PARAGRAPHE 2 : LA SAISISSABLITE DE LA CREANCE.
La créance faisant partie du patrimoine du
débiteur est en principe saisissable(A) ; cependant la loi permet que
certaines d'entre elles ne le soient pas, car liées au statut du
débiteur, ou à leur nature(B).
A-LE PRINCIPE DE LA SAISISSABLITE DES CREANCES.
Le principe de saisissablité de l'ensemble des biens du
débiteur est affirmé par plusieurs textes. Aux termes de
l'article 2285 du code civil précité, «les biens du
débiteur sont le gage commun de ses créanciers et le prix s'en
distribue entre eux par contribution». L'article 2092 du même
code renchérit pour sa part en disposant que : «Quiconque s'est
obligé personnellement est tenu de remplir son engagement sur tous ses
biens mobiliers et immobiliers, présents et à
venir».
Ces textes signifient qu'en principe tous les biens du
débiteur peuvent être saisis. Cependant pour éviter que le
débiteur ne soustraie certains de ses biens pour les faire
échapper à la saisie, par exemple en les confiant à un
tiers, l'acte uniforme portant procédures simplifiées de
recouvrement et voies d'exécution dispose en son article 50 que
:«Les saisie peuvent porter sur tous les biens appartenant au
débiteur ,alors même qu'ils seraient détenus par des tiers,
sauf s'ils ont été déclarés insaisissables par la
loi de chaque Etat partie». Ce texte signifie que le débiteur
ne peut en aucun cas faire échapper ses biens à ses
créanciers ; et à contrario ces derniers ne peuvent saisir des
biens détenus par des tiers qui n'appartiennent pas au
débiteur.
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Ce principe établit peut cependant infléchir par
moment, lorsque la saisie porte sur des biens déclarés
insaisissables par la loi.
B-LES CREANCES INSAISISSABLES.
L`insaisissabilité peut avoir Son fondement dans le
statut du débiteur, ou alors dans la nature de la créance.
Pour ce qui est du statut du débiteur,
il faut distinguer avec M. SOH(M.) l'immunité de juridiction de
l'immunité d'exécution .La première a pour but de
soustraire certains biens de certaines personnes aux mesures
d'exécutions de ses créanciers ;la seconde quant à elle a
pour objet de dérober certains actes de certaines personnes au pouvoir
de juridiction des tribunaux170.
Aux termes de l'article 30 de L'A.U.P.S.R.V.E,
«L'exécution forcée et les mesures conservatoires ne
sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d'une
immunité d'exécution». Il s'agit sur le plan externe
des Etats étrangers, des agents diplomatiques étrangers, ainsi
que des chefs d'Etats étrangers. Sur le plan interne, nous avons les
personnes morales du droit public que sont l'Etat, les collectivités
territoriales décentralisées et les établissements
publics. Cette règle a été récemment
affirmée par la convention des nations unies sur les immunités
juridictionnelles des Etats et de leurs biens171.Cette règle
est liée à la souveraineté des Etats.
Notons cependant avec POUGOUE(P.G) et M.KOLLOKO (F.T.),
que le caractère civil, commercial ou industriel de
l'établissement public ne change en rien l'immunité dont
bénéficie l'établissement en question et les sommes de ces
personnes demeurent insaisissables172.
Dans une jurisprudence impliquant l'université de
NGaoundéré, l'insaisissabilité dont il est question lui a
été reconnue par le juge de la même ville, qui pour la
circonstance l'a appelé «service public
administratif». En l'espèce, il s'agissait une saisie a
été pratiqué sur les comptes bancaires de l'institution.
En la validant, le juge l'aurait privé des ressources
170 SOH (M.), insaisissabilité et immunité
d'exécution dans la législation OHADA ou le passe-droit de ne pas
payer ses dettes, juridis périodique n°05, juillet-aout-septembre2002,
ohadata, p89 ; D-08-27,p3.
171 Cette convention a été adoptée le 02
décembre 2004 par l'assemblé plénière des nations
unies puis ouverte à la signature des Etats parties du 17 janvier 2005
au 17 janvier 2007.
172 POUGOUE (P.G.) et KOLLOKO (F.T.), la saisie
attribution des créances ohada, coll VADE-MECUM ; PUA 2005, p15.
