneurs privés dont l'action est jugée plus dynamique. C'est d'ailleurs pourquoi, dès 1967, Simon Nora faisait remarquer que la gestion publique ne saurait être automatique, qu'elle devrait se soumettre au critère de rationalité économique, gage de sa survie. Il devient alors impérieux, lorsqu'on s'engage à mener une étude sur ce type d'entreprise, d'en rappeler la justification de leur existence. Avant d'y arriver, il faudrait en donner une définition afin de ne pas avoir à s'égarer dans le flot de définitions qui caractérise l'entreprise publique. C'est l'objectif que poursuit la première section de ce chapitre (section I). Cependant, la légitimité de l'entreprise publique à elle seule ne suffit pas, d'où la nécessité d'en définir les modes de gestion (section II).

I- Définitions et justifications de l'existence des entreprises publiques

La définition de l'entreprise publique est une mission complexe au regard du flou à la fois juridique et opérationnel qui la caractérise. Mais nous tenterons tout au long de ce paragraphe d'en déterminer les principales définitions, nous serons aidés en cela par la recherche des éléments de définition du concept. Ce n'est qu'après avoir appréhendé les contours de la notion d'entreprise publique que nous nous attèlerons à en justifier l'existence dans le tissu économique.

I-1 Tentative de définition de l'entreprise publique

I-1-1 Les éléments de la définition

Il est une réalité qui fait l'unanimité parmi les chercheurs qui traitent de l'entreprise publique, c'est la difficile définition de ce concept. Proposer une définition précise de l'entreprise publique s'avère donc être une mission complexe à bien des égards. Les

entreprises publiques sont hybrides de nature, elles sont caractérisées par une grande diversité tant sur le plan de leurs statuts juridiques que sur celui de leurs activités ; l'entreprise publique constitue une des composantes du secteur public11. Rivier (1969) propose cependant que l'on caractérise l'entreprise publique par les traits suivants :

- le caractère public du capital ;

- les règles de fonctionnement de cette dernière ;

- le rattachement à une collectivité territoriale.

Toujours dans le même ordre d'idée, Causse (1988) identifie trois critères de définition de l'entreprise publique :

- le caractère de l'activité et le degré de contrainte de service public. C'est ce qui permet de distinguer les activités des entreprises stratégiques des autres ;

- la propriété de l'organisation concernée qui donne le droit au contrôle sur la base de la part du propriétaire ;

- la situation (monopole, concurrence...) dans laquelle opère cette entreprise publique.

Cette approche par la définition de normes souffre de limites de plusieurs ordres. Le capital dans les entreprises publiques n' est pas nécessairement public, il existe des entreprises où le capital est partagé entre le public et le privé ; les règles de fonctionnement au sein des entreprises publiques sont loin d'être uniformes, elles sont influencées par l'appartenance à un secteur d'activité quelconque. Enfin, le rattachement à une collectivité territoriale n'implique pas du coup l'Etat.

Au Cameroun, les entreprises publiques, du moins pour ce qui est de leur statut juridique, se définissent suivant deux catégories :

- les sociétés à capital public ;

- les sociétés d'économie mixte.

La communauté européenne quant à elle définit les entreprises publiques comme <<celles sur lesquelles, l'Etat peut exercer directement ou indirectement une influence dominante. » Eu égard la diversité caractérisant l'entreprise publique, on peut néanmoins dire que l'entreprise publique << se présente d'une manière générale comme

11 Le secteur public est constitué en effet des établissements administratifs, des sociétés d'Etat et d'économie mixte qui toutes deux participent de ce qu'on appelle entreprises publiques. Nous utiliserons indifféremment les expressions secteur public et entreprises publiques tout au long de notre exposé.

une forme originale de production de biens et services à mis chemin entre les administrations d'Etat et les entreprises privées » (Douanla, 1993). Ceci traduit l'idée que l'entreprise publique, du fait qu'elle soit l'émanation de l'ensemble des citoyens est soumise aux autorités politiques et en même temps, elle se doit d'optimiser l 'allocation de ses ressources. C 'est aussi cette idée qui conduit à la pluralité des définitions suivantes de l'entreprise publique.

I-1-2 Quelques propositions de définition

Selon Chevalier F. (1979), l'entreprise publique est une entreprise produisant des biens et services en vue de leur vente à un prix qui doit couvrir approximativement leur prix de revient, mais qui est la propriété de l'Etat ou placée sous son contrôle. Anastassopoulos J.P (1980) pense que l'entreprise publique est une organisation ayant pour objet de produire et de vendre des biens et services et dont l'Etat a la responsabilité. Durupty M. (1986) propose une définition beaucoup plus large en partant de trois approches : l'approche normative confère à certaines entreprises publiques un caractère légal ou réglementaire et fonctionnent dans un but de contrôle. D'autres ont un caractère jurisprudentiel et correspondent à une tentative de légalisation des flux de passage alternatif du secteur public au secteur privé ou inversement. Enfin, les dernières ont un caractère plus économique, voire plus gestionnaire et s'efforcent de restituer les caractères spécifiques des entreprises publiques par rapport aux entreprises privées.

La multitude de définitions et d'approches de l'entreprise publique est révélatrice de la complexité du secteur dont elle relève (secteur public), notamment aux plans de sa gestion et de ses obj ectifs. Si l 'on retient les deux éléments suivants : la structure du capital de l'entreprise et le contexte légal et réglementaire, nous pouvons dire avec Darbelet et Laugine J.M (1984) que l'entreprise publique est une entreprise dans laquelle tout ou partie du capital et du pouvoir de décision appartient à une collectivité publique, c'est-à-dire l'Etat, une région, un département ou une commune. C'est sous cette approche que sera abordée l'entreprise publique tout au long de ce travail.

I-2 Justifications de l'existence des entreprises publiques

L 'accent est mis ici sur le débat relatif à l 'intervention de l 'Etat dans l 'activité économique. Pour les uns, l'Etat est un simple arbitre et doit laisser le marché s'autoréguler, c'est la main invisible d'Adam Smith. Une autre thèse veut que l'Etat assure la restauration de l'équilibre du marché en cas d'altération de ce dernier. Cependant, outre ce débat une autre justification de l'entreprise publique est sa mission de service public.

I-2-1 Le débat sur l'interventionnisme

Trois courants de pensée s'opposent sur ce point.

I-2-1-1 L'analyse du courant du libéralisme

A- Les classiques

L'approche classique se veut une limitation de l'interventionnisme étatique. Chaque fois que la consommation d'un bien est nécessairement collective (bien collectif) et dont la principale propriété est le non fonctionnement du principe d'exclusion12 ; ou que la production de tel bien est physiquement optimale dans les conditions techniques données par une seule entreprise, l'intervention de l'Etat sera bénéfique à l'économie. L'optimum ainsi mobilisé dans la seconde proposition sus-citée est encore appelé rendement social maximal dans l'analyse libérale. La compréhension de cette dernière notion nécessite au passage une éclaircie en ce qui concerne la situation d'optimum économique ou état de redressement social optimal. En effet, on se trouve dans une telle situation chaque fois que la modification de l'une des composantes de cette situation entraîne une diminution du bien être d'un ou de plusieurs individus.13

B- Les néo-classiques

C'est la continuité de l'approche classique ; ainsi, la notion de bien collectif constitue le fondement du justificatif de l'entreprise publique pour les économistes du courant néo-classique. Avec la notion de monopole naturel, les néo-classiques parviennent à regrouper les activités selon que celles-ci doivent être nationalisées ou confiées au

12 Voir supra

13 Pour une illustration, voir Douanla (1993), Contribution à la connaissance des causes des difficultés des entreprises du secteur public et parapublic au Cameroun, thèse de doctorat 3è cycle en Sciences Economiques, Janvier, p.23

secteur privé. Les activités jugées ne pas revenir au secteur privé sont ainsi concentrées entre les mains de l'Etat, généralement sous la forme de monopole justifiant ainsi l'existence, à tout au moins sur le plan économique, de l'entreprise publique.

Les degrés d'intervention de l'Etat, sous la forme de l'entreprise publique, se font ainsi à quatre niveaux.

L'Etat est le garant du respect des règles du jeu de l'économie de marché, qui peuvent être remises en cause à tout moment. Il convient alors, non seulement de créer un corps de législation assurant le respect des règles de la concurrence, mais aussi et surtout de nationaliser des entreprises ou des secteurs produisant à rendements constamment croissants.

Deuxièmement, les cas de défaillances, de lacunes du marché peuvent impliquer une intervention de l'Etat dans la vie économique. L'Etat peut ainsi assurer la production des biens collectifs.

De plus, l'Etat peut jouer un rôle de tuteur des préférences individuelles des consommateurs, on parlera alors de biens et services sous-tutelle. Deux motifs principaux justifient la mise en tutelle d'un bien : l'information disponible au niveau des consommateurs est insuffisante, l'Etat doit alors, par contrainte ou par incitation, orienter les choix de ces derniers. Dans un second temps, les effets externes étendus (interdépendances entre centres de décision et non sanctionnées dans le système des prix) conduisent à la mise sous-tutelle du bien impliqué.

Enfin, le rôle de répartition des ressources est dans la vision néo-classique confié à l'Etat parce que garant de l'intérêt général, d'où son éventuelle intervention dans l 'activité économique.

La partialité de la justification du secteur public, notamment l'incapacité du courant néo-classique de rendre compte de l'existence d'une large part du secteur public productif dans la quasi-totalité des pays (Nioche J.P. , 1979 ), ainsi que l'absence de dimension organisationnelle dans l'analyse sont les principaux griefs à l'approche néoclassique. Cela traduit les difficultés qu'il y'a à dégager à partir de cette doctrine, une justification et une définition pertinentes de l'entreprise publique ; d'où le recours à des approches plus denses en l'occurrence l'approche keynésienne.

I-2-1-2 Le courant keynésien

Keynes préconise l'intervention de l'Etat au moyen de la dépense publique afin de restaurer les différents équilibres du marché détériorés à la suite de crises. La théorie keynésienne apparaît en effet dans les années 1920-1930, années de crise et s'interprète comme une légitimation de la nécessaire intervention de l'Etat dans l'activité économique dans le but de redonner vie au marché. L'analyse keynésienne est fondée sur le modèle de la demande agrégée. Elle part des insuffisances de l'analyse classique dont l'optimum économique est loin de l'optimum social, notamment en matière d'emploi. Les keynésiens définissent la notion d'intérêt public qui se situe au dessus des mécanismes microéconomiques et justifient ainsi la gestion publique des affaires. Les entreprises publiques sont alors perçues comme l'épine dorsale d'un processus socio-économique qui prend en compte les problèmes d' équilibre macroéconomique.

Dans la théorie keynésienne, l'Etat est considéré comme un agent économique agissant au nom de la société et utilisant au besoin la contrainte. L'Etat doit dépasser son rôle d'arbitre, car il est l'émanation d'une volonté générale, pour assurer la régulation du système économique dans son ensemble. Les entreprises publiques font donc partie de l'ensemble des politiques mises en oeuvre par l'Etat pour y parvenir. Ces entreprises doivent alors concourir à la maximisation de l'utilité sociale.

L'investissement est aussi au coeur de la théorie keynésienne. L'Etat doit en effet chercher, par l'intermédiaire de ses entreprises, à limiter les faiblesses conjoncturelles de l'investissement privé par des augmentations de la formation brute du capital fixe des entreprises publiques.

I-2-1-3 Le courant marxiste

Pour comprendre le développement marxiste relativement à l'interventionnisme étatique dans l'activité économique, il convient de rappeler d'abord le conflit qui oppose la classe ouvrière aux capitalistes. En effet, les capitalistes ou la classe dirigeante dans leur processus d'accumulation du capital exploitent les prolétaires, ce qui conduit ces derniers à des soulèvements. Pour les marxistes, la création d'un

secteur public n'est donc rien d'autre que l'accumulation excessive du capital entre les mains des personnes privées.

L'industriel développe un capital en vue de maximiser son profit. Cependant la réalisation de cet objectif est contrecarrée par divers facteurs. Il est par exemple impossible d'augmenter trop fortement le taux d'exploitation des travailleurs, en raison notamment de la lutte qu'ils mènent en vue de diminuer ce taux. Ainsi, l'accumulation du capital conduit à une baisse des profits. L'Etat qui est l'instrument de la classe dirigeante, c'est-à-dire des capitalistes, s'approprie une partie du capital de l'économie en se contentant de sa mise en valeur réduite ou de sa gestion simplement équilibrée voire déficitaire. Ce sacrifice consenti par l'Etat permet de relancer l'exploitation des capitalistes privés, car si l'Etat produit une plus-value, il renonce à se l'approprier. Pour les marxistes, l'Etat perd ainsi sa qualité d'arbitre, de médiateur neutre que lui reconnaissaient les deux courants de pensée précédents. C'est un Etat de classe qui se veut à la disposition de la classe dominante en socialisant les coûts alors que les profits restent privés. Les entreprises publiques ne sont alors que des outils permettant de réaliser des transferts de valeur au profit du secteur privé.

I-2-2 La mission de service public

D'après Bon et Loupe (1977), c'est la mission de service public qui est le véritable motif de l'existence des entreprises publiques. Cependant, il pèse sur cette notion une ambiguïté foncière. Pour les uns il est générateur de la cohérence d'un ensemble juridique, tandis que pour les autres, il est le noeud d'une certaine conception de la société civile toute entière et l'enjeu de la cohésion sociale. La crise aidant, ce concept a souvent été dramatisé, remettant ainsi en cause la notion même de service public. Elle s'est ainsi fait de fervents ennemis (Devolvé, 1985 ; Pisier, 1986) qui l'accusent d'être foncièrement liberticide d'une part, et d'autres parts elle aura eu des défenseurs chaleureux qui en font un véritable symbole des valeurs républicaines (Regourd, 1987 ; Chevallier, 1976, 1984, 1994).

En deçà de ce combat toujours présent dans l'idéologie comme dans les discours scientifiques, la loi du marché fait inexorablement peser sur le service public le poids

d'exigences qui le contraignent, le contiennent et viennent jusqu'à changer son appellation, et donc sa signification.14

Alors la question se pose, qui semble naïve, mais qui est impérative. Que faire du service public, de ce service public qui se réduit à une expérience spatialement limitée (le service public à la camerounaise) et temporellement discutée (notion du passé voire dépassée). Faut-il y renoncer, le moderniser, le repenser ? La question est vaste et complexe, les réflexions nombreuses et diverses. Toute fois, il existe une voie qui a été singulièrement délaissée (Espagno D., 1997) celle de l'analyse des sources de la notion de service public. Si cette perspective ne peut constituer une investigation complète du sujet, elle est cependant susceptible d'apporter des éclaircissements.

I-2-2-1 Les dimensions de la notion

Le service public désigne une activité d'intérêt général prise en charge par une personne publique ou privée pour le compte d'une personne publique (Espagno D., 1997) - définition classique mais qui ne détermine qu'un aspect de la notion. - Il convient cependant d'admettre que cette notion contient intrinsèquement certaines dimensions qu'il faudrait retrouver.

L'élément déterminant et fondamental de la notion de service public, c'est le collectif. Dès l'analyse étymologique, on perçoit qu'elle ne véhicule en aucune manière une dimension individuelle. Or le critère collectif n'est pas né de la doctrine de service public. Il est le fruit d'une perception lointaine, relevant d'une certaine conception de la vie en société. Dans cette perspective, l'une des premières sources à laquelle il convient de revenir est constituée par l'approche de la dimension collective.

Outre la dimension collective, le service public est également fondé par le bien commun. Une étude de la notion de communauté dans le cadre du service public supposerait que l'on s'attache à l'analyse des autres notions de bien commun et d'intérêt général. De plus il appelle effectivement des dimensions essentielles différentes du concept de collectivité.

14 Cf. les notions de service universel, utilities ou encore monopole naturel.

I-2-2-2 Les sources originelles15 de la notion

L'exploration des sources originelles du service public se fera au détour de l'analyse des dimensions collective et communautaire de la notion.

A- La dimension collective, source de la notion

Il existe plusieurs manières d'aborder le phénomène collectif. Nous nous intéresserons notamment sur la perception philosophique du collectif au travers des pensées platonicienne et aristotélicienne. Le propos peut paraître étonnant pour une étude des sources de la notion de service public. Pourtant, l'analyse des perceptions platonicienne et aristotélicienne du phénomène collectif permettront de mieux appréhender comment, dès l'antiquité, le collectif a été pensé comme un élément fondamental de l'organisation politique et économique.

1- L'éclairage platonicien

Le concept de collectif n'est pas explicitement énoncé chez Platon. Pour ce dernier, la Cité naît d'une nécessaire association politique à laquelle les hommes ont été confrontés afin de faire face aux difficultés de la vie. Ainsi donc, de manière brève, l'idée d'une nécessaire association suppose que l'homme ne puisse pas affronter seul les pièges de la vie. En revanche, par le biais du groupe, les difficultés s'estompent. Dans La République, Platon explique que des nécessités de la vie naît l'association politique. Dans un premier temps, l'association politique est une association naturelle, voire spontanée. Il s'agit alors de la Cité nature. Dans un deuxième temps, la Cité nature ne suffisant plus aux exigences des hommes, il convient de construire la Cité juste, la callipolis. Celle-ci suppose l'existence d'un certain nombre de règles de vie, la mise en place d'un système d'éducation. En bref, une réelle organisation de la communauté, que nous avons l'habitude de désigner actuellement par la satisfaction de l'intérêt général qui est la mission principale de la Cité de Platon et dont le reflet est l' entreprise publique.

15 Nous distinguons les sources originelles des sources récentes comme l'intérêt général ou encore la solidarisme. Pour cette dernière notion voir les travaux de Durkheim.

2- L'éclairage aristotélicien

A l'opposé de Platon, Aristote fait de la dimension communautaire le fondement de sa vision de la Société. L'élément fondamental connu de tous est le postulat selon lequel «l'homme est par nature un animal politique. » Cette célèbre affirmation constitue une reconnaissance explicite de la dimension communautaire ; elle signifie que l'homme est un animal destiné par nature à vivre en Société.

A partir de ce postulat, Aristote démontre que la Cité est le système le plus favorable à l'épanouissement de la communauté et de ses membres. De ce fait, l'organisation politique et économique dépend entièrement de cette dimension collective garantie par l'intervention de l'Etat dans l'économie au moyen des entreprises publiques.

La matérialisation politique, juridique et économique du collectif se manifeste notamment, par l'institution d'un certain nombre de grands services administratifs qu'il convient de désigner par l'expression grands services publics. La dimension collective peut ainsi être considérée comme une véritable source de la notion.

B- Bien commun et notion de service public

Ce sont les liens qui se tissent entre la notion thomiste de bien commun (Gilson, 1930,1948 ; Michel, 1931 ; Chenu, 1993) et la notion de service public, parce que particulièrement significatifs en tant que source du service public, qui seront mis en évidence ici. Alors que chez les philosophes grecs l'objectif de l'homme doit être d'atteindre le bien, chez le philosophe chrétien, l'ultime but de l'homme consiste en l'atteinte du bien commun. Cette notion qui vient relayer celle du bien naturel et individuel est une des clés de voûte de la doctrine thomiste. La question est alors de savoir dans quelle mesure le bien commun peut être une des composantes de la notion de service public ?

Le concept de bien commun, en jouant le rôle de principe philosophique dans la doctrine de l'Eglise, a eu pour conséquence de contribuer à la mise en place d'un certain esprit de solidarité. En ce sens, il apparaît comme un élément générateur du service public.

Le bien commun exerce d'un point de vue des sources une influence sur celle de service public dans la mesure où elle met à jour une perception particulière de la solidarité et de la réciprocité, éléments déterminants du service public.

A bien des égards, la notion thomiste apparaît comme l'expression religieuse d'un concept, l'intérêt général, que l'on retrouve dans la définition de la notion de service public. Or si l'on peut parvenir à poser le principe selon lequel le service public consiste, notamment en la satisfaction de l'intérêt général, c'est parce qu'avant l'intérêt général il y'a eu le bien commun. C'est à partir de cette doctrine du bien commun qu'un certain nombre de solidarités se mettent en place et que l'Etat prend en charge des pans entiers de la question sociale.

Charité, fraternité, solidarité (Chevallier et alii., 1992), sont trois des éléments instillés par la doctrine du bien commun et que l'on retrouve implicitement dans la notion de service public. En ce sens, le principe du bien commun semble être générateur de l'idée de service public et plus particulièrement de l'approche théorique du service public. Il est en effet difficile d'aborder la question du service public en excluant celles de l'intérêt général et du bien commun.

II- Les systèmes de gestion du service public

Une fois précisées les définitions et les différentes justifications de l' existence des entreprises publiques, il paraît désormais important de savoir quelles méthodes et outils utilise-t-on pour en assurer la gestion. Tel est le leitmotiv de cette deuxième section ; ceci dit, avant d'en arriver là nous proposons que soit revisité le concept de gestion lui-même dans sa globalité avant d'en définir les contours pour ce qui est des entreprises du service public.

II-1 L'existant en matière de gestion d'entreprise

Il nous est essentiellement fourni par la théorie des organisations et fait apparaître deux tendances : une gestion traditionnelle appréhendée par le taylorisme et faisant référence aux exigences d'augmentation de rendement dans les ateliers d'usines industrielles et de l'autre côté, après les années 70 notamment une gestion de la firme se voulant plus modernisée. C'est cette deuxième tendance qui va susciter la naissance

du concept de gestion stratégique, suite aux contributions des chercheurs de la Harvard Business School (HBS) et d'Igor Ansoff (1965). L'expression de gestion stratégique est alors substituée à celle de « politique générale de l'entreprise » encore assimilée par certains chercheurs à la « gestion prévisionnelle. »

II-1-1 L'approche traditionnelle de la gestion d'entreprise

Elle est constituée respectivement de l'organisation scientifique du travail (OST), de la prise en compte progressive du management et de l'introduction de la rationalité dans la conduite de la firme.

I-1-1-1 L'organisation scientifique du travail

C'est l'invention de Taylor F.W. qui a ainsi eu le mérite de formaliser la science de l'organisation. Son oeuvre va par la suite être revue et augmenter par Henry Ford.

A- Le taylorisme (1 856-1945)

F.W. Taylor développe le système des salaires aux pièces et étudie les éléments ayant trait à la productivité, à la qualité du travail, au moral des travailleurs et à la façon de les rémunérer. Cette analyse débouche sur les cinq principes de l'organisation du travail que voici :

- les tâches doivent être décomposées en éléments constitutifs ;

- chaque élément doit être analysé afin de rechercher la meilleure méthode d'exploitation ;

- les éléments de chaque tâche doivent être intégrés, et il est nécessaire d'établir des normes de rendement ;

- les employés doivent être sélectionnés et entraînés d'une façon scientifique ;

- les travailleurs doivent être rémunérés en fonction du rendement.

Pour ce qui est du premier principe, notamment la décomposition des tâches en gestes élémentaires à durée imposée, il permet de parcelliser et d'individualiser les opérations

humaines qui apparaissent alors en << miettes >>16 pour reprendre l'expression de Friedmann G. (1956).

L'O.S.T a certes le mérite de formaliser l'action dans l'organisation, mais elle participe en même temps à déshumaniser une catégorie de personnes, notamment les employés dont la seule tâche dans l'organisation se résume en l'exécution.

B- Le fordisme

La contribution de Ford à l'O.S.T développée par Taylor consiste en la quasimécanisation de la chaîne de production. Cette dernière, à travers la simplicité des gestes qu'elle induit, assure une rapidité, source de la productivité. La répétition et la monotonie sont cependant des griefs contre ce système. En effet, la mise en oeuvre du capitalisme automatique va enlever au travailleur la petite parcelle d'activité intellectuelle qui lui restait, et réduire son travail à une tâche de surveillance purement <<réflexe >> car le principe mécanique, en donnant à la machine l'art de façonner l'objet, met presque à l'écart l'ouvrier. Le fordisme se caractérise cependant par trois aspects :

- le << rapport de production fordien >>17 , c'est l'expression de la production en grande série de marchandises dont la valeur unitaire en termes de temps de travail nécessaire est abaissée ;

- le << rapport salarial fordien >>18 , c'est la substitution du salaire au temps : au salaire à la pièce. Elle regorge une double dimension : le salaire direct garanti par les formules d'indexation des salaires sur les prix des biens de consommation ; et le salaire indirect (chômage, santé, vieillesse) apportant quelques garanties concernant la reconstitution de la force de travail ;

- la << configuration fordienne de la division du travail >>19 , c'est la liaison établie entre norme de production et norme de consommation à l'origine de la production en

16 Friedmann G., (1956), Le travail en miettes, Gallimard, paris

17 Le << rapport de production fordien >> désigne les conditions particulières de production des biens suscitées par la rationalisation taylorienne et fordienne du travail et de la production.

18Le << rapport salarial fordien >> désigne ce qui a trait aux modalités institutionnelles et concurrentielles de fixation des salaires et des revenus secondaires.

19 La << configuration fordienne de la division sociale du travail >> désigne les contours du fractionnement et du sectionnement de l'appareil productif.

masse. Les secteurs ainsi concernés sont ceux de l'automobile, le logement et plus généralement les biens d'équipement des ménages.

La rigidité du système (Ansoff I., 1965) est le principal reproche fait à l'O.S.T, que ce soit dans l'optique de Taylor ou de Ford, d'où le recours aux principes de management pour le combattre.

II-1-1-2 La dimension management de la gestion d'entreprise

Elle est entendue comme << le processus d'accomplissement des objectifs de l'entreprise par le personnel >> (Besong M., 1988). C'est donc l'ensemble des moyens à mettre en oeuvre pour déterminer l'orientation de l'entreprise et la guider vers ses objectifs qui est mobilisé ici. Ansoff I., (1965) la compare ainsi à << un vaste complexe d'activités comportant études, décisions, communications, direction, motivation, mesures et contrôles. >> Les pionniers du management (Fayol H., 1841-1925 ; Mayo E., 1880-1949) estiment que c'est le processus opérationnel qui se prête le mieux à la compréhension de l'entreprise à travers une étude globale de ses fonctions. C'est Fayol qui en distingue les toutes premières : planifier, organiser, commander, coordonner et contrôler (P.O.D.C) tandis que Drucker F. les regroupe en cinq catégories : la fixation des objectifs, l'organisation du travail, la motivation, l'évolution de la firme et le développement du personnel. Le tableau suivant en illustre les techniques.

