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De la diversité culturelle, linguistique et migratoire à  l'établissement du locuteur en langue franà§aise. Cas d'adultes migrants à  Bruxelles.


par Stéphanie NASS
Université de Bourgogne - Master 2 Recherche didactique du franà§ais 2014
  

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1.2.Présentation des résultats issus des entretiens collectifs

Pour rappel, l'objet précis de l'outil qu'est l'entretien collectif, réside dans le développement spontané des interactions verbales au travers d'un thème psychosocial : celui du concept d'identité culturelle. En cela, il permet d'observer et de relever les représentations in esse dans un autre cadre que celui du récit de vie (Partie 2, §3.4.1.). Il faut dire que les pensées idiosyncrasiques exprimées sont susceptibles d'alimenter l'articulation linguistico-didactique de notre étude. Le code utilisé pour la transcription des échanges observés est en accord avec les conventions exposées en Annexe 7. Nous avons mis en gras certains éléments des discours qui nous paraissent importants pour notre analyse.

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1.2.1. Les représentations « finales »

Une autre source de malaise, ou du moins d'influence, au coeur de l'établissement en langue nouvelle reste manifeste car intrinsèquement liée à la nature de tout individu. Nous faisons bien entendu référence aux imaginaires brutes de l' « être », soit les valeurs et les attitudes élaborées après la naissance, par le bain linguistico-culturel environnant. Dévouées et constitutives des multiples façons d'exister en ce monde, les représentations in esse sont porteuses d'une forte dimension philosophique qui justifie les perpétuations des comportements cognitifs ancestraux.

Qu'ils soient monolingues ou plurilingues, les quinze locuteurs adultes non confirmés de l'ASBL, présents lors des entretiens collectifs, se définissent comme des personnes uniques et indivisibles. En utilisant l'explétif « vous » dans nos deux questions ouvertes (cf. Partie 2, §3.4.1.), nous avons souhaité solliciter l'attention de l'énonciateur sur l'existence des individus de la classe pour faire émerger, en langue française, le concept de l' « Être ».

I : Curieux il est gentil un peu curieux ce que j'aime chez lui heu ::: il respecte tout le monde. Et ::: il est généreux et sociable j'aimerais savoir s'il a une femme ++ et si ++ il a ++ des enfants...

J : C'est R.

I : Je crois que c'est R.

[...]

E : (Rires) un peu curieux ! C'est R !

I : Non elle est pas curieux, elle est généreux elle est respectueux. Je crois c'est R.

Dans cet extrait provenant de l'entretien collectif 1, nous trouvons le fondement de la représentativité individuelle qui se décide et, par la subjectivité de chacun et, par la position linguistique des locuteurs. En accédant à l'espace de l'autre c'est-à-dire au sujet grammatical et idéologique, les discours produits relèvent de l'idiosyncrasie. Dans ce cas illustré, R acquiert une intériorité inédite par l'idiome français ainsi que par les croyances dûes à sa

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personne et à son rapport à l'écologie humaine. À notre sens, les propriétés psychologiques de I affichent toute une série d'entités lexicales pour déterminer la personnalité de R. Les éléments « curieux », « généreux », « sociable » sont des attributs qui participent à la construction identitaire de R en français. Ces syntagmes véhiculent la part d'imaginaire de I, soit son aspect intime de la langue. En outre, les échanges générés par la discussion accentuent la pluralité des attitudes des sujets parlant en rapport avec la compréhension du français. De fait, la reprise de E permet à I d'affiner sa recherche en termes de formes linguistiques : l'énoncé « il respecte tout le monde » a alors évolué vers l'attribut « respectueux ». Nous passons de l'expression d'un état à l'expression d'une nature. Il est évident que face à « la langue de dehors » (Alonso, 2006 : 84), le locuteur mette du temps à traduire sa pensée profonde. Comment dire alors ce que l'on est sans être trahi par l'idiome français ?

S : Oui ? Tu veux que je lise celui-là ? Alors on lit celui d'El M. On va essayer de voir qui est-ce. Alors, je je suis euh ::: alors ++ +++ euh ::: je crois que c'est je suis dynamique, sociable et volontaire. Dynamique parce que je suis toujours prêt à faire tout ce qu'il faut dans la vie quotidienne. J'espère non j'enseigne non j'essaye d'être bien avec tout le monde. J'aime j'aime bien euh ::: être ++ euh ::: ++ +++ alors oui du coup j'aime bien être je ne sais pas. Une personne sociable ce que j'aime chez moi euh :: c'est ++ mes cheveux et ma volonté pour aider les autres. Ce que je donne aux autres ++ c'est ::aider tout le monde ? Vous savez qui c'est ? Donc qui est-ce ?

