II.2.2. Mesure de la pauvreté
multidimensionnelle
On peut résumer en deux les approches de mesure de
pauvreté multidimensionnelle : les approches axiomatiques et les
approches non axiomatiques.
II.2.2.1. Approche axiomatique
Selon cette approche on ne peut considérer une personne
comme pauvre du fait qu'elle est incapable d'atteindre le minimum requis pour
l'un des besoins fondamentaux, mais il semble raisonnable de juger un individu
pauvre si son espérance de vie tombe en dessous d'un certain seuil
même si son niveau de revenu est élevé. Beaucoup d'indices
de pauvreté proposés dans le cadre de la pauvreté
unidimensionnelle ont été adaptés au contexte
multidimensionnel en respectant les axiomes puis en se référant
à un seuil donné de pauvreté pour chaque indicateur
primaire d'Asselin. (Bourguignon et Chakravarty, 2002 ; Foster et al.
1984). Rappelons que les axiomes ci-dessus cités expliquent les
fondements éthiques et moraux qu'il conviendrait d'avoir à
l'égard des démunis, de sorte qu'un indice de pauvreté se
construise en reflétant assez bien ces axiomes.
II.2.2.2. Approche non axiomatique
Dans l'approche non axiomatique, on distingue deux
catégories de mesure : celle basée sur les indicateurs
agrégés de bien-être et celle axée sur les
données individuelles.
II.2.2.2.1. Approche basée sur les indicateurs
agrégés
Dans cette approche on peut par exemple citer l'indice de
pauvreté humain (IPH) proposé par Arnand et Sen (1997). L'IPH est
un indice permettant de caractériser le niveau de pauvreté d'un
pays. Il a été créé par le programme des nations
unies pour le développement (PNUD). Cet indice varie entre 0 et 100, en
fonction de 5 critères notés de 0 à 20.
20
La pauvreté est essentiellement estimée par le
nombre de personnes vivant avec un revenu en dessous d'un niveau dit « de
pauvreté », qui, en 2002, était de 2 USD par jour. D'autres
niveaux de pauvreté sont fixés à 1,4 et 11 USD par jour,
ce qui permet d'affiner l'analyse. Le niveau de revenu de 1USD par jour est
appelé « niveau d'extrême pauvreté ». Le PNUD
utilise également des indicateurs indirects qui mesurent l'impact de la
pauvreté sur la population et qui servent à calculer des
indicateurs composites de pauvreté humaine IPH-1 et IPH-2(indice de
pauvreté humaine).
L'IPH-1, plutôt adapté au classement des pays
pauvres ainsi que des pays en développement, est calculé à
partir des trois indicateurs P1, P2 et P3 ,
exprimés en pourcentage avec :
P1, le pourcentage de décès avant 40 ans.
P2, le pourcentage d'analphabétisme.
P3, représente le manque des conditions de vies
décentes, il est lui-même la moyenne arithmétique de trois
sous-indices P31, P32 et P33, avec :
P31, le pourcentage des personnes privées
d'accès à l'eau potable ;
P32, le pourcentage de personnes privées
d'accès aux services de santé ;
P33, le pourcentage d'enfants de moins de cinq ans souffrant
d'insuffisance pondérale plus la mortalité infantile.
A partir de 2001, on a vu une rectification dans la
méthode de calcul du dernier indice en éliminant le pourcentage
de personne privées d'accès aux services de santé à
cause d'un manque de données fiables. On calcule alors :
P3 =
P31 + P32 + P33
3
L'IPH-1 s'écrit :
IPH-1=v??13+??23+??33
3
3
l'IPH-2, plutôt adapté au classement des pays
développés (il est utilisé pour la plupart des pays
de l'OCDE), calculé à partir des quatre indicateurs
P1, P2, P3 et P4 exprimés en
pourcentage avec :
P1, le pourcentage de décès avant 60 ans ;
P2, est le pourcentage d'illettrisme ;
P3, représente le manque des conditions de vies
décentes, estimé par le pourcentage de personnes vivant en
dessous de la demi-médiane de revenu disponible des ménages : si
M est le niveau de revenus tel qu'une moitié de la population a
un revenu à M et l'autre moitié un revenu
inférieur à M, alors P3 est le pourcentage de
personnes ayant un revenu inférieur à M/2 ;
P4 est le pourcentage de personnes en chômage
de longue durée c'est-à-dire membre de la population active et
sans emploi depuis au moins 12 mois.
L'IPH-2 s'écrit :
21
IPH-2= v??13+??23+??33+??43
3
4
Plus un IPH est élevé, plus un pays est pauvre.