Tableau I-1 Les techniques traditionnelles de management

 

Face à l'avenir

Face aux
clients

Face à
l'environnement

Face à
l'obj ectif
interne

Techniques

Planification

Marketing

Marketing Mutisme

Contrôle Paternalisme

Source: Tsafack Nanfosso R., (1992), p. 31

La lecture de ce tableau nous enseigne que la planification, catalogue des actions à entreprendre dans tous les domaines de la vie de l'entreprise, s'impose à celle-ci afin

de prévenir les mutations de l'environnement. Le marketing lui permet d'avoir une bonne perception des attentes de la clientèle, et face à l'environnement il permet de procéder à une exploration permanente du marché. L'organisation interne quant à elle combine les techniques de contrôle et les comportements pécuniairement paternalistes.

II-1-1-3 L'approche rationnelle de la gestion d'entreprise

Elle fait la part belle aux techniques quantitatives de gestion. Deux catégories retiendront notre attention : les modèles de gestion en environnement certain et les modèles en avenir aléatoire.

A- Les modèles de gestion du prévisible

Les méthodes de prévision et de programmation en constituent le fondement.

La prévision est un élément clé de tout processus de gestion. Elle permet de prévoir l'évolution de l'environnement de l'entreprise à travers tous les facteurs pouvant exercer une influence sur ses résultats. On dispose à cet effet de techniques quantitatives et qualitatives et/ou endogènes et exogènes.

Les techniques quantitatives sont basées sur l'étude des données chiffrées caractérisant une variable économique permettant ainsi de mettre en évidence des régularités susceptibles de se produire et à partir des quelles il est concevable de faire des prévisions sur l'état futur de cette variable. Les méthodes qualitatives recourent partiellement à des données chiffrées, mais elles procèdent beaucoup plus par intuition.

Les techniques endogènes de prévision ne retiennent que le temps comme variable explicative de l'évolution des phénomènes tandis que les techniques exogènes prennent en compte d'autres variables en plus du temps.

La programmation revêt deux formes : la programmation mathématique recouvre un ensemble de techniques d'optimisation sous contraintes, et la programmation dynamique elle s'impose lorsque la décision change de période en période.

B- Les modèles de gestion en situation d'incertitude

C'est en effet la situation la plus récurrente en matière de gestion d'entreprise. En cas de possible probabilisation de l'environnement, l'analyse de Bayes est indiquée pour la prise de décision, pendant que la théorie des jeux s'adapte en situation non probabilisée. Les critères de Laplace, Wald, Hurwicz et Savage constituent en ces cas de meilleurs techniques face au choix des investissements.

Les modèles de gestion rationnelle en traitant de la prévision, de la programmation et de l'incertitude permettent d'engager le pas vers une gestion moderne de l'entreprise.

II-1-2 L'approche modernisée de la gestion d'entreprise

Elle s'articule autour de trois principaux points ayant tous en commun la caractéristique de mettre à la disposition des entreprises de nouvelles voies pour faire face à l'instabilité de plus en plus soutenue de l'environnement.

II-1-2-1 La stratégie

La stratégie fait son apparition dans le domaine de gestion d'entreprise avec l'ouvrage20 pionnier d'Igor Ansoff publié en 1965. Il s'agit en effet de la manipulation d'un ensemble de quatre grandes masses21 ayant une influence certaine sur les décisions d'envergure que l'entreprise est amenée à prendre pour, selon les cas, préserver sa survie, se redresser ou poursuivre son développement. Ainsi, << faire de la stratégie consiste donc, essentiellement à placer l'entreprise dans une position - notamment à l'égard des forces concurrentielles - telle qu'elle puisse dégager durablement une performance jugée suffisante par les dirigeants et autres parties prenantes (actionnaires, personnel, banques...) » (Martinet A., 1987). La diversité des outils utilisés ainsi que l'éparpillement des plans où se situent les auteurs des diverses contributions théoriques et pratiques fait de la pensée stratégique une discipline disparate en dépit de sa relative jeunesse. C'est sans doute dans ce mouvement que s'inscrit le management stratégique défini << comme la formulation de l'exécution de plans mettant en relief les activités touchant à ce qui est vital, répandu et d'une

20 Igor Ansoff, (1965), Corporate strategy, Mc Graw Hill

21 Selon Charles Martinet, (1987), il s'agit du projet du groupe dirigeant, de l'environnement économique, des compétences, des ressources de l'entreprise et enfin des obligations et pressions sociales externes.

importance permanente pour l'organisation. » Le schéma qui suit en présente les différentes articulations.

Figure I-1 Le processus du management stratégique

Planification stratégique

Planification des compétences

Exécution stratégique

Gestion de l'évolution discontinue

Source: Tsafack Nanfosso R., p.44, opt. cit.

D'après la figure, les objectifs de l'organisation se définissent dans le cadre de la planification stratégique. La mise en oeuvre de l'exécution de la stratégie, c'est-à-dire engager vis-à-vis de l'environnement des manoeuvres stratégiques découlant des orientations choisies et adoptées, ne peut parfaitement s'opérer que par l'étude des compétences managériales et aptitudes de l'entreprise.

II-1-2-2 Le nouveau management

La nécessité d'adopter un nouveau management fait suite à la montée ainsi qu'à la persistance des turbulences de l'environnement. En référence aux quatre éléments évoqués précédemment lors de l'étude du management traditionnel, le tableau suivant montre les nouvelles méthodes adoptées pour la gestion d'entreprise.

Tableau I-2 Les techniques du management moderne

 

Face à l'avenir

Face aux clients

Face à
l'environnement

Face à
l'organisation
interne

Techniques

Projet d'entreprise mobilisateur

Vente

Marketing Communication

Motivation active Action à tout prix

Source: Tsafack Nanfosso R., p.45, opt. cit.

Nous remarquons que le marketing perd son prestige face à la clientèle, on lui préfère désormais la vente au sens de Bloch, Hababou et Xardel (1986) pour qui << vendre c'est se taire. >> L'entreprise doit être capable de saisir, au travers d'attitudes, de critiques, de signes plus ou moins perceptibles les véritables attentes des clients et au delà celles du marché. Cependant, le marketing conserve sa mission d'exploration face à l'environnement. Et face à l'organisation interne, l'accent est désormais mis sur la motivation du personnel plutôt que sur l'amélioration des conditions de travail au sens strict.

II-1-2-3 L'offensive

Selon la théorie behaviouriste (Cyert et March, 1970) l'entreprise est un système dont l'équilibre est sans cesse remis en question du fait des variations que subit l'environnement. Il convient de ce fait, comme le pense Tabatoni P., (1974), que les entreprises attaquent l'environnement au lieu de seulement chercher à s'y adapter. Cela participe de la flexibilité offensive22 de l'entreprise.

Le processus d'innovation en constitue le nerf. C'est << la mise en application originale et porteuse de progrès d'une découverte, d'une invention ou tout simplement d'un concept >> (Barreye P-Y., 1976). On lui assigne plusieurs objectifs, qui résumés, amène à distinguer les innovations à caractère imitatif des innovations absolues ou innovations de rupture. De ce qui précède, on retiendra que la flexibilité offensive traduit l'aptitude de l'entreprise à modifier l'environnement par la production et la

22 Pour une vue plus détaillée, voir Tsafack Nanfosso R., opt. cit.

distribution des nouveautés viables sur le plan commercial, afin de dégager un avantage comparatif par rapport à la concurrence (Tsafack R., 1992).

II-2 Les articulations de la gestion du service public

La sous-section précédente nous a permis de revisiter le concept de gestion, on a ainsi pu mettre en évidence ses deux principaux aspects, le traditionnel et le modernisé notamment. Cependant, il faut dire que les techniques, telles qu'elles ont été développées faisait plus référence à la gestion des entreprises privées qu'à celle des entreprises produisant des biens collectifs, donc publics. Il est alors intéressant pour nous de savoir ce qu'il en est de cette catégorie d'entreprises. Nous examinerons, pour ce faire, tour à tour, les spécificités de la gestion publique par rapport à la gestion privée et les différentes fonctions (quatre) de gestion de l'entreprise publique.

II-2-1 Les faits non marchands

Deux points ressortent particulièrement pour aborder les spécificités de la gestion publique dont l'accroissement de la diversité et de la complexité des biens concernés par ce type de gestion (ceux relevant de l'Etat) a conduit à la qualifier par une négation : le non marchand.

II-2-1-1 Les organisations à but non lucratif

Une organisation à but non lucratif (OBNL) est une organisation dont le mobile d'action n'est pas un avantage monétaire proportionnel à la cotisation de chacun de ses membres. Cette organisation - publique ou privée - produit des biens ou des services au profit de ses adhérents ou de ses non-adhérents. L'adhésion étant cependant volontaire ou obligatoire. Toutes les organisations publiques relèvent de cette catégorie. Mais il existe aussi des grandes OBNL privées, c'est le cas des mutuelles d'assurance, des coopératives de production ou d'achat, des organisations caritatives, des syndicats, des clubs, etc. Les OBNL sont aussi appelées institutions non marchandes (INM).

II-2-1-2 Les biens et services collectifs

Deux singularités caractérisent les biens collectifs purs : la non-rivalité et la non-exclusion. La non-rivalité signifie qu'un bien disponible pour un individu l'est aussi pour tout autre, sans modification de la quantité disponible pour chacun. La non-exclusion signifie que tout consommateur se trouvant dans un espace donné, et éventuellement sous réserve de sa capacité à être consommateur accède librement à l'usage de ce bien. Il faut cependant signaler avec Samuelson P. que, le fait que le bien soit disponible pour tous n'implique pas le même degré de satisfaction.

Ces deux caractéristiques permettent alors de faire la différence entre les biens publics et les biens privés. Pour les derniers, la demande totale d'un bien s'obtient en additionnant horizontalement les demandes individuelles, ce qui signifie que pour satisfaire une demande supplémentaire il faut accroître la production. Au contraire, pour un bien public, la demande totale s'obtient en additionnant verticalement les demandes individuelles ; une demande supplémentaire non seulement ne nécessite pas une augmentation de la production, mais encore elle permet d'abaisser le coût moyen par consommation. Le tableau suivant résume bien ce mécanisme.

Tableau I-3 La dualité duale

Biens

Variables

Bien privé pur

Bien public pur

Quantités consommées

q1, q2, , qi, ,qn

n

~ qi = qt

i = 1

 

q1 = q2 =

=qn = qt

Prix

p1, p2, , pi, ,pn

p1 =p2=

= pi....= pn=cm

n

E pi = CT

i= 1

 

1,2, , i, , n : indice caractérisant les individus

p : prix ; qt: quantité totale ; q: quantité ; CT : coût total ; c: coût ; cm: coût marginal.

Source: Kolm S.C., (1970), L 'Etat et le système des prix, Dunod, Paris.

Les biens publics purs existent rarement. En revanche, il existe de nombreux biens qui possèdent simultanément tel ou tel attribut de bien collectif et de bien privé : il s'agit des biens collectifs mixtes23.

En ne retenant que deux catégories, les biens privés et les biens collectifs et deux organisations de production (entreprise et INM), il apparaît la distinction suivante entre la gestion des entreprises publiques et celles du domaine privé.

Figure I-2 Le graphe des modes de gestion

Organisation

Public

Privée

 

Cahier des charges

Concurrence

Monopole

Indicateur de succès

 
 
 
 
 

Bien

Source: Le Duff R., Papillon J.-C., (1988), p.37

Le graphe nous indique que le cahier de charges et le monopole sont les deux modes de gestion qui relèvent du domaine des entreprises publiques.

II-2-2 Les principales fonctions de gestion du non marchand

Nous articulerons notre propos autour de quatre principales fonctions qui singularisent le mieux la gestion des biens collectifs. Il s'agit notamment de la tarification, du marketing, de la gestion des achats et de la gestion des ressources humaines (GRH).

23 Voir Le Duff R. et Papillon J.-C., (1988).

II-2-2-1 La tarification publique

Les objectifs poursuivis par la tarification sont divers et parfois contradictoires ; les plus souvent cités sont le bien-être et la solidarité. Dans le premier cas, l'usager doit couvrir le coût pour la collectivité ; dans le second, la tarification est l'occasion d'un transfert de richesses des plus riches vers les plus pauvres. Avant d'analyser ces objectifs, attardons nous quelque peu sur les généralités de la tarification.

A- La tarification en bref

Les critères de tarification généralement admis sont liés entre autres à la production, à l'échange et à la consommation. Relativement à la production, la tarification tient compte de la quantité, de la qualité et du mode de production. Les critères liés à l'échange intègrent les circonstances qui varient avec le moment de la délivrance du service, et les indicateurs de quantité. Une double discrimination sur le plan notamment de l 'usager (vieux et j eunes par exemple) et de l 'usage caractérise les critères liés à la consommation.

De ces critères naissent deux tendances opposées en matière de structure tarifaire (voir tableau I-4) : la tendance à l'uniformisation et celle relative à la modulation. Les dispositifs de tarification visent à répondre à trois questions : qui va payer ? selon quelles modalités ? et qui va recevoir les sommes versées ?

Pour ce qui est des payeurs, le plus fréquemment ce sont les utilisateurs des services publics. C'est le cas des hôpitaux ou l'expression de « tiers payant » est bien connue. La figure I-3 en constitue une illustration.

Les modes de perception varient avec le type de tarif et de service rendu. Selon l'agencement temporel du paiement, les modes de perception sont au préalable, concomitant et postérieur.

L'affectation des ressources fait de l'organisme public prestataire du service le bénéficiaire des recettes et les impute entièrement à son crédit.

B- Le bien-être optimal et la solidarité

La recherche du bien-être impose que chacun paye le coût de sa consommation ce qui conduit l'INM à fixer tous les prix au niveau du coût marginal. Il lui revient donc de

calculer les coûts marginaux de ces diverses productions en y incluant, le cas échéant, les coûts que son activité fait supporter à la société.

Tableau I-4 La structure tarifaire

Création de multiples services différenciés

Service unique

Critère lié à la qualité ou à l'occasion

Discrimination fine selon l 'usager

Tarifs identiques pour tous

Critère lié à l'usager

Tendance à Dimension sur laquelle Tendance à la

l'uniformisation porte le choix tarifaire modulation

Forfaitisation ou tarif proportionnel aux quantités

Critère lié à la quantité

Tarif par tranches (dégressif ou progressif)

Source: Le Duff R., et Papillon J.-

C., (1988), p.137

Figure I-3 Illustration du « tiers payant »

Cotisant

Malade

Hôpital

S.S

Mutuelle complémentaire

Flux financier Service rendu S.S : service social

Prestation

Source: Le Duff R., et Papillon J.-C., (1988), p.138

Si la référence est faite à la solidarité, la tarification va se faire influencer par les subventions. Tantôt certains usagers subventionnent d'autres usagers ; ces subventions croisées sont invisibles de l'extérieur tant que l'INM a un monopole public. Tantôt les subventions proviennent du budget général. Dans ce dernier cas, elles peuvent être suffisantes pour que le service soit gratuit. Cependant quelles que soient leurs formes, les subventions posent les problèmes d'efficacité économique, de la réalité de la solidarité et de la liberté individuelle.

II-2-2-2 Le marketing public

L'amélioration de la gestion du service public est susceptible de s'opérer au moyen de son marketing. Cependant dans le service public il a plutôt un souci de la légitimation du secteur public.

A- La participation des usagers

Le succès de nombreux services publics est conditionné par l'adhésion des usagers. L'INM a donc intérêt à les convaincre de modifier leur conduite dans un sens favorable pour tous. Les moyens dont elle dispose sont entre autres la persuasion, l'information mais surtout la coercition.

B- Le marketing, légitimation de l'INM

Les institutions ont le devoir de rendre des comptes à leurs mandants, l'information va constituer de ce fait un moyen de démontrer que les dirigeants ont bien interprété les désirs des mandants, voire défendu leurs véritables intérêts, cependant qu'ils n'en ont pas tous une claire conscience.

II-2-2-3 La gestion des achats

L'acheteur public, du fait de l'importance des achats effectués par les diverses autorités publiques représentant une grande part de la demande nationale, est de loin le premier. Il convient donc d'en analyser le processus.

A- Les procédures normales de passation des contrats

Deux principaux objectifs sont visés : l'obtention du prix le plus bas et l'équité entre les offreurs.

En référence à ces objectifs, on distingue aujourd'hui quatre modes de passation des marchés publics.

1- L'adjudication

C'est le mode de passation le plus ancien et le plus rigoureux. L'adjudication ouverte et l'adjudication fermée sont ses deux composantes. Dans la première, tout fournisseur peut soumissionner ; alors que dans la seconde, le soumissionnaire doit au préalable avoir été retenu. Indifféremment du cas de figure, quatre conditions sont obligatoirement remplies.

- La publicité de l'ouverture des soumissions et de l'attribution provisoire du marché.

- L'attribution du marché, si une soumission au moins répond aux conditions de l'adjudication.

- L'attribution du marché à l'offreur le moins disant.

- La fixation d'un prix maximum au-delà duquel l'adjudication ne sera pas prononcée.

Le fait que l'adjudication soit manipulable, fait qu'on lui préfère l'appel d'offres.

2- L'appel d'offres

Deux points l'en distinguent du précèdent.

- L'ouverture des plis n'est pas publique. Les ententes sont donc particulièrement découragées.

- L'attribution du marché ne va pas obligatoirement au moins disant. La commission chargée de l'attribution examine les différents dossiers et choisit le meilleur candidat en fonction de critères qui lui sont propres. Le prix est cependant un critère déterminant.

3- La négociation

Cette démarche se rencontre très peu souvent. Elle a cependant le mérite d'être moins contraignante que les deux précédentes du point de vue des formes à respecter, elle

garanti aussi une plus grande autonomie. Elle n'assure pas l'égalité entre tous les fournisseurs aussi son utilisation est limitée.

4- Les achats sur facture

L'existence de monopole au niveau des fournisseurs et la faible importance de l'achat entraînent la disparition de toutes les procédures suscitées. L'acheteur public n'est plus qu'un acheteur ordinaire qui paie le prix qu'on lui demande.

B- Les dérogations

Elles sont nombreuses et constituent ne pas toujours à proprement parler des dérogations.

La participation à une centrale d'achats : elle est comparable, du moins en partie à un achat sur facture. L'acheteur public commande ses fournitures à une centrale publique d'achats.

La commission d'enquête : elle doit s'assurer que l'acheteur public ne fait pas trop la part belle au fournisseur.

La négociation : elle est spécifique au secteur. Ainsi, les hôpitaux et les hospices publics peuvent en être autorisés par décision préfectorale.

II-2-2-4 La gestion publique des ressources humaines

Dans la quasi-totalité des pays, les services publics constituent pour la plupart d'entre eux de véritables entreprises de main-d'oeuvre. D'où l'intérêt qu'il y'a à observer comment se fait la gestion de cet important patrimoine. Théoriquement, l'organisation de la fonction publique obéit à deux systèmes : celui de la carrière et celui de l'emploi.

A- Le système de carrière

Ici le fonctionnaire est recruté à un certain niveau dans un corps et dans un grade donnés. Il peut ensuite monter dans la hiérarchie en fonction de l'appréciation de ses résultats et dans des proportions plus ou moins fixées. Les techniques de recrutement dans ce système encouragent le mérite, tant à l'entrée qu'à l'intérieur. Le concours s'avère donc être la technique la plus indiquée.

B- Le système de l'emploi

Dans ce système, l'agent est recruté pour occuper un poste bien déterminé, dans lequel il reste pour une période fixée ou indéfinie et sans aucune évolution, sauf les augmentations de traitement, qui peuvent être liés à l'ancienneté ou aux performances. Les techniques de recrutement utilisées sont la sélection des agents et le recrutement automatique. Ce dernier est le plus présent et consiste à embaucher tous les candidats titulaires d'un certain diplôme.

Au terme de ce chapitre théorique se rapportant aux fondements et aux modes gestion des entreprises publiques, les leçons suivantes mérites d'être retenues. Premièrement, l'entreprise publique est une composante importante du tissu économique tant du point de vue du courant classique que de celui des marxistes en passant par les keynésiens. Deuxièmement, ses modes de gestion se différencient nettement de ceux appliqués dans les entreprises privées, même si l'objectif à la fin est quasiment le même. Qu'en es-il de la gestion des entreprises du secteur public au Cameroun, évidemment au regard de ce qui a été développé sur le plan théorique ? C'est la question à laquelle se propose de répondre le chapitre suivant consacré exclusivement à l'exploration du secteur public camerounais.

Chapitre II

La conduite des entreprises publiques camerounaises :
les déficits de gestion

Au lendemain de l'indépendance, la nécessité de prendre en main notre économie s'est imposée. Il est trivial de dire que les années d'avant indépendance sont caractérisées par une mise à l'écart des nationaux de la vie politique et économique du pays. En raison de l'absence, mieux du manque de mâturité de l'initiative privée, ce rôle d'impulsion de l'économie va être pris en charge par l'Etat au moyen de la création de nombreuses entités économiques et juridiques que l'on regroupe sous le vocable d'entreprises publiques. Ce vaste mouvement est animé par ce qui était appelé à cette époque là libéralisme planifié.

Il faut dire aussi que cela aura valu d'énormes sacrifices, notamment sur le plan financier. En effet, la mise en place des entreprises publiques camerounaises a nécessité près de 750 milliards24 de Francs CFA. Cependant, dès les années 80, le contexte de délabrement de l'économie, sur les plans international et local, aidant, l'on va s'apercevoir que ces dernières sont en difficulté.

Notre objectif principal dans ce chapitre deuxième est, après avoir de façon théorique justifier l' existence et la gestion des entreprises publiques dans le précédent, de dresser un bilan complet de la situation des entreprises publiques depuis leur création jusqu'à nos jours. Pour ce faire, il convient de présenter comment s'est opérée la gestion des entreprises publiques camerounaises et quels sont les obstacles qui se sont imposés à celles-ci. Elles relèvent pour la plupart de l' « inertie » des organes de gestion à l'instar du conseil d'administration (section II). La réalisation de cette tâche sera cependant précédée par la mise en exergue des premiers pas (section I) de ce qui était encore jusqu'à une certaine date considéré comme l'espoir des camerounais.

24 Voir infra.

I- La constitution du secteur public camerounais

La présentation de la naissance des entreprises publiques au Cameroun exige que l'on en saisisse le contexte avant de s'attarder sur les différents actes qui en constituent l'ossature.

II-1 Le contexte de création des entreprises publiques

C'est le contexte d'un pays nouvellement indépendant, caractérisé par des élans d'ambitions politiques de la part de chaque faction ayant participé à la lutte pour l'obtention de la libération. Malheureusement, cette transition ne va pas s'opérer sans heurts pour le cas camerounais contrairement à d'autres pays nouvellement indépendants eux aussi à l'instar de la Côte-d'Ivoire ou encore le Sénégal. Cette instabilité sur le plan politique va entamer quelque peu les efforts menés sur le plan économique.

I-1-1 La situation politique

La course vers l'indépendance s'est opérée dans une atmosphère de lutte armée, l'on se souvient encore du célèbre maquis. L'accession du Cameroun à l'indépendance, le 1er janvier 1960 ne va pas mettre fin à cette lutte présente sur l'ensemble du territoire. L'histoire de la lutte politique nous apprend les difficultés rencontrées par le jeune pouvoir dont l'ex-président Ahmadou Ahidjo assurait la direction.

En effet, des factions armées refusaient de déposer leurs armes justifiant ce comportement par l'absence de représentativité de l'équipe au pouvoir. Pour eux, l'indépendance n'avait pas été accordée grâce au dialogue mais par la seule force des armes. Bénéficiant alors d'une réelle sympathie dans certaines grandes provinces du pays, les résistants vont mettre à mal l'autorité de l'Etat, les uns parleront même de son « illégitimité » (Tedga, 1990). Le gouvernement avait donc grand besoin de s'affirmer, ce qui peut expliquer les coûteux investissements pour assurer la sécurité du pays et l'éradication à la longue de la rébellion armée. La pression constante de certains groupes armés et la volonté des pouvoirs publics de les faire disparaître

avaient certainement pris le pas sur les questions de développement économique comme nous le verrons dans ce qui suit.

I-1-2 Les conséquences sur l'économie

L'incertitude, mieux l'instabilité du politique a inévitablement déteint sur l'économique. Hormis les entreprises rentrant dans le domaine public français et britannique, qui devaient, quelque temps après changer de nationalité (Electricité du Cameroun, Power Cameroon, Imprimerie Nationale, Régie des Chemins de Fer, Cameroon Development Corporation ...), très peu d'entreprises furent créées entre 1960 et 1969. Le tableau ci-dessous retrace un peu le rythme de création des entreprises publiques sur cette période.

Tableau II-1 Entreprises publiques créées entre 1960 et 1969 par secteur

Entreprise

Secteur d'activité

Année de création

Société Sucrière du

 
 

Cameroun (SOSUCAM)

Primaire

1964

Contreplaquées du

 
 

Cameroun

Primaire

1966

Société camarounaise des
palmeraies (SOCAPALM)

Primaire

1968

Crevettes du Cameroun

primaire

1968

Equatoriale électrique

Secondaire

1964

Société Nationale des Eaux du Cameroun (SNEC)

Secondaire

1967

Parc national de génie civil

Secondaire

1967

Banque camerounaise de
développement (BCD)

Tertiaire

1962

Société Nationale
d'Investissement (SNI)

tertiaire

1963

Source: L'auteur à partir des informations contenues dans Tedga P.J-M., (1990).

Au total, l'Etat n'avait pu créer qu'une dizaine d'entreprises publiques en dix ans d'indépendance. La situation était autrement pour les pays comme la Côte-d'Ivoire et le Sénégal ; les autorités n'y ont eu pour seul souci que le développement économique et social de leurs jeunes nations certainement favorisé par ce calme qui prévalait sur le plan politique.

Avant d'entamer le volet des actes qui ont vraiment contribué à créer le secteur public camerounais, il est une société qui mérite qu'on s'y attarde un peu, parce que constituant le symbole de l'Etat camerounais investisseur.

I-1-3 La Société Nationale d'Investissement (SNI)25

La SNI constitue un véritable holding26 pour l'Etat camerounais. En effet, quand on parle de l'Etat investisseur, c'est surtout au regard de la place prépondérante que la SNI occupe dans l'économie de notre pays. Ce rôle va être mis en valeur successivement en déclinant l'identité de cet outil et dans une autre mesure en présentant dans le détail les moyens dont elle dispose pour atteindre ses objectifs.

