L'enfant apprenti au Bénin( Télécharger le fichier original )par Camille Raoul FASSINOU Université d'Abomey Calavi (UAC Bénin) - DEA en droit de l'homme 2006 |
PARAGRAPHE 2 : LES MOYENS REPRESSIFSLes droits de l'enfant apprenti courent le danger permanent d'être violés et le sont effectivement, du fait de l'impunité de ses violateurs. Les sanctions qui sont des moyens répressifs de dissuasion dont l'Etat seul a le monopole n'existe pratiquent pas dans le droit de la formation professionnelle établi dans le secteur de l'apprentissage béninois. Les acteurs du secteur de l'apprentissage qui ne respectent pas la loi ne sont pas punis ou du moins sévèrement punis. L'ineffectivité des peines (A) et l'inexistence des mesures de sûreté (B) accentuent sans doute les violations des droits de l'enfant apprenti. A- Les peines La répression est nécessaire et elle s'impose pour éviter que la résistance ou la subtilité des patrons d'atelier et des parents agissant sous le couvert de l'autorité parentale ne ruine l'efficacité des règles d'ordre public. Le contrôle de la légalité des actes se rapportant aux apprentis est exercé au Bénin par les tribunaux de l'ordre judiciaire dont les juges devraient normalement permettre de protéger les apprentis. Mais l'analphabétisme dont souffrent les parents et les apprentis les rend victimes. Ce qui fait que la chambre sociale, structure habilitée à connaître des différends opposant apprentis et maîtres, n'a enregistré jusqu'en juin 2005, par exemple, aucune plainte. Pourtant, des sanctions sont prévues par l'arsenal juridique béninois. A cet effet, « sont punis d'une amende de 14 000 à 70 000 francs CFA et en cas de récidive d'une amende de 70 000 à 140 000 mille francs CFA et d'un emprisonnement allant de 15 jours à deux mois ou de l'une de ces deux peines, les auteurs d'infractions aux dispositions des articles 166... et 153 ... 75(*)». De même, « sont punis d'une amende de 3 500 à 35 000 francs CFA et en cas de récidive, d'une amende de 7 000 à 70 000 francs CFA, les auteurs d'infractions aux dispositions des articles 65 à 70... 76(*)» Comme on le constate le code pénal n'a pas prévu de dispositions pour réprimer le travail des enfants. Les sanctions prévues répriment les infractions dont la finalité est parfois de faire travailler les enfants. C'est le cas de la traite des personnes77(*). Le mécanisme de répression du travail des enfants comporte donc d'énormes failles. Ainsi « l'existence de textes législatifs et réglementaires élaborés par des structures étatiques pour servir de normes juridiques réglementant les conditions de travail des enfants et la nature des travaux susceptibles d'être exécutés ne garantit pas leur application stricte78(*) ». « Peuvent être totalement ou partiellement déchues de l'autorité parentale, en dehors de toute condamnation pénale, les personnes exerçants l'autorité parentale qui mettent en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l'enfant, soit : par de mauvais traitements,... par un défaut de soins ou un manque de direction ....79(*) ». Ainsi, la loi prévoit que les parents qui mettent en danger le développement de leurs enfants sont frappés par les mesures et sanctions civiles à savoir : le retrait de la garde et la déchéance de l'autorité parentale. Or, pour que le système de déchéance de l'autorité parentale soit mise en oeuvre, il faut qu'une procédure judiciaire soit engagée à l'encontre du parent fautif, procédure à l'issue de laquelle le juge civil prononce la déchéance. Il ressort alors des articles 107 et 108 du code du travail que les inspecteurs de travail sont d'office ou par requête de l'enfant, appelés à requérir un médecin agréé pour vérifier si le travail dont l'enfant apprenti est chargé n'excède pas ces forces et qu'il se trouve dans les meilleures conditions de travail. Ainsi, hormis son rôle d'informateur, l'inspecteur du travail joue également un rôle important dans la répression de l'hygiène et de la sécurité. Lors de son passage dans les ateliers, l'inspecteur relève toutes les infractions constatées en ce qui concerne les mesures d'hygiène de sécurité et de santé, les mesures propres à l'exécution même du travail. Il sera alors établi un procès-verbal d'infraction en cas de manquement aux mesures d'hygiène et de sécurité surtout lorsque le maître artisan a déjà