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Une analyse de l'impact de la libéralisation agricole sur le revenu agriculteurs. Le cas de la filière riz de la vallée de l'Artibonite.


par Ernson Augustin
HEC-Liège/ESFAM - Master en Science de gestion 2018
  

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INTRODUCTION

L'agriculture est un secteur très important dans la vie économique de la quasi-totalité des Pays en Voie de Développement (PVD) et par conséquent, dans celle de la République d'Haïti. Elle représente la principale source de revenu pour la grande majorité des ménages ruraux et participe à la croissance économique ainsi qu'à la sécurité alimentaire du pays (Baptiste, BJ. 2005). Malgré son importance relative, une baisse de la production agricole haïtienne a été constatée depuis le début des années 1980 [(Pillot, D. 1991) ; (Paul, B., Dameus, A. & Garrabe, M. 2010)].

L'histoire récente du commerce international montre que presque tous les pays du monde, riches ou pauvres, accordent de plus en plus d'importance à l'échange des denrées agro-alimentaires. Il paraît plausible que la valeur relative accordée à l'agriculture rend difficile la signature d'un accord pour régulariser le marché mondial [(Feuer, G. 1994), (Warêgne, J-M. 2001), (Losch, B. 2006)], d'où la complexité de répondre à la question de savoir si oui ou non, le secteur doit-être libéralisé. La réponse à cette question reste plutôt ambiguë. Si pour certains, l'agriculture doit-être libéralisée totalement afin d'éradiquer la faim et la pauvreté dans le monde [(Emilinger, C., Jacquet, F. & Petit, M. 2006) ; (Ducaste, A. & Anseeuw, W. 2011)] ; D'autres au contraire, pensent que les dirigeants des pays du sud doivent défendre la souveraineté et la sécurité alimentaires de leurs peuples en protégeant ce secteur [(Hrabanski, M. 2011), (Alahyane, S. 2017)]. Un troisième groupe de penseurs, notamment Rieber, A. & Tran, T. A-D. (2002) et Clotilde, J-F. & Éric, L. (2012) soulignent la nécessité de combiner les deux politique ci-mentionnées afin d'améliorer la situation économique des agriculteurs dans les pays en développement.

Etant considéré comme le pays le plus pauvre du continent américain [(Pierre, L-N. 2008) ; (IHSI, 2014)], et vu la place qu'occupe l'agriculture dans sa vie économique (Georges, A. 1995), il paraît évident qu'Haïti ne soit pas échappé aux débats sur la libéralisation agricole. En effet, après la chute de la Dictature des « Duvalier » en 1986, le développement du libéralisme commercial a apporté des modifications dans la législation du marché agricole Haïtien [(Perchellet, S. 2010), (PAPDA, 2011)]. Cette libéralisation peut être expliquée par plusieurs facteurs parmi lesquels nous pouvons citer :

D'abord, la signature, avec les institutions de Breton Woods, à savoir, la Banque Mondiale (BM) et le Fond Monétaire Internationale (FMI) de deux Plans d'Ajustements Structurels (PAS) en 1987 et 1997 [(Claire, M.G. 2006), (Pierre, L-N. 2008) (Diop, A.M. 2016)]. Il faut aussi souligner l'accord de Facilité d'Ajustement Structurel Renforcé (FASR) (MARNDR, 2009) pour la période allant de 2006 à 2009, dont le but est de rendre l'économie haïtienne compétitive et de faciliter son intégration dans l'économie mondiale, par la libéralisation totale de son agriculture et la privatisation de certaines entreprises publiques (Chavériat, C. & Fokker, R. 2002).

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Ensuite, la signature de l'accord de cycle de l'Uruguay sur l'agriculture en 1995 reposant sur certains principes tels : la transformation des barrières non tarifaires en tarifs douaniers, la baisse des subventions à l'exportation et à la production et la diminution progressive des droits de douanes tout en traitant de façon spéciale et différenciée les pays en Voies de Développement (PVD) [(Warêgne, J-M. 2001), (Diagne, A. & al. 2004)].

De plus, la création du Marché Commun de la Caraïbe (CARICOM) en 1996 et la signature du protocole sur l'agriculture et le traité de Chaguaramas augmentent la libéralisation du pays par rapport aux autres pays de la communauté. Toutefois, elles donnent la possibilité aux dirigeants des pays membres, dont Haïti depuis 2003, de prendre des mesures afin de protéger l'agriculture contre leurs concurrents1. Cette protection de l'agriculture est caractérisée entre autres, par l'application des droits de douanes allant jusqu'à 40% maximum dans le cadre du Tarif Extérieur Commun (Bruce Huff, H. 2014).

