CONCLUSIONS
La situation économique des agriculteurs haïtiens
après la libéralisation agricole nous préoccupe. Notre
intérêt s'est tourné particulièrement vers la
Vallée de l'Artibonite puisque cette dernière est
considérée comme le grenier de la République avec ses
principaux atouts agricoles. Pour répondre aux besoins de consommation
des ménages à faible revenus dans les pays les plus pauvres et
accroître le revenu des agriculteurs, il faut libéraliser
l'agriculture mondiale par la baisse des tarifs douaniers selon le paradigme
des agences internationales de développement au cours de la
décennie 1981-90.
Sur la base de l'application du Programme d'Ajustement
Structurel du FMI, les dirigeants haïtiens arrivent à
libéraliser l'agriculture du pays. Les droits de douanes sur
l'importation du riz ont été réduits
considérablement et les autres mesures protectionnistes ont
été démantelées. Paradoxalement, depuis le
début des années 2000, Haïti est considéré
comme le pays qui applique les droits de douanes les plus faibles dans la
Caraïbe et aussi l'un des plus pauvres au monde, avec la diminution
continue du revenu des riziculteurs. Partant d'un tel constat, nous nous sommes
questionné sur la relation qui existe entre la baisse des droits de
douanes sur le riz importé et le revenu des riziculteurs de la
Vallée de l'Artibonite.
En effet, dans le Plan Stratégique de
Développement d'Haïti (PSDH), l'agriculture haïtienne,
particulièrement sa riziculture, est considérée comme un
secteur stratégique pour lutter contre l'insécurité
alimentaire et contribuer à la croissance économique du pays.
Pourtant, plusieurs travaux réalisés au début des
années 2000, dont Sylla, K. & Touré, A. (2004), Baptiste, BJ.
(2005) et Fréguin, S. & Devienne S. (2006) confirment
l'Hypothèse selon laquelle la libéralisation de l'agriculture
n'est profitable qu'à un petit groupes restreints d'individus. Par
ailleurs, ces auteurs relatent que la baisse des droits de douanes en faveurs
des denrées agricoles importées entraine une
détérioration de la situation économique et alimentaire
des ménages à faibles revenue au niveau des pays pauvres. Avec la
problématique construite et en s'inspirant du résultat de ses
recherches, nous avons posé les deux hypothèses suivantes :
1. Plus les droits de douanes sur le riz
importé diminuent, plus le revenu des riziculteurs de la Vallée
de l'Artibonite diminue.
2. Il existe d'autres facteurs internes, comme la
corruption, qui influencent le revenu des riziculteurs de la Vallée de
l'Artibonite.
Ce travail est composé de quatre (4) chapitres. Dans le
premier, il était question de présenter deux théories
contradictoires et de définir les différents concepts afin de
donner le sens qu'ils revêtent et d'éviter toutes sortes
d'ambigüités. Nous avons essayé, dans le second chapitre, de
démontrer que le marché mondiale du riz est concentré et a
les caractéristiques d'un oligopole. Le
55
troisième chapitre est consacré à la mise
en lumière de la situation de la riziculture haïtienne tout en
soulignant ses principales contraintes. Le dernier chapitre concerne
l'étude de cas. Nous avons réalisé des entretiens libres
aux près de huit (8) personnes ressources afin d'avoir une
compréhension approfondie de la problématique construite.
Les résultats de notre recherche montrent que le
marché rizicole mondial est un oligopole. La majeure partie de la
production est concentrée au niveau des pays d'Asie et 93% de cette
production est consommée au niveau du marché national contre
seulement 7% vendue sur le marché international en 2006. De plus, il
faut de souligner la protection de la riziculture au niveau de certains pays
producteurs alors que l'agriculture des PMA est libéralisée.
Les pays de l'Europe, avec l'application de la PAC
après la deuxième guerre mondiale ainsi que les Etats-Unis
appliquent une politique protectionniste afin d'accroître la production
et d'augmenter le revenu des agriculteurs. Ce même cas de figure a
été constaté au niveau des pays en développement
d'Asie, principaux producteurs et exportateurs du riz. Vers les années
1980, ces pays ont investi des sommes exorbitantes dans les infrastructures
agricoles, condition indispensable pour accroître la production et le
revenu agricole. Parallèlement, les dirigeants de ces pays utilisent
d'autres mécanismes, comme l'interdiction de l'importation à des
moments donnés, afin de protéger leurs productions et
d'accroître le revenu des riziculteurs.
Cependant, vers les années 1980, certains PMA ont
procédé à la libéralisation de leurs agricultures
sur la demande des Institutions Financières internationales (IFI) dans
le cadre de l'application du Programme d'Ajustement Structurel (PAS). Etant
l'un des pays les plus pauvres, l'agriculture de la République
d'Haïti d'une façon générale et sa riziculture en
particulier, a été libéralisée. L'Etat haïtien
a démantelé les droits de douanes sur l'importation du riz et
d'autres mesures servant à protéger la riziculture de la
Vallée de l'Artibonite comme la réouverture de certains ports et
la limitation des importations.
Pour expliquer l'impact de la baisse des droits de douanes en
faveur du riz importé sur le revenu des riziculteurs de la Vallée
de l'Artibonite, nous avons analysé des articles et des documents
officiels du MANDR et de ses partenaires comme la CNSA, le FAO.... Par
ailleurs, des entretiens libres ont été réalisés
auprès des personnes ressources. Malgré les difficultés
rencontrées, nous avons réussi à réaliser 8
entretiens. Il a été démontré qu'avec l'application
de cette politique néolibérale, la situation économique
des riziculteurs de la Vallée de l'Artibonite s'est
détériorée. La totalité des répondants (8)
pensent que cette politique de libéralisation rizicole entraine une
baisse du revenu des agriculteurs de la Vallée de l'Artibonite. Donc,
les résultats de notre recherche confirment l'hypothèse 1.
Cependant, nous n'avons pas eu la possibilité de vérifier la
validité de
56
l'hypothèse 2. Bien que le pays figure parmi les plus
corrompus depuis le début des années 2000, nous ne sommes pas
arrivés à établir la relation entre la corruption et la
baisse du revenu des riziculteurs de la Vallée de l'Artibonite.
La nouvelle politique appliquée est profitable surtout
aux exportateurs étrangers qui peuvent livrer leurs surplus de
productions sur le marché haïtien à des prix
subventionnés. A leurs côtés se trouvent un groupuscule
formé par des commerçants haïtiens très riches qui
ont le droit exclusif d'importer le riz avec des franchises douanières
accordé par l'Etat haïtien. Les consommateurs haïtiens quant
à eux bénéficient en partie de la baisse des prix du riz
sur le marché local. Toutefois, cette libéralisation agricole
cause des préjudices à l'Etat haïtien qui renonce à
une portion des recettes douanières et aux riziculteurs de la
Vallée de l'Artibonite. Elle contribue à la baisse de la
production agricole et du revenu de ces derniers.
Cependant, cette recherche est limitée surtout par le
nombre très restreint (8) de participants. C'est pourquoi que nous
espérons que dans les jours qui viennent, d'autres études seront
menées tout en réalisant une enquête quantitative aux
près des riziculteurs de la Vallée de l'Artibonite afin de
confirmer les résultats de ce travail.
Formulation des propositions
Comme nous l'avons souligné à plusieurs
reprises, la production du riz au niveau de la Vallée de l'Artibonite
joue un rôle primordial dans la survie des riziculteurs de cette
région. D'ailleurs, elle est considérée comme la
principale source de revenu pour 90,000.00 riziculteurs et contribue à
hauteur de 12% dans la disponibilité alimentaire en Haïti contre 8%
pour l'ensemble des autres régions du pays. Considérée
comme la principale zone de production du pays, il s'avère
nécessaire de prendre des mesures afin d'accroître la production
et d'augmenter le revenu des riziculteurs de la Vallée de l'Artibonite.
Dans ce cadre, nous avons faits les propositions suivantes :
1. Réviser la politique commerciale de l'Etat
haïtien
Avec la révision de sa politique commerciale, l'Etat
haïtien peut contribuer à la modernisation des structures de
production et d'échange par l'augmentation progressive des tarifs
douaniers (profiter de la marge de protection non utilisée) pour
augmenter ses recettes. Ça va lui donner aussi des ressources
nécessaires pour financer les réseaux douaniers (système
douanier) afin d'éviter la contrebande. Toutefois, il convient de savoir
si le secteur rizicole est encore viable pour
57
susciter un tel niveau de protection quant à sa
capacité de réponse en termes de production de masse quand nous
considérons les contraintes structurelles auquel il fait face.
2. Elaborer un plan de développement agricole
inclusif au niveau de la Vallée
Bon nombres de plan de développement de la
filière riz sont élaborés sans la participation des
riziculteurs. Le modèle de développement souhaitable dans la
Vallée de l'Artibonite doit être constitué par un ensemble
de moyens visant à réaliser la participation de la population et
ses responsabilités au progrès de sa propre communauté. De
plus, les potentialités agricoles réelles, les besoins du
marché local, les aspects environnementaux qui sont très
liés à l'agriculture, l'aspect institutionnel en voyant le
véritable rôle du MARNDR et de l'ODVA ainsi que l'aspect
organisationnel du côté des riziculteurs doivent être pris
en compte.
3. Augmenter l'investissement de l'Etat dans les
infrastructures agricoles
La Vallée de l'Artibonite est traversée par
deux grands cours-d `eaux. Pourtant, l'inaccessibilité des riziculteurs
aux ressources hydrauliques constitue l'une des contraintes majeures à
l'augmentation de la production. L'intervention de l'Etat paraît comme
une condition sine qua non pour accroître la production et contribuer
à la hausse du revenu agricole. L'Etat doit aussi investir dans les
infrastructures routières afin de faciliter le transport de la
production et dans l'agro-industrie afin de faciliter la transformation et la
conservation des denrées et d'augmenter la valeur ajoutée en
agriculture.
4. Mettre en place un service d'assurance
agricole
Les riziculteurs de la Vallée de l'Artibonite sont,
dans la majeure partie des cas, des personnes à faibles revenus. Ils ont
un accès limité aux services et intrants agricoles (semences de
qualité, produits phytosanitaires, crédits, etc.). La culture
d'une parcelle nécessite beaucoup d'investissements que ni le secteur
privé des affaires ni les paysans ne peuvent engager. Ces
considérations sont autant d'éléments fondamentaux qui
requièrent une intervention de l'Etat. Ce dernier doit assurer la
production des riziculteurs afin de faciliter l'accès au crédit
de ces derniers et de répondre aux besoins financiers nécessaires
pour exploiter les parcelles.
58
|