I-1-3-1 Les objectifs de la SNI

Mobilisation, fixation et orientation de l'épargne nationale en vue de favoriser, par des moyens appropriés, les opérations d'investissements d'intérêt économique et social, dans les domaines industriel, agricole et commercial, sont les maître-mots de l'objectif assigné à la SNI dès sa création en 1963. La volonté de l'Etat de faciliter l'émergence d'un secteur industriel national, non pas dans l'optique de la création d'un capitalisme étatique, mais pour suppléer temporairement à une insuffisance des investissements privés nationaux est la clé de voûte de l'existence de la SNI.

Ses actions concrètes au sein de l'économie camerounaise se dévoilent ainsi qu'il suit :

25 Cette partie a été réalisée grâce aux informations fournies en grande partie par la SNI elle-même.

26 Une société holding est par définition, une société dépourvue d'activité industrielle ou commerciale propre, détenant des participations dans d'autres sociétés en nombre important, pour pouvoir se réserver le droit d'exercer un contrôle politique sur elle.

- Elle participe à l'éclosion de la grande industrie, mais aussi et surtout de la petite. Depuis l 'échec de la stratégie des industries industrialisantes27, la SNI a recentré ses activités dans la création des PMI/PME. Néanmoins, certains secteurs lourds ne peuvent se passer des concours de l'Etat. Il revient de ce fait à la SNI d'investir et de gérer les intérêts de la nation quand une telle opportunité se présente.

- Elle intervient également aux cotés de l'Etat et assiste les entreprises. Elle participe, avec l'Etat, à l'élaboration de la politique industrielle mais elle est en même temps l'opérateur chargé de sa mise en place effective.

Si ces missions sont louables sur le plan du développement économique du Cameroun, il reste cependant que l'on peut s'interroger sur les moyens dont dispose la SNI pour parvenir à concrétiser ses ambitions.

I-1-3-2 Les moyens de la SNI sur le plan économique et financier

Sur le plan financier donc, le capital de la SNI est fort révélateur de son importance. En effet, le capital social de la SNI s'élève à 7 milliards de F CFA, un chiffre supérieur à celui de la défunte banque camerounaise de développement, institution de financement rivale.

Ses ressources sont composées de ses réserves mais aussi et surtout de bons d'équipement. Il s'agit d'une sorte d'emprunt forcé auquel toutes les institutions financières sont obligées de souscrire périodiquement pour financer des investissements dans l'industrie et l'agro-alimentaire. La SNI rembourse avec un taux d'intérêt fixé par le gouvernement.

La SNI peut aussi s'endetter auprès des organismes internationaux de financement ou auprès des banques regroupées dans le cadre du financement d'une opération commune. Elle autofinance aussi certains projets.

Eu égard ces énormes moyens financiers, la SNI a connu une sorte de piétinement de son activité. Pour s'en convaincre, observons que l'importance de son porte-feuille est allée décroissant sur la période 1983-1988. En effet, au 30 juin 1983 la SNI totalisait 77 sociétés dans son porte-feuille contre 59 seulement au 30 juin 1988. Cette situation

27 C'est l'idéologie qui veut que le développement économique passe par la constitution de grosses entreprises industrielles.

étant contradictoire à la conjoncture de l'heure, laquelle faisait état de finances intérieures et extérieures excédentaires grâce aux recettes pétrolières. Au fil des ans, la situation ne s'est guère améliorée, on passe ainsi de 59 entreprises constituant le portefeuille de la SNI au 30 juin 1988 à 39 entreprises au 30 juin 2001.

I-1-3-3 Les moyens de la SNI sur le plan politique

Sur le plan politique, l'influence de la SNI s'explique par le fait que la SNI remplacerait un ministère des entreprises publiques que l'Etat n'a pas voulu créer pour des raisons de souplesse et un légitime souci d'éviter la bureaucratie (Tedga, 1990). De par la liberté des mouvements qui est la sienne, la SNI ne s'apparente à aucune autre société d'Etat de la place. Par exemple, la SNI peut initier, financer - y associer des investisseurs privés (nationaux ou étrangers) - des projets qu'elle a identifiés et jugés financièrement viables. Le MINDIC peut aussi en faire autant, à condition cependant de négocier le volet financement avec le ministère des finances, les banques ou la SNI, ce qui est de nature à limiter sa marge de manoeuvre.

L'importance de la SNI, sur le plan politique, découle aussi des enjeux de la politique industrielle du pays. « Le gouvernement étant incapable de créer de nouveaux emplois, » il revient à la SNI de le relayer dans cette mission en multipliant les sociétés d'économie mixte. Cette situation favorise l'étroitesse des liens entre cette société et la présidence de la république et accroît par la même occasion son poids dans la politique de nation.

Tableau II-2 Liste des entreprises à participation SNI en 2001

Raison sociale

Capital social*

Pourcentage SNI

1- SCT

1750

66.67

2- CICAM

1500

30,00

3- CIMENCAM

5600

63,07

4- SOSUCAM

2500

7,83

5- SOCATRAL

750

25,02

6- SHNC

2414

57,55

 

7- SGHC

962,72

89,50

8- SOCAVER

1100

35,00

 

9-SATC

100

25,00

10- SCS

2074,895

20,16

11- SABC

11.083,630

15,82

12- SONEL

30.000

ND

13- CPE

40

63,00

14- SODEPA

375

33,33

15- CAMSHIP

3010

30,26

16- ECAM PLACAGES

950

35,00

17- SOHLI

1000

88,98

18- SAFACAM

1820

35,44

19- CAMELCAB

600

40,00

20- SONARA

17. 800

17,00

21- ALUBASSA

185,42

17,26

22- SEMC

859,680

37,50

23- SCDP

3500

11,00

24- ALUCAM

17.388

6,94

25- SIC CACAO

1147,5

15,03

26- SHE

400

23,80

27- SCDM

1474,8

86,89

28- CHC

10.000

14,87

29- CAC

4850

4,12

30- TANICAM

500

10,00

31- SCAN

900

49,00

32- MAISCAM

3250,006

15,00

33- MILKY WAY

1065

34,00

34- BLC

5

9,86

35- CELF

10

10,00

36- CACOCOM

600

25,00

37- HUA LONG

480

10,00

 

38- SINOCAM

108

24,98

Source: Construction de l'auteur à partir des états financiers de la SNI au 30 juin 2001. * lire en millions de F CFA.

I-2 Les actes constitutifs du secteur public camerounais

Outre la construction des entreprises publiques, la constitution du secteur public camerounais s'est faite au moyen de nombreux textes juridiques. En effet, il est admis avec Tedga (1990) que, à une certaine période les entreprises publiques se sont trouvées en difficulté du fait de l'incertitude juridique les caractérisant. Le gouvernement s'est donc attelé à préciser le cadre juridique de nos entreprises publiques. Nous voulons ici en retracer les principaux axes notamment en revenant sur les actes juridiques majeurs de la vie des entreprises publiques camerounaises. L'accent sera mis sur la loi n° 99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic. Cependant, avant d'y arriver nous présenterons d'abord la loi du 11 juin 1968 ainsi que le décret de juin 1986 qui constituent les prémisses de l'action juridique en faveur des entreprises public au Cameroun.

I-2-1 La loi n° 68-LF-9 du 11 juin 1968

C'est une loi qui promeut les sociétés de développement. Comme leur nom l'indique, cette variété d'entreprise constitue un support de développement du pays en contribuant au développement de la région dans laquelle elle est implantée. Il est important cependant de savoir pourquoi cette démarcation quand on sait que les entreprises créées par un Etat sous-développé ne peuvent que l'être dans le but de favoriser le développement. Il convient pour ce faire de recentrer les idées notamment par rapport à la place qu'occupe l'agriculture dans notre économie. Ce n'est qu'après cela que pourra se faire l'analyse da la loi en question.

I-2-1-1 La place du secteur agricole dans l'économie camerounaise

On peut appréhender l'importance du secteur agricole dans l'économie camerounaise au travers de la position qu'occupe le monde rural dans la population totale, du moins pour ce qui est de la période se rapprochant de l'adoption de la loi que nous étudions. La population rurale est en effet estimée, en 1984 à 6.67 1.000 habitants par rapport à 11 millions de camerounais vivant sur le triangle national, soit un taux d'urbanisation de 34%. C'est donc la principale raison pour laquelle, des investissements relevant du sixième plan quinquennal (juillet 1986-juin1991) est consacrée au secteur agricole une importance relative substantielle par rapport aux autres secteurs (26,1%). En effet, l'Etat à travers ce plan a pour ambition de faire du Cameroun « le grenier de l'Afrique centrale >>. Cette ambition est cependant jugulée par d'une part la non mécanisation de notre agriculture, mais d'autre part aussi par les difficultés liées aux pratiques économiques malsaines développées par la concurrence déloyale imposée par les grosses structures étrangères. C'est cette concurrence qui va entraîner la fermeture de l'huilerie-raffinerie camerounaise (HURACA) en 1983. C'est pour remédier à cette situation, et conscient du rôle du secteur agricole que le gouvernement a fait voter la loi du 11 juin 1968 régissant les sociétés de développement.

I-2-1-2 Les sociétés de développement

C'est d'abord un instrument de la politique gouvernementale. Ces sociétés sont la résultante de la confrontation de deux écoles de pensée ; la première préconisant la préférence de l'Etat pour les complexes agro-industriels tandis que la seconde est une plaidoirie en faveur de la « villagisation. >> C'est cette deuxième école qui va influencer la création des sociétés de développement à qui l'Etat avait assigné, en plus des critères de croissance, de productivité et de rentabilité, celui de la garantie de l'intérêt social. Pour y parvenir, l'Etat innove en créant un commissariat pour le contrôle de ces sociétés. La difficulté de l'exercice de cette fonction et l'impossible conciliation des objectifs financiers à celui de l'intérêt social ont conduit la plupart de ces entités à la faillite.

Tableau II-3 Les sociétés de développement

Raison sociale

Date de création

Capital*

SOCAPALM

23 nov. 1968

9450

SEMRY

1971

4550

ZAPI-EST(dissoute en janvier 1990)

1967

600

SODECAO

2 fev. 1974

425

SODECOTON

10 mai 1974

4529,4

CAMSUCO

mars 1975

1286,4

HEVECAM

30 avril 1975

16.518

CDC

28 sept. 1973

12.243

 

(créée depuis 1947 mais transformée en société de développement à la date indiquée dans le tableau)

 

SODEPA

8 mars 1974

375

UNVDA

29 oct.1970

895

MIDEBOM (dissoute en 1989)

29 nov.1975

ND

MIDEVIV

26 sept.1973

ND

Source: Construction de l'auteur à partir des archives du MINDIC. * Lire en millions de F CFA.

I-2-2 La loi n° 99/016 du 22 décembre 1999

Elle fait suite à l'ordonnance n° 95/003 du 17 août 1995. Cette loi vient en effet combler les manquements juridiques au niveau des organes de gestion. Deux points meubleront notre argumentation. Le premier est relatif à la clarification du point de vue juridique quant au secteur public et parapublic, le second sera consacré à la définition des principes devant caractériser le suivi de la gestion et des performances des entreprises publiques, leur contrôle et ainsi que la gestion du personnel.

I-2-2-1 Clarification juridique

Le secteur public et parapublic est essentiellement constitué d'établissements publics administratifs (EPA), de sociétés à capital public (SCP) et de sociétés d'économie mixte (SEM).

Un établissement public administratif est une personne morale de droit public, dotée de l'autonomie financière28 et de la personnalité juridique ayant reçu de l'Etat ou d'une collectivité territoriale décentralisée un patrimoine d'affectation, en vue de réaliser une mission d'intérêt général ou d'assurer une obligation de service public.

Une société à capital public désigne une personne morale de droit privé, dotée de l'autonomie financière et d'un capital-actions intégralement détenu par l'Etat, une ou plusieurs collectivités territoriales décentralisées29 ou une ou plusieurs autres SCP, en vue de l'exécution dans l'intérêt général, d'activités présentant un caractère industriel et commercial. Il en est de même des SEM à la seule différence que le capital-actions est détenu partiellement par l 'Etat ou par ses différentes représentations.

Les SCP et SEM constituent les deux modalités des entreprises publiques, elles sont créées et exercent leurs activités selon les principes régissant les sociétés anonymes. L'ensemble EPA, SCP et SEM est sous la tutelle de l'Etat. La tutelle désignant la pouvoir dont dispose l'Etat pour définir et orienter la politique du gouvernement dans le secteur où évolue l'EPA ou la société publique. On distingue la tutelle technique et la tutelle financière. La dernière a pour objet d'apprécier les opérations de gestion à incidence financière des EPA, et d'examiner à posteriori les comptes des autres catégories d'entreprises du secteur public et parapublic. Elle est exercée par le Ministère chargé des finances pour les EPA, les SCP ayant l'Etat comme unique actionnaire et les SEM où l'Etat détient au moins 25% du capital. La tutelle technique elle a pour objet de fixer les objectifs assignés à l'ensemble des entreprises du secteur considéré et, en tant que de besoin, d'en assurer la régulation, en vue d'un fonctionnement normal.

Les actions ainsi détenues dans les SCP et les SEM appartenant à l'Etat sont confiées au ministère chargé des finances. Qu'en est-il cependant de leur suivi ?

28 Capacité pour une personne morale d'administrer et de gérer librement les biens ou immeubles, corporels ou incorporels ou en numéraire constituant son patrimoine propre, en vue de réaliser son projet social.

29 Région, commune ou tout autre type de collectivité territoriale décentralisée créée par la loi.

I-2-2-2 Suivi de la gestion, des performances, du contrôle et du personnel L'Etat et ses différentes représentations assurent et interviennent dans la gestion des entreprises de leur porte-feuille. Ces dernières doivent adresser au MINFIB (c'est lui qui assure la gestion des performances) tous les documents et informations relatifs à la vie de l'entreprise qui doivent être tenus, en vertu du droit commun, à la disposition des actionnaires ou des administrateurs. Il s'agit notamment des rapports d'activité, des rapports des contrôleurs financiers et des agents comptables, des rapports des commissaires aux comptes, ainsi que des états financiers annuels et des comptes certifiés. Elles sont aussi tenues de publier au moins une fois par an, une note d'information présentant l'état de leurs actifs et de leurs dettes, et résumant leurs comptes dans un journal d'annonce légale et dans un organe de presse nationale. Le contrôle lui est assuré par un contrôleur financier pour ce qui est des EPA, et par un ou plusieurs commissaires aux comptes lorsqu'il s'agit des SCP et SEM. Dans l'un ou l'autre cas, ces agents sont désignés par acte du ministre des finances.

Les commissaires aux comptes ont mandat, à l'exclusion de toute immixtion dans la gestion de l'entreprise de réviser les comptes, d'en vérifier les valeurs, afin de certifier la régularité et la sincérité des états financiers ainsi que des informations contenues dans les rapports des organes statutaires. Ils sont ainsi chargés d'adresser à l'assemblée générale des actionnaires et au ministre des finances au moins une fois par an, un rapport général sur les comptes et un rapport spécial sur la conformité des actes de gestion.

Sur le plan de la gestion du personnel, elle relève de la législation du travail, sous réserve des dispositions des dispositions du statut général de la fonction publique relatives à la retraite et à l'avancement.

Voilà comment s'est constitué le secteur public camerounais. Cependant, les actes juridiques n'en ont pas garanti la saine émulation notamment sur le plan de la gestion. Nous allons dans ce qui suit mettre en exergue les manquements relatifs à la gestion des entreprises publiques camerounaises ainsi que les différentes solutions qui ont proposées pour y faire face.

II- Les défauts de gestion : l'inertie du conseil d'administration

La gestion des entreprises publiques au Cameroun a posé et pose encore de nombreux problèmes à l'Etat camerounais. Même avec la création de la mission de réhabilitation, on semble jusqu'ici n'avoir pas trouvé le juste moyen d'assainir leur gestion. Dans ce paragraphe, nous revenons sur les déficits de gestion notamment sur ceux liés au fonctionnement du conseil d'administration. Cependant, ces déficits prennent leurs sources dans la forte dépendance du système de gestion des entreprises publiques à l'égard de l'Etat et au système bureaucratique qui s'est développé dans les administrations publiques camerounaises.

II-1 Les sources de l'inertie du conseil d'administration

Les difficultés de gestion des entreprises publiques camerounaises sont si persistantes que certains analystes n'hésitent pas à affirmer qu'elles figurent en bonne place dans la liste des causes de leur échec. Parmi les maux qui minent la gestion des entreprises publiques, on peut citer le développement du système bureaucratique dans les entreprises publiques camerounaises, la forte dépendance à l'égard de l'Etat. Tout ceci contribue à paralyser le conseil d'administration.

II-1-1 La bureaucratie

C'est un héritage de la colonisation. Pour en comprendre la pratique, il convient de revenir sur ses fondements théoriques.

II-1-1-1 Le modèle de Max Weber

Pour Weber, la bureaucratie constituerait une organisation parfaitement efficiente, voire idéale. Elle repose sur un certain nombre de faits qui en assureraient à la fois l'efficacité et la neutralité.

- La stricte division du travail : chaque personne se voit affecter une tache précise, ne donnant lieu à aucune interprétation et répétitive.

- La définition des liens hiérarchiques : on peut identifier avec précision qui donne les ordres et qui doit en assumer la responsabilité.

- La stricte formalisation : toutes les actions suivent des règles prédéterminées à l'avance et toutes les exceptions possibles sont conçues avec les règles.

- La neutralité : les règles s'appliquent indifféremment de la nature des personnes concernées.

- Le principe du mérite : les promotions des fonctionnaires obéissent aux seules règles de compétences et de qualité des services rendus.

Dans un tel système, les objectifs sont clairs, les chaînes de commandes précises et ses compétences pour accomplir les actes aux différents niveaux assurées. Pour Weber, c'est d'ailleurs un système supérieur à tout autre du point de vue de sa précision, de sa stabilité, de son respect de la discipline et de la confiance qu'on lui prête.

II-1-1-2 La pratique camerounaise du système bureaucratique

Elle se matérialise par les éléments ci-après :

- Une forte hiérarchisation : à l'exemple des colonisateurs, les dirigeants des entreprises publiques exercent une forte autorité sur leurs subordonnés, limitant la collaboration qui doit régner entre les deux parties. Ceci est de nature à réduire le degré de réactivité de l'organisation publique alourdissant de ce fait le processus de décision. En effet, le strict respect des procédures entraîne la naissance de comportements tatillons, irréalistes ; comportements qui sont de nature à paralyser le système.

- L 'incongruence du système : il s'agit de l'écart entre les règles régissant le fonctionnement de l'entreprise publique et les applications qui en son faites. Les objectifs généraux énoncés dans les discours officiels restent théoriques parce que non traduits en objectifs spécifiques, opérationnels, quantifiables et vérifiables et aussi parce que non supportés par des plans d'action cohérents, explicites et concertés, et une répartition judicieuse des responsabilités et des ressources.

- Le service public au service de l 'autorité publique : dans les organisations publiques camerounaises, les employés ne privilégient pas toujours les usagers. Et pourtant, c'est grâce aux prélèvements obligatoires que versent les usagers qu'on paie l'employé. Contrairement aux pays développés, l'action des organisations est déterminée non pas par l'opinion publique au profit de cette dernière, mais par

l'autorité. La conséquence immédiate est l'inadaptation des politiques des organisations publiques aux besoins des populations.

Les dysfonctionnements résultant de cette pratique sont nombreux. La déviation des objectifs, la mauvaise application et l'incohérence des règles, la concentration excessive du pouvoir et enfin l'aliénation croissante des fonctionnaires et agents publics.

La déviation des objectifs prend des formes variées : emprise des règles sur les résultats, substitution d'intérêts privés aux intérêts généraux, maintien d'objectifs spécifiques dépassés en lieu et place des objectifs qui s'imposent, alignement sur les minima alors qu'on pourrait produire plus.

Les règles sont fixées à un moment donné et considérées comme intangibles. Or l'environnement change de telle sorte que ces règles deviennent totalement inadaptées face à l'évolution des situations, faute de laisser une certaine marge d'autonomie aux fonctionnaires. Plus grave encore, les administrations tentent de se prévenir contre ce risque d'inadaptation en multipliant les hypothèses et les cas d'espèces, ce qui conduit à obscurcir le fonctionnement de l'administration sans le rendre plus efficace pour autant.

Si la concentration des responsabilités et des choix au haut de l'échelle présente l'intérêt de bien identifier les responsabilités, cela conduit aussi à laisser à quelques membres de l'administration un pilotage d'ensemble mais aveugle. Les situations concrètes ne peuvent jamais remonter au niveau des choix généraux pour permettre d'y dégager des solutions claires, et les ressources existantes dans l'entreprise ne sont pas mobilisées pour le plus grand intérêt de l'organisation.

A la longue, les travailleurs de l'organisation publique voient dans son impersonnalité une réalité de plus en plus extérieure, ils s'y sentent étrangers et en tout état de cause peu concernés par ses résultats.

II-1-2 Un système de gestion dépendant, et des effectifs pléthoriques

Bien que la plupart des entreprises publiques camerounaises jouissent d'une autonomie financière, elles demeurent cependant, du point de vue de leur gestion contraintes. Cet assujettissement à l'Etat est d'ailleurs responsable de tous les autres maux affectant le

système de gestion des entreprises publiques au Cameroun. En particulier, elles se sont révélées comme de grandes consommatrices de fonds en faisant des subventions une règle. Or celles-ci ont joué un rôle négatif, car elles ont permis de masquer leur autonomie. De plus, les choix de gestion ont très peu de lien avec le souci d'efficacité. On peut citer à titre d'exemple la désignation des directeurs généraux ou de responsables de divisions parmi les hauts fonctionnaires de l'administration centrale, ou encore parmi une race d'hommes dont les décisions engagent l'entreprise et se situe au prolongement de la politique parfois incohérente de l'Etat. Ces constats prolongent les observations de Gilguy (1992) qui invoque des interférences excessives de l'Etat dans la gestion et la politisation des entreprises publiques.

A cet effet, la plupart des orientations prises n'intègrent pas explicitement la contrainte de résultat, dans la mesure où se dégage souvent l'entretien des objectifs conflictuels ou incohérents. Causse G. (1988) incrimine ainsi la fixation et la gestion des objectifs en présentant les difficultés des entreprises publiques dans les pays en voie de développement.

La pléthore des effectifs, caractéristique de la politique sociale des pouvoirs publics dont une des ambitions est de lutter contre le chômage, mais entretenue dans les entreprises publiques, constitue un élément probant. C'est dans ce sillage qu'un rapport de la Banque Mondiale publié en 1984 explique que les causes les plus importantes des difficultés auxquelles les entreprises publiques sont confrontées sont à situer dans les effectifs pléthoriques et non qualifiés.

II-1-3 Les carences du conseil d'administration

Les conseils d'administration dont les membres doivent prendre sur eux la responsabilité de leurs décisions non seulement sur le plan pénal mais aussi sur le plan civil, ne se réunissent que très peu, où l'occasion leur est donnée d'approuver les comptes et « donner quitus à la direction générale pour sa bonne gestion. » Joël Malkin (1988) souligne la nécessité de responsabiliser les CA ; à cet effet, il préconise qu'ils puissent nommer ou proposer le Directeur Général (DG) dont l'action est susceptible de mettre en cause leur responsabilité. Dans ce qui suit, nous allons rentrer dans les

causes profondes des manquements observés dans les conseils d'administration des entreprises publiques camerounaises.

II-1-3-1 Les mandats des conseils ne sont pas clairement définis

Le mandat d'un conseil peut inclure, selon des combinaisons diverses, la définition de la politique de l'entreprise, l'approbation des stratégies les mettant en oeuvre, l'évaluation des performances, la surveillance de la direction, le contrôle de l'exploitation, ou la ratification de décisions prises ailleurs. Se situant entre le gouvernement central et la direction exécutive de l'entreprise, les conseils d'administration sont également susceptibles de jouer un rôle tampon protégeant la direction de l'entreprise d'une ingérence excessive du gouvernement, ou un rôle de liaison assurant une interprétation correcte de la politique nationale.

Non seulement les études se sont accordées sur l'idée que le rôle du conseil est de veiller à ce que l'entreprise soit bien gérée et non à la gérer lui-même, mais elles ont mis en outre en lumière différentes interprétations de ses fonctions. Les directeurs exécutifs, les membres des conseils et les représentants du gouvernement ont chacun des objectifs différents et des perceptions différentes des priorités et des domaines de juridiction. En l'absence de mandats clairement définis, l'attribution des rôles et des responsabilités entre le gouvernement, le conseil et la direction de l'entreprise est mal comprise ou mal interprétée.

II-1-3-2 La compétence du conseil n'est pas optimale

L compétence d'un conseil d'administration est influencée par plusieurs facteurs, dont les plus importants sont : l'existence de directives claires concernant la composition souhaitable du conseil, le recours à des procédures appropriées en vue de la sélection et de la nomination des membres, les compétences des membres choisis, et la qualité de leur formation et de leur intégration.

A- Composition du conseil

En règle générale, les conseils d'administration camerounais sont composés de fonctionnaires, d'autres commis de l'Etat, parmi lesquels les directeurs d'autres

entreprises publiques, de représentants du monde des affaires, et, à l'occasion d'hommes politiques. Le niveau d'éducation des membres est le plus souvent élevé, un nombre significatif d'entre eux ayant fait des études supérieures. Le dépouillement des fiches techniques des conseils d'administration objets de notre étude ont mis en évidence une tendance à la nomination de fonctionnaires et une sous-représentation de personnes ayant acquis une expérience dans le secteur privé. Dans certains cas, particulièrement en ce qui concerne les hommes politiques et les fonctionnaires, ils sont nommés d'office membres d'un conseil d'administration.

B- Nomination au sein des conseils

La sélection et la nomination sont habituellement de la responsabilité du ministère de tutelle, le gouvernement approuvant, éventuellement les nominations. Dans ce cas de figure, il se peut que les considérations politiques l'emportent sur les besoins de l'entreprise pour influencer les nominations à un conseil. Selon les études, l'opinion selon laquelle la plupart des nominations répondent à des motivations politiques est largement répandue (Land A. et Corkery J., 1995). Il existe néanmoins des efforts visant à « dépolitiser » les nominations en recourant à des groupes d'experts et des banques de données recensant les membres potentiels. L'expérience suggère toute fois que là où ces instruments existent, ils ne sont pas généralement utilisés.

