CHAPITRE II
RÉVISION DE LA LITTÉRATURE SCIENTIFIQUE
ET JURIDIQUE, CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL DE LA RECHERCHE
Le présent chapitre s'étale sur deux points : la
revue de littérature scientifique et juridique de l'objet de recherche,
les perspectives théoriques et le cadre conceptuel de la recherche.
Comme nous l'avons annoncé précédemment,
ce chapitre est le couronnement de la phase conceptuelle de notre recherche. Il
a pour vocation de décrire le domaine d'intervention de la
présente étude, de faire ressortir les questions laissées
ouvertes par des travaux antérieurs et finalement préciser le
champ où s'inscrit la recherche.
1. Revue de littérature scientifique et
juridique de l'objet de la recherche
Pour mener à bien cette recherche, nous avons
priorisé une revue de littérature à double portée.
Il s'agit pour nous d'explorer toutes les pistes nécessaires en vue de
parvenir à une explication juridique adéquate de notre objet de
recherche. Ainsi, il sera premièrement question de faire une recension
critique des travaux réalisés sur l'intervention des Nations
Unies à travers le monde en général et sur l'intervention
des Nations Unies en Haïti de 2004 à 2017 en particulier.
Deuxièmement, nous allons recenser les normes, les jurisprudences et les
notes doctrinales juridiques portant sur l'intervention en question.
1.1 Tour d'horizon général sur l'état
de la littérature de l'intervention des Nations dans le monde et en
Haïti de 2004 à 2017
La littérature de l'intervention internationale des
Nations unies est relativement abondante, contradictoire et diversifiée.
Parmi les auteurs ayant travaillé sur l'intervention des Nations unies
dans le monde, nous retenons les noms de Barbarat Delcourt, Olivier Corten,
Thierry de Montbrial, Roland Marchal et Richard Banégas. Tandis que pour
les travaux spécifiques qui traitent de l'intervention des Nations unies
en Haïti, ont été retenus les noms de : Rose-Anne St Paul,
Ricardo Seitenfus, Jocelyn Coulon, entre autres.
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Une gamme de données et de réflexions assez
riches existe à propos des interventions internationales menées
notamment par l'ONU. Retenons à titre d'exemple l'ouvrage de Barbara
Delcourt et Olivier Corten intitulé « Ex-Yougoslavie : Droit
international, politique et idéologies ». La philosophie
adoptée pour la rédaction de cet ouvrage a été
toute particulière. Les auteurs croient que seule une analyse des
relations dialectiques liant droit international et politique permet de
comprendre ce qui s'est passé en Ex-Yougoslavie de 1991 à 1995.
Dans un premier chapitre les auteurs se sont penchés sur l'impact de la
politique sur le droit international. Ils dénotent une certaine
contradiction dans la prise de position juridique de certains États lors
des revendications d'indépendance de la Croatie et de la Slovénie
notamment ainsi que la faiblesse d'institutions comme les Nations unies. Dans
un deuxième et troisième chapitre, ils traitent des
théories politiques portant sur les relations internationales avant de
terminer, au troisième chapitre sur une critique du rôle du juge
au sein de la « Commission de Badinter » notamment. Si nous
reconnaissons l'importance d'un tel travail, il n'en demeure pas moins que
l'emphase n'est pas suffisamment mise sur l'O.N.U. qui est pourtant l'organe
régulateur des relations internationales.
Vient ensuite cet article de Roland Marchal et Richard
Banégas ainsi libellé « Intervention et
Interventionnisme en Afrique ». Publié en 2005 dans les
colonnes de la revue en Ligne CAIRN INFO, ce texte d'une utilité
remarquable propose des informations assez pertinentes. La réflexion de
ces auteurs part d'un constat qui date du 06 Novembre 2004 lorsque
l'armée française détruisit l'aéronef de
l'armée ivoirienne. Pour eux cette décision de Paris et l'absence
de réaction notable tant au niveau national qu'européen et
international laissent entrevoir un consensus mou sur les politiques
d'interventions en Afrique. Voulant inscrire leur réflexion dans un
cadre beaucoup plus académique, les auteurs ont souligné que ces
actions internationales et onusiennes s'inscrivirent dans le cadre d'une
conception solidariste, laquelle autorise l'O.N.U. à intervenir au nom
du principe de la responsabilité internationale de protéger.
Malheureusement, les auteurs ont simplement voulu faire un bilan de
l'interventionnisme en Afrique sans toutefois trancher les questions. C'est du
moins, les limites de leur réflexion, pensons-nous. Notre travail de
recherche se propose donc d'aborder la question sous cet angle.
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Thierry de Montbrial livre, dans un article publié en
1998 sous le titre « Interventions internationales, Souveraineté
des États et démocratie », une autre réflexion
théorique sur le système international actuel qui mérite
d'être soulignée. Ce système se caractérise,
notamment, par la remise en cause de la notion d'État et par
l'émergence d'une « société » plutôt
qu'une « communauté » internationale. En attendant un
hypothétique «gouvernement mondial» que le système des
Nations unies ne préfigure pas, de nouveaux types d'unités
politiques apparaissent, dont la construction européenne est la plus
avancée. Pour l'auteur, cette évolution implique une
réflexion sur la notion d'universalité, dont les Occidentaux se
font les chantres.
Quant au deuxième niveau, le constat est clair. En
dépit de la très abondante littérature qui existe à
propos de l'interventionnisme onusien en Haïti, les ouvrages
spécifiques qui traitent de notre problématique sont rares.
Toutefois, des articles et ouvrages de certains auteurs, des travaux de
recherches menés par d'autres étudiants ont
particulièrement façonné notre démarche. C'est le
cas de ce mémoire de sortie présenté par Rose-Anne St Paul
à la Faculté des Arts et des Sciences de l'Université de
Montréal en vue de l'obtention du grade de Maitrise en Sciences en
études internationales, Janvier 2013. Ce travail de recherche, « Le
chaos régulé : Une approche épistémique de
l'intervention humanitaire », se propose de comparer les modes
d'interventions étatique et non étatique ayant une optique de
maintien ou de rétablissement de la paix, de développement
économique et social, pour des raisons humanitaires. Le travail
réalisé par Rose-Anne St Paul concerne trois des interventions
américaines en Haïti. S'il est particulièrement utile
puisqu'il transpose la problématique de l'intervention internationale en
Haïti, nous pensons qu'il faut aller plus loin. Notre travail de sortie
dont l'objet de l'étude est l'établissement du lien entre la
Faillite de l'État haïtien et l'intervention des Nations unies en
Haïti en 2004 devra répondre à cette attente.
Nous ne pouvons passer sous silence l'oeuvre de Ricardo
Seitenfus à travers son ouvrage titré « L'échec
de l'aide internationale à Haïti : Dilemmes et égarements
». Paru en 2015 aux Éditions de l'Université
d'État d'Haïti, l'essentiel de cet ouvrage nous est rapporté
par Raoul Peck qui le préface. Dans cet ouvrage, Ricardo Seitenfus, nous
livre un puissant témoignage sur le rôle de l'international en
Haïti. Quoique l'on puisse penser de ses actions sur le terrain et du
rôle récent, de l'auteur dans la crise haïtienne, force est
de constater que le livre de Ricardo Seitenfus offre une précieuse base
de données sur le mode opératoire de l'international en
Haïti.
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Bien qu'il ne traite pas spécifiquement de notre objet
de recherche, ce livre constitue un véritable guide à notre
travail de recherche. Dans cet ouvrage, l'auteur soulève des
questionnements qui dénotent non seulement une certaine faiblesse de sa
part mais également un manquement dans la connaissance des causes
entrainant ces nombreuses interventions étrangères en Haïti.
Quand il s'interroge par exemple : « qu'y-a-t-il de si extraordinaire sur
la Terre de Toussaint Louverture qui puisse expliquer son inadaptabilité
constante à la modernité ?». C'est précisément
l'une de nos préoccupations puisque nous proposons justement de
déterminer les différents facteurs qui ont
déterminé l'intervention des Nations unies en Haïti.
D'autres textes couvrent également notre
problématique. Considérons cet article de Jocelyn Coulon
titré : « L'intervention internationale. Pour une
éthique de l'engagement sur la longue durée ». Les
interventions internationales, plus encore celles déclenchées
dans l'urgence, sont toujours sujettes aux contingences. Elles sont le fruit de
débats et de compromis entre le possible et l'idéal, entre les
intérêts et la morale, entre l'utilitaire et le
désintéressé. À partir d'exemples concrets
(Haïti et Bosnie, Kosovo et Darfour), l'auteur s'interroge sur
l'éthique de l'engagement sur la longue durée. Selon lui, elle a
des chances de réussir si les membres de la
communautéì internationale décident d'investir
des moyens conséquents et de faire preuve d'une
volontéì politique exempte de
discontinuitéì lorsqu'elle déclenche une
intervention. À travers ce texte, l'auteur inscrit les interventions
internationales dans l'arène d'une politique « deux poids, deux
mesures ». Il fait remarquer que les résultats des interventions de
la communauté internationale ont été variables. Selon la
situation, les interventions sont teintées d'incohérence ou bien
planifiées, les unes ont réussi et d'autres se sont
soldées par un échec. Pour asseoir son argumentation, l'auteur a
notamment comparé les interventions en Haïti et à Bosnie. Si
l'intervention de la communauté internationale ou plutôt des
Nations unies en Haïti n'a pas été le principal objet de ses
réflexions, l'auteur a tout de même façonné notre
démarche en nous invitant à poursuivre la réflexion de
manière plus poussée.
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