L'établissement dans une langue s'avère capitale lorsqu'il s'agit de parler de soi. Se dire, se raconter, s'affirmer sont les aspirations essentielles de tout migrant en pays d'accueil. Si nous la transposons en termes intellectifs, cette finalité mire, à travers le français, en direction du langage intérieur. Énonciateur « médian », E utilise le pronom personnel « je » car on suppose qu'elle souscrit naturellement à être un sujet parlant par le biais de cette personne grammaticale. Néanmoins, E demeure soumise à une acceptabilité linguistique française qui, nécessairement, dénature sa subjectivité. Traduttore, traditore, voilà comment nous pourrions résumer le phénomène. Le proverbe italien met en lumière les données exclusives et, par extension partiales, que le locuteur doit introduire pour marquer son discours. La présence des paires adjectifs/pronom-nom, « ma/mes »/ « autres »-« le monde », n'est pas sans intérêt. A l'aide d'une valeur ajoutée ontologique, l'énoncé de E distingue son « moi » des « autres ». On assiste à une interaction psycholinguistique entre les pronoms « je »/ « moi », les adjectifs possessifs « ma »/« mes » et le pronom indéfini et le nom « les autres »-« le monde » : E

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concentre ses propos sur son « être ». Seulement voilà, l'informateur nous traduit un message à nous apprentie-chercheure, qui sommes une interlocutrice « initiale » pour la langue in esse de E. Par conséquent, le français peut-il exprimer ses représentations « finales », sans les tronquer ? En tant que locuteur non confirmé de français, E a-t-elle tous les outils pour réaliser une traduction convenable ? Peut-être que ces suppléments langagiers d'appréciation dont E fait usage, révèlent la manière de concevoir le monde dans son propre idiome.

Le langage est assimilable à une impulsion génératrice (Chabrolle-Cerretini, 2007: 83), c'est pourquoi nous envisageons les relations cognitives comme des indicateurs de l'interculturalité des comportements linguistiques, notamment au travers des originalités du « vouloir-dire » (Bajriæ, 2013 : 110-116).

A : Euh ::: cette photo-là ça attends explique xx xxx

S : C'est toi A ?

AL : C'est toi ?

E : T'as fait ça parce que c'est TOI. Moi je vous l'ai dit : il a pas compris.

A : Eh ben, c'est ::::: xx xxx c'est Monsieur A ! J'ai mis mes chaussures eh ::: femme. Une sac pour femme et ::: je en bas une bouche, femme aussi. Moi je pense c'est un travesti.

S : Donc c'est pas toi A ?

A : Euh :::: si te plaît tu diras pas à ma femme ! S : Tu as dessiné un personnage alors ? A : Oui. Moi j'ai dessiné un personnage.

Avec l'analyse précédente, nous avons admis que les visions du monde portées par les différentes langues du répertoire langagier de l'énonceur a des résultantes sur la grammaticalité in fieri. Ainsi, le morceau choisi ici, extrait des entretiens collectifs 2, est régi par une acceptabilité linguistique extra-discursive, entendue comme atypique. L'emploi du dipôle nom/pronom- (« Monsieur A »/« Moi » /« je ») présentatif (« c'est un travesti »-« c'est un personnage ») démontre les choix langagiers opérés par A ainsi que l'énonciation privilégiée au vu de la situation de classe. Il semblerait que notre énonceur ait voulu « brouiller » les pistes de l'affabilité ontologique en sélectionnant des syntagmes de la langue

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française dotés d'un sens particulier à ses yeux88. L'usage du doublet « Moi »-« je » affiche une emphase pronominale qui densifiée par la subjectivité traduit une focalisation précoce, pré-phrastique et pré-explicative du portrait de A : « Moi je pense que c'est un travesti ». En outre, on suppose à la position syntaxique du dipôle « Je »-« c'est.... » que A expose non pas son identité psycholinguistique mais plutôt, son avatar langagier de sujet parlant non confirmé :

S : Tu as dessiné un personnage alors ? A : Oui. Moi j'ai dessiné un personnage.