Le pouvoir des ministres pour renvoyer les membres du conseil ou même des conseils entiers renforce l'influence du gouvernement central sur l'entreprise. Il entraîne le risque de compromettre l'objectivité des décisions du conseil en matière stratégique. Ce risque est accru lorsqu'il n'existe pas d'accord définissant clairement ce qui constitue une influence acceptable exercée par le centre politique et administratif sur les opérations du conseil et sa direction.

Il n'est pas suffisant d'amener les personnes adéquates à siéger à un conseil. Le potentiel des membres n'est souvent pas totalement exploité parce qu'ils ne sont pas correctement mis au fait du conseil et de l'entreprise qu'ils doivent servir, des fonctions spécifiques qu'ils ont à remplir, et des questions de direction, incluant la responsabilité individuelle et collective et la transparence. Comme on peut s'y attendre, là où les mandats ne sont pas clairement expliqués, ce manque de formation

accroît le risque d'une interprétation erronée ou d'une mauvaise utilisation de ces postes.

L'absence d'intégration est particulièrement grave pour les hommes politiques et les fonctionnaires lorsque de possibles conflits d'intérêts avec leur fonction première peuvent survenir. Des membres mal préparés et mal informés peuvent sérieusement affecter l'aptitude du conseil à fonctionner et générer des tensions utiles entre le conseil, les organes concernés du gouvernement et la direction de l'entreprise.

A la lumière de ces diagnostics quasi-unanimes, des thérapeutiques ont été préconisées afin de redynamiser le secteur des entreprises publiques camerounaises dont on ne doute plus de leur capacité à servir de levier pour le développement économique et social. La libération constitue à notre sens celle qui résume toutes les autres.

II-2 La libération

Le concept de libération consiste pour l'Etat à libérer les choix de gestion à court, moyen et long terme des entreprises publiques afin de les rendre plus dynamiques et soucieuses de leurs performances (Bekolo C., 1995). La libération intervient de ce fait au niveau du système de gestion et non sur la paternité des capitaux ou encore leur destination, raison pour laquelle elle ne saurait s'apparenter à la privatisation ; la libération encourage plutôt le maintien des entreprises publiques dans le porte-feuille de l'Etat.

II-2-1 La libération du joug de l'Etat

Elle nécessite des contraintes, concerne des facteurs précis et conduit à l'élaboration d'une matrice de libération dont l'intérêt est qu'elle permet de construire une taxinomie des entreprises publiques notamment par rapport à leur position sur ladite matrice.

II-2-1-1 Les contraintes fondamentales de la libération

Trois conditions sont indispensables pour opérer le pas vers la libération du système de gestion des entreprises publiques camerounaises.

La première concerne l'autonomie de gestion, qui doit accompagner l'autonomie financière déjà présente, du moins sur le plan juridique. Elle suppose une interaction plus faible entre l'Etat et les unités concernées, des choix cohérents, et une affectation judicieuse des responsabilités, de sorte que la liberté acquise deviendra un atout significatif dans la recherche d'efficacité et de performance, et que les faiblesses de l'Etat ne seront plus un handicap insurmontable.

La deuxième contrainte s'articule autour de l'impérieuse orientation de l'entreprise publique vers les performances. Celles-ci nécessitent la définition d'un objectif global clair avec des sous-objectifs non conflictuels. La rentabilité des capitaux investis qui a toujours été la finalité de la plupart des choix industriels doit en être le fondement.

La dernière contrainte de la libération découle des deux précédentes et s'apparente à une gestion appelée à s 'identifier à celle des entreprises du secteur privé, ce qui exige non seulement un degré de spécialisation et d'expertise suffisamment élevé, mais aussi un esprit intégratif afin de tenir compte de la vision systémique où les hommes, les équipements, les divisions, les fonctions, les décisions, etc., devront être en harmonie entre eux, en accord avec l'environnement externe et les objectifs poursuivis.

II-2-1-2 Les facteurs fondamentaux de la libération

Ces facteurs sont fondés sur la notion de dépendance ; il s'agit de la mission de l'entreprise publique et de l'attractivité de son domaine d'activité.

A- La mission dominante de l'entreprise publique

Les missions de l'entreprise publique sont généralement orientées sur trois axes : on a des missions à dominante économique si la finalité est le profit, des missions à dominante sociale quand la satisfaction de la population est la contrainte de base, et enfin des missions à caractère socio-économique quand l'objectif social se superpose à l'objectif de rentabilité.

B- L'attractivité du domaine

Le degré d'intervention de l'Etat dans un secteur est fonction de l'attractivité de ce dernier. Les critères d'appréciation de l'attractivité d'un secteur sont multiples. On

pourrait citer la capacité d'un secteur à générer des ressources, la volonté de contrôler un secteur clé de l'économie, la rentabilité potentielle, etc. Il faut juste retenir que le critère d'appréciation peut dépendre aussi de l'état de la conjoncture tant sur le plan économique que politique. Afin d'opérer une bonne appréciation de l'attractivité, il importe d'effectuer une segmentation adéquate des activités ou du domaine d'intervention.

II-2-1-3 La matrice de libération

Elle est obtenue en croisant les variables mission et degré d'attractivité du domaine d'intervention de l'Etat.

Tableau II-4 La matrice de libération des entreprises publiques

Attractivité du domaine d'intervention de l'Etat

Elevé Moyenne Faible

Faible

Degré

d'inter-

vention

de l'Etat

Economique

Sélection et

Libération

libération

1

Libération 2

Sélection
5

dégagement de

Sélection et

Dégagement

de l'Etat

3

Economique et politico-

social

4

l'Etat

6

Auxiliaire de l'Etat,

Récolte, renforcement

Désinvestissement

Politico-social

soutien à la politi-

désinvestissement

9

Fort

que sociale

8

7

Forte Importance des ressources ou des satisfactions apportées Faible

Source: Bekolo C., (1995), p.35

Cette matrice montre que plus la mission dominante est à connotation économique, plus faible devrait être le degré d'ingérence de l'Etat, et plus forte l'autonomie. Le degré d'attractivité du domaine d'intervention quant à lui, évolue dans le même sens

que l'importance des ressources générées, la rentabilité potentielle, les satisfactions sociales, etc.

II-2-1 -4 Classification des entreprises publiques et choix de gestion appropriés

Trois grandes catégories d'entreprises découlent de la matrice précédente.

- Les entreprises publiques à gestion relevant du privé : il s'agit des structures dans lesquelles la libération devrait intervenir, c' est-à-dire celles qui sont à mission et objectif économique pur ou dominant, et d'attractivité intéressante. Ces entreprises doivent impérativement se tourner vers une gestion identique à celle du secteur privé.

- Les entreprises publiques à gestion publique : elles sont de vocation sociopolitique et exercent dans des domaines d'attractivité relativement importants. Les entreprises de cette catégorie verront l'Etat continuer à présider à leurs destinées dans la mesure où elles servent en quelque sorte d'auxiliaire ou de soutien à la politique poursuivie par les autorités publiques.

- Les entreprises publiques intermédiaires ou du désinvestissement et du dégagement : ce sont des entreprises exerçant dans un domaine peu attractif mais dont la mission est économique. La privatisation et la fermeture constituent les deux options de gestion.

II-2-2 La libération des effectifs

Elle est actuellement menée par le projet de «Déconcentration de la gestion des personnels de l'Etat. » C'est l'un des principaux projets du Programme National de Gouvernance (PNG) approuvé par l'Etat. Ce projet figure dans le document cadre de la facilité d'Ajustement Structurel Renforcé (ASR) pour la période 1999/2000 à 2000/2002. Le projet vise à mettre un terme aux nombreux dysfonctionnements révélés par l'étude diagnostique qui a précédé l'élaboration du PNG, dysfonctionnements mis à nu par les résultats du recensement REGAINS. En un mot, le projet vise une plus grande maîtrise de la gestion des personnels et de la solde par l'élimination de ces dysfonctionnements.

L'instrument de ce projet est le SIGIPES. C'est un support informatique mettant en réseau le MINFOPRA et le MINFIB d'une part, et d'autre part, reliant tous les autres ministères au MINFOPRA et au MINFIB. Le socle informatique constitué par SIGIPES doit permettre de recueillir, au cours des opérations de GRH exécutées dans les divers ministères, des données qui seront stockées et transformées en informations, ces dernières étant à leur tour distribuées et utilisées par les responsables de la GRH des ministères utilisateurs, le MINFIB et le MINFOPRA.

Les résultats escomptés concernent entre autres la réduction de la pauvreté par la limitation des déplacements et la suppression des démarches de suivi des dossiers, l'accroissement des performances des agents publics et l'amélioration de la qualité du service au public.

La mise en oeuvre est rentrée dans sa phase expérimentale dans quatre ministères pilotes : MINFIB, MINFOPRA, MINEDUC, et MINSANTE. Ces ministères regroupent 43% des effectifs de la fonction publique d'où la pertinence du choix. Après cette phase expérimentale devant s'achever en principe le 30 mars 2002, l'extension dans les autres ministères se fera après évaluation des résultats obtenus, sur décision du chef du gouvernement.

Les entreprises publiques camerounaises sont le fruit d'un long et pénible parcours. En effet, quelques dix ans après l'obtention de l'indépendance, on dénombre très peu d'entreprises publiques créées, celles qui existent à cette époque résultent pour la plupart des nationalisations des entreprises publiques autrefois sous le contrôle des colonisateurs. L'Etat, conscient de ce que l'initiative privée est encore balbutiante, va s'engager à créer des entreprises publiques ; au départ cette création se fait sans préalables mais au fil du temps le gouvernement va les doter d'un socle juridique c'est qui a justifié la présentation des actes juridiques visant à réglementer le secteur public et parapublic. Nous avons par la suite présenté comment s'est opérée la gestion de ces entreprises, on aboutit à la conclusion que cette dernière était émaillée de nombreuses lacunes qui ont favorisé le déclin des entreprises publiques. L'inertie du conseil d'administration, organe chargé de définir la stratégie de l'entreprise et de veiller à sa mise en place a été principalement mis en cause. Les mandats de ses administrateurs

ne sont pas clairement définis, les compétences sont insuffisantes sans oublier que le procédé de nomination des administrateurs est trop politisé sont les principaux éléments de l'inertie des conseils qui ont été mis en exergue dans ce chapitre. La libération du système de gestion en général et des organes de gestion en particulier s'impose. C'est ce qui nous amène, dans ce qui suit à analyser l'importance du conseil d'administration dans l'amélioration de la gestion des entreprises publiques camerounaises.

CONCLUSION PARTIELLE

Nous avons, dans cette première partie, essayer de dégager une vue d'ensemble de la gestion des entreprises publiques camerounaises. Il en ressort que, les entreprises publiques camerounaises sont décadentes à cause des nombreuses failles émanant de leur système de gestion. Avant d'y revenir, rappelons ce qui a constitué la base théorique de cette analyse en l'occurrence le chapitre premier.

Le but principal visé par ce chapitre était d'apporter des éléments de réponse, à tout le moins sur le plan théorique, aux différentes interrogations qui naissent lorsqu'on aborde le secteur on ne peut plus sensible des entreprises publiques. C'est quoi une entreprise publique ? Quelle est sa raison d'être ? En quoi cette dernière se distingue de l'entreprise privée, forme quasi-dominante de l'organisation de l'activité économique ?

A ces questions, nous avons trouvé d'innombrables éléments de réponse. Pour ce qui est du premier questionnement, nous sommes arrivés à la conclusion que définir l'entreprise publique relevait d'une tâche complexe et que en plus de cela elle ne faisait pas l'unanimité. On est parti ainsi d'une approche par définition de critères afin de déterminer les caractéristiques de l'entreprise publique à une approche beaucoup plus directe ; c'est de cette dernière que découle la définition qui a fait l'objet de critère de sélection des entreprises de notre échantillon. Nous la devons à Darbelet et Laugine (1984) et elle stipule que l' entreprise publique est une entreprise dans laquelle tout ou partie du capital et du pouvoir de décision appartient à une collectivité publique, c'est-à-dire l'Etat, une région, un département ou une commune.

Relativement à sa légitimité, nous avons exploré le débat sur l'interventionnisme étatique et la notion de service public. Pour le premier aspect, il est indispensable que l'Etat, au moyen de l'entreprise publique vienne pallier aux défaillances du marché, même si d'aucuns - les libéraux notamment - pensent que cela doit se faire dans le strict minimum possible. L'entreprise publique doit exister parce qu'elle assure une mission de service public, c'est le point de vue mentionné par le second aspect de la légitimité des entreprises publiques.

La différence entre entreprise publique et entreprise privée va donc se faire à ce stade et aussi au niveau du système de gestion.

Quand on analyse donc le secteur public camerounais, on constate que celui-ci a eu du mal à se faire une place, non pas que le secteur privé lui faisait concurrence - il était pratiquement inexistant - mais parce que le contexte politique n'était pas favorable à son épanouissement. Ce n'est donc qu'après l'accalmie que le secteur public s'est mis en place, à travers un arsenal juridique, et atteignant ainsi une forte ampleur soit un total de 170 entreprises pour l'année 1988.

Cependant, avec le début de la crise, elles ont commencé à perdre de leur aura et la principale cause évoquée est la mauvaise gestion mise en avant ici par l'inertie des organes de gestion, notamment le conseil d'administration.

Le conseil d'administration n'a pas un mandat clairement défini, les compétences sont insuffisantes, sa composition trop politisée, la nomination des administrateurs et leur intégration et formation se faisant au détriment de son bon fonctionnement. Il convient donc, à partir de ce regard panoramique, de confirmer l'implication du conseil d'administration dans la mauvaise conduite des entreprises publiques camerounaises à travers l'analyse de l'impact de ses dysfonctionnements sur leurs performances.

Deuxieme partie : la nécessité d'ajustement de la gestion des entreprises publiques camerounaises : les déterminants associés au conseil d'administration

La nouvelle donne en matière de gestion des entreprises est révélatrice des multiples facettes qu' elles peuvent revêtir. En effet, depuis l 'essence des sciences de gestion, l'on s'est principalement préoccupé de la dimension << management >> au détriment de la dimension gouvernement.

La gouvernance d'entreprise, traduction de corporate governance30 << est constituée du réseau des relations liant plusieurs parties dans le cadre de la détermination de la stratégie et de la performance de l'entreprise >> (Caby J., Hirigoyen G., 2001, p.51). C'est donc dire que, le conseil d'administration qui en constitue l'élément moteur est un vecteur essentiel dans la gestion des entreprises. Cette partie va donc vérifier la pertinence de cet argument, notamment dans le cadre des entreprises du secteur public et parapublic camerounais.

Il s'agit en effet, par l'établissement d'un lien de cause à effet entre les attributs du conseil d'administration et la performance de l'entreprise, de montrer le rôle important qui celui du conseil d'administration dans la gestion quotidienne de l'entreprise. On pourrait alors comprendre l'attention accordée à cet organe, depuis une décennie déjà, dans les pays industrialisés.

Pour ce faire, le chapitre troisième (chapitre III) sera consacré à la présentation du cadre théorique du CA. De la littérature il ressort que le débat sur l'opportunisme managérial est le début de la réflexion sur cet organe. La théorie de l'agence notamment sous sa version positive viendra en peaufiner le socle.

Une fois cela fait, nous nous acheminerons vers la vérification empirique de nos propositions de recherche (Chapitre IV). Aidés par un ensemble de données collectées sur une quarantaine d'entreprises publiques et parapubliques camerounaises, notamment sur les variables de leurs conseils d'administration, nous allons mettre en évidence comment et dans quel sens le CA intervient dans la gestion des entreprises de ce secteur, ceci par le biais de leur impact sur la performance financière et économique.

30 Thiveaud J.M., (1994), Pastré O., (1994), Caby J. et Hirigoyen G., (2001) contestent la traduction de corporate governance par gouvernement d'entreprise qui paraît être << une transposition abusive et dangereuse au regard de la philologie comme à celui du droit des institutions. >> En effet, Pastré démontre que corporate ne signifie pas entreprise, ni governance, gouvernement ou gouvernance. La corporate governance, particularité angloaméricaine renvoie à la question centrale du partage des pouvoirs et des responsabilités, tandis que le gouvernement d'entreprise, comme l'écrit Chevalier J. en 1937, est identifié à << ... un problème administratif, qui est celui du gouvernement et de la coordination des efforts... >>

Chapitre III

Le conseil d'administration dans le courant du gouvernement
d'entreprise

La réflexion sur le conseil d'administration, considéré comme le mécanisme principal du gouvernement d'entreprise31 a fait l'objet de beaucoup de travaux. Le CA constitue

l' « épine dorsale » du gouvernement d'entreprise du fait que l'on suppose une relation entre ce dernier et la performance financière de l'entreprise ou encore l'efficience économique (Labelle R. et Raffournier B., 1999). En effet, de nombreuses mesures visant à modifier la composition et le rôle du CA ont été mises en oeuvre ou proposées dans l'optique d'améliorer la gestion des entreprises (Charreaux, 1990). Ces mesures font suite à une vague de critiques à l'encontre du fonctionnement de cet organe. En France par exemple un certain manque de vigilance du conseil quant au contrôle de l'utilisation effective des capitaux par les dirigeants a été au centre des débats (Jensen, 1993).

On remarque cependant que ces travaux sont l'apanage de milieux professionnels ; les rapports Viénot I et II (1995,1999) ont été mis en oeuvre par l'Association Française des Entreprises Privées (AFEP), le Mouvement des Entreprises de France (MEDEF) et le Conseil National du Patronat Français (CNPF). Les Etats-Unis quant à eux ont eu recours aux services de l'American Law Institute, de la National of Corporate Directors (1996)32. Ce constat ne devrait cependant pas conclure à une absence de corpus théorique devant animé le débat sur le CA.

Ce chapitre se veut donc une introspection au sein des théories explicatives du CA qui elles-mêmes relèvent du paradigme de l'efficience. Nous opposerons de ce fait les théories contractuelles (financière et partenariale) du CA aux théories stratégiques (section II). Pour les premières, le CA joue un rôle purement disciplinaire, tandis que pour les secondes, le CA constitue un instrument cognitif aidant à la création de

31 Le gouvernement d'entreprise constitue en effet une autre dimension de l'entreprise, différente de la dimension management. Elle sera développée ultérieurement.

32 Pour une synthèse des milieux professionnels ayant traité des problèmes de gouvernance d'entreprise, voir Caby J. et Hirigoyen G., (2001), p. 57.

compétences. Toutefois, il convient il convient de présenter le champ disciplinaire dans lequel s'inscrivent les travaux sur le CA : le gouvernement d'entreprise (section

I).

I- Le gouvernement d'entreprise : l'autre dimension de l'entreprise

Le management a pendant longtemps été la seule dimension mise en valeur dans l'entreprise. Mais avec les travaux de Berle et Means (1932), eux-mêmes inspirés par les travaux d'Adam Smith (1776) et de Baumol, l'entreprise s'est révélée sur un tout autre plan, celui du gouvernement. L'entreprise est sous cet angle considérée comme un Etat, et comme tel elle doit disposer en son sein d'un ensemble de dispositifs ayant pour objet de réglementer les actions des uns et des autres. Ce paragraphe tente de dresser le bilan de l'évolution de cette dimension de l'entreprise. Pour en comprendre la portée, il convient de revisiter le champ << conflictuel >> des relations entre dirigeants et créanciers résiduels. De ce débat, il ressort que l'approche de l'homme fondamentalement opportuniste mobilisée par la théorie contractuelle des organisations peut être relativisée en ce sens que le dirigeant peut vouloir agir dans l'intérêt du mandant à la seule différence que les schémas mentaux peuvent être divergents : c'est l'approche cognitive.

I-1 L'opportunisme33 managérial

C'est une hypothèse fortement mobilisée par les théories contractuelles des organisations34, notamment la théorie des coûts de transaction (TCT) et la théorie positive de l'agence (TPA). Ces théories contractuelles sont également liées au développement de la théorie du gouvernement d'entreprise (GE). Cette assimilation peut porter atteinte à la pertinence de ce champ théorique d'où le recours à l'approche cognitive du conflit.

33 Voir aussi l'hyper rationalité.

34 Ainsi, Donaldson (1990, p. 373), faisant explicitement référence à Jensen et Meckling (1976) et Williamson (1975), dit la chose suivante: << organizational economics creates a theoretical scenario in which managers act opportuniscally, and any other type of behavior falls outside of the theory [...] such behavior is assumed in the fundamental axioms, rather than treated contingently or empirically, all managers are presumed to act in this fashion.>>

I-1-1 Opportunisme et conflit d'intérêts dans les théories contractuelles

Le conflit sera appréhendé par la théorie des coûts de transaction et la théorie positive de l'agence.

I-1-1-1 Le conflit d'intérêts dans la TCT

Williamson (1975, 1985) développe une approche particulière de la TCT qui justifie l'existence d'un conflit d'intérêts latent, par la possibilité d'un comportement opportuniste de la part des parties prenantes à une transaction. L'opportunité est dans ce contexte plus fort que la simple poursuite des intérêts personnels de chacun au détriment des autres. En effet, l'opportunisme au sens de Williamson constitue une représentation extrême du comportement humain, qui, motivé par la recherche d'avantages personnels, serait caractérisé par une tendance à tricher et à transgresser les règles éthiques. L'opportunisme, selon Williamson toujours, relève d'une démarche consciente, comme le relève l'emploi de la notion d' « effort calculé » (Williamson, 1985, p.47, cité par Ghoshal et Moran, 1996, p.18).

Remarquons cependant que, Williamson se contente d'évoquer la simple possibilité d'un comportement opportuniste, sans pour autant supposer que chaque individu se conduise forcément de manière opportuniste. C'est cette précision qui conduit Ghoshal et Moran (1996, p.19) à observer que la TCT n'a pas besoin de postuler que tous les individus sont opportunistes, mais que seulement certains le sont parfois, et qu'il est à priori impossible de distinguer les opportunistes des autres. Par conséquent, loin de supposer naïvement que tous les partenaires d'une transaction ont une tendance innée à chercher leur avantage en nuisant volontairement aux intérêts des autres par des moyens douteux, Williamson met seulement l'accent sur cette éventualité pour conduire ses explications.

I-1-1-2 Le conflit d'intérêts dans la TPA

L'opportunisme des acteurs n'est pas explicitement mobilisé dans la théorie de l'agence. Pour elle, il n'est pas indispensable de prendre un tel positionnement extrême pour parvenir à des schémas théoriques comparables. Ainsi, le modèle REM (resourceful, evaluative, maximizing) du comportement humain (Jensen et Meckling,

1994), sur lequel se fondent implicitement les explications avancées par la TPA repose sur quatre postulats, dont aucun ne fait explicitement référence à l'opportunisme. Simplement, selon REMM (resourceful, evaluative, maximizing Model), chaque acteur cherche à maximiser de façon dynamique son utilité ou son intérêt personnels. Dans ce contexte, il n'est d'ailleurs pas exclu que la fonction d'utilité d'un individu intègre partiellement les intérêts des autres parties prenantes, car Jensen et Meckling (1994) citent explicitement l 'altruisme comme source potentielle d'utilité.

En effet, pour Baumol (1959), plus connu pour sa théorie des marchés contestables, et partant des théories managériales de la firme, la fonction d'utilité des managers35 serait différente de celle des propriétaires en ce sens qu'elle n'intègre pas les mêmes éléments.

Figure III-1 Exemple de fonction d 'utilité des dirigeants

P2

Ud2 Ud1

P1 C1

Pouvoir des dirigeants

C2

A1 A2

Sécurité d'emploi, rémunération

Source: Paquerot M., (1996), Stratégies d 'enracinement des dirigeants et prises de contrôle d 'entreprises, thèse de doctorat en sciences de gestion, option finance, p.167

35 Les managers sont ici définis comme ceux qui ont le pouvoir de décision dans l'entreprise : ils représentent les cadres dirigeants qui décident de la stratégie en accord avec le CA et les responsables des centres de responsabilité de l'entreprise qui ont pour tâche de gérer le travail des opérationnels. Ils représentent ce que l'on appelle dans le milieu professionnel le top-management d'une part et le middle-management d'autre part. Ils se distinguent des purs opérationnels (désormais dans le langage courant « managers ») qui sont jugés sur des résultats qu'ils ne maîtrisent pas toujours complètement.

Lorsque les dirigeants augmentent leurs performances, la courbe de choix passe de C1 à C2, passage leur permettant aussi d'augmenter leur utilité. Dans le schéma ci-dessus, avant l'augmentation des performances de l'équipe dirigeante en termes de profit, la courbe d'utilité des dirigeants Ud1 est tangente à C1. Après l'augmentation, leur utilité croît aussi jusqu'à un niveau Ud2 tangente désormais à C2. Initialement les dirigeants avaient choisi la combinaison (A1 ; P1) et ne pouvaient augmenter A sans diminuer P et réciproquement. Le passage à Ud2 grâce à l'augmentation du profit va leur permettre de choisir (A2 ; P2) avec A2>A 1 et P2>P 1.

I-1-2 L'enracinement : une nouvelle approche de l'opportunisme

Le cadre théorique a déjà été abordé (TCT et TPA), nous nous attarderons sur les principales contributions en la matière.

Shleifer et vishny36, suite à un article paru en 1988 dans le Journal of Economics Perspectives, partant de la notion d'investissements spécifiques qui rendent le remplacement de ceux qui les réalisent coûteux, constatent que les dirigeants peuvent ainsi réduire leur probabilité d'être remplacés, et obtenir des salaires plus élevés ou une plus grande latitude dans la gestion de la firme et notamment dans le définition de la stratégie. La spécificité des investissements est matérialisée par la complémentarité de ceux-ci avec le capital humain des dirigeants. De ce fait, les mécanismes de contrôle tels que le CA, le marché des dirigeants et les OPA hostiles sont partiellement inefficaces.