été sujet d'un ou de plusieurs avertissements. Le procès-verbal est toujours consécutif à la mise en demeure. Il revient à l'inspecteur de saisir le juge après ses injonctions au patron qui ne voudrait pas obtempérer. De nombreux organes à l'image de l'ONG GRADH refusent de porter les cas d'exploitation d'enfant devant la justice. Celles-ci estiment que : « c'est une perte de temps et une fatigue inutile que d'amener les cas d'exploitation d'enfants à la justice ». Elles se contentent de récupérer l'enfant en difficulté et de le réinsérer dans la société parce que selon le responsable de cette ONG, « obtenir justice au Bénin est un parcours de combattant ». La réticence de ces organes et pire encore, de la population, à aider la justice à la répression de ceux qui abusent de la force de travail des enfants n'est pas seulement due à la lenteur ni à la longueur de la procédure mais aussi à l'incertitude d'obtenir une justice équitable. De l'aveu même des magistrats, ils doivent quotidiennement faire face à des pressions de ceux qui sont impliqués dans les différentes affaires. Par ailleurs, les sévices corporels exercés sur l'enfant apprenti peuvent entraîner une condamnation qui résulte de l'application des articles 309 et suivants du code pénal. L'article 312 alinéa 6 du code pénal qui constitue aujourd'hui le siège de la matière vise trois infractions : les coups et blessures volontaires, les violences et voie de fait ainsi que les privations d'aliments et de soins au point de compromettre la santé de l'enfant. On pourrait alors avoir des peines applicables chaque fois qu'un accident de travail qui aurait entraîné des lésions corporelles ou la mort d'un apprenti s'avèrerait être le résultat d'une faute d'imprudence, d'inattention, de négligence, ou de manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement aux patrons. D'après l'article 121-3 alinéa 4 de la loi française du 10 juillet 2000, « les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage, ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter sont pénalement responsables s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'ils ne pouvaient ignorer ». Les acteurs du secteur de l'apprentissage qui ne respectent pas la loi doivent alors être punis si le législateur béninois continuait de s'inspirer positivement de la législation française longtemps considérée comme son bréviaire. Les infractions imputables aux parents et aux patrons à propos des droits de l'enfant apprenti peuvent normalement conduire à des peines correctionnelles, privatives ou restrictives mais la jurisprudence étant inexistante, il est facile de conclure que ces peines ne connaissent pas encore une application au Bénin dans le secteur de l'apprentissage avec tout son cortège de violations. Les différents acteurs de ce secteur, continuent d'enfreindre à la réglementation parce qu'ils sont conscients qu'aucune autorité n'est prête à sanctionner les multiples violations à l'égard de l'enfant apprenti dont ils sont les auteurs. L'emprisonnement est rarement prononcé en droit pénal du travail. Il est clair que comparativement aux pays occidentaux, si les autorités béninoises ne manquaient pas de volonté politique, elles auraient organisé des peines pour contraindre les parents et patrons d'atelier à respecter les réglementations. Ils auraient dû faire comme leurs homologues français qui ont organisé les peines en ce qui concerne ces violations des droits de l'enfant au travail d'une manière fort appréciable. Les peines prévues par le législateur français, sont les peines d'emprisonnement et d'amende mais c'est la peine d'amende qui est le plus souvent prononcée. « Les sanctions pénales n'ont pratiquement aucune place dans le droit de la formation professionnelle80(*) ». Les sanctions de l'irrespect de la durée légale et du refus d'accorder des compensations prévues par la loi à l'enfant apprentis doivent être appliquées car il serait dangereux de vouloir trop dépouiller du seul moyen de rendre effectives les mesures de protection que le législateur a institué au profit des enfants travailleurs et notamment des enfants apprentis. C'est pourquoi, des mesures de sûretés semblent également indispensables. B - Les mesures de sûreté « TOHA BEN JELLUON, écrivain à l'UNICEF, rappelait dans un message qu'un Etat qui permet que ces enfants soient piétinés par le travail forcé et l'exploitation est un Etat qui perd sa légitimité car il aurait failli à la protection du capital le plus précieux 81(*)». Dans le secteur de l'apprentissage au Bénin, les mesures de sûreté sont presque inexistantes. Les contrôles n'étant pratiquement jamais effectués, ils n'ont pas conscience de ce qui pourrait être les mesures de sûreté. Presque tous les patrons enquêtés semblent se méfier de l'autorité car ils ont peur de l'emprisonnement. Ils ont également peur des agents d'impôt qui chaque année, se présentent avec des avis d'imposition menaçant de fermer leur atelier s'ils ne payaient pas. Il nous semble que l'Etat se préoccupe dans ce secteur plus du recouvrement des impôts que de sa réglementation. Malgré la création d'un Ministère à charge de protéger la famille et l'enfant, certains comportements des décideurs politiques laissent observer des failles dans la répression du travail des enfants. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer le laxisme dans l'élaboration et la mise en application des décisions relatives au travail ou au trafic des enfants et les moyens mis à la disposition des organes chargés de réprimer ces fléaux. Au cours de notre enquête, aucun patron parmi ceux questionnés, n'a encore reçu la visite d'inspecteur du travail effectuant un quelconque contrôle. Les autorités en charge de la formation professionnelle doivent veiller à l'élaboration de plusieurs textes qui seront appliqués chaque fois qu'un patron aura violé les lois assurant une meilleure protection des enfants apprentis tout le long de leur cursus d'apprentissage. Comme mesures à prendre par les autorités, on peut citer la fermeture de l'atelier pour une durée raisonnable, l'interdiction d'exercer l'activité pendant un certain temps. Il faudrait revoir le coût des amendes car seule l'aggravation des sanctions pénales et autres pénalités de même que leur application effective garantirait l'application des textes de protection édités en faveur des enfants apprentis par les parents et patrons. Il faudrait que ces mesures soient vraiment dures pour décourager tous les acteurs indélicats de ce secteur. Les droits de l'enfant sollicitant une plus grande protection, les autorités doivent sanctionner leur violation sans complaisance en instituant des mesures de sûretés encore plus rigoureuses. Les sanctions relatives au non respect des mesures générales de protection et d'hygiène sont, sauf en cas d'extrême urgence, précédées d'une mise en demeure de la part de l'inspecteur du travail. Les autorités doivent comprendre qu'il est souhaitable de prévoir des mesures de sûreté pour sanctionner les moindres agissements des parents et patrons, contraires à la législation car il faut surtout empêcher l'abus, si l'on veut en arriver aux effets avantageux des différentes conventions, lois et décrets pris en faveur des enfants dont les enfants apprentis. Elles doivent agir et user des prérogatives de l'autorité pour assurer le respect des droits de l'enfant apprenti. Le législateur doit s'investir pour que chaque maillon de la chaîne devant assurer la protection des enfants apprentis dans les ateliers fonctionnent efficacement. Nous sommes au regret de constater que la société qui entre temps constituait un noyau fondamental pour l'enfant tolère également aujourd'hui cette situation. * 75 Articles 301 et 302 du code du travail béninois du 27 janvier 1998. * 76 Article 298 du code du travail béninois du 27 janvier 1998. * 77 DJOSSOU AZO (G. Georges) et ZACARI TAIROU (Mouscaille), « La répression du travail des enfants en droit positif au Bénin », mémoire de maîtrise es science juridique, FADESP, UAC 2003-2004, page 21. * 78 « Le travail des enfants au Bénin », Contribution à la conférence d'Oslo, 27-30 Octobre 1997, page 12. * 79 Article 439 du code béninois des personnes et de la famille, 2002. * 80 GODARD (O.), Masson 1980, page 339 in Droit Pénal du travail, édition LITEC 2000, page 369. * 81 LEBLAVANT-AUREGGIO (Lona), « Les vidomègon, un exemple type de travail des filles de 6 à 14 ans à Cotonou au Bénin », mémoire pour le diplôme universitaire de santé et médecine humanitaire, 1994-1995, Université Pierre et Marie-Curie. Faculté de Médecine Saint Antoine Paris, page 70. |
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