CONCLUSION DE L'ÉTUDE
Pratique très controversée et critiquée
dans les relations internationales, l'intervention internationale demeure une
forme de manifestation de l'ingérence que le droit international ne
parvient toujours pas à prévenir voire éradiquer. Si
l'égalité souveraine des États, constitue aujourd'hui le
principe fondateur et la pièce maitresse des relations internationales,
l'intervention des grandes puissances et des structures multinationales (comme
l'ONU) pour des fins humanitaires et de sécurité internationale,
l'emporte toujours. De 2004 à 2017, Haïti fut le
théâtre d'une importante intervention des Nations Unies à
travers la MINUSTAH. Cette intervention, ayant conquis notre curiosité
d'apprenti-chercheur, nous a amené à mener cette recherche.
Toutefois, devant l'arsenal juridique, souvent contradictoire, dont nous
disposons, parvenir à une explication juridique de cette
problématique constituait un défi énorme. C'est ainsi que
notre question de recherche a apparu: Comment expliquer les origines et
fondements juridiques de l'intervention des Nations Unies en Haïti de 2004
à 2017 ? Au terme de cette recherche, trois principales conclusions ont
pu être obtenues :
1- L'intervention onusienne en Haïti de 2004 à
2017 tire son origine dans la structure actuelle de l'ordre juridique
international qui conditionne la souveraineté des État au
principe de la « responsabilité de protéger »
2- L'intervention onusienne en Haïti de 2004 à
2017 se fonde essentiellement sur la fragilité, la défaillance ou
encore la faillite des trois Pouvoirs de l'État, Codépositaires
de la souveraineté nationale ;
3- L'intervention relève finalement du triomphe de
l'arbitraire en Haïti au mépris de l'État de droit.
En effet, première République noire
indépendante du monde, deuxième en Amérique après
les États-Unis, Haïti n'a malheureusement pas su intégrer la
société internationale dans son entièreté. Son
Histoire et ses réalités auront fait de lui une Nation
singulière. Avec le professeur Leslie F. Manigat (2007, p. 623), nous
avons pu noter trois données de base permettant de conférer
à tout pays le statut de puissances dans le domaine des relations
internationales. Il s'agit
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de ses dimensions territoriale, démographique et
économique. Haïti ne possède malheureusement aucun de ces
attributs.
Plus loin avec Véronic Dufour (2011, p. 28), nous avons
constaté qu'Haïti a encore beaucoup de chemin à parcourir
pour faire reculer la pauvreté, la faim, les maladies,
l'analphabétisme, la discrimination envers les femmes et la
dégradation de l'environnement. Plusieurs problématiques internes
et facettes propres au pays expliquent ce manque d'avancement depuis la
ratification de la Déclaration2 à la tournure
du millénaire. Plutôt que démontrer des progrès, la
majorité des indicateurs macro-économiques régressent : le
PIB est faible, le budget est déficitaire et fortement dépendant
de l'aide internationale et la structure des échanges commerciaux est
déséquilibrée. Plusieurs jeunes sont sans emploi et la
pression sur l'ensemble du territoire s'accentue de pair avec la croissance
démographique. La richesse du pays est très mal répartie
et la majorité des haïtiens se consacrent à des emplois
informels (GRAP3, 2003).
Les données prouvent que ce statut de paria
conféré à Haïti sur la scène internationale
s'explique en grande partie par sa dépendance vis-à-vis des
maitres du système international qui pensent qu'à
pérenniser leur hégémonie sur le reste du monde. D'un
côté, il y a la règle qui est la non-intervention et de
l'autre côté il y a l'intervention des plus forts États
dans la politique interne des plus faibles.
Cette situation se traduit par l'impossibilité pour les
petites Nations d'échapper à l'impérialisme, aux
conséquences de la mondialisation de l'Économie, du savoir et
pourquoi pas de la législation. Compte tenu de la teneur de cette
évidence, nous pensions qu'il était légitime de
questionner la capacité réelle de la République
d'Haïti à disposer de lui-même indépendamment de toute
ingérence étrangère. D'où la deuxième
conclusion qui laisse comprendre que l'intervention se fonde sur la
défaillance ou plus encore sur la faillite de l'État
haïtien.
Sur le plan strictement interne, Haïti est un État
absent, privé de toutes les caractéristiques d'un État
moderne. Pour reprendre les propos de Magaly Brodeur (2012, p. 51), sur le plan
juridique ou plus spécifiquement sur le plan législatif, il est
possible de noter que les lois
2 En septembre 2000, les 191 Etats membres des Nations unies
se rassemblent à New York et adoptent la déclaration du
Millénaire. "Nous sommes résolus à faire du droit au
développement une réalité pour tous et à mettre
l'humanité entière à l'abri du besoin", ont
déclaré les chefs d'Etat, qui se sont engagés à
intervenir dans huit domaines spécifiques, pour atteindre d'ici à
2015 les objectifs du Millénaire pour le développement qui sont
au nombre de huit (8) (à retrouver sur le site web des Nations
Unies).
3 GRAP, Groupement Régional Alimentaire de
Proximité, est une coopérative réunissant des
activités de transformation et de distribution dans l'alimentation
bio-locale.
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haïtiennes comportent des lacunes majeures et souffre
d'un déficit énorme d'applicabilité. Sur le plan
économique, le pays patauge dans la précarité. Sans
oublier la corruption croissante qui gangrène l'administration publique
haïtienne et freine tout effort de développement. Ce qui
amène à la troisième conclusion. L'absence d'une
gouvernance fondée sur le respect des normes établies a donc
ouvert la voie à l'intervention.
Tout cela vient à confirmer notre hypothèse
principale qui laisse croire que l'intervention est une conséquence de
la défaillance des trois pouvoirs de l'État
Co-dépositaires de la souveraineté nationale. Ainsi, pour revenir
à nos hypothèses opératoires, durant toute la Mission, les
obligations juridiques de l'État haïtien exprimées dans la
Constitution et dans les normes juridiques internationales n'ont pas
été normalement satisfaites. De plus, l'État haïtien
a perdu, à la faveur de la Mission, le monopole de la violence
légitime, le pouvoir réel de régulation de
l'économie et ses différentes fonctions régaliennes ont
intégré les actifs de la Mission.
Quant à l'hypothèse spécifique 1, elle a
été nuancée. À la lumière des nouvelles
notes doctrinales sur la souveraineté de l'État, deux
observations peuvent être faites. Premièrement, si l'on
considère que la Constitution occupe toujours la première place
de la hiérarchie des normes, l'intervention est tout à fait une
atteinte à la Souveraineté de l'État haïtien de part
son mode d'exécution. Car il est clairement exprimé dans la
Constitution haïtienne en vigueur que l'existence d'un autre corps
armé en Haïti est prohibée. Si au contraire, on
considère les tendances actuelles du droit international telle que
présenté par le rapport de la Commission international de
l'intervention et de la souveraineté des États, on va dire que ce
n'est pas forcément le cas dans la mesure où, pour reprendre la
déclaration du Professeur Jean-Marie Théodat (p. 336) :
La défaillance d'un État n'est pas seulement un
danger sur la scène internationale, dans la mesure où elle
introduit un élément d'incertitude dans les relations
diplomatiques, mais aussi en raison de la précarité que cela
entraîne pour l'ensemble du corps social dont les services de base ne
sont plus fournis par le prestataire attitré.
C'est ainsi qu'entre 2004 et 2017, les Nations Unies sont
venues faire à la place des autorités haïtiennes ce qu'elles
auraient dû faire. Des forces onusiennes composées de policiers,
de militaires et de civiles se sont déployées sur l'ensemble du
territoire national dans l'objectif d'y rétablir la
sécurité et l'ordre public, la protection des droits de la
personne humaine, l'État de
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droit, la Justice, la législation, la défense et
l'intégrité du territoire entre autres. Cette mission a donc
tapé dans l'oeil la souveraineté de l'État
haïtien.
Cette recherche a été réalisée
dans un contexte assez particulier et truffé de difficultés.
Réalisé à un moment où le pays bascula dans une
crise sociopolitique sans précédent (Peyi Lòk4)
jointe à la sanglante pandémie de Covid-19, ce mémoire de
recherche nous a coûté beaucoup d'énergie. C'est au niveau
de la collecte des données que les défis étaient plus
importants. En effet, à certains moments de la durée, visiter des
centres bibliothécaires, avoir de l'internet et de
l'électricité relevaient de la pure illusion. Par ailleurs les
premières tentatives de recherches réalisées
étaient totalement vouées à l'échec quand un virus
informatique détruisit tout le fichier qui contenait le travail. Ceci
nous a amené à tout reprendre durant une année environ, de
la question de départ à la conclusion de notre recherche.
En effet, d'énormes manquements méthodologiques
pourraient être repérés en fonctions de la grille
évaluative utilisée. Des erreurs pourraient avoir
été commises lors de l'exploitation des différents
documents. Par ailleurs, nous reconnaissons que les résultats de la
recherche pourraient être plus intéressants si nous disposions de
sources supplémentaires. C'est là l'une des faiblesses de tout
étudiant haïtien, les documents peuvent parfois se
révéler inaccessibles. D'autres erreurs sont également
observables au niveau de la présentation des résultats où
les tableaux utilisés ne répondent pas forcément aux
normes universelles de présentations de tableaux de résultats. De
plus, nous reconnaissons qu'une meilleure revue de littérature, si
beaucoup plus de documents avaient pu être consultés, nous
permettrait de mieux contrôler certains indicateurs et paramètres
qui pourraient très certainement être utiles à la
présente étude.
En termes d'apports, d'autres projets de recherche se
profilent à partir de la présente étude. En effet, il
serait intéressant que d'autres études couvrent de manière
spécifique les différents domaines d'intervention de la Mission
en Haïti. Une recherche pourrait reposer sur l'intervention militaire de
la Mission en ayant recours aux différentes opérations d'ordre
politique, militaire ou autre conduite par les Forces de Police et les
composantes militaires de la Mission. En outre, cette thématique a aussi
sa place dans de nombreux champs d'études. La
4 En Haïti, le concept Peyi Lòk (Pays
bloqué en français) a désigné un mouvement
populaire né sur les réseaux sociaux par des jeunes qui se
réclamaient de « petro challengers » en rapport avec le
scandale de gaspillage du Fonds Petro Caribe. Ce mouvement qui a vu le jour
à la fin de l'année 2019, avait pour principales revendications :
la démission du président et de l'ensemble des parlementaires, la
tenue du procès Petro Caribe.
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Psychologie pour comprendre le comportement des haïtiens
vis-à-vis des casques bleus ; la médecine pour comprendre la
question du choléra par exemple.
Dans l'ensemble, cette recherche nous a permis d'approcher une
thématique assez intéressante. Elle aura particulièrement
permis l'avancement de la pensée juridique haïtienne en
matière de relations internationales et de souveraineté de
l'État mais surtout aura force de sensibiliser la société
en générale sur la nécessité de refonder
l'État, de le doter de mécanismes nécessaires capables de
renforcer sa souveraineté interne et externe. Comme les travaux de
recherche réalisés sur ce thème, ce travail de recherche
cache beaucoup d'autres questions laissées ouvertes. Quoique aborder une
thématique intéressante et participer à l'avancement des
savoirs scientifiques à ce sujet, ce travail reste incomplet et
révisable.
Ainsi au terme de cette longue investigation, nous concluons
par une nouvelle question qui servira, espérons-le, d'une nouvelle piste
de recherche pour le futur : Peut-on dire qu'entre 2004 à 2017, il y
avait menace de la paix, génocide, crimes de guerre, nettoyage ethnique
; crimes contre l'humanité ou toute autre menace qui légitimerait
la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti?
Jean, B. (2010). L'ONU et les Opérations de
Maintien de la Paix. Port-au-Prince : L'Imprimeur II.
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