L'approche de Castanias et Helfat est complémentaire de celle de Shleifer et Vishny (1989) et Morck, Shleifer et Vishny (1990), cependant leurs conclusions sur le comportement des dirigeants et les effets sur la richesse des actionnaires sont assez différentes. Ils fondent leurs propos sur les rentes managériales, proposées par la théorie du capital humain de Becker37 (1964). Les auteurs supposent que les dirigeants disposent de compétences spécifiques à la firme, disposent également de compétences spécifiques à la branche et des compétences générales. De même, les dirigeants qui disposent de compétences spécifiques à la branche disposent de compétences générales

36 Shleifer A. et Vishny R.W., (1988), « Value maximization and the acquisition process », Journal of Economics Perspectives, Vol.2, N°1 ,pp.7-20

37Becker G., (1964), Human capital, Columbia University Press.

en gestion, permettant alors de créer des rentes pour l'entreprise. Le modèle de Stiglitz et Edlin38 fondée sur la notion d'asymétrie d'information est une illustration mathématique des stratégies d'enracinement. Quelle que soit l'approche, l'enracinement se traduit de la sorte (Cf. figure III-2).

Tableau III-1 Tableau de synthèse des analyses de Shleifer et Vishny, Morck, Shleifer et Vishny et Castanias et Helfat

Eléments de l'étude

Morck et Vishny et Morck, Shleifer et Vishny

Castanias et Helfat

Connaissances Spécifiques du dirigeant

Source de l'enracinement pour les dirigeants

(augmentation de la dépendance des actionnaires)

Source de rentes pour les dirigeants, la firme et les actionnaires

Acquisitions D'entreprises

Motivées par les stratégies d'enracinement des dirigeants

Motivées par les comportements de recherche de rentes des raiders

Marché des prises de contrôle

Peu efficace en raison de l'enracinement des dirigeants qui la limite

Efficace, car il contraint les dirigeants à distribuer les rentes lorsqu'ils n'ont pas d'opportunités d'investissement rentable

Augmentation de la rémunération

Résultat du comportement opportuniste des dirigeants

Légitime rémunération des dirigeants générant des rentes grâce à leurs compétences managériales

Mesures de protection contre les prises de contrôle

Néfastes pour les actionnaires, réduisent la concurrence des dirigeants sur le marché de l'emploi et augmentent en conséquence l'enracinement de l'équipe en place

Incitent les dirigeants à investir dans des compétences rares pour générer des rentes en leur permettant de se protéger des raiders motivés par l'appropriation des rentes

Parachutes dorés

Diminuent la richesse des actionnaires et reflète les abus de pouvoir, à l'égard des actionnaires, des dirigeants enracinés

Garantissent les dirigeants du

paiement des rentes associées à leurs compétences managériales et les incitent à investir dans ces

compétences spécifiques

 

38 Stiglitz J.E. et Edlin A.S., (1992), « Discouraging rivals: managerial seeking and economic efficiences », working paper N°4 145, National Bureau of Economic Research.

Source: Paquerot M., (1996), p.86, op. cit.

Figure III-2 Courbe d'enracinement des dirigeants

Réputation des dirigeants

Niveau de pouvoir maximisant la réputation des dirigeants

Mérite Enracinement

Pouvoir des dirigeants par rapport aux actionnaires

Source: Paquerot M., (1996), p. 161, opt. Cit.

Il s'agit en effet d'un surplus de pouvoir par rapport aux performances réalisées. Sa conséquence sur la valeur de la firme ne fait pas l'unanimité. Pour les uns (Shleifer et Vishny, 1989 ; Morck, Shleifer et Vishny, 1990 ; Paquerot, 1997), il est source d'inefficacité. D'autres (Castanias et Helfat, 1992 ; Charreaux et Desbrières, 1997 ; Hirshleifer D., 1993 ; Garvey G.T. et Swann P.L., 1994) ne voient pas nécessairement en l'enracinement une altération de la performance. Il existe une autre tendance relativisant l'impact de l'enracinement sur la performance de l'entreprise, en fixant un seuil d'enracinement à partir duquel l'enracinement devient préjudiciable et en dessous duquel il ne l'est plus (Pigé B., 1998). Stamford P. (1997) distingue dans le même sillage l'enracinement positif qui n'influence pas la performance et à côté l'enracinement négatif. Nous résumons ces contributions dans le schéma qui suit.

Figure III-3 L 'enracinement et la performance de l 'entreprise

Enracinement opportuniste

Variables du CA

CA inefficace

Enracinement

Performance de

l'entreprise

Enracinement légitime

Variables Du CA

CA efficace

Influence négative Influence positive
Source: construction de l'auteur.

I-2 L'approche cognitive de l'opportunisme

Le conflit d'intérêts entre différentes parties prenantes de la firme est potentiellement de nature variée. Il peut d'abord être réel. En tant que tel, dans sa forme extrême, il trouve son origine dans l'opportunisme de certains acteurs (TCT de Williamson), sinon, il découle simplement de la divergence des fonctions d'utilité (TPA). Cependant, des arguments au sujet du cadre d'efficience dynamique (Wirtz P., 1999) montrent qu'on ne peut pas écarter l'éventualité d'un conflit d'intérêts seulement apparent. C'est le leitmotiv du courant cognitif des conflits d'intérêts et qui constitue une révolution en finance ( Salem R. et Hamza N., 2003).

I-2-1 L'articulation du courant cognitif

Les prémisses de l'argument cognitif se retrouvent dans les écrits de l'un des précurseurs des théories contractuelles des organisations en l'occurrence Alchian (1950) 39 mais de manière non explicite. Pour ce dernier, l'incertitude de l' environnement dans lequel les décideurs interviennent conduit à l' impossibilité pour ceux-ci de prévoir toutes les contingences futures. Ils doivent de ce fait fonder leurs actions sur un certain nombre de jugements et d'opinions subjectifs (Alchian, 1950, p.216).

39 Jensen et Meckling (1976, p.80) se réfèrent explicitement à plusieurs contributions de cet auteur.

Ces prémisses vont donner lieu à des travaux sur la cognition, et les représentations subjectives évoquées par Alchian vont prendre une terminologie appropriée : cartes mentales (Huff, 1990), schémas mentaux (Denzau et North, 1 994)40. Un schéma mental est donc une grille de lecture de la réalité, permettant aux individus de déchiffrer une situation de prise de décision, grâce à la perception d'un ensemble de liens de cause à effet et d'agir en conséquence (Wirtz, 1999). C'est dans ce sens que Calori (2000), en conférant aux dirigeants le statut de << théoriciens [ou de savants] ordinaires >> conduit à comparer une carte cognitive à un modèle scientifique.

Une telle approche va dans le même sens que la TCT et la TPA notamment sur l'hypothèse de la rationalité des acteurs, cependant elle substitue une rationalité de type procédural (Simon, 1982) à la rationalité substantielle41. Les individus ne disposant pas de l'ensemble des paramètres << objectifs >> pour calculer des solutions optimales, sont supposés fonder leurs raisonnements et arbitrages sur leur perception subjective des paramètres pertinents. Cette perception est façonnée par les schémas mentaux. La perception des opportunités concernant l'évolution de l'entreprise se trouve ainsi conditionnée par différents types de schémas mentaux permettant d'étudier la prise de décision des dirigeants concernant les orientations de leur politique générale mais également pour appréhender certains phénomènes idéologiques liés directement au gouvernement d'entreprise (Lazonick et O'sullivan, 2000 ; Wirtz P., 1999). Les schémas mentaux donnent une autre explication aux conflits d'intérêts. C'est leur diversité qui est source de conflit en lieu et place de l'opportunisme. Ainsi deux parties prenantes de la firme, A et B, ont théoriquement une perception différente de leurs actions en tant qu'intervenants loyaux s'ils ne partagent pas le même schéma mental par rapport aux intérêts à privilégier. Cette idée est défendue par Conner et Prahalad (1996, p.483).

40 Les études sur la cognition sont nombreuses. Dans notre exposé, nous basons notre terminologie sur l'analyse de Denzau et North (1994), car elle est à priori compatible avec les postulats fondamentaux de la TPA et facilite, de ce fait, le travail d'intégration théorique.

41 La rationalité procédurale, cohérente avec l'approche cognitive et dynamique du conflit, se différencie également de la rationalité limitée, car la première met l'accent sur le processus de prise de décision, la seconde plutôt sur son résultat (Charreaux, 1999).

I-2-2 Une réponse au conflit d'intérêts : le gouvernement des entreprises Berle et Means en 1929, étudiant la dispersion du capital des 200 plus grandes firmes américaines concluent à l'émergence d'une nouvelle forme de propriété (Harti G., 1999). Cette forme de propriété contribue à l'émergence des firmes dites <<managériales >>, c'est-à-dire effectivement contrôlées par des managers non propriétaires. Cette séparation42 conduira Jensen et Meckling (1976) à élaborer la théorie de l'agence. En effet, en confiant la gestion de ses intérêts à l'agent, le principal se trouve souvent en face de divergences d'objectifs et des asymétries d'information qui entraînent les phénomènes traditionnels de risque moral et de sélection adverse (ou anti-sélection) et qui à leur tour créent des coûts d'agence43.

Le risque moral désigne l'impossibilité pour le principal d'évaluer l'effort fourni par l'agent. L'agent peut en effet choisir de << trahir >>, au moins partiellement les intérêts de son mandant pour mieux servir les siens propres (Raimbourg P., 1989). Celui d'anti-sélection trouve son origine dans l'impossibilité qu'a le principal d'avoir une connaissance précise des caractéristiques du bien ou du service sur lequel porte le contrat avec l'agent. Il existe de ce fait une incertitude concernant la qualité du recrutement et de la sélection effectués par le principal sous l'hypothèse d'une asymétrie d'information (Raimbourg P., 1989). Pour donc limiter les coûts inhérents au conflit, il est né des mécanismes chargés d'aligner les intérêts du mandataire sur celui du mandant (Charreaux G., 1997).

1-2-2-1 Quelques définitions du gouvernement d'entreprise

Selon l'optique disciplinaire, le GE a pour objet de mettre le dirigeant au pas afin que ce dernier gère l'entreprise au profit des actionnaires, et plus généralement au profit de toutes les parties prenantes. On oppose de ce fait la vision traditionnelle ou moniste du GE qui fait la part belle aux seuls apporteurs de capitaux (actionnaires), à la vision pluraliste ou partenariale qui élargit la firme à tous les partenaires. Dans l'un ou l'autre aspect, le GE désigne l'ensemble des mécanismes devant assurer la prise en compte

42 Cette séparation des fonctions de propriété et de direction se double d'une séparation des fonctions de direction et de contrôle comme l'illustre la figure III-4.

43 Les principaux coûts d'agence sont les coûts de surveillance, les coûts d'action ou de développement et la perte résiduelle. Voir Coriat B. et Weinstein O., (1995).

des intérêts de toutes les parties contractantes. Le GE a trait ainsi à la façon de concilier les intérêts des deux parties et de faire en sorte que les entreprises soient exploitées au profit des investisseurs (Mayer C., 1996). Demb et Neubaeur (1992), par exemple, indiquent que << le gouvernement d'entreprise concerne la responsabilité en matière de performance >>. Selon Kester, << le problème central du gouvernement d'entreprise est de concevoir des systèmes spécialisés d'incitation, de sauvegarde et de réglementation des différends de nature à favoriser la continuité au sein de l'entreprise de relations qui soient efficientes en présence d'un opportunisme régi par l'intérêt personnel.>> Pour ce faire, le GE dispose d'instruments internes et externes, spécifiques et non spécifiques et enfin intentionnels et spontanés. Le marché financier étant un moyen coûteux, voire défaillant (Hardi G., 1989), ce sont les mécanismes internes qui encadreront l'action des dirigeants. Dès l'introduction de leur article, Becht M. et alii. (2002) définissent cinq principaux mécanismes devant limiter l'espace discrétionnaire des dirigeants. Une liste exhaustive de ces mécanismes est proposée dans le tableau qui suit.

Tableau III-2 Typologie des mécanismes de gouvernement des entreprises

 

Mécanismes spécifiques

Mécanismes non spécifiques

 

- contrôle direct des actionnaires

(assemblée)

- conseil d'administration (avec ou sans séparation du conseil, direction ou

- environnement légal et réglementaire (lois sur les sociétés, sur le travail, droit de la faillite, droit social...)

Mécanismes

forme

- syndicats nationaux

intentionnels

unique contre forme biconseil)

- auditeurs légaux

 

- systèmes de rémunération,

- associations de

 

d'intéressement

consommateurs

 

- structure formelle

 
 

- auditeurs internes

 
 

- comités d'entreprise

 
 

- syndicats maison

 
 

- réseaux de confiance informels

- marchés des biens et services

 

- surveillance mutuelle des dirigeants

- marché financier (dont prises

 

- culture d'entreprise

de contrôle)

 

- réputation auprès des salariés

- intermédiation financière

 

(respect des engagements)

- crédit interentreprises

Mécanismes spontanés

 

- marché du travail

 
 

- marché politique

 
 

- marché du capital social

 
 

- environnement sociétal

 
 

- environnement médiatique

 
 

- culture des affaires

 
 

- marché de la formation

 

Source: Charreaux G., (1997), Le gouvernement des entreprises. Théories et faits, Economica, paris, p.427

Le plus important de ces mécanismes est le conseil d'administration (Fama, 1980). Il a ainsi pour rôle de contrôler et de ratifier les décisions managériales en jugeant les managers selon leur performance soit en renouvellant leur mandat soit en les

révoquant (Fama et Jensen, 1983). Ses leviers d'action sont donc le pouvoir de révocation (Pigé B., 1996 en mesure le poids à partir d'un échantillon de PDG de 222 entreprises françaises cotées sur la période 1985-1989) et le système de rémunération. Gharbi H. (2002) dresse à cet effet la liste des leviers d'action des mécanismes du tableau.

Si on admet que certains comportements déviants ne sont pas motivés par l'opportunisme, mais simplement par des perceptions divergentes, il devient théoriquement possible de représenter au moins une partie des mécanismes de gouvernance comme indicateurs d'apprentissage (Tainio, 2001). Dans cette perspective, les leviers institutionnels qui fondent les mécanismes de gouvernance peuvent fournir des incitations aux acteurs pour réévaluer la perception de leurs positions et adapter, le cas échéant, la structure de leurs connaissances. De ce fait, le GE ne joue pas simplement un rôle disciplinaire, mais également un rôle cognitif.

Figure III-4 La double séparation propriété/direction et direction/con trôle

Administrateurs

- Exercent la fonction de contrôle pour le compte des actionnaires

Actionnaires

- Prise en charge du risque résiduel

- perception des revenus résiduels

Dirigeants

- Exercent la fonction de direction pour le compte des actionnaires

Source: Pigé B., (1996), « La probabilité de rotation des PDG : une mesure du pouvoir de révocation du conseil d'administration », Revue d 'Economie Politique, 106 (5), sept.-oct., p.892

II- Le CA entre contrôle et stratégie

La littérature sur le CA s'avère largement dominée par le cadre conceptuel de la théorie de l'agence. Elle est fondée sur une vision contractuelle de la firme, laquelle appréhende le conseil, d'un point de vue organisationnel, comme l'organe de contrôle des dirigeants dans l'optique de la défense des intérêts des actionnaires. Ces apports de la théorie de l'agence sont eux-mêmes opposés aux développements issus du courant dit de l' << hégémonie managériale. > Ce courant prend origine dans la théorie managériale et s'appuie sur des travaux empiriques tels que ceux de Mace (1971), Herman (1981) ou Vance (1983). Il en ressort une limitation de la capacité du CA à contrôler les dirigeants.

Cependant, en marge de ces approches du conseil, qualifiées d' << internes > (Charreaux G., Pitol-Belin, 1990 ; Le Joly K., 1998) puisqu'elles appréhendent le conseil d'un point de vue interne à l'organisation, il s'est développé un important courant de recherches consacrées à une analyse dite << externe. > Elle (l'analyse externe) est dominée par l'étude des caractéristiques et des conditions d'émergence des liens inter organisationnels établis par l'intermédiaire des administrateurs (liens interlock) et conduit au développement de l'approche stratégique du conseil.

Notre objectif dans ce paragraphe est de présenter le CA dans l'optique du contrôle et d'en dégager les limites pour ensuite proposer une alternative, l'approche stratégique du CA.

II-1 L'optique disciplinaire du CA (voir figure III-5)

Elle est proposée par les théories contractuelles des organisations via la théorie de l'agence. Elles ont en effet pour objectif d'expliquer les différences de structures adoptées par les organisations et de déterminer un ensemble de caractéristiques qui permettent d'en comprendre le fonctionnement. Ces caractéristiques organisationnelles

ne faisant référence qu'aux fonctions de contrôle et de décision, et ne prenant en compte que les organisations privées44.

Les théories contractuelles sont fondées par la vision contractuelle de l'organisation dans laquelle la firme apparaît comme une fiction légale, un noeud de contrats implicites ou explicites qui régissent les relations aussi bien entre les agents internes à l'organisation qu'entre ceux-ci et les tiers et la sélection naturelle45 selon laquelle il existe une concurrence entre les différentes formes organisationnelles ; la forme qui survit est censée être celle qui permet de minimiser le coût de fonctionnement de l'organisation partant de la distinction fonctionnelle propriété/décision (Fama et Jensen, 1983), les théories contractuelles formulent deux propositions fondamentales46 :

- la séparation47 propriété/décision conduit à des processus de décision pour lesquels il y'a séparation des fonctions de décision (initiative et mise en oeuvre) et de contrôle (ratification et surveillance) ;

- la concentration des fonctions de décision et de contrôle entre les mains d'un nombre limité d'agents conduit à une répartition des titres de propriété qui privilégie ces mêmes agents.

Ces deux propositions constituent le coeur de la théorie, dont les aspects principaux sont résumés dans le tableau synoptique qui suit.

44 Le champ d'application de la théorie peut être élargi aux organisations publiques ou contrôlées par l'Etat. Les relations de mandat entre électeurs et élus, élus et administration participent à une extension de la théorie. L'analyse de Breton et Wintrobe (1982), qui porte sur la bureaucratie publique et privée à partir d'une problématique très proche de celle utilisée par la théorie contractuelle, peut être considérée comme une extension de l'analyse aux organisations publiques. Cette généralisation de la théorie supposerait l'intégration du marché politique dans l'analyse. Pour une présentation de l'analyse de Breton et Wintrobe, cf. Salmon (1983).

45 Contrairement à une idée fort répandue, ce ne sont pas les sciences sociales qui ont fait un emprunt de ce principe à Darwin. Il s'agit au contraire de ce dernier qui a appliqué à la biologie, ce concept utilisé en sciences sociales. Voir sur ce point Hayek (1980, p.26). Cette utilisation du principe de sélection naturelle en économie a particulièrement été prônée par Alchian (1950).

46 La notion de complexité de l'organisation et le critère de minimisation des coûts d'agence sont les éléments à la base de ces propositions. Une organisation complexe est une organisation où l'information spécifique nécessaire à l'accomplissement de la fonction de décision est détenue par de nombreux agents. La notion d'information spécifique est proche de celle d'asymétrie de l'information et a été introduite par Hayek (1945). Cette notion est également proche de la notion d'information impactedness utilisée par Williamson (1975). Il y'a souvent corrélation positive entre la taille de l'organisation et la complexité. La séparation fonctionnelle apparaît être un mécanisme permettant la survie des organisations complexes.

47 L'étude des conséquences de la séparation fonctionnelle est très ancienne, puisque le problème avait déjà fait été évoqué par A. Smith. Dans le cas da la firme managériale, cette étude a été particulièrement approfondie par Berle et Means (1932).

Tableau III-3 Théorie con tractuelle et séparation propriété/décision dans les organisations

Type d'organisation

Complexité
Taile
(1)

Séparation
Décision-contrôle
(2)

Répartition des
Titres
(3)

Organisations avec
séparation propriété-
décision

- le plus souvent complexes

- information spécifique diffuse

- grande taille

- Séparation des fonctions décision-contrôle

- diffuse

- les dirigeants n'ont qu'une faible part des titres

Organisations sans
séparation propriété-
décision

- non complexes

- information spécifique concentrée

- petite taille

- non séparation

- concentrée entre les mains des dirigeants

Type d'organisation

Nature des titres de
propriété
(4)

Systèmes de contrôle
(5)

Exemple-type
(6)

Organisations avec
séparation propriété-
décision

- facilement négociables

- conseil d'administration - hiérarchie

- surveillance mutuelle

- société anonyme avec
actionnariat diffus

Organisations sans
séparation propriété-
décision

- difficilement négociables

- pas de conseil
d'administration

- hiérarchie et surveillance mutuelle peu développées

- entreprise individuelle

 

Source: G. Charreaux (1997), Le gouvernement d'entreprise. Théories et faits, Economica, Paris, P.170

II-1-1 Conseil d'administration et contrôle des dirigeants

Dans les théories contractuelles, la firme est vue comme un centre contractant, un noeud de contrats regroupant les contrats établis par le dirigeant entre la firme et les apporteurs de ressources et les clients. En raison des conflits d'intérêts entre les différents cocontractants, des asymétries de l'information et de l'incomplétude des contrats (impossibilité d'établir des contrats permettant de prévoir toutes les éventualités), l'organisation de l'activité économique (intrafirme et interfirmes) est sous-optimale en ce sens qu'elle ne permet pas d'atteindre le niveau de création de

valeur permis par la coopération, celui qui aurait été obtenu dans l' « économie du Nirvana », dans un monde parfait sans conflits d'intérêts ni inégalités informationnelles et où les droits de propriété sur les actifs seraient parfaitement délimités et protégées. Selon la théorie considérée (théorie positive de l'agence, théorie des coûts de transaction, théorie des droits de propriété), ces pertes de valeur s'analysent comme des coûts d'agence, de transaction ou comme sous-valorisation des droits de propriété. Le système de gouvernance, selon la perspective contractuelle, s'explique par sa capacité à réduire ces pertes de valeur.

II-1-1-1 La vision traditionnelle

Dans la représentation dominante, financière, de la gouvernance, la firme se réduit à un noeud de contrats incluant les dirigeants et les investisseurs financiers. Les conflits opposent soit les actionnaires aux dirigeants, soit les créanciers financiers (banques, obligataires...) aux actionnaires et l'efficacité du système de gouvernance se mesure

Figure III-5 Le modèle complet de surveillance des dirigeants de la firme managériale selon Fama

Marché des
administrat
eurs
externes

Marché du
travail des
cadres

Administrateurs externes

Conseil d' administration

Administrateurs dirigeants

Dirigeants
non administrateurs

Equipe dirigeante

Marché financier

Information Surveillance Evaluation

Source: Le Joly K., (1998), p.1 16.

par sa capacité à réduire les pertes de richesse pour les actionnaires. Dans cette perspective, ouverte par Jensen et Meckilng (1976) et par Fama (1980), le système, dans l'objectif de réduire les conséquences des conflits entre actionnaires et dirigeants, est composé de mécanismes construits, « intentionnels » et de mécanismes «spontanés ».

Parmi les mécanismes construits il y'a le CA. Celui-ci, pour être efficace, doit simultanément inclure, pour des raisons d'information, des administrateurs externes indépendants, spécialistes du contrôle. Préoccupés de leur valeur sur le marché des administrateurs, ces derniers n'ont pas intérêt à être soupçonnés de collusion avec le management. Le CA intervient en incitant les dirigeants à être performants, soit par le système de rémunération (bonus, stock-options...), soit en menaçant de les évincer. Le marché des prises de contrôle (OPA, OPE), mécanisme particulièrement lourd et coûteux, n'est censé intervenir qu'en dernier recours. Le CA, est considéré comme efficace si le coût qu'il induit est inférieur à la réduction de perte de valeur qu'il permet.

Les pertes de valeur ont des origines diverses (sous-investissement ou surinvestissement, dépenses somptuaires...). Certains modèles (Shleifer et vishny, 1989) prennent en compte les stratégies d'enracinement des dirigeants. Ces derniers, pour se protéger, rendraient leur remplacement coûteux en investissant de préférence dans des projets, dont la rentabilité est subordonnée à leur présence à la tête de l'entreprise, ou dont la performance est moins facilement observable (Edlin et Stiglitz, 1995). Cette approche initiale, qui privilégie l'investissement financier et fonde l'efficience sur la mesure de performance actionnariale et les systèmes incitatifs permettant d'aligner les intérêts des dirigeants sur ceux des actionnaires, a servi de cadre à de très nombreuses études empiriques. Les résultats de ces études sont dans l'ensemble contradictoires et peu concluants (voir par exemple, Bhagat et Black, 1999 et 2000, pour une synthèse sur le lien entre performance, composition et indépendance). Ils ne suffisent pas, cependant, à exclure le rôle disciplinaire du CA, confirmé par toutes les enquêtes (par exemple, Charreaux et Pitol-Belin, 1990 ou Mc Nulty et petitgrew, 1994), mais témoignent de la complexité à tester une telle théorie pour plusieurs raisons.

Premièrement, le CA n'est qu'un mécanisme particulier du système de gouvernance ; il intervient, soit de façon complémentaire, soit par substitution à d'autres mécanismes internes ou externes. Ainsi, par exemple, son rôle disciplinaire est faible dans les sociétés dont le capital est dominé par la famille du dirigeant, la discipline étant assurée directement par l 'actionnaire dominant.

Deuxièmement, sa fonction disciplinaire peut dépasser les seules relations actionnaires et dirigeants pour s'étendre à d'autres parties prenantes, notamment les salariés.

Enfin et troisièmement, le CA peut assurer d'autres rôles complétant ou entrant en conflit avec son rôle disciplinaire.

Sur le plan des prédictions qualitatives, l'approche financière du CA comporte de nombreuses failles ; elle ne peut, par exemple expliquer la présence de parties prenantes telles que les salariés ou les banques au conseil et ne peut rendre compte, de façon plausible, ni de la diversité internationale des conseils, ni de leurs modes d' évolution.

II-1-1-2 La vision partenariale

Dans l'approche financière traditionnelle, la valeur créée est égale à la rente reçue par les actionnaires. En termes de taux, la rente correspond à ce qu'ils perçoivent au delà de leur coût d'opportunité constitué par le coût des fonds propres, lequel est habituellement estimé par le modèle d'équilibre des actifs financiers (MEDAF) en supposant que le marché de capitaux est efficient. La rémunération des créanciers financiers étant égale à leur coût d'opportunité- c'est-à-dire au coût de la dette risquée sur un marché de la dette présumé également efficient-, les actionnaires sont les seuls créanciers résiduels48 et la définition précédente de la création de valeur se retrouve dans la proposition bien connue selon laquelle il y'a création de valeur si la rentabilité

48Les actionnaires étant les seuls créanciers résiduels, il n'y a pas de conflits sur la répartition de valeur ; c'est cette absence de conflits qui justifie l'indépendance entre la création et la répartition et donc entre l'investissement et le financement. La recherche financière, depuis plus de vingt ans, notamment depuis l'article de Jensen et Meckilng (1976), a remis en cause la séparabilité et a cherché à prendre en compte les conséquences des conflits d'intérêts. Cependant, le plus souvent, elle se limite à examiner l'incidence des conflits d'intérêts entre dirigeants, actionnaires et créanciers financiers.

