4 / Un intérêt nouveau autour de l'habitat
indigne « Habitat et santé mentale »
L'habitat : facteur de bien-être et
d'intégration sociale
Pour l'Organisation Mondiale de la Santé, « la
santé est un état de bien-être complet à la fois
physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en une absence
d'infirmité ou de maladie ». La santé mentale peut
également avoir un lien avec l'occupation d'un habitat indigne relevant
d'une situation de grande précarité économique et sociale.
L'Agence Régionale de la Santé met en évidence le fait que
l'environnement et donc plus particulièrement l'habitat peut constituer
un élément important dans l'état de santé des
personnes. En effet, l'habitat participe au bien-être physique et
psychique ainsi qu'au développement et à l'intégration
sociale de ses occupants. Il représente en effet bien plus « qu'un
toit au-dessus de notre tête », c'est un véritable abri pour
l'homme lui permettant de se protéger des agressions extérieures,
de préserver son intimité mais également de prendre place
dans la société, de s'intégrer. Le psychiatre Jean Furtos,
Directeur Scientifique de l'Observatoire National des pratiques en santé
mentale et précarité cite d'ailleurs: " L'homme habite et ainsi
il prend place parmi les humains. Pour cela, il lui faut un lieu où
inscrire son corps, sa subjectivité, son histoire, sa
citoyenneté. Habiter c'est mettre de soi dans un lieu, ce qui est fort
différent d'être logé. S'il ne peut habiter, l'homme ne
peut prendre place et cela s'appelle aujourd'hui l'exclusion". Dans les faits,
il est constaté que l'absence d'un toit provoque l'exclusion de
l'individu. Cette situation de grande précarité est
généralement facteur de perte de repères et de
déséquilibre psychique et peut ainsi générer des
troubles mentaux. Les personnes sans domicile fixe ou vivants dans des squats
en sont les premières victimes. Vivre dans la rue et ne pas avoir de
toit peut entraîner le développement d'une pathologie mentale.
L'habitat joue un rôle fondamental dans la pleine jouissance du
bien-être social et mental de chaque individu. Dans cette même
logique, vivre dans un logement indigne, un habitat très
dégradé peut également nuire au bien-être des
occupants y compris sur le plan psychique. Ce sont le plus souvent des
personnes aux conditions économiques et sociales très
précaires qui sont amenés à vivre dans ces situations
d'indignité. Pour reprendre les propos de Jean Furtos, on constate alors
que
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ces situations contraire à la dignité humaine ne
peuvent permettre à un individu de « prendre place dans la
société », « de mettre de soi dans un lieu ». Ces
situations de grandes précarités ne sont pas sans effet sur la
santé mentale de ces individus. Elles entraînent une certaine
souffrance et un mal-être qui lorsqu'elles sont durables et trop
importantes, développent de réelles pathologies psychiques. La
littérature internationale montre une forte prévalence des
pathologies psychiatriques lourdes pour les personnes en grande
précarité, sans domicile fixe ou encore vivant dans des logements
très précaires... Il a été constaté par
exemple qu'au moins dix fois plus de pathologies schizophréniques sont
détectées chez des personnes vivant dans une grande
précarité. En 2009, sur la Métropole Lilloise par exemple,
30% des personnes en situations de grande précarité souffrent de
troubles psychiques et parmi eux 12.5% de psychoses avérées. Ces
chiffres montrent bien la forte proportion des populations précaires qui
souffrent de troubles mentaux et de pathologies psychiatriques lourdes.
L'Agence Régionale de Santé du Nord-Pas-de-Calais travaille sur
ce thème.
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La difficulté à mettre en relation
« Habitat indigne et santé mentale »
Malgré l'augmentation des dispositions
techniques (eau courante, assainissement, électricité...) qui ont
contribué à l'amélioration de l'hygiène et du
confort des logements, on constate que l'habitat lorsqu'il est
dégradé, peut quand même, dans de nombreux cas, porter
atteinte à la santé de ses occupants. Le manque d'aération
et d'ensoleillement, les problèmes d'humidité, le défaut
d'entretien des locaux et de leurs équipements (...) peuvent avoir des
conséquences directes sur la santé des habitants comme nous
l'avons vu précédemment (asthme, allergies, saturnisme,
intoxication au monoxyde de carbone...). L'habitat indigne n'a cependant pas
que des conséquences sur la santé physique des occupants d'un
logement. L'habitat indigne peut également nuire à
l'intégration sociale de ses occupants et également porter
atteinte à leur bien-être moral. Les liens entre habitat et
santé mentale ne sont pourtant pas toujours faciles à mettre en
évidence. En effet, la grande majorité des procédures
engagées actuellement à l'encontre du logement indigne,
concernent généralement des cas où le logement
entraînerait des difficultés sur le plan physique. Il est toujours
délicat d'apporter la preuve que des liens existent entre des troubles
psychiques et un habitat indigne et donc il est encore plus complexe d'entamer
une procédure dans ce sens. Il est également complexe de prouver
aujourd'hui qu'un habitat indigne peut être à l'origine d'un
trouble psychique, on préfère penser que l'habitat indigne est un
facteur parmi d'autres (précarité économique et
sociale...) qui aggrave l'état de santé mentale des occupants
d'un logement. On en conclut donc qu'il ne fera en généralement
pas l'objet d'une procédure spécifique, on
préfèrera en effet mettre en relation une procédure sur un
logement indigne avec un danger pour la santé physique ou même un
péril pour ses occupants plutôt que de le mettre en lien avec la
fragilité mentale de l'occupant.
On ne peut cependant pas nier que les
caractéristiques de l'habitat indigne peuvent entraîner une
détresse, un découragement, une fatigue ou encore une
anxiété chez les occupants qui peuvent expliquer son
mal-être psychique. En effet, un logement mal chauffé, humide,
sans fenêtre, exposé aux bruits continus entraîne une
réelle fatigue, donc un mal être et souvent du
découragement chez ses occupants. Des troubles anxieux peuvent
apparaître en cas de présence d'insectes ou de rongeurs. Une
exposition permanente au bruit peut entraîner une certaine fatigue et une
anxiété quotidienne. Un
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logement humide et mal chauffé l'hiver, en plus
de conséquences sur le plan physique peut également avoir un
impact sur le plan psychique. On en conclut donc que, certes de nombreuses
situations autres que l'habitat indigne, peuvent être à l'origine
d'un mal-être psychique : il peut s'agir de perturbations sur le plan
social comme une grande précarité économique
(chômage...) ou encore d'autres évènements bouleversants
(deuil, divorce...) mais on ne peut nier que les caractéristiques d'un
logement indigne peuvent également conduire à une
fragilité mentale. Tout individu vivant dans ces logements, qu'il ait
déjà ou non rencontré auparavant des difficultés
sur le plan social ou familial, pourrait se sentir démunis,
isolé, découragé, impuissant face aux difficultés
liées à l'occupation d'un logement indigne.
L'habitat indigne : entre souffrance d'origine
sociale et pathologie mentale
Malgré les difficultés
d'évaluation des effets de l'habitat indigne sur la santé mentale
de ses occupants, on constate que ce sont généralement les
mêmes maux qui vont contrarier l'équilibre psychique des individus
: le découragement, le sentiment de honte et dans les cas les plus
extrêmes l'incurie, pouvant aller jusqu'au syndrome de Diogène.
Dans le cas où les individus ne seraient pas préparés
à vivre dans la précarité, le professeur Jean Furtos
montre qu'il y a trois degrés possibles à la souffrance
psychosociale c'est-à-dire la souffrance psychique d'origine sociale. La
souffrance peut, dans un premier temps, stimuler, aider à vivre car
l'individu va chercher par tous les moyens à se sortir de cette
situation de précarité à laquelle il n'est pas
préparé. Si celle-ci devient cependant durable ou s'aggrave
malgré les efforts fournis par l'individu, cela va l'empêcher de
vivre, il se sentira découragé face à sa situation. S'il
n'est pas rapidement « encouragé » par un tiers, c'est le
troisième type de souffrance qui s'installera et de manière
durable. Cette souffrance est la plus importante et la plus handicapante.
L'individu cherchera à s'auto-exclure pour ne plus vivre sa souffrance.
A l'inverse, il existe des cas où l'indignité du logement est due
à un problème de gestion et d'entretien de celui-ci
c'est-à-dire qu'il se dégrade, devient indigne car l'individu
présente des troubles mentaux, préexistants à l'occupation
du logement. C'est donc l'individu par son comportement qui entraîne la
dégradation du logement.
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On en conclut que l'origine de la fragilité
mentale d'un individu importe peu. Il s'agit surtout prendre en charge au plus
vite ces situations d'urgence, qui nécessitent la mise en place
d'accompagnement sociaux, médico-sociaux et souvent psychiatriques afin
d'éviter que la situation ne s'aggrave.
Comme nous l'avons vu précédemment
l'habitat indigne peut entraîner un découragement ou un sentiment
de honte chez ses occupants lorsqu'il s'agit d'une souffrance psychosocial. Le
découragement est à distinguer de la dépression. Il s'agit
généralement des signes avant-coureurs d'une dépression
qui, s'ils ne sont pas rapidement « soignés »,
c'est-à-dire lorsque un individu n'est pas rapidement «
encouragé », peuvent conduire au suicide ou à l'incurie
totale. Un habitat dégradé peut également entraîner
un sentiment de honte chez l'occupant qui va l'amener à se replier sur
lui-même, à rompre tout lien avec une vie sociale
extérieure. Ce sentiment est également très
éprouvant pour les enfants et/ou adolescents qui peuvent
également refuser de recevoir leurs pairs biens conscients de
l'indignité de leur logement.
Le découragement et le sentiment de honte,
liés à l'habitat indigne amène donc l'individu à
s'auto exclure et progressivement à ne plus prendre soin de son
environnement et de soi-même. C'est un découragement
extrême, une souffrance trop importante dans lequel l'individu
s'abandonne en tant qu'être, on parle alors d'incurie ou du syndrome de
Diogène. L'incurie s'observe en majorité chez des personnes
isolées et des personnes qui s'isolent activent : personnes
âgées, personnes en grande précarité sociale... Ils
coupent également toutes relations avec leurs familles ou amis. Cela
commence généralement par de petites négligences
quotidiennes qui lorsqu'elles s'aggravent pourront porter sur l'hygiène,
le fait de se nourrir, d'entretenir ou de payer son logement, le fait de sortir
de chez soi, de se soigner... Cet abandon de soi et l'isolement croissant qui
en résulte peut aboutir à la mort. Jean Furtos montre que
l'incurie commence par un abandon de soi en tant qu'être social puis en
tant qu'être biologique, c'est l'instinct de mort qui a pris le dessus.
Dans des cas d'incurie, le lieu d'habitation est généralement
encombré par des déchets de tous types : déchets
alimentaires, déchets organiques, déjections animales ou
humaines, vêtements sales (...) amenant ainsi divers nuisibles (rats,
insectes à « cohabiter » avec l'occupant du logement. Les
déchets sont retrouvés dans des sacs, parfois sans, des «
chemins » permettent parfois de se frayer un passage à travers ces
déchets mais ce n'est pas toujours
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le cas. Ces amoncellements de déchets sont dus
généralement à une perte de la capacité à
faire le ménage, à se soucier de l'hygiène de son logement
et de sa propre hygiène, ainsi qu'à jeter et conserver des
objets. Ces personnes souffrent souvent en parallèle de syllogomanie
c'est-à-dire qu'ils « collectionnent )) des objets très
divers (journaux, conserves alimentaires...) qui encombrent le logement.
Ainsi, le syndrome de Diogène présente plusieurs
phases :
- Une incurie majeure entraînant un abandon total de
l'entretien du logement et de son hygiène corporelle
- Un repli sur soi-même et un refus de toute aide
extérieure
- Des comportements compulsifs (« collection )) de
journaux, prospectus, excréments, déchets...)
- Un déni de la situation
Déchets s'accumulant dans le logement ne
permettant plus de se frayer un passage Service Communal d'Hygiène et
de Santé, Ville de Roubaix
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Sur la photo ci-contre, on voit bien que le locataire abandonne
totalement l'entretien de son logement. La présence de produits
concernant son hygiène corporelle sur le lavabo montre bien cependant
qu'il n'y a pas encore un total abandon de soi.
Suivi social et médical de ce locataire.
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Abandon de l'entretien du logement Service Communal
d'Hygiène et de Santé Ville de Roubaix
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L'incurie n'a cependant pas toujours comme origine une souffrance
psychique sociale. En effet, l'individu peut disposer de pathologies mentales
(schizophrénie...) préexistantes à sa situation de
précarité. C'est d'ailleurs la pathologie dont il souffre qui
l'amène à vivre dans la précarité soit parce qu'il
s'auto-exclu du système sociétal, soit parce qu'il provoque de
nombreux désordres dans l'habitat. Cette incapacité de gestion et
d'entretien du logement créées des situations d'indignité.
Ce n'est plus l'habitat qui a un impact sur l'équilibre psychique de
l'individu mais bien, une pathologie mentale qui est à l'origine de la
dégradation et de l'indignité du logement.
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Le logement présentait tout le confort adéquat dans
l'entrée dans les lieux du locataire. Sa pathologie mentale et ses
accès de violence l'ont cependant poussé à dégrader
son logement.
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Dégradation du logement par le locataire
Service Communal d'Hygiène et de Santé Ville de
Roubaix
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Absence de repères liée à la pathologie
mentale du locataire. Celui-ci réalise ses besoins dans des sceaux ou
à même le sol.
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Déjections humaines dans le logement Service
Communal d'Hygiène et de Santé Ville de Roubaix
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