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permettant son fonctionnement et par conséquent
l'aurait empêché de mener à bien la mission de service
public dont elle est investie173.
La jurisprudence étrangère a pour sa part eu
à relativiser cette immunité d'exécution dont
bénéficient les personnes morales de droit public. Elle a eu
à décider que l'exécution forcée est possible
contre un Etat lorsqu'il a manqué d'honorer ses engagements
internationaux qui émanent d'une résolution de
L'O.N.U174 notamment au titre de remboursement de sa dette
extérieure175.Il en est de même lorsque l'Etat ou la
personne morale de droit public a renoncé à son immunité
d'exécution176.
Dans une autre décision, elle a pu restreindre la
portée de l'immunité d'exécution des Etats ; en
opérant une distinction entre les dettes contractées dans le
cadre de leur souveraineté pour lesquelles l'exécution
forcée demeure impossible et celles contractées dans le cadre
d'une activité purement privée ; elle a eu à
décider que : «Si l'immunité d'exécution dont
jouit l'Etat étranger et ses départements ministériels est
de principe, elle peut toutefois être exceptionnellement
écartée ,notamment lorsque le bien saisi a été
affecté à l'activité économique ou commerciale
relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice,
même si cette affectation n'a pas été prévue par une
clause expresse du contrat, la juridiction saisie pouvant rechercher par tout
moyen si cette affectation existe177».
Parmi les personnes qui bénéficient de
l'immunité d'exécution, il y'a également la banque
centrale178.En effet, non seulement il est impossible de pratiquer
une saisie conservatoire sur les comptes qu'elle détient pour le compte
des débiteurs, mais également on ne peut la condamner aux causes
de la saisie car elle jouit de l'immunité d'exécution .Ceci
traduit tout simplement le fait que la banque centrale prise comme
débiteur saisi ou comme tiers saisi est protégée par
l'immunité d'exécution179.Cependant il eut
été souhaitable que le législateur doive lors des
prochaines reformes, briser ou au mieux contourner cette forteresse
inexpugnable d'immunité de saisie par des mécanismes particuliers
,car elle constitue parfois une entrave au recouvrement de certaines
créances qui sont parfois dignes de protection.
173 Voir T.P.I de N'Gaoundéré, ordonnance de
référé n°03 du 20/12/1999 ; Université de
NGaoundéré c/NANG MINDANG, Hyppolyte, juris périodique
n°44, p31 ; obs. FOMETEU. (J.).
174 Organisation des nations unies.
175 Cass, 1ere, ch., 15 juillet 1999 IR, p230.
176 Cass, 1ere, ch., 06 juillet 2000, JCP G, 2001 ; II, 10512 ;
note KAPLAN et CUNIBERTI.
177 Cass civ, 1ere ch civ, 20 mars 1989, clunet 1990.1004 ;
cass civ, 1ere, 14 mars 1984 ; JCP 1984, II.20205, note synvet.
178 Encore abrégée B.E.A.C, c'est la banque des
Etats de l'Afrique centrale.
179 NASSER ABDELGANI SALEH, le compte bancaire et les
procédures civiles d'exécution, op.cit.p69.
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Notons enfin qu'une procédure collective ouverte
à l'encontre du débiteur peut empêcher toute mesure
d'exécution ainsi que le dispose l'article 9(2) de
l'A.U.P.C180 «la suspension concerne aussi bien les voies
d'exécution que mesures conservatoires. Elle s'applique à tous
les créanciers chirographaires et munis de privilèges
généraux ou de suretés réelles spéciales
telles que, notamment un privilège mobilier spécial, un gage, un
nantissement, ou une hypothèque à l'exception des
créanciers de salaires». Cela est dû au fait qu'elle
rend indisponible les biens, à cause du caractère collectif et
égalitaire de ces procédures entrainant par-là même
le dessaisissement des biens du débiteur. En effet lorsque le
débiteur se trouve dans un Etat de règlement préventif, de
redressement judiciaire ou de liquidation des biens, il est dessaisi de la
gestion de ses biens et les poursuites individuelles dirigées contre lui
sont suspendues ; ce dessaisissement a pour conséquence
l'indisponibilité des biens meubles et immeubles du débiteur
entre ses mains181.
A propos de l'immunité justifiée par la
nature de la créance, l'on distingue le cas des créances
insaisissables versées sur le compte bancaire182 ; et les
gains et salaires d'un époux commun en bien versés sur le
compte.
Les créances insaisissables n'ont pas
été déterminées avec exactitude par le
législateur ohada. L'article 51 de LA.U.P.S.R.V.E dispose : «
Les droits et biens insaisissables sont définis par chaque Etat
partie» .POUGOUE(P.G) et KOLLOKO (F.T.) pensent que l'acte uniforme
est resté muet sur la question183.Il s'agit des comptes
alimentés par les salaires, les pensions de retraite, les sommes
payées à titre d'allocations familiales, de toute somme ayant un
caractère alimentaire ou provenant des créances
insaisissables184.Selon l'acte uniforme, «Les
créances insaisissables dont le montant est versé sur un compte
demeurent insaisissables ».La mise à la disposition
immédiate du débiteur des créances insaisissables est
limitée au dernier versement185.
Terminons enfin par l'insaisissabilité des
gains et salaires d'un époux commun en bien. Rappelons que
cette insaisissabilité n'est que partielle dans la mesure où la
procédure est orientée vers les revenus du débiteur et non
vers ceux du conjoint qui n'est pas partie à
180 Acte uniforme portant procédures collectives
d'apurement du passif.
181 MESSI ZOGO (F.R) ; l'exécution du titre
exécutoire étranger, mémoire de master 2,
université de N'Gaoundéré 2013/2014 ; p73.
182 Art 52 de L'A.U.P.S.R.V.E.
183 POUGOUE (P.G.) et KOLLOKO (F.T.), la saisie attribution
des créances ohada, op.cit, p13.
184 TGI de Lyon, 15 mars 1989 ; cass civ 2eme, 28 mars 1994.
185 Art 53 de l'A.U.P.S.R.V.E.
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l'opération donnant lieu à la
saisie186.D'ailleurs l'acte uniforme est même sans
équivoque à ce sujet en disposant que :«lorsqu'un compte
même joint alimenté par les gains et salaires d'un époux
commun en bien ,fait l'objet d'une mesure d'exécution forcée ou
d'une saisie conservatoire pour le paiement ou la garantie d'une créance
née du chef du conjoint, il est laissé immédiatement
à la disposition de l'époux commun en bien, une somme
équivalant ,à son choix au montant des gains et salaires
versés au cours du mois précédent la saisie, ou au montant
moyen annuel des gains et salaires versés au cours des douze derniers
mois précédent la saisie».
Cependant l'on peut penser à la suite du professeur
SIMLER que cette limitation de la saisie à une fraction au choix du
conjoint n'est pas complète dans la mesure où une grande partie
de ses revenus feront l'objet de saisie187. Il faudrait plutôt
ramener le montant mis à la disposition du conjoint à
l'équivalent de trois(3) mois de salaires188 ; car ce sont
là toutes les économies de ce dernier qui sont ainsi mis à
la disposition du créancier de son époux.
A notre sens, cette idée est digne d'inspirer le
législateur ohada lors des prochaines reformes. L'on pourrait même
être tenté de suggérer l'augmentation du montant de la
somme laissée à la disposition du débiteur, notamment
à travers la prise en compte de la somme laissée au choix du
conjoint non saisi, qui devrait avoir pour fondement non pas le montant des
gains et salaire versés au cours du seul mois ayant
précédé la saisie, mais au cours de deux, trois mois voire
plus...pourquoi pas une année ?189.
186 ZOUATCHAM (H.P.), la saisie des sommes d'argent entre les
mains des banques, op.cit.p38.
187 NASSER ABDELGANI SALEH, le compte bancaire et les
procédures civiles d'exécution, op.cit.p71.
188 SIMLER (PH.), «De quelques lacunes du dispositif
législatif relativement à la saisissablité des revenus des
époux en régime de communauté» droit et
actualité, études offertes à BEGUIN.J.Ed lexisnexis, p689
et
suivants ; cité par ZOUATCHAM (H.P.), la saisie des
sommes d'argent entre les mains des banques, mémoire de master,
université de Yaoundé 2,2004/2005 ; p39.
189 Car il se peut que ce compte soit alimenté depuis de
nombreuses années auparavant.
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