économique des investissements est supérieure au coût moyen pondéré du capital, proposition qui est au fondement des critères de la VAN et de l'EVA49.

La mesure ici proposée- la valeur partenariale- s'appuie sur une mesure globale de la rente créée par la firme en relation avec les différents shareholders50 et non les seuls actionnaires51. Elle repose sur la même logique que la mesure construite par Brandenburger et Stuart (1996)52. Ces deux auteurs d'une part, fondent leur raisonnement sur la chaîne de valeur proposée par Porter (1984) et d'autre part, inscrivent leur raisonnement dans le cadre de la théorie des jeux coopératifs, notamment pour analyser l'appropriation de la valeur créée. Nous allons tout d'abord présenter cette mesure élargie de la valeur avant de nous interroger sur les conséquences qu'elle induit dans l'interprétation du jeu organisationnel.

A- La mesure de la valeur partenariale

A l'instar de Brandenburger et de Stuart, la mesure de la valeur partenariale va se faire en considérant la chaîne de valeur la plus simple, à savoir une firme qui ne dispose que d'un seul fournisseur et d'un seul client53. Du côté du fournisseur la valeur créée est égale à la différence entre le prix payé par la firme (le coût explicite) et le coût d'opportunité, soit le prix minimum requis par le fournisseur pour entreprendre ou produire une transaction. Cette même analyse peut être transposée du côté du client. Il y'a valeur créée si le client obtient le produit à un prix inférieur à son « prix d'opportunité >>, c'est-à-dire le prix qu'il aurait été disposé à payer. Sur l'ensemble de

49Elle fait parti des outils de mesure récents de la valeur créée (Charreaux,1998), recommandées par des cabinets conseils anglo-saxons (Charreaux,1998). L'EVA, « valeur ajoutée économique >>, est égale à la différence entre le résultat économique après impôt et le coût des capitaux investis par les investisseurs financiers actionnaires et créanciers financiers). Sa formule est : EVA=Ka. VC - CMP . VC = (Ka - CMP) . VC avec Ka le taux de rentabilité économique mesuré de façon comptable (résultat économique après impôt/ actif économique), VC la valeur comptable des capitaux investis et CMP le coût moyen pondéré du capital. Voir Caby et Hirigoyen (1997) pour un approfondissement de des nouvelles mesures de la valeur créée.

50On oppose les shareholders, ensemble des partenaires de la firme aux stakeholders les actionnaires.

51On pourrait d'ailleurs contester la validité de la mesure de la rente pour les seuls actionnaires au motif de l'hétérogénéité de ces derniers, dont les objectifs et les apports diffèrent. Si par exemple, on estime que les actionnaires les plus importants sont chargés du contrôle, le coût de ce dernier induit une composante supplémentaire que parcequ'ils peuvent influencer les décisions stratégiques à l'origine de la création de valeur ou s'approprier une part supérieure de la rente.

52En fait, ce raisonnement fondé sur les flux est proche de celui établi en termes de stocks par B. Cornell, A. C. Shapiro (1987) dans la définition qu'ils donnent du capital organisationnel. De même, la notion de valeur créée est proche de celle de corporate wealth , richesse mise à disposition des dirigeants, introduite par S. C. Myers (1990).

53Pour une illustration, voir Charreaux et Desbrières, (1998), Gouvernace des entreprises : valeur partenariale contre valeur actionnariale.

la chaîne de valeur, la valeur créée est égale à la différence entre le prix d'opportunité pour le client et le coût d'opportunité pour le fournisseur.

B- Valeur partenariale et jeu organisationnel

Cette présentation de la valeur partenariale, conforme à la définition de la rente54 (ou de la quasi-rente), permet de mettre en évidence certaines caractéristiques du j eu organisationnel.

- Le dirigeant crée de la valeur si l'écart entre les ventes aux prix d'opportunité et les coûts d'opportunité est positif.

- Les conditions sous-tendant le théorème de Coase n'étant pas satisfaites, la création de valeur n'est pas indépendante de la répartition, notamment en raison des coûts d'influence, liés aux activités d'appropriation des rentes (Milgrom et Roberts, 1990). Cependant, les conflits sur le partage de la valeur n'ont pas nécessairement de conséquences négatives sur la création de valeur. Il est fréquent qu'un partage favorable aux salariés, sous la forme d'une rémunération explicite supérieure au coût d'opportunité, correspondant à un salaire d'efficience, induise une meilleure performance, se traduisant par exemple par une amélioration du produit ou des gains de productivité. De même, le dirigeant- par exemple, en développant ses compétences spécifiques- qu'il est un des principaux bénéficiaires, notamment si sa rémunération est indexée sur la valeur créée ou s'il perçoit une partie de cette valeur en étant associé au capital (exemple des stock-options).

- Cette lecture de la création de valeur conduit à distinguer deux situations correspondant à une menace pour la pérennité de la firme : premièrement, il y'a destruction de valeur ; autrement dit, les ventes au prix d'opportunité ne couvrent plus les coûts d'opportunité et la coalition organisationnelle s'effondre, cet effondrement

54La rente (ou rente ricardienne ou rente d'efficacité) pour un apporteur de ressources est égale au supplément de rémunération perçu par rapport à la rémunération minimale nécessaire à l'établissement de la transaction ; elle s'apprécie par rapport à l'entrée dans la coopération. Elle est normalement liée à la rareté du facteur. Ainsi, un dirigeant perçoit une rente si sa rémunération est supérieure à la rémunération d'opportunité ; ce supplément est lié à la rareté de ses compétences managériales censées créer davantage de valeur. La quasi-rente est égale au supplément de rémunération perçu en sus de la rémunération minimale nécessaire à la poursuite de la coopération ; elle tient compte des coûts de sortie (perte de valeur) dus à l'accroissement de la spécificité de l'actif une fois la relation établie. Pour un dirigeant, la quasi-rente correspond au supplément de rémunération qu'il perçoit, par rapport à ce qu'il recevrait au mieux dans une autre firme après prise en compte des pertes de capital humain liées à la spécificité. Ces aspects sont particulièrement bien explicités par Milgrom, Roberts (1992) et, pour les rentes managériales par Castanias, Helfat (1991).

n'est pas nécessairement immédiat si le slack55 accumulé par la firme est important. De deux, la firme crée globalement de la valeur, mais la répartition est faite de telle manière qu'un des shareholders reçoit une rémunération explicite inférieure à sa rémunération d'opportunité.

De fait, la réaction des différents shareholders face à une rémunération inférieure au coût d'opportunité (ou à un prix explicite supérieure au prix d'opportunité) dépend de l'arbitrage qu'ils font, selon la distinction établie par A. O. Hirschman (1970) entre <<défection >> immédiate et les possibilités de rétablir la situation par la << prise de parole >>. Un sacrifice momentané de rémunération peut être compensé par un partage favorable de la valeur créée une fois le redressement accompli. Le coût de l'intervention des shareholders, sous forme de défection ou de prise de parole est fonction du système de gouvernance d'entreprise en place.

- Les différents shareholders se trouvent dans des situations très inégales : leur position dans le partage de la valeur dépend naturellement de leur contribution à la création de valeur ; la position de force dans le partage de la valeur dépend d'une part, de l'état des différents marchés, notamment des possibilités de sortie et d'autre part, de la capacité à prendre la parole des différents shareholders, en fonction notamment des droits légaux qui leur sont garantis. Le statut de créancier résiduel exclusif des actionnaires est remis en cause dans l'approche de la valeur partenariale.

- L'approche de la valeur partenariale conduit également à reconsidérer le lien existant entre la structure de financement et l'investissement. En premier lieu, il convient pour analyser le problème de substituer à la notion de structure de financement, celle, plus générale de structure de ressources où figurerait notamment le capital humain ; en second lieu, la maximisation de la valeur créée ne passe pas exclusivement par la minimisation du coût d'opportunité (propriété de séparabilité) si les prix d'opportunité - c'est-à-dire les flux d'exploitation sécrétés - dépend de la nature de la structure des ressources. Enfin, la remise en cause du statut de créancier

55C'est un résidu non affecté << slack >> managérial, c'est-à-dire l'excédent représentant la latitude dont dispose le dirigeant dans ses négociations avec les différents shareholders ; ce slack, non partagé entre les différents shareholders est réinvesti (notamment sous la forme d'investissements de remplacement) ou conservé sous forme de liquidités. Ace titre, il faudrait déduire les investissements de remplacement censés être mesurés par les dotations aux amortissemnts. Cependant, il n'est pas sûr, en raison notamment de l'évolution de la stratégie de la firme, que les fonds correspondant soient utilisés dans cet objectif. En outre, en cas de contrainte forte, le remplacement peur être différé.

résiduel exclusif des actionnaires conduit à contester l'interprétation traditionnelle qui est faite de la politique d'investissement à la lumière de la théorie des options : en qualité de créanciers résiduels, les actionnaires auraient intérêt à ce que les investissements entrepris soient fortement risqués.

La vision partenariale de la valeur, associée à l'abandon de la séparabilité des décisions de création et répartition, conduit à une remise en cause fondamentale de l'analyse du processus de création de valeur et de la problématique financière traditionnelle.

C- Le CA à l'aune de la valeur partenariale

Le CA, dans l'approche financière, est un élément du système de gouvernance, permettant de résoudre le conflit d'intérêts entre actionnaires et dirigeants. Cette vision ne trouve de pertinence que dans les sociétés dites managériales, or, en pratique elles sont rares. En dehors des économies anglo-saxonnes, les firmes managériales sont mois répandues, on a assisté à une reconcentration du capital via la montée en puissance des investisseurs institutionnels. Par ailleurs, on peut s'interroger sur l'importance réelle du conflit d'intérêts entre actionnaires et dirigeants comme motif de réduction de valeur. La théorie de l'intendance de Donaldson (1990), par exemple, qui part d'une critique des valeurs opportunistes (la « délinquance managériale ») supposées sous-tendre la représentation du comportement des dirigeants dans la théorie de l'agence, retient au contraire, sur la base d'un modèle de l'homme plus optimiste, l'hypothèse d'une convergence d'intérêts en raison des satisfactions morales notamment qu'éprouveraient les dirigeants à être de « bons intendants ». Dans cette hypothèse, le rôle du CA ne pourrait bien entendu, s'expliquer par le motif disciplinaire.

1- Le CA et la coopération entres les parties prenantes

La vision partenariale, contrairement à la vision financière s'attarde quelque peu sur l'origine de la valeur créée. En effet, l'existence d'une rente organisationnelle suppose une compétence distinctive que le capital financier, indifférencié par définition, ne peut apporter par lui-même. D'autres facteurs de production, en particulier le capital humain apporté par les dirigeants et les salariés sont mis à contribution pour

comprendre l'origine de la rente. Ces nouveaux acteurs seront incités à contribuer à la création de valeur à hauteur de leur intégration dans la fonction de propriété, vue cependant sous un angle moins étroit que celle de la traditionnelle propriété juridique. L'hypothèse de la convergence des intérêts des dirigeants avec ceux des autres parties prenantes est alors mobilisée dans certains modèles (Castanias et Helfat, 1991). En effet, les compétences du dirigeant acquises au sein de l'entreprise, si elles permettent d'accroître la rente organisationnelle, rendent également l'investissement en capital managérial spécifique à la firme ; le dirigeant devient ainsi vulnérable à un éventuel comportement opportuniste des actionnaires, par exemple en cas de licenciement. Cependant, le risque est symétrique car, en évinçant le dirigeant, les actionnaires perdraient également la rente managériale. On se retrouve donc dans une situation de convergence (mais pas d'identité) des intérêts qui permet d'interpréter différemment les stratégies d'enracinement. Celles-ci peuvent certes avoir un effet réducteur sur la création de valeur, mais en sécurisant l 'investissement.

Sous cet angle, le CA ne saurait plus joué le seul rôle de défense des intérêts des actionnaires. Il constitue un mécanisme chargé d'assurer la meilleure coopération possible entre le dirigeant et les actionnaires, notamment en garantissant un partage équitable et protégeant le capital managérial, de façon à inciter le dirigeant à accroître la rente. Ce rôle de protection du capital managérial contre les risques liés à sa spécificité avait déjà été évoqué par Williamson (1985) dans le cadre de la théorie des coûts de transaction, le conseil de voyant attribuer le rôle conjoint de mécanisme de gouvernance des transactions associées aux apports de capital financier et de capital managérial. Quant au rôle positif dans la création de valeur, notamment par le conseil et l'expertise, il est souligné tant par Castanias et Helfat (1991) que par Donaldson (1990). Le capital humain associé aux compétences spécifiques de l'ensemble des salariés est également vulnérable aux tentatives d'expropriation. Le système de gouvernance, via le CA, se justifie alors par sa capacité à protéger également la valeur du capital humain des salariés.

Le prolongement de la représentation de la firme comme « équipe de production » par Alchian et Demsetz (1972) permet de généraliser cette problématique à l'ensemble des parties au noeud de contrats, qui contribuent à créer de la valeur. Dans ce cas, les

transactions ne se limitent plus à de simples échanges marchands instantanés, régis par les seuls prix, mais permettent, notamment dans des relations de coopération de longue durée, de construire de la connaissance et des savoir-faire communs, la création de valeur dépend également des compétences particulières de certains fournisseurs, soustraitants, voire clients. Ces approches, dites partenariales, sont plus ou moins larges selon la nature des partenaires considérés. Ainsi, si certaines analyses privilégient la capital humain des salariés, ce qui les conduit à définir la firme comme un jeu coopératif, une combinaison durable de ressources spécifiques (Aoki, 1984), un noeud d'investissements spécifiques à l'équipe de production (Blair, 1995 ; Rajan et Zingales, 1998), d'autres (Charreaux et Desbrières, 1998) généralisent l'approche à l'ensemble des partenaires en considérant que certaines transactions relationnelles, non purement marchandes, contribuent également à la rente organisationnelle. Cette approche conduit à étudier l'efficacité du système de gouvernance en termes de valeur partenariale (Charreaux et Desbrières) et non plus de valeur actionnariale comme dans l 'approche financière.

2- Le CA et la médiation

Une autre vision du CA ressort des approches partenariales de la gouvernance. Ainsi, Blair (1999), réinterprétant Rajan et Zingales, considère la firme comme une entité légale séparée, un réceptacle qui permet d'accueillir les droits de propriété tant sur les actifs productifs que sur les produits de l'activité de façon à assumer un rôle de médiateur, d'arbitre, entre le capital financier et le capital humain, le CA, organe indépendant des membres de la coalition productive, se voit attribuer des droits décisionnels sur l' entité légale. Il intervient comme un organe hiérarchique qui, outre son rôle d'arbitre dans le partage de la rente, doit encourager le travail en équipe. Une telle représentation du conseil permet d'en mieux comprendre la composition, notamment la place que peuvent y tenir, dans certains cas, les salariés, voire les représentants de certaines banques et autres fournisseurs, mais aussi l'importance qu'y tiennent souvent les cadres internes et les dirigeants d'autres sociétés, dont l' expertise peut servir d'autres fins que celle du contrôle. L'importance accordée au caractère collectif de la création de la rente permet notamment de mieux comprendre la place et le rôle des administrateurs internes qui sont présents, non seulement pour défendre

leurs investissements spécifiques, mais également pour apporter de l'information afin d'accroître la création de valeur. Dans ces approches élargies de la gouvernance, le rôle du CA ne se limite plus à surveiller les dirigeants au profit des actionnaires, il intervient pour protéger l'ensemble des relations créatrices de valeur, préserver et accroître le caractère productif du noeud de contrats, soit en assurant un partage suffisamment équitable et incitatif entre les différents partenaires, soit en apportant une expertise.

Tableau III-4 Les différentes perspectives théoriques appliquées au conseil d'administration selon Charreaux et Pitol-Belin

Théories

Rôle du conseil

Idée fondamentale

Théorie du capitalisme financier.

Le conseil permet la cohésion du groupe et l'exercice du pouvoir.

Exercice du pouvoir dans un groupe industriel et financier.

Théorie coordination/contrôle.

Le conseil permet aux banques ou aux familles de contrôler une société.

Exercice du pouvoir des banques ou des familles.

Théorie de la cohésion sociale.

Le conseil permet d'assurer le pouvoir d'une classe sociale sur les sociétés.

Exercice du pouvoir d'une classe sociale.

Théorie institutionnelle.

Le conseil donne une large

image de la firme à l'environnement : il représente le milieu institutionnel.

Institutionnalisation.

Théorie de la dépendance envers les ressources.

Le conseil est un vecteur permettant de contrôler les ressources.

Contrôle des ressources.

Théorie managériale.

Très faible : le dirigeant nomme des administrateurs et contrôle le conseil.

Séparation propriété-décision.

Théorie de l'agence.

Le conseil a pour rôle essentiel de contrôler les dirigeants. Son rôle dépend du type de société.

Minimisation des coûts d'agence.

Théories des coûts de transaction.

Le conseil permet de gérer les transactions entre le firme, les actionnaires et les dirigeants.

Economiser les coûts de transaction ex-ante et ex-post.

Source: Charreaux G. et Pitol-Belin J.P., (1990), P. 63

II-2 L'optique stratégique du conseil

Tant il est reconnu à la vision partenariale de la firme l'élargissement du débat sur la création et la répartition de la valeur à toutes les parties prenantes à la coalition, il lui est en même temps reproché d'être restée prisonnière des limites de la vision contractuelle financière. En effet, si l'importance du lien entre les compétences et la rente organisationnelle est reconnue, la problématique reste fondée sur une conception statique et adaptative de l'efficience. La valeur est maximisée à un instant donné et l'origine de l'ensemble des opportunités d'investissement reste exogène. Les seuls leviers permettant d'agir sur la valeur sont les systèmes de mesure de la performance ou d'incitation. En cas de sous-performance, l'adaptation se fait par aménagement de l'architecture organisationnelle et par reconfiguration des droits de propriété ; il s'agit, selon la formulation la plus générale de la théorie positive de l'agence (Jensen, 1998 ; Charreaux, 2000), d'exploiter au mieux la connaissance spécifique répartie entre les différents acteurs, de veiller à son allocation optimale, soit à l'intérieur de l'organisation, soit entre les organisations. De plus, dans les théories contractuelles, aucune référence n'est faite sur l'origine des connaissances qui fondent les compétences distinctives sur lesquelles s'appuient les stratégies de création de valeur. Cet état de fait sur les insuffisances du courant contractuel du CA nous amène à orienter la réflexion vers des champs spécifiques qui traitent des questions d'acquisition et de création des ressources et de compétences. Le courant cognitif ou stratégique du CA participe de ces champs.

II-2-1 Le CA et la rentabilité des ressources

La théorie de la dépendance envers les ressources (Pfeffer et Salanick, 1978) a donné naissance à un courant important de recherches sur le CA, avec au centre de la réflexion la question de l'origine des ressources posée de façon défensive. Selon cette théorie, la survie de la firme est conditionnée par sa capacité à contrôler certaines ressources indispensables, de façon à assouplir, par exemple, les contraintes des marchés ou à stabiliser l'environnement. La firme cherche à établir des liens interorganisationnels avec l'environnement externe, de façon à contrôler ces ressources, critiques. Lorsque l'environnement devient plus incertain ou menaçant, la

firme renforce ou accroît ces liens. A cette fin, la firme incorporera à son CA des représentants des ressources les plus critiques (Burt, 1983), par exemple les banquiers, de façon à garantir sa survie. Cette intégration aura pour conséquence, cependant, de limiter la latitude des dirigeants dont les décisions seront influencées et contraintes par les administrateurs représentant les ressources critiques. L'argumentation qui sous-tend cette théorie, toutefois, ne relève pas du paradigme de l'efficience dans lequel s'inscrivent les théories de la gouvernance, mais de celui du pouvoir. Les mécanismes organisationnels dont le CA ne sont plus analysés en fonction de leur influence sur la création de valeur, mais en tant que vecteurs visant à renforcer ou à réduire le pouvoir, celui-ci s'appréciant en termes de capacité à contrôler les ressources. Cette vision du CA par la théorie de la dépendance envers les ressources est cependant différente de celle proposée par les théories de la gouvernance (contractuelles ou stratégique). Dans les théories de la gouvernance, le CA représente un organe permettant soit de réduire les pertes de valeur dues aux conflits d'intérêts entre les différents partenaires, soit de créer de nouvelles opportunités ; les configurations permettant, comparativement, de créer le maximum de valeur étant supposées survivre. En revanche, dans la théorie de la dépendance envers les ressources, le conseil n'est qu'un moyen de réduire le pouvoir externe, ce dernier cherchant à extraire le maximum de rentes. La relation entre la composition du CA et les choix stratégiques peut également s'expliquer à partir de la fonction de contrôle attribuée au CA, c'est-à-dire sans faire appel à l'apport cognitif des administrateurs. Ainsi par exemple, Baysinger et Hoskisson (1990) tentent d'établir un lien entre les types de stratégies suivies, en matière de diversification et de recherche et développement, et la nature des contrôles effectués par les administrateurs. Les administrateurs externes auraient tendance à privilégier les contrôles fondés sur des indicateurs financiers et les administrateurs internes, à recourir aux indicateurs de nature stratégique.

II-2-2 Le CA et définition de la stratégie

L'intégration des considérations stratégiques au sein des théories de la gouvernance ne se fait pas uniquement dans la perspective défensive, une conception plus dynamique de l'efficience conçoit la gouvernance comme devant aider à construire des stratégies

permettant de créer de la valeur de façon durable. Dans cette perspective proactive, qui emprunte aux théories cognitives de la firme - Celles-ci regroupent notamment la théorie comportementale de la firme inspirée des travaux de Simon (1947) et de Cyert et March (1963), la théorie évolutionniste de Nelson et Winter (1982) et les théories des ressources et des compétences issues des recherches de Penrose (1959) - le CA se voit attribuer un rôle dans la production de nouvelles opportunités ; il contribue au processus d'innovation. Les théories cognitives de la firme accordent une importance à la création interne de connaissance, issue de l'apprentissage organisationnel, ainsi qu'aux phénomènes de vision et d'attention. Certaines d'entre elles, notamment Prahalad et Hamel (1990) et Teece, Pisano et Shuen (1997) sont centrées sur la construction de compétences, sur la capacité de la firme à innover, à créer leurs opportunités d'investissement et à modifier leur environnement. C'est dans ce sillage que, Lazonick et O'sullivan (1998), dans la cadre de leur réflexion sur la firme innovatrice, analysent le système de gouvernance en fonction de sa capacité à encourager les stratégies de développement de l'apprentissage organisationnel. Cela les conduit à recommander que la CA comprenne des représentants de toutes les entités (organisations des salariés, institutions financières et de formation collectivités publiques...) qui peuvent démontrer qu'elles ont un intérêt direct à ce que la firme investisse pour développer l 'apprentissage organisationnel.

II-2-3 Les prédictions de la théorie cognitive du CA

Relativement peu d'études concernant directement le CA découlent des approches stratégiques (défensive et offensive) de la gouvernance. Elles apportent cependant une nouvelle justification du CA dont le rôle serait également de faciliter le développement des compétences et d'aider à la construction de nouvelles options stratégiques. Une telle perspective conduit à des prédictions différentes de celles issues de la perspective contractuelle traditionnelle. Ainsi, une question telle que celle de la composition du CA reçoit une réponse originale.

Si dans la perspective financière, la performance dépend du contrôle du dirigeant par le CA qui, en conséquence devrait être composé très majoritairement d'administrateurs indépendants, dans la perspective stratégique cognitive, le CA doit être composé en

priorité des administrateurs pouvant contribuer au mieux à la création de compétences dynamiques et aider le dirigeant à concevoir une vision facilitant l'apprentissage organisationnel. Les qualités demandées aux administrateurs ne se conçoivent plus alors en termes d'indépendance et d'expertise en matière de contrôle, selon la distinction interne/externe, mais en fonction des contributions cognitives pouvant s'intégrer dans un projet collectif. Ace titre, le critère de diversité du conseil prend le pas sur celui d'indépendance. Goodstein, Gautam et Boeker (1994) montrent ainsi que la diversité des membres du CA a un effet significatif sur les changements de stratégie dans les environnements turbulents ; inversement, la proportion d'administrateurs externes n'a pas d'effet significatif sur l'importance de ces changements.

Le CA, bien que faisant l'objet d'une forte attraction de la part de milieux professionnels, demeure cependant assis sur de fortes bases théoriques. Aussi, le courant contractuel le présente comme un mécanisme devant participer à la réduction des coûts d'agence résultant d'éventuels conflits d'intérêts entre les dirigeants et les autres parties prenantes, tandis que pour le courant cognitif ou stratégique, le conseil doit faciliter le développement de stratégies conduisant à la création de valeur. Il faut cependant noter que les théories du CA doivent être présentées, mieux elles l'ont été, comme des aspects particuliers des théories de la gouvernance qui ont connu un renouvellement important ces dernières années. Ce renouvellement favorisé par exemple par le caractère immatériel de la nouvelle économie, le rôle fondamental qu'y jouent l'innovation et la connaissance a par conséquent conduit à reconsidérer la fonction du CA.

Il semble que la fonction de discipline des dirigeants associée au CA dans la conception traditionnelle reste insatisfaisante ; elle doit évoluer pour s'adapter aux nouvelles configurations organisationnelles et aux nouveaux schémas de création de valeur. Une théorie du CA doit prendre en compte les deux rôles, fondamentaux et indissociables, de cet organe, surveillance certes, mais également aide, sinon guide à la création de valeur. Enfin, les théories du CA et de la gouvernance, pour être pertinentes, doivent également rendre compte de la diversité du CA sur le plan

international. A ce titre, il semble difficile de faire abstraction des cadres institutionnels spécifiques à chaque nation et qui conditionnent fortement les différents systèmes nationaux de gouvernance.

Chapitre PV

Les déterminants du conseil d'admnistration et leur impact sur la
gestion des entreprises publiques camerounaises

Le gouvernement d'entreprise est une réponse, mieux une riposte à l'opportunisme des dirigeants qui a pour conséquence la gestion déficiente des entreprises. On peut citer plusieurs exemples qui corroborent ce point de vue ; les plus présents à l'esprit sont cependant la chute d'Enron aux Etats-Unis, Vivendi, crédit lyonnais et Eurotunnel ayant remis en cause la gestion pratiquée par ces dirigeants respectifs.