Enfin, étant un pays de la caraïbe et faisant partie du groupe Afrique-Caraïbe-Pacifique (ACP), la République d'Haïti est membre à part entière de la convention de Lomé (1898) et l'accord de Cotonou (2000), signés entre l'Union Européenne (UE) et le groupe des pays de l'ACP, accordant certaines préférences à ce dernier dans les échanges commerciaux (Warêgne, J-M. 2001).

Peu de travaux ont été réalisés sur la libéralisation de l'agriculture haïtienne durant ces trois (3) dernières décennies, soit depuis le milieu des années 1980. La quasi-totalité de ses travaux cherchent à quantifier l'impact de l'ouverture commerciale sur la production agricole haïtienne [(Baptiste, BJ. 2005), (Fréguin, S. & Devienne, S. 2006)]. Cependant, l'évolution du revenu des riziculteurs de la Vallée de l'Artibonite en tenant compte de la baisse des droits de douanes sur le riz importé n'a jamais été étudiée, d'où l'objet de ce travail.

Objet de l'étude

Considéré comme un secteur très important pour la croissance et la stabilisation de l'activité économique du pays, l'agriculture doit être analysée en tenant compte de ses contraintes et de la situation économique des travailleurs. Dans ce cadre, il est nécessaire de comprendre les effets de la libéralisation agricole sur la situation économique de la population rurale. Ce travail de recherche tente à analyser l'impact de la baisse des droits de douanes en faveur du riz importé sur le revenu des riziculteurs de la Vallée de l'Artibonite.

1 Sont considérés comme concurrents, tous les pays exportateurs qui ne font pas partie du CARICOM

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Problématique

Contrairement à la fin des années 1950 durant lesquelles des mesures de protection de l'agriculture haïtienne ont été appliquées, l'année 1986 est marquée par la mise en place d'une politique néolibérale exigée par les Institutions Financières Internationales (IFI) ; à savoir la Banque Mondiale (BM) et le Fond Monétaire Internationale (FMI), afin de pouvoir bénéficier des crédits monétaires dans le cadre du Programme d'Ajustement Structurel (PAS) (Diop, A.M. 2016). Cette situation va s'empirer vers les années 1995 avec la création de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), exigeant la diminution des droits de douanes sur les produits agricoles à certains Pays les Moins Avancés (PMA) (Chavériat, C. & Fokker, R. 2002). L'objectif de cette nouvelle politique était d'éradiquer la faim et la pauvreté dans le monde tout en augmentant la production agricole et les exportations dans les pays les plus pauvres [(Regalbuto, G. 1993) ; (Clotilde, J-F. & Éric, L. 2012)].

En effet, sur la base de l'application de cette nouvelle politique, Haïti est reconnu comme l'un des pays les plus libéralisés depuis le début des années 2000 (Bruce Huff, H. 2014). Suite à la décision des dirigeants du pays à éliminer les barrières non tarifaires et à diminuer drastiquement les droits de douanes sur les produits agro-alimentaires, passant de plus de 200% à des taux aux environs de 40% entre 1983 et 1995 ; les années 1995-96 vont marquer par le démantèlement total des droits de douanes passant à un maximum de 15% (PAPDA, 2011). A titre d'exemple, il faut relater que le taux des droits de douanes consolidé sur le riz par l'OMC est de 40%, et un taux de 25% en moyenne est appliqué dans les caraïbes, malheureusement, celui d'Haïti est seulement 5% [(Fréguin, S. & Devienne S. 2006) ; (Josling, T., Chanperon, W. & Le Turioner, J. 2017)].

Toutefois, force est de constater que plus de trente (30) années après la mise en place de cette politique néolibérale, les résultats escomptés n'ont pas été atteints. Au contraire, elle entraine une désarticulation de l'économie du pays et la diminution du niveau de vie des ménages les plus pauvres, résidant dans la majeure partie des cas, dans le milieu rural. En effet, une baisse de la production et de l'exportation des denrées agricoles a été constatée avec la libéralisation de l'agriculture du pays [(MARNDR, 2010a), (Vil, A. 2017)].

Malgré la place prépondérante qu'il occupe dans l'alimentation des ménages haïtiens [(Baptiste, BJ. 2005) (Josling, T., Chanperon, W. & Le Turioner, J. 2017)], la production du riz ne cesse de diminuer au fil du temps (MARNDR, 2015). La hausse de l'importation du riz venant principalement des Etats-Unis, entraine une baisse de la demande et de la production du riz national ainsi que le revenu des riziculteurs (Deshommes, F. 2006). Il paraît vrai que cette diminution du revenu des agriculteurs soit la conséquence du dumping commercial appliqué par certains pays considérés comme étant de grandes puissances agricoles et partenaires commerciaux de la

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République d'Haïti. Puisqu'ils cultivent leurs terres dans des situations économiques émaillées de difficultés comme l'utilisation des techniques archaïques et des outils rudimentaires (Doura, F. 2002), et ayant un accès très limité aux intrants agricoles de qualité et aux services financiers (IHSI, 2001), les riziculteurs haïtiens, contrairement à leurs concurrents états-uniens dont le gouvernement subventionne l'agriculture [(Chavériat, C. & Fokker, R. 2002), (Bouët, A. & Bureau, J-C. 2001)], se sont obligés de pratiquer des prix de vente très élevés.

Il paraît aussi important de souligner que la part de l'agriculture dans la formation du PIB prend la forme d'une courbe à pente négative. Selon les données publiées par l'Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique (IHSI), la contribution du secteur agricole dans le PIB réel haïtien était de 27% en 2000 contre 22% en 2014, soit une baisse de 5% en 14 ans (IHSI, PIB par secteur d'activité). La productivité de l'agriculture haïtienne reste très faible et elle ne peut pas répondre à la demande de consommation des ménages, puisqu'en 2002, la production nationale répond seulement à 43% de la demande totale du pays (Doura F, 2002). Cette situation entraine l'aggravation de la pauvreté dans le milieu rural (MARNDR, 2010a) et 34.1% des ménages qui ont l'agriculture comme principale source de revenu se trouvent dans une situation d'insécurité alimentaire durant l'année 2007 (CNSA, 2007).

Paradoxalement, malgré la baisse considérable de la production agricole, les résultats des quatre recensements réalisés en Haïti montrent que la population est en croissance continue. Le pays comptait 3 097 220 habitants en 1950 pour passer à un total de 8 373 750 habitants en 2003, donc elle a plus que doublé en moins de 55 ans. Durant cette même période, son évolution laisse observer de très grandes disparités concernant la répartition par sexe, âge et milieu de résidence. La part de population urbaine dans la population totale augmente constamment. Son taux de croissance intercensitaire (5.8) était 5 fois plus élevé que la population rurale (1) et 2 fois plus que la population totale de la République (2.5) entre 1982 et 2003 (IHSI, 2009a). Cette explosion démographique entraine la hausse de la demande des denrées agro-alimentaires. Produisant dans des situations extrêmement difficiles, les riziculteurs haïtiens se trouvent dans l'impossibilité d'augmenter la production nationale, d'où le recours à l'importation pour répondre à cette demande de plus en plus croissante.

Par ailleurs, l'analyse des données publiées par l'IHSI (2014) montre que le pays est l'un des plus pauvres au monde avec des taux de 58.5% et 23.8% de pauvreté et de pauvreté extrême de façon consécutive en 2012. Toutefois, de fortes disparités ont été constatées entre les milieux de résidence puisque la majorité des pauvres, soit un pourcentage de 67%, se trouve en milieu rural. De plus, toujours selon les données de l'IHSI, l'incidence de pauvreté dans la ruralité est de 74.9% contre seulement 40.6% dans le milieu urbain ; et les agriculteurs ont vu leurs revenus diminués au

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fil du temps (CNSA & FEWS NET, 2015). Partant d'un tel constat, nous sommes obligé de nous questionner sur les causes qui poussent l'Etat haïtien de ne pas profiter de la fourchette de 40%, en fixant des droits de douanes aussi bas (5%) sur des produits, comme le riz, qui sont très importants dans l'agriculture et la consommation des ménages. Il paraît aussi important d'identifier les éventuels bénéficiaires de cette politique néolibérale ainsi que la relation de cette dernière avec la situation économique critique des agriculteurs, d'où la formulation de notre question de recherche.

Question de recherche

Dans le cadre de ce travail, il est question d'analyser les éventuels impacts de la libéralisation agricole sur la situation économique des riziculteurs haïtiens. Par ailleurs, il paraît intéressant de se questionner sur d'autres facteurs qui peuvent contribuer à cette dégradation du niveau de vie de ces riziculteurs. La Vallée de l'Artibonite, considérée comme la plus grande zone de production de riz en Haïti avec plus de 80% de la production totale du pays, est notre cas d'étude. Pour atteindre l'objectif fixé, la question de recherche a été formulée de la manière suivante : Comment le revenu des riziculteurs de la Vallée de l'Artibonite évolue-t-il avec la baisse des droits de douanes sur le riz importé ?

Hypothèses de recherche

Considérée comme une réponse anticipée à la question de recherche, deux hypothèses guideront ce travail de recherche. Elles sont libellées de la manière qui suit :

1. Plus les droits de douanes sur le riz importé diminuent, plus le revenu des riziculteurs de la Vallée de l'Artibonite diminue.

2. Plus la corruption augmente, plus le revenu des riziculteurs de la Vallée de l'Artibonite diminue.

Méthodologie

Nous avons réalisé ce travail en adoptant une méthodologie comprenant une étude documentaire et une étude empirique. Dans l'étude documentaire, des articles scientifiques, des publications sur le site des différents organes oeuvrant dans le domaine de l'agriculture, des thèses ayant un lien avec l'agriculture ou la libéralisation commerciale ont été consultés.

Dans l'étude empirique, nous avons réalisé des entretiens individuels libres aux près des personnes ressources. Nous avons utilisé cette démarche afin d'avoir une compréhension très

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profonde de la problématique présentée ci-dessus. Nous avons discuté avec des cadres du Ministère de l'Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR) et des membres de la société civile. Toutefois, avant le déroulement de la partie empirique du travail, deux (2) entretiens informels ont été menés auprès de deux étudiants en Agronomie et en Economie de l'Université d'Etat d'Haïti (UEH). En dépit de la rareté des ressources à laquelle nous nous sommes confrontés, nous avons réussi à réaliser huit (8) entretiens. Ces derniers ont été réalisés par téléphone et par courriel sur une durée comprise entre 30 et 40 minutes, et se portent sur les thèmes qui se trouvent dans notre question de recherche et les hypothèses posées.

Idéalement, pour mesurer l'impact de la baisse des droits de douanes sur le revenu des riziculteurs de la Valée de l'Artibonite, une enquête quantitative auprès des planteurs devrait être réalisée, tout en choisissant l'échantillon de façon aléatoire et d'effectuer des tests statistiques et des extrapolations. Toutefois, étant un étudiant haïtien en Bulgarie, et effectuant notre travail de recherche sur Haïti, nous n'avons pas à notre disposition ni le temps ni les ressources financières nécessaire pour effectuer une enquête. D'où le recours à l'entretien individuel libre.

Organisation du travail

Ce travail est organisé en quatre (4) chapitres. Le premier concerne le cadre conceptuel et théorique. Dans ce chapitre, il est question d'abord de clarifier certains concepts et ensuite de présenter deux théories contradictoires concernant la protection ou non de l'agriculture. Les théories présentées sont celle défendue par Pascal Lamy (Clotilde, J-F & Éric, L. 2012) qui préconise la libéralisation des échanges alimentaires et celle dite protectionniste d'Olivier De Schuster (Olivier, De S. 2014). Le deuxième chapitre est consacré à l'exposition de la politique agricole mondiale tout en précisant les particularités régionales. Ainsi, l'historicité de la politique agricole de la République d'Haïti depuis 1950 a été présentée.

Le troisième chapitre fait le point sur la situation de la riziculture haïtienne tout en précisant ses principales contraintes. Nous avons présenté le circuit de commercialisation du riz de la Vallée de l'Artibonite tout en identifiant les principaux acteurs. De plus, nous avons déterminé le mécanisme de formation des prix du paddy en tenant compte du pouvoir de négociation des agriculteurs. Le denier chapitre est relatif à l'étude de cas, dans lequel des entretiens individuels non directifs (8 au total) ont été réalisés avec deux catégories de personnes ; dont 3 représentants de l'Etat, et 5 autres personnes évoluant dans la production du riz dans la Vallée de l'Artibonite. L'objectif est de comprendre l'impact de la libéralisation de la riziculture sur le revenu des riziculteurs tout en déterminant ses éventuelles causes internes.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille