Elections et transition démocratique en République centrafricaine( Télécharger le fichier original )par Blaise Zalagoye Université catholique d'Afrique centrale - Master droits de l'homme et action humanitaire 2005 |
CHAPITRE IV :LA REFONDATION DE LA DEMOCRATIE ELECTIVEEN RCA A TRAVERS LE DIAOLGUE NATIONAL« Le pouvoir est toujours monarchique. Il y a une conspiration permanente des riches, des ambitieux, des grands chefs, des parasites, des flatteurs contre les masses électorales... Or, c'est justement contre cette coalition des tyrans que la République se définit. La démocratie... un effort continuel qui détruit à chaque instant un peu de cette monarchie renaissante ? » Alain Eléments d'une doctrine sociale Les événements du 15 mars 2003 ont révélé la fragilité des dispositifs institutionnels mis en place au lendemain de l'ouverture de la Centrafrique au pluralisme démocratique. Il s'avère alors nécessaire durant la transition instituée après ces évènements de revoir les bases tant sociales que juridiques de ces institutions afin de remettre le pays sur la voie d'une démocratie élective dont les fondements seraient au préalable consensuellement définis. Le Dialogue National, tenu à Bangui en mois de septembre 2003, allait être le forum qui se chargerait de jeter ces nouvelles bases. La démarche est novatrice à plus d'un titre. Car, comparé à ses prédécesseurs, cet énième forum de retrouvailles entre les différentes couches sociales et politiques du pays marque une réappropriation de la scène politique par les gouvernés1(*)83. Cependant, après une dizaine d'années de crise de confiance entre les différentes composantes de la classe politique nationale, la constitution d'une démocratie vraiment consensuelle n'irait pas sans soulever de problèmes. Ceci d'autant plus que les vainqueurs de l'heure n'hésitent pas souvent à profiter de leur position dominante pour imposer leur vision de la constitution de cette nouvelle Centrafrique démocratique ( section I ). Cette attitude, doublée de l'enjeu que représente le retour à l'ordre constitutionnel à l'issue de la transition, rend un peu difficile le déroulement du nouveau processus électoral censé garantir la stabilité de la future démocratie élective en Centrafrique ( section II ). SECTION I. LE DIALOGUE NATIONAL, FORUM DE CONSTITUTION D'UNE DEMOCRATIE CONSENSUELLE EN RCATenu à un moment trouble de l'histoire politique de la RCA, le Dialogue National se présente comme le nouveau pacte national à conclure entre les acteurs politiques et sociaux les plus représentatifs du peuple. Il serait donc pour l'opinion interne et internationale le lieu d'affirmation des principes démocratiques devant sous-tendre le futur système politique centrafricain1(*)84. Cette concertation nationale a toutes les caractéristiques des conférences nationales qui avaient lieu au courant des années 1990 dans certains pays africains et qui avaient permis à ces derniers de négocier consensuellement leur ouverture au pluralisme démocratique. Tenu quelques années après les vagues de ces conférences nationales africaines, le Dialogue National centrafricain ne constitue pas moins le forum qui a permis de poser les problèmes de la construction d'une démocratie consensuelle dans le pays. Cela peut être analyser à travers les deux fonctions principales que l'on pourrait assigner à ce forum, à savoir, la fonction réconciliatrice d'une part (paragraphe I) et la fonction constituante d'autre part ( paragraphe II ). Paragraphe I. La fonction réconciliatrice du Dialogue nationalL'analyse des travaux de la Commission n°1 dénommée « Vérité et réconciliation » est intéressante parce qu'elle permet de mettre en exergue la spécificité de cette fonction de réconciliation du Dialogue National par rapport autres fora nationaux qui l'ont précédé ( A ). Cependant, le résultat de ces travaux laisse apparaître des limites dans cette fonction, limites dues surtout au caractère un peu folklorique et sélectif de cette réconciliation ( B ). A- La spécificité du Dialogue National par rapport aux précédents fora de concertation nationale Du Séminaire National de mars 1981 en passant par le Grand Débat National d'août 1992 et la Conférence de Réconciliation Nationale de mars 1997 sans compter les Etats généraux et autres fora à caractère national ou quasi-national, la RCA a expérimenté moult moyens pour refonder son unité chaque fois que le pays se trouvait confronté à de graves crises. De ces concertations, sortaient des actes positifs ayant pour but de rectifier les erreurs de parcours et de trouver des solutions à ces différentes crises1(*)85. Mais, si ces différentes concertations ont joué à chaque fois un rôle majeur dans la stabilité des institutions du pays, Le Dialogue National apparaît plus radical dans la reconnaissance de la faillite des différents régimes dans la construction de l'unité nationale : « l'absence de consensus et de vision commune depuis la proclamation de l'indépendance en 1960 (...) a fait traverser à la République centrafricaine toute une série de crises récurrentes : coup d'Etat, mutineries, rebellions, grèves (...) Le tissu social a été soumis à de rudes fractures(...)1(*)86 ». Ainsi, la Commission « Vérité et Réconciliation » est chargée de déterminer les responsabilités de chaque régime politique afin d'aider les principaux protagonistes à dire la vérité et à demander pardon au peuple. Calquée sur le modèle sud-africain du même nom, cette Commission n'est pas « une cour de justice » mais un lieu qui permet au Dialogue National de remplir sa « fonction de pardon et de réconciliation 1(*)87 ». Ainsi, après avoir fait un « diagnostic exploratoire » de l'origine des crises récurrentes en RCA à travers les différents régimes, la Commission a répertorié et auditionné des personnalités qui ont été des acteurs et témoins de l'histoire politique du pays1(*)88. Le but est de permettre aux Centrafricains, réconciliés avec eux-mêmes, de dégager un consensus autour des questions fondamentales de gouvernance qui se posent à eux. Par la prise de la parole devant l'Assemblée plénière de ce Dialogue, les représentants de chaque entité politique ou sociale entendent témoigner de l'attachement de leur entité respective à l'unité du pays. Le Dialogue Nationale se trouve donc « transcendé en mythe (re)fondateur de l'Etat, en véritable cérémonie communielle qui doit permettre à la Nation de se réconcilier avec elle-même1(*)89 ». Mais, dans cette recherche d'une réconciliation nationale réside l'ambiguïté même de ce Dialogue. En effet, au-delà de cette ambition de construire une nouvelle Centrafrique transparaissent quelquefois des règlements de compte par personne interposée1(*)90. Ce qui limite dans la pratique cette fonction de réconciliation assignée au forum.