Cette situation n'est pas l'apanage des seuls pays industrialisés, elle se rencontre urbi et orbi, c'est d'ailleurs le cas pour les entreprises camerounaises et particulièrement pour celles relevant du secteur public.

En effet, les choix stratégiques de dirigeants de ces entreprises relèvent plus souvent des aspirations et de l'intérêt personnels que de celui des autres parties prenantes ; citons à cet effet la situation que vit la société MATGENIE56.

En admettant que le GE, à travers les mécanismes qu'il développe, permet d'assurer l'orientation des décisions des dirigeants vers l'intérêt de l'entreprise, il reste que l'on ne voit pas, de manière directe, comment ces mécanismes agissent sur la performance de l'entreprise.

C'est ce à quoi nous voulons arriver dans ce chapitre, à partir d'un échantillon d' entreprises publiques camerounaises.

De prima abord, il faut préciser que le mécanisme qui fera l'objet de l'analyse est le CA (pour la simple raison que non seulement dans la littérature il est le plus important mais aussi parce que les autres mécanismes ne sont pas fonctionnels au Cameroun). Quels sont les déterminants du CA qui agissent sur la performance des entreprises publiques camerounaises ? Pour répondre à ce questionnement, nous présenterons les variables du CA faisant l'objet d'études pour expliquer les performances des ebtreprises (section I) ; par la suite nous allons mesurer l'impact de ces différentes caractéristiques sur la performance (section2) des entreprises retenues pour l'analyse.

56 On y rencontre actuellement un mouvement de grève dû au refus par le dirigeant de mettre en oeuvre les décisions prises lors du conseil d'administration.

I- Les facteurs explicatifs du conseil d'administration

Ces variables résultent en grande partie de la structure de propriété des entreprises. En effet, les caractéristiques du conseil sont endogènes, la répartition du capital et la performance des sociétés sont deux facteurs explicatifs de la composition du conseil.

I-1 La structure de propriété comme mode de contrôle des dirigeants

Comme déjà évoqué plus haut, les relations entre les principaux et les agents sont très souvent empruntes de conflits, c'est dans ce sillage que les auteurs de la théorie de l'agence et ceux du GE en général (Charreaux, 1997 ; Shleifer et Vishny, 1997) supposent que la structure de propriété peut être un moyen de contrôle efficace lorsque certaines conditions sont présentes.

I-1-1 La concentration du capital

Berle et Means en 1929 arrivaient déjà à la conclusion fondamentale selon laquelle la forte dispersion du capital existant dans les entreprises de leur échantillon57 conduit les dirigeants à annihiler la fonction de contrôle revenant aux actionnaires, et ils pourraient alors poursuivre des objectifs contraires à ceux des propriétaires. Dans ce contexte, la concentration du capital devient un élément favorable à l'exercice d'un contrôle efficace par les actionnaires (Jensen, 1990 ; Bethel, Liebeskind, 1993 ; Agrawal, Knoeber, 1996 ; Bethel et alii., 1998).

Dans une firme dont l'actionnariat est très dispersé, un actionnaire seul n'est pas incité à engager des ressources (du temps ou des fonds) pour exercer un contrôle sur la gestion, car il sera seul à supporter le coût de l 'investissement alors que l 'ensemble des propriétaires de la firme ou des partenaires bénéficiera de cette action.

En revanche, un actionnaire possédant une part significative du capital de l'entreprise est fortement incité à investir dans le contrôle de la gestion de la firme, car il s'appropriera une part non négligeable des bénéfices supplémentaires ainsi réalisés (Mtanios et Paquerot, 1999).

57 En effet, l'étude de Berle et Means porte sur la dispersion du capital des 200 plus grandes firmes américaines. Dans 45% des entreprises qu'ils étudient (soit 90 entreprises), aucun actionnaire, pris individuellement, ne détient plus de 5% du capital.

Un autre moyen de contrôle à travers la structure de propriété est la détention en quantité importante des droits de vote pour influencer les dirigeants et éventuellement convaincre d'autres actionnaires en cas d'opposition de ceux-ci avec la direction de l' entreprise.

Les résultats des études empiriques menées sur la concentration du capital font apparaître dans l'ensemble une influence positive de la présence d'actionnaires majoritaires sur la performance des firmes (Shleifer et Vishny, 1986 ; Shivdasani, 1993 ; Bethel et Liebeskind, 1993 ; Agrawal et Knoeber, 1996).

I-1-2 La nature de l'actionnariat

Les actionnaires ne sont pas censés agir de la même manière sur la gestion de leur entreprise. En effet, certains actionnaires sont supposés plus efficaces car ils présentent des caractéristiques qui leur permettent, soit d'accéder à l'information sur l'entreprise de façon plus efficiente, soit d'être contraints de gérer leurs participations dans le capital de l'entreprise de façon optimale.

A- Les actionnaires dirigeants

Trois conceptions apparaissent sur ce point dans la littérature (Charreaux, 1997).

Dans la thèse de la convergence des intérêts, la détention par les dirigeants d'une part du capital constitue une excellente incitation à gérer l'entreprise conformément à l'intérêt des actionnaires (Berle et Means, 1932 ; Jensen et Meckling, 1976 ; Cole et Mehran, 1998). Plus la part de capital détenue par les dirigeants est importante, plus les divergences d'intérêts entre les actionnaires et les dirigeants sont faibles (Mtanios et Paquerot, 1999). La rémunération des dirigeants sous forme de stock-options est destinée à réduire les divergences d'intérêts entre les propriétaires de la firme et la technostructure58 (Mehran, 1995).

58 Nous devons cette expression désignant l'appareil collégial de décision dans une entreprise qu'est la direction à Galbaith J.K (1967).

La thèse de l 'enracinement : en dotant la technostructure d'une fraction importante du capital de la firme, elle peut en utilisant les droits de vote y afférant s'enraciner.

La thèse de la neutralité : Demsetz (1983) argue que toutes les structures de propriété sont équivalentes. Pour lui, la performance des firmes est essentiellement contrainte par l'environnement et les conditions d'exploitation de l'entreprise. L'étude de Demsetz et Lenh K. (1985) confirme l'absence de lien entre la performance de l'entreprise et la concentration du capital. Dans le même ordre d'idée, Holderness C. et Sheehan D. (1998) montrent q'il n'existe aucune différence de performances entre les firmes à capital diffus et celles dont le capital est détenu par un actionnaire majoritaire.

B- Les investisseurs institutionnels (Zinzins59)

Nous distinguerons les institutionnels financiers et les autres institutionnels.

1- Les institutionnels financiers

Grâce à leur facilité d'accès à l'information, supposée par la théorie de l'agence, les actionnaires financiers notamment les banques (ce mode de financement est très présent au Japon) exercent un contrôle plus efficace sur la gestion de la firme (Mtanios et Paquerot, 1999). Leur position privilégiée leur permet d'accéder à des informations sur l'entreprise, ses concurrents et son secteur d'activité. Ils peuvent de ce fait mieux apprécier les performances des dirigeants, en les comparant notamment à celles des autres entreprises du secteur pour lesquelles ils possèdent des informations. Ils peuvent également traiter l'information financière et économique à leur disposition à moindre coût. Ils disposent de spécialistes capables d'analyser finement les comptes de l'entreprise, ses perspectives de développement ainsi que la qualité de sa gestion. Enfin leur participation au capital de la firme (prêts bancaires et autres types de crédits) est généralement importante d'où une forte incitation de leur part à contrôler la gestion de leurs intérêts (Carney W.J., 1997).

59 Expression utilisée pour désigner les investisseurs institutionnels. Cf. « Le gouvernement d'entreprise » in Revue d'économie financière, Vol. 3, n° 63, 2000, p.3

2- Les autres institutionnels

C'est généralement les fonds de pension et les sociétés de capital risque. Ce sont des actionnaires influents en raison de l'importance de leurs moyens financiers, ce qui les rend actifs dans le contrôle de la gestion de la firme (Smith, 1996 ; Bathala et alii., 1994 ; Mtanios et Paquerot, 1999). Ils peuvent de ce fait influencer les dirigeants pour les obliger à accroître la performance de la firme pour montrer leur mécontentement et ne pas vendre leurs actions à perte (Carleton et alii., 1998). Ils réalisent des placements pour le compte d'actionnaires ou de sociétaires exigeants, lesquels sont supposés exercer un contrôle plus strict de la gestion de la firme dans laquelle ils investissent, en occupant des sièges au CA et en investissant dans la recherche et le traitement de l 'information.

I-2 Les performances de l'entreprise

Les caractéristiques du CA sont également influencées par le niveau de performance de l'entreprise considérée. C'est l'exemple en effet des sociétés peu performantes faisant l'objet des prises de contrôle. Les cibles d'offres publiques, de LBO (Leverage buy-out) ou de contestations de minoritaires, ayant pour incidence une certaine concentration du capital, portent fréquemment sur des sociétés faiblement performantes (Godardd L. et Schatt A., 2000)60. On démontre alors que l'évolution des des performances explique l'évolution des caractéristiques du conseil. Hermalin et Weisbach (1988) montrent que la probabilité d'ajouter un membre indépendant au conseil, au détriment d'un membre interne augmente quand une entreprise est peu performante. Denis et Sarin (1999), Pearce et Zahra (1992) et Hermalin et Weisbach (1991) parviennent aux mêmes conclusions à travers la définition des situations dans lesquelles la performance exerce une influence significative sur la composition du conseil.

D'autres études mettent en évidence le rôle plus important joué par les créanciers, en particulier les banques, quand la performance de la firme se détériore et lorsque les créanciers deviennent plus incertains (Kaplan, 1994).

60 Pour plus de détails sur ces travaux, se référer à Charreaux et Pitol-Belin (1990), Godard (1996) et Schatt (1995).

Figure IV-1 Interaction entre les facteurs explicatifs des variables du CA

Performance des (1) Répartition du

entreprises capital

Caractéristiques du CA

(3) (2)

Source: Godard L., Schatt A., (2000)

II- Les déterminants du CA influençant la performance des entreprises publiques camerounaises

L'objectif poursuivi dans cette partie consiste à identifier, par le biais des données collectées sur le terrain, les variables du conseil qui ont un impact sur la gestion des entreprises publiques camerounaises. Avant de présenter l'approche méthodologique et les résultats obtenus, nous présenterons de prime abord les différentes variables objet de l'étude sur le CA.

II-1 Les variables de l'étude sur les CA

Le GE identifie plusieurs critères se rapportant au CA et qui ont une incidence sur son efficacité. Il s'agit principalement de la taille du conseil, de la présence des employés au conseil ainsi que de celle des administrateurs externes et/ou indépendants.

II-1-1 La taille du CA

Elle fait référence au nombre d'administrateurs siégeant au conseil. La taille du CA peut influencer la performance de l'entreprise.

Certains chercheurs justifient la présence pour un conseil composé d'un nombre important d'administrateurs par le fait que ces derniers sont capables de surveiller le

comportement des dirigeants dans la mesure où il est difficile pour ces derniers de dominer un conseil composé d'un nombre important d'administrateurs61.

Le nombre élevé d'administrateurs, possédant des connaissances spécifiques, sont à l'origine de transactions favorables grâce à une coordination accrue entre les entreprises, à une réduction des coûts de transaction et à un accès facile à l'expertise.

Figure IV-2 Taille des CA camerounais

mutuelle en vue de réduire les comportements opportunistes des dirigeants. Aoki, Williamson et Smith proposent de résoudre les problèmes issus de l'asymétrie d'information et les coûts qui en découlent par la présence des employés dans le conseil d'administration. Si la valeur de leur capital humain est élevée et s'ils réalisent des investissements spécifiques, le contrôle des employés sera exercé efficacement sur le dirigeant. Franks et Mayer (1992) notent que les places accordées aux employés au conseil d'administration ou de surveillance leurs permettent de sauvegarder leur investissement en capital humain spécifique.

II-1-3 Les administrateurs externes

Les avis divergent quant à la définition des caractéristiques devant servir à qualifier un administrateur d'externe. Cependant, de manière générale un administrateur externe n'est pas actionnaire ou ancien responsable dans l'entreprise, ce ne doit pas être non plus un important fournisseur ou un gros client ; bref il ne doit pas avoir de relations contractuelles significatives avec l'entreprise. Ils sont supposés jouer un rôle plus important que les administrateurs internes dans le contrôle des dirigeants. Selon Fama (1980), la probabilité de collusion des hauts responsables et de leur expropriation de la richesse des actionnaires pourrait diminuer, et la viabilité du conseil renforcée, par la présence d'administrateurs externes. Ces derniers pourraient être considérés comme étant des arbitres professionnels dont la tâche est de stimuler et de contrôler la concurrence parmi les hauts dirigeants de l'entreprise. Fama et Jensen (1983) avancent que les administrateurs externes vont contrôler les dirigeants qui les ont choisis, du fait qu'ils vont développer leur réputation en tant qu'experts dans le contrôle des décisions.

Les administrateurs externes au sein des
conseils camerounais

9%

85%

6%

0à6

7 à 10 11 et +

Figure IV-3 La représentation des administrateurs externes

II-2 Le cadre légal du CA dans les entreprises publiques camerounaises

Le conseil d'administration set composé de trois (3) membres au moins et de douze (12) au plus. Il comprend obligatoirement un représentant du personnel élu. A l'exclusion du représentant du personnel, chaque actionnaire a droit à une représentation proportionnelle au nombre d'actions qu'il détient. Le conseil élit son président parmi ses membres en dehors des représentants de l'administration de tutelle, à la majorité des deux tiers (2/3) des membres présents ou représentés.

Pour ce qui est de la fonction d'administrateur, il faut signaler que c'est une fonction gratuite (article 40, loi n° 99/016) ; l'administrateur peut cependant bénéficier d'indemnités de session et du remboursement des dépenses occasionnées par les sessions du CA, sur présentation des pièces justificatives.

Le CA a les pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de l'entreprise. En particulier et sans que cette énumération soit limitative, le CA a le pouvoir :

a) de fixer les objectifs et d'approuver les programmes d'action conformément aux objectifs globaux du secteur ;

b) d'approuver le budget et d'arrêter de manière définitive les comptes et les états financiers annuels ;

c) d'approuver les rapports d'activité ;

d) d'adopter l'organigramme, le règlement intérieur, le barème des salaires et les avantages du personnel proposés par le directeur général ;

e) de recruter et de licencier le personnel d'encadrement, sur proposition du directeur général.

Pour ce qui est de son fonctionnement, il se réunit au moins deux (2) fois par an en session ordinaire, dont une (1) fois pour le vote du budget et une (1) fois pour arrêter les états financiers et examiner la marche des activités de l'entreprise. Les convocations sont faites par télex, télégramme, télécopie ou par tout autre moyen laissant des traces écrites, adressée aux membres quinze (15) jours au moins avant la date prévue pour la réunion.

Quels sont parmi ces facteurs ceux qui exercent une influence significative sur la performance des entreprises publiques camerounaises ?

II-3 Approche méthodologique

Elle va s'articuler autour de la présentation des variables retenues, l'échantillon sur lequel a portée l 'étude, la technique statistique utilisée et enfin la présentation et l'interprétation des résultats.

II-3-1 Les variables de l'analyse

Aidés par la littérature, nous avons défini un ensemble de variables dont nous avons observé l'évolution dans les individus de notre échantillon. Il s'agit des variables suivantes :

Variables quantitatives

TCON : Taille du conseil d'administration, elle est appréciée grâce au nombre d'administrateurs siégeant au conseil ;

NADE : Nombre des administrateurs externes ;

NREC : Nombre de réunions du conseil d'administration ;

DURE : Durée des réunions ;

REEX : Résultat d'exploitation ;

ACTO : Actif total ;

REAC : Rentabilité des actifs, c'est le ratio REEX / ACTO ;

VAJO : Valeur ajoutée.

Les quatre dernières variables ont été ajoutées à l'analyse pour tenir compte de la relation triptyque entre performance des entreprises, répartition du capital et caractéristiques du conseil d'administration.

Variables qualitatives

Elles sont les plus nombreuses et sont principalement liées aux modalités que prennent les conseils d'administration dans les différentes entreprises qui nous ont servi de cadre d'analyse.

SEPA : Elle indique si les fonctions de président du conseil sont assurées ou non par le ministre de tutelle de l' entreprise considérée63. C' est une variable binaire qui prend la modalité 1 s'il y'a séparation des fonctions et 0 sinon.

REPR : Elle renseigne sur la représentation des employés non-actionnaires au conseil d'administration, elle prend la valeur 1 s'il existe au moins un employé dans le conseil d'administration et 0 autrement.

FORM : Formation initiale de l'administrateur. Variable à deux modalités, elle prend la valeur 1 si le cursus scolaire et/ou universitaire de l'administrateur correspond au secteur d'activité dans lequel exerce l'entreprise dont il est administrateur et 0 si non.

EXPE (Expérience) : Elle renseigne sur l'ancienneté de l'administrateur dans ses fonctions. Elle va prendre la valeur 1 si l'administrateur est à son tout premier mandat et 0 si ce n'est pas le cas.

CEXP (Cabinet d'expertise) : Cette variable vise à vérifier la fiabilité de l'information mise à la disposition des administrateurs pour décider. Cette information est supposée beaucoup plus fiable si elle a l'aval d'un cabinet d'expertise, elle prendra la valeur 1 au cas où le conseil a un partenariat avec un cabinet et 0 si non.

PRCC : Elle renseigne sur la présence ou non de créanciers au conseil, elle prend la valeur 1 s'il existe au moins un créancier au conseil et 0 si non.

63 Il faut dire à ce propos que la loi sur les entreprises du secteur public et parapublic interdit ce cumul (voir article 19 de la loi n° 99/016), cependant il existe dans la pratique de nombreux cas où ce cumul existe.

AMMA (Administrateur multimandaté) : Elle renseigne sur l'existence des participations croisées64, elle prend la valeur 1 s'il existe au moins un administrateur ayant plus d'un mandat d'administrateur et 0 si non.

IPAC : Identité du principal actionnaire, elle vise à faire ressortir l'influence de la structure de propriété sur le conseil. Elle prend la valeur 1 si le principal actionnaire est l'Etat et 0 si non.

CHAD : Changement de dirigeant, elle vise à évaluer le pouvoir du conseil sur les dirigeants. C'est une variable à deux modalités qui prend la valeur 1 si le conseil a déjà révoqué un dirigeant et 0 si non.

REDI (Rémunération des dirigeants) : Elle détermine l'implication du conseil dans la fixation de la rémunération des dirigeants, elle prend la valeur 1 si c'est le cas et 0 si c'est le contraire.

NDEC (Nature des décisions) : Elle détermine l'implication du conseil dans la définition de la stratégie de l'entreprise, elle prend la valeur 1 si le conseil prend des décisions de nature stratégique et 0 si ce n'est pas le cas.

CONS (Consensus) : Elle mesure le degré de consensus dans la prise de décision, elle prend la valeur 1 si les décisions se prennent à l'unanimité et 0 si c'est autrement.

Il s'agira d'apprécier le poids de chacune de ces variables sur les performances des entreprises publiques camerounaises.

64 Nous faisons référence ici aux administrateurs pouvant détenir des mandats d'administrateurs dans plusieurs sociétés. Selon ce principe, une firme A et une firme B peuvent être connectées sans qu'aucun des administrateurs de l'une ne siège au conseil de l'autre si chacune des firmes a un administrateur siégeant au conseil d'une firme C.

II-3-2 Constitution et description de l'échantillon

L'étude que nous avons mené porte sur un échantillon de 34 entreprises relevant du secteur public et parapublic camerounais. C'est un échantillon qui a été constitué sur la base du fichier des entreprises publiques disponibles au MINFIB, plus précisément à la cellule du suivi des entreprises publiques. A partir donc de ce fichier, on sélectionné 60 entreprises publiques. Cependant, seules 34 ont pu nous restituer toutes les informations sur l'ensemble des variables.

II-3-3 Méthode statistique

Au détour de la revue de la littérature, nous avons identifié un assez grand nombre de variables (20) liées au CA et susceptibles d'influencer la performance des entreprises. Face à ce grand nombre de données et leur multi variété, nous avons opté pour une analyse en correspondances multiple (ACM) afin de déterminer celles qui peuvent significativement contribuer à expliquer la performance. Cette méthode s'articule autour de deux principaux axes.

A- L'analyse des composantes principales (ACP)

Elle permet de résumer l'information apportée par un grand nombre de variables, par un nombre plus restreint de variables nouvelles. La plupart des variables étant liées entre elles, cette méthode consiste à concevoir à partir d'un tableau « individusvariables >>, en réduisant le nombre de variables nécessaires pour décrire les individus, tout en perdant le moins d'information.

En effet, un individu est parfaitement décrit, du point de vue de l'optique de l'étude, par des valeurs qu'il prend pour les p variables. De même, une variable est définie par les n valeurs correspondant à sa distribution. Un individu peut alors être identifié par un point d'un espace géométrique à p dimensions tandis qu'une variable est représentée par un point d'un espace à n dimensions. L'ensemble des individus (ou des variables) forme un nuage de points. Comme il est difficile d'avoir une vision correcte d'un espace à plusieurs dimensions (20 par exemple), l'ACP permet une réduction de la dimension de ces espaces afin de les rendre plus « lisibles >> tout en perdant le moins d'information possible.

La méthode consiste alors à déterminer des axes optimum sur les quels seront projetés les individus et les variables. Les axes factoriels (ou composantes principales) obtenus représentent des combinaisons linéaires des variables d'origine. Ils ont l'avantage de ne pas être corrélés entre eux contrairement aux variables. Ils peuvent être hiérarchisés : le premier facteur explique le mieux la variabilité des données initiales, le second explique le mieux la variabilité du résidu non pris en compte par le premier axe et ainsi de suite.

B- L'analyse factorielle des correspondances (AFC)

Lorsqu'on recueille des données qualitatives pour un nombre important de variables et d'individus, celles-ci peuvent se présenter sous la forme d'un tableau individusvariables : les cases du tableau sont remplies de 0 et de 1 selon que l'individu possède ou pas la modalité correspondante (tableau binaire ou disjonctif complet). L'AFC permet d'exprimer sous forme graphique pertinente et facilement interprétable (croisement de deux variables qualitatives) et que l'on appelle tableau de contingence. L'AFC cherche ainsi à représenter, à l'aide d'axes communs, les nuages des individus et des variables d'une manière simplifiée. Travaillant sur les deux nuages en même temps, l'AFC permet de situer les individus (ou madalités-lignes) et les variables (ou modalités-colonnes) dans le même espace par rapport aux mêmes axes. Il devient donc aisé d'établir les relations de proximité non seulement entre variables d'une part ou entre individus d'autre part, mais aussi entre les premiers et les seconds.

II-3-4 Analyse des résultats

A- Présentation des résultats

Les résultats présents ont été obtenus grâce aux logiciels SPAD (version 3.21) et SPSS (version 10.0).

1- Examen des taux d'inertie

A partir de cet examen, on détermine les axes significatifs (optimum) pour l'analyse. Pour ce faire, on retient les axes dont la contribution à l'inertie totale est importante.

Dans le cadre de note recherche, l'histogramme des valeurs propres permet de dire que les trois (3) premiers facteurs sont significatifs pour opérer une interprétation.

Tableau IV-1 Histogramme des valeurs propres

HISTOGRAMME DES 33 PREMIERES VALEURS PROPRES

+ + + + + +

| NUMERO | VALEUR | POURCENT. | POURCENT. | |

| | PROPRE | | CUMULE | |

+ + + + + +

| 1

| 0.5609

| 8.12

| 8.12

| ********************************************************************************

|

 

| 2

| 0.4771

| 6.91

| 15.02

| *********************************************************************

|

| 3

| 0.4174

| 6.04

| 21.07

| ************************************************************

|

| 4

| 0.3875

| 5.61

| 26.67

| ********************************************************

|

| 5

| 0.3695

| 5.35

| 32.02

| *****************************************************

|

| 6

| 0.3602

| 5.21

| 37.24

| ****************************************************

|

| 7

| 0.3461

| 5.01

| 42.25

| **************************************************

|

| 8

| 0.3336

| 4.83

| 47.07

| ************************************************

|

| 9

| 0.2987

| 4.32

| 51.40

| *******************************************

|

| 10

| 0.2910

| 4.21

| 55.61

| ******************************************

|

| 11

| 0.2733

| 3.96

| 59.57

| ***************************************

|

| 12

| 0.2511

| 3.63

| 63.20

| ************************************

|

| 13

| 0.2467

| 3.57

| 66.77

| ************************************

|

| 14

| 0.2411

| 3.49

| 70.26

| ***********************************

|

| 15

| 0.2064

| 2.99

| 73.25

| ******************************

|

| 16

| 0.2001

| 2.90

| 76.14

| *****************************

|

| 17

| 0.1902

| 2.75

| 78.90

| ****************************

|

| 18

| 0.1842

| 2.67

| 81.56

| ***************************

|

| 19

| 0.1570

| 2.27

| 83.83

| ***********************

|

| 20

| 0.1498

| 2.17

| 86.00

| **********************

|

| 21

| 0.1247

| 1.80

| 87.81

| ******************

|

| 22

| 0.1210

| 1.75

| 89.56

| ******************

|

| 23

| 0.1123

| 1.63

| 91.18

| *****************

|

| 24

| 0.1046

| 1.51

| 92.70

| ***************

|

| 25

| 0.0974

| 1.41

| 94.11

| **************

|

| 26

| 0.0816

| 1.18

| 95.29

| ************

|

| 27

| 0.0775

| 1.12

| 96.41

| ************

|

| 28

| 0.0657

| 0.95

| 97.36

| **********

|

| 29

| 0.0582

| 0.84

| 98.20

| *********

|

| 30

| 0.0563

| 0.81

| 99.02

| *********

|

| 31

| 0.0469

| 0.68

| 99.70

| *******

|

| 32

| 0.0211

| 0.30

| 100.00

| ****

|

| 33

| 0.0000

| 0.00

| 100.00

| *

|

+ + + + + +

Source: construction de l'auteur à partir de SPAD.

Par ailleurs, la courbe qui représente la décroissance des valeurs propres de rangs consécutifs est également riche d'enseignements.

