c) Les déterminants du travail des enfants.
La mise au travail des enfants ne repose sur aucun facteur
isolé mais sur une multitude de phénomènes tels que la
pauvreté de leur famille, un accès trop limité à
l'école, les carences des politiques sociales et publiques et enfin
certains comportements culturels.
Une des raisons essentielles est la pauvreté. En effet
les liens entre pauvreté et travail des enfants ont été
clairement établis. Le travail des enfants fait parti des
stratégies de survie : plus une famille est pauvre, plus chacun de
ses membres doit contribuer à gagner ce qu'il coûte, en argent ou
en production alimentaire. Cette question essentielle se pose avec plus
d'acuité quand il y a de nombreux enfants à nourrir, ce qui est
le cas de beaucoup de familles rurales dans les pays en développement.
L'ampleur du travail des enfants dans le monde ne peut s'expliquer que par
celle de la pauvreté : plus de 1,2 milliards de personnes dans le
monde survivent avec moins de l'équivalent de d'un dollar US par jour
selon le PNUD. Un chiffre plus révélateur est que 3 milliards de
personnes, c'est-à-dire un être humain sur deux vit avec moins de
2 dollars US par jour, et l'immense majorité des pauvres de la
planète vivent dans les pays en développement. De plus la
pauvreté n'est pas un phénomène en
régression : le BIT constate que dans la décennie 90, elle a
augmenté de 25% en Afrique, et elle a triplé en Europe de l'Est.
En Amérique Latine, 11 millions de personnes sont venues grossir les
rangs des plus démunis sur la même période, ce qui n'inclut
pas les conséquences de la profonde crise économique et sociale.
La crise financière en Asie en 1998 a eu les mêmes effets. Enfin
certaines circonstances peuvent venir aggraver une situation déjà
précaire : l'épidémie de SIDA a fait en Afrique des
millions d'orphelins, qui sont souvent livrés à eux-mêmes
pour survivre. Etre pauvre, c'est lutter sans cesse pour disposer du minimum
vital, chercher chaque jour de quoi nourrir sa famille et, sur le long terme,
être privé de tout pouvoir de décision sur sa vie : la
pauvreté revient à vivre dans l'insécurité
permanente et tenter d'éviter le pire. Ce dénuement
complété à l'analphabétisme, fréquent dans
le tiers monde amène des familles à accepter n'import quelle
proposition. Cependant cette explication ne doit pas conduire à faire le
procès des parents. Les familles démunies ignorent de quoi demain
sera fait, et prennent toute activité qui se présente comme un
léger soulagement pour leur survie.
Un des facteurs essentiels de la pauvreté et de mise
au travail des enfants est l'absence de revenu des parents, soit parce qu'ils
sont sans emploi, soit parce que leur revenu ne suffit pas à nourrir
leur famille. En Egypte par exemple, il a été estimé
qu'une hausse de seulement 10% des salaires des femmes ferait reculer de 15% le
travail des enfants de douze a quatorze ans, et de 2è% celui des enfants
de six à onze ans. Les pays concernés par le travail des enfants
connaissent en effet un taux très élevé d'adultes sans
emploi ou en situation de sous emploi. Le BIT recense qu'un tiers de la
population active mondiale se trouve ainsi privé de moyens décent
de vivre. Cette population adulte en quête d'argent pour subvenir
à leur besoin est en partie absorbée par le secteur informel,
secteur qui progresse beaucoup plus rapidement que l'emploi formel dans les
pays en développement, et se maintient de façon marginale dans
les pays industrialisés. Mais sa capacité d'absorption n'est pas
illimitée, et il n'assure pas de ressources stables : les familles
qui en vivent sollicitent donc souvent les enfants pour compléter leur
revenu. Par ailleurs dans un marché du travail où la demande
d'emploi excède l'offre, les employeurs sont à même de
poser leur conditions, et de choisir la main d'oeuvre la plus facile à
exploiter. C'est pourquoi on voit des enfants travailler, alors que leurs
parents sont au chômage : ils forment malgré eux une main
d'oeuvre concurrente de leurs parents. Trouver un revenu stable et suffisant
aux parents est donc primordial si l'on veut que leurs enfants ne soient pas
amenés à travailler.
Dans le monde entier, les enfants qui travaillent ont un
point commun. Leur famille est toujours située au bas de
l'échelle sociale : paysans sans terre, urbains sans travail,
basses castes en Inde, minorité ethniques ou religieuses. Ces
catégories pauvres ne détiennent aucun capital productif, ou
celui-ci est insuffisant pour garantir leur autonomie sociale. Leur seul
capital est leur force de travail, loué à l'extérieur ou
utilisé pour leur subsistance. Cette vulnérabilité sociale
est responsable de multiples situations d'exploitation. On peut prendre
l'exemple du Brésil qui est loin d'être le pays le plus pauvre
mais qui reste un des plus inégalitaires. En effet les 10% des
Brésiliens les plus riches se partagent 63% du revenu national et les
50% des plus pauvres se partagent 11% du revenu. La situation du Brésil
est assez démonstrative du fléau de la pauvreté et du
travail des enfants. Le pays compte 1è millions de pauvres, et 4
à 5 millions de paysans sans terre, alors que les ¾ des terres sont
entre les mains de quelques milliers de propriétaires de grands domaines
agricoles que l'on appelle les fazendas. Les fazendeiros emploient, et
quelquefois soumettent au travail forcé pour dettes, des familles
entières qui n'ont pas d'autres possibilité pour vivre. Ces grand
propriétaires sont influents : ils s'opposent à toute
réforme agraire qui attribuerait des terres aux pauvres afin de
maintenir cette main d'oeuvre. La structure fortement inégalitaire des
pays en développement explique donc également l'exploitation des
enfants pauvres.
L'échec de la scolarisation et le travail des enfants
sont deux phénomènes étroitement liés, et qui,
s'alimentent mutuellement : un enfant ne va pas à l'école
parce qu'il travaille, et un enfant travaille parce qu'il n'a pas pu
accéder à l'école. L'UNICEF estime que 120 millions
d'enfants dans le monde ne sont pas scolarisés. Pourtant des
progrès indéniables ont été réalisés
ces dernières décennies : le monde en développement
assure un taux d'inscription en primaire de 80% en moyenne. Mais avec de fortes
disparités : seuls 59% des enfants d'Afrique subsaharienne sont
ainsi scolarisés.
L'échec de la scolarisation universelle est largement
dû au manque de moyens pour financer l'éducation. Beaucoup de pays
d'Afrique ont fait de l'école une priorité dans les années
qui ont suivi la décolonisation, mais cette politique est restée
insuffisante pour répondre à la demande, et la forte croissance
démographique augmente rapidement les effectifs d'âge
scolaire : en Afrique par exemple, les moins de 15 ans représentent
plus de 40% de la population. On peut nommer deux facteurs qui pèsent
sur les budgets des gouvernements des pays en développement, les
empêchant de développer l'éducation : leur dette
extérieure et l'austérité budgétaire. En effet la
dette des PED a globalement quadruplé entre 1980 et 2000. Dans de
nombreux pays d'Afrique, elle est deux à trois fois plus
élevée que le PNB, et son remboursement occupe une grande place
dans leur budget. En plus on sait que ces pays ont peu de revenu et que ceux-ci
proviennent surtout de l'exploitation de matières premières.
Enfin l'aide publique au développement financé par les pays
riches a considérablement baissé en trente ans, les pays
industrialisés n'y consacrent plus en moyenne que 0,25% de leur PNB.
Dans cette aide la part d'aide à l'éducation a toujours
été très faible et en dépit de leurs engagements
publics, l'aide sociale des pays riches aux pays pauvres n'a jamais
été aussi basse.
Ensuite un autre déterminant du travail des enfants
concerne la rigueur budgétaire imposée. En effet la pression
financière sur les PED s'est alourdie depuis que le FMIU leur ont
imposé des plans d'assainissement financier, qui passent par une forte
réduction des dépenses publiques. Cela entraîne des baisses
consécutives de la consommation et ces baisses
répétées de niveau de vie tendent à épuiser
la solidarité familiale, qui est l'amortisseur traditionnel des chocs
économiques, et les plus pauvres doivent multiplier les
stratégies de survie : si rien n'inverse la montée de la
pauvreté, le travail des enfants ne peut donc que s'amplifier. De plus
les pays sous ajustement structurel ont enfin été contraints de
réduire encore les budgets d'éducation, déjà
insuffisant. Les classes y comportent souvent une centaine
d'élèves, et le matériel scolaire est complètement
insuffisant.
Enfin le dernier déterminant du travail des enfants
concerne les priorités des familles pauvres. En effet même lorsque
l'inscription dans le primaire atteint des niveaux honorables, de nombreux
enfants abandonnent l'école : dans le monde, un enfant
scolarisé sur trois seulement achève le cycle primaire. La
pauvreté est le principal motif de cette déperdition scolaire.
Quand les besoins essentiels ne sont pas couverts alors les coûts
scolaires pour une famille ne deviennent pas prioritaires, et c'est le travail
de l'enfant qui l'emporte. L'éloignement de l'école est aussi
dissuasif : dans les pays pauvres, le système scolaire atteint
rarement les zones rurales reculées ou les bidonvilles des
périphéries. Enfin, une fois l'enfant installé dans une
activité, il lui est très difficile d'étudier. La
moitié des enfants actifs dans le monde parviendrait à suivre
quelques heures de classe, mais un travail qui prend plus de 20 heures par
semaine handicape l'assiduité et les résultats scolaires.
Après avoir défini le travail des enfants,
traité de sa répartition géographique et
étudié ses multiples déterminants fondamentaux, on peut
désormais se demander quel est l'impact de la mondialisation sur le
travail des enfants?
Ainsi, on va montrer que la mondialisation qui se définit
comme étant la libéralisation du commerce international, la
pénétration des investissements directs à
l'étranger , la mondialisation des marchés monétaires et
la confirmation du rôle que jouent les institutions financières
internationales dans les politiques financières, monétaires et
commerciales des États, peut aussi bien avoir des effets négatifs
que positifs sur le travails des enfants dans les pays en
développement.
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