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Pour une publicité efficace des sûretés réelles mobilières.


par Gaëtan Jouve
Université Clermont Auvergne - Master droit privé parcours droit civil 2019
  

Disponible en mode multipage

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    Années 2018 - 2019

    UNIVERSITÉ CLERMONT D'AUVERGNE
    - CLERMONT-FERRAND -
    MASTER 2 -- PARCOURS DROIT CIVIL

    MÉMOIRE DE MASTER EN DROIT

    POUR UNE PUBLICITÉ EFFICACE

    DES SÛRETÉS RÉELLES

    MOBILIÈRES

    - Directeur de mémoire -
    Monsieur Jean-François RIFFARD
    Enseignant-Chercheur (Maître de conférences) à l'université Clermont
    d'Auvergne.

    PRINCIPAUX SIGLES ET ABRÉVIATIONS

    al. Alinéa

    art. Article

    C. consom. Code de la consommation

    CREDA Centre de recherche sur le droit des affaires de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris

    CNUDCI Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International

    éd. Édition

    Fasc. Fascicule

    Gaz. Pal.Gazette du palais

    Ibid. Ibidem, au même endroit

    Infra. Plus bas

    J.-Cl. Encyclopédie JurisClasseur

    màj Mise à jour

    n° Numéro

    op. cit. Opere citato, dans l'ouvrage cité

    p. Page

    Préc. Précité

    Rép. Civ. Répertoire civil Dalloz

    Rép. Com. Répertoire commercial Dalloz

    Rép. Imm. Répertoire de droit immobilier Dalloz

    Rép. Soc. Répertoire de droit des sociétés Dalloz

    RJTUM Revue juridique Thémis de l'Université de Montréal

    RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil

    s. Suivant(s)

    Supra Plus haut

    th. Thèse

    UCC Uniform commercial code

    REMERCIEMENTS

    D'aucuns décriraient le droit des sûretés comme une matière aride, honnie des étudiants, dont la sécheresse n'aurait d'égale que les vents de poussières s'échappant des registres de publicité légale. Comment les faire mentir ? La complexité de cette discipline n'évoque point la traversée de verts pâturages. Pourtant celui qui saura braver ce désert y découvrira le défi intellectuel d'une vie et la satisfaction d'agir au service des rouages sous-jacents de l'économie. C'est parce qu'il m'a ouvert la voie vers cette aventure que mes premiers remerciements vont à monsieur Jean-François RIFFARD.

    Je tiens également à remercier chacun des enseignants du master 2 droit civil, et particulièrement monsieur Yannick BLANDIN dont la propension à critiquer sans concessions les manquements du droit positif s'est avérée communicative

    SOMMAIRE

    INTRODUCTION

    - PREMIÈRE PARTIE -

    LE CHOIX DE LA SUBSTANCE : VOCATION D'UNE
    PUBLICITÉ EFFICACE

    TITRE 1 : LES PRÉREQUIS DE L'EFFICACITÉ EN MATIÈRE DE PUBLICITÉ.

    Chapitre 1 : La non-incidence de la connaissance ou de l'ignorance effective. Chapitre 2 : La distinction entre constitution et opposabilité d'une sûreté Chapitre 3 : L'approche globale et fonctionnaliste de la notion de sûreté. Chapitre 4 : La mise en avant de l'inscription par simple avis.

    TITRE 2 : DU RÔLE TRADITIONNEL DE LA PUBLICITÉ, DU CONSTAT DE SES LIMITES ET DE SA NÉCESSAIRE ÉVOLUTION.

    Chapitre 1 : Informer les tiers, l'utilité traditionnelle de la publicité. Chapitre 2 : Protéger les tiers, le constat des limites de la publicité. Chapitre 3 : Neutraliser la menace, la nécessaire évolution.

    - SECONDE PARTIE -

    LE CHOIX DU RÉCEPTACLE : LA GENÈSE DU REGISTRE

    EFFICACE

    Titre 1 : Les propriétés d'un registre efficace et les moyens de les développer.

    Chapitre 1 : L'absolue nécessité d'un registre informatisé. Chapitre 2 : Principes d'un registre efficace

    TITRE 2 : L'innovation technologique a considéré : de la blockchain aux blockchains.

    Chapitre 1 : L'apport de la technologie blockchain. Chapitre 2 : Les blockchains.

    Chapitre 3 : Ultime proposition, le registre efficace.

    INTRODUCTION

    1. À la recherche d'une publicité efficace. En théorie des jeux, on définit un jeu à somme nulle1 comme le jeu où la somme des gains et des pertes des parties est égale à zéro. Autrement dit ce qu'un joueur gagne, il l'arrache à son adversaire. Le jeu de go ou le poker sont des exemples de jeu à somme nulle. On peut aisément faire le lien entre ce paradigme et la vision marxiste de l'économie qui suppose une lutte des classes. Ce qu'une classe peut accaparer de la plus-value, elle le dérobe nécessairement au détriment des autres. Partant de ce postulat Karl Marx a fourni une théorie du droit2, où le juridique ne serait que le champ de bataille où les classes sociales luttent pour la domination ou l'émancipation.

    Nous pensons que le droit est plus que cela. Bien sûr, le droit ne peut jamais être totalement isolé de son substrat politique dans la mesure où il est semblable à un réseau de canaux chargé d'encadrer les flux économiques. Toutefois, on ne saurait céder à un relativisme absolu, à l'aune d'une analyse économique toutes les normes ne se valent pas. Peu importe quel champ il irrigue, on reconnaît la qualité d'un canal à la somme de ses pertes en eaux. C'est cette beauté technique qui élève notre matière au-dessus des considérations politiques. Penser le droit des sûretés c'est jouer à un jeu à somme non nulle, c'est entrer dans la peau de l'ingénieur hydraulicien qui objectivement minimise les pertes et maximise les gains de chacun. Tel sera l'objet de notre étude, grâce à la technologie blockchain et à un registre global des sûretés mobilières3 nous tâcherons de colmater les quelques fuites du droit positif français. Sans égard pour les intérêts particuliers des prêteurs ou des emprunteurs, nous viserons l'intérêt général via une rationalisation des formalités obligatoires de publicité.

    2. Le rôle économique crucial des sûretés et l'échec de leurs substituts financiers. Bien que méconnu du grand public et relativement absent des débats politiques, le droit des sûretés constitue le ressort indispensable de l'économie. Un droit des sûretés efficace a vocation à favoriser la confiance des prêteurs en leurs capacités à recouvrer leurs fonds même en cas d'insolvabilité. Or une économie de marché ne peut fonctionner sans crédit, outil qui demeure le principal mode de financement des entreprises.

    Il faut cependant avouer que les sûretés ne sont pas les seuls mécanismes juridiques prompts à répondre à ce besoin. On peut évoquer la titrisation4 un mécanisme qui n'a rien à voir avec la notion de sûretés, et qui offre des opportunités de financement considérables. Il

    1À l'inverse, un jeu à somme non nulle est un jeu où les parties peuvent modifier les gains ou les pertes à distribuer en choisissant telle ou telle stratégie. L'économie est le jeu à somme non nulle par excellence dans la mesure où selon la stratégie adoptée par les agents économiques, la somme des richesses produite à partager variera considérablement.

    2«S'il est vrai que le droit dans la société bourgeoise est essentiellement fonctionnel dans la mesure où il sert au maintien de la domination du capital sur le travail, il est également vrai, et Marx lui-même ne peut qu'insister sur ce fait, que le droit est un terrain d'affrontement» Stefano PETRUCCIANI, «Les multiples dimensions de la critique marxienne du droit», Revue Droit & Philosophie, nov. 2018., n° 10, p. 18.

    3Voir, Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, « Guide de la CNUDCI sur la mise en place d'un registre des sûretés réelles mobilières », Vienne, 2014, consultable sur le site de la CNUDCI : https://www.uncitral.org/pdf/french/texts/security/Security-Rights-Registry-Guide-f.pdf .

    4La CNUDCI définit la titrisation comme « un montage financier complexe qui permet à une entreprise de tirer parti de la valeur de ses créances pour obtenir un financement en transférant celles-ci à une entité ad hoc qu'elle détient entièrement. Cette entité ad hoc émet alors des titres sur les marchés financiers garantis par les flux de recettes générés par les créances.», voir, Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, « Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », New York 2011, consultable sur le site de la CNUDCI : https://www.uncitral.org/pdf/english/texts/security-lg/f/LG_on_ST_French.pdf .

    suffit d'évoquer la titrisation synthétique5 et le « Dérivé sur événement de crédit6 » pour générer un semblant de confusion avec le domaine des sûretés personnelles. Cette confusion d'apparence doit toutefois être dissipée rapidement par une ferme distinction. En effet, toute garantie « contient en elle-même une référence à une obligation principale qui doit être garantie. Il ne peut y avoir de garanties que s'il y a une autre obligation à garantir7 ». Or les dérivés sur événement de crédit, via la titrisation synthétique, deviennent des actifs librement cessibles et totalement autonomes vis-à-vis de l'obligation supposément garantie8.

    Considérons la dette de Primus envers Secundus pour un montant de 10. Rien ne s'oppose à ce que Tertius et Quartus se décident à conclure une convention auprès de Secundus qui stipulerait pour ce dernier l'obligation de débourser une somme totale de 100 en cas de survenance d'un événement prédéterminé, à savoir la défaillance de Primus. Comment pourrait-on dès lors qualifier de sûreté un mécanisme qui peut potentiellement aggraver la situation d'un créancier en cas d'insolvabilité de son débiteur ?

    Secundus, dans notre exemple, fait face aux mêmes difficultés que certaines banques durant la crise des subprimes9. Un événement qui a montré les limites des dérivés de crédits, des mécanismes qui tiennent plus du produit de spéculation que de la garantie10.

    Aujourd'hui, l'état du marché obligataire est inquiétant11 et il semble d'ores et déjà raisonnable de se montrer critique vis-à-vis des créances titrisées issues de la « bulle étudiante12» américaine ou des « subprimes auto loans13 ».

    Les produits financiers issus de la titrisation synthétique, loin de juguler les risques, n'ont fait qu'aggraver la crise. Pourtant l'économie ne peut pas se passer de crédits garantis.

    5« Par opposition aux titrisations classiques, communément appelées « titrisations cash », les titrisations synthétiques visent à un transfert du risque relatif à un portefeuille de créances ou d'actifs sans qu'il en résulte un transfert juridique desdites créances ou desdits actifs. Ce transfert synthétique s'opère par le biais de contrats dérivés communément appelés « dérivés de crédit » : credit default swaps, total return swaps, etc. », Xavier DE KERGOMMEAUX, « Titrisation », Répertoire de droit commercial, Dalloz, janv. 2010 (actualisation Janv. 2018). 6« Le contrat de dérivé sur événement de crédit est la convention par laquelle une partie, le « vendeur de protection » (Credit Protection Seller), s'engage envers une autre, « l'acheteur de protection » (Credit Protection Buyer), à lui payer une somme d'argent en cas de survenance d'un événement de crédit (Credit Event) stipulé par les parties et relatif à une dette souscrite par un tiers (un titre obligataire, une action, un prêt, etc.). L'acheteur de protection verse au vendeur une prime, pour contrepartie du risque qu'il assume. », Sébastien PRAICHEUX, « Sûretés financières », Répertoire de droit des sociétés, Dalloz, avr. 2019.

    7M. CABRILLAC, C. MOULY, S. CABRILLAC et Ph. PÉTEL, « Droit des sûretés », 9e éd., 2010, Litec, no 425, (dans Sébastien PRAICHEUX, « Sûretés financières », op. cit., paragr. 9).

    8« L'avantage du dérivé de crédit réside dans sa standardisation, sa cessibilité sur le marché, son autonomie totale par rapport à la dette garantie », Sébastien PRAICHEUX, « Sûretés financières », op. cit., paragr. 9.

    9Durant la crise financière de 2008, en plus de faire face aux défauts de paiements massifs des ménages américains les banques ont dû débourser d'importantes sommes au profit des détenteurs de contrat dit de « credit default swap ».

    10« Le système financier mondial aurait pu supporter les pertes (même lourdes) liées à la crise des subprimes. Mais les établissements financiers et investisseurs du monde entier ont découvert (ou ont fait semblant de découvrir) à cette occasion que, via certaines opérations de titrisation dites « synthétiques », le risque des subprimes leur avait été largement redistribué et que, surtout, malgré les notes satisfaisantes initialement attribuées par les agences de notation aux titres émis dans le cadre de ces opérations, des pertes parfois sévères étaient à craindre », Xavier DE KERGOMMEAUX, « Titrisation », op. cit., paragr. 13.

    11« L'endettement des agents économiques est à l'origine de la plupart des crises financières du XXIe siècle » or cette auteur démontre que la politique des principales banques centrales mondiales en réponse à la crise de 2008 favorise cet endettement. Valérie LELIEVRE, « BCE, BoJ, Fed : pompiers et pyromanes », Revue de l'Union européenne, Dalloz, 2019, p. 57.

    12Valérie LELIEVRE évoque une « bulle étudiante » qui traduit le très fort endettement d'étudiants issus de familles modestes dans une période où le crédit était « facile et pas cher » ibid.

    13Une expression qui désigne les crédits automobiles à risques que Valérie LELIEVRE évoque parmi d'autres exemples d'endettements problématiques. Ibid.

    Comme le rappelle la CNUDCI, « des lois bien conçues sur les opérations garanties peuvent offrir des avantages économiques considérables aux États qui les adoptent, notamment inciter des prêteurs et d'autres fournisseurs de crédit, nationaux et étrangers, à octroyer des financements, promouvoir le développement et la croissance des entreprises nationales »14.

    Dès lors, sans solution miracle, il paraît sage de recommander une distribution raisonnée du crédit assortie de sûretés conventionnelles qui ont fait leurs preuves. Encore reste-t-il à choisir entre sûretés personnelles et sûretés réelles.

    3. Le choix entre sûretés réelles et sûretés personnelles. Pour Dominique LEGEAIS, « La sûreté réelle repose sur la technique de l'affectation préférentielle ou exclusive d'un bien ou d'un ensemble de biens au profit du créancier. [...] Un droit réel est ainsi conféré au créancier sur un ou plusieurs biens. En cas de défaillance du débiteur, le créancier peut saisir les biens affectés en garantie pour exercer son droit de préférence sur le prix15 ». On peut les opposer aux sûretés personnelles qui selon le même auteur sont des mécanismes qui consistent en « l'adjonction, au rapport d'obligation principal, d'un rapport d'obligation supplémentaire permettant au créancier d'exercer les poursuites contre le garant, lequel est alors tenu pour un autre et dispose d'un recours contre celui-ci, qui doit seul finalement supporter la dette16».

    Par bien des aspects, il apparaît que les sûretés personnelles ne sont pas adaptées à la vie des affaires. L'exemple du cautionnement est assez éclairant. Que ce soit du point de vue du créancier garanti ou de la caution, cette sûreté n'est jamais pleinement satisfaisante. Pourtant il est assez courant de demander au dirigeant d'une société à responsabilité limitée de se porter caution pour celle-ci. Alors même qu'une telle convention fait perdre tout l'intérêt de la forme sociale qui avait été choisie à dessein pour placer un patrimoine personnel à l'abri des créanciers professionnels17. Pire encore, il n'est pas rare qu'un conjoint soit amené à prendre le même engagement.

    On ne peut pas penser pratique plus inféconde, car cette sûreté personnelle fait une piètre garantie en matière de financement des entreprises. Si le créancier poursuit les cautions en paiement, c'est en raison de l'insolvabilité du débiteur principal. Or dans la majorité des cas, c'est justement de la société (débitrice principale) que les cautions gérantes extraient leurs revenus. Dès lors en plus de bénéficier d'une sûreté dont la fiabilité a été amoindrie par la loi et la jurisprudence, le créancier s'expose à un « effet de domino », à une « succession de défaillances18 ».

    Enfin en sus de leurs faiblesses propres et au-delà de l'exemple du cautionnement, les sûretés personnelles souffrent de la comparaison avec les sûretés réelles. Autrement dit quel pourrait bien être l'intérêt d'un droit de gage général sur le patrimoine d'un garant dont tous les biens seraient grevés, même a posteriori par des sûretés réelles ? C'est, car elles ne supposent pas de droit de préférence, que les créanciers garantis bénéficiaires de sûretés

    14« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », P1, paragr. 2.

    15Dominique LEGEAIS, « Sûretés », Répertoire de droit civil, Dalloz, janv. 2016 (actualisation mars 2019), Paragr. 18.

    16Ibid., paragr. 30.

    17« Du côté de l'entrepreneur, le recours à une sûreté personnelle n'est pas plus satisfaisant. Dans la majorité des cas, celui-ci souhaite éviter une confusion des risques et placer ses biens personnels à l'abri des créanciers professionnels. Pour ce faire, il procède à la création d'une personne morale ou à un fractionnement de son patrimoine pour isoler les dettes de l'entreprise. La constitution d'un cautionnement contourne cette protection, puisque l'entrepreneur s'engage alors sur l'ensemble de son patrimoine », Yannick BLANDIN, « sûretés et bien circulant », thèse de doctorat en droit, sous la direction d'Alain GHOZI, Paris, Université Panthéon-Assas, 2014. 18À ce propos,Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté réelle globale », th. préc., Paragr. 3.

    personnelles risquent d'être primés en leurs droits sur tel ou tel bien particuliers par des créanciers bénéficiaires de sûretés réelles.

    À tout point de vue, les sûretés réelles semblent plus adaptées au financement des entreprises. C'est encore plus vrai quand on s'intéresse à des assiettes marginales de sûretés réelles telles que les biens circulants19 ou les biens immatériels20 qui malgré des problématiques particulières en matière de publicité et d'opposabilité recèlent un potentiel de financement certain et inexploité.

    4. Les sûretés réelles, des mécanismes tributaires de la publicité. Malgré leurs avantages sur les sûretés personnelles, les sûretés réelles emportent une complication particulière qui est trop souvent passée sous silence. Il s'agit de la publicité de ces garanties, une étape cruciale du régime des sûretés réelles qui est à même de devenir le grain de sable prompt à enrayer toute cette féconde machinerie.

    Si le sujet de la publicité des sûretés réelles mobilières fait l'objet de cette étude, c'est en premier lieu, car ces opérations constituent un péril particulier pour les tiers. On comprend, par exemple, quel intérêt le tiers acquéreur peut avoir à être prévenu de leurs existences. S'il acquiert tel bien grevé, il pourrait en effet pâtir d'un éventuel droit de suite. Dans le même ordre d'idée, un créancier tiers à la convention de sûretés pourrait pâtir d'une trompeuse apparence de solvabilité du débiteur dont les nombreux biens seraient déjà tous affectés en garantie.

    Le créancier garanti, quant à lui, dans un schéma digne de l'ouroboros à tout intérêt à ce que les tiers soient informés de la constitution des droits réels qui garantissent sa créance, car dans le cas contraire il pourrait bien voir son avantage se fracasser contre la muraille de l'inopposabilité (ou tout autre mécanisme créé pour protéger les tiers de la menace des droits réels occultes). Tout dépend de la solution que les différents ordres juridiques apportent à la collision de ces intérêts divergents. Cependant dans cette situation il faudra forcément sacrifier les attentes légitimes d'un des protagonistes pour résoudre le litige. C'est pour éviter un tel gâchis que le législateur doit s'attacher à garantir une efficacité optimale de la publicité des droits réels sur les biens meubles, un sujet qui est le plus souvent négligé contrairement à la publicité des droits réels sur les immeubles qui est bien mieux encadrée.

    5. Une problématique généralisable à toute utilisation de droits réels à titre de garantie. Partant de ce constat, la quête de l'efficacité en matière de publicité des sûretés réelles mobilières ne peut être faite sans adopter une vision fonctionnelle et unitaire de la notion de sûretés. Car ce qui justifie la nécessaire information des tiers c'est l'utilisation de droit réel à titre de garantie. Or cette difficulté n'a en somme rien à voir avec la qualification formelle de sûretés que les différents législateurs peuvent être amenés à donner à telle ou telle garantie.

    Les utilisations de droit réel accessoire, ou même du droit de propriété à des fins de garantie ne peuvent demeurer des opérations occultes, des pièges, dont les tiers ne pourraient

    19Yannick BLANDIN écrit à propos des biens circulant : « Le bien circulant, catégorie générique regroupant des biens que le professionnel détruit, incorpore ou aliène et qui ont vocation à être constamment renouvelés, constitue une richesse considérable. »,Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant, contribution à la réception d'une sûreté réelle globale », th. préc., paragr. 1.

    20Vanessa PINTO HANIA souligne la montée en puissance de cette idée en rappelant, à propos des biens immatériels, que « d'aucuns affirment qu'ils représentent une richesse économique, une source de crédit fantastique pour les débiteurs, et un gage de sécurité pour les créanciers. », Vanessa PINTO HANIA, « Les biens immatériels saisis par le droit des sûretés réelles mobilières conventionnelles », Thèse de doctorat en droit, sous la direction de Stéphane PIEDELIEVRE, Université Paris-Est, 2011, p. 23.

    que difficilement se prémunir faute de publicité. En l'espèce, il semble pertinent de se ranger à la conception de sûreté proposée par la CNUDCI21 elle-même inspirée par le security interest américain22

    se passer d'une approche globale en la matière c'est favoriser l'éclatement des dispositions relatives aux formalités obligatoires de publicité, alors même que seuls une harmonisation et un regroupement de ces dispositions peuvent permettre une amélioration de leurs lisibilités.

    6. Définition de la publicité légale en opposition à la publicité commerciale. Émile DE GIRARDIN a posé une définition substantielle de la publicité (une définition de la publicité par sa substance, par son contenu, à savoir les qualités nécessaires de l'information publiée). « Pour être utile à celui qui la fait et commander la confiance de celui à qui elle s'adresse, l'annonce doit être concise, simple, franche, ne jamais porter aucun masque, marcher toujours droit à son but, la tête haute [...] Tout commentaire s'il n'est pas nuisible est au moins superflu ; tout éloge au lieu d'appeler la confiance, provoque l'incrédulité ».

    Pascal BEDER dans son ouvrage « Publicité légale » nous fait remarquer que « Près d'un siècle plus tard, la publicité légale pourrait presque totalement répondre à cette définition23». Là où la publicité commerciale vise à susciter chez le consommateur l'envie d'acquérir un bien, la publicité légale vise à informer les tiers dans un intérêt général de transparence de prévisibilité et donc par extension de sécurité juridique.

    La publicité légale selon Pascal BEDER serait « une information dite « légale », diffusée sous la responsabilité de son auteur24». Ainsi contrairement à la publicité commerciale, qui est bien sûr facultative, la publication de la publicité légale est une obligation à la charge de son émetteur. Pour Alain SAYAG, la publicité légale « suppose une divulgation obligatoire, c'est même sa définition première25 ». Pascal BEDER poursuit sa définition en ajoutant que « Le concept de publicité légale est basé sur une information à haute valeur juridique » à ce stade on peut arguer que c'est cette « valeur » qui justifie le caractère obligatoire de la publicité légale. Alain SAYAG a une formule pertinente à ce sujet « par l'effet de l'obligation légale, l'information fait l'objet, dès le départ, d'une sorte d'expropriation d'utilité publique à la source26 ».

    En opposition à cette définition substantielle de la publicité légale proposée par Pascal BEDER (cet auteur définit la publicité légale en se basant sur les caractéristiques de son

    21Pour la CNUDCI, le terme « sûretés réelles mobilières » « recouvre tout type de droit réel constitué sur un bien meuble en garantie de l'exécution d'une obligation. La notion de sûreté ne se limite pas aux mécanismes de sûreté traditionnellement reconnus par différents systèmes juridiques, tels que le gage, la sûreté ou l'hypothèque. Elle recouvre tout type de droit réel constitué à titre de garantie. À ce titre, elle comprend le transfert de biens meubles, corporels ou la cession de biens incorporels à titre de garantie, ainsi que la réserve de propriété d'un vendeur pour garantir le paiement du prix d'achat d'un bien ou le droit de propriété résiduel du bailleur dans le cadre d'un crédit-bail », « Guide de la CNUDCI sur la mise en place d'un registre des sûretés réelles mobilières », paragr. 13.

    22Dominique LEGEAIS en exprimant le regret de l'absence fonctionnaliste des garanties au sein de la réforme de 2006, évoque le modèle du « security interest » américain. « Une forme d'hypothèque qui peut s'appliquer à tous les biens mobiliers ou immobiliers ». Un modèle qui selon lui « inspire les travaux de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI) chargée de l'uniformisation des différents droits des sûretés », Dominique LEGEAIS, « Sûretés », op. cit., paragr. 46.

    23Pascal BEDER, « Publicité légale », Rép. Soc., oct. 2016. paragr. 1.

    24Ibid., paragr. 2.

    25Alain SAYAG, « introduction », dans CREDA, « l'information légale dans les affaires : quels enjeux ? Quelles évolutions ? », colloque du 1er mars 1994, actes consultables à http://www.creda.cci-paris-idf.fr/colloques/1994-information-legale-actes.html

    26Ibid.

    contenu, en fonction de la forme de l'information publiée) il faut souligner le caractère fonctionnel de la définition d'Alain SAYAG qui s'intéresse davantage au rôle de ce mécanisme plus qu'aux caractéristiques de son contenu27. Pour lui, la publicité légale est un ensemble de règles « qui imposent à certaines personnes de communiquer au public une information selon une forme et un support déterminés. »

    Dès lors, on constate que la publicité légale est une notion polysémique qui peut faire référence au message lui-même, apprêter selon des exigences particulières d'informations des tiers ou faire référence au corps de règle qui détermine les modalités de cette exigence.

    7. Distinctions entre trois différents types de publicité légale. Il faut compléter ce portrait général de la publicité légale en ajoutant qu'il en existe de plusieurs types. Alain SAYAG en distingue trois.

    « Les publicités légales qui créent un droit28 » il cite l'exemple de l'immatriculation qui fait naître la personnalité morale de la société.

    « Les publicités qui n'entraînent aucun effet juridique en soi29 » tel que le dépôt des comptes annuels au registre du commerce.

    Enfin la branche de la publicité légale qui nous intéresse entre toutes : « les publicités légales, qui rendent un droit préexistant opposable aux tiers30 ». Nous bouderons l'exemple proposé par l'auteur pour lui substituer celui de la publicité des droits réels grevant des biens meubles à titre de garantie, en raison de sa pertinence quant au sujet de notre étude. Affin de mieux cerner cette publicité légale particulière un complément de définition historique s'impose.

    8. Historique de la publicité des droits réels accordés aux créanciers à titre de garantie. Il faut faire remonter l'histoire de la publicité des garanties accordées aux créanciers à sa forme la plus simple, la dépossession que d'aucuns qualifient de « publicité matérielle31». Nous nous rangerons à cette approche terminologique, car plus qu'une définition formelle, c'est d'une définition fonctionnelle de la publicité légale dont nous avons besoin pour l'optimiser dans son fonctionnement. Remarquons que la dépossession comme méthode d'opposabilité pose des limites évidentes à la poursuite de l'activité économique du constituant. C'est à cause de ce dernier point que l'invention de sûretés mobilières sans dépossession constitue un réel progrès pour un ordre juridique.

    Or la question de la publicité est devenue prégnante dès la consécration des sûretés sans dépossession, car c'est l'arrivée de cette innovation juridique qui a introduit la problématique

    27Ibid.

    28Voir l'intervention d'Alain SAYAG lors du colloque « l'information légale dans les affaires : quels enjeux ? Quelles évolutions ? », préc.

    29Ibid.

    30Ibid.

    31A. BENADIBA, « La publicité des sûretés réelles au Québec : évolution ou mutation ? », Revue du notariat, Éditions Yvon Blais, 2014, volume 116, n° 3, p. 333 et s., l'auteur parle de publicité matérielle pour qualifier la pratique de la dépossession du constituant au sein d'un contrat de gage. La dépossession ne pouvant être qualifié d'« information dite « légale », diffusée sous la responsabilité de son auteur » le concept de « publicité matérielle » échappe au champ de la définition proposé par Pascal BEDER. à contrario l'exigence de dépossession au sein d'un gage en tant que méthode d'opposabilité peut tout à fait être interprété comme une « règle » qui impose la communication d'une information par une formalité particulière conformément à la définition de la publicité légale selon Alain SAYAG. Il s'agit bien d'une publicité en tant que méthode imposée visant à informer les tiers de l'existence potentielle de droit réel grevant un bien (soit une information à haute valeur juridique). Le tiers qui découvrira que le constituant n'exerce plus d'emprise matérielle sur le bien ne sera pas victime d'apparences trompeuses.

    des droits réels occultes.

    Quand on se penche sur la matière des sûretés en droit romain on remarque d'abord la fiducia cumcreditore un mécanisme caractérisé par son exigence ad validitatem de dépossession et de transfert de propriété. Plus tard, on remarque que les sûretés du droit romain ont évolué pour devenir de moins en moins contraignantes. Après la fiducia cumcreditor vint le pignus où seule la dépossession du bien grevé entre les mains du créancier garanti était nécessaire. Enfin, « les Romains ont conçu une variété de pignus sans dépossession qui allait progressivement se distinguer de celui-ci pour devenir l'hypothèque32 ». À ce stade, nous sommes à une période transitoire, l'ordre juridique romain par la création de la sûreté sans dépossession a découvert l'une des clés de ce que nous pourrions aujourd'hui nommer un régime efficace des opérations garanties. Toutefois malgré cette innovation juridique très en avance sur son temps il « faut observer que l'hypothèque n'était soumise à aucune mesure de publicité33». Nous avons une sûreté mobilière sans dépossession, il ne nous manque plus qu'un régime efficace pour en assurer la publicité.

    Hélas le moyen âge marque une sorte de recule avec la règle les « Meubles n'ont pas de suite par hypothèque » qui selon les interprétations34 établissait soit une restriction pure et simple de l'assiette de l'hypothèque aux seuls biens meubles, soit une atteinte grave à son efficacité en supprimant le droit de suite en matière mobilière. C'est ainsi que commence une longue période de sommeil pour le concept de sûretés réelles mobilières sans dépossession35 et la question de leurs publicités.

    Le 19e siècle ne permit aucun progrès sur ce point, le Code civil de 1804 « ne reconnaissait comme seule sûreté mobilière que le gage avec dépossession36». L'attente se prolongea et le réveil en droit moderne du potentiel d'une sûreté mobilière sans dépossession fut des plus timide37 au sein du droit hexagonal là où certains droits étrangers se montrèrent plus audacieux38.

    L'attente s'est finalement achevée en 2006. Année où l'on a pu s'amuser de la tendance de l'histoire à se répéter quand, quasiment deux millénaires plus tard, le législateur français a répété le geste des juristes romains en supprimant l'exigence de dépossession nécessaire à la constitution du contrat de gage.

    Cette comparaison donne un éclairage particulier à la vision du professeur LEGEAIS qui a écrit à la suite de cette réforme « le nouveau gage sans dépossession est assez proche par

    32J. GAUDEMET et E. CHEVREAU, « Droit privé romain », 3e éd., 2009, Montchrestien, p. 299 (dans Christophe JUILLET, «Hypothèque», Répertoire de droit immobilier, Dalloz, mai 2019.), paragr. 18.

    33Christophe JUILLET, «Hypothèque», op. cit., paragr. 19.

    34« Dans les pays de droit écrit et les pays de coutumes de l'ouest de la France, la règle n'interdit pas l'hypothèque mobilière, mais la prive d'un droit de suite. Au contraire, dans les autres pays de coutumes et en particulier dans la coutume de Paris, la règle est comprise comme prohibant purement et simplement l'hypothèque mobilière. », Christophe JUILLET, «Hypothèque», préc., paragr. 23.

    35La Loi du 9 messidor an III « consacre l'interprétation de la règle « Meubles n'ont pas de suite par hypothèque » qui était retenue par la Coutume de Paris. Autrement dit, l'hypothèque mobilière est purement et simplement interdite. », ibid.

    36Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle », International and Comparative Secured Transactions Law Essays in honour of Roderick A Macdonald, Spyridon V Bazinas and N Orkun Akseli, oct. 2017, p. 136.

    37« Le législateur français choisit dans un premier temps de ne reconnaître que ponctuellement de telles sûretés sans dépossession, à travers des instruments spéciaux et dans des domaines très spécifiques. », Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle », dans Spyridon V Bazinas, N Orkun Aksel, « International and Comparative Secured Transactions Law Essays in honour of Roderick A Macdonald », Hart publishing, oct. 2017, p. 137.

    38Le législateur américain avait franchi le pas dès 1952 avec le Security Interest 10 du Livre 9 de l'Uniform Commercial Code (UCC Article 9), ibid.

    son régime de l'hypothèque39».

    Quoi de plus normal quand on considère que l'hypothèque, par la pensée des juristes romains, est originellement née grâce à une antique soustraction de l'exigence de dépossession à l'ancêtre du contrat de gage qu'était le Pignus40 ?

    9. Histoire croisée de la publicité légale et de ses différents supports. Nous nous sommes tournés vers le passé, avançons à présent vers l'avenir. Quand on se demande comment communiquer au public une information utile juridiquement, il faut obligatoirement se poser la question de la technologie disponible à un instant T.

    Le moyen le plus rudimentaire que l'on puisse se figurer est l'oralité. Afin d'avertir les tiers, quoi de plus simple que la parole ritualisée et la coutume. À ce propos le professeur Alain SAYAG évoque l'avant 16e siècle où les « les publicités légales prenaient forme de cérémonial41 ». En guise d'exemple, il évoque la cérémonie de l'abandon des biens se déroulant traditionnellement sur les places publiques, mais on peut se figurer que ce genre de publicité ritualisé existe depuis l'aube des droits subjectifs. Évidemment, cette méthode de publicité emporte de nombreux inconvénients, outre son caractère contraignant qui exige un mode de vie en adéquation avec le rythme des cérémonies et une forte cohésion sociale, cette modalité d'information du public est soumise aux aléas de la mutation que subit toute information transmise par le bouche-à-oreille. Il s'agit donc d'une méthode de publicité nécessairement faillible. Enfin, on peut lui reprocher d'être attentatoire aux droits des personnes dans leur conception moderne. Dans un registre voisin, l'auteur précité évoque la publicité par les symboles avec « le bonnet vert du failli42 ». Nul doute qu'une telle pratique ne saurait correspondre aux standards actuels de la Cour européenne des droits de l'homme en Europe.

    Une tendance se dégage à l'aune de l'histoire du droit, plus l'écriture est une pratique accessible plus les systèmes juridiques on tendance à évoluer vers des annonces légales écrites. Le point culminant de cette mutation étant la démocratisation de l'imprimerie et l'essor des journaux d'annonces légales.

    Aujourd'hui, l'immense majorité de la publicité légale est transcrite et diffusée grâce à l'écriture alphabétique, mais est-ce réellement ce langage le dernier maillon de la chaîne de l'évolution des supports de la publicité légale ? Si l'on s'attache au raisonnement d'Antoine GARAPON et de Jean LASSÈGUE, il n'en serait rien. Dans leurs ouvrages « justice digitale43 », ils nous expliquent comment l'écriture alphabétique qui a pour objectif de figer la parole sur le papier est peu à peu supplantée dans bien des domaines par l'écriture numérique.

    Cette écriture étrangère à une grande majorité de la population semble être l'avenir de la publicité légale.

    La publicité via l'oralité a depuis longtemps acquis un caractère anecdotique. Le registre papier et les journaux d'annonce légale sont des modèles à bout de souffle. Le registre purement informatique est un pas qui aurait déjà dû être franchi. Enfin, l'avenir de la publicité légale doit être recherché du côté du langage numérique. Le développement d'une

    39Dominique LEGEAIS, « Sûretés », op. cit., paragr. 47.

    40« À l'époque romaine, il n'existait aucune restriction relative à l'assiette de l'hypothèque, laquelle pouvait indistinctement porter sur des meubles ou des immeubles, sur d'autres droits réels que la propriété et même sur les droits de créance. », Christophe JUILLET, « Hypothèque », op. cit., paragr. 19.

    41Ibid.

    42Ibid.

    43À ce sujet, Antoine GARAPON et Jean LASSEGUE, « Justice digitale : révolution graphique et rupture anthropologique », Presses universitaires de France/Humensis, 11 avr. 2018.

    blockchain44 visant à perfectionner le registre du commerce et des sociétés marque cette nouvelle étape du développement des supports de la publicité légal.

    10. Distinction entre deux efficacités subjectives de la publicité. Il est possible d'opérer une distinction entre publicité et opposabilité des droits réels. L'opposabilité est la conséquence de la publicité régulière des droits réels grevant des biens à titre de garantie, le défaut de publicité est la cause de l'inopposabilité de ces droits en tant que sanction incitative et protection des tiers. Nous avons déjà défini la publicité légale, définissons à présent la notion d'inopposabilité. Pour se faire, « il convient de tenir compte de la distinction entre opposabilité substantielle et opposabilité probatoire45». La convention de sûreté existe pour les parties comme pour les tiers, à titre probatoire elle est opposable erga omnes46. Cependant, quant à ses effets, faute de publicité régulière elle demeurera sans effets vis-à-vis de « tous ceux dont la loi a voulu protéger les intérêts47». Ainsi un acte inopposable n'est pas remis en cause dans son existence, il faut juste considérer que certains tiers sont protégés de ses effets via le mécanisme de l'inopposabilité.

    Le jeu des distinctions se corse quand on évoque les formalités obligatoires de publicités et les méthodes d'opposabilité. Et pour cause, ces notions désignent les mêmes actes juridiques (dans la majorité des cas l'inscription sur un registre). Toutefois, elles ne visent pas le même point de vue. Via les formalités obligatoires de publicité, on fait peser une contrainte sur les créanciers garantis au profit de l'information des tiers. À l'inverse via les méthodes d'opposabilité les créanciers garantis donnent corps à leurs droits réels et les imposent au tiers dans le réel juridique. P. BEDER nous rappelle qu'outre son rôle informatif (du point de vue du tiers) les méthodes d'opposabilité sont autant de moyens probatoires coûteux, mais utile pour le créancier. Ainsi « Si un créancier désire être garanti, il se doit de déclarer l'objet de sa créance auprès d'un organisme doté du capital confiance nécessaire et suffisant afin d'être capable, en cas de litige, de faire attester juridiquement de la date et du contenu de la déclaration déposée48 ».

    On retrouve un sentiment de conflictualité. Les tiers ont tout intérêt à ce que les bénéficiaires des droits réels grevant des biens meubles à titre de garantie soient astreints à de lourdes et exhaustives formalités obligatoires de publicité au profit de leurs informations. À l'inverse, les créanciers garantis ont besoin et réclament des méthodes d'opposabilité simples et peu coûteuses limitées aux informations absolument nécessaires aux tiers et à la fourniture des preuves dont ils pourraient avoir besoin en cas de litige.

    Toutefois, bien que divergeant, ces intérêts ne sont pas inconciliables. Car nous ne sommes pas en présence d'un jeu à somme nulle où toute victoire d'une des parties serait une défaite et une soustraction aux intérêts de l'autre. Il est possible d'améliorer, de rationaliser le système de la publicité légale.

    44Ce projet issu d'un partenariat entre la société IBM et les greffes de différents tribunaux de commerce a attiré notre attention, nous aurons prochainement l'occasion de développer notre analyse de cette initiative.

    45Guillaume ANSALONI, « Sur l'opposabilité du gage sans dépossession de droit commun », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires,LexisNexis, n° 27, paragr. 8.

    46Quiconque peut se prévaloir de la convention comme une preuve ou un indice afin d'établir une vérité ou une situation juridique qui peut avoir des conséquences en droit. Guillaume ANSALONI donne cet exemple, « dans le cadre d'une action en revendication exercée contre le possesseur, le contrat de vente sera opposé par le revendiquant, non comme acte translatif de propriété, mais comme un élément de preuve de celle-ci », Guillaume ANSALONI, « Sur l'opposabilité du gage sans dépossession de droit commun », préc.

    47D. BASTIAN, « Essai d'une théorie générale de l'inopposabilité »,Sirey, 1929, p. 322 s., et spéc. p. 325, « le droit d'invoquer l'inopposabilité appartient à tous ceux dont la loi a voulu protéger les intérêts et à eux seuls », (dans Guillaume ANSALONI, « Sur l'opposabilité du gage sans dépossession de droit commun », préc.).

    48Pascal BEDER, « Publicité légale », préc., paragr. 131.

    11. l'optimisation de la publicité légale d'opposabilité. L'efficacité que nous rechercherons au cours de ce mémoire reviendra à se demander comment mieux informer les tiers sans alourdir les obligations des créanciers garantis. Ou comment réduire la charge des formalités obligatoires de publicité pesant sur ces mêmes créanciers sans pour autant sacrifier l'information des tiers ?

    12. Annonce du plan. Tout au long de cette étude, nous proposerons un modèle de publicité des sûretés réelles mobilières théorique que nous comparerons dans ses performances au droit positif français. Cette méthode sera l'occasion d'évaluer les progrès qui ont été apportés par l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés tout en s'interrogeant quant à d'éventuels perfectionnements inspirés par les travaux de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial international.

    La conception de notre modèle de référence de la publicité idéale se fera en deux étapes. Nous rechercherons la quintessence de la publicité légale. En évoquant ses missions, sa vocation, ses limites et les prérequis juridiques ingrédient de son efficience nous distillerons la substance de la publicité efficace (PARTIE 1). Enfin pour maximiser la portée de nos efforts d'optimisation juridique nous ne négligerons pas la question matérielle et technologique. Le registre informatisé soutenu par une blockchain sera le creuset, le réceptacle, dont les propriétés entreront en synergie avec la publicité que nous choisirons de placer dans cet écrin (PARTIE 2).

    - PREMIÈRE PARTIE -

    LE CHOIX DE LA SUBSTANCE : VOCATION D'UNE PUBLICITÉ EFFICACE

    Le droit comparé nous offre des exemples d'efficacité en matière de publicité des garanties accordées aux créanciers. On pense évidemment aux travaux de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International (la CNUDCI). En interrogeant certaines de ses recommandations, nous isolerons ce qui fait, pour nous, figure de prérequis indispensable à l'élaboration d'une publicité efficace des sûretés réelles mobilières (Titre 1). Après quoi nous nous interrogerons quant au rôle de la publicité au sein de notre ordre juridique national, ce faisant nous évoquerons ses limites et nous chercherons des pistes pour combler ses lacunes (Titre 2).

    - TITRE 1 -

    LES PRÉREQUIS DE L'EFFICACITÉ EN MATIÈRE DE PUBLICITÉ DES
    SÛRETÉS RÉELLES MOBILIÈRES

    La CNUDCI a à de nombreuses occasions décrit ce qui, selon ses standards, s'apparenterait à un régime idéal du droit des opérations garanti. Concernant le sujet particulier de la publicité elle a émis plusieurs recommandations qui nous semblent pertinentes. Il semble opportun de comparer ces recommandations à l'état du droit positif en France afin de déterminer si elles peuvent constituer un progrès en la matière. Il sera d'abord question de la problématique de l'incidence de la connaissance effective (chapitre 1), des méthodes d'opposabilité efficaces supposant à notre sens un effet automatique, dénué de tout élément subjectif. L'opposabilité elle-même est en outre une notion qui doit nécessairement être distinguée de l'étape de la constitution d'une sûreté (chapitre 2). Ce point ne posera pas particulièrement problème dans la mesure où le dogme octogonal de l'autonomie de la volonté, dont les manifestations (force obligatoire et effets relatifs des conventions) se marient bien avec la vision de la CNUDCI. Plus ardue sera la tâche consistant à défendre l'approche fonctionnaliste unitaire et globale (chapitre 3). Toutefois, c'est un passage obligé, car la publicité efficace dépend d'un droit des sûretés efficaces et est lourdement handicapée par la prolifération de sûreté spéciale aux régimes disparates que le droit français peut connaître actuellement. Enfin, nous remettrons en cause la vocation probatoire que la publicité peut avoir en droit français via l'inscription par enregistrement de documents. En prônant l'inscription par simple avis (chapitre 4) nous plaiderons pour une vision particulière de la vocation d'une publicité efficace tout en proposant une modification concrète et pratique de l'inscription en tant que méthode d'opposabilité.

    - CHAPITRE 1 -

    LA NON-INCIDENCE DE LA CONNAISSANCE EFFECTIVE

    La CNUDCI fait mention d'états où par exception au principe du droit de suite, « un acheteur de biens meubles corporels obtient ceux-ci libres de toute sûreté s'il les achète de bonne foi49 ». Elle ajoute afin de préciser cette notion que « Dans certains États, l'acheteur est tenu de faire des recherches pour savoir si les biens sont grevés d'une sûreté, tandis que dans d'autres il ne l'est pas50 ». En somme, dans ces états décrits par la CNUDCI la bonne foi d'un acquéreur, dont dépend la question de savoir s'il peut ou non acquérir un bien libre de toute sûreté, serait assimilée à sa connaissance d'une éventuelle sûreté sur le bien en question. Nous commencerons par nous éloigner de cette vision en soulignant le caractère protéiforme de la notion de bonne foi grâce aux débats doctrinaux entourant l'article 2276 du Code civil français (Section 1). Puis nous rejoindrons la critique de la CNUDCI en plaidant pour que connaissance présumée, connaissance effective et bonne foi soit toutes trois écartées de la question de l'opposabilité des sûretés mobilières (Section 2).

    Section 1. L'épineuse distinction entre connaissance de la sûreté et bonne foi au sens de l'article 2276.

    La CNUDCI a vocation à proposer un droit international efficace et uniforme via ses recommandations dont chaque état est libre de s'inspirer à sa guise. En matière de droit des sûretés, la documentation librement accessible de la CNUDCI est une manne de « soft Law » dans laquelle chaque juriste peut puiser pour mettre son propre droit national à l'épreuve. Bien souvent, la CNUDCI évoquera des états qui adoptent telles ou telles approches, telles ou telles visions, etc. Même si elle ne prend pas la peine de les nommer, chacun pourra reconnaître un portrait plus ou moins précis des ordres juridiques dans lesquels il s'est initié au droit. En l'espèce, le critère de la bonne foi de l'acquéreur nous évoque la vision de la publicité en droit français.

    Le droit positif français correspond-il à la description sus-citée ? L'affirmative s'impose en réponse à cette question et cela même si différentes lectures de l'article 2276 s'affrontent sur le terrain de la distinction entre connaissance de la sûreté et bonne foi de l'acquéreur.

    Pour certains auteurs, l'acquéreur de bonne foi est une figure intouchable. Du fait de la règle, « en fait de meuble possession vaut titre », ce tiers d'exception pourrait s'extraire de toute règle de priorité et ne souffrir aucun concours quant à ses droits sur la chose. Le rôle de la publicité serait, selon cette interprétation, de faire peser sur lui une présomption irréfragable de connaissance de la sûreté. Dès lors que le créancier garanti aurait observé les formalités obligatoires de publicité, l'acquéreur étant irréfragablement présumé connaître l'existence de la sûreté, il ne serait plus en mesure d'invoquer sa bonne foi et la sûreté lui serait donc opposable en tout état de cause. On remarque que ces auteurs, comme la CNUDCI, assimilent la mauvaise foi d'un acquéreur à sa connaissance d'une éventuelle sûreté. Ainsi pour Guillaume ANSALONI « Dès lors que la publicité est accomplie et que la connaissance du tiers est ainsi réputée, celui-ci ne devrait en principe pas être admis à se retrancher derrière son ignorance pour se prétendre être un possesseur de bonne foi au sens

    49« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 210, paragr. 74. 50Ibid.

    de l'article 227651 ».

    À l'inverse, Romain BOFFA défend l'idée que « bonne foi au sens de l'article 227952 du code civil et connaissance de la sûreté sont deux choses clairement différentes53 ». Pour lui, « Le possesseur qui ignore que son auteur n'est pas le propriétaire du bien, mais qui a pu

    avoir connaissance de la sûreté en raison de sa publication ou qui en a réellement connaissance, doit se la voir opposer54 ». Autrement dit selon cet auteur si l'opposabilité

    d'une sûreté dépend de la connaissance que peuvent en avoir les tiers, cette même

    connaissance ne doit pas être confondue avec la bonne foi au sens de l'actuel article 2276. « Ainsi, lorsque la sûreté est publiée, l'ayant cause se voit opposer la sûreté, non parce qu'il

    est de mauvaise foi au sens de l'article 2279 du Code civil, mais parce que sa connaissance

    de la sûreté est établie55 ». Pour achever de se convaincre du bien-fondé de cette vision il suffit de se demander de quel « titre » il est question au premier alinéa de l'article 2276.

    Quand on considère l'effet acquisitif de la possession de meuble consacré par cette

    disposition il paraît pertinent de parler d'usucapion instantané du possesseur de bonne foi. Or qu'usucape l'acquéreur de bonne foi dans le cadre de l'article 2276 sinon la propriété du

    meuble ? Ainsi on ne peut voir en cet article un obstacle à l'opposabilité des sûretés dans la

    mesure où le créancier garanti, sauf dans le cas des propriétés sûreté, ne vient pas contester le statut de propriétaire du tiers acquéreur. Le créancier garanti cherche seulement à faire valoir

    son droit réel accessoire sur la chose de l'acquéreur. Autrement dit, « la possession, entendue

    comme un pouvoir de fait sur une chose, permet d'acquérir le droit correspondant aux prérogatives exercées (...). L'exercice de ce pouvoir de fait est sans aucune liaison avec

    l'opposabilité de relations accessoires préexistantes, dès lors qu'elles peuvent coexister avec le droit acquis56 ». Or bien évidemment, un droit de propriété peut coexister avec un droit réel accessoire constitué par une sûreté réelle.

    Ainsi nous rangerons-nous à l'approche de cet auteur, en droit français c'est la connaissance par les tiers d'une sûreté, fût-elle une connaissance présumée, qui commande son opposabilité.

    Il ne faut pas pour autant surestimer l'importance de cette distinction éminemment octogonale. Si la CNUDCI ne fait pas de différence entre bonne foi et connaissance ou

    ignorance d'une sûreté, c'est parce qu'elle renvoie dos à dos ces deux approches en leur adressant la même critique. Une critique qui, bien qu'atténuée par le système de la connaissance présumée que nous connaissons, demeure une source de progrès à étudier.

    Section 2. La présomption de connaissance de la sûreté, un pis-aller à un véritable critère objectif.

    Si les éloges que la CNUDCI fait des systèmes où la bonne foi de l'acquéreur fait échec au droit de suite du créancier garanti sont rares, ils sont de surcroît critiquables. Ainsi la CNUDCI souligne qu'« Un argument en faveur de cette approche est que la notion de « bonne foi » est connue de tous les systèmes juridiques et qu'elle a déjà été très souvent

    51 Guillaume ANSALONI, « Sur l'opposabilité du gage sans dépossession de droit commun », préc., paragr. 18. 52Romain BOFFA écrit en 2007, c'est donc à l'ancien article 2279 qu'il fait référence. Aujourd'hui, la règle « en fait de meubles possession vaut titre » loge à l'article 2276 du Code civil (depuis le 19 juin 2008).

    53Romain BOFFA, « L'opposabilité du nouveau gage sans dépossession », Recueil Dalloz, 2007, p. 1161, paragr. 19.

    54Ibid.

    55Ibid. paragr. 14.

    56Ibid. paragr. 12.

    appliquée au niveau tant national qu'international57 ». Nous émettons un doute à ce sujet, en nous accordant à la démonstration de Romain BOFFA, nous concluons que la notion de bonne foi est sujette à interprétation. Dès lors, nous nous intéresserons qu'au critère de la connaissance de la sûreté par le tiers, un critère qui fait moins débat que la notion de bonne foi. Car si la bonne foi est certes universellement partagée au sein des différents ordres juridiques elle n'en demeure pas moins protéiforme.

    Démontrons brièvement pourquoi il faut exclure la bonne foi du débat de l'opposabilité. Interrogeons-nous. Pour être de mauvaise foi, suffit-il que l'on contracte en pleine connaissance de l'existence d'une sûreté ou faut-il nécessairement que l'on contracte en sachant que l'on bafoue une interdiction d'aliéner stipulée par ladite sûreté58 ? Évidemment, la réponse des différents ordres juridiques ne sera pas unanime, la réponse apportée par la CNUDCI relevant elle-même d'un parti pris dommageable quant à un idéal d'harmonisation des droits des sûretés.

    Maintenant que nous avons mis la bonne foi à l'écart, analysons le corps de la critique proposé par la CNUDCI. En droit français un acheteur de biens meubles corporels obtient ceux-ci libres de toute sûreté s'il n'avait pas connaissance de la sûreté les grevant. Toutefois, cette situation d'apparence intenable ne se présentera que rarement dans la mesure où l'accomplissement des formalités obligatoires de publicité emporte une présomption de connaissance de l'acte par les tiers. Cette fiction bien commode est de la même veine que l'adage bien connu, « nemo censetur ignorare lege », ainsi en France chaque consommateur devrait avoir une connaissance exhaustive des formalités de publicité affectant les biens qu'il achète.

    Si l'on met de côté la pesanteur économique écrasante que cette règle suppose59, le fait que la publication d'une sûreté entraîne une présomption de connaissance des tiers60 est sans doute un progrès vers l'objectivité, étant donné que cette disposition évite au moins de rechercher au cas par cas si untel était au courant de la constitution d'une sûreté à tel instant. Or c'est justement ce caractère subjectif, minimisé par la présomption de connaissance, que la CNUDCI reproche aux régimes des opérations garanties des états qui procèdent ainsi : « Les règles de priorité qui dépendent de la connaissance subjective peuvent compliquer le règlement des conflits, rendant ainsi plus incertain le rang de priorité des créanciers garantis et réduisant l'efficacité du système61 ».

    Toutefois si la règle de la publicité emportant présomption de connaissance minimise

    57« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 210, paragr. 75.

    58« Selon le Guide, l'acheteur de marchandises dans le cours normal des affaires du constituant va prendre le bien libre de toute sûreté, quand bien même elle lui serait opposable, à moins qu'il n'ait eu connaissance au moment de la vente que celle-ci violait les droits du créancier garanti », Jean-François RIFFARD, « L'harmonisation internationale des droits des sûretés mobilières : ne ratons pas le train ! », Revue de Droit bancaire et financier, LexisNexis, mars 2016, n° 2, dossier 11, paragr. 16.

    C'est une critique que l'on put faire à la CNUDCI. Bien qu'elle dénonce toute la subjectivité de l'exception à l'opposabilité des droits réels qui reposent sur la connaissance du tiers, elle n'a pas su totalement évacuer la notion de bonne foi de son régime de la publicité des opérations garanties. Nous reviendrons sur ce regrettable ajout plus tard dans nos développements relatifs à la question de la priorité des droits, grâce à la critique qu'en a fait Jean-François RIFFARD. Voir infra., (note 245).

    59On ne peut pas décemment attendre que chacun se conforme à cette fiction. Bien plus raisonnable et pragmatique est la règle de l'acquisition libre de tout droit réel dans le cadre du cours normal des affaires. Une exception recommandée par la CNUDCI que nous aurons largement l'occasion de détailler plus avant dans nos développements.

    60La publicité personnelle d'une sûreté entraîne à minima une présomption de connaissance de la sûreté par tous les ayants cause à titre particulier du constituant. Autrement plus complexe est la question de l'opposabilité de la sûreté aux sous-acquéreurs successifs.

    61« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 225, paragr. 126.

    les inconvénients de ce critère éminemment subjectif, elle ne les supprime pas. On peut aisément s'en convaincre en constatant que le texte prévoyant les modalités de publicité des gages sans dépossession demeure « silencieux sur le point de savoir si la connaissance effective du gage par le tiers permet de remplacer le défaut d'accomplissement de la publicité62 ». Un tel questionnement est, sans nul doute, vecteur de conflit.

    Voilà pourquoi il faut distinguer les systèmes de publicité reposant sur la présomption de connaissance des tiers dès l'inscription et les systèmes où cette connaissance en tant que critère subjectif problématique est tout simplement indifférente. Ainsi la CNUDCI rappelle que « Le principe de la connaissance présumée vaut uniquement dans un régime de priorité autorisant un tiers qui n'a pas effectivement connaissance de l'existence d'une sûreté à prendre le bien libre de cette dernière63 ».

    En nous rangeant aux recommandations de la CNUDCI, nous considérons qu'un système efficace de la publicité des sûretés réelles mobilière ne devrait pas se référer à la connaissance (qu'elle soit effective ou présumée) de la sûreté pour en conditionner l'opposabilité et la priorité. L'inscription d'une sûreté devrait avoir vocation à la rendre opposable vis-à-vis de tous les tiers en mesure d'accéder au registre de la publicité des sûretés réelles mobilière.

    Autrement dit dans un système de la publicité idéale « la publication de la sûreté doit avoir pour effet de la rendre opposable erga omnes et le défaut d'accomplissement de cette formalité doit inversement avoir pour effet de la rendre inopposable aux tiers le tout sans qu'il n'y ait jamais à se poser la question de l'ignorance ou de la connaissance effective de la sûreté par les tiers.64 »

    62Romain BOFFA, « L'opposabilité du nouveau gage sans dépossession », préc., paragr. 22.

    63« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 156 paragr. 5.

    64Pierre CROCQ, « Sûretés mobilières : état des lieux et prospective », Revue des procédures collectives, n° 6, LexisNexis, Nov. 2009, dossier 18, paragr. 20.

    - CHAPITRE 2 -

    LA DISTINCTION ENTRE CONSTITUTION ET OPPOSABILITÉ D'UNE SÛRETÉ.

    La CNUDCI retient trois approches pour décrire les normes que les différents ordres juridiques peuvent avoir vis-à-vis de la constitution des droits réels. « Selon une première approche, une sûreté réelle mobilière dûment constituée sur un bien non seulement produit effet à l'égard du constituant, mais est aussi automatiquement opposable à tous les tiers qui revendiquent un droit sur le bien65 ». « Selon une deuxième approche, la sûreté réelle mobilière ne produit d'effet qu'à l'égard du constituant et un acte supplémentaire (...) est exigé pour la rendre efficace à l'égard des tiers qui revendiquent des droits sur le bien66 ». Enfin selon une troisième approche « une sûreté réelle mobilière produit généralement effet à l'égard de toutes les parties dès sa constitution, à l'exception des autres créanciers garantis. Ainsi, aucun acte supplémentaire n'est nécessaire pour la rendre opposable aux tiers hormis les autres créanciers garantis67. »

    Il est assez délicat de faire un rapprochement entre le droit français et l'une de ces approches décrites par la CNUDCI, car notre ordre juridique national manque d'une approche unitaire de la question de l'opposabilité.

    Ainsi, si certaines sûretés, tel le gage de droit commun, sont aisément assimilables aux bénéfices de la seconde approche (Section 2), on constate que des exemples comme celui de la fiducie sûreté doivent être rattachés aux défauts inhérents à la première approche (Section 1).

    Section 1. La Fiducie sûretés et les écueils de la première approche.

    La première approche décrite par la CNUDCI se caractérise par la confusion que certains États opèrent entre constitution et opposabilité d'une sûreté. On peut également parler de confusion entre efficacité de la sûreté entre les parties et efficacité de la sûreté à l'égard des tiers.

    En France, il existe bien un registre national des fiducies cependant, ce registre n'a aucunement vocation à assurer la publicité des droits des créanciers garantis. En effet, ce registre n'est même pas accessible au public68. Dès lors, on constate qu'une fiducie valablement constituée sur un bien meuble a tous les défauts d'une sûreté occulte au regard de la protection des intérêts de tout type de tiers. Elle est de surcroît dangereuse pour le créancier garanti lui-même. L'arbitrage qui doit forcément être opéré entre les intérêts divergeant du créancier garanti et du tiers peut très bien se solder par le sacrifice des intérêts du créancier. Comme nous l'avons vu plus haut, il existe une voie divergente en doctrine quant à la portée de l'article 2276 du Code civil. En l'espèce si un fiduciant aliène un bien nonobstant son affectation en garantie, le tiers acquéreur fera bien une acquisition « a non

    65« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 69, paragr. 2.

    66Ibid., paragr. 3.

    67Ibid., paragr. 4.

    68« Sont autorisés à accéder aux données mentionnées à l'article 2 les agents de la direction générale des finances publiques chargés de la mise en oeuvre du traitement individuellement désignés et spécialement habilités à cette fin. », article 4 du décret n° 2010-219 du 2 mars 2010 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Registre national des fiducies », accessible en ligne sur le site de Légifrance : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do? cidTexte=JORFTEXT000021902741&categorieLien=id

    domino » que la prescription acquisitive de cet article a vocation à protéger dans l'intérêt du commerce. En outre, l'argument de Roman BOFFA selon lequel la prescription acquisitive d'un bien ne purge pas ce dernier des droits réels accessoires préexistants est inopérant en matière de propriété sûreté, car par définition le droit ancien et le droit nouvellement acquis ne peuvent coexister en cette hypothèse. Il apparaît que l'absence de publicité en matière de propriété sûreté crée un abîme d'insécurité juridique. Il semble difficile pour le juriste d'assurer aux créanciers garantis qu'ils auront le dernier mot en cas de litige si rien n'a été fait pour organiser la publicité de cette sûreté. C'est pourquoi dès l'apparition de ce dispositif Pierre CROCQ a recommandé de se passer purement et simplement de la fiducie sûreté sans dépossession69. Plus récemment Dominique LEGEAIS a exprimé les mêmes réserves « Le bénéficiaire de la fiducie-sûreté est donc sous la menace des ayants cause du constituant pouvant se prévaloir de la règle en fait de meuble, possession vaut titre lorsque la fiducie est sans dépossession 70».

    L'hypothèse où aucune formalité obligatoire de publicité n'est envisagée est la pire, cependant la CNUDCI rappelle qu'en l'absence de distinction entre constitution et opposabilité d'une sûreté il ne peut y avoir de solutions satisfaisantes. En effet, « Lorsque l'efficacité entre les parties et l'opposabilité ne font l'objet d'aucune distinction, les États, pour protéger les tiers, prévoient souvent de nombreuses formalités contractuelles supplémentaires qui vont bien au-delà de celles qui sont normalement requises pour qu'un contrat produise effet entre ses parties71 ».

    Raisonner ainsi revient à nier le rôle particulier de la publicité pour la réduire à une simple condition de forme alors qu'à l'inverse un régime efficace de la publicité des sûretés réelles mobilière devrait privilégier la voie du consensualisme chaque fois que celle-ci est possible. L'impératif de la protection des tiers doit être totalement déconnecté des questions de protections des contractants qui bien souvent sont la raison d'être des contrats solennels.

    Section 2. L'exemple du droit commun du gage et les attraits de la seconde approche.

    On ne peut qu'être chagriné par les difficultés posées par le peu de soin que le législateur a accordé à la question de l'opposabilité des fiducies sûreté quand on constate que le droit français a très bien su établir une distinction entre constitutions et opposabilité pour ce qui est du gage de droit commun.

    Ainsi, l'article 2336 du Code civil dispose que « Le gage est parfait par l'établissement d'un écrit contenant la désignation de la dette garantie, la quantité des biens donnés en gage ainsi que leur espèce ou leur nature ». Par cette lecture, il nous faut conclure qu'un gage qui ne ferait l'objet d'aucune mesure de publicité serait tout de même contraignant pour les parties en vertu du simple principe de la force obligatoire des conventions légalement formé. Toutefois, le premier alinéa de l'article 2337 du même code dispose que « Le gage est opposable aux tiers par la publicité qui en est faite », il faut donc admettre à contrario que le gage qui ne fait l'objet d'aucune formalité de publicité est inopposable aux tiers.

    69« l'opposabilité de la fiducie-sûreté aux ayants cause du constituant est seulement régie par le droit commun applicable aux mutations de biens meubles corporels ou incorporels, ce qui a pour conséquence que la fiducie-sûreté mobilière sera nécessairement, en pratique, une fiducie-sûreté avec dépossession (ou signification dans le cas d'une créance), cette dépossession étant seule à même, en l'absence d'un système de publicité, de protéger efficacement le créancier à l'encontre des ayants cause de son débiteur ». Pierre CROCQ, « Lacunes et limites de la loi au regard du droit des sûretés », Recueil Dalloz, 2007, p. 1354.

    70Dominique LEGEAIS, « Fiducie-sûreté », J.-Cl., fasc. 10, 1er avr. 2011 (màj 12 juin 2017).

    71« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 70, paragr. 6.

    La CNUDCI recommande72 ce type d'approche, car elle permet d'une part à « faciliter la constitution d'une sûreté sur un bien73 » tout en incitant fortement le créancier garanti à protéger les tiers de sa propre initiative en leur fournissant « un moyen peu coûteux et fiable de déterminer si le constituant a grevé ce bien74 ».

    Ces arguments ayant vocation à emporter notre conviction, nous suggérons que la distinction entre constitution et opposabilité qui existe au sein du régime du gage de droit commun soit étendue à tout le droit des sûretés national. L'exemple des insuffisances de la publicité des propriétés sûretés n'étant en définitive qu'un symptôme du défaut d'harmonisation et d'approche globale en droit des sûretés français.

    72« Le Guide recommande de faire une distinction entre les conditions requises pour qu'une sûreté produise effet entre les parties et les conditions supplémentaires exigées pour qu'elle produise effet à l'égard de tous les tiers », « Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 70, paragr. 7.

    73Ibid.

    74Ibid.

    - CHAPITRE 3 -

    L'APPROCHE GLOBALE ET FONCTIONNALISTE DE LA NOTION DE SÛRETÉ.

    Selon Étienne GENTIL, « L'un des reproches qui est fait au régime des sûretés réelles français est son caractère éclaté et disparate, avec de nombreux types de sûretés différents, chacune sujet à son propre régime, à sa propre documentation et à ses propres règles de publicité et/ou d'opposabilité75 ». Outre la première remarque ici faite quant aux manques de lisibilité chroniques qui existe en droit des sûretés français, le propos de cet auteur doit attirer l'attention en raison du lien direct qu'il fait entre l'éclatement de la matière et les difficultés que cela implique vis-à-vis des formalités obligatoires de publicité.

    Ainsi apparaît-il qu'un système de la publicité des sûretés réelles mobilières gagnerait grandement en efficacité si l'ensemble de la matière pouvait bénéficier d'une conception unitaire. Autrement dit, il faudrait réunir sous un régime-cadre les différentes garanties existantes afin de les soumettre à un ensemble de normes communes et à des formalités obligatoires de publicité harmonisée.

    Partageant ce souhait, dans une certaine mesure, Pierre CROCQ a pu regretter que le législateur n'ait pas su profiter de la réforme de 2006 pour « adopter un droit commun de la publicité applicable au moins à toutes les sûretés réelles mobilières et, si possible, susceptible d'être étendu, en respectant leurs particularismes, aux sûretés sur les fonds ou aux sûretés sur certains meubles incorporels ».

    Outre la simple question de la publicité, Jean-François RIFFARD va plus loin et présente, « la caractéristique commune d'être construits autour d'un système unitaire de sûretés mobilières conventionnelles76 » comme un préalable nécessaire à toute harmonisation du droit des sûretés avec les standards internationaux de modernité et d'efficacité.

    On remarque que ces deux auteurs sont tous deux favorables à l'harmonisation bien qu'ils l'envisagent à des degrés différents.

    En optant pour une approche « purement transsystémique », le groupe 6 de la CNUDCI, dont Jean-François RIFFARD est membre depuis 2002, a donné naissance à un modèle pragmatique et fonctionnel d'efficacité en matière de sûreté mobilière. Ce modèle est détaillé dans les divers documents de la CNUDCI que nous avons pu citer au cours de cette étude. Lors du présent chapitre, nous nous prononcerons en faveur d'un degré d'harmonisation maximale. Nous nous intéresserons au champ d'application des recommandations de la CNUDCI, à savoir le modèle « de la sûreté unique dont le régime est suffisamment large et souple pour couvrir l'ensemble des hypothèses de sûretés réelles mobilières77».

    Afin d'obtenir ce résultat : une sûreté unique assortie de formalités obligatoires de publicité invariable, Jean-François RIFFARD propose deux méthodes. La première consiste en la consécration d'un numerus clausus, la sûreté dont le régime est défini par la loi, étant la seule reconnue78 (Section 1). La seconde « englobante » et « téléologique » fait appel à la « théorie générale de ce qui constitue une sûreté mobilière79» propre à la vision

    75Étienne GENTIL, « problématique des investisseurs finance et droit des sûretés », Revue d'économie

    financière, association d'économie financière, 2018, n° 129, p. 106.

    76Jean-François RIFFARD, « L'harmonisation internationale des droits des sûretés mobilières : ne ratons pas le

    train ! », préc., paragr. 3.

    77Ibid., paragr. 9.

    78Ibid.

    79Ibid. paragr. 4.

    fonctionnaliste de la matière (Section 2). Elle revient à lier inextricablement l'application du nouveau régime à la fonction de sûreté, si bien qu'aucun mécanisme futur naissant pour remplir cette utilité économique ne saurait échapper à l'unité. La première approche est la plus facile à mettre en oeuvre, là où la seconde, malgré les difficultés qu'engendrent tout bouleversement révolutionnaire, semble être la plus adaptée sur le long terme.

    Section 1. L'unification nationale, l'approche unitaire par soustraction.

    À la question : « Pour quelles raisons, par exemple, un nantissement de fonds de commerce devrait-il être nul s'il n'est pas enregistré dans les trente jours de sa création80 (...) alors que ce n'est pas le cas pour d'autres sûretés ?81 », le juriste peine à fournir une réponse cohérente. Et pour cause, comme le fait remarquer Étienne GENTIL « Ces différences de régime ont des fondements essentiellement historiques ».

    La sûreté spéciale semble être la réponse toute trouvée du législateur à chaque fois qu'une difficulté se présente en la matière. Ainsi il faut rappeler que les gages et les nantissements spéciaux « n'avaient été antérieurement créés que parce que le gage supposait la dépossession82».

    Bien conscients de la nuisance que représente cette prolifération de régimes spéciaux, même les auteurs les plus modérés s'accordent à souhaiter la suppression des mécanismes les plus archaïques. Ainsi l'association Henri Capitant recommande de « tirer les conséquences de la modernisation du droit commun du gage opérée en 2006 en supprimant des régimes spéciaux rendus inutiles (warrant hôtelier, warrant industriel, gage commercial, etc.)83 ».

    Toutefois, la soustraction ne suffit pas. Comme le fait remarquer Jean-François RIFFARD, « C'est là une démarche classique, et donc rassurante, mais qui présente le risque de voir ce numerus clausus être par la suite contourné par la pratique, voire remis en question par le législateur lui-même84 ». Autrement dit, on aura beau obtenir de haute lutte la suppression de tel ou tel mécanisme désuet, rien n'empêchera le législateur d'en créer de nouveaux. En effet, personne n'avait demandé la consécration du gage des stocks avec dépossession et pourtant le législateur l'a fait. En outre, la pratique a su démontrer son imagination en termes de mécanisme de garantie inovant. Voilà pourquoi, la seconde approche, apparaît comme une solution plus durable.

    Section 2. L'unification globale, l'approche unitaire par définition.

    L'idée est de retenir une définition basée sur la fonction de toutes sûretés. Dès lors, tout mécanisme présent ou futur inventé pour servir de sûreté ne pourrait qu'être soumis au régime préexistant.

    Cette approche, que l'on qualifiera de « fonctionnelle est souvent évoquée comme étant caractéristique du droit des sûretés réelles en common law nord-américaine85 ». Adopter

    80Articles L. 142-4 du Code de commerce : « L'inscription doit être prise, à peine de nullité du nantissement, dans les trente jours suivant la date de l'acte constitutif ».

    81Étienne GENTIL,« problématique des investisseurs finance et droit des sûretés », préc., p. 106.

    82Pierre CROCQ, « Sûretés mobilières : état des lieux et prospective », préc., paragr. 20.

    83Michel Grimaldi, Denis Mazeaud, Philippe Dupichot, « Présentation d'un avant-projet de réforme des sûretés », Dalloz actualité, 3 Oct. 2017, accessible en ligne : https://www.dalloz-actualite.fr/chronique/presentation-d-un-avant-projet-de-reforme-des-suretes#.XVl_UOgzZY

    84Jean-François RIFFARD, « L'harmonisation internationale des droits des sûretés mobilières : ne ratons pas le train ! », préc., paragr. 9.

    85Yaëll EMERICH, «La nature juridique des sûretés réelles en droit civil et en common law: une question de tradition juridique? », RJTUM, 2010, n° 44-1, p. 99 et s.

    cette approche suppose des bouleversements conséquents en droit positif français. Se ranger à cette vision de la matière c'est adopter une définition particulière de la notion de sûreté, où il serait moins question de mettre l'accent sur la qualification formelle d'une transaction que sur son effet concret et sa fonction de garantie. À l'inverse, le droit civil est souvent décrit comme la demeure d'une approche essentialiste, notionnelle ou conceptuelle axée sur la nature juridique de la transaction86.

    Toutefois si la réforme peut paraître ardue elle n'a rien d'impossible. Citons l'étude comparative de Yaëll EMERICH qui nous met en garde contre la tentation de se fier à une représentation caricaturale de l'opposition entre ces deux approches. En effet, il faut bien admettre que l'opposition entre l'approche fonctionnelle et l'approche conceptuelle n'est pas seulement une question de tradition87. L'auteur fait remarquer que chaque système juridique s'est frayé un chemin à travers ces deux types d'approches88. Pour appuyer ses dires, elle évoque l'exemple de la réforme du droit des sûretés québécois, un système civiliste qui a su faire une place croissante à l'approche fonctionnaliste89.

    Pour en revenir aux déboires du droit français, il suffit de s'intéresser à ses problématiques de qualifications, qui sont récurrentes dans les ordres juridiques qui privilégient une approche notionnelle.

    Ainsi le droit français prête-t-il des conséquences importantes à la qualité du constituant. Avant 2006, si un droit réel sur chose fongible était constitué par un commerçant, il fallait impérativement soumettre cette opération garantie au régime du gage des stocks prévu par le code de commerce. À l'inverse, la même opération qui verrait un constituant non professionnel s'engager devait être soumise au régime du gage sur chose fongible prévue par le droit commun au sein du Code civil.

    Cet exemple montre comment un ordre juridique peut préférer attacher des conséquences juridiques à la qualification particulière d'une opération garantie, plutôt qu'à ses effets. Plus que la fin (garantir une obligation) c'est le moyen (gage de droit commun, warrant, gage des stocks, etc.) qui conditionne l'application de telle ou telle règle de droit.

    Cette approche n'est pas dénuée d'intérêt, on peut être tenté par cette idée d'un droit des sûretés à la carte. Le législateur pourrait par exemple considérer que le pacte commissoire est une stipulation trop dangereuse qu'il faudrait écarter des sûretés constituées par des non-commerçants90. Trêve d'ironie, tel bien n'est pas si différent de tel autre. D'aucuns diraient qu'il est fondamentalement possible de soumettre les meubles corporels et incorporels à un seul et même régime91. D'aucuns diraient que la spécificité des stocks en tant que bien ne

    86Ibid., même si dans son étude Yaëll EMERICH prend l'exemple du droit civil québécois, par bien des égards la description qu'elle en fait est transposable au droit civil français.

    87Yaëll EMERICH, «La nature juridique des sûretés réelles en droit civil et en common law: une question de tradition juridique? », préc., p. 140.

    88Ibid.

    89Ibid.

    90En matière de gage sur stocks, l'ancien article L527-2 du code de commerce prohibait tout pacte commissoire. Il a fallu attendre l'ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016 relative au gage des stocks pour que cette pratique soit autorisée par le droit spécial du gage des stocks. Dans le même temps, le droit commun du gage permettait une sûreté comparable au gage des stocks via le gage sur chose fongible. À la différence, qu'étant placé sous l'égide du droit commun, le gage sur chose fongible permettait le recours à un pacte commissoire. Les constituants non commerçants étaient donc moins protégés par le législateur que les constituants commerçants. Ce paradoxe qui appartient aujourd'hui à l'histoire du droit doit nous amener à relativiser l'argument selon lequel une prolifération de régimes spéciaux permettrait de répondre à des besoins spécifiques. Bien souvent, une telle approche créait plus d'incohérence que d'adaptabilité.

    91Jean-François RIFFARD, « L'harmonisation internationale des droits des sûretés mobilières : ne ratons pas le train ! », préc., paragr. 11.

    justifie pas que l'on succombe à la « tentation du régime spécial »92.

    Selon la CNUDCI, « l'ensemble des opérations qui font naître un droit sur tout type de bien en garantie de l'exécution d'une obligation (c'est-à-dire qui remplissent une fonction de sûreté) devraient être considérées comme des opérations garanties et régies par les mêmes règles ou tout du moins, par les mêmes principes93 ». Nous ajouterons qu'au rang de ces principes communs doit obligatoirement figurer une unique formalité obligatoire de publicité.

    Permettre qu'il existe des sûretés qui ne disent pas leur nom en dehors de la définition retenue par un ordre juridique peut revenir à les soustraire purement et simplement aux formalités obligatoires de publicité. Ou à minima, cela revient à détacher l'obligation de publicité des garanties accordées aux créanciers de la notion de sûreté. Or on ne comprend pas pourquoi un régime efficace de la publicité des sûretés réelles mobilières devrait souffrir de cette complexification inutile alors même que toutes les opérations reposant sur l'affectation d'un meuble à la garantie d'une obligation devraient d'office être soumises à une publicité obligatoire. Car c'est le péril que représentent les droits réels occultes qui justifie l'impératif de la publicité et non la qualification formelle accordée à tel ou tel mécanisme.

    Ainsi l'absence de publicité des propriétés sûretés sans dépossession en droit français à vocation à fournir de manière récurrente son lot de conflits et de dilemme insoluble. En effet « Si la réserve de propriété puis la fiducie-sûreté ont été consacrées par la loi, le législateur n'a néanmoins prévu aucun régime de publicité pour ces sûretés lorsqu'elles portent sur des meubles.94 » Or « À défaut d'une inscription sur registre public, les tiers ne peuvent connaître l'existence de la propriété-sûreté sans dépossession95 ».

    Une définition unitaire de la notion de sûreté aurait le mérite de rattacher les propriétés sûretés au régime de la publicité. Ces mécanismes ainsi que tous les autres susceptibles d'être inventés par la pratique ou par le législateur, devraient, dans un souci de prévisibilité, être soumis par avance à une inscription obligatoire96 sur un registre global des sûretés mobilières.

    92Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du

    Cercle », préc., p. 150.

    93« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 24, paragr. 62.

    94Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté réelle globale », th.

    préc., paragr. 160.

    95Ibid.

    96Sous peine d'inopposabilité.

    - CHAPITRE 4 -

    LA MISE EN AVANT DE L'INSCRIPTION PAR SIMPLE AVIS

    La publicité efficace en matière de sûreté réelle mobilière comporte nécessairement deux qualités essentielles. Nous avons déjà évoqué l'intérêt de distinguer les notions de constitution et d'opposabilité d'une sûreté. Toutefois, un régime de la publicité efficace ne saurait tirer tous les avantages de cette distinction en présence de méthodes d'opposabilités limitant la constitution de sûreté. Ainsi l'inscription sur un registre apparaît (notamment, car elle permet la constitution de sûreté sur bien futur) comme la méthode d'opposabilité à privilégier (Section 1). Ajoutons encore que toutes les formalités obligatoires de publicité qui reposent sur l'inscription sur un registre ne se valent pas. De par sa souplesse, il apparaît que l'inscription par simple avis doit être privilégiée à l'inscription par enregistrement des documents relatifs à la sûreté. (Section 2)

    Section 1 : L'inscription plutôt que la dépossession

    La dépossession en tant que méthode d'opposabilité a tout d'un vestige, du contrat réel qu'était le gage en droit français. Avant l'ordonnance de 2006, on considérait le gage comme un contrat réel où la dépossession du constituant entre les mains du créancier garanti était une condition de validité. « Le Code civil de 1804 ne reconnaissait comme seule sûreté mobilière que le gage avec dépossession97 ». La CNUDCI constate par ailleurs que « Pendant très longtemps, la plupart des États ont généralement interdit les sûretés réelles mobilières sans dépossession98 ».

    Avec la consécration du gage de droit commun sans dépossession, il convient de se demander si la dépossession du constituant en tant que méthode d'opposabilité a encore une place dans un régime moderne de la publicité des sûretés réelles mobilière.

    Autrefois, le manque de sûreté sans dépossession était si criant, que praticien comme législateur ont cherché moult pis-aller pour atteindre les objectifs que seule l'inscription en tant que méthode d'opposabilité peut atteindre en toute cohérence. Ainsi la pratique s'est-elle attachée à tordre la notion de dépossession. Elle découvrit le dispositif de l'entiercement99. Entiercement qui permit de limiter efficacement la charge que peut représenter l'obligation de conservation du bien grevé pour le créancier garanti, tout en permettant aux constituants de grever plusieurs fois le même bien. Le tiers en tant que partie neutre pouvant très facilement tenir le compte de la priorité des droits.

    Le législateur quant à lui a multiplié les exceptions au principe de la dépossession impérative en matière de sûreté mobilière. Avant 2006 existait-il ainsi de « nombreux gages ou nantissement spéciaux sans dépossession qui étaient naturellement les plus utilisés en pratique100 ». Effet pervers, « des registres multiples ont eu tendance à se développer en

    97Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle », préc., p. 136.

    98«Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 113.

    99En évoquant les réponses de la pratique à l'absence de sûreté sans dépossession, Jean-François RIFFARD nous apprend que « Les commerçants et industriels français comme américains utilisèrent alors habilement la notion de dépossession symbolique ainsi que celle de tiers convenu et indépendant, à travers l'organisation d'entrepôts publics dans lesquels le constituant était invité à déposer ses stocks »., Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle », préc., p. 136.

    100Pierre CROCQ, « Sûretés mobilières : état des lieux et prospective », préc., paragr. 11.

    conséquence de la reconnaissance, au coup par coup, de diverses sûretés sans dépossession sur des biens meubles101 ».

    Maintenant que l'inscription en tant que méthode d'opposabilité est fermement ancrée dans le droit commun du gage, est-il bien utile de conserver la dépossession en tant que méthode subsidiaire102 ? Il existe assurément des raisons légitimes qui peuvent amener un créancier garanti à préférer un gage avec dépossession à un gage sans dépossession. Certaines de ces raisons procèdent de la notion même de dépossession et elles plaident en faveur du maintien de cette pratique. Cependant, d'autres avantages s'ils ont été historiquement attachés à la dépossession peuvent très bien être transposés à l'inscription par la voie de la réforme, un processus déjà maladroitement engagé, semble-t-il.

    1. L'emprise matérielle, identité propre de la dépossession. La dépossession est une méthode d'opposabilité où le constituant d'une sûreté mobilière renonce à la possession de l'un de ses biens pour le placer entre les mains du créancier garanti à charge pour ce dernier de conserver le bien. En principe, le créancier garanti n'a pas de droit d'usage sur la chose grevée, il bénéficie simplement d'un droit de préférence le bien grevé étant affecté à la garantie de sa créance. Dans sa version la plus basique et entière cette méthode d'opposabilité emporte des avantages certains que le créancier garanti ne pourrait obtenir d'une autre façon. À l'inverse, les avantages qu'elle aurait pour les tiers sont à nuancer dans la mesure où l'inscription est une formalité obligatoire de publicité éminemment plus efficace en termes d'information.

    Parce que la dépossession suppose une emprise matérielle, elle assure le créancier garanti que le constituant ne pourra pas disposer de ses biens engagés sans son accord. Nul besoin pour le créancier garanti de se préoccuper de faire valoir un quelconque droit de suite à l'encontre d'un acquéreur ignorant. Avec la dépossession le créancier à un total contrôle sur l'aliénation du bien grevé.

    Le créancier garanti est également protégé contre la négligence du constituant. «Le créancier garanti ne court pas le risque de voir lesdits biens se déprécier parce que le constituant en aurait négligé la conservation ou l'entretien nécessaire103». Ce point doit toutefois être nuancé, en effet on peut raisonnablement penser que le professionnel disposera de la compétence et des moyens nécessaires pour conserver le bien dans de meilleures conditions que ne peut se le permettre le créancier garanti. Toutefois, le fait de ne pas dépendre de la bonne volonté de son cocontractant peut être rassurant pour le créancier confiant en ses capacités de conservation.

    Enfin l'avantage le plus décisif lié à la dépossession du constituant : « si la réalisation du gage devient nécessaire, le créancier garanti se voit épargner les soucis, la perte de temps, les dépenses et le risque auquel il s'exposait s'il devait réclamer au constituant la remise des biens grevés 104»

    Pour ce qui est des prétendus vertues que la dépossession aurait du point de vue du constituant et des tiers, nous ne pouvons pas nous montrer aussi affirmatifs. Selon la CNUDCI, « L'obligation pour le constituant de se déposséder des biens engagés évite de créer chez lui une apparence trompeuse de richesse (à savoir l'apparence qu'il a la propriété des biens libres de tout droit réel) ». En réponse à cet argument, largement partagé

    101« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 160, paragr. 21.

    102Comme le prévoit l'article 2337 du Code civil: « Le gage est opposable aux tiers par la publicité qui en est faite ; Il l'est également par la dépossession entre les mains du créancier ou d'un tiers convenu du bien qui en fait l'objet ».

    103« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 47, paragr. 55.

    104Ibid.

    105Lionel ANDREU, « Gage avec dépossession contre gage sans dépossession », Recueil Dalloz, 2012, p. 1761. 106Ibid.

    en doctrine, il convient d'admettre qu'en effet, si un vendeur ne peut présenter la chose à un acheteur alors ce dernier aura de bonnes raisons de s'interroger. Toutefois, d'une part le doute n'aide en rien à assurer une circulation efficace des biens et des capitaux. C'est de certitude que l'acheteur a besoin pour pouvoir prendre une décision rapide et ménager ainsi la gestion de son temps et de ses efforts de recherche. D'autre part, il apparaît qu'à l'époque de l'essor du e-commerce et de la dématérialisation des relations bancaires, tiers acquéreur comme créancier en recherche de garanti semblent peu à même de se déplacer jusqu'au sillon d'une exploitation agricole pour vérifier si le constituant conserve toujours la possession de son outillage. À l'inverse, n'est-il pas plus plausible d'imaginer le prêteur et le particulier apte à user d'un registre proposant une simple recherche personnelle que l'on pourrait envisager comme rapide et gratuite ?

    En conclusion, il faut admettre que l'emprise matérielle en tant que garantie dans la cadre de cette méthode d'opposabilité qu'est la dépossession à des avantages caractéristiques pour le créancier garanti. Ainsi ne nous apparaît-il pas raisonnable de plaider pour une disparition des sûretés mobilières traditionnelles avec dépossession. Toutefois, les avantages de cette méthode d'opposabilité en matière de publicité sont plus que discutables. Ainsi recommanderons-nous dans cette étude de soumettre à l'inscription, en tant que formalité obligatoire de publicité, toutes les sûretés mobilières. Une unique méthode d'opposabilité pour une sûreté unique adaptée à tout type de bien, tel est notre projet.

    2. Le droit de rétention, une entrave à l'attractivité de l'inscription. Si les avantages de la dépossession évoqués plus haut jouent certes un rôle dans son attractivité, ils ne nous apparaissent pas comme la raison principale qui pousserait un créancier à la choisir en présence d'une option avec une sûreté identique sans dépossession. En droit positif français, les arguments les plus convaincants des sûretés avec dépossession ne sont pas directement liés à l'emprise matérielle du créancier sur la chose comme l'on pourrait le croire. Le véritable attrait du gage avec dépossession, pour prendre le droit commun en exemple, est le droit de rétention qui l'accompagne. Or, la promotion de l'inscription est exigée par des intérêts économiques cruciaux, tels que la nécessité pour le constituant de disposer de ses biens dans la poursuite de son activité économique.

    Ainsi, c'est sans doute afin d'aider l'inscription à prendre le pas sur la dépossession que le législateur a cru bon de la doter d'un nouvel attrait, le droit fictif de rétention. En 2006 le législateur avait « réservé au gage avec dépossession - qui, seul, prive matériellement le constituant de sa chose - le droit de rétention de l'article 2286 du Code civil105». Lionel ANDREU poursuit en constatant que le législateur a assuré « au créancier gagiste avec dépossession une situation préférable à celle de créancier gagiste sans dépossession. Cette solution a dû paraître intolérable au législateur, qui a repris en 2008 le texte consacré au droit de rétention pour gommer cette différence dissuasive 106». Ainsi naquit le droit fictif de rétention de l'article 2286 alinéa 4 du Code civil.

    Or si nous sommes favorables à une revalorisation de l'attractivité des sûretés sans dépossession, dans le souci de favoriser une publicité efficace par inscription, nous ne pouvons nous résoudre à sacrifier pour cela ce qui fait tout l'intérêt de ces mécanismes : la possibilité de librement disposer des biens grevés. Or le droit de rétention dans la mesure où il n'existe que comme un pouvoir de blocage s'oppose à cet idéal. À ce propos nous nous accordons à la vision de Yannick BLANDIN, libérer « le gage de la nécessité d'une dépossession de l'assiette, permettait enfin de dépasser les difficultés en résultant. Octroyer

    au gagiste un droit de rétention même fictif, revient à réaffirmer un pouvoir de blocage du créancier que l'on voulait proprement écarter ».

    Afin de doter l'inscription du potentiel de résilience et de protection qui caractérise la dépossession, le législateur a inventé un droit fictif de rétention qui bénéficie aux créanciers gagistes sans dépossession. Toutefois, force est de constater que le droit fictif de rétention n'est que l'ombre de son homologue plus tangible.

    Qu'est-ce que le droit de rétention ? Ce serait selon une approche classique le droit de retenir accordé à celui qui tient la chose pour un motif légitime. C'est le droit du garagiste d'emmurer la voiture de son client jusqu'à ce que ce dernier ait consenti à payer l'intégralité des réparations dont son bien a profité. En adoptant le prisme de la vision classique, on ne saurait envisager un droit de rétention sans possession. C'est ce qui a amené une partie de la doctrine à une vive critique du droit fictif de rétention107. En conséquence, si on admet que l'emprise matérielle est consubstantielle au droit de rétention alors tout droit de rétention sur un bien incorporel paraît inconcevable.

    Toutefois, il en va autrement si on adopte la vision d'Augustin AYNES qui a démontré dans sa thèse que « si l'on dissocie rétention et détention et si l'on considère que ce qui compte ici c'est essentiellement l'exercice d'un pouvoir de blocage sur le bien concerné, on peut parfaitement admettre que le droit de rétention puisse s'exercer sur n'importe quel bien incorporel108». L'essence du droit de rétention serait donc un pouvoir de blocage, on peut aisément admettre ce point de vue dans la mesure où on comprend comment un créancier garanti, qui aurait légitimement le droit d'empêcher autrui de jouir et de disposer de son bien sans passer par des considérations physiques, serait tout de même en mesure de le contraindre efficacement à honorer ses dettes. Néanmoins, cette seconde approche ne nous aide pas à cerner l'apport de l'alinéa 4 de l'article 2286 qui accorde un droit de rétention fictif au créancier gagiste sans dépossession. En effet, comme le fait justement remarquer Pierre CROCQ « ce pouvoir de blocage n'existe pas dans le cas de l'article 2286, 4 °, du Code civil où le législateur, par une méconnaissance totale de ce qui constitue l'essence même du droit de rétention, a consacré l'existence d'un droit de rétention totalement fictif et artificiel ! 109»

    Maintenant que les sûretés avec dépossession ont été consacrées en droit français via le droit commun du gage, il faut prendre garde au jeu de la concurrence qui peut exister entre les garanties. En présence de sûreté avec dépossession trop attrayante, les créanciers en quête de garantie, partie forte s'il en est une, pourraient être tentés de réclamer de tels dispositifs là où une sûreté sans dépossession aurait été tout indiquée pour permettre à l'économie de suivre son cours. Assurément, un constituant qui a besoin d'un crédit acceptera de se passer de certains de ses outils alors même que cette perte a vocation à affecter la rentabilité de son travail et donc indirectement sa capacité à rembourser sa créance.

    Pour l'heure, il est difficile de concevoir garantie plus brutale que le droit de rétention quand il est question de passer comparativement chaque sûreté à la rude épreuve des procédures collectives110. C'est une critique que l'on peut faire au droit de rétention, malgré

    107Pour une critique du droit fictif de rétention voir Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté réelle globale», préc., p. 73, paragr. 92 et suivants.

    108V. A. AYNES, « Le droit de rétention, unité ou pluralité », préf. Ch. Larroumet, Économica, 2005, n° 78 à 98, (dans Pierre CROCQ, « Nantissement de fonds de commerce et refus du droit de rétention fictif de l'article 2286, 4°, du Code civil », RTD civ., 2014, p. 158).

    109Pierre CROCQ, « Nantissement de fonds de commerce et refus du droit de rétention fictif de l'article 2286, 4°, du Code civil », préc.

    110« Dans bien des cas, en effet, le gagiste sans dépossession ne pourra pas se prévaloir des avantages que le droit des entreprises en difficulté accorde au gagiste avec dépossession en raison de sa rétention de la chose gagée (exception à l'interdiction de payer les créances antérieures ou postérieures non privilégiées pour retirer le bien retenu ; possibilité d'opposer au cessionnaire du bien le droit de rétention pour refuser de s'en dessaisir ;

    son archaïsme il a le tort d'être trop efficace, et se faisant il fait de l'ombre à l'inscription en tant que méthode d'opposabilité. Ce défaut apparaît encore plus criant quand on prend en considération toutes les inventions de la pratique qui vise à neutraliser les aspects contraignants de la dépossession pour n'en conserver que la puissante efficacité. Avec l'entiercement « à domicile », que d'aucuns voudraient voir consacré par le droit positif111 on aboutit à une dépossession très peu contraignante pour le créancier garanti qui peut de surcroît jouir d'un droit de rétention loin d'être fictif.

    Conserver des opportunités de sûreté avec dépossession est sans conteste un gage de diversité qui sert l'efficacité de notre système juridique. Toutefois, il faut veiller à ce que cette méthode d'opposabilité soit utilisée dans des cas bien précis où l'emprise matérielle est directement intéressante pour le créancier. Une dépossession trop attractive, qui concurrencerait l'inscription viendrait amoindrir le progrès obtenu par la consécration de cette méthode d'opposabilité efficace et moderne. C'est pourquoi, à notre sens, il faudrait que le législateur se prononce contre cette artificialisation de la dépossession qui lui confère une attractivité indue. Le fait qu'on ait à se demander si la dépossession existe où non dans un cas d'espèce est en soi une preuve de cette dérive. Ajoutons finalement que cette course à qui volera le plus prêt du soleil est nuisible aux propres intérêts des créanciers garantis qui s'exposent aux aléas de la jurisprudence via une interprétation plus stricte de l'existence de la dépossession112.

    Dans des cas extréme, le constituant en vient à devoir rémunérer un tiers dont la seule tâche est de conserver son bien, dans ses locaux, avec le concours de ses propres salariés113 ! On peut même légitimement se demander pourquoi les sociétés proposant le service d'entiercement prendraient la peine de se déplacer jusqu'à l'entreprise du constituant une fois chaînes et cadenas mis en place. Dans le même ordre d'idée, on se demande bien quel salarié vouerait une telle ferveur à la bonne exécution du droit qu'il refuserait de laisser son employeur accéder à cette machine dont il a besoin pour honorer une commande imprévue. Un tel contentieux, qui n'a vocation qu'à croître est selon nous incompatible avec l'idéal d'une publicité efficace des sûretés réelles mobilières. Il apparaît que la dépossession en tant que méthode d'opposabilité telle qu'elle existe aujourd'hui en droit français n'a de réel intérêt que pour le créancier garanti. Nous ne nous opposons pas à ce qu'il jouisse de ses avantages en matière de procédure collective, là n'est pas notre sujet. Cependant, nous pensons que l'attrait de la dépossession devrait toujours être contrebalancé, à minima, par sa totale et non équivoque effectivité. Maintenant qu'il existe des sûretés sans dépossession, ces entiercements artificiels font figure de confort superflu.

    impossibilité de se voir imposer une substitution de garantie. », Lionel ANDREU, « Gage avec dépossession contre gage sans dépossession », préc.

    111L'association Henri Capitant propose que l'article 2337 du Code civil : « Le gage est opposable aux tiers par la publicité qui en est faite. Il l'est également par la dépossession entre les mains du créancier ou d'un tiers convenu du bien qui en fait l'objet... » soit complété comme suit : « La dépossession entre les mains d'un tiers peut avoir lieu sans déplacement du bien, pourvu que ce tiers en assure la garde effective et veille au respect de ses obligations par le constituant ». Association Henri Capitant, « avant-projet de reforme du droit des sûretés », accessible en ligne : http://www.henricapitant.org/travaux/legislatifs-nationaux/avant-projet-de-reforme-du-droit-des-suretes

    112Pour une analyse de deux jurisprudences comparable où il faut déployer un certain effort de concentration pour comprendre pourquoi la dépossession a été reconnue comme effective dans un cas et non dans l'autre, voir Pierre CROCQ, « Une trop grande dématérialisation de la dépossession fait perdre le bénéfice du gage avec entiercement », Dalloz, RTD Civ., 2015, p. 665.

    113Ibid.

    Section 2 : L'inscription par simple avis plutôt que l'inscription par enregistrement de document.

    La CNUDCI évoque « Un certain nombre d'États » qui « ont instauré, pour les sûretés réelles mobilières, ce que l'on pourrait appeler un système d'enregistrement de documents qui, s'il ne permet pas d'inscrire la propriété des biens meubles, sert à prouver l'existence de certaines sûretés.114 »

    En Droit français, c'est l'article 2 du décret n° 2006-1804 du 23 décembre 2006 qui est venu fixer le cadre de l'inscription du nouveau gage de droit commun. « Le créancier remet ou adresse au greffier du tribunal de commerce l'un des originaux de l'acte constitutif de la sûreté ou une expédition si l'acte est établi sous forme authentique ».

    Force est de constater que le droit français a fait le choix du système de publicité que la CNUDCI évoque comme un système d'inscription par enregistrement de document. À notre sens, ce choix n'est pas anodin, il démontre la vocation que le législateur entend donner à la publicité, une vocation probatoire. Pourtant selon la CNUDCI dans un régime idéal de la publicité des sûretés mobilières la loi devrait faire en sorte que « L'inscription soit effectuée par enregistrement d'un avis contenant les informations spécifiées dans la recommandation 57, et non par la présentation de l'original ou d'une copie de la convention constitutive de sûreté ou d'un autre document115 ». La recommandation 57 sus-citée limitant quant à elle les informations nécessairement contenues dans l'avis à un strict minimum n'ayant pas à être vérifié par le conservateur du registre pas plus que l'identité de celui qui procède à l'inscription d'ailleurs. « Le conservateur du registre n'exige pas la vérification de l'identité de la personne procédant à l'inscription ni de l'existence d'une autorisation pour procéder à l'inscription de l'avis, et ne réalise aucun examen approfondi de la teneur de l'avis116 ».

    À la lumière des exigences de notre droit positif, ces modalités d'inscription peuvent paraître bien légères, et sans conteste elles le sont ! C'est en somme exactement comme cela qu'elles ont été pensées, comme des modalités souples et simples de nature à faciliter constitution et opposabilité des sûretés. Dès lors, les précautions prises en droit français, via l'inscription par enregistrement de documents, font figure d'alourdissement superflu. Afin d'apporter un élément de réponse à ce problème, il faut s'interroger quant à la vocation qui doit être celle de la publicité efficace. Il faut soulever la discordance qui peut exister entre ce rôle et la raison d'être des vérifications et sécurité de l'enregistrement actuel. Autrement dit le rôle que l'on prête à l'inscription par enregistrement de document, à savoir apporter la preuve de la constitution d'une sûreté, est-il compatible avec la vocation d'une publicité efficace ?

    1. La vocation probatoire de l'inscription par enregistrement de document. Il est très facile de discerner le lien de parenté entre l'inscription par enregistrement de document et la publicité foncière. En effet en matière d'immeuble la publicité a traditionnellement vocation à apporter une preuve objective de la propriété comme de l'existence de droits réels. Toutefois, même s'il existe des exemples de biens meubles immatriculés de grande valeur117

    114« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 157, paragr. 11. 115« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 498. 116Ibid.

    117On pensera aux registres spéciaux des navires et aéronefs par exemple.

    pour lesquelles l'exemple de la publicité foncière peut être très pertinent, en règle général la publicité mobilière à tout à gagner à s'éloigner de ce schéma.

    Finalement que gagne-t-on à exiger du conservateur d'un registre des sûretés mobilières qu'il vérifie l'écrit original de la constitution d'une sûreté réelle mobilière ? Une preuve de l'existence de cette convention entre les parties, et la preuve au bénéfice des tiers que toute sûreté mobilière renseignée dans le registre à une existence réelle, pourrait-on répondre.

    Entre les parties. Comme nous l'avons vue plus haut, la distinction entre constitution et opposabilité est une pierre angulaire de l'efficacité en matière de publicité des sûretés réelles mobilière. En considérant cette distinction, il semble étrange de faire jouer à l'inscription, formalité obligatoire de publicité par excellence, un rôle probatoire vis-à-vis de la constitution d'une sûreté. En règle générale, le législateur exige un écrit à titre probatoire ou en tant que condition de validité quand il veut promouvoir la sécurité juridique entourant la constitution d'un acte. L'inscription apparaît comme un outil contre indiqué pour cette tâche, d'autant que l'exigence d'un écrit devrait suffire à prouver l'existence d'une sûreté en cas de litige de nature contractuelle.

    À l'égard des tiers. L'investissement en temps et en argent que suppose la vérification systématique des documents exigés par cette forme d'inscription semble totalement disproportionné vis-à-vis de l'avantage que pourraient en retirer les tiers. En effet, le risque de la prolifération de fausses sûretés est un risque auto généré par le mode de l'inscription par enregistrement de document. Autrement dit, si l'inscription sur le registre n'emporte pas présomption réfragable, et encore moins présomption irréfragable, de l'existence d'une sûreté, on peine à trouver quelle valeur pourrait avoir une inscription frauduleuse.

    Il convient toutefois de nuancer l'approche préconisée par la CNUDCI, à notre sens l'inscription par simple avis ne devrait pas supposer qu'on ne vérifie pas l'identité de celui qui procède à cette formalité. D'autant que cette vérification sera grandement facilitée par l'utilisation de la technologie Blockchain que nous préconisons pour la conservation du registre. En vérifiant systématiquement l'identité de ceux qui procèdent aux inscriptions, nous pourrons définitivement écarter le risque d'inscription malveillante (pensée pour nuire à l'apparence de solvabilité d'un concurrent par exemple). Cette hypothèse, bien que probablement marginale doit faire l'objet de sanction exemplaire pour que l'accès au registre puisse sereinement être ouvert à tous, et que l'inscription par simple avis s'impose comme la norme.

    2. La vocation de la publicité efficace. Afin de justifier sa démarche, la CNUDCI rappelle que « Les registres fondés sur le concept d'inscription d'avis existent dans un nombre croissant d'États et ont en outre recueilli un large soutien au niveau international118 ». Incontestablement, l'inscription par simple avis est un modèle qui tend à se développer au gré de l'harmonisation internationale du droit des sûretés mobilières. Dans ce contexte l'opposabilité reposant « sur l'inscription, dans un registre central organisé sur une base personnelle, d'un simple avis et non de la convention constitutive de sûreté119 » tant à s'imposer comme le modèle dominant. Et pour cause, ce système contrairement à

    118La CNUDCI évoque ainsi « la Loi modèle sur les sûretés de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la Loi type interaméricaine relative aux sûretés mobilières de l'Organisation des États américains, le guide sur les registres de biens meubles intitulé « A Guide to Movables Registries » de la Banque asiatique de développement, la Convention relative aux garanties internationales portant sur des matériels d'équipement mobiles et les protocoles s'y rapportant et l'annexe de la Convention des Nations Unies sur la cession », « Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 158, paragr. 14.

    119Jean-François RIFFARD, « L'harmonisation internationale des droits des sûretés mobilières : ne ratons pas le train ! »,préc., paragr. 14.

    l'inscription par enregistrement de document « autorise les inscriptions en ligne et le cas échéant les inscriptions conservatoires anticipées120 ».

    Quand on accepte que la publicité n'a pas à avoir de vocation probatoire, qu'elle existe pour assurer l'opposabilité des sûretés et la protection des tiers, on accepte sans peine qu'un registre basé sur l'inscription de simple avis ne s'embarrasse pas de vérifications coûteuses et chronophages. En effet, « Si l'inscription était soumise à approbation officielle, une telle condition irait à l'encontre du type d'inscription rapide et bon marché nécessaire pour promouvoir le crédit garanti ».

    Pour ce qui est des deux avantages inhérents à l'inscription par simple avis soulignés par Jean-François RIFFARD : inscription en ligne et inscription conservatoire anticipées, on constate que ces deux caractéristiques de l'inscription par simple avis sont tout aussi nécessaires à une publicité efficace qu'elles sont incompatibles avec le système actuel.

    L'inscription en ligne doit sans conteste s'imposer comme le mode d'inscription de droit commun. Pour s'en convaincre il suffit de relever toutes les complications inhérentes à la tenue d'un registre papier. Enfin le simple fait de ne pas avoir à se déplacer aux greffes du tribunal de commerce, pour y déposer l'original de la convention de sûreté et le fait de ne pas avoir à prendre le risque d'envoyer ce document par voie postale constituent un progrès dont la pratique saura se réjouir. C'est encore plus vrai pour ce qui est des opérations garanties internationales. Ainsi certains ont dénoncé un système d'opposabilité « trop octogonal121 ». D'aucuns ont en effet relevé que certaines dispositions « exigeant que des formalités de publicité soient faites sur un registre spécial tenu au greffe du tribunal « dans le ressort duquel le débiteur a son siège ou son domicile122 » ». Selon cet auteur cela rendrait « impossible ou inutilement coûteux l'accomplissement des formalités d'opposabilité à l'encontre d'un constituant ayant son siège social à l'étranger et n'étant pas immatriculé en France123 ». Nul doute que dans ce cas précis l'approche via l'inscription électronique par simple avis faciliterait grandement la vie des affaires.

    Pour ce qui est du deuxième point, l'inscription conservatoire anticipée, il est aisé de la

    résumer à une logique lapidaire : nul ne peut fournir l'original de la sûreté qui n'existe pas encore. Pourtant l'intérêt est conséquent et le législateur améliorerait grandement la situation des créanciers garantis s'il permettait ce type d'inscription anticipée. Ajoutons que cela constituerait aussi une amélioration de l'information des tiers. En effet, plus un avertissement survient en amont d'une situation délicate, plus il est utile.

    Ainsi « Dans un système d'inscription d'avis, ainsi qu'il a été noté précédemment,

    l'avis inscrit est indépendant de la convention constitutive et il n'est pas nécessaire pour procéder à l'inscription de soumettre les documents relatifs à la sûreté ni de prouver celle-ci d'une autre manière124 ». Entre autres bénéfices, l'autorisation de l'inscription anticipée permet « l'inscription d'un avis unique suffit pour assurer l'opposabilité des sûretés grevant les biens décrits dans l'avis, qu'elles aient été constituées en vertu d'une convention unique ou de plusieurs conventions séparées liant les mêmes parties, même si elles ont été conclues à des dates différentes125 ».

    De manière générale, l'inscription par simple avis « réduit le coût de l'opération pour les personnes procédant à l'inscription (qui n'ont pas besoin de fournir la preuve de la convention constitutive de sûreté) et pour les tiers effectuant une recherche qui n'ont pas

    120Ibid.

    121Étienne GENTIL,« problématique des investisseurs finance et droit des sûretés », préc., p. 102.

    122Ibid.

    123Ibid.

    124« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », P 181, paragr. 98.

    125Ibid.

    besoin d'éplucher une documentation pouvant être volumineuse126 ». En outre, cette méthode « réduit la charge administrative et le travail d'archivage du personnel chargé d'exploiter le système de registre127 ». Enfin, elle « réduit le risque d'erreur d'inscription moins il y a d'informations à communiquer, moins il y a de risque d'erreur128 ». Évidemment, tous ces avantages ne sont pas à négliger pour qui est en quête du registre efficace !

    126« Guide de la CNUDCI sur la mise en place d'un registre des sûretés réelles mobilières », p. 24, paragr. 59. 127Ibid., p. 25, paragr. 59.

    128Ibid.

    - TITRE 2 -

    DU RÔLE TRADITIONNEL DE LA PUBLICITÉ, DU CONSTAT DE SES LIMITES, ET DE SA NÉCESSAIRE ÉVOLUTION

    Pour une approche complète de la vocation de la publicité, il faut distinguer sa mission positive de son rôle négatif. Positivement, la publicité vise à fournir une information aux tiers. C'est ce que l'on peut nommer son utilité traditionnelle : informer (chapitre 1). Négativement, elle commande la sanction de l'inopposabilité qui vise à protéger les tiers selon des conditions très variables d'un ordre juridique à un autre. Le déclencheur de l'inopposabilité d'un acte qui fait le moins débat est le cas d'absence totale de publicité. Dans un régime optimisé de la publicité des sûretés mobilières, un tel exemple devrait confiner à une inopposabilité inconditionnelle, quels que soient les intérêts des tiers en présence. Cependant, même une publicité rigoureuse, du fait de ce que nous nommerons l'angle mort de la publicité personnelle, ne peut informer les sous-acquéreurs, que nous nommerons tiers aveugles à la publicité personnelle. Dès lors faut-il, au mépris du juste et de la sécurité juridique, sacrifier les intérêts de ces tiers ? Ou faut-il amputer les créanciers garantis de leurs droits de suite au risque de nuire gravement à l'efficacité des sûretés réelles mobilières ? Cette seule question démontre les limites de la publicité dans sa mission protectrice des tiers (Chapitre 2). Comme souvent face à un dilemme insoluble, la bonne solution est de ne pas se résoudre à trancher. En partant de l'exemple particulier des abondants travaux universitaires sur les sûretés sur stock, nous proposerons des alternatives au droit de suite quand les difficultés qu'il pose ne peuvent pas être traitées par la publicité. Une publicité efficace doit être consciente de ses lacunes. Ainsi la nécessaire évolution de cette matière commande-t-elle de supprimer les risques que nous ne pouvons prévenir (Chapitre 3).

    - CHAPITRE 1 -

    INFORMER LES TIERS, L'UTILITÉ TRADITIONNELLE DE LA PUBLICITÉ.

    Il existe une multitude de bénéfices différents propres à la publicité des sûretés réelles mobilières. Chaque tiers intéressé par les affaires du constituant en fait un usage distinct. Nommer précisément une liste de tiers à qui s'adresse la publicité qui nous intéresse est purement impossible, car par définition la publicité s'adresse à une foule anonyme129. Il est néanmoins possible de former différentes catégories de tiers en fonction de l'intérêt que la publicité peut avoir à leurs yeux.

    À cette étape, l'important est de retenir que limiter la vocation informative de la publicité à certaines catégories de bénéficiaires est purement contre-productif. Contrairement aux règles de droit qui imposent des notifications obligatoires, le coût économique des formalités obligatoires de publicité n'augmente pas corrélativement au nombre de bénéficiaires. Limiter les bénéfices d'information et de protection de la publicité en formant des catégories d'exclus revient à complexifier inutilement cette matière.

    Ainsi si certains tiers doivent être informés de l'existence d'une sûreté réelle pour pouvoir mesurer le risque de leurs engagements quand il contracte avec le constituant ou l'un de ses ayants cause à titre particulier (Section 2), d'autres tiers dépendent de la publicité pour anticiper la dégradation de leurs situations (section 1).

    Section 1 : Aider le tiers à anticiper l'aggravation de sa situation.

    Considérons la convention constitutive d'un gage, ce contrat est loin d'être dénué d'effet pour nombre de tiers. Il ne faut pas retenir de la notion d'effet relatif des conventions issues du dogme de l'autonomie de la volonté que le contrat serait un monde alternatif construit par les cocontractants pour y vivre en autarcie. C'est d'autant plus vrai en matière de droit réel. Même si l'article 1199 du Code civil dispose que « le contrat ne crée d'obligation qu'entre les parties », l'affectation d'un bien à la garantie d'une créance est une opération qui est de nature à impacter la situation économique des tiers. En effet, l'article 1200 du Code civil ajoute que les tiers doivent « respecter la situation juridique créée par le contrat ». Pour Mathias LATINA, cela « illustre le rayonnement de la force obligatoire au-delà de la sphère contractuelle130 ». Ainsi même si le contrat ne met pas d'obligations à la charge de celui qui n'y a pas consenti, il s'agit d'un acte qui crée un réel juridique que tout agent économique rationnel désire prendre en compte pour penser ou repenser sa position dans une relation d'affaires.

    Indirectement, la constitution d'une sûreté réelle, dans la mesure où elle affecte certains biens à la garantie d'une certaine créance, a vocation à altérer la solvabilité générale du constituant. Informer tous ceux qui pourraient voir leur droit de gage général amputé entre dans le cadre du rôle traditionnel et basique de la publicité.

    Le créancier bénéficiaire d'une sûreté personnelle et le créancier chirographaire sont les tiers les plus éloignés de l'épicentre du séisme que constitue la création d'une sûreté réelle. Si

    129« Dès que les destinataires d'une information sont connus, nous avons affaire à une notification, non pas à une publicité, et c'est alors un tout autre régime juridique qui s'applique », Intervention d'Alain SAYAG, dans le colloque « l'information légale dans les affaires : quels enjeux ? Quelles évolutions ? », préc.

    130Mathias LATINA, « Principes directeurs du droit des contrats », Répertoire de droit civil, Dalloz, actualisation Janv. 2019, paragr. 144.

    bien qu'on ne pense pas, de prime abord, à l'aggravation, pourtant évidente, de leurs situations. Prenons l'exemple d'un contrat de cautionnement, on comprend rapidement quel intérêt peut avoir le créancier garanti à être informé des gages sans dépossession que pourrait consentir sa caution au profit d'autres créanciers.

    Le créancier bénéficiaire d'une sûreté personnelle se voit consentir un second droit de gage général sur le patrimoine de son garant. Une telle sûreté n'emportant pas de droit de préférence, dans le pire des cas, le créancier bénéficiaire d`une sûreté personnelle peut se voir primer dans ses droits par une multitude de créanciers privilégiés. Finalement, les sûretés réelles lui posent le même problème qu'à un créancier chirographaire. À ceci prêt que ce dernier, ne peut compter que sur son droit de gage général unique. Il est dès lors encore plus exposé aux risques de voir les droits réels s'accumuler sur le patrimoine de son débiteur. Autant de soustractions à la valeur sur laquelle il serait susceptible de se payer en cas de défaillance. Malgré la précarité de leurs situations, certains seraient tentés de laisser ces deux tiers en dehors des objectifs d'informations de la publicité des sûretés réelles mobilières. En effet, la CNUDCI rappelle que « Dans certains États, la sûreté produit effet dès sa constitution non seulement entre le constituant et le créancier garanti, mais aussi à l'égard des créanciers chirographaires131 ».

    Il convient à notre sens de se garder d'une telle hiérarchisation dans les raisons qui poussent les tiers à désirer l'information. La publicité ne doit pas être un privilège accordé à une catégorie de tiers justifiant d'un intérêt particulier. Elle doit s'adresser à tous ceux qui se donneront la peine de la consulter. Ajoutons qu'un régime efficace de la publicité des sûretés réelles mobilières doit produire les mêmes effets, y compris ceux relatifs à l'inopposabilité, à l'égard de tous.

    Le rôle de la publicité est d'éviter aux tiers de se méprendre quant à l'intérêt d'une opération en raison d'une trompeuse propriété apparemment non grevée du constituant. Or il n'est pas souhaitable qu'un créancier chirographaire qui a déjà consenti un crédit se complaise dans une situation illusoire de solvabilité de son débiteur alors même que celui-ci est en train de grever un à un chacun de ses biens.

    La sûreté réelle est la sûreté la plus égoïste. Chaque bien mis en gage pour garantir une créance est un bien qui sera soustrait au droit de gage général des créanciers chirographaires. Incontestablement, leurs situations se dégradent à chaque nouvelle sûreté réelle. Il faut obligatoirement les en informer pour qu'ils puissent dans le pire des cas faire le deuil d'une créance sur laquelle ils ne peuvent plus raisonnablement compter. De surcroît, cette information pourra leur éviter de prêter davantage au constituant en se figurant que sa situation n'a pas changé depuis leurs premiers engagements.

    Enfin, on peut se demander si « la publicité est l'appui de la vertu, la sauvegarde de la vérité, la terreur du crime, le fléau de l'intrigue132 », toujours est-il qu'en matière de sûretés réelles mobilières elle a vocation à éviter des arrangements et fraudes133 contraires aux intérêts des créanciers chirographaires. Cette raison suffirait à elle seule à arguer qu'il n'y a pas de tiers de seconde zone et que l'information via la publicité doit être accessible à tous. S'il apparaît que l'information est utile aux créanciers chirographaires déjà engagés, elle l'est tout autant pour ceux qui envisagent de consentir un prêt. En effet, « les créanciers

    131« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 110., paragr. 10.

    132Maximilien ROBESPIERRE, « Discours par Maximilien Robespierre 17 avril 1792-27 juillet 1794 ».

    133« L'obligation d'inscrire rapidement la sûreté sur un registre public ou d'accomplir une formalité supplémentaire équivalente réduit le risque qu'une prétendue sûreté ne soit en fait qu'un arrangement collusoire entre un constituant insolvable et un créancier bénéficiant d'un traitement préférentiel », « Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 110. Paragr. 11.

    chirographaires fondent leur décision de prêter sur la santé financière générale du constituant, la présence ou l'absence de sûretés peut être l'un des facteurs pris en compte dans cette décision134 ». Les créanciers chirographaires ou bénéficiaires de sûretés personnelles ont besoin de la publicité des sûretés réelles mobilières pour évaluer les risques de leurs engagements.

    Section 2 : Informer le tiers des risques de son engagement.

    L'ayant cause à titre particulier du constituant, voici le tiers le plus emblématique, celui qui vient en premier à l'esprit quand on songe aux mésaventures du tiers ignorant en matière de sûretés mobilières.

    En droit français, Romain BOFFA rappelle que « lorsque le gage opère sans dépossession, le constituant, propriétaire du bien, conserve ce bien entre ses mains. Il est donc susceptible de céder le bien à autrui en le mettant en possession.135 » Un ayant cause à titre particulier peut alors être : au mieux un autre créancier bénéficiaire d'une sûreté réelle concurrente, pire un acheteur, et encore pire un donataire.