II.2.2.2.2. Approche basée sur les données
individuelles :
Dans cette approche, les mesures les plus citées dans
la littérature et les plus appliquées actuellement dans le cas
des pays en développement sont : les méthodes fondées sur
la théorie des ensembles flous, celles basées sur le
critère d'entropie et des mesures faisant appel au critère de
l'inertie.
II.2.2.2.2.1 Approche fondée sur la théorie
des ensembles flous
Cerioli et Zani, en 1990, furent les premiers à offrir
une première méthode multidimensionnelle basée sur la
théorie des ensembles flous (fuzzy sets). Elle est selon Zadeh, un pas
vers un rapprochement entre la précision des mathématiques
classiques et la subtile imprécision du monde réel. Un
rapprochement né de l'incessante quête humaine pour une meilleure
compréhension des déterminants mentaux de la connaissance. Elle a
donc pour objet d'étude la représentation des connaissances
imprécises et le raisonnement approché.
On peut définir la fonction d'appartenance du
i-ème ménage au sous ensemble flou B comme le
poids moyen de x ,, ??????.????
Y i'~ uB = ?????
????=1
C'est le ratio de pauvreté du i-ème
ménage ; avec ???? le poids relatif au j-ème
attribut et où
0 = uB(????) = 1. On a :
uB(????)=0, si ???? possède les m
attributs ;
uB(????)=1, si ???? est totalement dépourvu des
m attributs ;
0 = uB(????) = 1, si ???? est privé seulement de
quelques attributs.
Notons que le poids ???? représente l'intensité
de privation liée à l'attribut ????. Plus le nombre de
ménages privés de l'attribut ???? est petit, plus le poids ????
sera grand. Ainsi dit, ???? peut s'écrire de la manière suivante
:
? ??(????)
??
??=1
???? = ?????? [ ]
? ????????(????)
??
??=1
On obtient l'indice de pauvreté flou de l'ensemble A
par la formule suivante :
? u??(????)??(????)
??
??=1
u??= ? ??(
?? ??=1 ????)
On peut aussi calculer un indice unidimensionnel pour chacun
des j attributs définissant le degré de privation du
j-ème attribut pour la population des n
ménages. Ainsi :
? ????????(????)
??
??=1
u??(????) = ? ??(????)
??
??=1
22
L'indice de pauvreté flou global peut aussi être
obtenu comme une moyenne pondérée des indices unidimensionnels
pour chaque attribut :
u??
|
?T `=1
|
u??
|
(????)????
|
=
??? ??=1 ????
|
Cette méthode est très adaptée à
l'étude des situations dont les connaissances sont imparfaites
(incertaines et imprécises), admettant ainsi qu'il n'existe pas de
critère précis pour distinguer quels éléments
appartiennent ou non à un ensemble à priori. Cette méthode
permet de construire un indice comprenant les différentes dimensions
(attributs) de la pauvreté. Cette approche a pour avantage aussi de
permettre d'introduire une décomposition synthétique qui combine
à la fois le rôle des groupes d'une population et les dimensions
de la pauvreté dans l'explication de la pauvreté totale.
II.2.2.2.2.2. L `approche d'entropie
Elle a été développée à
l'origine par Claude Shannon (1948, A Mathematical theory of communication)
pour mesurer la quantité d'information. L'entropie est définie
comme la mesure de l'incertitude associée à une variable
aléatoire. E. Maasoumi (1999) est parti de cette théorie
s'appuyant sur une mesure de divergence entre deux distributions pour proposer
un indicateur composite optimal qui minimise une somme pondérée
de divergence deux à deux.
Soit P?? = P[?? = ????], i = 1, ... n, la
probabilité que le résultat d'une expérience ????
avec 0 = p?? = 1. Ainsi, la fonction captant l'information
générée par l'expérience est supposée
être une fonction de probabilité. Par ailleurs on pose que
??(.) est une fonction décroissante : ??(1) = 0 et ??(0) =
8. Enfin, l'information anticipée d'une expérience est
définie par :
H(p) ? ? Pi
g P i
( ) ? 0; P = (P??, ........., P??)
n
i?1
On définit l'entropie comme la mesure de l'incertitude
associée à une variable aléatoire.
Si ??(p??) = -??????P??, H(P), est l'entropie de
Shannon. Dans ce cas on a :
- pour un évènement sûr, par exemple P =
(0,1,0, .... ,0), H (P) = 0 ;
- pour des évènements équiprobables,
H(P) = log (??) ;
- 0 = H(P) = ????????
On peut alors définir des mesures pour déterminer
la divergence entre distributions. Prenons le cas
de deux distributions : la première P (P??,
... , P??) et la deuxième Q (Q??, ... , Q??)
obtenue après
modification de la première. La mesure de divergence entre
les deux distributions est donnée par :
n Q i
D ( Q ,
P ) ? ?Q log
P
i ?1 i i
Il a été proposé une classe alternative de
mesures basée sur la famille d'entropie généralisée
:
? ?
1 ? ?
x ?
GE x X ? ? ? ?
iT
( , ; ) ? x ?? ?? ? ?
? t j iT
? ( ? ? 1) ? ?
j ? 1 i ? ?
L'aspect théorique évoqué ci-dessus peut
être adapté dans le cadre de la pauvreté
multidimensionnelle comme suit : soit n individus
indicés par i avec ?? = 1, , ?? et de m attributs de
bien-être indicés par j, avec ?? = 1, ... , ?? et ??????
représente alors la valeur d'un attribut j pour l'individu
i. On procède en deux étapes. Dans un premier temps, on
agrège le vecteur d'attributs (????1,......, ??????) de
l'individu d'indice i en une valeur unique ??????. L'idée est de trouver
un vecteur ???? = (??1??, ... , ??????) qui reflète le plus possible le
bien-être procuré à chaque individu par l'ensemble des
attributs. Dans ce cas, il s'agit de minimiser la fonction d'entropie
généralisée suivante :
m
??? n ? 1 ?
1 ? ? x ij ?
m
E "
X 8 j x ij
( ) _ I l
x iT ?
= 1
L j J
? j
? j ? j
, ???????? ? 0, -1
Où ???? représente le poids de l'attribut
j. La solution du cas général de cette minimisation est
:
1
_
"
, avec
?
m
?
j?1
23
Dans un deuxième temps, on cherche à identifier
les critères de définition de la pauvreté. L'approche
d'entropie issue de la mécanique dynamique est beaucoup exploitée
dans la théorie statistique de l'information. Cette théorie a
été critiquée par Asselin (2002), qui souligne que la
théorie d'entropie souffrirait d'un problème
d'indétermination lié à la nature paramétrique des
mesures proposées, et à la détermination du poids des
attributs avec un degré important d'arbitraire. Pour Asselin, l'approche
d'inertie proposerait des méthodes permettant d'éliminer autant
que possible le problème d'arbitraire dans le calcul de l'indice
composite.
II.2.2.2.2.3. L `approche d'inertie
Cette approche est basée sur les techniques dites
d'analyse de données (J.P Benzecri et coll, 1973 ; P. Bertier et J.M.
Bouroche, 1975 ; F. Caillez et J. Pages, 1976 ; M. Volle, 1978) et dont les
principales méthodes sont l'analyse en composantes principales (ACP),
très prisée dans les pays anglo-saxons, et l'analyse en
correspondances multiples (ACM). Ces méthodes factorielles
relèvent de la géométrie euclidienne et conduisent
à diagonaliser une matrice carrée en extrayant les valeurs et les
vecteurs propres. Ce sont des méthodes exploratoires
multidimensionnelles qui permettent de décrire des relations entre deux
ou plusieurs variables en fournissant une représentation graphique sous
forme d'un nuage de points projetés dans un sous-espace de faible
dimension. Nous pouvons à
24
l'aide de ces méthodes réaliser une étude
d'homogénéité entre les indicateurs de bien-être et
construire un indicateur composite de bien-être.
Considérons un tableau X à n
lignes et p colonnes, c'est-à-dire p variables
mesurées sur n individus ; X = {xL1, i E I et j E J}.
Avec Card(I) = n, le nombre d'éléments de l'ensemble
I (les individus) et Card(J) = p, le nombre
d'éléments de l'ensemble J (les variables). À ce
tableau, on peut associer deux nuages de points :
- le nuage des n lignes dans E = Rp, E est
appelé espace des individus et l'on note N(J) le nuage des
individus
- le nuage des p colonnes dans F =
Rn, F est appelé espace des variables et l'on
note N(I) le nuage des variables.
Le problème géométrique de l'analyse
factorielle que l'on se pose est d'obtenir, dans un système d'axes
appropriés, la meilleure représentation des nuages
précédents. Pour obtenir ce système d'axes dits axes
factoriels, ou axes d'inertie, on opère pas à pas, en cherchant
l'espace à une dimension E1, puis l'espace à deux
dimensions E2, et de façon générale, l'espace
à k dimensions E1 ajustant au mieux (au sens de
l'inertie) les nuages de points.
L'approche d'inertie se base sur ces différentes
techniques pour proposer une méthodologie permettant de construire un
indicateur composite avec le moins d'arbitraire possible dans la
définition de la forme fonctionnelle (Bosco et al, 2005).
