Introduction
1. Problématique
L'application par la République Démocratique du
Congo des dispositions légales portant gratuité de
l'éducation de base restée lettre désuète depuis
des années,constitue un important progrès dans l'optique de la
réalisation de l'Education Pour Tous. En effet, la scolarité ne
peut être obligatoire, ni universelle si elle n'est pas en même
temps gratuite. Il y a plus de dix ans, l'UNICEF a souligné ce fait en
retenant l'instauration des frais scolaires comme le principal obstacle
à la scolarisation.
Le Ministère de l'Enseignement Primaire, Secondaire et
Professionnel a reconnu, à son tour, que « le recours
institutionnalisé aux contributions des ménages pour faire face
au financement du système éducatif représente une
barrière importante à la scolarisation universelle ».
La gratuité de l'enseignement s'avère ainsi l'un des facteurs
d'accès des enfants et des jeunes à l'éducation scolaire,
un des éléments propres à assurer l'égalité
des chances, une des composantes du droit à l'éducation. Elle est
donc un moteur de progrès et constitue, pour le pays, un enjeu social et
politique.
Un détour par l'histoire est fort éclairant et
montre que suite aux multiples défis apportés par
l'indépendance, la réforme du système éducatif
s'imposait impérieusement. Cette nécessité a
été une fois de plus rappelée, pour le Congo, et pour tous
les pays Africains réunis à la Conférence d'Addis-Abeba en
1961. Pour cette conférence, les nations africaines devaient planifier
leurs systèmes éducatifs dans le but de les rattacher aux
objectifs du développement économique et social. Le plan à
long terme, élaboré à l'issue de la conférence
d'Addis-Abeba, insistait particulièrement sur l'impératif d'un
enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous. C'était
là le prix à payer pour assurer le développement de
l'Afrique.
Ayant pris part à la conférence d'Addis-Abeba,
la RDC a retenu, dans sa première Constitution, adoptée en 1964,
connue sous le nom de la Constitution de Luluabourg, la gratuité et
l'obligation scolaire comme principes fondamentaux devant régir le
fonctionnement de son système éducatif. La Constitution de
Luluabourg n'a été que de courte durée. Son application a
été suspendue par le coup d'État du 24 novembre 1965,
conduit par le Colonel Mobutu. Seulement, ni le Manifeste de la N'Sele, ce
catéchisme du Mouvement Populaire de la Révolution, ni la
Constitution du 24 juin 1967 et différentes révisions
constitutionnelles n'ont repris la gratuité et l'obligation comme
principes de base de l'enseignement primaire.
Il a fallu attendre l'organisation de la Conférence
Nationale Souveraine (CNS), en 1992, pour voir le peuple congolais, en
quête de libertés et de droits fondamentaux, inclure dans le
projet de Constitution et dans la charte de l'éducation
élaborés au cours de ce forum, l'obligation et la gratuité
de l'enseignement primaire.
Malheureusement, à l'instar des autres recommandations
et actes de la Conférence Nationale Souveraine, la Constitution et la
charte de l'éducation ont été des véritables
mort-nés et n'ont guère vu le début de leur application.
Pour ainsi dire, la longue période de guerres traversée par la
RDC de 1996 à 2003 a, tout naturellement, porté un coup dur
à son système éducatif, de sorte qu'il n'a pas
été possible d'imaginer la réalisation de la
gratuité de l'enseignement, ni celle de l'obligation scolaire.
De même, le Gouvernement de Laurent Désiré
Kabila dans son programme triennal, n'a fait que des déclarations
générales vagues sur la nécessité d'une
éducation pour tous. Au même sillage, la Constitution de la
transition politique, appliquée de 2003 à 2006, ne s'est pas non
plus préoccupée de la gratuité de l'enseignement.
Cependant, le 18/02/2006, le législateur Congolais a
reconnu la nécessité de s'approprier d'un texte juridique portant
gratuité de l'enseignement primaire (Article 43 de la constitution).
Disposition révisée par la loi-cadre de l'enseignement national
n°14/004 du 11 février 2014 en assurant son extension jusqu'au
secondaire général sous le vocable de l'éducation de base.
Ila été difficile de concilier ce catalogue d'intentions à
la réalité, dans la mesure où cette disposition est
restée souffrante quant à sa matérialisation.