    1. L'ayant cause à titre particulier, créancier garanti concurrent. Une première sûreté a déjà été consentie par le constituant et il souhaite affecter un même bien à la garantie d'une seconde créance. Dans cette situation le rôle de la publicité est d'informer ce second créancier garanti qui est un tiers à la première convention de sûreté. La question qui intéresse cet ayant cause à titre particulier du constituant est celle de l'antériorité. Se voir consentir un droit de préférence n'est que partiellement rassurant pour lui s'il est primé en ses droits par des créanciers de rang supérieur. C'est en ces termes qu'il faut évoquer la question de la priorité d'une sûreté.

    À ce sujet, l'article 2340 du Code civil dispose que « Lorsqu'un même bien fait l'objet de plusieurs gages successifs sans dépossession, le rang des créanciers est réglé par l'ordre de leur inscription ». Le rôle de l'inscription est ainsi de fournir une donnée facilement vérifiable utile au classement chronologique de la priorité des droits, méthode souhaitable et majoritairement retenue au sein des différents ordres juridiques. La diffusion transparente de cette information est en outre dans l'intérêt du constituant, « en lui permettant d'utiliser un bien déjà grevé pour garantir et trouver de nouveaux crédits, ce qui ne serait pas possible si la connaissance de ses futurs créanciers n'était pas assurée par un système efficace de publicité136 ». En effet, si on considère un bien d'une grande valeur et une créance modeste, un droit de préférence de piètre rang peut suffire. Quand bien même le créancier garanti serait primé en ses droits par nombre de créanciers concurrents, il sait qu'en cas de réalisation de la sûreté le risque qu'il ne soit pas complètement désintéressé grâce à son droit de préférence est plutôt faible. Cependant pour faire ce calcul encore faut-il qu'il bénéficie d'informations fiables et accessibles.

    Quid de l'articulation de la priorité des droits en présence d'une sûreté avec dépossession et d'une sûreté sans dépossession ? Le deuxième alinéa de l'article 2340 du Code civil dispose que « Lorsqu'un bien donné en gage sans dépossession fait ultérieurement l'objet d'un gage avec dépossession, le droit de préférence du créancier gagiste antérieur est opposable au créancier gagiste postérieur lorsqu'il est régulièrement

    134Ibid.

    135Romain BOFFA, « L'opposabilité du nouveau gage sans dépossession », préc., paragr. 11. 136Pierre CROCQ, « Sûretés mobilières : état des lieux et prospective », préc., paragr. 4.

    publié nonobstant le droit de rétention de ce dernier ». Selon Lionel ANDREU, cet article « désactive le droit de rétention du seul créancier gagiste postérieur137». Cela signifie que le second créancier garanti s'il opte pour un gage avec dépossession ne pourra pas faire valoir son droit de rétention contre le gagiste antérieur. Il a donc tout intérêt à consulter le registre des sûretés réelles mobilières, car son emprise matérielle sur la chose aurait tôt fait de lui communiquer un sentiment de sécurité trompeur.

    Si la situation est inversée, la publicité du gage montre ses premières failles. Si l'ayant cause du constituant (le second créancier garanti de notre exemple) opte pour une sûreté sans dépossession, alors qu'il existe déjà une sûreté avec dépossession affectant le bien au profit d'un créancier garanti antérieur, il entre en fâcheuse posture. Or a-t-on réellement laissé à ce tiers une chance de s'informer correctement ? Pour vanter les mérites de la dépossession en tant que méthode d'opposabilité Lionel ANDREU dénonce l'inscription en évoquant « des formalités complexes et incertaines, qui pourraient retarder le déroulement de l'opération dans certains cas138». Nous pouvons lui accorder ce point, certes la publicité des sûretés mobilières est éminemment perfectible en droit positif.

    Toutefois, il poursuit en regrettant que la publicité du gage ait « pour effet de porter à la connaissance des tiers l'existence d'un endettement du débiteur et de l'affectation d'une partie de ses actifs mobiliers à la garantie des dettes 139». Cette critique nous interpelle. D'une part, n'est-ce pas le propre de cette publicité efficace que nous traquons d'informer les tiers ? D'autre part, vanter la « confidentialité » de la dépossession n'est-ce pas reconnaître son total échec sur le plan de l'information des tiers ? La dépossession revient finalement à une publicité par le vide, où l'on s'attend à ce que le tiers remarque l'absence de tel bien alors même que nous avons précédemment vu que la dépossession se fait de plus en plus fictive pour contenter les intérêts des créanciers garantis.

    Admettons que le tiers à une première convention de sûreté se déplace jusqu'à l'entreprise du constituant pour choisir physiquement quel bien il désire prendre en gage, alors même que cette idée est totalement à contre-courant de la dématérialisation de l'économie. Peut-on réellement exiger de lui qu'il se figure que le vin stocké dans les propres cuves du constituant, dont la conservation est le fruit du travail des propres salariés du constituant140, est en fait un bien grevé par un gage avec dépossession au profit d'un créancier antérieur qui menace de le primer dans ses droits ? C'est un fait, plus la dépossession se fait artificielle plus elle perd cette faculté à informer les tiers que l'on peine à lui reconnaître en premier lieu.

    Aujourd'hui, l'article 2337 du Code civil dispose que « Le gage est opposable aux tiers par la publicité qui en est faite il l'est également par la dépossession entre les mains du créancier ou d'un tiers convenu du bien qui en fait l'objet ». Notre interrogation est la suivante, faut-il soumettre les gages avec dépossession à l'inscription ? La question peut paraître incongrue, mais elle se justifie au gré de nos développements. La dépossession n'est plus comme autrefois une garantie d'information des tiers. Quand le recours au registre des sûretés réelles mobilières se sera démocratisé, l'idée de se donner la peine de consulter le registre tout en ayant à l'esprit que d'autres sûretés potentielles n'y sont pas renseignées, à de quoi susciter la critique. Un simple coup d'oeil au registre devrait suffire pour qui désire avoir une vue d'ensemble de toutes les sûretés consenties par un constituant déterminé. Tous les

    137Lionel ANDREU, « Gage avec dépossession contre gage sans dépossession », préc.

    138Ibid.

    139Ibid.

    140Dans une affaire aux faits similaires, la Cour de cassation a retenu l'effectivité de la dépossession et donc l'opposabilité aux tiers. Voir Augustin AYNES, « Gage avec dépossession par entiercement : admission large de la condition de dépossession », L.G.D.J, Revue des contrats, n° 4, 1er oct. 2010, p. 1336.

    avantages qu'offre l'emprise matérielle sur les biens grevés devraient venir en supplément si le créancier garanti souhaite renforcer son contrôle. À notre sens, la dépossession est une forme de « publicité matérielle141 » médiocre.

    2. L'ayant cause à titre particulier, acquéreur. Voilà assurément un tiers que le régime des opérations garanti ne peut se permettre d'ignorer. Certains auteurs cependant se sont interrogés jusqu'à son existence. En d'autres termes, le constituant a-t-il seulement le droit d'aliéner le bien qu'il a mis en gage142 ?

    Sur cette question, Yannick BLANDIN fait remarquer que la loi ne se prononce pas expressément143, il souligne simplement que la protection des droits du créancier en pareil cas est la raison d'être du droit de suite. Dans le silence des texte il est possible de répondre à cette interrogation par une autre : en tant que propriétaire pourquoi le constituant ne conserverait-il pas le droit d'aliéner son bien à sa guise ? Si je consens une servitude de passage à mon voisin sur mon terrain je lui offre un droit réel accessoire, une charge qui amoindrit ma liberté d'user pleinement de mon droit de propriété. Pourtant si je désire vendre mon terrain on conçoit mal que mon voisin puisse s'y opposer. Il n'aura plus qu'à opposer son droit réel au nouvel acquéreur. Voilà l'exemple d'un acheteur qui, s'il n'a pas été prévenu, se retrouve à devoir composer inopinément avec le droit réel d'autrui sur son bien. Finalement, cette conclusion est assez proche de ce qu'il se passerait en présence d'un meuble grevé d'un droit réel de garantie.

    En guise d'argument contraire, il y a bien l'article 314-5 du Code pénal qui dispose que « Le fait, par un débiteur, un emprunteur ou un tiers donneur de gage, de détruire ou de détourner l'objet constitué en gage est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende ». Mais il ne faudrait pas se laisser aller à une lecture trop large de cette infraction, si « Une fois la réalisation de la sûreté entreprise, l'aliénation devient évidemment impossible, sauf pour le constituant à encourir des poursuites sur le fondement du détournement de gage144 », à contrario il faut bien reconnaître au constituant un droit d'aliéner tant que la sûreté est pendante.

    Ainsi l'efficacité de la publicité est-elle d'un enjeu crucial pour cette catégorie de tiers. A l'occasion du premier chapitre de cette première partie : « La non-incidence de la connaissance effective » nous avons démontré qu'en droit français les formalités obligatoires de publicité avaient vocation à créer une présomption de connaissance des sûretés publiées. Nous rappelons ici que cette présomption est critiquable parce qu'elle lie l'opposabilité des sûretés à la question de la connaissance du tiers quand bien même celle-ci ne serait pas effective. Or, du point de vue du créancier une inscription par simple avis qui aurait un effet mécanique d'opposabilité erga omnes est éminemment préférable.

    À notre sens le législateur français à une vision biaisée de la vocation de la publicité. Pour s'en convaincre, il suffit de se demander pourquoi il a ressenti le besoin d'empêcher les ayants cause à titre particulier du constituant d'invoquer l'article 2276 du Code civil alors

    141Voir note (37).

    142« L'aliénation créant un risque anormal pour le gagiste, on peut difficilement admettre que le constituant, tenu de maintenir le gage en l'état, ait le droit d'y procéder » M. CABRILLAC, C. MOULY, S. CABRILLAC et P . PÉTEL, « Droit des sûretés », Litec, 9e éd., 2010, p. 570, n° 763, (cité par Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », th. préc., paragr.118.).

    143« Quant à l'aliénation de l'assiette du gage, qu'il soit d'ailleurs avec ou sans dépossession, la loi ne se prononce ni dans le sens de sa validité, ni dans celui de son interdiction. »,Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », th. préc., paragr.118.

    144Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », th préc., paragr. 183.

    même qu'en premier lieu, l'application de cet article au domaine de l'opposabilité des sûretés est discutable145.

    Il faut revoir notre vision de la publicité en droit national afin d'en extraire les problématiques de connaissance ou de bonne foi qui pêchent par leur subjectivité. Les effets de la publicité doivent tenir en ces quelques mots : est opposable, envers tout tiers qui eût pu user du registre, la sûreté qui a fait l'objet d'une inscription régulière.

    Ceci dit, pour l'ayant cause à titre particulier du constituant le problème reste entier ! L'article 2337, alinéa 3 du Code civil le prive du droit, qu'il n'a peut-être jamais eu, de se prévaloir de l'article 2276 pour se placer hors d'atteinte du droit de suite d'un créancier garanti. Ce tiers ne s'intéresse pas à la question de savoir si oui ou non il aurait pu se prévaloir de la règle avant que celle-ci ne soit expressément écartée. Il ne peut que constater qu'en tout état de cause elle ne lui est plus d'aucun secours.

    Ce dernier peut alors potentiellement se retrouver avec une propriété grevée sans espoir de voir celle-ci purgée de la charge que constitue la sûreté du créancier garanti. En effet « Étant un droit réel sur la chose d'autrui, le gage peut être exercé sur le bien quel que soit le propriétaire de ce dernier146 ». Nul doute que cela « revient à traiter durement le tiers acquéreur de bonne foi, son droit se trouvant menacé par un autre, dont il n'avait nulle connaissance147 ».

    Finalement, la logique derrière cette norme revient à traiter l'ayant cause à titre particulier du constituant comme responsable de son sort. Il aurait dû se renseigner grâce à la publicité. Si cet argument peut être défendu sur le plan moral, il s'avère très frêle quand on l'oppose aux réalités économiques. Contracter en ayant toujours à l'esprit que son partenaire puisse être le constituant d'un gage dont il ne dit mot est propice à instaurer un climat de suspicion et de pesanteur incompatible avec la légèreté qui caractérise nécessairement un commerce des meubles efficace.

    Bien sûr, en dernier recours, l'ayant cause à titre particulier du constituant pourra faire valoir le dol en tant que vice de son consentement. En effet conformément aux dispositions de l'article 1137 nous serions bien en présence d'une réticence dolosive au sens de l'alinéa 2 « dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie ». Dès lors, l'acquéreur du bien grevé pourra obtenir la nullité de la vente. Cependant, la nullité de la vente suppose des restitutions réciproques, les parties doivent être remises dans la situation dans laquelle elles se trouvaient avant l'acte. Or, l'ayant cause à titre particulier du constituant pourrait bien découvrir, en guise de seconde surprise, l'insolvabilité du constituant qui dès lors serait incapable de lui restituer le prix de la vente.

    145À ce sujet, Romain BOFFA et Guillaume ANSALONI s'opposent quant à la question de la possibilité pour le tiers acquéreur d'invoquer l'article 2276 du Code civil « En fait de meubles, la possession vaut titre » pour échapper à l'opposabilité d'une sûreté réelle qu'il pouvait légitimement ignoré. Ce désaccord a émergé à l'occasion de la critique de Romain BOFFA relative au nouvel article 2337, alinéa 3, du Code civil tel qu'issu de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 qui prive explicitement les ayants cause à titre particulier du constituant du bénéfice de l'article 2276 face à un gage sans dépossession régulièrement publié. Romain BOFFA argue que cet alinéa est inutile en se basant sur une interprétation restrictive du champ de l'article 2276 dont il dénonce la portée « hypertrophiée ». Pour lui en tout état de cause cet article n'aurait jamais eu à jouer en cas d'acquisition « a domino », car il n'a que vocation à sécuriser les transferts de bien meuble en protégeant l'acquéreur de bonne foi qui tiendrait ses droits d'un non propriétaire. (Romain BOFFA, « L'opposabilité du nouveau gage sans dépossession », préc. et Guillaume ANSALONI, « Sur l'opposabilité du gage sans dépossession de droit commun », préc.).

    146CROCQ Pierre, « gage », répertoire de droit civil, Dalloz, févr. 2017, actualisation Oct. 2018.

    147Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », th. préc., paragr. 80.

    Le propre d'une sûreté est de prévenir le risque d'insolvabilité d'un débiteur, l'injustice est flagrante si on considère que c'est à l'acquéreur de supporter ce risque contre lequel le créancier garanti a cru bon de se prémunir148. À l'inverse si le créancier garanti est obligé de dédommager l'ayant cause à titre particulier du constituant du prix de la vente, on peut légitimement se demander à quoi a bien pu lui servir sa sûreté. Encore plus simplement, Yannick BLANDIN souligne que l'action en réticence dolosive est une « solution, longue et contraignante, puisque nécessitant le recours à une juridiction149 ». On est en droit d'espérer plus d'efficacité d'un régime de la publicité des sûretés réelles mobilières.

    Voilà autant de bonnes raisons d'informer les éventuels ayants cause à titre particulier du créancier gagiste avant qu'ils n'acquièrent cette qualité qui comporte intrinsèquement des risques forts.

    Dans ce chapitre, nous avons détaillé la catégorie des ayants cause à titre particulier du constituant. Cependant, il existe une catégorie de tiers qui pose des difficultés encor plus grandes, pour ne pas dire insoluble en l'état actuel du droit français. Il s'agit du sous-acquéreur. En effet, l'acquéreur et le sous-acquéreur sont exposés aux mêmes risques. Cependant, ils ne sont pas égaux face à la publicité. Plus que cela, existe-t-il seulement un moyen d'informer efficacement les sous-acquéreurs de l'existence d'un droit réel accessoire sur le bien meuble qu'il s'apprête à acquérir ? A priori, la réponse semble négative, or si nous sommes incapables de les informer nous ne pouvons les laisser sans protection. Une protection qui doit être uniforme et objective si elle se veut efficace.

    148Dans le même sens Romain BOFFA évoque des potentiels dommages et intérêts pour le tiers victime de l'attribution judiciaire du gage, tout en rappelant qu'en cas « de procédure collective de son auteur », cette sanction sera pour le tiers « une bien maigre consolation. », Romain BOFFA, « L'opposabilité du nouveau gage sans dépossession », préc., paragr. 24.

    149Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », préc., paragr. 80.

    - CHAPITRE 2 -

    PROTÉGER LES TIERS, LE CONSTAT DES LIMITES DE LA PUBLICITÉ.

    Idéalement, un régime efficace de la publicité des sûretés réelles mobilières a vocation à protéger tous les tiers à portée d'information. La règle doit être simple, dénuée d'exception même dans les cas les plus discutables : si un tiers n'a pas eu une chance de s'informer, car les formalités obligatoires de publicité n'ont pas été réalisées, alors ses droits (quelles que soient leurs natures) sur le bien grevé doivent être intouchables (Section 1). Plus délicate est la question du traitement que nous devons réserver aux tiers que nous ne pouvons espérer informer même si les formalités obligatoires de publicité sont effectuées avec rigueur. Du fait de la nature personnelle de la publicité des sûretés réelles mobilières, les sous-acquéreurs sont des tiers aveugles à la publicité. (Section 2).

    Section 1 : La nécessité de ne pas hiérarchiser la protection des ayants causes à titres particuliers.

    Daniel BASTIAN fait remarquer qu'en droit français « le droit d'invoquer l'inopposabilité appartient à tous ceux dont la loi a voulu protéger les intérêts et à eux seuls150 ». En nous interrogeant quant aux objectifs d'un système efficace de publicité nous nous sommes demandé quelles catégories de tiers avaient intérêt à être informées et pour quelles raisons. Logiquement, il conviendrait à présent de se demander quelles catégories de tiers méritent de voir leurs intérêts protégés par la loi. À ce propos, nous nous attellerons à défendre l'idée selon laquelle les droits réels naissants d'une sûreté conventionnelle ne devraient jamais être opposables aux tiers s'ils n'ont pas fait l'objet de formalités de publicité régulière.

    Pourtant en s'intéressant à la notion de tiers on pourrait être tenté par l'idée d'une hiérarchisation. D'aucuns diraient que certains tiers sont plus méritants que d'autres et que là où certains méritent une protection totale via le mécanisme de l'inopposabilité, d'autres pourraient bien être frappés par la découverte tardive de droits réels occultes sans que le système de la publicité ait à s'en émouvoir outre mesure. À ce propos, la CNUDCI rappelle que « Les États envisagent très différemment les catégories de tiers à l'égard desquelles une sûreté réelle mobilière reste inefficace si la formalité supplémentaire requise n'a pas été accomplie151 ».

    Pour illustrer ce propos, il est temps d'évoquer l'ayant cause à titre particulier du constituant que l'on regarde du plus mauvais oeil. Le donataire. Sur le fondement de la question du juste, on pourrait arguer qu'entre « un créancier garanti qui, par définition, a fourni une contrepartie pour sa sûreté et un donataire qui n'en a fourni aucune, c'est le créancier garanti qu'il faut protéger même s'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour assurer l'opposabilité152 ». L'argument tient à l'idée que, finalement le donataire ne perd rien153 si le créancier garanti vient épancher sa créance en réalisant sa sûreté.

    150D. BASTIAN, « Essai d'une théorie générale de l'inopposabilité » : Sirey, 1929, p. 322 s., et spéc. p. 325. (dans Guillaume ANSALONI, « Sur l'opposabilité du gage sans dépossession de droit commun », préc.).

    151« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », préc., p. 111., paragr. 9.

    152Ibid., p. 112., paragr. 13.

    153Selon Adam SMITH, « Du prix réel et du prix nominal des marchandises, ou de leur prix en travail et de leur prix en argent», dans Smith (A.), « la richesse des nations », [en ligne], 1776, W. Strahan and t. Cadell, Londres, accessible en ligne à https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75319v.pdf

    Toutefois, on opposera à cette vision que c'est de la propre faute du créancier garanti, qui n'a pas accompli les formalités de publicité obligatoire, que cette situation est survenue. De ce contre argument moral naît un argument juridique : plus stricte et absolue est la sanction de l'inopposabilité plus elle est incitative. Dans le but de promouvoir la publicité des sûretés réelles mobilière, le principe de l'inopposabilité des droits réels occultes ne doit connaitre aucune exception.

    De surcroît quand on vise l'efficacité d'un ensemble de règles juridiques il faut se garder de trancher le cas par cas en recherchant l'éthique à l'échelle individuelle. Il ne peut en résulter que des débats stériles où chacun invoquera des arguments axiologiques d'une égale légitimité. Finalement, la question de savoir si tel tiers doit être davantage protégé qu'un autre est plus une affaire de politique et d'idéologie qu'une question d'efficacité du droit. Or c'est bien à cette tâche objective que notre travail de recherche est dédié. Sous la direction de ce modèle de pensée, il convient d'évoquer le caractère délétère de toute différence de traitement entre les tiers quand il est question de leurs protections par l'inopposabilité. Tout d'abord, il faut faire remarquer que la recherche du « statut du bénéficiaire du transfert d'un bien grevé peut susciter des litiges ex post facto contraires aux objectifs de certitude et de prévisibilité a priori154 ». Ainsi, dans un système de publicité légale où l'inopposabilité est un sésame dispensé à quelques-uns, il est facile d'imaginer l'intérêt pour un tiers de travestir sa situation pour échapper à la saisie entre ses mains d'un bien grevé. Dès lors, le donataire pourrait tenter d'inventer toutes les contreparties imaginaires afin d'alimenter un litige avec le créancier garanti. À l'inverse dans un tel système, on comprend qu'un créancier qui a négligé les formalités nécessaires à l'opposabilité de sa sûreté a tout intérêt à remettre en cause la contrepartie consentie par le tiers en cas de transfert de propriété à titre onéreux du bien grevé. L'opération pourrait potentiellement être requalifiée en donation. Même si cette éventualité est peu probable il n'en demeure pas moins qu'opérer une distinction au sein des règles d'opposabilité en fonction du statut des tiers a vocation à créer des conflits inutiles.

    Pour viser l'efficacité, il ne faut pas songer à une disposition à l'aune de ses meilleures intentions, mais bien en considérant tous les mauvais usages qui pourraient en être faits par ceux qui tenteront de la tordre à leurs profits. La simplicité est un gage de résilience là où la multiplication des exceptions a vocation à affaiblir la règle de droit. Pour ces raisons, l'efficacité en matière de publicité des sûretés réelles mobilières commande de se ranger à la recommandation de la CNUDCI « Tant que les conditions d'opposabilité ne sont pas remplies, la sûreté est sans effet à l'égard de tous les droits acquis entre-temps par des tiers sur les biens grevés, quel que soit leur type155 »

    Dans cette optique, on ne peut que saluer le progrès apporté en droit interne par l'ordonnance de 2006 que Pierre CROCQ rapporte en ces termes « Les auteurs de l'ordonnance ont, en effet, considéré que pour qu'un système de publicité soit vraiment efficace, il faut qu'il ait un effet mécanique156 ». Il faut comprendre qu'un système de publicité efficace suppose nécessairement qu'une publication régulière emporte l'opposabilité de la sûreté contre tous là ou son défaut de publication limite toute son efficacité à la sphère purement contractuelle.

    154« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 112., paragr. 13. 155« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 112., paragr. 14. 156Pierre CROCQ, « Sûretés mobilières : état des lieux et prospective », préc., paragr. 17.

    Section 2 : La problématique de l'angle mort de la publicité personnelle.

    1. Le sous-acquéreur, le tiers aveugle à la publicité personnelle. « L'inscription du gage prévue à l'article 2338 du Code civil est faite à la requête du créancier sur un registre spécial tenu par le greffier du tribunal de commerce dans le ressort duquel le constituant est immatriculé ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation d'immatriculation, dans le ressort duquel est situé, selon le cas, son siège ou son domicile157 ».

    Il est ici question d'une publicité personnelle, c'est-à-dire une publicité basée sur la personne du constituant. D'aucuns diraient qu'en présence de meubles non immatriculés il n'y a pas d'autres systèmes possibles158.

    Se pose alors un problème évident, « si l'ayant cause immédiat du constituant est en mesure de se renseigner sur l'existence d'une sûreté qui grève le bien, il n'en sera pas de même pour ceux qui auront acquis le bien d'un autre que le constituant159 ».

    Nous sommes en présence de tiers, qui potentiellement n'auront jamais entendu parler du constituant et de ses affaires. Des tiers placés au bout d'une chaîne translative de propriété plus ou moins longue, nationale ou même internationale, qui ne seront jamais en mesure de se rendre sur le site ( https://www.infogreffe.fr/recherche-gage-sans-depossession) pour y effectuer une recherche efficace160. Car pour eux le constituant, personne physique ou morale161, demeurera un parfait anonyme162.

    D'une certaine façon, on peut parler d'un angle mort de la publicité personnelle, un défaut intrinsèque et insurmontable qui empêche tout repérage efficace par le sous-acquéreur d'information qu'on entendrait lui distribuer par ce biais. Partant de ce constat nous sommes, semble-t-il, en présence d'un choix cornélien, « Deux alternatives sont alors possibles, selon que l'on préfère protéger les droits du constituant ou les intérêts tout aussi légitimes du tiers163 ». Faut-il sacrifier l'intérêt du sous-acquéreur et la sécurité juridique de toutes les transactions de biens meubles non immatriculés, en le laissant se débattre avec la responsabilité contractuelle de son auteur peu loquace ? Ou alors faut-il renoncer à l'opposabilité erga omnes des sûretés réelles mobilières régulièrement publiées qui ne seraient alors jamais opposables au sous-acquéreur ? La difficulté naît du fait que protéger le sous-acquéreur victime de l'angle mort de la publicité personnelle (par un mécanisme

    157Décret n° 2006-1804 du 23 décembre 2006.

    158« S'agissant de biens meubles non immatriculés, seul un système de publicité personnelle, c'est-à-dire par référence au domicile ou au siège du constituant, était concevable », Pierre CROCQ, « Sûretés mobilières : état des lieux et prospective », préc., paragr.16.

    159Romain BOFFA, « L'opposabilité du nouveau gage sans dépossession », préc., paragr. 5.

    160« le site internet tel que visité au 13 mars 2007 impose au requérant conformément à l'article 11 du décret (Décr. 23 décembre 2006) du, de renseigner en premier lieu l'identité du constituant ». Cette exigence pratique est toujours d'actualité et est en toutes hypothèses pas amenées à changer prochainement en raison des difficultés liées à la publicité des meubles non immatriculés. Romain BOFFA, « L'opposabilité du nouveau gage sans dépossession », op. cit., paragr. 21.

    161Le site ( https://www.infogreffe.fr/recherche-gage-sans-depossession) propose de rechercher d'éventuels gages consentis par une personne morale. Quid de ces montages aux allures de matriochka où telle société sert de vitrine à une activité tandis qu'une filiale aurait consenti le gage problématique ? Évidemment, une recherche basée sur la raison sociale de la première société à laquelle le tiers ignorant pense avoir à faire ne lui sera d'aucun secours. Enfin si le changement de nom est une difficulté plus anecdotique que réelle quand il est question d'un constituant personne physique, on ne peut qu'espérer que le registre soit mis à jour promptement si une entreprise change de nom.

    162« Ne connaissant pas par hypothèse l'identité du constituant, sauf information par leur propre auteur sur ce point ou circonstances particulières, ils ne peuvent avoir connaissance du gage qui grève le bien. », Romain BOFFA, « L'opposabilité du nouveau gage sans dépossession », préc., paragr. 21.

    163Ibid., paragr. 23.

    d'inopposabilité) semble tenir d'un choix aussi juste que néfaste à l'efficacité des sûretés réelles mobilières. En partant des variables traditionnelles : inopposabilité et protection des tiers non informés, contre droit de suite et conservation des droits du créancier garanti, la problématique de l'angle mort de la publicité personnelle semble insoluble.

    2. La piste du gage sur chose fongible. Pierre CROCQ fait remarquer à propos de cette problématique de l'information des sous-acquéreurs que « s'agissant des acquéreurs de biens meubles, l'insécurité résultant d'un défaut de renseignement sera compensée par le fait que le bien gagé est souvent un bien fongible dont l'aliénation a été autorisée par le créancier164». Or cette autorisation d'aliéner, expressément prévue par l'article Article 2342 du code civil165, Pierre CROCQ l'analyse comme une renonciation du créancier à l'exercice de son droit de suite.

    En effet, nul besoin d'affliger le tiers acquéreur d'un droit de suite quand on considère l'obligation qui est faite au constituant de remplacer les biens aliénés par « une même quantité de choses équivalente166 ». La valeur de l'assiette de la garantie est ainsi préservée malgré les aliénations successives.

    Via cet exemple très particulier du gage sur chose fongible on constate deux choses : premièrement, on remarque qu'il suffit de supprimer le droit de suite pour régler totalement le problème que pose l'angle mort de la publicité personnelle aux sous-acquéreurs. Deuxièmement, on comprend que cette suppression ne peut se faire qu'au prix d'un remplacement. Le droit de suite est trop encombrant (voir totalement inconciliable avec les impératifs d'une publicité efficace au sein d'une économie de marché dynamique). Ne serait-il pas préférable de toujours préférer, en matière de sûreté sur des meubles non immatriculés, une forme d'assiette pensée pour ne pas perdre en valeur tout en permettant la mise sur le marché de bien libre de tout droit réel ?

    Le droit français n'est pas obligé de choisir entre la peste et le choléra, l'exemple du gage de quelques tonnes de blé porte en lui les germes d'une solution (généralisable à l'ensemble de la matière). Cependant pour la découvrir encore faut-il savoir séparer le bon grain de l'ivraie parmi les friches des sûretés sur stocks.

    164Pierre CROCQ, « Sûretés mobilières : état des lieux et prospective », préc, paragr. 18.

    165« Lorsque le gage sans dépossession a pour objet des choses fongibles, le constituant peut les aliéner si la convention le prévoit à charge de les remplacer par la même quantité de choses équivalentes. », article 2342 du Code civil.

    166Article 2342 du Code civil.

    - CHAPITRE 3 -

    NEUTRALISER LA MENACE, LA NÉCESSAIRE ÉVOLUTION.

    Le constituant a voulu conserver l'usus de ses biens grevé. On aurait pu croire que ce souhait était incompatible avec la protection des intérêts des créanciers garantis. Pourtant le constituant a été exaucé via la consécration du gage sans dépossession. Aujourd'hui, la bonne marche de l'économie réclame un nouveau progrès, le constituant réclame le droit d'aliéner voire même le droit de détruire ses biens grevés, pour en acquérir ou en créer de nouveaux.

    Des auteurs ont d'ores et déjà proposé des innovations en droit des sûretés sur stocks sur la base d'assiettes fluctuantes ou d'assiettes extensibles. Des mécanismes à même de confiner les droits réels grevant des meubles à titre de garantie au seul patrimoine du constituant.

    Afin de proposer un régime de la publicité des sûretés mobilières soucieux des intérêts des sous-acquéreurs et de la bonne marche de l'économie, nous analyserons deux solutions proposées par la doctrine. En cherchant à traiter les particularités des biens circulants via une certaine évolution du régime des opérations garanties, les deux auteurs que nous allons évoquer ont trouvé des moyens efficaces de confiner le droit de suite des créanciers garantis au seul patrimoine du constituant (Section 1). Même si leurs travaux ont une portée plus large que la simple question de la publicité et la protection qu'elle peut offrir aux tiers, il semble pertinent d'arpenter toutes les pistes pouvant mener à une publicité efficace. Toutefois, car les évolutions que ces auteurs proposent sont conséquentes, elles charrieront nécessairement de nouveaux problèmes dans leurs sillages. Nous devons donc anticiper les effets secondaires des remèdes que nous recommandons (Section 2).

    Section 1 : Comment confiner le potentiel de nuisance du droit de suite ?

    1. L'assiette universalité de la sûreté globale et ses composants libres de tout droit de suite. À propos du gage sur chose fongible, Yannick BLANDIN se réjouit de la capacité de ce mécanisme à ménager « la disponibilité des biens grevés sans que les intérêts du gagiste ne soient méconnus167 ». Il est communément admis qu'en pareille hypothèse, « les biens venant en remplacement se substituent à ceux initialement grevés par le mécanisme de la subrogation réelle168 ». Ce qui a pour conséquence un report du droit réel sur les biens acquis en remplacement169. Le constituant et le créancier garanti y trouvent assurément leurs comptes.

    Ajoutons que le tiers bénéficie aussi de cette manière de procéder. En effet, on remarque que les droits réels grevant les biens fongibles du constituant n'ont plus vocation à menacer les intérêts des tiers. Le confinement des droits réels accessoires au sein des limites du seul patrimoine du constituant constitue pour eux la meilleure protection possible. Une protection qui a l'avantage de ne pas pour autant sacrifier les attentes légitimes du créancier quant à l'efficacité de sa sûreté.

    Pour l'heure en droit des sûretés français, le gage sur chose fongible constitue un îlot de quiétude battu par les vents d'une mer déchaînée. D'aucuns voudraient en faire un phare, le

    167Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », th. préc., paragr. 6. 168Ibid. 169Ibid.

    cap que l'ensemble de la matière aurait vocation à atteindre. En effet pourquoi faudrait-il se passer d'une solution aussi profitable pour tous, sous prétexte que les biens acquis en remplacement par le constituant ne seraient pas de même nature, ne seraient pas fongibles ? C'est ainsi que Yannick BLANDIN s'interroge « Si la fluctuation des meubles grevés peut résulter de leur interchangeabilité objective, n'y a-t-il pas toutefois matière à généraliser le champ de l'assiette fluctuante en la détachant de la fongibilité ?170 ». L'enjeu est de taille, l'inclination de la pratique vers ce mécanisme du gage sur chose fongible est telle qu'elle a amené certains à vouloir tordre par leur volonté la notion de fongibilité pour pouvoir se placer sous ce régime171. On assiste au même genre de phénomène qu'à l'époque où la Cour de cassation avait entendu imposer le droit spécial du gage des stocks172 alors même que les cocontractants à qui il s'adressait cherchaient spontanément à placer leurs relations sous l'égide du droit commun qui était alors plus favorable pour différentes raisons. Aujourd'hui, c'est le gage sur chose fongible le régime le plus attractif en matière de sûretés mobilières. Ces deux exemples illustrent bien la nature du droit des sûretés, quand un mécanisme est efficace il est plébiscité par les agents économiques au détriment des autres.

    Yannick BLANDIN a proposé de résoudre cette question via la consécration d'une nouvelle sûreté spéciale « que l'on pourrait dénommer sûreté réelle globale173 ». Elle se détacherait de ce que l'on connait actuellement par son assiette fluctuante, qualifiée en universalité de fait174, qui substitué au critère de la fongibilité, permettrait d'obtenir un résultat comparable aux attraits du gage sur chose fongible175, tout en permettant une assiette composée de biens de nature différents meubles ou immeubles.

    Il est assez amusant de noter que si dans les faits, nous aurons bien affaire à une assiette fluctuante (les biens allants et venants au rythme de leurs aliénations et remplois), sur le plan juridique, l'universalité de fait demeurerait le seul bien jamais grevé176. Les droits réels du créancier garanti portant sur cet unique bien, en tant qu'enveloppe vouée à garantir

    170Ibid.

    171Sur la question de la fongibilité conventionnelle voir l'arrêt de la Chambre commerciale du 26 mai 2010 (n° 09-65.812). Où la Cour de cassation avait pu considérer que par une convention les parties avaient pu s'entendre sur la nature fongible de biens qui ne l'auraient pas été autrement. L'enjeu de la qualification de cette fongibilité était de taille, car lui seul pouvait permettre de retenir le caractère « tournant » de l'assiette de la sûreté en cause. Pour plus de détaille voir Dominique LEGEAIS, « Portée d'une clause de substitution des marchandises introduite dans un contrat de gage », RTD com., Dalloz, 2010, p. 596.

    172Revenons rapidement sur la saga du gage des stocks. La Cour de cassation avait « invalidé en 2013 l'application des dispositions générales du Code civil relatives au gage de choses fongibles sans dépossession, en conférant au gage spécial des stocks une portée impérative ». Cette situation où les professionnels étaient prisonniers d'un régime plus contraignant que le droit commun à durer jusqu'à l'ordonnance du 29 janvier 2016 qui est venue contrecarrer « la force d'attraction du gage spécial des stocks en reconnaissant aux parties la liberté de conclure un gage de droit commun ». Voir Manuella BOURASSIN, « Réforme du gage des stocks : de l'attraction à l'attractivité », Gaz. Pal., 8 mars 2016, n° 259m9, p. 53.

    173Yannick BLANDIN, « Gage sur stock - La réforme du gage des stocks par l'ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016 », LexisNexis, Revue de Droit bancaire et financier, juillet 2016, n° 4, étude 20, paragr. 18.

    174Yannick BLANDIN explique ainsi l'intérêt de qualifier l'assiette de la « sûreté globale » en universalité de fait : « En tant que bien, celle-ci permet de constituer l'objet déterminé du droit réel conféré par la sûreté. En tant qu'enveloppe, elle ménage la disponibilité de ses composants qui demeurent soumis à leur propre loi. »,Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », th., préc., paragr. 6.

    175Avec la sûreté globale comme avec le gage sur chose fongible nous sommes en présence de deux mécanismes ayant vocation à conserver une assiette d'une certaine valeur tout en relâchant périodiquement sur le marché des biens libres de tout droit réel. À l'aune de cette première analyse, la sûreté globale semble être un mécanisme compatible avec l'idéal d'une publicité efficace des sûretés réelles mobilières.

    176En ce sens l'assiette universalité peut être comparée à un corps humain. Une chose qui conserve son identité malgré le remplacement incessant de ses cellules.

    l'obligation. Tous les droits réels problématiques pour les tiers sont fixés sur cette « enveloppe177 » que les biens meubles178 du constituant quittent libérés de toute sûreté quand un tiers se propose de les acquérir.

    2. L'extension de l'assiette au produit et la suppression conditionnelle du droit de suite. À la problématique des sûretés sur stocks, Jean-François RIFFARD apporte une solution différente. Tout comme celle proposée par Yannick BLANDIN, elle comporte des qualités subsidiaires quant à la protection des sous-acquéreurs aveugles à la publicité personnelle que nous devons étudier.

    Bien conscient de l'innovation proposée par Yannick BLANDIN, Jean-François RIFFARD s'oppose cependant à la « tentation du régime spécial179 ». À cette objection, Yannick BLANDIN répondrait sûrement que la sûreté globale ne constitue pas « une énième sûreté mobilière spéciale, mais une garantie nouvelle de droit commun 180». On peut lui accorder ce point. Pour lui, la consécration de la sûreté globale passerait par la suppression de toutes les sûretés spéciales sur les biens circulants. Il y aurait donc trois catégories de sûretés de droit commun, les sûretés sur les meubles, les sûretés sur les immeubles et les sûretés sur les biens circulants. Tout comme on ne saurait qualifier les sûretés sur les immeubles de droit commun et les sûretés sur les meubles de droit spécial181, penser une sûreté sur les biens circulants ne saurait revenir à penser une sûreté spéciale selon Yannick BLANDIN.

    Le désaccord entre ces auteurs relève en profondeur du droit des biens plus que du droit des sûretés. Yannick BLANDIN envisage le bien circulant comme une remise en cause fonctionnelle de la suma divisio meuble / immeubles182. À l'inverse, Jean-François RIFFARD s'intéresse aux stocks, une catégorie de meuble particulière, qui peut aisément être intégrée à un droit commun efficace des sûretés sur meuble. En ce sens, les travaux de Jean-François RIFFARD prêtent un meilleur concours à notre étude, dans la mesure où toute la part immobilière de la réflexion de Yannick BLANDIN s'éloigne de notre sujet.