Figure IV-4 Courbe des valeurs propres

Scree Plot

3.0

2.5

2.0

1.5

1.0

.5

0.0

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Component Number

En examinant la décroissance de cette courbe (pour ce qui est des onze premiers axes) et en repérant les infléchissements correspondant aux plus fortes accélérations de la baisse, on peut déterminer au niveau de quel axe factoriel s'effectue le passage des composantes majeures du phénomène étudié à celles qui sont secondaires puis à celles qui sont négligeables.

Pour notre cas, la figure TV-1 renseigne que les trois (3) premières valeurs propres sont assez proches et que la courbe est marquée par une très forte accentuation de la baisse lorsqu'on passe à la quatrième valeur propre.

Cela conduit ainsi à considérer que les trois premiers facteurs expriment à eux seuls les dimensions majeures du phénomène ; incitant à privilégier l'examen du premier plan factoriel.

2- La matrice des corrélations

Elle fournit le degré de liaison entre les variables de l'étude. Rappelons que l'objet de l'analyse est de déterminer de nouvelles variables moins corrélées et expliquant le phénomène étudié.

Tableau IV-2 Matrice des corrélations des variables

 

TCON

NADESEPA

REPR FORM

EXPE

CEXP

NREC

PRCC AMMA

IPAC

Correlation TCON

1,000

,399 -,152

-,076

-,112

-,217

,274

,042

,186

,173

,275

NADE

,399

1,000 ,032

,281

,090

-,077

-,101

,077

-,288

-,141

,101

SEPA

-,152

,032 1,000

,216

,033

,078

,070

,122

-,052

-,124

-,487

REPR

-,076

,281 ,216

1,000

-,072

-,150

-,441

-,009

-,239

-,259

,168

FORM

-,112

,090 ,033

-,072

1,000

,710

,306

,267

,442

-,186

-,211

EXPE

-,217

-,077 ,078

-,150

,710

1,000

,229

,204

,343

-,025

-,316

CEXP

,274

-,101 ,070

-,441

,306

,229

1,000

-,096

,435

,101

-,170

NREC

,042

,077 ,122

-,009

,267

,204

-,096

1,000

,156

-,335

,080

PRCC

,186

-,288 -,052

-,239

,442

,343

,435

,156

1,000

,130

-,123

AMMA

,173

-,141 -,124

-,259

-,186

-,025

,101

-,335

,130

1,000

-,063

IPAC

,275

,101 -,487

,168

-,211

-,316

-,170

,080

-,123

-,063

1,000

Sig. (1- TCON tailed)

 

,011 ,199

,336

,267

,113

,061

,408

,150

,168

,061

NADE

,011

,429

,057

,310

,335

,288

,335

,052

,217

,288

SEPA

,199

,429

,114

,427

,332

,349

,250

,388

,245

,002

REPR

,336

,057 ,114

 

,346

,202

,005

,481

,090

,073

,175

FORM

,267

,310 ,427

,346

 

,000

,042

,066

,005

,150

,120

EXPE

,113

,335 ,332

,202

,000

 

,100

,127

,026

,445

,037

CEXP

,061

,288 ,349

,005

,042

,100

 

,298

,006

,288

,172

NREC

,408

,335 ,250

,481

,066

,127

,298

 

,193

,028

,330

PRCC

,150

,052 ,388

,090

,005

,026

,006

,193

 

,236

,248

AMMA

,168

,217 ,245

,073

,150

,445

,288

,028

,236

 

,363

IPAC

,061

,288 ,002

,175

,120

,037

,172

,330

,248

,363

 

Source: construction de l'auteur à partir de SPSS.

3- Interprétation des résultats

Dans cette phase il convient de donner des noms aux axes retenus pour l'analyse. On s'appuiera sur la fait que la coordonnée de la variable j sur l'axe factoriel e est égale au coefficient de corrélation entre cette variable initiale et la variable synthétique. Ces corrélations sont données dans le tableau qui suit, et les tableaux de description des facteurs.

Tableau IV-3 Corrélations des variables avec les axes*

CORRELATIONS ENTRE LES VARIABLES CONTINUES ET LES FACTEURS AXES 1 A 5

VARIABLES | CARACTERISTIQUES

|

CORRELATIONS

 

NUM .

(IDEN)

LIBELLE COURT | EFF.

P. ABS

MOYENNE

EC. TYPE | 1

2

3

4

5

| 3 .

(REAC)

Rentabilité des acti |

0

0.00

0.00

0.00 |

0.00

0.00

0.00

0.00

0.00

| 6 .

(TCON)

Taille du conseil d' |

11

11.00

1.73

1.91 |

-0.17

0.11

0.30

-0.04

0.48

| 7 .

(NADE)

Nombre d'administrat |

10

10.00

2.80

2.79 |

-0.38

0.23

0.17

0.73

-0.59

| 12 .

(NREC)

Nombre de réunions d |

26

26.00

3.85

3.37 |

0.09

0.15

0.20

-0.22

-0.07

| 19 .

(DURE)

Durée des réunions d |

17

17.00

3.12

2.95 |

-0.41

0.11

-0.31

0.05

-0.25

| 21 .

(ABST)

Absents ou represent |

14

14.00

3.57

3.35 |

0.57

0.15

-0.45

-0.15

-0.14

| 22 .

(VAJO)

Valeur ajoutée |

16

16.00

3.13

2.87 |

0.26

0.08

0.02

-0.33

0.12

+

 

+

 
 

+

 
 
 
 

* Elles ne sont fournies que pour les variables continues Source: construction de l'auteur à partir de SPAD.

Concernant les variables nominales, les tableaux de description des facteurs donnent une orientation quant à leur interprétation.

Tableau IV-4 Description des axes factoriels 1, 2, et 3

DESCRIPTION DES AXES FACTORIELS

DESCRIPTION DU FACTEUR 1 PAR LES MODALITES ACTIVES

+

| ID. | V.TEST | LIBELLE MODALITE | LIBELLE DE LA VARIABLE | POIDS | NUMERO

|

| 5_ | -2.83 | reponse manquante | Contrôle juridictionnel | 32.00 | 1

| 18_ | -2.33 | reponse manquante | Nature des décisions prises au conseil | 20.00 | 2

|

| ZONE CENTRALE

AF_1

| 2.56

| PRCC=1

| Présence de créanciers au conseil

| 3.00

| 98

AJ_6

| 3.30

| REDI=6

| Rémunération des dirigeants

| 3.00

| 99

AC_9

| 3.42

| REPR=9

| Représentation des employés au conseil

| 2.00

| 100

AI_1

| 3.58

| CHAD=1

| Changement de dirigeants

| 3.00

| 101

AF_3

| 3.58

| PRCC=3

| Présence de créanciers au conseil

| 2.00

| 102

AB_3

| 4.69

| SEPA=3

| Séparation des fonctions

| 1.00

| 103

AA_1

| 4.69

| COJU=1

| Contrôle juridictionnel

| 1.00

| 104

AK_3

| 4.69

| NDEC=3

| Nature des décisions prises au conseil

| 1.00

| 105

AD_9

| 4.71

| FORM=9

| Formation initiale de l'administrateur

| 4.00

| 106

AG_7

| 4.99

| AMMA=7

| Administrateur multimandaté

| 2.00

| 107

DESCRIPTION DU FACTEUR 2

PAR LES MODALITES ACTIVES

ID. | V.TEST | LIBELLE MODALITE | LIBELLE DE LA VARIABLE | POIDS | NUMERO

AD_4

| -4.67

| FORM=4

| Formation initiale de l'administrateur

| 2.00

| 1

AF_7

| -4.67

| PRCC=7

| Présence de créanciers au conseil

| 2.00

| 2

AJ_5

| -4.58

| REDI=5

| Rémunération des dirigeants

| 1.00

| 3

AI_5

| -4.58

| CHAD=5

| Changement de dirigeants

| 1.00

| 4

AK_8

| -4.26

| NDEC=8

| Nature des décisions prises au conseil

| 2.00

| 5

AC_4

| -3.23

| REPR=4

| Représentation des employés au conseil

| 3.00

| 6

AB_4

| -3.15

| SEPA=4

| Séparation des fonctions

| 3.00

| 7

AG_1

| -3.11

| AMMA=1

| Administrateur multimandaté

| 4.00

| 8

ZONE CENTRALE

DESCRIPTION DU FACTEUR 3 PAR LES MODALITES ACTIVES +

ID. | V.TEST | LIBELLE MODALITE | LIBELLE DE LA VARIABLE | POIDS | NUMERO

AI_6

| -3.31

| CHAD=6

 

| Changement de dirigeants

| 4.00

| 1

AJ_8

| -3.05

| REDI=8

 

| Rémunération des dirigeants

| 3.00

| 2

10_

| -2.91

| reponse

manquante

| Formation initiale de l'administrateur

| 15.00

| 3

AJ_2

| -2.90

| REDI=2

 

| Rémunération des dirigeants

| 2.00

| 4

AB_4

| -2.75

| SEPA=4

 

| Séparation des fonctions

| 3.00

| 5

AC_5

| -2.71

| REPR=5

 

| Représentation des employés au conseil

| 1.00

| 6

AE_1

| -2.71

| CEXP=1

 

| Partenariat avec un cabinet d'expertise

| 1.00

| 7

AF_2

| -2.56

| PRCC=2

 

| Présence de créanciers au conseil

| 3.00

| 8

AI_7

| -2.34

| CHAD=7

 

| Changement de dirigeants

| 2.00

| 9

AC_3

| -2.24

| REPR=3

 

| Représentation des employés au conseil

| 3.00

| 10

 

ZONE CENTRALE

| 20_ | 2.09 | reponse

manquante | Degré de consensus dans la prise de décision | 21.00 | 105

| AD_2 | 2.44 | FORM=2

| Formation initiale de l'administrateur | 5.00 | 106

| 16 | 2.55 | reponse

manquante | Changement de dirigeants | 16.00 | 107

_ +

 

Source: construction de l'auteur à partir de SPAD.

Remarquons que contrairement aux variables continues, on parle plutôt de poids pour apprécier la contribution d'une variable par rapport à un axe factoriel.

4- Interprétation des axes

Pour identifier la signification du e ième facteur, on dresse d'abord la liste des variables actives65 dotées d'un fort coefficient négatif avec cette composante. Puis on s'attache à définir de façon synthétique ce qui caractérise les individus qui ont de fortes valeurs pour l' ensemble des variables recensées.

On procède de la même manière avec les variables actives possédant un fort coefficient de corrélation positif avec la composante à interpréter.

Quand il s'agira d'une variable nominale, on s'intéressera à son poids par rapport au facteur étudié.

Facteur 1

Variables actives fortement corrélées avec l' axe 1

Coeff. de corrélation négatif

Coeff. de corrélation positif

NADE : -0,38 DURE : -0,4 1

ABST : 0,57 VAJO : 0,26

PRCC : 3*

REDI : 3*

CHAD :3*

AMMA : 2*

FORM :4*

* Poids de variables qualitatives par rapport à l'axe. Source: Construction de l'auteur.

En étudiant la liste des variables corrélées négativement avec le premier axe, on voit que les entreprises qui ont une coordonnée nettement négative sur l'axe 1 ont tendance à donner une place moindre aux administrateurs externes (NADE) dans leurs conseils. La conséquence se fait ressentir quant à la durée des réunions (DURE) de tels conseils.

65 On oppose les variables actives (individus actifs) aux variables supplémentaires (individus supplémentaires). En effet, les secondes ne sont pas prises en compte dans la définition des facteurs, elles n'interviennent que pour prendre en compte des aspects indirects pouvant tout de même influencer le phénomène étudié.

Toutes ces entreprises axe ont manifestement en commun une composition sousoptimale de leurs conseils d'administration.

L'examen des coefficients de corrélation positifs indique que, dans l'ensemble, les entreprises qui ont une forte coordonnée positive avec l'axe n° 1 tendent à accorder une importance à une meilleure composition de leurs conseils. Cela est confirmé par le poids des variables PRCC, CHAD, AMMA et FORM.

Le premier facteur s'avère ainsi marqué par l'opposition entre une composition sousoptimale et une composition optimale du conseil d'administration.

Facteur 2

Variables actives fortement corrélées avec l'axe n° 2

Coeff. de corrélation négatif

Coeff. de corrélation positif

 

NADE : 0,23 NREC : 0,15 ABST : 0,15

Source: construction de l'auteur.

Le facteur deux (2) caractérise les entreprises dont le fonctionnement des conseils peut être jugé correct. Ce facteur sera donc relatif au processus du conseil d'administration donc à son mode de fonctionnement.

Facteur 3 (structure du conseil)

Variables actives fortement corrélées avec l'axe n° 3

Coeff. de corrélation positif

FORM : 15

Coeff. de corrélation négatif

La structure du conseil d'administration ayant un impact sur la performance

Au terme des opérations d'interprétation qui viennent d'être réalisées, il apparaît que l'on peut résumer l'impact des variables du CA sur la performance des entreprises publiques camerounaises à travers deux principaux déterminants du conseil d'administration. Il s'agit de sa composition et de son processus. La structure (faisant référence aux administrateurs) étant une composante intermédiaire.

Cette proposition est résumée dans le graphique qui suit.

Figure IV-3 Représentation des variables dans le premier plan factoriel

Source: construction de l'auteur à partir de SPAD.

II-3-5 La lecture des performances via le CA

Il s'agit de mesurer l'impact des variables retenues par notre analyse des données comme significatives sur les performances des entreprises de notre échantillon. Nous utiliserons des indicateurs financier et économique comme mesure de la performance.

1- Spécification du modèle utilisé

C'est une équation linéaire qui servira à mettre en exergue la relation variables du CA/performances de l'entreprise.

REACi=N0+N1TCONi+N2NADEi+N3NRECi+N4DUREi+N5IPACi+Pi [1]

VAJOi=N0+N1TCONi+N2NADEi+N3NRECi+N4DUREi+N5IPAC+Pi [2]

Le signe positif des coefficients est supposé par la littérature, les variables d'analyse ont été jugées prépondérantes par rapport aux autres par une analyse des données. Une fois le modèle spécifié, nous allons en estimer les coefficients.

2- Statistiques descriptives

Variables

Moyenne

Médiane

Ecart-type

Minimum

Maximum

Nombre d'observations

TCON

10,18

11,00

2,14

6,00

14,00

33,00

NADE

4,12

4,00

3,48

0,00

12,00

33,00

NREC

2,21

2,00

0,60

0,00

3,00

33,00

DURE

172,72

180,00

59,54

60,00

240

33,00

3- Estimation

Elle s'est faite à partir du logiciel EVIEWS 3.1. Les résultats sont les suivants.

- Equation [1]

Dependent Variable: REAC

Method: Least Squares

Date: 06/24/04 Time: 12:14

Sample: 1 33

Included observations: 33

White Heteroskedasticity-Consistent Standard Errors & Covariance

Variable

Coefficient

Std. Error t-Statistic

Prob.

C

76.33812

21.47455 2.914508

0.03685

TCON

0.145484

0.043899 3.037458

0.01704

NADE

-1.773225

0.636669 2.783722

0.04400

NREC

0.242750

0.123718 1.943951

0.02653

DURE

0.331567

0.271393 1.221722

0.02324

IPAC

0.819060

0.405964 2.035108

0.00723

R-squared

0.623438

Mean dependent var

13.281 52

Adjusted R-squared

0.538889

S.D. dependent var

59.771 63

S.E. of regression

60.92276

Akaike info criterion

11.22006

Sum squared resid

100212.7

Schwarz criterion

11.49215

Log likelihood

9.1309

F-statistic

13.76040

Durbin-Watson stat

1.795350

Prob(F-statistic)

0.058610

- Equation [2]

Dependent Variable: VAJO

Method: Least Squares

Date: 06/24/04 Time: 12:43

Sample: 1 33

Included observations: 33

White Heteroskedasticity-Consistent Standard Errors & Covariance

Variable

Coefficient

Std. Error t-Statistic

Prob.

C

1.1009

0.390009 2.799964

0.04310

TCON

3.3308

1.833338 1.83869

0.02884

NADE

- 1.8208

1.058258 1.71 280

0.02939

NREC

6.0372003

4.49E+08 2.134385

0.08941

IPAC

-1.0909

1.04E+09 1.50504

0.03032

DURE

2.216480

3946918 3.561573

0.05792

REAC

2049906

2100986 2.975688

0.03382

R-squared

0.592917

Mean dependent var

3.31 E+08

Adjusted R-squared

0.506667

S.D. dependent var

1 .89E+09

S.E. of regression

1 .88E+09

Akaike info criterion

45.73764

Sum squared resid

9.23E+19

Schwarz criterion

46.05508

Log likelihood

747.6710

F-statistic

11.03579

Durbin-Watson stat

2.305639

Prob(F-statistic)

0.042500

4- Interprétation des résultats des régressions

Notre étude conclue à une influence positive de la taille du CA (TCON), notamment une grande taille (41% des entreprises de l'échantillon ont un CA ayant au moins 13 administrateurs) sur la performance, tant financière qu'économique de l'entreprise. Les coefficients de cette variable (0,14 et 3,33 dans les équations [1] et [2]) sont tous significatifs au seuil de 5%. Les arguments en faveur de ce résultat peuvent être empruntés à la théorie de la dépendance envers les ressources. En effet, plus l'incertitude est grande, plus la prise de décision requiert des informations nombreuses et difficiles à obtenir. C'est à ce niveau là que le conseil de grande taille peut s'avérer nécessaire en ce sens qu'il se servira de la réputation de ses nombreux administrateurs. De plus, on supposera qu'un nombre élevé d'administrateurs est une présomption de nombreuses aptitudes et de compétences au profit de pareils conseils.

Cette approche peut cependant être relativisée par les réflexions sur les décisions des groupes. Dans cette optique, les avantages liés à une taille élevée du conseil seraient plus que compensés par les inconvénients liés au manque de consensus sur les décisions importantes. L'idée à la base est que les grands groupes présentent un plus grand potentiel au désaccord et au manque de cohésion (Brown et Mahoney, 1992 ; Bantel et Jackson, 1989).

L'effet positif de la présence des administrateurs externes (NADE) au conseil sur la performance de la firme est infirmé (-1,77 et -1,82) par notre recherche. En effet, la présence de membres externes indépendants est particulièrement importante parce qu'ils sont exclusivement guider par la protection des intérêts des actionnaires. Leurs intérêts personnels se résument à valoriser leur capital humain, fortement liés à leur réputation d'expert indépendant sur le marché des dirigeants.

La non confirmation de cette hypothèse pour les entreprises publiques camerounaises peut trouver explication dans ce que la plupart des administrateurs externes rencontrés dans les conseils ne présentent en réalité aucune réputation dans le secteur d'activité de leur entreprise. De plus, leurs compétences, quand il en existe, ne correspondent pas à celles exigées dans le secteur d'activité dans lequel ils exercent. Leurs autres

nombreuses occupations atténuent également l'importance de leur présence au sein des conseils.

Cependant, comme pour les entreprises tunisiennes (2003), le nombre (NREC) et la durée (DURE) des réunions des conseils d'administration des entreprises publiques camerounaises sont des facteurs qui influencent positivement les performances de celles-ci. Leurs coefficients dans les deux équations sont significatifs et sont respectivement 0,24 et 0,33 pour la première et 6,03 et 2,21 pour la seconde. Les entreprises dont les membres du conseil ne se réunissent que très peu et de manière laconique présentent des performances médiocres. En effet, les administrateurs portent très peu un regard de contrôle sur la gestion des dirigeants en place, la conséquence immédiate étant une prépondérance des coûts d'agence.

L'identité du principal actionnaire (IPAC) nous a servi de variable de contrôle.

Dans l'ensemble, les hypothèses formulées sont vérifiées. Les modèles utilisés sont globalement significatifs (R12=0,53 et R22=0,51) pour donner un sens à notre ajustement.

Au terme de ce chapitre, il convient de rappeler qu'il avait pour objectif de définir les caractéristiques du conseil d'administration ayant un impact sur la gestion des entreprises publiques camerounaises. Nous avons ainsi passé en revue l'ensemble des variables du conseil d'administration notamment pour ce qui est des entreprises publiques camerounaises retenues dans notre échantillon. Des exposés venant de la littérature sur le gouvernement d'entreprise et de l'analyse du cadre légal du conseil d'administration, nous avons recensé au total 20 variables. A près analyse de ces variables par l'étude des facteurs significatifs, on a pu aboutir à la conclusion que la composition, et le processus du conseil d'administration sont les deux aspects du conseil d'administration qui influence la performance des entreprises publiques camerounaises. Il convient de ce fait d'ajuster ces éléments dans l'intérêt de l'amélioration de la gestion de ces entreprises, gage de leur survie.

CONCLUSION PARTIELLE

Dans la première partie de notre recherche, on est arrivé à la conclusion que l'une des causes de la défaillance des entreprises publiques camerounaises était le conseil d'administration.

Ainsi, face à la multitude de variables caractérisant le conseil d'administration, on a essayé de déterminer celles qui influencent la plus la gestion de nos entreprises en particulier celles qui relèvent du secteur public. Pour ce faire, nous avons dans un premier temps analysé le cadre théorique du conseil d'administration. Il ressort de cette analyse que le conseil d'administration est un mécanisme de contrôle destiné à limiter l'opportunisme des dirigeants. C'est cette approche qui est retenue par le courant disciplinaire du conseil d'administration.

Le conseil d'administration peut aussi servir, surtout si on suppose avec l'approche cognitive des organisations que le conflit d'intérêts entre dirigeants et propriétaires n'est qu'apparent. Dans cette optique, le conseil d'administration peut aider à la création de compétences et d'opportunités notamment lorsqu'il intègre en son sein des administrateurs ayant des liens avec les autres acteurs de l'environnement.

C'est sur cette base qu'on s'est lancé à la recherche de certaines de ses variables qui auraient un impact sur la performance des entreprises.

Avec au départ une vingtaine de variables, nous avons procédé à une analyse en correspondances multiple et il ressort que la composition et le processus des conseils d'administration sont les éléments qui influencent la performance des entreprises publiques camerounaises.

Conclusion générale

Dans l'imagerie populaire et même chez certains scientifiques, le conseil d'administration n'est qu'une << fiction légale >> ; opinion d'autant plus renforcée quand il s'agit des entreprises publiques.

Nous avons donc tout au long de cette étude montrer que, le conseil d'administration - du moins pour ce qui est de certaines de ses caractéristiques - exerce une influence sur la performance de l'entreprise.

Pour ce faire, nous avons articulé notre propos autour de deux grands axes.

Le premier visait à dégager sur le plan théorique les éléments constitutifs de la gestion de l'entreprise publique. Une appréciation quant au contexte camerounais a aussi été proposée. Il en ressort que le système de gestion de l'entreprise public, même s'il doit avoir pour leitmotiv la << rationalité économique >>, il n'en demeure pas moins vrai que sa gestion est différente de celle des entreprises privées. L'une des principales raisons de cette différence réside notamment dans le fondement de la notion de service public qui caractérise au premier plan les entreprises publiques.

Nous verrons donc, pour ce qui est du cas camerounais que des entreprises publiques vont être créées pour palier l'insuffisance voire l'absence de l'initiative privée au lendemain de l'indépendance. L'Etat va ainsi s'impliquer dans la création d'entreprises, le but ultime étant principalement la relance de l'activité économique. Un gros arsenal juridique va suivre leur mise en oeuvre, mais cela ne sera pas suffisant pour garantir leur réussite. Le contexte de crise aidant, ces entreprises vont, pour la majorité d' entre elles, faire faillite.

Le deuxième volet de cette recherche s'est attaché à déterminer l'impact du CA sur l'amélioration de la gestion des entreprises publiques camerounaises. En effet, nous nous sommes demandés si la réadaptation de la gestion des entreprises publiques camerounaises pouvait se faire au détour d'un réaménagement des caractéristiques de leurs conseils d'administration. Nous avons répondu à cette préoccupation en examinant le poids des différentes caractéristiques du CA sur la performance d'une entreprise.

Cela a nécessité que l'on présente dans un premier temps le cadre théorique du conseil d'administration. Il est sous-tendu par le courant du gouvernement d'entreprise lequel est issu de la réflexion initiée quant à la limitation de l'opportunisme né de la relation d'agence entre les propriétaires de la firme et les décideurs de cette dernière.

Dans cette optique, le dirigeant ne serait pas un intendant fidèle, il est donc nécessaire de créer des systèmes d'incitation et de contrôle afin d'orienter les actions des agents, d'où la place du conseil d'administration.

Un autre aspect du conseil, notamment son rôle stratégique est dévoilé par l'approche cognitive des conflits entre principaux et agents. Il en ressort que le conseil est une source de création de compétences, sur le plan stratégique notamment.

Quel est donc son impact sur la performance ?

Pour répondre à cette question, nous avons défini un ensemble de variables lesquelles ont subies une analyse factorielle afin de déterminer les quelles d'entre elles agissent sur la performance des entreprises publiques.

Rendus à la fin de cette analyse, on retiendra que deux éléments majeurs, en l'occurrence la composition et les processus du conseil d'administration influencent les performances des entreprises publiques camerounaises.

Au regard de ce constat, nous proposons la création d'un comité de réflexion sur le gouvernement des entreprises publiques camerounaises et dont la principale mission consisterait à redéfinir les orientations du conseil d'administration notamment par rapport aux composantes les plus influentes en matière de gestion de ces entreprises.

Il faut dire tout de suite qu'une telle commission ne vise pas à modifier les textes légaux relatifs au CA ; nous pensons que la loi n° 99/0 16 du 22 décembre 1999 actuellement en vigueur est assez claire sure le rôle de cet organe. Elle devrait plutôt chercher les voies et moyens afin de rendre cette réglementation applicable.

C'est dans cette perspective que nous avons formulé les propositions suivantes :

Proposition n°1 : La création d'une agence des participations de l'Etat (APE) placée sous l'autorité directe du ministère des finances.

Proposition n°2 : Distinguer clairement le rôle d'actionnaire de l'Etat des autres fonctions qu'il remplit à l'égard des entreprises dont il détient une part du capital.

Proposition n°3 : La charge d'administrateur doit être une fonction principale et non auxiliaire comme c 'est le cas, et par conséquent elle doit être rémunérée.

Proposition n°4 : Réprimander l'exercice à la fois de président du conseil d'administration et de ministre de tutelle.

Proposition n°5 : Afin d'assurer l'efficacité des délibérations au conseil, limier à 10 le nombre d'administrateurs quelle que soit la taille de l'entreprise.

BIBLIOGRAPHIE

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote