b. Le cas NSA
« Dans plusieurs secteurs de la vie internationale ou
économique, les services sont aujourd`hui concurrencés,
dépassés ou inopérants. Ils le sont autant par
défaut que par impossibilité d`occuper l`ensemble du
terrain.[...] Les grands services de renseignement doivent repenser leur
stratégie.[...] Les géants, les monstres de la Guerre Froide ont
vécu »157.
A ce titre, l`exemple de la NSA est édifiant : entre
1990 et 1997, le personnel a été réduit de 17,5% et en
1997, le budget de la NSA était revenu à son niveau de 1980. Dans
le même temps, de nombreux satellites espions s`éteignaient sans
être remplacés158. Bien sûr, le 11 septembre 2001
a fait évoluer la situation, les crédits alloués aux
services de renseignement étant brutalement augmentés. Cependant,
la décennie 1990-2000 a fortement fragilisé l`agence.
La fin de la Guerre Froide a constitué un
véritable bouleversement pour la NSA. Parmi les conséquences
immédiates, l`agence a dû proposer de nouvelles formations
à ses employés face à une géopolitique
transformée, et entre autre, inciter à l`apprentissage des
langues rares. Dans un
156 « Un petit pouvoir informationnel mène
loin », David J. Lonsdale, Information power : Strategy, Geopolitics, and
the Fifth Dimension 157 B. Besson, J.C. Possin, Du renseignement
à l`intelligence économique, Dunod, Paris, 2001, p. 237
158 Chiffres et informations issus de l`ouvrage
précédemment cité de James Bamford, p.549
monde où les conflits locaux se multiplient, où
les communications via Internet peuvent être faites en quelque langue que
ce soit, il devient urgent pour les services de renseignement de recruter des
linguistes spécialisés dans toutes les langues rares, et non plus
seulement des russophones . Michael McConnell, directeur de la NSA de 1992
à 1996 s`exprimait ainsi : « Nous sommes confrontés à
un challenge linguistique dont les proportions sont sans cesse croissantes
»159. La NSA s`est donc vue obligée de revoir ses
programmes de recrutement, l`une des priorités étant depuis 2000
de recruter des personnes maîtrisant des langues dites « exotiques
». Dans le même temps, l`agence dut faire face à la
multiplication des cryptosystèmes mis au point par des hackers ou des
programmeurs de génie, parfois à la solde de groupes terroristes.
D`où la nécessité d`embaucher un grand nombre de
mathématiciens. Malgré ces efforts, certains
vétérans de la NSA continuent à penser que l`agence est
sur « la mauvaise pente ». L`un d`eux interrogé par James
Bamford se plaignait ainsi de voir la NSA « acheter tous ces nouveaux
jouets, alors même que l`agence n`a pas le personnel pour les utiliser
»160.
L`agence est en effet confrontée à une «
une fuite des cerveaux », car à travail équivalent, ses
salariés peuvent toucher deux fois plus dans le privé. Face
à ce problème, la NSA s`est engagée dans une nouvelle
campagne de recrutement. Pour mieux faire connaître les emplois qu`elle
propose, elle a trouvé une vitrine idéale... Internet !
Désormais, on peut laisser son CV sur le site de la NSA. Cette
dernière diffuse également des offres sur des sites tels que Job
Web et Career Mosaic.
Autre preuve de la vulnérabilité de la NSA,
l`incroyable incident du 24 janvier 2000161. Alors que tous les
employés de l`agence se réjouissaient de ne pas avoir connu le
Bug de l`an 2000, ce lundi soir, 24 janvier, tous les ordinateurs et autres
instruments électroniques de Crypto City (surnom donné à
la base de la NSA dans le Maryland) se sont arrêtés. L`incident
fut d`autant plus grave que les ingénieurs mirent quatre jours à
relancer la Machine, quatre jours pendant lesquels la NSA eut le temps de
s`interroger sur sa prétendue puissance...Coût de la
réparation : 3 millions de dollars, et surtout, une intense remise en
question !
159 Cité par Bamford, op. cité, p. 553
160 « buying all those new toys, but they don`t have the people
to use them James Bamford, op.cité, p.574 161 Relaté
par James Bamford, p.454
Le poulpe « NSA » serait-il en train de voir son
intelligence rusée diminuer ? C`est la conclusion de certains, pour qui
l`agence a de plus en plus de mal à s`adapter à un univers
mouvant et à des défis technologiques constants. On l`a
montré plus haut, ce qui a très longtemps fait la force des
services de renseignement, c`est précisément leur capacité
d`être toujours à la pointe de la technologie. Or comme l`indique
James Bamford, « In the past, a major communications revolution
oetelephone, radio, television, satellite, cable-might happen at most once
every generation. The predictable pace gave NSA time to find new ways to tap
into each medium, especially since many of the scientists behind the revolution
also served on NSA`s secret Scientific Advisory Board. Today, however,
technological revolutions oePCs, cell phones, the Internet, e-mail, take place
almost yearly and NSA`s secret advisers no longer have a monopoly on the
technologies«.162
Aujourd`hui, la NSA est certes en mesure d`intercepter des
millions de données par jour. Mais comment trouver l`information
pertinente, c`est le défi posé à l`agence. En
définitive, nous dit Bernard Lang, directeur de recherche à
l`INRIA163, pour un pays comme la France, « la seule
façon de protéger nos communications industrielles et autres
communications confidentielles (défense), c`est qu`elles soient
noyées dans un flot d`autres informations cryptées, de
façon à déborder les efforts d`espionnage et surtout de
décryptage étrangers (NSA) »164. C`est sur ce
principe que fonctionnait le mouvement lancé il y a quelques
années incitant les internautes à truffer leurs e-mails de termes
tels que « cocain, bomb... ». Dans un déluge de
données, l`information de valeur devient difficile à trouver...
elle se retrouve comme une aiguille dans une botte de foin. De ce fait, un
service de renseignement tel que la NSA se retrouve dans une position qu`on
pourrait qualifiée de « schizophrénique » : l`agence ne
cesse d`accumuler des informations qu`elle doit toutes mettre en doute.
162 James Bamford, p.458 : « Dans le
passé, une révolution dans le domaine de la communication
oetéléphone, radio, télévision, satellite, cable-
se produisait, au plus, une fois toutes les générations. Ce
rythme prévisible donnait à la NSA le temps de trouver de
nouveaux moyens d`intercepter les communiqués émises par chacun
de ces médias, et ce d`autant plus que de nombreux scientifiques
à qui l`on devait ces révolutions étaient également
membres du Comité secret de la NSA chargé des recommandations
scientifiques. Aujourd`hui, cependant, les révolutions technologiques
oePC, téléphones portables, Internet, e-mail oe ont lieu
quasiment chaque année et les conseillers secrets de la NSA n`ont plus
le monopole sur ces technologies » (Traduction de l`auteur) 163
INRIA : Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique.
164 Interview par mail.
L`utilisation d`Internet par une agence aussi puissante que la
NSA présente un bilan mitigé. Bien que ses capacités
d`interception soient indubitables, et que la période post-11 septembre
ait redonné un second souffle aux services de renseignement, grâce
à un budget plus important aussi bien en terme d`achats ou de
rénovation de matériel, qu`en terme de recrutement, les cinq
dernières années ont surtout fourni la preuve que la NSA
était faillible, et que son adaptation à Internet requerrait
à la fois du temps, de l`argent et beaucoup d`énergie.
L`association Internet/ Services de renseignement se montre donc bien plus
fragile que l`on pouvait penser de prime abord. D`autant plus que les ennemis
auxquels les services font face sur Internet sont redoutables.
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