c. Renseignement et réseau
Ce qui lie aussi profondément Internet aux services,
c`est bien la notion de réseau, notion ambivalente par excellence :
« la figure du réseau est représentée de façon
traditionnelle comme oscillant entre la circulation et la surveillance :
-tantôt le réseau est anti-hiérarchique, il
fait circuler et libère
-tantôt de façon complémentaire, le
réseau quadrille et contrôle ».41
Si les discours sur Internet ont surtout mis en valeur
l`aspect libération et circulation de l`information, ils ont eu tendance
à négliger sa contrepartie quadrillage et contrôle.
Pourtant cet envers de la médaille est indissociable du réseau,
comme nous l`indique Pierre Musso : « La métaphore du réseau
est bicéphale : surveillance de la circulation et circulation de la
surveillance [...]Le réseau sert non seulement à poser et
à caractériser deux systèmes opposés ; mais il
permet d`opérer le passage entre les deux éléments
préalablement posés comme opposés »42.
Tandis que l`on valorisait l`aspect social et pacifique du réseau, son
utilisation à des fins aussi bien de surveillance que criminelles
restait dans l`ombre. Dans cette obstination à ne mettre en valeur que
l`aspect positif du réseau, on peut voir l`héritage de
Saint-Simon, pour qui le réseau permettait « de penser la
transition sociale vers un monde meilleur et
41 Pierre Musso, Télécommunication et
philosophie des réseaux, PUF, Paris, 1998, p.48 42 Pierre
Musso, op. cité, p. 51-54
de le faire advenir grâce à la réalisation
de réseaux de communication ». Mais si Saint-Simon était
bien conscient du rôle militaire que pouvait avoir le réseau, les
tenants des discours sur le Net l`ont eux masqué ou ignoré. En
omettant le quadrillage et le contrôle, ils n`ont fait que nier une
facette essentielle du réseau. Tout réseau se présente
comme un instrument essentiel pour le renseignement. Internet ne pouvait
échapper à la règle.
La « nécessité » de l`association
Internet/ Services de renseignement posée, il faut souligner la
complexité de cette relation. L`ambivalence du réseau « qui
capture et laisse filer » est au cOEur du dilemme posé aux services
de renseignement par Internet. Si le Réseau se prête
aisément à la surveillance, il laisse également circuler
une quantité infinie d`informations, que les services ne peuvent toutes
analysées. Face à un univers aussi mouvant, la métis
à mettre en OEuvre n`est pas aisée. L`OEil vivant qui jamais ne
se ferme ni ne cille est une douce illusion. L`interception de l`ensemble des
données sensibles est une gageure impossible à relever,
malgré tous les dispositifs techniques mis en place. D`autre part, le
filet ou réseau, présenté comme arme absolue de la
métis, permet certes de « quadriller », mais la technologie
Internet étant désormais ouverte à tous, rien ne garantit
que l` « adversaire » (figure qu`on oppose ici aux services de
renseignement) ne saura faire meilleur usage du réseau que les services.
Aussi bien d`un point de vue théorique que d`un point
de vue pratique, Internet et Services de renseignement se trouvent
indissociables. L`usage d`Internet par ces services relève à la
fois d`un mécanisme de pouvoir oeplus Internet est perméable aux
services de renseignement, plus la possession différentielle de pouvoir
est forte-, d`une conception intellectuelle du renseignement (vu comme une
métis) et d`une nécessité d`adaptation technologique.
Cette association est d`autant plus logique que les services de renseignement
sont à l`initiative du Réseau.
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