II.2.2.2.2.4. Approche économétrique de
Desai et Shah (1988)
La démarche de Desai et Shah (1988) a été
utilisée pour la détermination du niveau de la pauvreté
multidimensionnelle ou style de vie. Elle vise l'agrégation des
différents comportements de consommation et des différentes
conditions d'existence. Pour cela, le recours à
l'économétrie par le modèle Logit est appliqué pour
réaliser cette agrégation. Il essaye d'abord de déterminer
un ensemble d'évènements ou d'expériences de vie
représentatifs de la vie en société. Chaque
expérience est ensuite régressée par rapport à un
ensemble de variables socio-économiques. Enfin, pour chaque
expérience, il est calculé un indicateur correspondant à
la distance entre la valeur estimée pour chaque ménage et celle
correspondant à l'ensemble de la société. Ainsi, l'indice
de privation DI d'un ménage j donné se calcule comme
suit :
? ?? i ?ij Avec j = 1, ...,J (1) Avec :
i qui représente une consommation ou un
événement de la vie sociale ;
AL, une pondération de l'évènement
i dans le panier des évènements choisis à savoir
I ;
·
6????, la distance entre la valeur estimée de
l'événement j pour le ménage et la valeur moyenne
· · ·
observée pour toute la société pour cet
événement : 6???? = 8??
|
- 8
|
???? (2).
|
25
·
Ainsi, 8 ???? peut être interprétée comme la
probabilité estimée pour le ménage j de réaliser
·
l'événement j. Le recours à une valeur
estimée 8 ???? et non à la valeur observée
8???? découle du souci de s'assurer que tout écart
entre le ménage et la société tient plutôt à
un manque de ressources qu'à
·
un problème de préférence ou de goût.
Pour chaque ménage j, la probabilité 8 ???? de réaliser un
événement j devra ainsi ne dépendre que de ses
caractéristiques sociodémographiques (revenu,
·
taille, âge, etc.). Sur la base d'un modèle logit,
on mesure 8 ???? comme suit :
??
8·???? = P[8???? = 1] = ??(? ???? x ??k??) +
6???? (3)
k=1
Avec ??(.), une fonction logistique, ??k?? un vecteur de ??
variables sociodémographiques et ?????? correspondant à l'erreur.
Dans cette partie du travail, nous procéderons en deux étapes. La
première consistera, par une méthode Logit, à faire la
régression de chaque événement sur les variables socio-
démographiques qui caractérisent chaque ménage
(équation 3). Dans une deuxième étape,
????.
·
nous utiliserons les résultats de ces régressions
pour calculer la valeur de 8
Et estimer enfin l'indice de privation D ?? de chaque agent ??.
Nous adopterons la démarche de
·
Delausse et al.(1993) qui consiste à poser 8 ??
comme égal à la probabilité moyenne estimée de
·
l'événement j pour toute la société.
Cette valeur de 8 ?? servira aussi de pondération dans le calcul de
·
l'indice de privation (8 ?? = A??).
II.2.2.2.2.5. Approche noyau dur
L'approche noyau dur permet de déterminer le pauvre
quel que soit le type. C'est-à-dire le pauvre selon l'approche
monétaire, multidimensionnel et subjective. Dans cette approche, le
degré de la pauvreté est en fonction du nombre d'indicateurs qui
qualifient l'individu ou le ménage de pauvre. Un individu ou
ménage qualifié de pauvre par l'approche monétaire et
subjective est plus pauvre que celui uniquement qualifié de pauvre par
l'approche monétaire. Dans le même sillage, un individu ou
ménage qualifié de pauvre par l'approche monétaire et
subjective l'est moins que celui qualifié de pauvre par les trois
approches (monétaire, subjective et multidimensionnel). Cette conclusion
provient des travaux de DANSEREAU (2009). DIOP et Al qui ont pu
également démontrer avec les données d'enquêtes
auprès des ménages du Sénégal « que le noyau
dur de la pauvreté correspond ainsi à l'ensemble des individus ou
ménages qui cumulent les différentes formes de pauvreté
». Sur les données de Madagascar aussi, Kazafindrako, en s'appuyant
sur le noyau dur de la pauvreté sur la base de 7 approches
différentes, a montré que les différents types de
pauvreté appellent à des politiques différenciées.
Donc, le « noyau dur » est l'intersection entre les
26
différentes approches. Pour qu'un individu ou
ménage fasse partie du noyau dur il faut qu'il soit
monétairement, subjectivement et multi-dimensionnellement pauvre.
Pour mettre en place cette approche, on fait
l'agrégation de ?? indicateurs de la pauvreté qui sont
identifiés comme suit : Soit {??1, ??2,. . . , ????, . . . , ????}, un
ensemble de ?? indicateurs de pauvreté portant sur un échantillon
de ménages. On suppose que ces indicateurs sont deux à deux non
redondants et pas totalement disjoints. L'intersection des ?? ensembles ??
(????), ?? = 1, 2, ... ?? constitue le noyau dur de la pauvreté.
??= 1,...,??
|