B- Les limites de la fonction réconciliatrice du Dialogue National Le Dialogue Nationale ambitionnait de réunir tous les Centrafricains afin de leur permettre de transcender leur différence en vue de construire l'unité nationale. Pour cela, il a eu le mérite de favoriser la manifestation d'une partie de la vérité sur l'histoire du pays. Elle a également permis la réconciliation, ou du moins à des accolades, entre l'une des couples politiques ennemies du pays : il s'agit de l'ancien président Dacko et du professeur Goumba. Mais, en dehors de ces quelques réussites, il est à noter d'abord l'exclusion des principaux dignitaires du régime de Patassé à ce Dialogue. S'il faut rappeler que ce régime a duré approximativement dix ans, alors il est difficilement concevable qu'on ait refusé la participation de ces dirigeants. La réconciliation ne pourrait être entière que si l'on arrivait à donner la possibilité à tous les acteurs politiques du pays de dire leur part de vérité. Par crainte d'un « déballage sordide » ou par souci de protection de certains protagonistes actuels qui seraient impliqués positivement ou négativement dans la gestion du régime défunt, le Dialogue National a sciemment ou non décidé d'éluder certaines réalités qui pourraient contribuer à la constitution d'une véritable paix pour la Centrafrique ainsi que de la réconciliation entre sa classe politique. De plus, dans ses recommandations, la Commission « Vérité et Réconciliation » a décidé de la poursuite de ses travaux au-delà des assises du Dialogue National ; ceci dans le but de continuer à enregistrer les plaintes des victimes des différentes crises militaro-politiques, d'auditionner les principaux responsables politiques et administratifs et de chercher le financement nécessaire à la réparation des préjudices subis par ces victimes1(*)91. Or, depuis la fin de ces assises jusqu'à ce jour, l'on peut constater que cette Commission n'a pas encore repris ses travaux. Quant à la loi d'amnistie relative aux infractions commises lors des différents conflits depuis les années 1960 jusqu'à 2003 qui devrait être votée au cas par cas1(*)92, celle-ci n'est pas toujours prise. A part les ordonnances qui avaient été prises et qui concernaient le putsch manqué du 28 mai 2001 et les évènements de mars 2005, les autres cas sont encore pendants devant la justice1(*)93 et n'ont pas bénéficié jusque-là d'une amnistie. Ainsi, la finalité profonde du Dialogue National qui serait de restaurer l'harmonie au sein de la Communauté nationale n'était pas allée jusqu'au bout de sa logique. A défaut d'entreprendre une véritable réconciliation nationale, ce forum pourrait-il par contre, à travers sa fonction constituante, instaurer un pluralisme politique véritablement consensuel et intégrateur ?
* 183 J. J. Raynal, « Conférence nationale, Etat de droit et démocratie. Quelques réflexions à propos d'une occasion manquée » in La création de droit en Afrique, D. Darbon, J. Du. Bois de Gaudusson ( dir. ), Paris Karthala, 1997, p.158 * 184 A. Amor, op. cit. p. 57. * 185 L. G. Pampali, « Le processus d'implication de la Communauté internationale... », op. cit. p. 330 * 186 Rapport final de la Commission n°I « Vérité et Réconciliation », Bangui Dialogue National, septembre 2003, inédit, p.5. * 187 Idem. * 188 Il s'agit entre autre du président Dacko, du professeur Goumba, et de monsieur Frank qui, durant plus de vingt ans, a eu à proclamer les résultats des différentes élections nationales. * 189 J. J. Raynal, op. cit. p. 158 * 190 L'exemple de l'audition de l'ancien président Dacko dont la version en langue nationale de la question à lui posée sur la mort de Boganda laissait transparaître une question à charge. * 191 Rapport de la Commission Vérité et Réconciliation, op. cit. * 192 Idem. * 193 C'est le cas de l'ancien chef d'Etat, A. Félix Patassé, poursuivi pour crime économique et crime de sang pour sa gestion du pouvoir et surtout pour avoir fait venir des troupes non-conventionnelles en vue de défendre son régimes d'abord contre le putsch manqué du 28 mai 2001 et ensuite contre la rébellion du général Bozizé. |
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