En effet, plusieurs griefs ont été
évoqués pour justifier l'inaction de toutes ces
différentes stipulations légales, notamment la baisse dramatique
des dépenses publiques réelles, du fait que la RDC sort d'une
longue crise économique et politique qui a eu de graves
conséquences sur le système éducatif. Plus de trois
décennies de déclin économique, de chaos politique et de
guerre ont créé des conditions extrêmement difficiles pour
l'éducation au Congo.
En plus des effets généraux de
l'instabilité politique, du chaos économique et de la guerre, le
système éducatif a subi des atteintes directes, comme l'absence
presque totale des établissements scolaires à la taille de la
population d'élèvesen croissance continue; le manque
généralisé des outils de formationà tous les
niveaux d'études etune partie importante des infrastructures
dégradées... Et, le problème des salaires des enseignants
parait l'un des plus prégnants dans l'optique de la réforme du
système éducatif de la RDC (Rapport Banque mondiale, 2005, PP
26-45).Toutes ces barrières d'ordres politique et managérial dont
la liste n'est même pas exhaustive constituent des véritables
obstacles pour la matérialisation de la scolarisation primaire.
Tout récemment (un certain samedi, le 02 mars 2019)
à travers une déclaration politique, le Chef de l'Etat congolais,
en formulant les voeux de son programme mandat (programme d'urgence ou de cent
jours le nomme-t-il), annonce ses priorités dans dix secteurs, inclure
aussi la gratuité de l'enseignement de base. Au cours de ce même
meeting, il a chargé au gouvernement de tout mettre en oeuvre pour
appliquer les dispositions légales y relatives dès la
rentrée scolaire 2019-2020.
De leurs côtés, les enseignants
réclamaient avant tout la ténue d'un dialogue consensuel pour une
étude de faisabilité pouvant inventorier les préalables
devant concourir à la réussite de la passionnante vision. A en
croire, les acteurs éducatifs (praticiens) estimaient qu'il fallait
d'abord s'attaquer aux causes qui entravaient l'effectivité de la
gratuité depuis des années alors que garantie par la
constitution ; faire ensuite un plan opératoire. Ils devaient aussi
s'assurer de l'incidence de la gratuité dans leurs conditions de vie.
Sans prendre en compte les suggestions des enseignants, la
gratuité a été appliquée. Subséquemment,
à Kinshasa la capitale du pays, les enseignants ont affiché leur
mécontentement par le déclenchement d'une grève pour
certaines écoles, manifestations publiques et communications diverses
dans les médias pour d'autres. Ce qui poussera le Chef de l'Etat
à la convocation d'une table ronde du 22 au 24 Août 2019 dont les
résolutions n'ont pas été prises en compte.Mais pour
apaiser les enseignants,il a promis l'amélioration de l'enveloppe
salariale.
Actuellement, la gratuité de l'enseignement est une
réalité. Mais, en focalisant notre attention dans la
sous-province éducationnelle de Matete, nous avons observé que
ladite gratuité de l'enseignement fait face aux multiples
défis ; pendant que les enseignants déplorent la
modicité de l'enveloppe salariale, il naît la problématique
des effectifs pléthoriques. Compte tenu du dépassement de taux
d'encadrement les enseignants n'arrivent plus à produire le meilleur
d'eux-mêmes. Les conditions d'apprentissage se détériorent
de plus en plus, il se vit la carence des bancs et pupitres, les
élèves s'assoient à même le sol, etc. Et, la
situation préoccupe le chercheur en sciences de l'éducation que
nous sommes.
Partant, nous avons dégagétrois faits majeurs
dont la démotivation des enseignants, le « non-respect de la
législation scolaire en matière des effectifs et l'atteinte aux
conditions d'apprentissage qui mettraient en cause la qualité de
l'enseignement dispensé, fruit de l'improvisation».En appui
à la thèse, des étudesrévèlent que les
effectifs pléthoriques et les mauvaises conditions d'apprentissage
impactent négativement sur le rendement scolaire.En mettant l'accent sur
l'accès universel, les hommes politiques congolais se sont
essentiellement focalisés sur les aspects quantitatifs dans leur
politique d'éducation. Pourtant, il semble très probable que la
réalisation de la participation universelle à l'éducation
dépendra fondamentalement de la qualité de l'éducation
disponible.
En 1990, la déclaration mondiale sur l'éducation
pour tous a noté que la qualité de l'éducation, dans
l'ensemble insuffisante, avait besoin d'être améliorée et a
recommandé de rendre universel l'accès à
l'éducation et d'en parfaire la pertinence. La Déclaration a
aussi considéré la qualité comme une condition
préalable de la réalisation de l'objectif fondamental de
l'équité. Il a été reconnu que
l'élargissement de l'accès ne suffirait pas en soi pour que
l'éducation puisse contribuer pleinement au développement des
individus et de la société.
Plus fondamentalement, l'éducation est un ensemble de
processus et de résultats qui sont définisqualitativement. La
quantitéd'enfants qui apprennent est par définition une
considération secondaire: se borner à remplir d'enfants des
espaces appelés «écoles» ne répondrait
même pas aux objectifs quantitatifs si aucune éducation
réelle n'y était dispensée.En ce sens, on pourrait juger
regrettable que les aspects quantitatifs de l'éducation aient
mobilisé ces dernières années l'essentiel de l'attention
des responsables de la formulation des politiques. En conséquence, il
devrait aussi être difficileaux analystes comme aux responsables de la
formulation des politiques de ne pas prendre en compte sa qualité.
Nous nous gardons de dire que dans le contexte de la RDC, la
gratuité de l'enseignement est encore prématurée. Car,
l'école et plus généralement le champ scolaire congolais
ont survécu au coeur d'une société ou d'un État
souvent décrit comme «failli », la gestion des
écoles a été solidement prise en charge par les parents.
A Kinshasa la capitale du pays par exemple, il y a des
années, l'Etat n'a pas poursuivi l'investissement public pour
répondre à la constance de la demande de scolarisation, faisant
des écoles privées un sauf-conduit pour se désengager
subtilement de ses responsabilités du premier financeur de
l'éducation. Les effectifs de l'éducation primaire ne se sont pas
effondrés; les chiffres absolus en primaire ont au contraire
doublé, alors que conditions matérielles et pédagogiques
sont très dégradées et corrompues. La performance
éducative est hautement mise en question. Donc, il fallait beaucoup
d'ajustements avant d'engager une quelconque réforme.
Logiquement, le système éducatif est une lourde
machine, dotée d'une grande force d'inertie. Pour réorienter sa
trajectoire, il faut du temps, comme pour changer le cap d'un paquebot.
L'impatience est mauvaise conseillère. Les politiques éducatives
ont besoin de temps (Perrenoud, 2002, p.3). Outre, Les politiques de
l'éducation ne seront fortes que si, décidées
légalement, elles sont aussi négociées avec les
professionnels et les usagers, bref avec les partenaires ou les acteurs
principaux de l'éducation. Les décisions se prendront alors un
peu moins vite, mais les acteurs impliqués dans la négociation
soutiendront en général les compromis qui en résulteront
(GatherThurler cité par Perrenoud, 2002, p.5).
Nous devons clarifier que le but de cette recherche n'est pas
de remettre en cause les critiques formulées à l'encontre de la
gratuité de l'enseignement,mais son importance réside dans le
fait qu'elle attire notre attention sur la dimension pédagogique du
système éducatif et qu'elle nous fournit les outils analytiques
permettant à la fois d'identifier et de projeter dans le temps et dans
l'espace les éléments matériels du système
éducatif qui concourent à un effort de planification
éducative générale.La présente étude
s'efforce de répondre aux jérémiades de NGONGO DISASHI qui
geignait que la pédagogie moderne est enseignée à
l'université congolaise depuis plus de 50 ans, mais il n'existe pas
encore une tradition scientifique que pédagogique que l'on pourrait
qualifier de Congolaise (IBEKI, G., 2007).
Cette problématique est d'autant plus épineuse
en RDC car la gratuité est instituée au moment où la
nation fait face à une multitude de défis et où tout
semble prioritaire pour son développement. Dans ce contexte,
marqué par le conflit des priorités, des questions fondamentales
méritent d'être posées :
1. Quels seraient les principaux défis lancés
à la gratuité de l'enseignement primaire dans notre
pays ?
2. La gratuité de l'enseignement de base inscrite dans
la Constitution de la RDC et proclamée par le Président de la
République ne peut-elle pas avoir, dans des conditions actuelles, un
impact négatif sur la qualité de l'enseignement ?
3. Si elle est, certes, indispensable pour assurer
l'éducation pour tous, la gratuité,sans une planification
rationnelle au préalable, est-elle possible dans l'immédiat?
4. Le pari de la gratuité étant
déclaré irréversible par le pouvoir organisateur, que
faut-il faire pour stabiliser sa mise en oeuvre afin d'y parvenir à
l'adéquation gratuité-qualité ?
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