B. La perte de crédibilité des services
Si les services de renseignement ont connu de très fortes
remises en cause en interne durant ces dernières années, ils ont
également été fragilisés par des actions
menées par de puissants lobbies publics, ainsi que par de violents
scandales les ayant « éclaboussés ».
a. Le rôle des lobbies pro-libertés publiques.
Suite aux révélations concernant le système
Echelon et au renforcement de la sécurité post-11 septembre, de
très nombreuses voix se sont élevées contre ce qu`elles
considéraient comme un abus du « monopole de la violence
légitime ». Les services de renseignement, en particulier, ont
été très fortement remis en cause. Ces nouveaux lobbies
ont un discours très proche de celui des cypherpunks. Cependant leur
particularité est de mener des actions visant à mettre sur la
place publique toute atteinte aux libertés civiles. Si en France, les
services n`ont pas été confrontés à une telle
levée de boucliers, on peut penser que c`est en partie dû à
leur grande discrétion dans la vie publique et dans les discours des
gouvernants. A l`inverse, nous notions plus haut, que les agences
américaines communiquent énormément et qu`en outre, les
hommes politiques se référent souvent à l`Intelligence.
Les lobbies américains auxquels nous faisons référence
sont la plupart du temps constitués par des associations prônant
la liberté sur la Toile. Celles-ci se sont exprimées via leur
site internet contre l`utilisation faite du réseau par les services de
renseignement, notamment après le vote du Patriot Act. Parmi ces sites
on peut citer :
-www.eff.org : site de l`Electronic Frontier Foundation
-www.epic.org : site de l`Electronic Privacy Information
Center
-www.cdt.org : site du Center for Democracy and
Technology
Il est fréquent que ces sites poursuivent la NSA en
justice, comme en témoigne le document concernant un procès fait
par Epic à la NSA178. Le rôle de ces groupes est loin
d`être insignifiant ; ils constituent des lobbies suffisamment puissants
pour soutenir des particuliers, dont ils considèrent qu`ils ont
été surveillés injustement par le gouvernement. On
pourrait
178 EPIC sues for NSA surveillance memo :
http://www.epic.org/open_gov/foia/nsa_suit_12_99.html
s`interroger sur la source de leur pouvoir, de telles
associations ne semblant pas être en mesure de peser lourd face à
une organisation aussi puissante que la NSA. Il apparaît que les
fondateurs de ces associations sont souvent des informaticiens de génie,
qui grâce à leur talent ont accumulé rapidement une
véritable fortune. C`est le cas des deux fondateurs de l`EFF. Mitchell
Kapor est le créateur du désormais célèbre Lotus
dont la vente l`a rendu millionnaire. Son compars John Perry Barlow est lui
aussi millionnaire et mordu d`Internet. Leur site nous apprend que
l`association est engagée dans de nombreuses actions légales
concernant des particuliers mis en cause par l`USAPA. L`association cherche
également à influencer la rédaction du Patriot Act II,
dont on sait qu`il risque de détériorer un peu plus les
libertés civiles (« We're working hard to influence the directions
of PATRIOT II, the follow-up legislation now being drafted
»179). De telles actions seraient bien sûr impensables si
l`association ne reposait pas sur de très solides assises
financières.
L`EFF, par exemple, travaille avec d`autres groupes à
la mise en place de "best practices" afin d`améliorer l`anonymat et
l`encryptage de données sur Internet, de telle sorte que les ISP aient
moins d`informations susceptibles d`être transmises aux agences
gouvernementales. Cette même association justifie son action par la
conviction que « les services de renseignement doivent user de leurs
nouveaux pouvoirs [nda : issus du Patriot Act] avec une grande attention et
limiter leur usage à des investigations concernant des actes de
terrorisme certifiés »180. Pour Loup Francart, « le
net devient ainsi un réseau technique de réseaux d`influence qui
dépassent largement les clivages de la société
traditionnelle : Etats-Nations, culture commune, religion, etc.
»181.
La France connaît une situation assez différente,
les associations visant à la défense des Internautes étant
d`une ampleur bien moindre. Certaines sont cependant très actives :
parmi elles, Reporters Sans Frontières (RSF), l`IRIS (Imaginons un
Réseau Internet Solidaire). Cette dernière a lancé en
février 2003 une pétition « Pour qu`Internet ne devienne pas
une zone de non droit », suite à la promulgation de la loi sur la
sécurité intérieure, mentionnée plus haut, et
à la présentation de la loi sur l`économie
numérique (LEN). Bien que la pétition n`ait pas recueilli un
179 « Nous travaillons dur sur les moyens
d`influencer les orientations de Patriot II, la seconde version de la loi
étant actuellement en cours de préparation » Site internet
de l`EFF, www.eff.org 180 Site internet de l`EFF,
www.eff.org 181 Agir, 1999, n° 2, art. de Loup Francart,
La maîtrise de l`information, p.115
grand nombre de signatures chez les particuliers (seulement
2931), elle a cependant obtenu le soutien de très nombreux collectifs,
et notamment de partis politiques, placés à gauche sur
l`échiquier politique 182. De son côté,
Reporters Sans Frontières (RSF) ne cesse de dénoncer la main-mise
grandissante des Etats, y compris démocratiques, sur le Réseau.
Dans un rapport intitulé 11 septembre 2001-11 septembre 2002, Internet
en liberté surveillée, RSF fait le constat suivant : « Un an
après les tragiques événements de New York et de
Washington, le Réseau peut être couché sur la liste des
« dommages collatéraux » de la dérive
sécuritaire généralisée [...] Internet doit
désormais faire face à une nouvelle menace en provenance des
démocraties occidentales. Ainsi, de nombreux pays ont adopté des
lois, des mesures et des pratiques qui sont en passe de mettre Internet sous la
tutelle des services de sécurité. Ces Etats organisent la
conservation généralisée des informations relatives aux
e-mails reçus ou envoyés et aux sites consultés sur la
Toile »183.
Néanmoins, malgré les soutiens dont elles
bénéficient, l`IRIS ou RSF ne peuvent prétendre au
rôle d`un lobby aussi puissant que l`EFF. En outre, ces associations,
contrairement aux lobbies américains, ne prennent que rarement parti
contre les services de renseignement français, dont les activités
liées à Internet semblent trop méconnues pour être
attaquées.
Si les protestations émises par ces nouveaux lobbies font
légèrement vaciller les services de renseignement sur leur socle,
elles ne sont rien comparées aux récents scandales
médiatiques qui ont profondément terni l`image des services,
notamment anglo-saxons.
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