B. La révolution géopolitique post-1989
et les conséquences du 11 septembre.
La cryptologie est un aspect essentiel de l`association Internet/
Services de renseignement. Mais peut-être n`aurait-elle pas connu le
même développement si de brutales révolutions
géopolitiques n`avaient pas eu lieu au cours des vingt dernières
années. Avec l`effondrement du Bloc Soviétique, les services de
renseignement ont dû repenser leur stratégie. Face à
l`émergence d`une multitude d`ennemis pullulant sur la Toile, ils n`ont
cessé de renforcer la surveillance du Net. Il s`agit pour eux de
maintenir le pouvoir de l`Etat, en cherchant à défendre les
intérêts nationaux, menacés par de nouveaux adversaires en
provenance d`Internet. La sécurité occupe désormais le
devant de la scène.
a. Le nouveau panorama post-1989 : l`évolution du
concept de sécurité
« La guerre froide ayant pris fin, les missions des services
de renseignement ont évolué. La criminalité internationale
organisée et l`économie constituent de nouveaux terrains
d`activité.» 88. En l`espace d'une décennie, de
1989 à l'aube du troisième millénaire, les services de
renseignement ont vu évoluer la morphologie de leurs adversaires. De ce
fait, le renseignement a lui-même dû évoluer. Très
longtemps, on justifia le recours aux services de renseignement par la
nécessité de Défense, rôle traditionnellement
dévolu à l`Etat89. Or la défense de l`Etat,
bien souvent cantonnée à un aspect militaire, s`applique
aujourd`hui à de très nombreux autres domaines. Selon
François Léotard, ancien ministre de la Défense, «
dans une société moderne et élaborée, ayant atteint
le niveau de complexité qui est le nôtre, cette notion [de
Défense] ne se réduit pas au seul aspect militaire des choses,
mais s`étend naturellement à tous les aspects de la vie de la
cité : politique et diplomatique, économique, mais aussi
industriel, scientifique, technologique et culturel »90. La
conséquence immédiate est que le renseignement, tandis qu`il
s`était concentré durant la
88 Rapport Echelon, p.108 89 En France,
l`ordonnance du 7 janvier 1959 portant organisation générale de
la Défense, définit la défense de la nation comme «
ayant pour objet d`assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre
toutes les formes
d`agression, la sécurité et
l`intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population
».90 Défense et Renseignement, sous la direction de
Pierre Pascallon, p.20.
guerre froide, sur les questions essentiellement politiques et
militaires, va désormais considérablement étendre son
champ, tout en connaissant de profonds bouleversements structurels. En effet,
la fin de la Guerre Froide marque de sombres coupes à la fois dans le
budget et dans les équipes des services de renseignement. Les
façons de travailler doivent dès lors considérablement
évoluer. Le nombre d`agents collectant les informations ayant fortement
diminué, il faut compter sur une bonne mutualisation de l`information :
« La solution était d`aller online, utiliser le cyberespace pour
déplacer, distribuer et accéder à des montagnes de
rapports écrits par les services »91. Bien sûr, il
était hors de question que ces informations circulent sur Internet.
C`est ce qui conduisit à l`extraordinaire développement du
réseau Intelink, partagé par la NSA, la CIA et le Nation
Reconnaissance Office (NRO, agence de renseignements chargée des
satellites). Il est intéressant de noter la filiation entre Internet et
Intelink. James Bamford cite un officiel de la CIA pour qui, «
essentiellement, nous [la CIA] avons dans une très large mesure,
cloné la technologie d`Internet et l`avons appliquée à
notre propre système de communications »92. Ce point est
important : il montre que si les services de renseignement considèrent
surtout le Net comme un outil participant de leur travail traditionnel de
surveillance et d`interceptions des communications, de recherches de
données sensibles, de luttes contre des adversaires potentiels, il a
également joué un rôle fondamental dans la
redéfinition de leurs méthode de travail après
l`effondrement du Bloc Soviétique.
Parallèlement, on note que le terme de
"sécurité" est de plus en plus privilégié aux
dépens de celui de "défense". Il nous semble que ce glissement
sémantique symbolise deux tendances fondamentales : -d`une part, le
renforcement du contrôle de l`Etat dans des domaines très
étendus. En effet, la notion de Défense reste attachée
organiquement à la sphère militaire : le ministère de la
Défense, tout comme le Department of Defense gère les forces
armées. Pourtant, comme le souligne François Léotard, ce
qu'il s'agit de défendre aujourd'hui concerne tout autant
l`économique, l`industriel, le technologique, que le militaire.
D`où le recours à cette notion de sécurité qui ne
sous-tend pas uniquement des objectifs militaires.
91 James Bamford, op. cité, p.511 92
James Bamford, op.cité, p.512
- d`autre part, on peut avancer l`hypothèse que le terme
de sécurité fait également référence
à la sécurité informatique et technologique, que nous
évoquions plus haut. La multiplication des risques et le souci de
sécurité qui semblent caractériser la période
post-Guerre Froide ont eu de nombreuses influences concernant l'association
services de renseignement/ Internet. Sous prétexte de garantir la
sécurité, certains services n'ont pas hésité
à renforcer leur présence sur la toile, en se montrant de plus en
plus intrusifs. C'est ce qu'a révélé notamment le scandale
Echelon.
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