2. Le renforcement des capacités juridiques et
institutionnelles des Pouvoirs de l'État
Les résultats de cette recherche nous ont permis de
conclure que la défaillance des trois pouvoirs de l'État
haïtien est à l'origine de l'intervention des Nations Unies en
Haïti de 2004 à 2017. Toutefois, notre analyse des résultats
a particulièrement pointé du doigt la fragilité de
l'appareil judiciaire dans sa fonction de contrôle de la
conformité des ordres et des comportements des sujets de droits aux
règles. Voilà pourquoi nos présentes sous-recommandations
concernent davantage le pouvoir judiciaire.
Les propos de Suzy Castor (2013, p. 7) servent
particulièrement de déclic aux présentes
sous-recommandations. Selon l'auteure, la justice se trouve totalement
discréditée dans son fonctionnement quotidien qui se
révèle loin des idéaux et normes fondamentaux. De plus,
ajoute-t-elle, la crise de l'institution judicaire demeure l'une des nombreuses
manifestations de la crise
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de l'État dont elle n'est que l'un des segments. Cette
dynamique des structures judiciaires fragilise et pose de sérieuses
limites au processus de démocratisation qui a besoin, comme on le sait,
d'une justice saine pour sa consolidation. Peut-on construire un État de
droit avec un appareil judiciaire détourné de sa mission
essentielle ?
Deux importantes remarques ont été mises en
évidence. Premièrement l'appareil judiciaire haïtien souffre
d'un grand déficit de professionnalisme qui se traduit par sa lenteur,
le manque de ressources et de personnel qualifié, la
désuétude des textes de lois. Deuxièmement, le
système judiciaire atteste un grand problème
d'indépendance qui se traduit par un déficit
d'honnêteté, d'éthique, entre autres.
Comme nous l'avons fait remarquer dans plusieurs sections
développées précédemment, la Justice constitue une
des fonctions régaliennes à part entière de l'État.
Autrement dit, il revient à l'État souverain de se donner les
moyens pour rendre Justice et faire naitre l'État de Droit par la
Justice. Ainsi, l'indépendance et la professionnalisation de l'appareil
judiciaire doivent nécessairement passer par des éléments
clés.
Par rapport au volet de la professionnalisation, certaines des
recommandations formulées dans l'ouvrage collectif « La Justice en
question (2005, pp. 346-356) » conduit par Johan Goethals et al.
pourraient être mises à profit :
- Offrir une information sur le droit et la justice
quantitativement et qualitativement
supérieure.
- Évoluer vers un magistrat plus actif
- Donner davantage de place pour le justiciable et son affaire
- Mieux expliquer les coûts auxquels le citoyen est
exposé
Ces sous-recommandations sont révélatrices d'un
véritable changement de paradigme dans le système judicaire
haïtien. Plusieurs raisons le confirment : d'abord parce qu'il faut
absolument éduquer la Nation à la justice mais également
parce qu'il faut bâtir la justice sur le professionnalisme et la
transparence.
Par ailleurs, en ce qui concerne l'indépendance du
pouvoir judiciaire haïtien, nos propositions sont claires :
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- Les magistrats de quelque niveau de juridiction qu'ils
soient, ne devraient pas être nommés. À l'instar des deux
autres pouvoirs de l'État, les magistrats du conseil supérieur du
pouvoir judiciaire notamment, devraient être élus au suffrage
universel direct ou sur concours.
- Réduire l'influence du Ministère de la Justice
et de la Sécurité Publique (MJSP) et donner un réel
pouvoir de décision et de contrôle au Conseil Supérieur du
Pouvoir Judiciaire (CSPJ)
- Exiger que les magistrats de tous les niveaux de juridiction
et tout le personnel de la Justice, puissent recevoir initialement une
formation. Cela conduirait à initier une réforme en profondeur de
l'école de la magistrature mais également à
résoudre le problème de ressources et de personnel non
qualifié.
Pour ce faire, nous recommandons une révision suivie
d'une application stricte du décret du 22 août 1995 sur
l'organisation du Pouvoir judiciaire, allant dans le sens des recommandations
ci-dessus faites.
2.1 Place du Conseil constitutionnel et du Conseil
électoral permanent
Dans ses efforts pour restructurer la bureaucratie
étatique, les autorités de l'État doivent tout faire pour
respecter les normes juridiques établies tant dans l'ordre interne que
dans l'ordre international. L'État doit cesser d'être un
État d'exception en bannissant toute volonté d'établir des
dictatures et les accrocs à la loi.
En effet, le respect de la hiérarchie des normes
revient à poser comme prémisse l'existence d'organes de
contrôle et de décision. Faisons remarquer que l'État de
droit suppose nécessairement que la fonction du contrôle de la
conformité des ordres aux règles soit confiée à un
autre pouvoir (une autre institution) que celui (celles) qui exerce (nt) les
fonctions d'élaboration des normes. Ce pouvoir juridictionnel doit
être indépendant et distinct du pouvoir normatif (et peut
être confié à des institutions séparées
spécialisées dans un type d'ordres) (Godefridi, 2004). Or dans la
plus part du temps, ce qui fragilise réellement l'administration
publique haïtienne c'est une confusion dans l'exercice des
différentes fonctions régaliennes de l'État. D'où
la place d'un conseil Constitutionnel et d'un conseil électoral
permanent pour permettre, entre autres, de :
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- veiller à l'authenticité des manifestations de
volonté du peuple souverain ;
- vérifier le respect des prescriptions constitutionnelles
: assurer la constitutionnalité des
lois ;
- assurer la protection des droits et libertés
fondamentaux ;
- combattre les dérives liées aux actes
administratifs du pouvoir exécutif ;
- combattre la corruption électorale et traiter les
contentieux des élections.
Suivant cet idéal à atteindre, le Conseil
Constitutionnel sera chargé de veiller à la conformité des
lois, des règlements d'origine exécutive et parlementaire et des
actes administratifs à la Constitution. Ces attributions du conseil
constitutionnel sont d'ailleurs évoquées à l'article 190
bis par l'entremise duquel il est établi que le conseil est
chargé de veiller à la régularité de
l'entrée des normes dans l'ordre juridique national. Ceci étant
dit, le Conseil Constitutionnel haïtien est compétent pour
connaitre du contentieux des normes par l'exercice d'un contrôle de
constitutionnalité à un double niveau : le contrôle par
voie d'action et le contrôle par voie d'exception.
Le premier contrôle est celui où le Conseil
Constitutionnel est chargé d'exercer sur les lois avant leur
promulgation par le Président de la République. En effet, la
procédure classique voulant que la loi votée par les deux
chambres du Parlement soit envoyée au Président de la
République pour être promulguée. Cependant, avant
d'être promulguée, l'article 190 ter.5 apportent une
précision sur les autorités qui sont à même de
saisir le Conseil Constitutionnel. Il s'agit du Président de la
République, du Président du Sénat, du Président de
la Chambre des Députés, d'un groupe de quinze (15)
Députés ou de dix (10) Sénateurs. Dans ce même
registre, il convient d'ajouter que, selon le même article, le Conseil
est aussi compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité
ou non des arrêtés de l'Exécutif et des règlements
intérieurs du Sénat et de la Chambre des
Députés.
Soulignons aussi que l'article 109 ter.8 indique que : «
Lorsqu'à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il
est soulevé une exception d'inconstitutionnalité, le Conseil
Constitutionnel peut être saisi sur renvoi de la Cour de Cassation
». Ainsi, au cours d'une affaire qui est en train d'être
jugée dans un tribunal, l'une des parties en conflit qui estime
inconstitutionnelle la loi invoquée dans le procès peut soulever
une exception d'inconstitutionnalité. Le juge par devant qui l'exception
est soulevée se doit de surseoir à statuer
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sur l'affaire et procède au renvoi de la question de
constitutionalité à la Cour de Cassation qui pourra saisir le
Conseil Constitutionnel. Néanmoins, la procédure de mise en
oeuvre du contrôle de constitutionnalité par voie d'action n'est
encore tracée par aucune loi.
Dans un autre registre, il s'avère utile de faire
remarquer que le Conseil est compétent pour connaitre du contentieux qui
opposent le Pouvoir Exécutif et le Pouvoir Législatif ou les deux
(2) branches du Parlement doivent être soumis au Conseil pour être
tranchés. Dans ce même ordre d'idées, le Conseil est
également compétent pour traiter de la séparation des
attributions de certains tribunaux du pouvoir juridictionnel haïtien.
C'est ainsi qu'il peut se prononcer sur les conflits d'attribution entre les
tribunaux administratifs, tribunaux électoraux et les tribunaux
judiciaires.
Une autre fonction du Conseil Constitutionnel, consiste,
d'après l'article 190.ter 6, à statuer dans le délai d'un
(1) mois à compter de la date de la saisine. En outre, ce délai
est de quinze (15) jours pour toute loi ou tout texte portant sur les droits
fondamentaux et les libertés publiques. S'il y a urgence, il peut
être ramené à huit (8) jours à la demande du
Gouvernement, du tiers du Sénat ou de celui de la Chambres des
Députés.
Pour ce qu'il s'agit des contentieux des élections
présidentielles ou parlementaires, nous pensons qu'il faut davantage
miser sur un Conseil électoral permanent. Ainsi, faut-il préciser
que l'adoption d'une telle proposition entrerait dans la bonne pratique
d'autres pays comme la France et l'Allemagne.qui enseignent que le contentieux
électoral peut être réglé de quatre (4)
manières différentes : par les Assemblées élues
elles-mêmes selon le système traditionnel de la
vérification des pouvoirs ; par les tribunaux ordinaires ; par des
tribunaux électoraux spécialement institués enfin par la
justice constitutionnelle.
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