De la diversité culturelle, linguistique et migratoire à l'établissement du locuteur en langue franà§aise. Cas d'adultes migrants à Bruxelles.par Stéphanie NASS Université de Bourgogne - Master 2 Recherche didactique du franà§ais 2014 |
2.2. Les traits d'union entre l'Être et l'Esprit ou les représentationsQu'est-ce qu'une représentation ? Au fil de nos lectures, nous avons remarqué qu'une terminologie étoffée, polymorphe, voir philosophique est souvent assimilée à son acception. Constituant un domaine important de la réflexion en linguistique-didactique, il nous semble au préalable pertinent, de colliger le concept de représentation à la discipline des sciences du langage. Les sciences du langage ont évolué au cours des siècles, passant de l'étude du « langage naturel » à « la nature et le rôle du locuteur dans l'expression linguistique » (Auroux, Deschamps, Kouloughli, 2004: 237). Issue des raisonnements de l'Antiquité, la discipline recherche à décrire et comprendre la production du langage ainsi que la transition d'un idiome à l'autre. On s'intéresse dès lors à la référence triadique du signe linguistique, initiatrice de la tripartition sémiotique (syntaxe/sémantique/pragmatique). Ce théorème, plus souple que celui dichotomique de Saussure 43 , suppose un phénomène de commutation. Ladite triadique aristotélicienne met en contraste la parole et l'écriture (Signe) face aux concepts universaux de l'intellect et de l'image (Concept) (Rastier, 2008)44. Rappelons le modèle 42 Benzakour F., novembre 2012, « Le français au Maroc. De la blessure identitaire à la langue du multiple et de la copropriation », Repères-Dorif, autour du français : langues, cultures et plurilinguisme, http://www.dorif.it/ezine/ezine_articles.php?id=47 , visitée le 23.07.14. 43 Saussure privilégie une schématisation dyadique linguistique qui distingue un « signifiant » et un « signifié ». Le concept saussurien synchronie-diachronie a largement participé aux théories contemporaines du mouvement en linguistique. 44 Rastier F., 2008, «La triade sémiotique, le trivium et la sémantique linguistique», Actes Sémiotiques, http://epublications.unilim.fr/revues/as/1640, visité le 24.07.2014. 29 Concept Signe Chose (Signifiant) (Référent) FIGURE 1 : LA TRIADIQUE DU SIGNE LINGUISTIQUE SELON ARISTOTE. Au XIXème siècle, la triade sera réutilisée par le logicien Peirce qui y apportera quelques modifications (Rastier, 2008) : Interprétant Representamen Objet FIGURE 2 : LA TRIADIQUE DU SIGNE LINGUISTIQUE SELON PEIRCE. Confirmant l'aspect transcendantal du langage, Peirce propose une théorie sémiotique dont la construction intellectuelle en base trois nous interpelle. Au cours de ses réflexions, Peirce a donc considéré le signe linguistique comme un élément « qui prend appui sur les trois catégories du sentiment, de l'existence et de la médiation » (Bourdin, 2005)45 explicitant, en conséquence, l'entendement de l'individu dans son rapport au monde. En d'autres termes, Peirce schématise la tri-unité du langage et des langues qui résulte de la jonction de 1 et de 2, produit dans ce cas de l'association du Representamen et de l'Objet, où l'Interprétant, tel un 45 Bourdin D., 2005, « Logique, sémiotique, pragmatisme et métaphysique », Cairn.info, www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2005-3-page-733.htm, visité le 25.07.14. 30 trait d'union, fournit au locuteur une représentation du milieu environnant. Une phénoménologie originale qui prétend recouvrir l'ensemble des facultés psychiques de l'homme. Nous réactualiserons donc le polygone comme suit (Everaert-Desmedt, 2011). Tiercéité (médiation) Priméité Secondéité (sentiment) (existence) FIGURE 3 : ÉVOLUTION DE LA TRIADIQUE DU SIGNE LINGUISTIQUE SELON PEIRCE. Cette théorie de Peirce paraît intéressante à éliciter ici, dans le sens où elle fait ressortir le concept de représentation comme un signe cognitif interne. De fait, le signe linguistique afin d'être appréhendé par le locuteur détermine « un interprétant, qui est un Representamen à son tour et renvoie, par l'intermédiaire d'un autre Interprétant, au même objet que le premier Representamen [...] » (ibid.). Un processus imparfait où de nouveaux « Interprétants » et « Representamen » servent d'intermédiaire entre l' « Interprétant » et l' « Objet ». Nous le transposerions en linguistique-didactique en termes de « méta-représentation » (Bajriæ, 2007: 22). Cependant, et pour revenir à l'intérêt intellectif des sciences du langage, précisons que le nombre d'entremises reste influencé par la subjectivité du locuteur confirmé. Car c'est lui qui réinterprète et reconstruit l'idée de l'Objet qui concomitamment entraîne sa propre ré-interprétation et re-construction ontologique. Comme le résument Auroux, Deschamps et Kouloughli dans leur thèse sur Heidegger, en tant qu'usager du langage et des idiomes, le sujet parlant est dans une « situation existentiale » (2004: 240). En cela, les représentations du signe linguistique sont constitutives de la structure ontologique de l'existence. Elles s'inscrivent dans l'historialité du Dasein, de l'« être-là » (Gelven, 1987: 224). C'est pourquoi, 31 reflet de notre méthodologie de recherche, le point de vue définitoire des représentations se situe dans « une logique de l'identité46 (très ancrée sur la philosophie analytique du langage) et non une logique du signe » (Bourdin, 2005)47. Pourquoi la linguistique-didactique qui se donne d'abord, comme sujet de réflexion, la relation entre le langage et la compréhension des langues porte-t-elle aussi de l'intérêt aux représentations ? Tout d'abord, parce que d'après Castellotti (2001: 23), les imaginaires instaurent « un élément essentiel et structurant du processus d'appropriation langagière [...] ». Les particularités langagières et cognitives que doit affronter le locuteur non confirmé interfèrent avec son soi intime. L'accès à la nouvelle langue se réalise par l'intériorisation de ces phénomènes subjectifs internes. Par conséquent, « à la jonction du subjectif [...] et du social [...] » (Maurer, 2013: 25), les représentations « endoctrinent »48 les attitudes ainsi que les discours. Amont des perceptions naïves de l'individu et du groupe, les imaginaires sociaux favorisent le maintien fonctionnel du système cognitif lors de l'interlocution en langue in fieri. Conception intellectuelle de l'Être et du monde49, la représentation engage dans son entièreté le locuteur, permettant à notre recherche d'atteindre et discerner l'équilibre mis en jeu dans la construction identitaire. D'ailleurs, le fait que le groupe d'énonciateurs migrants, sur lequel porte nos travaux existe, pour des motifs d'appropriation du français, confère à l'idiome une position symbolique exclusive50. En insistant sur la notion de représentation linguistique et sociale, il nous semble que le processus psychique d'établissement en idiome in posse n'est pas simplement l'interprétation de deux univers sinon la perspective d'une création de soi. L'imaginaire est porteur d'une influence dialectique interne/externe du Dasein qui s'inscrit dans le cadre de la linguistique-didactique. 46 Cf. Ricoeur (1990). 47 Bourdin D., 2005, « Logique, sémiotique, pragmatisme et métaphysique », Cairn.info, www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2005-3-page-733.htm, visité le 25.07.14. 48 La « représentation » sociale chez Moscovici est au demeurant qualifiée de « doctrine ». Cf. Maurer (2013: 38). 49 Les représentations ne garantissent pas des manières d'agir. En effet, « les locuteurs ne parlent pas toujours comme ils disent qu'ils parlent », Morsly D., 2011, « Sociolinguistique pour l'enseignement des langues », Master 1 Didactique des Langues Français Langue Étrangère (FLE), Université d'Angers, p.3. 50 Thèse de Moliner, Rateau, Cohen-Scali reprise par Maurer (2013: 101). 32 |
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