    En termes pratiques, au lieu de créer une sûreté spéciale sur le modèle d'une assiette

    177Yannick BLANDIN prend l'exemple du nantissement de comptes titres pour donner un exemple de l'utilisation qui peut être faite de la notion d'universalité de fait en matière de sûretés « La qualification du compte en universalité de fait permet que l'objet du nantissement soit le compte et non ses éléments ». L'exemple a le mérite de montrer que la qualification d'une assiette de sûreté en universalité de fait peut permettre de dépasser la limite de la fongibilité. Deux titres financiers n'étant pas des biens fongibles entre eux. Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », th. préc., paragr. 179.

    178La sûreté globale de Yannick BLANDIN a aussi vocation à recevoir des immeubles au sein de son assiette. Cependant du fait de l'efficacité de la publicité foncière, nous ne nous inquiétons pas de la sauvegarde des intérêts des tiers en la matière.

    179Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle », préc., p. 150.

    180Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », th. préc., paragr. 347.

    181Finalement, la distinction entre droit spécial et droit commun dépend du degré d'harmonisation qu'un auteur donné souhaite pour le droit des sûretés. Si on considère comme Jean-François RIFFARD qu'il ne doit exister qu'une unique sûreté adaptée à tous les biens meubles, comme peut l'être le Security interest américain, toute sûreté divergente dont l'assiette comporterait des meubles serait une sûreté spéciale. Si on considère qu'il ne doit exister qu'une unique sûreté apte à recevoir les biens meubles comme immeubles, une sorte d'hypothèque universelle, alors toute proposition de sûreté assise sur les particularités des biens meubles devrait être qualifiée de sûreté spéciale.

    182Selon Yannick BLANDIN, « Le bien circulant, nous le détaillerons, peut être un meuble ou un immeuble, une chose corporelle ou incorporelle, fongible ou non fongible. Il ne se caractérise pas par sa nature physique, mais par la fonction qu'il remplit au sein du processus d'activité de l'entreprise. », Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », th. préc., paragr. 5.

    fluctuante, Jean-François RIFFARD prône un perfectionnement du droit commun en forçant le trait des caractéristiques qui font son attractivité. Ainsi pour cet auteur le gage sur chose fongible consacré par la réforme de 2006183 est éminemment perfectible. Là où Pierre CROCQ se voulait rassurant en analysant l'autorisation d'aliéner donnée par le créancier au constituant comme une renonciation à son droit de suite, Jean-François RIFFARD rappelle que cet « argument tenant à la probabilité d'une autorisation donnée par le créancier au regard de l'article 2342, est à relativiser, car bien que forte, elle n'est pas absolue et elle ne permet pas de lever les doutes pour l'acquéreur184 ». De manière plus radicale, Jean François RIFFARD affirme qu'en matière de sûreté sur stock (fongible ou non) il faut « abandonner purement et simplement le principe du droit de suite et de consacrer, de manière générale, la règle selon laquelle l'acheteur prend toujours les biens libres de toute sûreté, et ce sans exception ».

    Cette proposition intéresse particulièrement notre sujet, car supprimer le droit de suite c'est supprimer le dilemme de l'impossible information des tiers incapables d'accéder à la publicité personnelle. En effet, s'ils ne sont plus menacés par des droits concurrents, un régime efficace de la publicité des sûretés réelles mobilières peut tout à fait tolérer leur ignorance. À ce propos, Jean-François RIFFARD soutient une suppression conditionnelle du droit de suite. En effet, c'est d'une protection strictement encadrée dont il est question. Elle n'a vocation à bénéficier qu'aux « personnes qui achètent des marchandises à un commerçant dont l'activité commerciale habituelle et apparente consiste en la vente de choses pareilles185 ». Autrement dit, celui qui acquiert un bien dans le cours normal des affaires n'est pas menacé par un éventuel droit de suite. Cette protection s'étend logiquement aux sous-acquéreurs qui tiennent leurs droits d'un acheteur dans le cours normal des affaires. C'est ce qui fait tout l'intérêt de cette règle de droit. Car, si la protection de l'ayant cause à titre particulier du constituant intéresse nécessairement qui veut penser un régime efficace des opérations garanties, la protection du sous-acquéreur aveugle à la publicité personnelle est une condition sine qua non d'un régime efficace de la publicité des sûretés réelles mobilière.

    Avec ce système, on atteint un idéal de protection des tiers dans le cadre particulier des sûretés sur stock186, une matière où le droit de suite semble des plus absurde en raison de la destinée commerciale de ces biens. Cependant « si l'acquéreur dans le cours normal des affaires prend les biens aliénés libres de toute sûreté, comment alors assurer la protection du créancier ?187 ». À l'aune du droit positif français, le créancier qui autorise le constituant à aliéner les biens fongibles grevés est protégé par l'obligation qui lui est faite de les remplacer. Par l'effet de la subrogation réel, la tonne de blé acquis en remplacement se substituera à la tonne aliénée laissant la valeur de l'assiette du gage du créancier inchangée.

    Comme précédemment, nul ne saurait trouver de raison légitime de limiter cette féconde solution aux seules sûretés sur choses fongibles. Il s'agit « d'une solution de bon sens. Il se peut en effet que dans le cadre de son activité normale, le constituant aliène les stocks sans procéder à leur remplacement à l'identique188 ». On ne voit pas pourquoi le

    183Ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés.

    184Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle », préc., p. 113.

    185Ibid., p. 138.

    186« Le terme « stocks » désigne les biens meubles corporels destinés à être vendus ou loués dans le cours normal des affaires d'une personne, ainsi que les matières premières et les produits semi-finis (produits en cours de fabrication) », « Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 13.

    187Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle », préc., p. 138.

    188Ibid., p. 140.

    constituant devrait être contraint d'émettre sur le marché une tonne de blé grevé d'un droit de suite, sous prétexte qu'il a remplacé (à valeur constante) son stock par une certaine quantité de maïs. Pour étendre cette solution souhaitable au-delà du cadre de la fongibilité, Jean-François RIFFARD défend la règle « de l'extension de la sûreté sur les biens issus de l'aliénation des stocks189 ». Pour fixer le cadre de cette extension de plein droit il propose d'user de la notion de « produit190 » en lieu et place de la notion de fongibilité. Mais plus encore, pourquoi ne pas étendre cette solution au-delà des limites des seules sûretés sur stock ? Après tout, cet auteur a déjà fait part de son souhait d'un droit commun des sûretés mobilières débarrassé de la prolifération des régimes spéciaux191. Dès lors l'extension de l'assiette de sûretés « aux biens acquis en remploi ou transformés à partir du bien initial ne doit pas être cantonnée au cadre spécifique des sûretés sur stocks, mais doit constituer un principe général du droit des sûretés mobilières192 ». Il appuie cette recommandation en invoquant l'efficacité des modèles qui ont eu recours à cette méthode, d'abord le droit américain, puis la loi type de la CNUDCI sur les sûretés mobilière.

    À l'aune des difficultés posées par le droit de suite quand il est question de protéger les sous-acquéreurs, nous ne pouvons qu'apprécier son déclin et souhaiter son remplacement par un autre mécanisme de protection des intérêts du créancier chaque fois que cela est possible. Or à première vue, l'extension de plein droit de l'assiette d'une sûreté mobilière au produit de la disposition des biens grevés répond à cet impératif.

    Nous sommes donc en présence de deux solutions (subrogation des éléments d'une assiette universalité et extension de plein droit de l'assiette aux produits des biens grevés) qui potentiellement pourraient neutraliser les nuisances du droit de suite et résoudre par la même occasion l'épineuse question de l'angle mort de la publicité personnelle. Toutefois, malgré les promesses de ces deux remèdes en termes d'amélioration de l'attractivité du droit des sûretés en général, on constate différents effets secondaires néfastes quant au point particulier de la publicité des sûretés réelles mobilières.

    Section 2 : Deux remèdes accompagnés d'effets secondaires.

    Quand on compare les avantages et les inconvénients de l'assiette universalité de la sûreté globale à ceux de l'assiette étendue au produit retenue par la CNUDCI. La seconde apparaît préférable du point de vue de la protection du sous-acquéreur de bien meuble, même si elle n'est pas sans soulever d'importantes difficultés en matière de publicité.

    1. La réalisation de la sûreté globale. Tout au long de sa vie, la sûreté globale joue

    189Ibid.

    190« le terme « produit » désigne tout ce qui est reçu en relation avec un bien grevé. Il englobe non seulement ce qui est reçu de la vente ou d'un autre acte de disposition, du recouvrement, de la location ou de la mise sous licence du bien grevé . Il englobe aussi les fruits naturels et civils ou les revenus, les indemnités d'assurance, les droits nés d'un vice, de l'endommagement ou de la perte du bien grevé, et le produit du produit », « loi type de la CNUDCI sur les sûretés mobilières », p. 5, consultable sur le site de la CNUDCI : https://uncitral.un.org/sites/uncitral.un.org/files/media-documents/uncitral/fr/ml st f ebook.pdf

    191« Source d'insécurité, la solution de la sûreté spéciale est de plus à contre-courant de la tendance actuelle gouvernant la plupart des réformes modernes en matière de sûretés mobilières. Ces projets consacrent un régime unique de sûreté, suffisamment large pour couvrir l'hypothèse des sûretés sur stocks, rendant ainsi inutile le recours à un régime spécial autonome. », Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle », préc., p. 151.

    192Ibid., p. 140.

    son rôle à merveille, en relâchant des biens circulant exempts de tout droit réel. Cependant lors de sa réalisation elle génère un risque insurmontable pour les sous-acquéreurs. Ainsi Yannick BLANDIN envisage-t-il une cristallisation de l'assiette de la sûreté globale en cas de défaillance du constituant. Ainsi les actes de disposition du constituant « postérieurs à la défaillance seront déclarés inopposables au créancier et ne pourront donc être invoqués ni par le constituant, ni par les tiers et particulièrement les ayants cause à titre particulier193 ». Ayant anticipé les conséquences désastreuses pour les tiers bénéficiaires des opérations de disposition sus-citées Yannick BLANDIN reconnaît que « l'équité commandera de ne faire produire effet à cette inopposabilité vis-à-vis des tiers qu'à compter de l'accomplissement d'une inscription modificative sur un registre public194 ».

    Prenons l'exemple de Primus achetant un bien à Secundus. Le bien est une composante de l'assiette universalité d'une sûreté globale que Secundus a consentie au bénéfice de Tertius. Deux hypothèses sont envisageables. Soit Primus a acquis le bien antérieurement à la formalité obligatoire de publicité et dans ce cas il a réussi à soustraire légalement le bien à l'assiette universalité. Le constituant Secundus se retrouve alors avec une somme d'argent entre ses mains tout en sachant que son créancier Tertius s'apprête à lui retirer la capacité de gérer l'assiette de la sûreté en se ménageant l'inopposabilité de tous ses actes futurs de disposition. À l'inverse, Primus peut avoir consenti à l'achat d'un bien grevé antérieurement à la défaillance de Secundus et à l'accomplissement des formalités obligatoires de publicité par Tertius. Dans ce cas, la vente sera inopposable à Tertius qui pourra saisir le bien entre les mains de Primus exactement comme si Secundus n'avait jamais renoncé à en être propriétaire.

    On ne peut que s'accorder à la conclusion de Yannick BLANDIN quant à l'efficacité de ce dispositif. « La sûreté sera efficace en dépit de l'absence de droit de suite sur les éléments de l'assiette universalité : le créancier pourra revendiquer les éléments transmis, ceux-ci n'ayant, à son endroit, jamais quitté l'ensemble objet du droit réel de garantie195 ». En effet, ce mécanisme de protection des intérêts du créancier semble encore plus brutal, à l'égard des tiers, que le droit de suite.

    On pourrait cependant s'en satisfaire. Après tout, l'acquéreur d'un bien issu de l'assiette universalité est pleinement en mesure de vérifier196 en temps réel la publicité qui pourrait être faite de la défaillance du constituant. On peut arguer qu'il peut renoncer à son achat jusqu'à la dernière seconde, le blocage de l'assiette universalité étant sans contexte une raison valable de rompre les pourparlers avec le constituant. Bien plus difficile est l'acceptation des effets de cette inopposabilité à l'encontre des sous-acquéreurs. En effet, même s'il reconnaît que les sous-acquéreurs n'ont aucun moyen fiable de s'informer du blocage de l'assiette universalité197 et de l'indisponibilité pour le constituant des biens qui la constitue, cet auteur entend bien les soumettre au même régime que celui des ayants cause à titre particulier du constituant.

    Après analyse, il semblerait que la sûreté globale et son assiette universalité soient en

    193Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », th. préc., paragr. 265.

    194Ibid.

    195Ibid.

    196Cela suppose un registre centralisé et informatisé, seul modèle de régime viable à l'ère du numérique. 197« Il est souvent proposé que la publicité du gage ne protège le gagiste que contre les ayants cause à titre particulier, les sous-acquéreurs pouvant encore se prévaloir de la protection fournie par l'article 2276 du Code civil. En matière de sûreté globale, l'inopposabilité sera erga omnes que le tiers soit un ayant cause à titre particulier du constituant ou non. », Yannick BLANDIN, « Sûretés et bien circulant contribution à la réception d'une sûreté globale », th. préc., paragr. 412.

    mesure de traiter les symptômes de l'angle mort de la publicité personnelle, mais incapables de régler le problème de fond en garantissant une totale protection aux sous-acquéreurs. Elle constitue toutefois une source potentielle d'inspiration, car même si elle ne résout pas totalement cette problématique elle demeure largement préférable à la situation actuelle. En effet avec la sûreté globale la menace des droits réels pour les intérêts des tiers est efficacement neutralisée tant que la sûreté est pendante. Enfin, il faut ajouter que la probabilité d'une mise sur le marché par le constituant de biens problématiques en cas de gel de l'assiette universalité serait tout de même grandement réduite par l'effet dissuasif de l'infraction pénale pensée par Yannick BLANDIN, le détournement de sûreté globale198.

    Même si le recours à la sûreté globale n'est pas la piste qui emporte notre conviction, sa réception par le législateur constituerait sans nul doute une amélioration de la situation générale des tiers face à la publicité des sûretés réelles mobilières.

    2. L'assiette extensible et la problématique des biens métamorphes. Du point de vue de la protection des tiers, le principe de l'achat libre de toute sûreté dans le cadre du cours normal des affaires prôné par la CNUDCI, et défendu par Jean François RIFFARD, apparaît comme la solution à privilégier, notamment car elle vocation à s'étendre à toute la matière la ou la solution prônée par Yannick BLANDIN est limité au seul cadre des sûretés sur biens circulants.

    Toutefois si la solution proposée par la sûreté globale à la problématique de l'angle mort de la publicité personnelle a montré ses limites à l'épreuve du temps199, la solution de la suppression du droit de suite grevant les biens acquis dans le cours normal des affaires souffre également des limites d'un cadre restrictif200. La question du droit de suite est loin d'être totalement réglée, car il subsiste en cas d'acquisition hors cadre du cour normal des affaires. En effet, ce n'est pas parce que le créancier acquiert des droits sur le produit de la disposition des biens grevé que ces derniers sont automatiquement libérés de sa sûreté201. Cette précision s'impose, car comme la CNUDCI l'a fait remarquer, tous les actes de disposition du constituant ne donnent pas lieu à la naissance d'un produit. Tel est le cas si le constituant transmet le bien grevé à titre gratuit. Ajoutons que « Dans de nombreux cas, le produit a peu de valeur, voire n'en a pas du tout, pour le créancier en tant que sûreté (par exemple une créance qui ne peut être recouvrée parce que la situation financière du débiteur ne le permet pas)202 ». En outre même si un produit a de la valeur, il peut être dilapidé par le constituant. Dans le même ordre d'idée, « il se peut qu'un autre créancier ait pris une sûreté

    198Les actes entrepris à compter de la défaillance du constituant seraient constitutifs de l'infraction de détournement de sûreté globale . Une infraction que Yannick BLANDIN imagine en ces termes : « L'infraction pénale nouvelle qui pourra être dénommée « détournement de sûreté globale » devra s'inspirer du modèle fourni par l'infraction de détournement de gage » ibid., paragr. 390.

    199Nous avons démontré plus haut que si la sûreté globale via son assiette universalité empêchait la mise sur le marché par le constituant de bien grevé par des droits réels durant toute sa durée, elle perdait cet intérêt lors de sa réalisation. Le gel de l'assiette universalité emportant des conséquences graves pour les sous-acquéreurs sans que ceux-ci aient de réels moyens de s'en informer.

    200Comme évoqué précédemment, la suppression du droit de suite ne concerne que certaines opérations bien définies. À ce propos, la CNUDCI énonce que dans les états qui ont choisi cette approche « lorsqu'une vente de stocks a lieu en dehors du cours normal des affaires du constituant ou lorsqu'elle porte sur un bien autre que des stocks, l'exception ne s'appliquera pas; cette vente n'éteint pas les sûretés », « Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 208, paragr. 67.

    201« Alors que des États ont adopté différentes approches pour concilier les intérêts des créanciers garantis et ceux des personnes achetant des biens grevés aux constituants non dépossédés, la plupart prévoient que la sûreté devrait survivre au transfert même si le créancier garanti peut aussi faire valoir un droit sur le produit », « Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 207, paragr. 64.

    202« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 207, paragr. 63

    sur le produit en tant que bien initialement grevé et soit prioritaire sur ce produit203 » ou que le produit ne soit tout simplement pas identifiable. Finalement, il apparaît que le créancier ne perd son droit de suite que quand le bien grevé est aliéné dans le cours normal des affaires du constituant. Ce qui est tout à fait cohérent, car c'est justement dans ces conditions particulières que le créancier souffre le moins du remplacement204 des biens grevé.

    Malgré ce bémol, tant que l'on se situe dans le cadre l'acquisition dans le cours normal des affaires, les droits réels du créancier garanti sont efficacement confinés au patrimoine du seul débiteur. Piégés par le cycle des aliénations et des extensions successives de l'assiette aux produits, ils ne sont plus en mesure d'inquiéter les tiers qui peuvent dès lors commercer en pleine confiance. Or c'est justement à l'aune de notre capacité à générer confiance et transparence que nous devons évaluer l'efficacité d'un système de la publicité des sûretés réelles mobilières. Toutefois, ce n'est pas parce que la règle de la prise du bien libre de toute sûreté en cas d'acquisition dans le cours normal des affaires résout le problème des tiers confrontés au droit de suite des créanciers garantis dans la plupart des cas que nous ne devons pas nous intéresser au sort de la minorité de tiers qui ne peut pas en bénéficier.

    En effet si l'évidence et le bon sens commandent de protéger celui qui se rend chez le cordonnier pour acheter une paire de souliers, la recherche de la transparence et de l'efficacité commande d'informer l'acheteur d'outillage, le donataire, le légataire205, la foule des créanciers chirographaires et en règle générale tous les autres tiers qui pourraient y avoir intérêts.

    C'est à l'aune de cette exigence que surgit un nouveau problème, un effet secondaire de l'extension de l'assiette au produit des biens grevés. « Le produit pouvant prendre la forme d'un bien d'une autre nature que le bien initialement grevé, il peut alors exister une distorsion entre la description du bien tel qu'elle figure dans l'avis d'enregistrement et le produit sur lequel va porter la sûreté206 ». Autrement dit, les biens, grevés par les droits réels initiaux207, ont vocation à se métamorphoser au gré de l'extension de l'assiette de la sûreté.

    Pour cerner le problème, il suffit de considérer cet exemple fourni par la CNUDCI, « Une personne susceptible d'acheter une trayeuse au constituant ne comprendra pas nécessairement qu'un avis inscrit mentionnant une sûreté sur le matériel agricole mobile (à savoir les biens initialement grevés) couvre également la trayeuse en tant que produit208».

    On touche du doigt la distorsion évoquée par Jean-François RIFFARD, du fait de l'extension de l'assiette au produit et au produit du produit il est fort probable que l'on obtienne rapidement un avis inscrit dont la description n'a plus grand-chose à voir avec les

    203Ibid.

    204L'acquéreur qui achète un bien dans le cours normal des affaires l'achète libre de toute sûreté. Le créancier garanti perd donc ses droits réels sur ces bien initiaux pour en gagner d'autres sur leurs produits. C'est la seule occasion où l'on peut réellement parler de remplacement des biens grevés, toutes les autres devant être analysées comme une pure extension de l'assiette.

    205Ce besoin d'information des donataires et légataires constitue un exemple simple, une donation où un legs pouvant être accompagné de charges, nul ne saurait dénier à ces tiers (qui ont acquis leurs droits hors cadre du cours normal des affaires du constituant) le droit d'être informé correctement vis-à-vis de ce à quoi ils s'engagent.

    206Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle »,op. cit., p. 143.

    207« Raisonner en termes d'assiette de la sûreté et d'extension de celle-ci aux biens venant en remplacement conduit en fait à considérer ces derniers comme des biens futurs, inclus ab initio et de lege feranda dans l'assiette de toute sûreté mobilière », Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle », op. cit., p. 140.

    208« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », p. 132, paragr. 90.

    biens grevés209. Dès lors, aucun tiers ne sera en mesure de s'informer correctement, l'avis obsolète décrivant des biens qui ont déjà quitté le patrimoine du constituant. Une « nouvelle quadrature du cercle » se pose alors en ces termes « Doit-on faire prévaloir l'information des tiers, et la fiabilité du registre en exigeant une réactualisation « en temps réel » de l'information publiée ?210 » ou alors doit-on garantir l'opposabilité d'une sûreté « sur un produit identifiable quand bien même celui-ci se présenterait sous la forme d'un bien non visé dans l'avis d'enregistrement, et ce, au risque de saper les principes qui sous-tendent les règles d'opposabilité ?211 ». Jean François RIFFARD répond à ce dilemme en avançant le compromis retenu par la CNUDCI. Le créancier aura l'obligation d'enregistrer avant un certain délai « un avis de modification de l'enregistrement initial afin de faire apparaître, dans la description des biens grevés, le nouveau produit. À défaut, sa sûreté sur les biens acquis en remploi d'une autre nature que les biens d'origine ou des espèces, deviendra inopposable aux tiers212 ».

    En conclusion, même si l'extension de l'assiette de la sûreté au produit des biens grevés suppose des difficultés, d'aucuns diraient des défis213, en matière de publicité, il nous apparaît impossible de construire un régime efficace de la publicité des sûretés réelles mobilières sans traiter la question de l'angle mort de la publicité personnelle, à minima en ce qui concerne ses effets directs sur le consommateur. À ce propos, Romain BOFFA dénonce avec une pointe d'ironie cette problématique en droit positif actuel : « S'il faudra du temps pour inviter le consommateur de meubles à consulter systématiquement le fichier informatique (du registre), il en faudra encore plus pour lui expliquer qu'il doit subir la sûreté même sans avoir pu la connaître »214. Non seulement un système qui ferait supporter un droit de suite concurrent au sous-acquéreur aveugle à la publicité personnelle ne serait pas efficace, mais il serait de surcroît injuste et inconcevable politiquement et économiquement.

    209Quand l'avis initial décrit les biens grevés et leurs produits futurs de manière habile, la question ne se pose pas. En effet, en formulant l'inscription de manière astucieuse il est possible de la faire durer dans le temps sans qu'elle perde sa faculté à informer correctement les tiers sur la nature et le nombre des biens grevés à un instant T.

    210Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle »,op. cit., p. 144

    211Ibid.

    212Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle »,op. cit., p. 145

    213Outre « Le Défi de la Continuation de la Sûreté et l'Opposabilité aux Tiers » que nous avons évoqué succinctement, Jean-François RIFFARD propose des réponses aux différentes problématiques pratiques qui accompagnent sa solution. Jean-François RIFFARD, « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle », op. cit.

    214Romain BOFFA, « L'opposabilité du nouveau gage sans dépossession », op. cit. paragr. 23.

    - SECONDE PARTIE -

    LE CHOIX DU RÉCEPTACLE : LA GENÈSE DU REGISTRE EFFICACE

    Après avoir plaidé en faveur de l'hégémonie de l'inscription par simple avis, la méthode d'opposabilité la plus efficace à notre sens, nous devons à présent tourner nos efforts vers la construction d'un registre destiné à recevoir toutes les informations dont nous avons démontré l'importance pour les tiers. Dans cette seconde partie nous réaffirmerons les principes forts propres à la substance de la publicité efficace, absence de caractère probatoire, vocation universelle et unitaire. Nous alignerons ces caractères aux traits d'un réceptacle sur mesure qui visera l'accessibilité maximale dans la plus grande simplicité possible. Afin d'accomplir cet objectif, nous évoquerons d'abord les caractères généreux et les besoins d'un registre efficaces dans une sorte de cahier des charges (TITRE 1). Puis nous analyserons le phénomène blockchain pour déterminer si cette technologie particulière peut convenir à notre projet. Nous avancerons méfiants, conscient de l'effet de mode qui accompagne cette innovation. Toujours est-il que la blockchain est une technologie à considérer (TITRE 2).

    - TITRE 1 -

    LES PROPRIÉTÉS D'UN REGISTRE EFFICACE ET LES MOYENS DE LES
    DÉVELOPPER.

    Après avoir identifié quelle publicité nous voulions transmettre aux tiers afin d'assurer l'opposabilité des droits réels. Il convient de s'éloigner de l'appréhension juridique de notre problématique pour s'intéresser à des considérations qui mêlent le droit à des préoccupations plus matérielles. En effet, après avoir énuméré les prérequis fondamentaux de la publicité efficace, à savoir son imperméabilité à la question de la connaissance effective215, sa séparation vis-à-vis du domaine de la constitution de sûreté216, sa vocation à l'information universelle en matière de droit réel grevant des meubles à titre de garantie indépendamment de toute considération notionnelle217, et enfin le rôle crucial de l'inscription par simple avis, véhicule unique de l'information vers son réceptacle218, nous nous demanderons ce qui fait l'essence d'un registre efficace. Car même une information parfaitement sculptée ne saurait remplir son office sans un écrin à la hauteur de ses performances. Autrement dit, en matière de publicité des sûretés réelles mobilière, une publicité parfaitement pensée peut être rendue totalement inefficace par un registre pauvrement conçu. En quête du réceptacle idéal, et en admettant que notre lecteur adhère aux grandes lignes des principes clés de la publicité efficace, nous commencerons par souligner l'absolue nécessité d'un registre totalement informatisé (chapitre 1) avant d'énumérer les trois principes qui feront son efficacité : clarté, simplicité, gratuité (chapitre 2).

    215Voir supra partie 1 titre 1 chapitre 1. Où nous avons pu avancer l'idée qu'une publicité efficace n'avait pas vocation à s'intéresser a des considérations telles que la connaissance effective du tiers afin de produire ses effets d'opposabilité. La question qui doit nous intéresser quand il s'agit de soumettre un tiers à l'opposabilité d'un acte n'est pas de savoir s'il en avait eu subjectivement connaissance. Il faut se demander si objectivement il avait accès à cette information.

    216Voir supra partie 1 titre 1 chapitre 2. Où nous avons souligné l'importance d'une distinction entre les concepts d'efficacité entre les parties et d'efficacité erga omnes. La publicité ayant attrait au domaine de l'opposabilité des conventions et non à la question de leurs validités. Nous avons montré plus haut qu'il fallait par exemple se départir de l'idée que la publicité aurait vocation à apporter la preuve de la constitution d'une sûreté. Cette approche confinant à des formalités d'inscription lourde par le biais de l'enregistrement de la convention de sûreté dans son intégralité étant incompatible avec l'impératif de lisibilité propre à la publicité efficace. Voir supra.

    217Voir supra partie 1 titre 1 chapitre 3. Où nous avons mis en avant l'importance d'une approche globale et unitaire du droit des sûretés quand il est question de publicité. Notre modèle idéal comprendrait une unique sûreté mobilière adaptée à tout type de bien qui serait assortie d'un unique régime de publicité, qui grâce à une approche « englobante » aurait vocation à attirer sous son nom (car tout ce qui aurait fonction de sûreté serait nommé sûreté unique) tout mécanisme qui viendrait à naître a sa suite.

    218Voir supra partie 1 titre 1 chapitre 4. Où nous avons soulevé l'importance des sûretés sans dépossession en matière économique. Des sûretés rendues possibles grâce au principe de l'inscription. Un mécanisme dont il faut promouvoir l'attractivité autrement que par le droit de rétention purement fictif que le législateur a inventé en matière de gage sans dépossession. Enfin, car la publicité efficace ne saurait souffrir d'un véhicule lent et faillible pour la mener à sa destination, le registre, nous avons montré qu'il faut privilégier l'inscription par simple avis sur l'inscription par enregistrement de document.

    - CHAPITRE 1 -

    L'ABSOLUE NÉCESSITÉ D'UN REGISTRE INFORMATISÉ.

    « Le Guide sur les opérations garanties recommande que le fichier du registre (...) soit si possible électronique219 ». Le fait que le registre soit consultable par voie électronique n'a pas besoin d'être débattu. Ce point-là emportant un consensus évident. Plus dure à tenir est la position selon laquelle il faudrait se passer intégralement de tout registre papier. Cela permettrait pourtant de s'épargner la périlleuse tâche de transcrire l'information d'un support à l'autre. De manière générale, il semble temps d'en finir avec l'inefficience du registre papier (Section 1). Un tel bouleversement est envisageable si l'inscription par simple avis évoqué précédemment a été admise comme un préalable nécessaire. Méfions-nous cependant de l'innovation inachevée. En partant de l'exemple critiquable du fichier national des gages sans dépossession (Section 2), nous démontrerons que l'accès à une interface informatique trop limitante n'offre que l'ombre du potentiel d'efficacité que peut avoir un véritable registre informatisé en accès direct tant en lecture qu'en écriture.

    Section 1 : l'inefficience du registre papier.

    Comme le fait remarquer la CNUDCI « Par le passé, les données inscrites devaient être conservées sous forme papier. L'apparition du stockage numérique a cependant facilité l'adoption de bases de données informatisées et considérablement réduit le travail d'administration et d'archivage pesant sur le registre220 ». Aujourd'hui à l'heure d'internet et où l'immense majorité des contribuables déclarent leurs impôts en ligne on voit mal pourquoi il faudrait s'encombrer d'un registre papier. D'autant que la liste des difficultés inhérentes à l'entretien d'un registre papier à elle seul devrait nous enjoindre à nous détourner de cette option. Ainsi, « de toute évidence, les archives électroniques prennent moins de place et sont plus faciles à consulter221 ». Ajoutons que s'épargner le registre papier c'est s'épargner un important volume de transaction postale. Partant de cette analyse les données envoyées au registre devraient toujours être d'ordre électronique. Il ne faut pas qu'il y ait de cassure entre le support des informations fourni au registre et le support des informations que le registre fournit à ses usagers. Grâce au tout numérique, on s'épargne la tâche d'avoir à retranscrire, au risque d'erreurs humaines, l'information d'un support à l'autre. Il ne devrait pas y avoir d'intermédiaires, l'avis inscrit par un créancier garanti devrait être le même avis que celui qui est consultable en temps réel par le tiers. Les inscriptions devraient répondre à des critères formels222 et objectifs gérés pour refuser automatiquement et sans délai les avis non conformes.

    De manière générale, le dispositif du registre papier paraît à bien des égards incompatible avec la quête du registre efficace. Toutefois, il ne faudrait pas surévaluer l'intérêt d'une base de donnée accessible en ligne, cet atout perd beaucoup de ses intérêts s'il n'est pas assorti de la possibilité offerte aux utilisateurs d'accéder directement et par eux-mêmes au registre en écriture et en lecture.

    219« Guide de la CNUDCI sur la mise en place d'un registre des sûretés réelles mobilières », op. cit., p. 34, paragr. 82.

    220« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », op. cit., p. 165, paragr. 38.

    221« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », op. cit., p. 165, paragr. 39.

    222Ces critères tels que le contenu minimal de chaque avis devrait être évalué par des algorithmes intégrés à la blockchains du registre que nous aurons l'occasion de détailler lors du second chapitre du titre 2 de la partie 2.

    Section 2 : L'exemple critiquable du fichier national des gages sans dépossession,

    Selon la CNUDCI, « Un fichier électronique est le moyen le plus efficace et le plus pratique pour les États adoptants d'appliquer la recommandation du Guide sur les opérations garanties selon laquelle ce fichier devrait être centralisé et unifié223 ». Autrement dit, le registre efficace serait une base de données informatisée. En droit positif français, le fichier national des gages sans dépossession est ce qui se rapprocherait le plus de cet idéal. Il n'en demeure pas moins éminemment perfectible, de sorte que nous ne nous inspirerons que très modérément de cet exemple. L'article 9 du décret n° 2006 -- 1804 du 23 décembre 2006 dispose qu'« Il est créé un fichier électronique national sur lequel est mentionnée l'existence des inscriptions prises en application de l'article 2338 du Code civil ».

    Commençons par le premier défaut de ce fichier, le plus évident et le plus facilement remédiable : comment ne pas regretter que le fichier national des gages sans dépossession ne s'attache, comme son nom l'indique, qu'à la seule publicité des gages sans dépossession régis par les articles 2333 et suivant du Code civil ? Quid, entre autres, du gage de stocks, régis par les articles L. 527-1 et suivant du code de commerce ? Ainsi le fichier national des gages sans dépossession a-t-il souffert, dès sa naissance, de la vision octogonale non unitaire du droit des sûretés que nous avons pu aborder plus haut224. Aujourd'hui, il pèche par sa nature lacunaire incapable qu'il est d'informer les tiers en présence d'une sûreté spéciale. Cette imperfection n'est qu'une manifestation parmi tant d'autres du casse-tête de la vision non unitaire de la matière. Toutefois, même en présence d'un droit des sûretés éclaté « une élémentaire logique aurait voulu que l'on crée un registre national pour tous les gages sans dépossession, quels qu'ils soient225 ». A ce propos, sur demande du ministère de la Justice, une commission constituée sous la houlette de l'Association Henri Capitant a entrepris de solutionner ce désagrément. À l'occasion d'un avant-projet de réforme qui s'articule autour des dix points clés, il propose notamment une « amélioration du régime de la publicité des sûretés mobilières par la centralisation de l'inscription de toutes les sûretés mobilières spéciales sur le registre créé par le décret n° 2006-1804 du 23 décembre 2006226 ». Incontestablement, il s'agirait d'un progrès, mais le remède est-il suffisant ? À vrai dire, nous n'en sommes pas convaincus dans la mesure ou le fichier national des gages sans dépossession est affecté d'un second défaut. Un défaut structurel.

    À l'étude des dispositions du décret du 23 décembre 2006, il apparaît que les usagers n'ont jamais eu accès directement au registre contenant l'information relative aux inscriptions des différents gages sans dépossession sur le territoire. S'il se rend sur le site d'information du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce227, l'usager sera face à une simple interface fort limitante dans ses possibilités de recherche. Cette interface est étrangère à la notion de registre efficace entendu sous la forme d'un grand livre accessible à tous en écriture et en lecture comme pourrait le proposer la blockchain. L'article 10 du décret sus-cité dispose que « Le greffier du tribunal auprès duquel un gage est inscrit conformément à l'article 1er reporte par voie électronique sur le fichier prévu à l'article précédent le nom du constituant ainsi que la catégorie à laquelle appartient le bien affecté en garantie. » Quant à

    223« Guide de la CNUDCI sur la mise en place d'un registre des sûretés réelles mobilières », op. cit., p. 34, paragr. 82.

    224Voir supra. Partie 1, Titre 1, Chapitre 3 : L'approche globale et fonctionnaliste de la notion de sûreté 225Pierre CROCQ, « Droit des sûretés », Dalloz, 2008, recueille Dalloz, 2008, p. 2104.

    226Xavier DELPECH, « Propositions de réforme du droit des contrats spéciaux et du droit des sûretés », Dalloz, AJ contrat 2017, p.404.

    227www.cngtc.fr

    lui, l'article 12 dispose que « S'il existe des inscriptions prises au nom du constituant sur le bien décrit, le Conseil national en informe le demandeur et lui indique le greffe compétent pour obtenir, à ses frais, la délivrance de l'état de ces inscriptions ». À la lecture combinée de ces deux articles, il faut conclure que l'usager qui visite le site n'a pas la possibilité d'écrire sur le véritable registre. Cette prérogative étant réservée aux greffiers malgré la charge de travail inutile que cela implique. L'usager ne peut pas non plus consulter le véritable registre, tout juste a il accès gratuitement à une copie lacunaire. Ce système pose plusieurs problèmes, d'une part si la CNUDCI met en garde contre le registre papier c'est notamment pour éviter le risque d'erreur lié au processus de la transcription228. En l'espèce, le fichier n'a que l'apparence d'un registre informatisé, car il est issu en substance d'un support papier. Dès lors, la transcription opérée par les greffes des tribunaux de commerce apparaît comme une étape inutile lors de l'inscription et la nécessaire demande de consultation payante qui suit apparaît comme une étape inutile lors de la consultation. En somme, les greffes se sont immiscées entre l'utilisateur et son registre ce qui ne saurait être la fonction d'un conservateur efficace229.

    Pour ce qui est du caractère onéreux de la « délivrance de l'état de ces inscriptions », il nous apparaît que ce surcoût n'existe que parce que le fichier des gages sans dépossession n'a pas su se détacher de son support papier et de l'inscription par enregistrement de documents. Le registre efficace devrait donner libre accès aux avis inscrits dans leurs intégralités, et cela potentiellement gratuitement. La gratuité d'utilisation et le financement par la publicité commerciale étant la norme sur internet, il nous semble intéressant de creuser ces pistes quant au financement du registre230.

    Entre autres limitations, soulignons que quiconque souhaitant s'informer de la situation patrimoniale d'un particulier, afin de jauger sa capacité à honorer ses obligations par exemple, doit impérativement connaitre la date de son anniversaire231 ! L'article 11 b) du décret de 2006 dispose que « Pour consulter le fichier national, le requérant indique les éléments suivants : (...) S'il s'agit d'une personne physique non-commerçante ou d'un constituant à titre non professionnel : ses nom, prénoms, date et lieu de naissance et son domicile ». Or si la CNUDCI admet la possibilité d'ajouter la date de naissance dans l'avis d'inscription de la sûreté afin de parer à l'hypothèse où plusieurs constituants du même nom auraient grevé des biens similaires elle ajoute évidemment que « Le Guide sur les opérations garanties ne recommande cependant pas d'utiliser ces informations complémentaires comme critère de recherche232 ». Dans le même ordre d'idée, il faudra impérativement connaitre la

    228À propos de l'usage d'un registre informatisé la CNUDCI affirme que « Cette approche est le moyen le plus efficace de donner suite à la recommandation du Guide sur les opérations garanties selon laquelle le système devrait être conçu pour réduire au minimum le risque d'erreur humaine (...), puisqu'elle dispense le personnel du registre de saisir dans le fichier du registre les informations figurant sur un avis papier et élimine ainsi le risque d'erreur lié à la transcription. », « Guide de la CNUDCI sur la mise en place d'un registre des sûretés réelles mobilières », op. cit., p. 34, paragr. 83.

    229La CNUDCI rappelle que « L'accès direct réduit considérablement les frais de fonctionnement et de maintenance du système », « Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », op. cit., p. 165. Il ne semble pas y avoir de bonne raison à empêcher les usagers d'accéder directement au registre, surtout quand on s'attarde sur le caractère dissuasif des sanctions relatives aux inscriptions erronées ou malveillantes que nous avons pu évoquer plus haut. Dans le même ordre d'idée, « L'accès électronique direct élimine notamment tout délai entre la soumission d'un avis au conservateur du registre et la saisie effective dans la base de données des informations contenues dans l'avis ».

    230Voir infra,

    231Avec le système de publicité personnelle proposé par le fichier national des gages sans dépossession il est impératif de connaître la date de naissance complète du constituant personne physique pour pouvoir l'identifier et ainsi procéder à une recherche.

    232« Guide de la CNUDCI sur la mise en place d'un registre des sûretés réelles mobilières », op. cit., p. 74,

    ville de naissance du constituant-personne physique. Il existe bien une fonction « rechercher dans le site pour renseigner automatiquement le formulaire », mais elle ne permet que de substituer un numéro SIREN/SIRET à la rubrique problématique ce qui ne sera d'aucun secours si le constituant est un non professionnel. S'il faut bien admettre que cette hypothèse est marginale, on ne comprend pas pourquoi le fichier ne serait pas assorti d'un moteur de recherche capable de fournir les différents avis correspondant à un nom et à un prénom.

    Outre les difficultés relatives au formulaire destiné à identifier le constituant, le site exige que l'usager renseigne la « catégorie de bien gagé ». L'article 11 2 ° du décret de 2006 dispose que : « Pour consulter le fichier national, le requérant indique les éléments suivants : Sur le bien : la catégorie à laquelle le bien appartient par référence à la nomenclature prévue au 6 ° de l'article 2. Chaque consultation ne peut porter que sur une même personne et une même catégorie de biens ». Une fois encore on comprend mal pourquoi une même consultation ne devrait renseigner que sur une catégorie de bien. Pourquoi serait-il impossible d'avoir une vue d'ensemble des droits grevant le patrimoine du constituant ? Ce genre d'information peut évidemment intéresser n'importe quel créancier chirographaire. C'est à croire que le fichier n'a été pensé que pour les tiers désireux d'acquérir des droits sur des biens potentiellement grevés. Or nous avons démontré que la notion de tiers intéressé par la publicité des sûretés mobilières était bien plus vaste que cela. Enfin, on ne peut pas croire que cette limitation ait été placée à dessein233, car il demeure possible pour qui s'arme de patience d'effectuer une recherche pour chacune des 18 catégories de bien afin de se faire une image globale des engagements pris par le constituant. Cette tâche étant particulièrement fastidieuse on peut s'interroger quant à l'opportunité du développement d'une application mobile qui effectuerait automatiquement ces 18 recherches afin d'en fournir une synthèse à son utilisateur.

    En conclusion, le registre efficace devrait à notre sens être conçu comme un registre purement informatisé. Il ne devrait pas exister de base de données qui fournit une information lacunaire et difficile d'accès aux usagers, le registre devrait lui-même être cette base de données. Quand on considère le principe de base de l'inscription par simple avis on voit décroitre l'importance du support papier. En effet si le système du fichier national des gages sans dépossession souffre des défauts que nous lui avons trouvés, c'est entre autres choses parce que toutes inscriptions supposent l'enregistrement de l'acte original constitutif de la sûreté. Tant que l'inscription par enregistrement de document sera privilégiée, le registre ne pourra se départir de l'image d'une étagère poussiéreuse croulant sous les dossiers épais. La modernité commande un registre accessible en lecture et en écriture par tous, cela ne devrait choquer personne dans la mesure où nous avons déjà établi que l'inscription ne doit pas avoir pour vocation de prouver l'existence d'une sûreté. Afin d'aboutir à une réelle dématérialisation du registre, nous devons nous lancer sur la piste de la Blockchain, un mode de certification qui brille par sa capacité à se passer d'intermédiaire. Saura-t-elle générer un registre capable de minimiser le rôle des conservateurs pour que les utilisateurs aient enfin accès à une consultation et une inscription direct à moindre coût ?

    paragr. 167.

    233Afin de s'assurer que chacun ne prenne que les informations qui l'intéressent directement, afin que les affaires du constituant ne soient pas exposées au vu de tous par exemple.

    - CHAPITRE 2 -

    PRINCIPES D'UN REGISTRE EFFICACE

    En tant que support d'une publicité efficace, le registre idéal doit répondre à plusieurs impératifs. Ces performances doivent refléter les qualités que nous avons cherché à insuffler à la publicité. Ainsi le réceptacle sera le catalyseur de la substance et l'efficacité de la publicité sera renforcée par les qualités de son contenant. Ainsi l'indexation des avis devra briller par sa clarté (Section 1). Les règles de résolutions des conflits de priorité devront viser la plus grande simplicité (Section 2) et en règle générale le registre devra viser la plus faible onérosité si ce n'est l'autosuffisance (Section 3).

    Section 1 : Clarté : la question de l'indexation des avis.

    1. Indexation en considération de la personne du constituant : méthode principale. Nous avons eu plus haut l'occasion d'affirmer que la plus grande part de la publicité des sûretés réelles mobilière ne pouvait être faite que sous la forme d'une publicité personnelle. C'est-à-dire une publicité où l'information publiée dans l'avis serait associée au nom du constituant. Autrement dit, un avis contient l'identité du constituant, qu'il soit personne physique ou morale, et le détail du droit réel qu'il a consenti sur un de ses bien. Toutefois, une convention de sûreté comprend au minimum deux parties, un constituant et un créancier garanti. Dès lors, on pourrait aussi qualifier de publicité personnelle la tenue d'un registre qui détaillerait les garanties dont un créancier peut espérer bénéficier. Néanmoins, nous devons nous garder de cette forme de publicité personnelle, car elle a le défaut majeur de nuire au respect d'une certaine confidentialité. Ainsi la CNUDCI nous met elle en garde, « Permettre au public d'effectuer ce type de recherche (en fonction du créancier garanti) pourrait être contraire aux attentes raisonnables des créanciers garantis en matière de confidentialité 234». La commission développe avec un exemple très simple « un fournisseur de crédit pourrait effectuer une recherche sur la base de l'identifiant du créancier garanti pour obtenir les listes de clients de ses concurrents 235». Ainsi la CNUDCI recommande que le créancier garanti soit identifié dans l'avis d'inscription, tout en précisant que cette donnée ne doit jamais constituer un critère de recherche accessible au public236.

    Nous avions évoqué plus haut le principal défaut de la publicité personnelle. Nous avions qualifié cette difficulté d'« angle mort de la publicité personnelle ». En bref, tout sous-acquéreur qui n'a aucun lien avec le constituant est incapable d'effectuer une recherche efficace et se retrouve dès lors dans la situation de tiers aveugle à la publicité. Évoquons à présent une forme de publicité exempte de ce défaut, la publicité réelle.

    2. Indexation en considération de certains biens grevés : méthode complémentaire. Là où l'émission d'une publicité personnelle correspond à un registre où les indexations des avis seraient faites en fonction de l'identité de chaque constituant, la publicité réelle propose à l'inverse d'entrer l'identifiant d'un bien en guise de critère de recherche. Cette forme de publicité est de loin la plus agréable pour le sous-acquéreur qui, s'il veut s'assurer qu'un bien n'est pas grevé, a simplement à entrer son numéro de série ou tout autre identifiant afin de

    234« Guide de la CNUDCI sur la mise en place d'un registre des sûretés réelles mobilières », op. Cit., p. 118., paragr. 267.

    235Ibid.

    236« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », op. cit., p. 177, paragr. 81.

    lancer une recherche. En général, on affirme que ce registre est traditionnellement réservé aux biens de grande valeur. C'est généralement vrai, mais il y a d'autres critères à prendre en compte. La dangerosité de certains biens a souvent tendance à forcer le législateur à les individualiser pour procéder à leurs répértoriation. On peut prendre l'exemple évident des armes à feu qui possèdent toutes un numéro de série. Chacun admettra que la valeur d'un fusil est sans commune mesure avec le prix d'un navire ou d'un aéronef qui sont les exemples les plus cités de registre spécial basé sur une publicité réelle. Pourtant les armes, grand classique des boutiques de prêt sur gage aux états unis, sont des biens qui pourraient sans problèmes être incorporés à un registre par l'indexation de leurs numéros de série. Il en va de même pour les moteurs et de nombreuses pièces détachées automobiles qui du fait des exigences en matière de sécurité doivent être facilement traçables et identifiables.

    C'est pourquoi afin de combler les lacunes de la publicité personnelle et afin de faciliter l'usage du registre, nous recommandons qu'une indexation des avis basés sur les biens soit ajoutée chaque fois que cela est possible. Autrement dit, chaque fois qu'un bien est facilement identifiable, pour quelque raison que ce soit (souvent il sera question de logique de sécurité et de traçabilité), ce bien devrait faire l'objet d'une indexation réel en sus de l'indexation personnelle. Ainsi un usager du registre qui aura les caractéristiques techniques d'un bien sous ses yeux, ou qui tiendra ce bien entre ses mains, sera capable d'effectuer une recherche par numéro de série sur son smartphone en quelques secondes sans avoir à se soucier de la personne du constituant.

    Pour l'heure, la majorité des registres fondés sur une indexation réelle sont des registres spéciaux destinés à des bien spéciaux. On peut citer l'exemple des immeubles qui sont soumis aux obligations particulières de la publicité foncière. Or quand on évoque la question des meubles qui peuvent être attachés à des immeubles, on comprend rapidement comment ces différents registres peuvent se chevaucher. Dans le même ordre d'idée, un navire pourrait faire l'objet d'une inscription dans un registre spécial et dans le registre global des sûretés réelles mobilières. Ainsi un registre efficace doit avoir pour objectif une répartition et une priorisation harmonieuse de l'information entre le domaine du spécial et le domaine du général. À ce sujet, la CNUDCI précise que « La coordination soulève des problèmes complexes, notamment si le registre spécialisé utilise un système d'inscription par bien plutôt que le système d'indexation par constituant du registre général des sûretés recommandé dans le Guide sur les opérations garanties237 ». Le premier réflexe pourrait être de recommander une approche unitaire, et donc une suppression des registres spéciaux au profit d'une convergence des inscriptions vers le registre général. Cependant, cette piste doit être écartée, car bien souvent les registres spéciaux ne poursuivront pas les mêmes objectifs que le registre général des sûretés réelles mobilières. Ainsi la CNUDCI souligne que « Ces registres spécialisés ont généralement des objectifs plus larges, que la simple publicité des sûretés sur les biens concernés, notamment l'enregistrement de la propriété ou des transferts de propriété238 ». Dès lors, parce qu'il a pour simple vocation d'informer les tiers, contrairement aux régimes spéciaux destinés à apporter la preuve de la propriété (ce qui suppose une inscription par enregistrement de document très lourde et à valeur probatoire) il semble sage de se plier aux recommandations de la CNUDCI en matière de priorité des droits inscrits dans ces différents types de registres. Ainsi la CNUDCI « recommande d'accorder la priorité aux

    237« Guide de la CNUDCI sur la mise en place d'un registre des sûretés réelles mobilières », op. cit., p. 26, paragr. 66.

    238« Guide de la CNUDCI sur la mise en place d'un registre des sûretés réelles mobilières », préc., p. 16, paragr. 37.

    droits d'un acheteur ou autre bénéficiaire d'un transfert concernant lesquels un avis a été inscrit dans le registre spécialisé par rapport à une sûreté concernant laquelle un avis a été inscrit dans le registre général des sûretés239 ».

    Section 2 : Simplicité : la question de la priorité des droits.

    La question de la priorité est indissociable de la notion d'opposabilité bien qu'il ne faille pas les confondre. Commençons par une définition du champ d'application des règles de la priorité des droits qui nous intéressera au cours de cette section, ensuite il sera temps d'examiner les difficultés de la relation opposabilité/priorité.

    1. Définition des règles de priorité et délimitation de leurs champs d'application. « Le concept de priorité est au coeur de tout régime efficace en matière d'opérations garanties240 ». La CNUDCI définit les dispositions relatives au concept de propriété par leurs fonctions. Ainsi les normes relatives à la priorité en matière de sûreté réelle mobilière sont « Le principal moyen par lequel les États résolvent les conflits entre les droits de différents réclamants concurrents sur les biens du constituant241 ». Elle poursuit en décrivant plus particulièrement le contenu de règles de priorité et leurs conséquences juridiques, elle évoque « un ensemble de principes et de règles qui définissent la mesure dans laquelle un créancier garanti peut jouir des effets économiques de sa sûreté sur un bien grevé du constituant par préférence à tout autre réclamant concurrent qui tient ses droits de ce même bien242 ». Nous avons vu précédemment qu'il pouvait tout à fait exister simultanément différents droits réels grevant un même bien au bénéfice de créanciers différent. Permettre l'existence de cette situation est même un critère de la réussite d'un système de publicité des sûretés mobilières. En effet si le système fourni est assez efficace en matière de transparence, il sera possible d'exploiter toute la valeur d'un bien en l'affectant à la garantie de plusieurs créances. Cet achèvement n'est pas une mince affaire Pour obtenir un tel résultat il faut que le système de publicité fournisse aux créanciers garantis des données exactes et précises sur le rang des droits des autres. Comme nous avons pu le montrer précédemment c'est uniquement comme cela que de nouveaux créanciers garantis seront suffisamment rassurés pour venir se greffer en aval des rapports entre le constituant et un premier créancier garanti243.

    Nous n'évoquerons pas le cas des ordres juridiques qui ne « traite pas directement du rapport entre les divers créanciers d'un débiteur, mais uniquement du rapport entre le débiteur et un créancier particulier244 ». Car dans la grande majorité des états « le droit des relations entre débiteurs et créanciers a une portée plus large et prévoit aussi plus explicitement la manière dont doivent être régies les relations entre l'ensemble des créanciers d'un débiteur245 ». À notre sens, cette approche doit être saluée en raison de la vision d'ensemble qu'elle apporte. Les droits d'un créancier ayant forcément des conséquences sur les droits d'un autre dans le cadre limitatif du patrimoine d'un unique débiteur, il est bon que le droit se montre réaliste et pragmatique en envisageant cet état de fait. C'est cette approche qui sous-tend la nécessaire discipline collective imposée au

    239Ibid.

    240« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », préc., p. 191 paragr. 1.

    241Ibid.

    242Ibid.

    243Voir supra.

    244« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », op. cit., p. 191, paragr. 2.

    245Ibid.

    créancier en cas de procédure collective. En France, l'article 2285 dispose ainsi que « Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s'en distribue entre eux par contribution, à moins qu'il n'y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence ». Retenons qu'une convention de sûreté est précisément une cause légitime de préférence, ainsi le créancier garanti prévoyant se voit-il accorder le droit de tirer son épingle du jeu en cas d'insolvabilité du débiteur. Toutefois, il est fort probable qu'il ne soit pas le seul à avoir voulu se ménager une garantie. Ainsi « Certains définissent ce concept (la priorité) de manière assez restrictive en ce qu'ils ne l'utilisent qu'en cas de concurrence entre les réclamants qui ont obtenu une préférence en rompant avec le principe d'égalité des créanciers246 ». Cette approche, retenue en droit positif national, ne nous satisfait pas tout à fait. En effet, « la concurrence opposant d'autres réclamants qui ne revendiquent pas de droits sur un ou plusieurs biens appartenant au débiteur (notamment les vendeurs réservataires et les acquéreurs ultérieurs d'un bien du débiteur) n'est normalement pas qualifiée de conflit de priorité247 ». Or comme nous avons pu vanter les mérites d'une approche unitaire du droit des sûretés, nous devons tirer les conséquences de nos propres recommandations. Ainsi faut-il à notre sens, conformément aux recommandations de la CNUDCI, considérer comme relevant des dispositions relatives à la priorité des droits réels tout droit pouvant être amené à entrer en concurrence sur un même bien. Autrement dit, il ne faut pas envisager la question de la priorité uniquement en analysant les relations entre créanciers garantis, mais il faut également analyser la situation du tiers acquéreur comme celle d'un demandeur concurrent à qui il faut attribuer un rang.

    Partant de ce postulat, la situation de tout créancier qui peut avoir un droit sur les biens du constituant doit être interrogée et incluse dans une théorie unique de la priorité. Ainsi il sera ici question de la situation du vendeur avec réserve de propriété, de la situation du crédit bailleur, etc. Une chose est sûre un régime efficace de la priorité des droits en matière de sûreté réelle mobilière ne peut pas faire d'impasse s'il entend s'accorder à une approche unitaire de la matière. La CNUDCI recommande que « si un créancier cherche à obtenir une préférence par contrat pour passer outre au principe du gage commun ou à celui de l'égalité des créanciers, l'accord sera considéré comme donnant naissance à une sûreté et les droits des réclamants concurrents seront traités dans le cadre d'un conflit de priorité ». Ainsi semble-t-il essentiel d'en finir avec la figure de propriété sûreté surplombant les conflits de priorité. De toute façon, comme nous avions pu le souligner quand nous avons évoqué l'approche unitaire248, les intérêts en présence249 sont trop importants pour que le législateur laisse ce genre de mécanisme braver toutes les règles imposées aux autres sûretés.

    2. La nuance entre ordre des opposabilités et ordre des priorités. La première règle en matière de priorité doit briller par sa simplicité. À ce propos Jean-François RIFFARD énonce que « la CNUDCI fait sienne le principe « prior tempore, potior jure » en disposant

    246« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », op. cit., p. 191, paragr. 6.

    247Ibid.

    248Voir supra.

    249Si le créancier garanti rêve de la sûreté parfaite sous les traits d'une propriété sûreté pour déjouer la concurrence de ses pairs, il doit cependant comprendre que cette aspiration n'est pas tenable collectivement. Si une sûreté prend le pas sur les autres, car elle se soustrait au dispositif encadrant la priorité des droits elle sera plébiscitée par l'ensemble des créanciers, annulant par la même occasion l'avantage individuel qu'ils auraient pu en retirer. Cette escalade en termes de compétitivité entre sûretés ne pourra, sur le long terme, que nuire aux règles des procédures collectives. Or ces procédures sont essentielles à la santé économique du pays. Voilà pourquoi on ne peut que s'attendre à ce que les propriétés sûreté trop virulentes soient sanctionnées par le législateur ou la jurisprudence qui se garderont bien de faire jouer à la propriété tous les effets qu'elle devrait pourtant avoir. En matière de procédure collective, nécessité fait loi.

    que la priorité entre des sûretés concurrentes sur un même bien est déterminée en fonction de l'ordre d'inscription au registre des sûretés mobilières ou de l'ordre dans lequel ces sûretés sont rendues opposables selon ce qui intervient en premier250 ». Le principe est tout aussi juste qu'efficace. Toutefois, nous devons lui apporter quelques précisions. Premièrement, il apparaît que l'ordre chronologique des inscriptions ne correspond pas tout à fait à l'ordre chronologique de la priorité des droits. Deuxièmement, il ne faudrait pas se laisser aller à confondre simplicité et simplisme. Cette première règle « prior tempore, potior jure » doit nécessairement être tempérée d'exceptions qui peuvent être justifiées tant politiquement qu'économiquement.

    La CNUDCI ne reconnaît pas l'inscription comme seule méthode d'opposabilité. Dès lors si l'on adopte cette approche l'ordre chronologique des inscriptions ne doit pas être confondu avec l'ordre chronologique de la priorité des droits. En effet dans ce système un créancier garanti qui utilise des méthodes d'opposabilité telles que la mise en possession ou la prise de contrôle peut tout à fait avoir un droit d'un rang supérieur à celui du créancier qui enregistrera le premier avis relatif à un bien donné sur le registre.

    Même si nous ne souhaitons pas la suppression de la dépossession ou de la prise de contrôle en tant qu'emprise matérielle sur les biens grevés (ces mécanismes apportant des effets particuliers que les créanciers peuvent légitimement rechercher). Nous avons déjà eu l'occasion de remettre en cause leur efficacité en matière de publicité. Afin que d'un seul regard sur le registre, n'importe quel utilisateur puisse connaître l'ensemble des droits réels grevant un meuble, nous recommandons que les sûretés avec dépossession fassent également l'objet d'une inscription obligatoire. Autrement dit, l'inscription sur le registre serait la seule manière de prendre rang. Si l'on suppose une inscription facile et gratuite251, cette disposition n'aggrave pas sérieusement la situation des créanciers garantis bénéficiant d'une sûreté avec dépossession. Cette mesure aurait le mérite de rompre avec le caractère lacunaire des informations sur l'opposabilité et la priorité que le registre devra souffrir tant qu'il existera d'autres méthodes d'opposabilité que l'inscription.

    Cependant même si on admet l'inscription comme unique méthode d'opposabilité, le premier créancier à rendre sa sûreté opposable aux autres ne sera pas nécessairement le premier créancier en termes de rang. En effet, ce serait sans compter sur la problématique de la perte d'opposabilité. À ce sujet, nous nous accordons à l'avis de la CNUDCI selon lequel « La loi devrait prévoir que, si une sûreté réelle mobilière perd son opposabilité à un certain moment, cette opposabilité peut être rétablie, auquel cas elle prend effet à compter de la date à laquelle elle est rétablie252 ».

    Si nous avons clairement exprimé le souhait de voir les propriétés sûreté traitées de la même manière que tous les mécanismes qui pourrait être rangé sous la notion unitaire de sûreté, il nous faut cependant reconnaître qu'un système de priorité chronologique qui ne connaîtrait aucune exception serait à la fois inefficace et injuste. En effet, certaines raisons motivées par des considérations politiques ou économiques s'imposent nécessairement à un système de priorité. Ainsi on imagine mal un système ou les salariés seraient mis au même rang que les créanciers chirographaires. La raison de cette exception est éminemment politique pour ne pas dire morale. Dans le même ordre d'idée, bien que plus discutable, on retrouve les privilèges légaux du fisc. Obéissant à des considérations économiques le guide

    250Jean-François RIFFARD, « L'harmonisation internationale des droits des sûretés mobilières : ne ratons pas le train ! », préc., paragr. 15.

    251Voir infra., partie 2, titre 1, chapitre 2, Section 3 : faible onérosité, la question du financement.

    252« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », op. cit., p. 152, paragr. 47.

    fait deux exceptions majeures qui retiendront plus longuement notre intérêt. Le premier privilégié est le « créancier garanti finançant l'acquisition253 » une figure que le guide défini comme « le créancier garanti titulaire d'une sûreté réelle mobilière en garantie du paiement d'une acquisition254 ». L'idée derrière ce terme est que le constituant a besoin d'investir pour pérenniser son activité, et que les prêteurs qui entendent l'aider doivent bénéficier de garanties supplémentaires en raison de l'utilité économique de cette opération. Dans l'approche non unitaire, cet objectif est atteint, notamment en droit français, par l'instrumentalisation de la propriété à des fins de garantie. Ainsi le créancier garanti finançant l'acquisition sera souvent en droit positif national le créancier bénéficiaire d'une réserve de propriété sur la chose ou un crédit bailleur. Comme nous souhaitons que les propriétés sûreté affrontent les règles de priorité sur un pied d'égalité avec les sûretés traditionnelles, nous devons prévoir une nouvelle façon d'inciter les prêteurs à financer les acquisitions de leurs constituants. En termes de solution, le guide propose d'accorder au créancier garanti finançant l'acquisition « une super-priorité lui permettant de primer tout autre créancier ayant antérieurement rendu opposable une sûreté sur biens futurs, à condition qu'il enregistre un avis dans un certain délai à compter de la vente255 ».

    La deuxième figure bénéficiant d'une exception notable au principe de la priorité chronologique des droits est l'acquéreur dans le cours normal des affaires. Cette deuxième exception dont nous avons eu l'occasion de vanter les mérites en matière de lutte contre les lacunes de la publicité personnelle se justifie pleinement économiquement, car elle correspond aux attentes raisonnables des parties. Elle se justifie tellement qu'on peut reprocher à la CNUDCI de ne pas lui avoir donné sa pleine mesure. En effet « Selon le Guide, l'acheteur de marchandises dans le cours normal des affaires du constituant va prendre le bien libre de toute sûreté, quand bien même elle lui serait opposable, à moins qu'il n'ait eu connaissance au moment de la vente que celle-ci violait les droits du créancier garanti256 ». Voilà une distinction subtile avec la notion de connaissance effective ! L'acheteur dans le cours normal des affaires prendrait donc les marchandises libres de toute sûreté même s'il a connaissance d'une convention de sûreté les affectant, mais pas s'il a conscience que cette même convention interdisait au créancier de disposer des biens. Nous ne pouvons nous ranger à cette approche qui laisse supposer que la CNUDCI n'a pas tiré toutes les conséquences de ses arguments relatifs à la difficulté d'établir la connaissance de ce genre de faits. Ainsi considérerons-nous que cette précision constitue une inutile complication du système de la priorité des droits dont il faudrait ne pas tenir compte257.

    Section 3 : faible onérosité, la question du financement.

    La CNUDCI traite la question du financement dans son guide dédié au registre, elle commence en énonçant un principe qui fera sans nul doute consensus : « Le Guide sur les opérations garanties recommande que les frais d'inscription et de recherche soient fixés non pas pour générer des revenus pour l'État adoptant, mais seulement pour permettre le

    253« Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », op. cit., p. 10.

    254Ibid.

    255Jean-François RIFFARD, « L'harmonisation internationale des droits des sûretés mobilières : ne ratons pas le train ! », préc., paragr. 15.

    256Jean-François RIFFARD, « L'harmonisation internationale des droits des sûretés mobilières : ne ratons pas le train ! », préc., paragr. 16.

    257À ce propos, Jean-François RIFFARD écrit : « On peut regretter cette dernière précision. À notre sens, il aurait été plus judicieux de prévoir qu'un tel acheteur prend toujours les biens libres de toutes sûretés », Jean-François RIFFARD, « L'harmonisation internationale des droits des sûretés mobilières : ne ratons pas le train ! », préc., paragr. 16.

    recouvrement des coûts258 ». Nous nous accordons à l'avis de la CNUDCI sur ce premier point. La vocation du guide n'est absolument pas lucrative. Du moins, pas directement. Car nous sommes convaincus qu'en participant à générer de la confiance le registre efficace des sûretés réelles mobilières ne pourra qu'aider au développement de l'économie. Ce qui ne manquera pas de générer des revenus fiscaux en dernier ressort. Or comme « des frais et taxes excessifs décourageront dans une large mesure l'utilisation du registre259 », nous devons viser la gratuité de ses services ou à minima en réduire le coût autant que faire se peut. Afin d'atteindre cet objectif très ambitieux, nous accuseront nos recommandations sur deux points : la rationalisation et la minimisation des dépenses, et les opportunités de financement autonome accessible au registre.

    1. La rationalisation et la minimisation des dépenses. Le registre entièrement informatisé que nous avions plébiscité n'est pas uniquement avantageux en termes de fiabilité ou d'accessibilité, il trouve également sa raison d'être du point de vue du financement du registre. En effet, la CNUDCI admet que « Les progrès de l'informatique ont réduit l'écart entre le coût de la mise en place d'un registre électronique et d'un registre papier ». Elle poursuit en affirmant que « les coûts de fonctionnement d'un fichier électronique sont inférieurs, en particulier si le système de registre permet aux créanciers garantis et aux personnes effectuant des recherches de soumettre directement des avis et des demandes de recherche par voie électronique, sans passer par le personnel du registre260 ». Nous nous rangeons à l'avis de la commission sur ce dernier point, a notre sens un registre informatisé qui ne prévoirait pas une interface permettant un accès direct perdrait finalement l'essentiel de sa raison d'être.

    Nous aurons l'occasion de développer plus en avant ce deuxième point, mais notons pour l'heure qu'avec la technologie blockchain nous renforcerons l'intérêt que la commission prête au registre informatisé. En effet si le passage d'un registre papier à un registre électronique est l'occasion d'une économie de main d'oeuvre, le passage d'un registre informatisé à un registre distribué via la blockchain représente une nouvelle étape dans cette voie. Après avoir créé la blockchain, dont les greffes des différents tribunaux de commerce pourraient être autant de noeuds, il n'y aura quasiment plus besoin de personnel à proprement parler pour faire vivre le registre.

    Une fois les coûts réduits à leurs stricts minimums il semble envisageable de les couvrir via la méthode d'auto financement que nous avons à l'esprit.

    2. Les opportunités d'auto financement du registre. Nous ne devons pas perdre de vue que le registre global des sûretés réelles mobilières que nous envisageons disposera d'un monopole sur un double service essentiel. À la fois, support de l'information offerte aux tiers et réceptacle des inscriptions (Méthode majoritaire sinon unique d'opposabilité si l'on s'en tient aux recommandations que nous avons pu formuler261), le registre sera l'outil indispensable à un nombre croissant d'acteurs économiques. Partant de cet état de fait et en considérant la nature totalement électronique du registre que nous proposons262, il semble pertinent d'interroger l'opportunité d'un financement via un modèle de publicité commercial

    258« Guide de la CNUDCI sur la mise en place d'un registre des sûretés réelles mobilières », op. cit., p. 123,

    paragr. 274.

    259Ibid.

    260« Guide de la CNUDCI sur la mise en place d'un registre des sûretés réelles mobilières », op. Cit., p. 123

    paragr. 275.

    261Voir supra., partie 1, titre 1, chapitre 4, section 1 : L'inscription plutôt que la dépossession.

    262Voir supra., partie 2, titre 1, chapitre 1 : L'absolue nécessité d'un registre informatisé.

    identique à celui qui a pu faire la fortune du géant Facebook. Le site internet servant d'interface au registre sera une vitrine idéale pour tous les préteurs qui pourront y diffuser leurs offres de financements avec la certitude qu'elles seront visionnées quotidiennement par un public intéressé. Cet exemple d'agent économique intéressé par une publicité commerciale qui aurait le registre en support est des plus simpliste, outre les prêteurs professionnels, la liste des agents économiques qui pourront financer le registre en échange d'une telle visibilité est sans fin.

    Afin d'augmenter le rendement de ce modèle, il est tout à fait possible d'opérer une personnalisation de la publicité proposée à chaque utilisateur du registre. Si un ancien constituant s'identifie pour effectuer une recherche relative aux potentiels engagements consentis par un futur partenaire commercial, il sera aisé de lui proposer des publicités lui proposant l'acquisition de bien de la même nature que ceux qu'il avait grevés autrefois. Dans le cadre d'une inscription d'avis comme dans le cadre d'une recherche, il y aurait un ou plusieurs bandeaux publicitaires destinés au financement du registre. Ce modèle à la base d'une majorité des services disponibles sur internet a déjà fait la preuve de sa rentabilité.

    Dans le même ordre d'idée, si nous préconisons que les services du registre soient accessibles à tous, tant en inscription qu'en recherche, nous envisageons également la création d'une version payante. Cette version du registre accessible via la souscription d'un abonnement serait exempte de publicité et offrirait d'autres avantages. Notamment l'accès à une application mobile qui serait créé en même temps que le registre lui même. Il y a certainement un intérêt à pouvoir accéder au registre partout sans avoir besoin de s'encombrer d'un ordinateur, ce qui peut être particulièrement pratique pour s'informer en temps réel des droits grevant un meuble lors d'une négociation sur le terrain.

    -TITRE 2 -

    L'INNOVATION TECHNOLOGIQUE A CONSIDÉRÉ : DE LA BLOCKCHAIN
    AUX BLOCKCHAIN.

    Après avoir asséné que l'efficacité en matière de publicité des sûretés réelles mobilières se ferait via la création d'un registre entièrement informatisé ou ne se ferait pas, nous nous apprêtons à livrer bataille contre les machines. Puissions-nous percer le secret de leurs lignes de codes grâce au glaive de l'interdisciplinarité. Notre quête commencera par une approche générale de la notion de blockchain, nous relativiserons les propriétés de cette pierre philosophale, à laquelle les juristes prêtent toutes les vertus, en nous demanderons si une simple base de données ne pourrait pas remplir nos objectifs (CHAPITRE 1). Enfin, si la Blockchain publique nous fera défaut, nous ne désespérerons pas de trouver réponse à nos exigences d'efficacité via l'inspirant projet de blockchain privé porté par les greffes des tribunaux de commerce (CHAPITRE 2).

    - CHAPITRE 1 -

    L'APPORT DE LA TECHNOLOGIE BLOCKCHAIN

    Il est nécessaire de placer un cadre théorique des plus basique avant de s'interroger quant au potentiel de la blockchain. En effet, les blockchains sont si nombreuses, la renommée de certaine est si écrasante que l'on peine à se figurer à quoi peut bien ressembler cette technologie dans son plus simple appareil. Notre première section sera l'occasion de poser une théorie générale de ce qu'est une blockchain (Section 1) en l'opposant aux innovations successives, véritables mutations de l'ADN originel qui a débouché sur une ample généalogie où les blockchain historiques ont toutes leurs caractéristiques particulières. Dans notre deuxième section, nous opposerons la blockchain aux bases de données traditionnelles (Section 2) afin d'évaluer si ses particularités intrinsèques peuvent nous aider à répondre aux impératifs de la publicité des sûretés mobilières.

    Section 1 : La notion de blockchain, définition générale.

    Il ne faut pas confondre la technologie blockchain, qui est un outil, et les différentes blockchain, qui sont autant d'oeuvres aux caractéristiques particulières. En effet, « Ce n'est pas une blockchain, mais plusieurs types de blockchains qui existent, cohabitent, voire interagissent. Ainsi, une blockchain peut posséder des spécificités techniques pour des utilisations ou des applications particulières263 ». Cette distinction est d'autant plus importante que la notoriété de certaines blockchains tant à éclipser une grande part du champ des possibles en imposant leurs particularités dans l'esprit général. Ainsi quand il est question de blockchain, les juristes ont tendance à raisonner sur le modèle Bitcoin alors même que celui-ci est inadapté à leurs besoins. De manière plus générale, les définitions de la blockchain ont le tort de passer sous silence l'existence des blockchains privés, une nuance

    263LELOUP Laurent, « Blockchain, la révolution de la confiance »,« Blockchain, la révolution de la confiance »,

    Eyrolles, 17 février 2017, accessible en ligne
    http://univ.scholarvox.com.ezproxy.uca.fr/reader/docid/88838650/page/1, p. 15.

    dont une définition générale de la blockchain ne devrait pas faire l'économie selon nous. Les blockchains ne se résument pas à la blockchain publique. La blockchain est doublement protéiforme.

    1. L'outil blockchain, une définition pour une technologie plurielle. L'outil blockchain ne peut être défini que par une liste non exhaustive des technologies mise en synergie par chaque créateur. Même si on peut dégager quelques « briques264 » récurrentes il est, comme nous le verrons, très périlleux265 de faire des généralités en la matière.

    Bien souvent, les définitions que l'on propose pour la Blockchain sont centrées sur son apparition historique. C'est le cas de la définition généraliste que propose Laurent LELOUP, pour qui la blockchain est une technologie « pour une nouvelle génération d'applications transactionnelles qui, grâce à un mécanisme de consensus collectif couplé avec l'utilisation d'un grand livre de compte public, décentralisé et partagé, établit la confiance, la responsabilité et la transparence266 ». Il poursuit en évoquant « un grand livre distribué ou distributed ledger ou registre 2.0 construit sur le modèle des livres comptables et partagé entre les participants267 ». Ce registre est distribué sur un réseau qui repose sur « la décentralisation et la désintermédiation : aucune autorité centrale ne contrôle la blockchain, il n'y a pas de tiers de confiance268 ». On qualifie ce type de réseaux de réseau pair-à-pair, une technologie préexistante utilisée dans l'immense majorité des blockchains.

    Il y a sûrement un intérêt pédagogique à présenter la notion de blockchain en mettant en avant son fonctionnement historique et traditionnel. Cependant, cette définition empreinte d'un parti pris généraliste ne sied pas à une exposition du potentiel de la blockchain dans le milieu juridique. Ainsi afin de proposer une définition plus englobante nous ajouterons premièrement, que le degré de décentralisation peut beaucoup varier d'une blockchain à une autre, et que deuxièmement toutes les blockchains ne reposent pas sur un « distributed ledger ». Pour ne citer qu'un exemple, nous nous intéresserons bientôt à un « permissioned ledger».

    La modification des données du registre (Distributed, permissioned ou autre) ne peut se faire que selon les conditions prévues par l'algorithme ayant vocation à rechercher le consensus entre les pairs. Ainsi « le fait qu'une transaction soit acceptée ou rejetée est le

    264Selon Côme BERBAIN le terme blockchain s'applique à des technologies différentes qui « s'appuient sur des briques techniques préexistantes (registre distribué, signature électronique, cryptographie asymétrique, preuve de travail, machines virtuelles...), l'innovation résidant dans leur assemblage », Côme BERBAIN, « La blockchain : concept, technologies, acteurs et usages, réalités industrielles », dans Dardayrol (J.-P.), (coordinateur), « Blockchains et smart contracts : des technologies de la confiance », Réalités industrielles, annales des mines, Série trimestrielle l, août 2017, p. 6.

    265Il est assez difficile de poser une liste des technologies qui participe à l'univers blockchain, car n'importe qui peut créer une blockchain en lui insufflant une hybridation particulière avec la plus basique ou la plus complexe des technologies de l'informatique et de la mise en réseaux. Par exemple, on ne peut pas dire que la technologie Bluetooth soit au coeur de la sphère blockchain, pourtant il est possible de faire jouer à cette technologie le rôle d'internet dans une blockchain locale de notre invention. Pour être qualifiée de blockchain, une technologie doit répondre à certains critères, cependant ces critères ne sont pas exhaustifs et la liste de propriétés que l'on pourrait ajouter à une blockchain est infinie. Exemple d'ajout possible, un système de blockchain peut prévoir ou non des « smart contracts ». (Une technologie qui a acquis ce nom au sein de la blockchain Ethereum, mais qui peut exister sous différentes appellations dans d'autres blockchains). Dès lors, affirmer que la technologie blockchain comprend le domaine des « smart contract » serait une généralisation trompeuse et erronée.

    266Laurent LELOUP, « Blockchain, la révolution de la confiance », op. cit., p. 13

    267Ibid., p.14

    268Ibid., p.15

    fruit d'un consensus distribué269 ». À ce stade, bien saisir la notion de blockchain exige du juriste qu'il soit capable de différencier un élément particulier de sa fonction. Ainsi toutes les blockchains ont besoin d'un système d'élaboration du consensus. L'élaboration du consensus est une fonction là où la preuve de travail, par exemple, est un simple moyen d'assurer cette fonction.

    2. Les créations blockchain, l'ombre du Bitcoin. Non seulement les définitions proposées de la blockchain ont tendance à adopter le prisme exclusif de la blockchain publique, mais plus encore c'est l'empreinte laissée par l'avènement du Bitcoin qui semble avoir marqué les esprits. Cependant, a notre sens c'est prendre un raccourci néfaste que d'affirmer que « Les teneurs de registres sont appelés des mineurs270 » ou que « le système de décalage aléatoire est appelé « preuve de travail271 » ». Ces illustrations des principes généraux de la blockchain qui usent des particularités de la plus célèbre d'entre elles, le Bitcoin, présentent le risque d'installer une confusion dans les esprits. En effet, des notions telles que « le minage » ou la « preuve de travail » peuvent, certes, constituer une certaine norme en matière de cryptomonnaie272. Toutefois, ces mécanismes sont bien souvent hors sujet quand il est question d'application juridique, et non cryptofinancière, de la blockchain. Pour une vulgarisation moins orientée Bitcoin de la notion de blockchain, il faudrait s'en tenir à dire que toutes les blockchains ont besoin d'un algorithme de consensus quel qu'il soit et que potentiellement cet algorithme suppose une pratique telle que le minage273 de Bitcoin. Mais s'il fallait anticiper le futur nous dirions que jamais les notaires de France n'exploiteront de blockchain assise sur la « proof of work », et pour cause ce modèle est l'apanage des blockchains publiques (pensée pour se passer d'eux) là ou une blockchain privée servirait éminemment mieux la vocation de cette profession274.

    Il faut souligner l'embarras du choix qui existe en termes d'algorithme de consensus pour de futurs projets blockchain275. Cet algorithme est d'ailleurs plus qu'un simple rouage. À propos de la fonction de l'élaboration du consensus au sein de la technologie blockchain, Laurent LELOUP écrit que « C'est d'ailleurs de cet algorithme que dérivent la plupart des propriétés du registre distribué276 ». On peut en conclure que c`est parce qu'il a été pensé en

    269Ibid.