Assiste-t-on à un changement existentiel : lorsque les représentations « finales » sont introduites dans l'idiome in fieri et se changent en imaginaires « médians » ? Est-ce une exemplarité du comportement intuitif humain face à l'appropriation d'une langue différente ?

Aussi vrai qu'en linguistique, « La conscience de soi n'est possible que si elle s'éprouve par contraste » (Benveniste, 1966 : 260), les intersubjectivités exolingues développent les facultés du locuteur à s'affirmer comme sujet en langue nouvelle, et conséquemment, laissent éclore l'alter et le nobis.

E : Euh ::: ben, tout ce que moi je peux voir, ce qu'elle a dit, ce que j'ai compris, ce qu'elle présente c'est la sourire, ça je sais par exemple. Ça on peut le voir. Et si xx xxx les voyages, je peux pas savoir si elle aime. Et qu'elle aime bien ::: euh ::: la nature. C'est vrai plus ou moins on l'aime tous, c'est tout. Et si qu'est-ce que t'as présenté ? Les oreilles ?

Nous sommes encline à observer dans le discours de E, des énoncés à l'agrammaticalité illégitime jalonnés d'hésitations et de mots incompréhensibles. Malgré tout, nous comprenons, en tant que chercheure débutante, qu'elle s'exerce à fournir une identité (en l'occurrence ici) à J. Pour ce faire, E introduit dans ses phrases sa part de représentations langagières en articulant la paire pronominale « je »-« elle », ce qui fait naître de cette congruence linguistique les dissemblances entre l'ego et l'alter. Une inimitié thétique qui entraîne l'expansibilité de tout énonceur en tant que modèle original, indépendamment du fait que dans notre cas d'étude, c'est la langue française qui réunit les informateurs. Toutefois, dans une même production, les interprétations peuvent prendre des formes variables. Dans

88 Pour avoir reformulé avec lui la consigne de l'activité, nous sommes convaincue que A avait compris ce qui lui était demandé c'est-à-dire se présenter à l'aide d'un schéma commenté.

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ledit passage, E crée un jeu de communication entre elle et les personnes présentes lors des entretiens. Le phénomène est permis grâce à la cohésion qu'elle établit entre les formes et les comportements linguistiques. Cela signifiant que E en plus de sa propre subjectivité, approvisionne celle des locuteurs de la classe de français. En choisissant de l'exprimer par le dipôle pronominal personnel et représentant « je »-« on »/« tous », E concourt à la production d'une connexité forte entre sa propre « conscience » d'exister et celle du nobis subordonnée à la discussion en cours. En d'autres termes, E procure une « intersubjectivité totale » à un observable à l' « intersubjectivité partielle » (Bajriæ, 2013 : 104-106).

Cerner et comprendre le modus operandi de l'établissement en langue française n'est pas chose simple. La nature de son objet- l'individu - étant incomplète, la capacité d'observation de l'apprentie-chercheure demeure limitée par les frontières linguistiques relatives aux langues in esse des informateurs. Adhérant à l'idéologie humboldtienne selon laquelle chaque idiome implique une représentation particulière du monde, nous réalisons que l'interprétation des résultats demeure imparfaite. Voilà pourquoi, il nous a été nécessaire de puiser au coeur de champs disciplinaires variés telle que la philosophie du langage. Néanmoins, loin de remettre en cause le bien-fondé de notre analyse, nous pensons que les apports de données issues des questionnaires exploratoires ainsi que des entretiens collectifs ont conduit à l'élaboration de notions judicieuses. De fait, l'appropriation de la langue française a été définie comme une trajectoire temporelle régie par les images mentales de l'espace dans lequel s'entremêlent les évènements et se vivent les existences : le temps. Grâce à l'analyse détaillée des profils des énonceurs de l'ASBL, nous avons dégagé trois types de représentations en accord avec le processus exposé ci-dessus et avons retracé l'influence des imaginaires ontologiques et langagiers comme des éventuelles ressources de compréhension du français. Enfin, l'établissement en idiome in fieri a été assimilé à un ensemble d'éléments d'ordre mental qui relève de la subjectivité du locuteur ainsi que de toute langue naturelle.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand