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Communiquer sur les médias sociaux ou comment réaffirmer son autorité politique.


par Lucas Honoré
Université Côte d'Azur - Master 2 Expertise politique et action publique 2020
  

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Introduction

Pour Sandrine Roginsky, « dire le public, c'est faire exister l'activité de communication1 ». Nommer le public, c'est lui donner une consistance propre. Cette mission - faire exister des groupes au moyen de leur évocation - est la première qui incombe aux responsables politiques vis-à-vis des individus qu'ils représentent.

Informer, expliquer, communiquer, ces exercices constituent aujourd'hui une grande part de l'activité d'un député. La communication politique n'a certes pas attendu l'avénement des « médias sociaux2 » pour émerger, mais ils sont le signe - s'il en fallait - de la professionnalisation des élus et de leurs équipes.

L'expression « communication politique » désigne une forme de communication spécifique aux affaires politiques. Dans les démocraties pluralistes, elle a deux vocations qui correspondent aux deux temps de l'exercice démocratique :

- Aider à l'élection de la personne qu'elle sert avant ou pendant une campagne électorale ;

- Favoriser le soutien de l'opinion publique lors de l'exercice d'un mandat.

« Communication politique » est un euphémisme pour parler de la propagande, terme devenu extrêmement négatif depuis la fin des années 1970, car lié à la notion de totalitarisme. Pour autant, la communication n'est pas du ressort exclusif des démocraties et bien des régimes ont recours à des techniques de communication leur permettant d'assoir leur autorité et de réaffirmer constamment leur légitimité à gouverner. Pour Philippe Riutort, la communication politique a toujours existé en raison de la nature de son activité : « elle recouvre l'ensemble des actions entreprises par les gouvernants et leurs soutiens afin de légitimer leur action3 » .

Ainsi, la vie publique dans le monde hellénistique était rythmée par une théâtralité et une culture des apparences destinées à créer et à promouvoir une image des hommes politiques qui conviendrait le mieux aux attentes de leur public : « à travers l'adoption d'un langage théâtral, on

1

ROGINSKY Sandrine, « La fabrique des publics de l'Europe ou l'entre-soi de la communication publique

européenne ? », Communication & Organisation, vol. 57, no. 1, 2020, p. 65

2 Nous définirons ce terme par la suite.

3 RIUTORT Philippe, « Sociologie de la communication politique », La Découverte, 2007, p.6

10

parvenait à maîtriser le monde des sentiments et les réactions de la "masse", on parvenait, en termes courants, à contrôler l'opinion publique4 » .

Le Moyen-Âge a été marqué par des techniques de communication de la part du pouvoir central, allant de la simple diffusion d'informations à la construction complexe d'images de souverains : la figure de Louis XIV par exemple, le Roi Soleil, est le fruit de choix symboliques (le roi prend cet emblème lors de la fête du Grand Carrousel, le 5 juin 1662) qui ont vocation à améliorer l'image du gouvernant auprès de ses gouvernés. L'oralité restant une donnée fondamentale de la société médiévale, il s'agit surtout, comme le rappelle l'historienne Aude Mairey, « de discours et de rituels du pouvoir qui, dans tous les cas, ont une fonction légitimante essentielle5 » .

Mais la communication politique contemporaine prend véritablement son essor au XIXe siècle, au moment de la Révolution industrielle et de l'apparition des premiers mass media. Les leaders perçoivent le potentiel de ce nouveau moyen d'information et l'impératif croissant de s'adresser directement à la population. « L'âge où nous entrons sera véritablement l'ère des foules, écrivait Gustave Le Bon. [É] Aujourd'hui ce sont les traditions politiques, les tendances individuelles des souverains, leurs rivalités qui ne comptent plus, et, au contraire, la voix des foules qui est devenue prépondérante ».

Cette idée est reprise au sein de la toute jeune démocratie américaine par des conseillers en communication tels qu'Edward Bernays qui proviennent des secteurs de la publicité, du marketing et des agences de communication : « Le moteur à vapeur, la presse à outils et l'instruction publique, qui à eux trois forment le trio de la Révolution industrielle, ont retiré leur pouvoir aux rois pour le remettre au peuple6 ». Le métier de conseil et d'élaboration de la communication d'un individu ou d'un organisme s'institutionnalise et s'enracine au sein des cabinets politiques, même s'il faut souligner que les conseillers à temps plein se comptent sur les doigts de la main.

4 DOUKELLIS Panagiotis, « Antiquité et pratiques de communication politique », Dialogues d'histoire ancienne, vol. 38, n°2, 2012. pp. 212-213

5 MAIREY Aude, « Les langages politiques au Moyen Âge (xiie-xve siècle) », Médiévales, vol. 57, no. 2, 2009, p. 8

6 BERNAYS Edward, « Propaganda », trad. Oristelle Bonis, Zones, 2007, p. 23

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Le peuple tout-puissant devient l'enjeu central et l'objectif premier des gouvernants. Conquérir le pouvoir passe par les urnes et nécessite de conquérir l'opinion publique. Dès lors, la communication politique vise dans un premier temps à faire connaître un candidat auprès d'un maximum d'électeurs, puis d'accroître sa popularité, afin d'obtenir le plus d'intentions de vote possible.

Les médias de masse après la Seconde guerre mondiale sont mobilisés par les pouvoirs publics et privés de manière croissante aussi bien pour communiquer et diffuser les informations gouvernementales que pour faire la campagne d'un candidat à une élection.

L'avénement de la Ve République a accentué ce phénomène de marchandisation des candidats aux élections, dans la mesure où ce régime semi-parlementaire institué par le charismatique général De Gaulle tend à faire du chef de l'État un homme providentiel, presque destiné à occuper ces fonctions exécutives suprêmes. L'enjeu pour les communicants en charge de l'élection est alors de rendre « présidentiable » le candidat à l'Élysée.

L'importance d'Internet et des médias sociaux dans le succès d'une campagne a véritablement été mis en lumière par l'élection présidentielle américaine de 2008. La publicité politique en ligne et notamment sur Facebook a représenté un poste budgétaire inédit avec 5 millions de dollars consacrés à l'e-pub par Barack Obama.

Ainsi, la communication politique a traversé l'histoire et les régimes politiques en mutant et en prenant plusieurs formes, et les acteurs politiques se sont adaptés aux innovations technologiques. Comme l'écrivait Machiavel, « un prince est heureux ou malheureux, selon que sa conduite se trouve ou ne se trouve pas conforme au temps où il règne7 ».

Aujourd'hui, cette discipline peut désigner aussi bien l'affichage politique, les rencontres sur le terrain et le tractage que les colonnes politiques dans la presse, à la radio et à la télévision, les débats politiques (notamment télévisés ou radiodiffusés) ou encore les réunions et meetings politiques.

7 MACHIAVEL Nicolas, « Le Prince », trad. de J.-L. Fournel et J.-Cl. Zancarini, Paris, Presses Universitaires de France, 2000, chapitre XXV

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Plus récemment dans l'histoire contemporaine se sont développés les sondages d'opinion et la communication sur internet (via les sites web, les blogs ou les réseaux sociaux). L'apparition d'internet et des médias sociaux se caractérise essentiellement par le fait que la frontière entre émetteurs de médias et récepteurs tend à devenir plus poreuse, ce qui oblige par conséquent à repenser la question de la propagande autrement qu'en termes bipolaires (dominants/dominés).

L'expression « médias sociaux » s'est imposée dans la littérature scientifique pour désigner « un groupe d'applications en ligne qui se fondent sur l'idéologie et la technologie du Web 2.0 et permettent la création et l'échange du contenu généré par les utilisateurs8 ». Cette définition large laisse place à interprétation étendue de ces dispositifs ; la dimension essentielle de cette définition réside dans le fait que l'utilisateur du média est au centre de l'activité de celui-ci : il est à la fois producteur et consommateur du contenu médiatique.

Roginsky et Perrier désignent Facebook et Twitter indistinctement comme des « médias sociaux » étant donné que cette appellation « bénéficie d'une popularité qui rend illusoire son abandon9 ». Or, Coutant et Stenger nous rappellent que les médias sociaux désignent bien souvent des dispositifs différents et distincts les uns des autres. Il s'agit à la fois « de configurations sociotechniques (les communautés virtuelles, construction complexe de relations entre une certaine forme sociale et les supports sur lesquels elle se développe), de technologies (le p2p, qui peut donner lieu à des usages très disparates), de plateformes (les blogs) et d'usages (le mashup) 10 » .

Les médias sociaux désignent ainsi une multitude de dispositifs que Coutant et Stenger ont systématisé (voir Annexe 1) permettant de situer chaque média selon 4 critères (amitié, soi, intérêt, contenu).

8 KAPLAN Andréa et HAENLEIN Michael, « Users of the world, unite ! The challenges and opportunities of social media», Business Horizons, vol. 53, issue 1, 2010, p. 61

9 ROGINSKY Sandrine et PERRIER Valérie-Jeanne, « La fabrique de la communication des parlementaires européens. "Tweet ton député" et les "ateliers du député 2.0" », Politiques de communication, vol. 3, no. 2, 2014, p. 86

10 COUTANT Alexandre et STENGER Thomas, « Les médias sociaux : une histoire de participation », Le Temps des médias, vol. 18, no. 1, 2012, p. 78

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La communication du personnel politique sur ces médias diffère selon le type de mandat (national/local), les caractéristiques de la circonscription (rural/urbain, pauvre/riche, grande/ petite), l'éloignement vis-à-vis de la capitale ou encore selon la situation personnelle du député. Cependant, certaines pratiques et usages que les députés ont des médias sociaux sont similaires en de nombreux points et des caractéristiques communes peuvent se dégager.

Un premier point commun est le nombre d'utilisateurs de ces médias sociaux parmi les parlementaires. Au sein de l'Assemblée nationale, 95% des députés étaient présents sur Twitter au 5 décembre 2019 et seuls 27 élus ne possédaient pas de compte sur l'oiseau bleu11. Selon les derniers chiffres Médiamétrie12 (septembre 2019), en France, le réseau social compte 16,8 millions d'utilisateurs mensuels et 4,26 millions d'utilisateurs par jour. Rapportés à l'ensemble de la population française, ces chiffres montrent que nos députés utilisent davantage Twitter que leurs concitoyens. Les députés utilisent ces médias sociaux pour plusieurs raisons, différentes selon le média employé (atteindre les journalistes et professionnels politiques sur Twitter, toucher les réseaux militants et bénévoles par Facebook).

Un autre point que les députés ont en commun concernant l'usage qu'ils ont des médias sociaux (et c'est ce point qui nous intéressera) est le fait que chacun semble convaincu de l'absolue nécessité à utiliser ces médias sociaux.

Cependant, mesurer l'efficacité des médias sociaux pour la communication d'un élu présente bon nombres de difficultés. Il n'y a pas d'éléments de mesure assez pertinent pour déterminer si tel ou tel support de communication aura un impact (positif ou négatif) sur le vote d'un électeur.

Car si la formule « une personne pense politiquement comme elle est socialement13 » s'applique aux éléments partisans, les élections législatives présentent parfois une dimension personnelle qui dépasse l'attachement partisan d'un électeur. La notion de « vote personnel » doit être prise en compte de manière croissante dans un univers politique marqué de plus en plus par la personnalisation des enjeux et des scrutins.

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JAKUBOWICZ Lucas, https://www.magazine-decideurs.com/news/deputes-sur-twitter-les-chiffres-cles

12 https://www.mediametrie.fr/sites/default/files/2019-01/2019%2001%2003%20-%20CP%20Audience%20Internet%20Global Novembre2018.pdf

13 LAZARSFELD Paul Félix, BERELSON Bernard Reuben et GAUDET Hazel, « The People's Choice », New York, Columbia University Press, 1944, p. 27

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Constamment mobilisé comme une preuve évidente de la réussite d'une bonne communication, le nombre d'abonnés (et surtout son augmentation) est vécu par les personnalités publiques en quête de notoriété comme une obsession et un objectif à tout prix.

Le chiffre séduit parce qu'il a le prestige des apparences objectives, de l'évidence et du discours scientifique rationaliste. Il est mobilisé par tous puisqu'il peut se déplacer d'un monde social à un autre facilement.

Pour autant, la multiplication des fake accounts qui inondent les médias sociaux, notamment en période de campagne électorale, ne sont qu'un exemple de l'invalidité d'un tel indicateur comme élément de mesure de l'efficacité de la communication d'un élu ou d'une collectivité.

Alors que peu de critères et d'éléments de mesure permettent d'évaluer l'efficacité des médias sociaux afin d'accroitre la popularité et l'audience d'un élu, la grande majorité des députés persistent à utiliser des tels outils de communication qui bien souvent leur sont couteux en temps et en salariat. Nous allons démontrer que l'engouement d'un député pour développer sa communication sur les médias sociaux s'explique par une croyance en l'efficacité de tels dispositifs, notamment dans la transformation de l'augmentation du nombre d'abonnés en vote personnel.

Cette croyance se développerait d'abord par mimétisme. Tous les représentants politiques, économiques, artistiques du monde, en bref tous les grands leaders d'opinion sont présents sur les médias sociaux. Ne pas y être constituerait une mise à l'écart. Cette hypothèse ne saurait d'ailleurs être propre au personnel politique. Combien d'utilisateurs des médias sociaux les utilisent par peur d'être exclu du processus prétendument socialisant de tels dispositifs ?

Une deuxième hypothèse serait la suivante : bien que les critères tels que le nombre d'abonnés ou le nombre de « like » ne soient pas des éléments de mesure pertinents, ils restent perçus par un député comme un critère de popularité notable et/ou significatif de son poids politique. Plus ces indicateurs sont élevés, plus une communication sera jugée utile et efficace par le personnel politique et son entourage (équipe).

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Une dernière piste consisterait à dire que les députés utilisent les médias sociaux pour expliquer, vulgariser l'actualité politique au langage parfois technique, et que cette pédagogie servirait à réaffirmer leur autorité et leur légitimité.

Afin de vérifier ces hypothèses, nous verrons que la communication politique d'un député nécessite l'intégration d'un véritable ethos communicationnel (Chapitre 1), tandis que l'utilisation de tels dispositifs répond encore à une croyance persistante en l'efficacité des médias sociaux (Chapitre 2).

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Présentation de la méthode

Pour réaliser cette recherche, le dispositif méthodologique mis en place est double :

1. Une période de dix mois en tant qu'assistant parlementaire au cours de laquelle j'ai pu observer et prendre note sur un certain nombre de pratiques et d'usages par le parlementaire et son équipe des médias sociaux ;

2. Une série d'entretiens avec plusieurs membres de l'équipe parlementaire au sein de laquelle j'ai évolué, ainsi que la députée elle-même.

Notre approche est empirique dans la mesure où elle cherche à mettre en avant l'expérience d'acteurs politiques dans leur usage des médias sociaux afin de comprendre leurs perceptions de ces dispositifs et les objectifs poursuivis. Elle est aussi qualitative en raison de la nature du phénomène : les représentations d'une parlementaire et de son équipe quant aux usages qu'ils font des médias sociaux. Il aurait été peu pertinent d'utiliser une méthode quantitative, dès lors que l'étude d'une représentation ou d'une pratique ne saurait être quantifiée. La méthode qualitative permet d'étudier avec détail, précision, le cheminement de pensée qui amène ces individus à identifier les médias sociaux comme indispensables à leur communication et à l'accroissement de leur notoriété. De plus, comme le souligne Stéphane Beaud, « un entretien est aussi intéressant parce qu'il dit ou parce qu'il cache ou dit à demi-mot14 ». En tant que « caste » privilégiée et habituée à l'exercice de la parole et de la maîtrise des mots, il n'est pas démesuré d'annoncer que les parlementaires ne se livrent pas aisément à des discours sincères.

L'entretien semi-directif paraît adapté pour tenter de répondre à nos hypothèses tout en laissant la possibilité à l'interviewé de nous livrer des informations potentiellement inattendues. Les entretiens semi-directifs sont constitués de questions ouvertes, ceci pour plusieurs raisons. Premièrement, les questions peuvent être assez générales pour laisser mon enquêté répondre selon ses opinions, ses ressentis, ses représentations. De plus, lorsque l'enquêté énonçait une information intéressante, inattendue, j'ai pu « creuser » cette information en posant de nouvelles questions, ce qui m'a donné des informations plus détaillées et parfois des pistes de réflexion nouvelles.

14 BEAUD Stéphane, « L'usage de l'entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour l'"entretien ethnographique" », Politix, vol. 9, 1996, p. 253.

Ensuite, l'avantage d'un tel entretien est qu'il est directif sur la forme, mais pas sur le fond. Ainsi, la grille d'entretien était hybride et évolutive en fonction du déroulement de l'entretien, ce qui m'a donné la possibilité de discuter de thèmes non planifiés, imprévus, éventuellement découverts au fil de l'entretien.

Enfin, nous mobiliserons des discours institutionnels produits sur les dispositifs de réseaux socio-numériques, notamment les publications de Marine Brenier sur des dispositifs tels que Facebook et Twitter. Nous désignons les médias sociaux par la terminologie « dispositif » car, comme le rappelle Sandrine Roginsky, « mobiliser le terme "dispositif" n'est pas fortuit puisque la notion amène une compréhension spécifique de ce qu'il donne à voir et amène à l'analyser en termes de relation de pouvoir 1 5 » .

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15ROGINSKY Sandrine, « La fabrique des publics de l'Europe ou l'entre-soi de la communication publique européenne ? », Communication & Organisation, vol. 57, no. 1, 2020, p. 57

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus