B. Le réseau Natura 2000
51 L. BORDEREAUX, Op. cit, p. 57
52 Créé le 15 avril 2015 par
décret du ministère de l'Écologie, du Développement
durable et de l'Énergie.
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En droit interne, le code de l'environnement prévoit
des dispositions en faveur de la protection du patrimoine naturel et plus
spécifiquement la conservation des habitats naturels de la faune et de
la flore sauvages. Le réseau Natura 2000 est un outil remarquable au
service de la politique de préservation des sites naturels et au
maintien de la diversité biologique. Ce réseau issu du droit de
l'union européenne repose sur deux directives adoptées
respectivement en 1979 et 1992. La première 53 vise
àÌ protéger tous les oiseaux sauvages et leurs
principaux habitats sur tout le territoire européen. La
seconde54 quant à elle, instaure des mesures très
similaires, mais étend son champ d'application
àÌ près de 1 000 autres espèces rares,
menacées ou endémiques de la faune et de la flore, souvent
désignées collectivement sous le terme générique
d'« espèces d'importance européenne »55.
Il conviendra de présenter de façon technique
le dispositif de protection dans le cadre de la politique Natura 2000 (1) avant
de s'intéresser à la gestion à proprement parler du site
qui passe essentiellement par le document d'objectif (2)
1. La politique de protection Natura 2000
a. Le dispositif Natura 2000 et les ports de
plaisance
Les deux directives qui forment l'ossature de la politique
Natura 2000 ont été transposé en France à l'instar
de plusieurs autres États européens. Le réseau Natura
intéresse particulièrement notre étude sur les ports de
plaisance pour plusieurs raisons.
La première tient à sa vocation première
qui est de protéger les milieux naturels et les espèces
d'importance communautaire. On déduit que les règles issues ce
dispositif de protection sont contraignantes et susceptibles de limiter la
possibilité de réalisation de certaines activités humaines
dans les hypothèses où l'on se retrouverait en présence
d'un site classé Natura 2000.
La seconde est relative au caractère terrestre et/ou
marin des sites Natura 2000 qui n'est pas négligeable. En ce qui
concerne le volet marin, la jurisprudence56 de la CJCE admet que le
réseau doit être étendu à toutes les zones sur
lesquelles les États côtiers exercent des droits souverains. Cet
aspect des sites Natura 2000 nous permet de faire le lien avec les ports de
plaisance, d'où l'intérêt d'évoquer cette
législation dans le cadre de notre étude.
53 La directive Oiseaux 79/409/CEE du 2 avril 1979
remplacée par la directive 2009/147/CE du 30 novembre
2009.
54 La directive Habitats 92/43/CEE relative
à la conservation des habitats naturels ainsi que des espèces de
la faune et de la flore sauvages
55 Commission européenne, les
directives oiseaux et habitats au service de la nature et des citoyens en
Europe,
https://www.natura2000.fr/sites/default/files/rapport_ce_2019_fr
56 CJCE, 20 octobre 2005, C-6/04, Commission c.
Royaume-Uni
38
b. La mise en oeuvre technique
De façon pratique, le réseau Natura 2000 repose
sur une délimitation spatiale de zones à protéger,
lesquelles sont constituées de zones de protection spéciale (ZPS)
au titre de la directive « oiseaux » et de zones spéciales de
conservation (ZSC) au titre de la directive « habitats ».
Une liberté est laissée aux États de
désigner les sites qui pourraient faire l'objet de protection. La
sélection repose sur des critères scientifiques et doit se faire
en prenant en compte les sites qui présentent un intérêt
communautaire.
Outre la sélection des sites et l'application du
régime de protection, les mesures de protection prises sur le fondement
des directives doivent intégrer les « exigences économiques,
sociales et culturelles ainsi que des particularités régionales
et locales des zones concernées »57. Ainsi un site
Natura 2000 ne saurait faire l'objet d'une protection qui implique une
négation totale d'activités humaines de toute nature. C'est fort
de cette nécessité de prise en compte des intérêts
parfois contradictoires que nous analyserons la question de la gestion des
sites Natura 2000 et l'intégration de certaines activités
à finalité économique comme les ports de plaisance.
2. La gestion des sites Natura 2000.
L'objectif principal de la gestion d'un site Natura 2000 est
de veiller à préservation des ressources biologiques de sorte
à atténuer voire empêcher les impacts de certaines
activités humaines. Par ailleurs la protection des sites peut être
conciliée avec la possibilité de réaliser certains
aménagements parmi lesquels, les ports de plaisance. Cela renvoie
à envisager dans cette analyse la nécessité de
compatibilité des projets avec le document d'objectif du site faisant
l'objet de protection (a). La procédure d'évaluation d'incidence
Natura 2000 (b) apparait comme un outil essentiel dans la quête de
l'équilibre entre la protection et la prise en compte des
intérêts économiques, sociales et culturelles.
a. La nécessité d'une compatibilité
des projets avec le document d'objectif.
57 P. MALINGREY, Introduction au droit de
l'environnement. 5e ed., Tech & Doc, 2011, p. 58.
39
Des exigences économiques, sociales et culturelles,
ainsi que des particularités régionales sont prises en compte au
sein des sites Natura 2000. Les projets d'aménagements ou les
activités humaines ne sont pas exclus des sites Natura 2000, sous
réserve qu'ils soient compatibles avec les objectifs de conservation des
habitats et des espèces qui ont justifié la désignation
des sites.
Ces objectifs sont contenus dans un document de
référence dénommé document d'objectifs (DOCOB).
Le contenu du DOCOB est défini à l'article
R.414-11 du Code de l'environnement. Il doit contenir :
· Un rapport de présentation décrivant :
- l'état de conservation et les exigences
écologiques des habitats naturels et des espèces qui justifient
la désignation du site ;
- la localisation cartographique de ces habitats naturels et des
habitats de ces espèces ;
- les mesures et actions de protection de toute nature qui, le
cas échéant, s'appliquent au
site ;
- les activités humaines qui s'y exercent au regard,
notamment, de leurs effets sur l'état de conservation des habitats et
espèces ;
· Les objectifs de développement durable du site
permettant d'assurer la conservation et, s'il y a lieu, la restauration des
habitats naturels et des espèces, en prenant en compte les
activités économiques, sociales, culturelles et de défense
qui s'y exercent, ainsi que les particularités locales ;
· Des propositions de mesures de toute nature permettant
d'atteindre les objectifs fixés et indiquant les priorités
retenues dans leur mise en oeuvre, notamment au regard de l'état de
conservation des habitats et des espèces au niveau national, des
priorités mentionnées au second alinéa de l'article
R.414-11, et de l'état de conservation des habitats et des
espèces au niveau du site ;
· Un ou plusieurs cahiers des charges types applicables
aux contrats Natura 2000 prévus aux articles R. 414-13 et suivants avec,
pour chacun, l'objectif poursuivi, le périmètre d'application
ainsi que les habitats et espèces intéressés et le
coût ;
· La liste des engagements faisant l'objet de la charte
Natura 2000du site, telle que définie à l'article R. 414-12 ;6 -
les modalités de suivi des mesures projetées et les
méthodes de surveillance des habitats et des espèces en vue de
l'évaluation de leur état de conservation.
Le DOCOB est un document stratégique de gestion
contraignant approuvé par le préfet. Il fait l'objet d'une
évaluation régulière c'est-à-dire tous les 6 ans.
En cas de bilan mitigé, le préfet peut procéder à
sa révision et cela en accord avec le comité de pilotage du
site.
40
La mise en oeuvre du DOCOB se fait par le biais de contrats et
chartes Natura 2000. Même si l'objectif principal est de protéger,
il n'en demeure pas moins que « les contrats entre l'administration et les
propriétaires sont encouragés ainsi que l'adhésion aux
engagements des chartes Natura 2000 »58. Par ailleurs les
contrats Natura 2000 doivent respecter les objectifs du DOCOB. C'est donc le
lieu de s'intéresser à la valeur normative de ce document.
Le juge a effectivement reconnu l'obligation de
conformité des contrats au DOCOB dans la mesure où celui-ci
serait de nature à produire des effets de droit59. De
surcroit le code de l'environnement en son article L. 414-3 est claire sur la
question en ces termes : « le contrat Natura 2000 comporte un ensemble
d'engagements conformes (sic) aux orientations et aux mesures définies
par le document d'objectifs ». Cependant il n'en est pas de même
pour les actes unilatéraux d'autorisation. En la matière le juge
s'est montré prudent sur la question en refusant de consacrer une
obligation de conformité entre l'autorisation et le DOCOB60.
En tout état de cause, en l'état actuel de la jurisprudence, le
juge administratif s'est contenté de rappeler une obligation de prise en
compte par le préfet ce qui justifie qu'il fasse en la matière un
contrôle minimum de l'erreur manifeste
d'appréciation61.
b. La procédure d'évaluation d'incidence
Natura 2000
Cette procédure découle de l'article 6 de la
directive « habitats ». En effet les États doivent exiger une
étude d'impact des projets d'aménagement dans les sites
protégés par la règlementation Natura 2000 toutefois qu'un
risque impact significatif du site est avéré. Cette obligation
à la charge des États peut même s'étendre aux sites
envoisinant les zones Natura 2000 quand les activités ou
aménagements qui y sont réalisés peuvent avoir des
répercussions sur le site. On peut donc reconnaitre sans
équivoque le caractère préventif de la procédure
d'évaluation d'impact. À y voir de plus près, la
procédure d'évaluation emprunte aux principes fondamentaux du
droit de l'environnement.
La mise en oeuvre du réseau s'appuie sur le principe de
prévention qui vise à prévenir non seulement la
détérioration des habitats naturels et des habitats des
espèces mais aussi les perturbations touchant les espèces pour
lesquelles les zones ont été désignées. Le principe
de prévention implique donc que toute source de
détérioration ou de perturbation doit être
évitée quelle que soit son origine ou sa nature.62
58 J. MORAND-DEVILLER, Le droit de l'environnement,
Presses Universitaires de France,2019. p. 65
59 CE, 19 juin 2006, FDSEA de la Vendée,
n° 266435
60 X. BRAUD, « Protection de la nature ».
RJE volume 44, 2019, n°1, p. 195.
61 TA Clermont-Ferrand, 17 décembre 2015,
Association Fédération Allier Nature, n° 1401577
62 CJCE, 13 février 2003, Commission c/
Luxembourg : le principe de prévention fait l'objet d'une
interprétation large donc assez exigeante
41
En outre le principe de précaution est également
invoqué. En vertu de ce principe, « l'absence de certitude
compte tenu des connaissances scientifiques et techniques ne doit pas retarder
l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à
prévenir un risque de dommage grave et irréversible à
l'environnement à un cout économiquement acceptable
»63. La cour de justice de l'union européenne
(CJUE) dans sa jurisprudence du 10 janvier 2006, Commission des
communautés européennes c/ République
fédérale d'Allemagne64, se fonde sur ce principe pour
analyser certains projets susceptibles de porter atteinte aux sites Natura
2000.
En droit français, le dispositif d'évaluation
des incidences Natura 2000 est codifié aux articles L.414-4 et suivants
et R.414-19 et suivants du code de l'environnement. Le dispositif
d'évaluation des incidences Natura 2000 repose sur un système de
listes positives fixant les activités soumises à
évaluation des incidences.
À cet effet il existe une liste nationale fixée
par décret et codifié à l'article R414-19 du code de
l'environnement et d'autres listes locales qui sont fixées par
arrêté préfectoral qui identifient au niveau local les
activités soumises au régime d'évaluation d'incidence. Par
exemple les manifestations nautiques en mer sont soumises à
évaluation dans la zone Natura 2000 des pertuis charentais où le
port de plaisance de La Rochelle est implanté65.
Pour les projets soumis à une obligation
d'évaluation environnementale de droit commun c'est-à-dire une
étude d'impact, cette étude peut tenir lieu d'évaluation
d'incidences au titre de la règlementation Natura 200066.
Ainsi l'étude doit être suffisante pour éviter le risque
contentieux. Le juge administratif n'hésite pas annuler un projet en cas
d'omission ou d'insuffisance de l'étude. Cependant une nuance doit
être faite car le juge applique également la jurisprudence
Danthony en la matière. Il n'annule que si l'insuffisance a
été de nature à fausser l'information complète de
la population sur le projet et à exercer une influence sur la
décision de l'autorité administrative67. Par exemple
en ce qui concerne le port de plaisance des minimes à La Rochelle, les
associations de protection de l'environnement ont attaqué l'étude
d'impact en prenant pour motif l'insuffisance de celle-ci. Le tribunal
administratif a débouté les requérants au motif que
l'insuffisance reprochée n'a pas été de nature à
vicier la procédure.
63 Article L. 110-1 du code de l'environnement
introduite par la « loi Barnier » du 2 février 1995. Ce
principe à valeur constitutionnelle figure à l'article 5 de la
charte de l'environnement de 2005.
64 CJCE, 10 janvier 2006, Commission des
communautés européennes c/ République
fédérale d'Allemagne, affaire C98/03.
65 Arrêté n° 2011/34 du 24 juin 2011,
Préfecture maritime de l'atlantique.
66 Art. R. 414-22 code de l'environnement. A condition
de satisfaire aux prescriptions du dossier d'évaluation.
67 CE, 14 octobre 2011, Société OCREAL,
n° 323257.
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