    270Barbara THOMAS-DAVID et Jean-Luc GIROT, « La blockchain expliquée autrement - Libres propos par Barbara Thomas-David et Jean-Luc Girot », La Semaine Juridique Notariale et Immobilière, LexisNexis, n° 2122, 25 mai 2018, act. 480, p. 2.

    271Ibid.

    272Précisions que même en ce domaine le petit frère de Bitcoin, Ethereum, à déjà signifié son ambition de passer de la preuve de travail à la preuve d'enjeu en raison du coût énergétique exponentiel décrié de cette méthode de consensus.

    273Le « minage » de Bitcoin consiste à se procurer un coûteux matériel informatique afin de mettre sa puissance de calcul au service de l'élaboration du consensus sur le réseau Bitcoin. Les mineurs concourent les uns contre les autres pour trouver la réponse à un casse-tête informatique (il s'agit d'ajouter des données à un bloque jusqu'à ce que le passage de ce dernier dans la fonction de hashage donne un hash commençant par une série de zéros). Plus la puissance de calcul mondial augmente plus le réseau Bitcoin exige que les hash de ses bloques commence par plus de zéro. Cette augmentation artificielle de la difficulté du minage a pour but d'empêcher un mineur ou une coalition de mineurs de s'emparer du consensus en fournissant la majorité des block. Cette sécurité est renforcée par le nombre de mineurs croissant, attirés par la récompense en Bitcoin pour celui qui fournit le premier un block valide.

    274Voir infra, Chap. 2, pour un développement de la distinction blockchain privé, blockchain publique et une analyse de leurs potentielles dans le milieu juridique.

    275Pour préserver la cohérence collective du registre, les solutions via différent algorithme de consensus sont légion. Pour un tour d'horizon des consensus, voir Laurent LELOUP, « Blockchain, la révolution de la confiance », op. Cit., p. 98.

    276Laurent LELOUP, « Blockchain, la révolution de la confiance », op. cit., p. 92.

    considération des propriétés nécessaires à l'élaboration des systèmes de crypto monnaie que l'algorithme de consensus via la preuve de travail est difficilement transposable dans d'autres matières. Dès lors, on ne peut que recommander aux juristes d'adopter une définition plus générale de la blockchain en mettant de côté ce particularisme du Bitcoin qui ne nous sera d'aucuns secours.

    Pour notre projet par exemple il est souhaitable que nous concluions cette définition générale en nous concentrons sur les propriétés communes à toutes les blockchains plutôt qu'a leurs différentes pièces détachées. Pour certains, la force de la blockchain réside dans le fait qu'elle permette « d'attester de manière irréfutable et datée le moment où a été effectuée une transaction : il s'agit d'une technologie d'horodatage généralisée277 ». Ajoutons l'éloge de son immutabilité : « il est impossible de modifier ou de supprimer des écritures278 », et on tient un portrait fidèle de cette technologie. Demandons-nous à présent si nous voulons tailler notre registre des sûretés mobilières de ce bois-là, l'essence de la blockchain se pliera-t-elle à nos objectifs sans se rompre ?

    Section 2 : Confrontation de la blockchain aux bases de données traditionnelles.

    Il existe un véritable effet de mode blockchain dans le milieu juridique. Si bien que pour nous en garder nous devons nous demander si une simple base de données ne serait pas à même de remplir la fonction de registre efficace. Nous avons eu l'occasion de vanter la nécessaire simplicité du réceptacle idéal, ainsi devons-nous nous interroger. La création d'un registre distribué supporté par un système blockchain est une complexification substantielle de notre projet, la blockchain est elle porteuse d'atout suffisant pour contrebalancer cet investissement ?

    Pour distinguer l'une de l'autre, de manière concise nous retiendrons qu'une base de données traditionnelle est un système permettant d'enregistrer des informations de manière centralisée, là où la blockchain est un système permettant d'enregistrer des données de façon décentralisée. De cet état de fait, nous pouvons tirer plusieurs conséquences.

    Dans une base de données classique, l'autorité centrale est souveraine. Informatiquement du moins, elle a tous les droits sur les données qu'elle héberge. Elle peut détruire, modifier ou falsifier unilatéralement les données uploadées par ses utilisateurs, même si elle risque de devoir en répondre en droit. À l'inverse, au sein d'une base de données distribuée, l'information est détenue par la foule des pairs du réseau de sorte qu'une donnée inscrite ne peut être ni supprimée ni modifiée unilatéralement par personne. Enfin là ou une autorité centrale peut décider d'une politique de confidentialité au sein de sa base de données, une telle option est impossible dans un système blockchain où tous les pairs, tous les noeuds du réseau, auront accès à l'ensemble des informations.

    D'une certaine manière, c'est l'intransigeance de la blockchain qui fait sa force de certification. Si la confiance est possible entre pairs, c'est parce que les membres du réseau ont la conviction qu'aucun d'entre eux ne peut se hisser au-dessus des limitations inhérentes aux lois de gouvernance du système. Cependant, voilà, la confiance ainsi acquise paraît chère payé dans le cadre de l'élaboration d'un registre des sûretés réelles mobilières.

    En effet pourquoi aurait-on des raisons de douter des greffes des tribunaux de commerce, qui pourrait par exemple orchestrer une base de données centralisée similaire à une version perfectionnée de ce qui existe déjà avec le fichier des gages sans dépossession ?

    277Patrick WAELBROECK, « Les enjeux économiques de la blockchain », dans Dardayrol (J.-P.), (coordinateur), « Blockchains et smart contracts : des technologies de la confiance », Réalités industrielles, annales des mines, Série trimestrielle l, août 2017, p. 10.

    278Laurent LELOUP, « Blockchain, la révolution de la confiance », op. cit., p. 15.

    Est-ce un problème si les greffes peuvent arbitrairement supprimer tel avis ? Non bien au contraire, de prime abord on pourrait tout à fait attendre de l'autorité qui gère la base de données centralisée qu'elle fasse le ménage si nécessaire en sa demeure.

    Ajoutons que nous avons déjà soutenu la recommandation de la CNUDCI visant à nier toute vocation probatoire aux avis inscrits. Pour rappel, les avis n'emporteront ni la preuve ni même la présomption de l'existence d'une sûreté. L'objectif de la publicité efficace a toujours été à notre sens d'informer les tiers de l'existence d'une sûreté potentielle, ainsi par exemple on peut tout à fait se satisfaire d'inscription superflue émanant d'inscription anticipée qui n'ont pas donné suite à la constitution de sûreté. Pour gérer ce problème, on pourrait prévoir un simple délai à l'issue duquel une inscription obsolète doit être supprimée par son auteur sous peine de sanction financière279.

    Finalement, n'est-ce pas céder aux sirènes technocratiques que de s'en remettre à la blockchain plutôt qu'à une base de données classique ? A contrario, nous ne devons pas nous fermer trop vite à la douce mélodie des promesses de la blockchain. Comme Ulysse à son mât, attachons-nous encore quelques lignes à la simplicité d'un modèle bien connu. Grâce à cette discipline forcée, nous pourrons comparer deux modèles de registre informatisé avec la meilleure objectivité possible, sans risquer de nous laisser emporter par l'optimisme général qui entoure cette technologie.

    1. Cette base de données en accès libre et direct juste sous nos yeux. Le plus gros défaut que nous ayons pu trouver au fichier national des gages sans dépossession est son absence d'accès direct tant en écriture qu'en lecture, ce qui ne peut que nuire à l'efficience du registre et augmenter ses coûts de fonctionnement. Toutefois, ce défaut n'est pas inhérent à l'ensemble des bases de données centralisées ! Prenons l'exemple très connu d'une base de données centralisée qui a relevé son pari fou de devenir la principale source d'information produite et réviser collaborativement : Wikipedia.

    Malgré son ambition collaborative et participative, Wikipédia est bien une base de données centralisée. C'est même de son mode de gouvernance empreinte d'une forte hiérarchisation qu'elle tire sa fiabilité. En effet, « Alors que quiconque peut devenir rédacteur sur Wikipedia, il n'en reste pas moins que certaines pages, traitant de sujets faisant l'objet de débats politiques, religieux, idéologiques, etc. font l'objet d'une attention toute particulière de la part de Wikipedia et sont soumise à une politique de protection280. » Dès lors, seuls les utilisateurs qui ont montré patte blanche281 recevront de l'autorité centralisée le droit de modifier ces pages. « Lancé en 2001 par Jimmy Wales et Larry Sanger, Wikipedia a été construit autour d'un projet d'encyclopédie gratuite et participative s'appuyant sur un wiki. Ce dernier point est essentiel à Wikipédia puisque c'est le « logiciel » qui permet de collaborer collectivement sans présence d'une personne en charge de valider282 ». Nous y voilà, un modèle d'accès direct qui pourrait tout à fait être transposé à l'usage du registre des sûretés réelles mobilières.

    Avant d'aller plus loin, nous devons définir ce qu'est un « wiki ». « Un wiki est un site web permettant à plusieurs utilisateurs de collaborer en ligne sur un même projet. Le

    279Nous avons déjà pu évoquer le cas d'inscription malveillante visant à nuire à l'apparence de solvabilité de celui qui est désigné abusivement comme constituant. Une sanction plus lourde en cas d'inscription malveillante ou sans fondement devrait suffire à décourager l'immense majorité des utilisateurs du registre.

    280Sébastien LOURADOUR, « Comprendre le fonctionnement de wikipedia », Yellow vision, accessible sur le site du magazine en ligne Yellow vision, : http://yellowvision.fr/comprendre-le-succes-de-wikipedia/ 281Wikipedia a constitué une hiérarchisation des bénévoles, dont certains disposent de droits d'édition très étendus, ibid.

    282Ibid.

    concept du wiki devient très populaire en 2000. À tout moment, ces utilisateurs peuvent contribuer à la rédaction du contenu, modifier ce contenu et l'enrichir en permanence283 ».

    Première proposition : Le registre Wiki, le registre partagé le plus basique.

    Nous allons détailler les fonctionnalités courantes des Wikis en les illustrant au travers de l'utilisation concrète d'un registre des sûretés réelles mobilières. Cette base de données serait confiée entre les mains des greffes des tribunaux de commerce comme peut l'être actuellement le fichier national des gages sans dépossession.

    Le créancier garanti devra commencer par la création d'un compte utilisateur, ce sera une condition sine qua non pour éditer ou créer un avis comme l'on peut créer ou éditer une page sur n'importe quel wiki. Le créancier garanti complétera un formulaire automatisé qui n'autorisera la création d'une nouvelle page que si le créancier garanti respecte certaines règles284. Si la page que le créancier souhaite créer (autrement dit, l'avis qu'il souhaite inscrire) est conforme aux exigences du registre, alors l'opération sera instantanée. Sinon un message d'erreur invitera le créancier garanti à réitérer son inscription. Pour ce qui est de l'édition, seul l'auteur d'une page (d'un avis), et le personnel du registre le cas échéant, disposeront des droits pour procéder à une modification. Entre autres fonctionnalités un wiki permet la gestion de l'historique des modifications depuis la création de la page, ainsi le fait de laisser à un créancier garanti la liberté de modifier leurs avis n'est pas préjudiciable à la sécurité du registre285. L'un des avantages majeurs de ce système est la facilité avec laquelle un créancier garanti pourra corriger (sans frais) une éventuelle erreur lors de la saisie d'un avis. Toutefois si l'erreur lors de l'inscription est telle286 qu'elle prive de toute utilité pour les tiers cette formalité obligatoire de publicité, nous recommandons de reporter la date de l'opposabilité de la sûreté à la date de sa correction.

    Pour ce qui est de la recherche, nous recommandons l'utilisation d'un moteur de recherche par mots-clefs. Un utilisateur devrait être capable d'obtenir sans difficulté un affichage de l'ensemble des avis (des pages) mentionnant le nom qu'il a utilisé dans leurs rubriques : « constituant ». Comme nous avons pu le souhaiter plus haut, il doit également être possible d'effectuer une recherche par numéro de série dans le cas des biens facilement identifiables. À contrario la rubrique : « créancier garanti », bien que faisant partie des mentions obligatoires lors de l'inscription ne serait pas incluse dans le champ d'action de l'algorithme de recherche. Cela, comme nous avons pu l'évoquer précédemment, afin de protéger la confidentialité de la clientèle des prêteurs professionnels.

    2. Les atouts à doubles tranchants de la blockchain. Même si l'on peut se montrer prudent vis-à-vis de l'enthousiasme général autour de cette technologie, le bon sens nous

    283Marie LEBERT, « Booknologie : Le livre numérique (1971-2010) », Project Gutenberg ebook, accessible en ligne : http://www.gutenberg.org/ebooks/33462

    284L'algorithme gérera l'acceptation ou le refus de tel ou tel formulaire. Il prévoira que tout formulaire incomplet, ne contenant pas les données minimales exigées dans un avis, par exemple, sera rejeté. Plus important encore l'algorithme prohibera toute antidatation, si d'aventure un créancier garanti éprouve le besoin d'inscrire sa sûreté avant d'autres via un astucieux voyage dans le passé.

    285Afin d'assurer la sécurité de ce registre, notamment contre les tentatives de piratage, il sera important d'extraire quotidiennement un recueil de l'historique des éditions et modification. Ce faisant, nous soustrairons au réseau internet un historique des inscriptions qui fera foi au cas où quelqu'un accaparerait frauduleusement des droits de modification contraires aux règles du registre.

    286Une erreur sur la personne du constituant ou une confusion entre plusieurs meubles ayant empêché toute description utile des biens grevés par exemple.

    dicte de ne pas sombrer dans l'excès inverse en sous-estimant les opportunités qu'elle apporte. Certes, nous avons cerné un problème majeur287 quant à l'utilisation de cette technologie dans le cadre d'un registre des sûretés réelles mobilières. Cependant si la blockchain montre des atouts suffisant pour nous inviter à poursuivre nos investigations, il sera toujours temps de chercher une réponse à cette problématique technique288. Faisons un bref rappel, pour le meilleur et pour le pire des propriétés principales de la blockchain en matière de registre :

    L'Immutabilité. On ne le dira jamais assez, « une blockchain est une base de données à laquelle on ne peut que faire des ajouts : la seule possibilité est d'ajouter de l'information, dans l'ordre chronologique ; il est impossible de modifier ou supprimer une information une fois qu'elle est enregistrée289 ». Ainsi stocker des données personnelles où des informations dont l'utilité a nécessairement une durée de vie limitée (comme les avis) est généralement une mauvaise idée. A contrario, s'il y a bien une donnée que l'on veut impérissable et infalsifiable c'est bien l'historique des inscriptions, modifications et radiations des avis. Ce serait précisément cet historique qu'il faudrait graver dans le marbre de la Blockchain. On touche là à la faiblesse majeure du registre wiki que nous avons proposé plus tôt. Certes, ce modèle brille par sa flexibilité et l'aisance qui caractérisent son usage, cependant l'ordre des inscriptions, et en règle générale l'intégrité du registre, sont des points qu'il faudra constamment surveiller. En effet, les bases de données centralisées traditionnelles on déjà fait montre de leurs flexibilités face aux cyber attaques de toute sorte. Évidemment, le meilleur moyen de sauvegarder une information de ce type de corruption est de l'extraire du réseau afin de la conserver hors d'atteinte des pirates écumants les flots de l'internet. Toutefois, cette solution s'avère contraignante sans pour autant demeurer exempte de toute suspicion. En effet pour sauvegarder l'historique des inscriptions de cette menace, le personnel du registre devra extraire du réseau une copie certifiée à intervalle régulier afin de la sauvegarder au sein d'un réseau local de manière régulière. À ce stade et en considération de l'enjeu que peut représenter l'opposabilité ou la non-opposabilité d'une sûreté on ne saurait réduire le risque de corruption ou de pression sur le personnel du registre. La nature disruptive de la blockchain réside dans sa capacité à tirer un trait sur cette question. Une fois, une inscription réalisée à une date et à une heure donnée nul ne saurait se dédire. La blockchain par bien des aspects peut paraître exigeante et coûteuse pour qui veut créer un simple registre des sûretés réelles mobilières, mais il semble bien que ce prix soit celui de l'inviolabilité. A Blockchain is forever.

    Le consensus distribué. Deuxième propriété marquante de la blockchain qui n'arrange pas nos affaires pour ce qui est de l'élaboration du registre efficace. La blockchain a historiquement été pensée pour instaurer une confiance entre de parfaits anonymes. Pour accomplir son miracle, la blockchain Bitcoin a inventé la preuve de travail. Même si d'autres algorithmes de consensus arrivent sur le devant de la scène ils ne pourront jamais correspondre à nos besoins. Car ils ont justement été pensés pour accomplir la lourde tâche de se passer de tiers de confiance. Or cet objectif est totalement disproportionné vis-à-vis de nos besoins, car nous avons des tiers de confiance sous la main.

    De prime abord, on pourrait croire que la blockchain est profondément inadaptée à la

    287Le fait qu'il soit impossible de modifier ou de supprimer des données au sein d'une blockchain s'oppose à l'inscription directe d'avis sur une base de données décentralisée. Les avis ayant vocation à être modifié puis radié aisément il est impossible de se servir de la blockchain pour stocker efficacement ces données.

    288Voir infra X.

    289Primavera DE FILIPPI, Michel REYMOND, « Blockchain et droit à l'oubli », dans T. NITOT, N. CERCY, Numérique: reprendre le contrôle, novembre 2016, Framasoft, n° 1, P.138 et s. accessible en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01676888

    fonction de registre. Cependant, c'est un simple effet d'optique due à la prépondérance des blockchains Bitcoin et Ethereum. Ce monde est plus vaste qu'on peut se le figurer en tournant le regard vers l'horizon des crypto monnaies. En vérité, la blockchain est plurielle et la pesanteur des algorithmes de consensus n'est que le propre des Blockchain publiques. La vérité est ailleurs.

    - CHAPITRE 2 -

    LES BLOCKCHAINS.

    Les blockchains publiques comportent de multiples caractéristiques qui les rendent impropres à l'usage que nous voudrions en faire. Leur construction qui suppose un accès libre et anonymisé suppose une élaboration du consensus ultra sécurisé qui ne convient pas au registre dénué de vocation probatoire que nous avons pu présenter tout au long de cette étude. C'est pourquoi nous ne pouvons que constater l'inadaptabilité de la technologie des blockchains publiques à notre projet de registre des sûretés réelles mobilières (Section 1). Toutefois, chacun des reproches que nous ferons aux blockchains publiques pourra être contrebalancé par l'une des qualités de la technologie des blockchains privées que nous avons retenue. Ainsi notre proposition finale nous amènera à nous inspirer du permissioned ledger mis en place des septembres afin de perfectionner le registre du commerce et des sociétés (Section 2).

    Section 1 : Le constat de l'inadaptabilité de la blockchain publique aux problématiques du registre des sûretés réelles mobilières.

    1. La blockchain publique. En définitive, il n'y a qu'une reine. Quand Laurent LELOUP évoque la blockchain publique, la première à avoir vu le jour, il nous confie que « Les puristes considèrent que seul le singulier s'applique à cette technologie : on parle alors de la blockchain290 ». Cette blockchain fait peu de cas de l'identité de ceux qui la font vivre. C'est le propre d'une blockchain publique, « C'est un registre (ledger) ouvert à tous. Cette blockchain se caractérise par son ouverture totale : tout le monde peut y accéder et effectuer des transactions et tout le monde peut participer au processus de consensus291 ». Dans le détail, « Son fonctionnement est fondé sur les « cryptoeconomics », c'est-à-dire la combinaison d'incitations économiques et les mécanismes de vérification en utilisant la cryptographie comme une preuve de travail (PoW) ou preuve de la participation (PoS)292 ». C'est caractéristique technique et ses propriétés sont profondément disruptive, et pour cause « C'est le modèle le plus connu, celui qui est à l'origine de la technologie, selon une approche communautaire, voire alternative, de l'économie293 ».

    C'est aussi le modèle auquel nous nous intéresserons le moins. Du fait de l'idéologie libertaire qui a présidé à sa création, la blockchain publique est loin d'avoir été taillée sur mesure pour faire bon ménage avec l'économie de notre siècle. On peut aisément dresser un parallèle avec l'invention d'internet, une innovation qui devait faire souffler un vent de liberté inédit au profit des individus et qui de plus en plus se mue en un outil de contrôle entre les mains des GAFAM294. La blockchain publique n'a pas révolutionné l'ordre des choses, c'est l'ordre des choses inébranlable qui a réformé la blockchain pour en faire son outil : la blockchain privée.

    La première illustration qui viendra à l'esprit quand on évoquera la blockchain est évidemment le Bitcoin, prince aîné de la lignée crypto monnaie. La blockchain Bitcoin à vocation à certifier les transactions de la monnaie du même nom, par conséquent elle a

    290Laurent LELOUP, « Blockchain, la révolution de la confiance », op. cit., p. 93.

    291Ibid.

    292Ibid.

    293Ibid.

    294L'acronyme des mastodontes du web, Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

    vocation à apporter la preuve de la propriété de ce bien fongible et consomptible. Autre caractéristique notable, cette blockchain ne s'intéresse pas à l'identité des utilisateurs de Bitcoin295, l'anonymat faisant partie intégrante de l'idéologie du projet de son fondateur, le mystérieux Satoshi Nakamoto. Tant et si bien que lui même disparut dans les méandres de l'internet sans que jamais sa véritable identité ne soit révélée au grand jour296.

    En pratique, pourquoi voudrions-nous tailler notre registre des sûretés mobilières sur une base de blockchain publique ? Nous avons vu que l'usage de la blockchain en tant que registre des sûretés mobilières exige de nous que nous résolvions plusieurs difficultés liées à la nature de toute blockchain. Dans ce chapitre, nous découvrons que la blockchain qui bénéficie de la plus grande ferveur médiatique, la blockchain publique et sa cohorte de crypto monnaie, pose des difficultés supplémentaires.

    Premièrement, il faut savoir que moins les membres du réseau se connaissent et se font confiance, plus il faut adopter un système d'élaboration du consensus contraignant. Un algorithme proof of work serait un gouffre financier et énergétique qui ne nous assurerait même pas une sécurité suffisante. En effet, vu l'état de la puissance de calcul à travers le monde et sa constante augmentation boosté par l'appât du gain de Bitcoin, notre petit système serait une proie facile. On peut imaginer un algorithme de consensus basé sur une preuve d'enjeu297. En lieu et place du dépôt de cryptomonnaie, l'enjeu serait la valeur totale des sûretés inscrite au registre. Plus la valeur d'une créance garantie serait haute, plus le créancier correspondant aurait de chance d'être désigné par l'algorithme de consensus pour valider le prochain bloc. Mais cette alternative nous montre le véritable problème, un tel système exigerait des agents économiques une participation on ne peut plus active à la blockchain registre, ce qui suppose des récompenses élevées que le registre n'est pas en mesure de fournir. Nous recommandons donc d'abandonner totalement l'idée d'un registre des sûretés mobilières basé sur une blockchain publique.

    2. La solution des blockchain privés. Avant de s'intéresser aux questions techniques, il faut opter pour ce premier choix. Le registre des sûretés réelles mobilières bénéficiera de l'appui d'une blockchain privé ou devra être pensé sans cette technologie. Cette décision se justifie au regard des caractéristiques particulières des blockchains privées. « Si la blockchain publique représente une solution de confiance décentralisée pour beaucoup, la blockchain

    295Question qui a pu susciter autant d'inquiétude légitime que de fantasmes quant à l'utilisation du Bitcoin lors de transaction illicite. Même si on ne saurait dire là où s'arrête la réalité et où commence la fiction, l'ombre de Silk Road (le marché noir du darknet où les échanges monétaires usés du Bitcoin) et de ses successeurs plane encore sur les crypto monnaie.

    296« Le 12 décembre 2010, un dernier message est posté par Nakamoto sur le forum Bitcointalk. Peu de temps avant son évanescence, Nakamoto désigne Gavin Andresen comme son successeur en lui donnant accès au projet SourceForge Bitcoin et une copie de la clé d'alerte, une clé cryptographique privée unique permettant d'atténuer les effets d'une attaque potentielle sur le système Bitcoin. », Laurent LELOUP, « Blockchain, la révolution de la confiance », op. cit., p. 33.

    297« La preuve d'enjeu est un algorithme de consensus pour blockchains publiques (...) Le mécanisme de la preuve d'enjeu peut être décrit comme un «minage virtuel ». Là où la preuve de travail prévient efficacement les attaques Sybil en se fondant sur la rareté et le coût du matériel informatique, la preuve d'enjeu repose sur la crypto monnaie de la blockchain elle-même. Avec la preuve de travail, un participant peut investir 1 000 dollars dans un ordinateur de minage, le brancher, commencer à participer au réseau en produisant des blocs et recevoir une récompense. Avec la preuve d'enjeu, le même participant investit 1 000 dollars en achetant directement la cryptomonnaie de la blockchain puis met en dépôt ces crypto monnaies en utilisant le mécanisme de preuve d'enjeu, qui va ensuite (pseudo-)aléatoirement assigner à ce participant le droit de produire des blocs et de recevoir une récompense », définition par Ethereum France, 3 janv.2017, mis à jour le 29 avr.2018, accessible en ligne sur le site d'Ethereum France : https://www.ethereum-france.com/quest-ce-que-la-preuve-denjeu-proof-of-stake-faq-par-v-buterin-traduction-francaise/

    privée peut être complètement centralisée entre un petit nombre d'acteurs, prenant le contrepied du rêve libertaire de la blockchain publique298 ». Bien que cette centralisation ne soit pas vertueuse en elle même, elle a le mérite de nous dispenser de la recherche d'une solution coûteuse d'élaboration du consensus, ce qui demeure l'une des problématiques majeures des blockchains publiques. En effet en matière de blockchain privé « le processus de consensus est contrôlé par un ensemble présélectionné de noeuds (participants)299 ». C'est cet entre-soi qui permet le recours à un algorithme de consensus bien plus souple.

    Du côté des inconvénients de telles blockchains, on relèvera que « Dans le cas d'une blockchain publique, tous les noeuds sont autorisés à écrire dans celle-ci, et à y lire les données. À l'opposé, seul un petit nombre de noeuds sont autorisés à écrire dans une blockchain privée300 ». Autrement dit, cette caractéristique va à l'encontre du projet d'un registre en accès direct en lecture comme en écriture que nous avions préconisé. Toutefois, on peut tout à fait imaginer un système d'autorisation d'écriture qui reposerait sur des critères automatisés, une sorte d'algorithme d'autorisation. Et pour ce qui est de la lecture au sein des blockchains privées il est possible de restreindre les autorisations de lecture.

    Ce dernier point fait figure d'atout majeur à considérer dans l'élaboration de notre projet de registre. En effet, « L'une des différences majeures entre blockchain privée et blockchain publique est liée à la confidentialité des smart contracts, des transactions et des données ». Ainsi « il est relativement facile de garantir la confidentialité des données stockées dans des blockchains privées, puisque seul un nombre limité d'acteurs peut y avoir accès301 ». À l'inverse, « Les données stockées dans les blockchains publiques sont au contraire accessibles à tous, puisqu'il s'agit de construire un registre public décentralisé302 ». Opter pour un système de blockchain privée c'est la garantie que nous pourrons protéger des informations, tel que le détaille de la clientèle des prêteurs, qui n'ont pas vocation à être révélés par notre registre.

    Une prédiction décline à mesure qu'une prise de conscience prend forme : Non la blockchain ne remplacera pas les tiers de confiance. On eût pu encore le penser lors du plein essor des blockchains publiques, qui avait en effet cette prétention révolutionnaire. Cependant même si la blockchain porte en elle le germe de ce potentiel disruptif on comprend que ce monde sans intermédiaires ne verra jamais le jour. La raison en est très simple, les blockchains publiques ne peuvent s'épanouir hors de leurs espaces alternatifs. Une plus grande ou une plus petite échelle sont pour elles des mondes inaccessibles. En effet, on ne voit pas comment, à grande échelle, nous pourrions tous commercer en Bitcoin alors même que cette blockchain commence déjà à souffrir303 de son manque de scalabilité304. À l'autre bout du spectre, à petite échelle, les blockchains publiques doivent faire face à une concurrence dont elles ne peuvent triompher : les blockchains privées. En effet si l'on souhaite créer une blockchain pour un petit nombre de membres, potentiellement des personnes qui se connaissent il est hors de question de baser le projet sur une blockchain

    298Patrick WAELBROECK, « Les enjeux économiques de la blockchain », préc., p.13.

    299Laurent LELOUP, « Blockchain, la révolution de la confiance », op. cit., p.94.

    300Patrick WAELBROECK, « Les enjeux économiques de la blockchain », préc., p. 10.

    301Ibid., p. 13.

    302Ibid.

    303« Le passage à l'échelle est difficile sur une blockchain publique utilisant un consensus basé sur le proof-of-

    work (comme celui utilisé par le réseau Bitcoin), puisque celui-ci demande un hash-power qui croît avec la taille

    du réseau et nécessite plusieurs validations avant l'ajout d'un nouveau bloc, ce qui peut prendre une heure »,

    ibid.

    304La scalabilité est la capacité d'un réseau ou d'un système à adapter son fonctionnement à une augmentation

    de la demande.

    publique. Enfin, la fonction des tiers de confiance est éminemment plurielle, elle ne s'arrête pas à une simple question de certification. On s'en rend compte aisément quand on considère les mésaventures des aventuriers du Bitcoin, qui aurait sans nul doute tiré un grand bénéfice de la fonction de conseil associé à la mission du banquier. Dès lors, ces intermédiaires, s'ils sont capables d'ajouter un minimum de valeur ajoutée à leurs services, ne seront pas remplacés. Pourquoi le serait-il dans la mesure où ils peuvent eux même exploiter tous les attraits de la blockchain via une blockchain privée ? Peut-être la blockchain aura-t-elle un impact retentissant dans les pays du tiers monde où l'on peut douter de l'intégrité de certains intermédiaires, toutefois il semble plus raisonnable de considérer que « dans nos pays développés, où les tiers de confiance existent, les usages seront différents. Les blockchains ne les remplaceront pas, bien au contraire, elles les outillent afin d'améliorer leur productivité et la rentabilité des entreprises qui les adoptent.305 »

    Section 2 : L'exemple du permissioned ledger, une blockchain privée expérimentée par IBM et les greffes des tribunaux de commerce.

    Difficile de se frayer un chemin dans la jungle des blockchains. Heureusement, nous pouvons compter sur d'audacieux éclaireurs hexagonaux. Ainsi, « Le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce a annoncé le 15 mars dernier le déploiement d'un réseau blockchain développé par IBM afin d'améliorer la gestion du R.C.S.306 ». Cette actualité fortuite est une aubaine pour notre étude. Bien que le projet soit encore nébuleux, sa seule mise à l'essai confirme le potentiel de la blockchain en matière de publicité légale. Commençons par cerner les points communs et les différences entre les vocations du R.C.S. et d'un registre des sûretés réelles mobilières, afin de définir la mesure de l'inspiration que nous pouvons tirer de ce projet. Puis, grâce aux détails techniques glanés grâces aux différentes sources d'actualité juridiques et la communication d'IBM, nous proposerons une brève phase de rétro-ingénierie qui débouchera sur notre seconde proposition de registre.

    1. Registre du commerce et des sociétés et registre des sûretés réelles mobilières, des registres voisins ? En jetant un bref regard à la table des matières de l'ouvrage « publicité légale » de Pascal BEDER307 on soupçonne d'entrée la mitoyenneté qui peut exister entre le registre du commerce et des sociétés et le registre des sûretés mobilières dont nous avons besoin. L'auteur propose une distinction de la publicité légale en deux notions déduite de leurs objets respectifs. Ainsi traite-t-il dans un premier chapitre de « « la publicité légale de l'état civil » de l'entreprise308 » tandis que la « Publicité propre à l'état de « santé » et publicité de la défaillance de l'entreprise309 » sont décrites dans un second chapitre où il est question tant de la publicité des sûretés réelles mobilières que de la publicité relative aux difficultés des entreprises au R.C.S.

    Le premier chapitre nous renseigne quant au fossé qui peut exister entre le registre du commerce et des sociétés et le registre des sûretés mobilières tel que nous l'imaginons. En

    305Barbara THOMAS-DAVID et Jean-Luc GIROT, « La blockchain expliquée autrement - Libres propos par Barbara Thomas-David et Jean-Luc Girot », préc. p. 2.

    306Vincent FOURNIER, Philippe BOBET, « La blockchain se déploie dans les greffes des tribunaux de commerce, Focus sur une première dans le secteur judiciaire, développée par IBM », Journal Spécial des Sociétés, 6 avr. 2019, numéro 27., P.4.

    307Pascal BEDER, « Publicité légale », op. cit.

    308Ibid.

    309Ibid.

    effet, une grande part de la raison d'être du registre du commerce et des sociétés trouve son origine dans l'encadrement de la personnalité morale des entreprises et dans l'identification à fin de contrôle des entreprises personne morale comme physique. Voilà autant de fonctions qui sont étrangères à la vocation des registres des sûretés réelles mobilière. On peut donc légitimement conclure que si le recours à la blockchain à était décidé pour perfectionner ces fonctions du R.C.S. alors cette innovation ne nous sera d'aucun secours quant à notre projet.

    Ainsi il faut admettre, au moins dans une certaine mesure, que ces deux registres ont des vocations distinctes, mais cela débouche-t-il nécessairement sur des blockchains foncièrement différentes ?

    Un article traitant de cette actualité évoque « Le rapprochement des greffiers, garants de la diffusion d'une information certifiée relative à la vie des entreprises, et de la technologie blockchain310 ». On constate une distinction importante, l'information du R.C.S. est certifiée. Ce n'est pas le cas de l'information du registre des sûretés réel mobilière tel que nous l'avons imaginé. Comme nous l'avons évoqué plus tôt, il n'est pas souhaitable que le contenu des avis intègre une blockchain, dans la mesure où ils n'ont vocation qu'à informer les tiers quant à la présence fort probable d'une sûreté grevant un bien meuble sans pour autant prétendre à une quelconque vocation probatoire. On peut en conclure qu'une blockchain servant l'intérêt du registre des sûretés réelles mobilières sera probablement beaucoup moins volumineuse que la blockchain pensée pour perfectionner le registre du commerce et des sociétés.

    On nous informe également que « Les mises à jour du registre (du R.C.S.) peuvent concerner les ressorts géographiques de plusieurs tribunaux de commerce, nécessitant de fait une coordination entre les différents greffes311 ». Les articles présentent cette coordination entre les greffes comme l'une des principales raisons du développement de cette blockchain entre greffiers. Cette problématique ne se pose pas dans le cadre de notre projet. L'enregistrement des documents constitutif de la sûreté auprès des greffes compétentes géographiquement (les greffes du tribunal de commerce du lieu de résidence du constituant) n'a pas de sens dans le système d'inscription par simple avis au sein d'un registre totalement dématérialisé. Ainsi blockchain où non, nous considérons que tout problème de compétence géographique à déjà trouvé matière à solution lors de nos précédentes recommandations.

    Le second chapitre de l'ouvrage de Pascal BEDER, à l'inverse du premier, nous permet de dresser un pont entre les deux registres malgré leur tranchée mitoyenne. En effet, nous faisons nôtre l'analyse de cet auteur qui a choisi d'aborder la publicité des sûretés réelles mobilière dans le même chapitre que les formalités obligatoires de publicité dans le cadre des procédures collectives publiées au R.C.S. Ce choix nous paraît on ne peut plus cohérent, car publicité des sûretés réelles mobilière et publicité des mesures de sauvegarde, redressement et liquidation judiciaire partagent un objectif commun. Nous avons déjà démontré que la publicité légale des sûretés réelles mobilières a en effet pour rôle d'informer une multitude de tiers312 (dont les créanciers chirographaires) quant à l'état de santé économique de l'entreprise du constituant. Les créanciers non privilégiés pourront ainsi évaluer la capacité du constituant à honorer ses obligations les concernant directement. Il s'agit là d'une mission essentielle de la publicité des sûretés réelles mobilières visant à assurer à chacun une prévisibilité et une transparence maximale quant à l'aggravation de sa situation313. Du côté du R.C.S., les

    310CNGTC, communiqué de presse, 14 mars 2019, accessible en ligne sur le site du CNGTC :

    https://www.cngtc.fr/fr/actualites.php (consulté le 20 août 2019).

    311Ibid.

    312Qui ne saurait être réduite aux seuls créanciers garantis et sous acquéreur potentiel.

    313Voir supra (Partie 1, Titre 2, Chapitre 1, Section 1 : « Aider le tiers à anticiper l'aggravation de sa situation

    formalités obligatoires de publicité des procédures collectives ne poursuivent pas une mission différente. La discipline collective qui s'abat comme une chape de plomb, l'entrée en jeu de concurrents invincibles en la personne des super privilégiés, voilà autant d'aggravation de la situation des créanciers dont il faut les informer au plus tôt314.

    En raison de cet objectif commun, toute innovation de nature à améliorer l'efficacité de la publicité légale inhérente aux procédures collectives est adaptable en un progrès de l'information des tiers dans le cadre de la publicité des sûretés réelles mobilières.

    En raison du sujet de cette étude, nous avons donc hâte que la blockchain pensée par IBM et les greffes des tribunaux de commerce fasse ses preuves. Pour ce qui est de l'après, la rubrique actualité du site de la société d'édition Wolters Kluwer rapporte d'intéressants propos tenus par le président honoraire des greffes des tribunaux de commerce. Monsieur Philippe Bobet a déclaré qu'après « une phase de découverte et de déploiement de la solution qui vient de commencer et qui va se terminer à la fin de l'année315 » il serait temps de faire le point « pour savoir si d'autres projets pourraient se greffer autour316 ».

    Nous avons bien une idée de projet à greffer autour de la blockchain du registre du commerce et des sociétés. Il s'agirait d'un modeste espace dédié au stockage de l'historique des inscriptions, modifications et radiations d'avis d'un registre informatisé et global des sûretés mobilières. Une fois cette solution mise en place, il sera temps de remplacer le fichier national des gages sans dépossession par l'interface autofinancée par la publicité commerciale de notre registre.

    Le registre du commerce et des sociétés et le registre global des sûretés mobilières, poursuivant des objectifs communs et ayant tous deux vocation à être confié aux greffes des tribunaux de commerce, on ne comprend pas pourquoi il ne pourra pas faire l'objet d'un outil de gestion blockchain en partie commun.

    Une sûreté réelle mobilière, pour tout type de bien et un seul registre pour en assurer la publicité, voilà un excellent début. Unir la publicité légale, de l'inscription d'une sûreté à l'annonce de l'ouverture d'une procédure collective, au sein d'un unique réseau blockchain voilà un bel horizon.

    2. Notre projet. Que ce soit pour penser une future greffe de l'historique des inscriptions du registre des sûretés mobilières à la blockchain R.C.S., ou pour imaginer une blockchain indépendante qui s'inspirerait de ce modèle, nous devons étudier la solution mise en place par le Conseil national des greffes des tribunaux de commerce.

    Seulement voilà, cette étude touche à sa fin et le temps qui nous était imparti pour la réaliser nous file entre les doigts. On pourrait s'en chagriner tant les prochains mois s'avèrent riches en retour d'expérience quant à l'usage de la blockchain en matière de publicité légale. Malgré tout, la sagesse des stoïciens antique nous enjoint à ne pas nous troubler de ce qui ne dépend pas de nous pour mieux tourner nos efforts vers les oeuvres du champ des possibles.

    Ainsi dans l'espoir de glaner des détails techniques quant à la blockchain mise sur pieds par IBM et les greffes des tribunaux de commerce nous avons dans un premier temps écumé

    »), pour une démonstration de l'effet que peut avoir la souscription d'une sûreté réelle sur les chances des créanciers chirographaires d'être intégralement désintéressé en cas de défaillance du constituant.

    314Ne serait-ce que pour qu'ils puissent déclarer leurs créances.

    315« L'objectif est d'avoir une blockchain complète et exhaustive, destinée uniquement aux greffiers, accessibles à tous les greffiers de France », Propos de Philippe BOBET rapporté par le site d'actualité juridique

    :

    https://www.actualitesdudroit.fr/browse/affaires/societes-et-groupements/20848/la-blockchain-au-soutien-du-rcs-les-greffiers-des-tribunaux-de-commerce-deploient-leur-solution

    316Ibid.

    Wolters Kluwer (consulté le 10 août 2018), accessible en ligne

    Wolters Kluwer (consulté le 10 août

    :

    https://www.actualitesdudroit.fr/browse/affaires/societes-et-groupements/20848/la-blockchain-au-soutien-du-rcs-les-greffiers-des-tribunaux-de-commerce-deploient-leur-solution

    2018), accessible en ligne

    les sites et les revues d'actualité juridiques. Puis nous avons étudié le propre communiqué de presse du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. De ces recherches nous avons retenu que cette blockchain a été « mise en oeuvre avec le protocole Hyperledger Fabric317 » et que le dispositif sera « une blockchain de consortium (permission) 318». Grâce à ces informations, nous proposerons une solution technique aux deux problèmes majeurs que nous avons identifiés quant à la création d'une blockchain pour le registre des sûretés réelles mobilières. En partant des mêmes bases que les instigateurs du projet de blockchains R.C.S. et en considérant que ces deux registres sont voisins, il est fort probable que nous aboutissons à des solutions voisines.

    Que pouvons-nous déduire de ce que nous avons appris ? Premièrement qu'est-ce que le projet Hyperledger Fabric ? On sait que « IBM a réalisé la plateforme en s'appuyant sur son expertise dans le domaine de la blockchain et de la cryptographie, et en utilisant le protocole Hyperledger Fabric, géré sous l'égide de la fondation open source Linux319 ». Il faut comprendre que ce « projet n'a pas pour but de mettre en place un registre partagé directement utilisable, mais plutôt de mettre à disposition des entreprises les piliers fondateurs pour construire des blockchains « business-ready » (prêtes à être utilisées par l'entreprise)320 ». Nous n'avons qu'une ébauche (voire annexe 1) de l'oeuvre, toutefois nous pouvons à présent parfaitement cerner l'outil qui procéda à sa création. En effet, les projets menés grâce à Hyperledger Fabric sont légion321. Et même si les détails de l'architecture du réseau blockchain du R.C.S. ne nous sont pas encore accessibles, rien ne nous empêche de chercher d'autres modèles issus du même moule afin de trouver celui qui siéra à notre registre idéal.

    Grâce à la seconde information que nous détenons, nous savons que c'est une blockchain de consortium qui a été choisi. Nous pouvons réduire le champ de nos recherches en supposant que ce type de blockchain qui s'adapte aux exigences d'une forme de publicité légales pourra sûrement satisfaire les objectifs d'une autre. Notons que cette blockchain de consortium a « été choisie, parce qu'elle permet un contrôle sur les accès et la manière dont la gouvernance est articulée322 ». Autrement dit « Dans un permissioned ledger, à la différence d'une blockchain publique (comme le sont par exemple les monnaies cryptographiques Bitcoin et Ethereum), seuls des acteurs autorisés peuvent participer au

    317CNGTC, communiqué de presse, 14 mars 2019, accessible en ligne sur le site du CNGTC : https://www.cngtc.fr/fr/actualites.php (consulté le 20 août 2019) .

    318« L'objectif est d'avoir une blockchain complète et exhaustive, destinée uniquement aux greffiers, accessibles à tous les greffiers de France », Propos de Philippe Bobet rapporté par le site d'actualité juridique

    Wolters Kluwer (consulté le 10 août 2018), accessible en ligne :
    https://www.actualitesdudroit.fr/browse/affaires/societes-et-groupements/20848/la-blockchain-au-soutien-du-rcs-les-greffiers-des-tribunaux-de-commerce-deploient-leur-solution

    319Ibid.

    320Laurent LELOUP, « Blockchain, la révolution de la confiance », op. cit., p. 109.

    321« IBM est un des premiers membres fondateurs d'Hyperledger, un projet de développement collaboratif open source créé afin de faire progresser les technologies blockchain interindustries », annonce IBM (consulté le 6 août 2018), accessible en ligne : https://www-03.ibm.com/press/fr/fr/pressrelease/54825.wss

    C'est parce que ce projet est « open source » que nous allons facilement pouvoir trouver de nombreux exemples de réseaux blockchain mis au point par différents agents économiques.

    322« L'objectif est d'avoir une blockchain complète et exhaustive, destinée uniquement aux greffiers, accessibles à tous les greffiers de France », Propos de Philippe Bobet rapporté par le site d'actualité juridique

    consensus en devenant un noeud du système323». Après notre analyse de l'impraticabilité des blockchains publiques en matière de publicité légale, on ne peut que se féliciter de ce choix d'une blockchain privée.

    Enfin, conclusion de nos investigations, la blockchain mise au point pour servir l'efficacité du R.C.S. partage avec la blockchain que nous imaginons pour le registre des sûretés mobilières le souci de résoudre deux problèmes fondamentaux que nous avons détaillés précédemment. Premièrement, il est impossible de stocker des documents volumineux sur une blockchain, car elle n'a pas été pensée pour cela. Deuxièmement, il est impossible de mettre à jour ou supprimer un document sur la blockchain. Ce point qui fait toute la fiabilité de ce dispositif confine aux pourrissements de document obsolète qui s'entasseront à l'infini sur un blockchain qui finira par crouler sous leurs poids.

    Il n'y a qu'une réponse possible à ces deux problématiques. Il ne faut stocker sur la blockchain que les données qui le méritent, des données qui seront perpétuellement pertinentes. En pratique, cela signifie qu'il ne faut en aucun cas stocker les avis de notre registre des sûretés mobilières sur une blockchain. Il faut stocker uniquement l'historique des inscriptions qui conservera sa véracité et son utilité malgré la valse des inscriptions, modifications et radiations des avis.

    Pour parvenir à cet objectif, on peut passer par plusieurs modalités techniques. Le filtrage et la délocalisation des données. Grâce au schéma rudimentaire (Annexe 1) que nous avons eu du communiqué de presse du conseil national des greffes des tribunaux de commerce, nous savons qu'un filtrage a été envisagé. Puisque les greffes doivent valider toute information transmise par la « SARL Y (Annexe 1) ». On constate également que des données susceptibles d'évoluer dans le temps, tel que « l'état civil » de l'entreprise ne seront pas localisé sur la blockchain puisque seules « Les notifications envoyées sont inscrites sur la Blockchain ». On retrouve le but avancé par toutes les actualités : améliorer la coordination entre les greffes des différents tribunaux de commerce.

    Fort de cet exemple, nous proposerons à l'occasion de notre dernière recommandation un système légèrement différent et plus détaillé.

    323Laurent LELOUP, « Blockchain, la révolution de la confiance », op. cit., p. 109.

    - CHAPITRE 3 -

    LE REGISTRE EFFICACE

    1) Une blockchain invisible. Parmi tous les internautes qui arpentent la toile, combien savent réellement ce qu'est internet ? Combien seraient capables d'expliquer techniquement comment fonctionne ce réseau ? Très peu sûrement. Pourtant notre ignorance relative ne nous empêche pas de nous servir de l'outil. C'est cette invisibilité que nous devons viser, il n'est pas question de former l'ensemble des agents économiques aux subtilités de la blockchain. Nous devons forger une application, qui comme les navigateurs avec internet, effacera la technologie pour que ne subsiste que son seul usage à travers une interface ergonomique.

    2) Un réseau composite. Hyperledger Fabric est un outil qui permet de créer des réseaux composites dans la mesure où ils sont composés d'éléments très différents. Là où tous les pairs se ressemblent dans l'anonymat proposé par les blockchains publiques, les blockchains issues d'Hyperledger Fabric sont à l'inverse constituées de noeuds très différents, hiérarchisés et soumis à des règles de gouvernance établie par une autorité centralisée (b. les différents acteurs du réseau). Nous amorcerons le détail de notre projet en proposant quelques éléments de définition afin de clarifier le rôle de chaque composant technique dans l'agencement que nous avons retenu (a. les composants du réseau).

    a. Les composants du réseau.

    - Un espace de stockage : Si cette première notion est la seule que nous n'avons pas nommée en anglais c'est parce que cette technologie n'a rien à voir avec le protocole Hyperledger Fabric ou même les blockchains. L'espace de stockage est une base de données traditionnelle qui a vocation à recevoir les avis inscrits par les créanciers garantis. Cette inscription aura vocation à être testée par la blockchain proprement dite selon une procédure que nous allons détailler. Si elle est valide, l'avis dans son intégralité sera entièrement et durablement conservé dans cette base de données. À l'inverse si la transaction ne correspond pas aux critères de validité ancrée par les greffes des tribunaux de commerce dans la blockchain, l'avis sera effacé de l'espace de stockage et un message d'erreur sera envoyé à l'utilisateur via l'interface de l'application.

    - The Ledger : Il s'agit du registre distribué entre les pairs. Voilà le coeur inaltérable, la blockchain proprement dite. C'est ici que sera stocké l'historique des transactions qui auront été approuvées par les « endorsing peers » et l'« ordering service ». Cet historique ne sera pas composé de simples données, il recélera les métadonnées (des données particulières qui permettent de localiser tel ou tel avis sur notre base de données). Si on l'associe à la pratique du hashage324 il sera possible d'exposer au grand jour toute tentative de fraude qui se baserait sur une attaque de l'espace de stockage visant à modifier un avis. En ne stockant que des métadonnées sur notre Ledger, nous venons à bout des deux problèmes fondamentaux que

    324Précisons simplement que le passage d'un document à la moulinette d'une fonction de hashage fournit une donnée cryptée nommée un hash. Cette pratique qui suppose un agencement complexe de portes logiques donnera un hash complètement différent, si ne serait-ce qu'un seul caractère a été modifié dans le document entre deux cryptages. Dès lors, on comprend que l'attaque de l'espace de stockage serait une tentative de fraude grossière, vouée à l'échec tant que le Ledger demeure sécurisé via la technologie blockchain.

    nous avons soulevés. En effet, il est tout à fait possible de supprimer les avis obsolètes qui n'ont d'existence qu'au sein de l'espace de stockage, et seul l'historique des transactions est inscrit dans notre blockchain325.

    - À Membership Service : Avant de pouvoir inscrire un avis sur le registre, le créancier garanti devra s'identifier sur le réseau en tant qu'utilisateur. En termes techniques « The membership service provider (MSP) maintains the identities of all nodes in the system (clients, peers, and OSNs326) and is responsible for issuing node credentials that are used for authentication and authorization 327». Cette phase d'identification fonctionne par la délivrance de certificats328 aux nouveaux utilisateurs.

    - The chaincodes : « A smart contract, called chaincode329». C'est le premier point à retenir, comme nous l'avons évoqué plus haut, la blockchain publique Ethereum qui a mis les smart contracts sur le devant de la scène a fait de nombreux émules. Au sein du protocole hyperledger fabrique les smart contract sont nommés des chaincode. Une appellation moins déceptive pour les juristes dans la mesure où les smart contract ne sont pas des contrats. Chaincode et smart contract doivent être défini comme des applications distribuées sur la blockchain. C'est parce qu'elles sont ancrées au sein même de la blockchain que leur automaticité, leur plus grande qualité est garantie. Comme on ne peut pas modifier en fraude le Ledger on ne peut pas tricher avec les smart contract. Si les conditions de fait de son activation sont remplies, il accomplira son office en toute fiabilité. Les différents membres du réseau peuvent créer des chaincodes pour servir leurs besoins divers comme sur la blockchain Ethereum ou chacun est libre d'inventer ses propres smart contracts. Il faut différencier les chaincode des « system chaincodes 330» qui seuls servent aux « endorsing phase » et « ordering phase ».

    325« On proposera par conséquent de ne pas stocker l'intégralité de l'acte dans le registre, mais seulement une clé (un code) calculée de manière unique à partir de l'acte d'origine, de telle sorte que la modification d'un seul caractère du document initial induise une clé complètement différente, mais que deux documents parfaitement similaires induisent systématiquement une clé identique. Ainsi, chacun pourra conserver chez lui une copie de l'acte, seule la clé étant inscrite dans le registre », Barbara THOMAS-DAVID et Jean-Luc GIROT, « La blockchain expliquée autrement - Libres propos par Barbara Thomas-David et Jean-Luc Girot », préc., P.2.

    326Par « OSNs » il faut comprendre « ordering-service n'odes », à savoir les noeuds de la blockchain qui permettent à l'ordering service d'accomplir sa mission.

    327Artem BARGER, Christian CACHIN, Konstantinos CHRISTIDIS, Yacov MANEVICH, Manish SETHI, Alessandro SORNIOTTI, Marko VUKOLIÆ, « Hyperledger Fabric: A Distributed Operating System for Permissioned Blockchains », 30 Janv. 2018, accessible en ligne : https://arxiv.org/abs/1801.10228

    328« Les autorités de certification (AC) fournissent l'identité sur le réseau. Une autorité de certification peut être considérée comme un notaire public de confiance qui agit comme point d'ancrage entre plusieurs parties. Toutes les entités du réseau reçoivent un certificat signé par une autorité de certification racine qui encapsule leur identité numérique. Ce certificat est la racine de confiance pour toutes les opérations de signature et de vérification effectuées sur le réseau », cette définition est accessible en ligne via la documentation IBM cloud mise à disposition à l'adresse : https://cloud.ibm.com/docs/services/blockchain?topic=blockchain-managing-certificates&locale=fr

    329Artem BARGER, Christian CACHIN, Konstantinos CHRISTIDIS, Yacov MANEVICH, Manish SETHI, Alessandro SORNIOTTI, Marko VUKOLIÆ, « Hyperledger Fabric: A Distributed Operating System for Permissioned Blockchains », préc.

    330« The application chaincodes are deployed with a reference to an endorsement system chaincode (ESCC) and to a validation system chaincode (VSCC). These two chaincodes are selected such that the output of the ESCC (an endorsement) may be validated as part of the input to the VSCC. The ESCC takes as input a proposal and the proposal simulation results. If the results are satisfactory, then the ESCC produces a response, containing the results and the endorsement », Artem BARGER, Christian CACHIN, Konstantinos CHRISTIDIS, Yacov MANEVICH, Manish SETHI, Alessandro SORNIOTTI, Marko VUKOLIÆ, « Hyperledger Fabric: A Distributed Operating System for Permissioned Blockchains », préc.

    b. les acteurs du réseau.

    - Les utilisateurs : « Clients submit transaction proposals for execution, help orchestrate the execution phase, and, finally, broadcast transactions for ordering331». Ce sont évidements les acteurs du réseau qui ont le moins de pouvoir, ils sont simplement censés soumettre des requêtes qui seront ou ne seront pas validées par la blockchain proprement dite.

    - The peers and the endorsing peers : Il faut distinguer les « peers » des « endorsing peers ». « Peers execute transaction proposals and validate transactions. All peers maintain the blockchain ledger, an append-only data structure recording all transactions in the form of a hash chain, as well as the state, a succinct representation of the latest ledger state 332». La mission des « endorsing peers » va plus loin, « Not all peers execute all transaction proposals, only a subset of them called endorsing peers does, as specified by the policy of the chaincode to which the transaction pertains 333». Ce sont ces maillons de la chaîne qui nous permettront via « the policy of the chaincode » de refuser automatiquement toute transaction antidatée ou au nom d'un autre utilisateur par exemple.

    - The ordering service nodes : Ces noeuds particuliers forment à eux tous l' « ordering service ». Leur mission est de déterminer l'ordre dans lequel les transactions seront enregistrées dans le registre, ils ne participent pas à la validation des transactions334. Au sein des blockchains publiques c'est souvent la preuve de travail qui détermine l'ordre des blocs qui peuvent, durant de courtes périodes coexister en même temps étant donné que de nombreuses transactions peuvent être enregistrées en même temps. Au sein d'une blockchain privée pas besoin de déployer des moyens d'une telle démesure, « the ordering service » remplit cette tâche grâce à un mode de consensus extrêmement modulable. Autrement dit, c'est quand on créer cet élément de la blockchain que l'on doit opter pour l'un des modes d'élaboration du consensus compatible avec Hyperledger Fabric. Ce choix importe peu, ces noeuds étant détenus par les greffes des tribunaux de commerce, tiers de confiance par excellence, n'importe quel mode de consensus léger est acceptable.

    En somme « the ordering service establishes the total order of all transactions in Fabric, where each transaction contains state updates and dependencies computed during the execution phase, along with cryptographic signatures of the endorsing peers335».

    3) Exemple de l'enregistrement d'une transaction.

    Nous avons retenu un agencement particulièrement simple des différents composants de base d'Hyperledger Fabric. C'est un choix délibéré, car en raison de la vocation de la publicité efficace (absence de vocation probatoire, et mission d'accessibilité maximale), il n'est pas nécessaire de multiplier les espaces cloisonnés au sein de la blockchain. En effet, tous les créanciers garantis feront le même usage de notre application, en inscription, et tous les tiers intéressés par la publicité des sûretés mobilières feront le même usage en recherche. Hyperledger Fabric permet de créer des blockchains pour satisfaire les besoins d'utilisateurs

    331Ibid.

    332Ibid.

    333Ibid.

    334« Orderers are entirely unaware of the application state, and do not participate in the execution nor in the

    validation of transactions », ibid.

    335Ibid.

    qui souhaiteraient la partager tout en en faisant des usages différents. Ainsi il n'est pas nécessaire de développer un réseau très complexe.

    Il y a par principe trois étapes nécessaires à l'enregistrement d'une transaction au sein d'une blockchain créée grâce au protocole Hyperledger. Notre réseau sera construit sur le même modèle. (a. The execution Phase), (b. The ordering Phase), (c. The validation Phase)

    a. The execution phase.

    « In the execution phase, clients sign and send the transaction proposal (...) to one or more endorsers for execution336». Imaginons qu'un créancier garanti souhaite inscrire un warrant agricole sur le registre global des sûretés mobilières. Il devra commencer par s'identifier auprès du membership service (voir annexe 2). Après quoi il aura le droit d'uploader l'avis d'inscription sur l'espace de stockage (voir annexe 2) où l'avis sera conservé temporairement dans un premier temps. La demande d'inscription sera transmise par l'application à plusieurs endorsing peers (voir annexe 2). Ces pairs vont effectuer des calculs et des simulations en activant leurs chaincodes. À cette étape, un message d'erreur pourra être envoyé au créancier garanti si sa demande d'inscription ne correspond pas aux critères de gestion du réseau (the endorsement policy). Le tracé de cette erreur est représenté sur notre schéma par le tracé des flèches rouges. Les endorsers peers exécutent un travail de filtrage, si la demande d'inscription passe cette étape alors l'information atteindra l'ordering service.

    b. The ordering phase.

    « The ordering service batches multiple transactions into blocks and outputs a hash-chained sequence of blocks containing transactions337 ». L'ordering service va rassembler plusieurs transactions pour créer des blocks. Il s'agit de la blockchain proprement dite. L'information émise par notre créancier garanti sera « commit » sur un « channel », un canal de communication au sein de notre réseau.

    c. The validation phase.

    « Blocks are delivered to peers either directly by the ordering service or through gossip. A new block then enters the validation phase which consists of three sequential steps 338». Ces trois phases de validation « The endorsement policy evaluation 339», the « read-write conflict check340» et enfin the « ledger update phase341» constitue la dernière étape avant l'inscription d'une transaction sur la blockchain. « The validation system chaincode 342» est l'élément clé de cette dernière étape. Son action dépendra des règles de gestion et de gouvernance du réseau que nous aurons posées grâce au protocole Hyperledger Fabric, qui est encore une fois très permissif et flexible. Il faut bien comprendre que nous avons dépassé les étapes de filtrage (indiquées par le parcours des flèches rouges sur l'annexe 2). Que la

    336Ibid. 337Ibid. 338Ibid. 339Ibid. 340Ibid. 341Ibid. 342Ibid.

    transaction soit valide ou non, elle sera inscrite en tout état de cause sur la blockchain343. L'enjeu est relatif aux effets de la transaction. Si le créancier A a tenté une transaction qui a été invalidée, cela signifie que l'historique de blockchain conservera une trace de l'échec de l'inscription de sa sûreté. Peut-être l'utilisateur a-t-il envoyé par mégarde deux demandes d'inscription identiques à quelques secondes d'intervalle. L'historique conservé dans le ledger distribué conserva la trace de cette seconde inscription malvenue.

    À l'inverse si l'inscription est valide, la première inscription tentée par le créancier de notre exemple le serait par exemple, il est souhaitable que la blockchain transmette un feedback à l'application dont l'interface pourra prévenir le créancier garanti que son inscription est valide.

    343« If the endorsement is not satisfied, the transaction is marked as invalid and its effects are disregarded. », ibid.

    TABLE DES MATIÈRES

    PRINCIPAUX SIGLES ET ABRÉVIATIONS SOMMAIRE

    INTRODUCTION (p. 1)

    PREMIÈRE PARTIE - LE CHOIX DE LA SUBSTANCE : VOCATION D'UNE PUBLICITÉ EFFICACE (p. 11)

    TITRE I - les prérequis de l'efficacité en matière de publicité (p. 11)

    Chapitre 1 : La non-incidence de la connaissance ou de l'ignorance effective (p. 12)

    Section 1. L'épineuse distinction entre connaissance de la sûreté et bonne foi au sens de l'article 2276. (p. 12)

    Section 2. La présomption de connaissance de la sûreté, un pis-aller à un véritable critère objectif. (p. 13)

    Chapitre 2 : La distinction entre constitution et opposabilité d'une sûreté. (p. 16)
    Section 1. La Fiducie sûretés et les écueils de la première approche (p. 16)

    Section 2. L'exemple du droit commun du gage et les attraits de la seconde approche (p. 17)

    Chapitre 3 : L'approche globale et fonctionnaliste de la notion de sûreté (p. 19)

    Section 1. L'unification nationale, l'approche unitaire par soustraction (p. 20)

    Section 2. L'unification globale, l'approche unitaire par définition (p. 20) Chapitre 4 : La mise en avant de l'inscription par simple avis (p. 23 )

    Section 1. L'inscription plutôt que la dépossession (p. 23)

    1. L'emprise matérielle, identité propre de la dépossession (p. 24)

    2. Le droit de rétention, une entrave à l'attractivité de l'inscription (p. 25)

    Section 2. L'inscription par simple avis plutôt que l'inscription par enregistrement de document (p. 28)

    1. La vocation probatoire de l'inscription par enregistrement de document (p. 28)

    2. La vocation de la publicité efficace (p. 29)

    TITRE II - Du rôle traditionnel de la publicité, du constat de ses limites, et de sa nécessaire évolution (p. 32)

    Chapitre 1 : Informer les tiers, l'utilité traditionnelle de la publicité (p. 33)

    Section 1. Aider le tiers à anticiper l'aggravation de sa situation (p. 33) Section 2. Informer le tiers des risques de son engagement (p. 35)

    1. L'ayant cause à titre particulier, créancier garanti concurrent (p. 35)

    2. L'ayant cause à titre particulier, acquéreur (p. 37)

    Chapitre 2 : Protéger les tiers, le constat des limites de la publicité (p. 40)

    Section 1. La nécessité de ne pas hiérarchiser la protection des ayants causes à titres particuliers (p. 40)

    Section 2. La problématique de l'angle mort de la publicité personnelle (p. 42)

    1. Le sous-acquéreur, le tiers aveugle à la publicité personnelle (p. 42)

    2. La piste du gage sur chose fongible (p. 43)

    Chapitre 3 : Neutraliser la menace, la nécessaire évolution (p. 44)

    Section 1. Comment confiner le potentiel de nuisance du droit de suite ? (p. 44)

    1. L'assiette universalité de la sûreté globale et ses composants libres de tout droit de suite (p. 44)

    2. L'extension de l'assiette au produit et la suppression conditionnelle du droit de suite (p. 46)

    Section 2. Deux remèdes accompagnés d'effet secondaire (p. 49)

    1. La réalisation de la sûreté globale (p. 49)

    2. L'assiette extensible et la problématique des biens métamorphe (p. 50)

    SECONDE PARTIE - LE CHOIX DU RÉCEPTACLE : LA GENÈSE DU REGISTRE EFFICACE (p. 54)

    TITRE I - Les propriétés d'un registre efficace et les moyens de les développer (p. 55)

    Chapitre 1 : L'absolue nécessité d'un registre informatisé (p. 56) Section 1. l'inefficience du registre papier (p. 56)

    Section 2. L'exemple critiquable du fichier national des gages sans dépossession (p. 57)

    Chapitre 2 - Principes d'un registre efficace (p. 61)

    Section 1. Clarté : la question de l'indexation des avis (p. 61)

    1. Indexation en considération de la personne du constituant : méthode principale (p. 61)

    2. Indexation en considération de certains biens grevés : méthode complémentaire (p. 62)

    Section 2. Simplicité : la question de la priorité des droits (p. 63)

    1. Définition des règles de priorité et délimitation de leurs champs d'application (p. 63)

    2. La nuance entre ordre des opposabilités et ordre des priorités (p. 65)

    Section 3. faible onérosité, la question du financement (p. 67)

    1. La rationalisation et la minimisation des dépenses (p. 67)

    2. Les opportunités d'auto financement du registre (p. 68)

    TITRE II - L'innovation technologique a considéré : de la blockchain aux blockchain (p. 69)

    Chapitre 1 - L'apport de la technologie blockchain (p. 69)

    Section 1. La notion de blockchain, définition générale (p. 69)

    1. L'outil blockchain, une définition pour une technologie plurielle (p. 70)

    2. Les créations blockchain, l'ombre du Bitcoin (p. 71)

    Section 2. Confrontation de la blockchain aux bases de données traditionnelle

    (p. 72)

    1. Cette base de données en accès libre et direct juste sous nos yeux (p. 73) Première proposition : Le registre Wiki, le registre partagé le plus basique (p. 74)

    2. Les atouts à doubles tranchants de la blockchain (p. 75)

    Chapitre 2 - Les blockchains (p. 77)

    Section 1. Le constat de l'inadaptabilité de la blockchain publique aux problématiques du registre des sûretés réelles mobilières (p. 77)

    1. La blockchain publique (p. 77)

    2. La solution des blockchain privés (p. 79)

    Section 2. L'exemple du permissioned ledger, une blockchain privée

    expérimentée par IBM et les greffes des tribunaux de commerce (p. 80)

    1. Registre du commerce et des sociétés et registre des sûretés réelles mobilières, des registres voisins ? (p. 80)

    2. Notre projet (p. 82)

    Chapitre 3 - Ultime proposition, le registre efficace (p. 85)

    1. Une blockchain invisible (p. 85)

    2. Un réseau composite (p. 85)

    a. Les composants du réseau (p. 85)

    b. les acteurs du réseau (p. 85)

    3. Exemple de l'enregistrement d'une transaction (p. 87)

    a. The execution phase (p. 88)

    b. The ordering phase (p. 88)

    c. The validation phase (p. 89)

    BIBLIOGRAPHIE ANNEXE

    BIBLIOGRAPHIE

    I. OUVRAGES GÉNÉRAUX : RÉPERTOIRES E T ENCYCLOPÉDIES

    BEDER (P.), « Publicité légale », Rép. Soc., oct. 2016.

    CROCQ (P.), « gage », Rép. Civ., Fév. 2017 (actualisation Oct. 2018).

    DE KERGOMMEAUX (X.), « Titrisation », Rép. com., janv. 2010 (actualisation Janv. 2018). JUILLET (C.), « Hypothèque », Rép. Imm., mai 2019.

    LATINA (M.), « Principes directeurs du droit des contrats », Rép. Civ., mai 2017 (actualisation Janv. 2019)

    LEGEAIS (D.), « Sûretés », Rép. civ., janv. 2016 (actualisation mars 2019).

    LEGEAIS (D.), « Fiducie-sûreté », J.-Cl., fasc. 10, 1er avr. 2011 (màj12 juin 2017). PRAICHEUX (S.), « Sûretés financières », Rép. soc., Avr. 2019.

    II. OUVRAGES SPÉCIAUX : OUVRAGES COLLECTIFS ET THÈSES Ouvrages collectifs :

    GARAPON (A.) et LASSEGUE (J.), « Justice digitale : révolution graphique et rupture anthropologique », Presses universitaires de France/Humensis, 11 avr. 2018.

    RIFFARD (J-F.), « Sûretés mobilières et Stocks : ou l'Art et la Manière de résoudre la Quadrature du Cercle », dans SPYRIDON V BAZINAS, N ORKUN AKSEL, « International and Comparative Secured Transactions Law Essays in honour of Roderick A Macdonald », Hart publishing, oct. 2017, P.136. et s.

    Thèses :

    BLANDIN (Y.), « Sûretés et bien circulant, contribution à la réception d'une sûreté réelle globale », Thèse de doctorat en droit, université panthéon-assas, Paris, 2014.

    PINTO HANIA (V.), « Les biens immatériels saisis par le droit des sûretés réelles mobilières conventionnelles », Thèse de doctorat en droit, Université Paris-Est, Paris, 2011.

    III. ARTICLES DE REVUES ET COMMENTAIRE DE JURISPRUDENCE

    ANDREU (L.), «Gage avec dépossession contre gage sans dépossession», Recueil Dalloz 2012, n° 27, P. 1761 et s.

    ANSALONI (G.), « Sur l'opposabilité du gage sans dépossession de droit commun », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, LexisNexis, 2009, n° 27. P. 1672 et s.

    AYNES (A.), « Gage avec dépossession par entiercement : admission large de la condition de dépossession », Revue des contrats, 1er oct. 2010, n° 4, p. 1336.

    BENADIBA (A.), « La publicité des sûretés réelles au Québec : évolution ou mutation ? », Revue du notariat, Éditions Yvon Blais, 2014, volume 116, n° 3, P. 333 et s.

    BERBAIN (C.), « La blockchain : concept, technologies, acteurs et usages, réalités

    industrielles », dans DARDAYROL (J.-P.), (coordinateur), « Blockchains et smart contracts : des technologies de la confiance », Réalités industrielles, annales des mines, Serie trimestrielle l, août 2017, P.6 et s.

    BLANDIN (Y.), « Gage sur stock - La réforme du gage des stocks par l'ordonnance n° 201656 du 29 janvier 2016 », Revue de Droit bancaire et financier, LexisNexis, Juillet 2016, n° 4, étude 20.

    BOFFA (R.), « L'opposabilité du nouveau gage sans dépossession », Recueil Dalloz 2007, n° 17, p.1161 et s.

    BOURASSIN (M.), « Réforme du gage des stocks : de l'attraction à l'attractivité », Gaz. Pal. 8 mars 2016, n° 10, P. 53.

    CROCQ (P.), « Lacunes et limites de la loi au regard du droit des sûretés », Recueil Dalloz 2007, P.1354 et s.

    CROCQ (P.), « Droit des sûretés », recueille Dalloz 2008, P. 2104

    CROCQ (P.), « Sûretés mobilières : état des lieux et prospective », Revue des procédures collectives, LexisNexis, Nov. 2009, n° 6, dossier 18.

    CROCQ (P.), « Nantissement de fonds de commerce et refus du droit de rétention fictif de l'article 2286, 4°, du code civil », RTD civ. 2014, n°1, p.158 (Com. 26 nov. 2013, n° 1227.390).

    CROCQ (P.), « Une trop grande dématérialisation de la dépossession fait perdre le bénéfice du gage avec entiercement », RTD Civ., 2015, n° 3 p.665. (Com. 8 avr. 2015, n° 14-13.787)

    DELPECH (X.), « Propositions de réforme du droit des contrats spéciaux et du droit des sûretés », Dalloz, AJ contrat, Dalloz, 2017, n°10, p.404.

    EMERICH (Y.), «La nature juridique des sûretés réelles en droit civil et en common law: une question de tradition juridique? », RJTUM, 2010, n° 44-1, P.99 et s.

    FOURNIER (V.), BOBET (P.), « La blockchain se déploie dans les greffes des tribunaux de commerce, Focus sur une première dans le secteur judiciaire, développée par IBM », Journal Spécial des Sociétés, 6 avr. 2019, n° 27, P.8 et s.

    GENTIL (E.), « problématique des investisseurs finance et droit des sûretés », Revue d'économie financière, association d'économie financière, 2018, n° 129, P. 99 à 115.

    LELIEVRE (V.), « BCE, BoJ, Fed : pompiers et pyromanes », Revue de l'Union européenne, Dalloz 2019, n° 624, P.57 et s.

    LEGEAIS (D.), « Portée d'une clause de substitution des marchandises introduite dans un contrat de gage », RTD com., Dalloz, 2010, n°3, P. 596

    PETRUCCIANI (S.), «Les multiples dimensions de la critique marxienne du droit», Revue Droit & Philosophie nov. 2018., n° 10, P.11 et s.

    RIFFARD (J-F.), « L'harmonisation internationale des droits des sûretés mobilières : ne ratons pas le train ! », Revue de Droit bancaire et financier, LexisNexis, mars 2016, n° 2, dossier 11.

    THOMAS-DAVID (B.) et GIROT (J-L.), « La blockchain expliquée autrement - Libres propos par Barbara Thomas-David et Jean-Luc Girot », La Semaine Juridique Notariale et Immobilière, LexisNexis, mai 2018, n° 21-22, act. 480.

    WAELBROECK (P.), « Les enjeux economiques de la blockchain », dans DARDAYROL (J.-P.), (coordinateur), « Blockchains et smart contracts : des technologies de la confiance », Réalités industrielles, annales des mines, Serie trimestrielle l, août 2017, P.10 et s.

    IV. DOCUMENT DE LA COMMISSION DES NATIONS UNIES POUR LE DROIT

    COMMERCIAL INTERNATIONAL

    Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, « Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties », New York, 2011, accessible en ligne : https://www.uncitral.org/pdf/english/texts/security-lg/f/LGonSTFrench.pdf

    Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, « Guide de la CNUDCI sur la mise en place d'un registre des sûretés réelles mobilières », Vienne, 2014, accessible en ligne : https://www.uncitral.org/pdf/french/texts/security/Security-Rights-Registry-Guide-f.pdf

    V. DOCUMENTATION INTERNET

    Association Henri Capitant, « Avant-projet de reforme du droit des sûretés », accessible en

    ligne : http://www.henricapitant.org/travaux/legislatifs-nationaux/avant-projet-de-reforme-
    du-droit-des-suretes

    BARGER (A.), CACHIN (C.), CHRISTIDIS (K.), MANEVICH (Y.), SETHI (M.), SORNIOTTI (A.), VUKOLIÆ (M.), « Hyperledger Fabric: A Distributed Operating System for Permissioned Blockchains », 30 Janv. 2018, accessible en ligne : https://arxiv.org/abs/1801.10228

    DE FILIPPI (P.), REYMOND (M.), « Blockchain et droit à l'oubli », dans NITOT (T.), CERCY (N.), Numérique: reprendre le contrôle, novembre 2016, Framasoft, n° 1, P.138 et s. accessible en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01676888

    GRIMALDI (M.), MAZEAUD (D.), DUPICHOT (P.), « Présentation d'un avant-projet de réforme des sûretés », Dalloz actualité, 3 Oct. 2017, accessible en ligne : https://www.dalloz-actualite.fr/chronique/presentation-d-un-avant-projet-de-reforme-des-

    suretes#.XVl UOgzZPY

    LEBERT (M.), « Booknologie : Le livre numérique (1971-2010) », Project Gutenberg ebook, accessible en ligne : http://www.gutenberg.org/ebooks/33462

    LELOUP (L.), « Blockchain, la révolution de la confiance », Eyrolles, 17 février 2017, accessible en ligne http://univ.scholarvox.com.ezproxy.uca.fr/reader/docid/88838650/page/1

    LOURADOUR (S.), « Comprendre le fonctionnement de wikipedia », Yellow vision, accessible sur le site du magazine en ligne Yellow vision, : http://yellowvision.fr/comprendre-le-succes-de-wikipedia/

    ROBESPIERRE (M.), « Discours par Maximilien Robespierre 17 avril 1792-27 juillet 1794 », Project Gutenberg ebook, accessible en ligne à http://www.gutenberg.org/ebooks/29887

    SAYAG (A.), « introduction », dans CREDA, « l'information légale dans les affaires : quels enjeux ? Quelles évolutions ? », colloque du 1er mars 1994, actes consultables à http://www.creda.cci-paris-idf.fr/colloques/1994-information-legale-actes.html

    SMITH (A.), « Du prix réel et du prix nominal des marchandises, ou de leur prix en travail et de leur prix en argent», dans Smith (A.), « la richesse des nations », [en ligne], 1776, W.

    Strahan and t. Cadell, Londres, accessible en ligne
    à
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75319v.pdf

    ANNEXE 1 :

    Exemple du fonctionnement de la Blockchain initiée par les
    Greffes des Tribunaux de Commerce (TC)

    Un changement relatif a la rie de la SARL Y est déclare par son dirigeant (ex : changement d'adresser ouverture ou fermeture d'établissement), ou bien une procédure de traitement des difficultés est ouverte par le tribunal (procédure de sauvegarde, redressement OU liquidation judiciaire). Le changement est valide par ie greffe du TC A. compétent dans son ressort géographique pour enregistrer ['opération juridique.

    SARI. aT»

    i.e SARL V I Sali

    siege social au greffe A et des etablu sements

    secondaires situés
    dans les greffes B, C, D.

     
     
     
     
     
     
     
     
     
     

    Le greffe du TC A reçoit [a demande formulée par la SARL a Y a vende juridiquemenr le. changement pour la SARL s Y v, modifie son registre du Commerce et des Sociétés {RCSk et/OU des Procédures Collectives (PC), et dé[iwre l'extrait d'immatriculation misa jour de la SARL U Y (extrait K
    · bis).

     
     
     

    Greffe A

     
     
     
     
     
     
     
     
     

    Greffe C

    Greffe D

    Le greffe du TC A envoie des notifications, pour signifier les modifications, a tous tes greffes des TC ayant un

    établissement Secondaire (es fonds de commerce,
    boutiques...) dans leur ressort géographique. Les notifications enrayées sont inscrites sur la Blockchain.

    Les greffes.des TC fiant dans leur ressort géographique des établissements secondaires vérifient Ees informations contenues dans les notifications reçues, confirme (a mise a jour de leurs registres {f.CS et/ou PC) et envoient une natificatéori de réponse au greffe du TC A pour signifier les mises a jour.

    Amélioration de la qualité du service proposé par les greffiers aux entreprises

    1

    Sécuriser
    juridiquement

    les processus de suivi des mises à jour des registres en simplifiant et en assurant la traçabilité de Caque opération svr le registre immuable qu'est fa Blockchain

    z

    Fluidifier et
    optimiser

    tes pros de traitements des opérations par un suivi précis des notifications

    3

    Nouvelles
    perspectives

    dans la gestion des registres

    RCS et PC et du service
    proposé aux entreprises

    ANNEXE 2 :

    Le tracé des flèches noires représente la demande de transaction et son parcours jusqu'à l'enregistrement dans le registre.

    Le tracé des flèches rouges représente le cheminement d'un message d'erreur en cas de demande invalide.

    Le tracé des flèches en pointillés représente le stockage de l'avis lui même. Comme évoqué précédemment cet avis sera soit conservé, soit effacé en fonction de la réponse de la blockchain quant à la validité ou l'invalidité de la transaction.






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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote