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Le malaise identitaire et sa quete dans l'enfant des deux mondes de Karima Berger : vers une représentation romanesque de l'hybride


par Amar MAHMOUDI
UMMTO - Master 2 2021
  

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1.2. L'identité-sujet (individuelle) :

Appréhender cette notion de l'identité personnelle dans son aspect dynamique avec soi-même et avec l'autre, donne matière à réfléchir sur les valeurs fondamentales de l'être en particulier et la diversité de la culture en général. Telles sont, entre autres : la liberté, l'individualisme et la possibilité du développement personnel. C'est également l'occasion de renouveler ses impressions, porter un regard dynamique sur l'autre, dès lors qu'il n'est plus question de penser l'identité comme un sentiment infus, ou quasi intangible dans ses rapports réduits à l'interculturel. Derrière cette conception type de l'identité (stato)nationale, se dissimule en fait le problème, résiduel, de l'ambivalence de l'identité culturelle dans ses particularités environnantes.

Face à ce trait intangible de la culture, le philosophe François Jullien estime qu'« il n'y a pas d'identité culturelle » au sens archaïque du terme47(*) (supposé de ?racine') mais tout au plus des « ressources culturelles » à déployer, en tant qu'elles n'appartiennent à personne dans leur état brut et qu'elles ne se réfèrent à la collectivité que dans l'esprit d'évacuer ces racines. L'avantage qu'il y a à parler ainsi, c'est que les ressources changent ou évoluent, tandis que la racine d'une propriété d'ensemble ne fait que permuter la caractéristique d'une nature première : l'on sait, de manière sûre, que les ressources progressent là où la racine aspire à la mort et au figement.

Le fait est que, pas de racines (spirituelles ou ethniques) authentiques donc au sens de valeurs communément admises, dans la mesure où celles-ci ne reflètent aucunement la chose vécue sur le plan individuel, et laisse penser à un travestissement général de la pensée48(*). De sorte que, aujourd'hui, la tâche la plus ardue sûrement consiste dans la manière de « délocaliser [cette] pensée » ennemie qui gît à même le pays, c'est-à-dire à ce bouillonnement fébrile des nationalistes qui naquît en dedans des frontières. La culture nationale est, selon ce même philosophe, affaire de positionnement (politique) au même titre que semble le suggérer davantage ce concept des « stratégies identitaires »49(*) cher à tout conservatisme. Partant de cette logique, figer la culture revient à envisager - chose non plus possible - « le tarissement des ressources » et des processus naturels et historiques, pour aboutir à une identité morale se complaisant dans le passif.

La question qui peut d'ores et déjà se poser en dehors de tout idéologisme est : peut-on être multinational (dans le cas de l'enfant des deux mondes) au même titre que sujet biculturel au service de la nation (algérienne) ? Ou encore, quelles sont à cet égard les ressources culturelles caractéristiques de l'identité individuelle et personnelle ? Qu'est-ce que l'identité personnelle par rapport à l'identité d'affirmation sociale ?

Pour répondre à ces questions d'ordre théorique, mais non moins dénuées de pragmatisme, nombreux sont les penseurs qui récusent la thèse de l'ethnocentrisme et privilégient une approche décentrée au profit de l'individu auquel ils confèrent une certaine marge d'autonomie :

L'identité se joue non seulement dans la relation entre le présent et le passé du sujet, mais aussi dans la relation entre ce qu'il est au présent et ce qu'il sera ou, plutôt, ce qu'il vise à devenir, ce qu'il projette de lui-même dans un futur plus ou moins défini.50(*)  

De ce fait, l'identité du sujet demeure largement incrustée dans la « culture réelle » et différente, « mais que nous devons nécessairement accommoder » eu égard aux autres qui se rapportent à une catégorie d'affirmation Sui generis et qui lui octroient le statut d'identité d'aspiration, car alors réduite à sa seule composante de base. Cependant, il y a, précisément, processus subjectif d'identification quand l'identification du sujet n'emprunte guère plus davantage la voie de légitimation objective tracée par l'organe collectif assidu. « L'identité, affirme François Jullien, est toujours singulière » du point de vue de la différence minimale (l'identification au père, aux traits de caractère personnels, à la psyché, etc.) propre au sujet, et qui malgré les circonstances qui peuvent les unir, entre individus, n'a rien de commun avec les autres. L'« écart » est ainsi une composante de base de la personnalité individuelle, à travers lequel toute tentative d'identification dans la pluralité culturelle est admise. Si identité collective il y a, elle serait finalement la somme commune de tous ces écarts établissant « la mise en tension de la culture » entre sujets et individus. Il demeure, le risque majeur qui pèse à l'encontre du sujet et qui est probablement cette standardisation de la culture sur les modèles national versus universel : tous deux visant à l'uniformité de l'action culturelle, au durcissement des ressources jusque-là en interaction.

La raison et le rationnel en identité ne sauraient constituer une voie d'affirmation légitime pour l'homme moderne. Il existe, selon Albert Camus, des systèmes paradoxaux où le truisme par vocation des autres crée, à l'évidence, une multitude de mécanismes visant à supplanter la connaissance de soi. Une connaissance certes limitée mais située à une part du subjectivisme conscient chez le sujet :

Mais cela n'est point tant une preuve de l'efficacité de la raison que de la vivacité de ses espoirs. Sur le plan de l'histoire, cette constance de deux attitudes illustre la passion essentielle de l'homme déchiré entre son appel vers l'unité et la vision claire qu'il peut avoir des murs qui l'enserrent.51(*)

L'identité personnelle du sujet, loin d'être une manifestation simple de l'esprit, converge avec la réalité concrète de la personne qui la conçoit, de l'autre qui la reçoit et du groupe qui les désigne. Cette tripartition de l'identité personnelle par un système complexe de perception reçoit l'appellation de « travail identitaire », de ce qu'il est le plus à même de lui dicter ses états de rupture. En effet, « toute forme de dissociation entre l'autoperception, la présentation et la désignation ouvre une crise identitaire » en lieu de la liaison rompue qui fait que le courant ne passe plus entre des éléments du dedans et du dehors (comme cela est fréquent chez le sujet biculturel pris de dédoublement) :

L'autoperception ne se manifeste qu'à la condition d'un dédoublement réflexif amenant le sujet à faire retour sur soi : retour qui opère et signale à la fois une rupture dans l'immédiateté et l'évidence du rapport au monde, symptomatique d'une tension, d'une contradiction, d'une incohérence entre les moments de l'identité.52(*)

Face à un certain nombre de repères privilégiés de la cellule collective (au même titre que l'épuration du sang filial en famille), l'individu, en tant que sujet, conçoit sa présence par rapport à l'autre sur les bases d'une cohérence qu'il a - malgré les idéologies intrinsèques de reproduction - incrustée au sein de lui-même. Ces « paramètres » comme on tend à les appeler, constituent l'essentiel de sa personne et de son être social : paramètres sociodémographiques entre autres (âges, orientations sexuelles, idéaux politiques et spirituels, statuts matrimoniaux ou professionnels...), en fonction desquels on appréhende sa propre valeur paradigmatique. Le sujet vit en fonction de ces paramètres qu'il considère dès lors comme émanant de lui et tient pour être distincts des autres, ceux relatifs à tout un chacun. Ce sont là quelques exemples de marqueurs identitaires sur lesquels se fonde l'identité du sujet propre à lui seul, en tant qu'elle est parallèlement ce qui le distingue des autres et ce qui l'en rapproche (en termes de différence) : de sorte qu'une personne peut avoir déjà acquis au préalable un certain nombre de marqueurs, qu'elle se reconnaît en commun avec quelque autre personne non reconnue, isolée ou éloignée (l'âge, le sexe, la profession, les idées...) ; et d'autres, qui la distinguent simultanément des individus qu'elle a pu côtoyer, s'en prenant à la dimension fondamentale de la personnalité individuelle (les croyances, la psyché, l'humeur, la caractéristique physique et génétique...).

Nous pourrons dire que l'identité, dans ce cas, « est tout à la fois ce qui distingue un individu des autres et ce qui l'assimile à d'autres. »53(*). En d'autres termes, qu'elle dépend de l'usage que l'on fait de ces facteurs, comme d'une catégorisation abstraite de signes :

La pertinence de ces différents paramètres identitaires dépend du contexte dans lequel un individu est amené à se définir. [...] l'importance de ces différentes façons de se définir est donc relative à la situation dans laquelle se pose la question de l'identité individuelle.54(*)

Il demeure que, d'un côté, cette manifestation sporadique de l'identité est entièrement réduite à son caractère mineur, par celle majoritaire et nationale. L'identité individuelle - la plus minoritaire qui soit - est à l'image de ce qui est fortuit et se réclame, pour subsister tout au moins, des pouvoirs de sa contingence : elle est, dans ses rapports à elle-même et à autrui, aujourd'hui instable et joue sur sa signification tant à passer d'un sens à l'autre, d'un regard à l'autre, d'une différence (l'Ipséité55(*)) à l'autre. Si individuelle est l'identité, elle ne peut s'empêcher toutefois de se confronter, voire de se conforter aux dépens de l'être social qu'incarne implicitement l'autre. Là réside sa particularité aporétique, supposée par le truchement de l'individu (acteur) et de la société (spectateur, critique, juge). En outre :

Ce dualisme méconnaît deux réalités fondamentales : d'une part, l'identité n'est pas faite seulement de ce que le sujet perçoit ou présente de lui-même, mais aussi de ce qui lui est renvoyé par autrui (ce que nous nommons le moment de la « désignation » ; d'autre part il existe, chez le sujet lui-même, un clivage entre deux images de soi, l'une tournée vers soi-même (ce que nous nommons le moment de l'« autoperception »), l'autre tournée vers autrui (ce que nous nommons le moment de la « présentation »). Autant dire que l'identité n'est ni unidimensionnelle ni bidimensionnelle, mais bien tridimensionnelle.56(*)

Face à cette ambivalence qui accompagne le sentiment de l'identité personnelle du sujet, Amin Maalouf convoque ainsi cette autre citation de Marc Bloch : « [L]es hommes sont plus les fils de leur temps que de leurs pères. ». L'identité ainsi définie se fonde sur une dichotomie de base : il s'agit pour A. Maalouf de distinguer entre un moment de l'histoire collective (celui-là réparti sur l'axe vertical), caractérisant cette part de l'héritage ancestral et commun auquel tout individu est plus ou moins sommé de se référer (diachroniquement parlant) ; et une conception propre, celle-ci, à la condition immédiate, spontanée, de l'être évoluant (sur l'axe horizontal) au sein de son univers contemporain, tout imprégné qu'il est de ses avancées relatives. Il n'est plus question dès lors de préséance en matière d'identité - l'appartenance collective et religieuse jouant un rôle central dans cet enfermement - mais seulement de pertinence à l'égard de tous ses choix. De même semble-t-il insister sur l'impératif de ces deux héritages à constituer une identité synchronique et dynamique, car elle est avant tout sujette à des processus physiques et spatio-temporels. Il n'est d'ailleurs pas exclu de le voir abonder dans le domaine partiel de la subjectivité plus que dans l'originalité spirituelle à laquelle pend une certaine image de tribalisme extrême :

Toutes ces appartenances n'ont évidemment pas la même importance, en tout cas pas au même moment. Mais aucune n'est totalement insignifiante. Ce sont les éléments constitutifs de la personnalité, on peut presque dire « les gènes de l'âme », à condition de préciser que la plupart ne sont pas innés57(*). Si chacun de ces éléments peut se rencontrer chez un grand nombre d'individus, jamais on ne retrouve la même combinaison chez deux personnes différentes, et c'est justement cela qui fait la richesse de chacun, sa valeur propre, c'est ce qui fait que tout être est singulier et potentiellement irremplaçable.58(*)

Ce principe auquel se réfère A. Maalouf va peu à peu s'implanter au coeur des études postcoloniales. En effet, dans le cas où le sujet est hybride, nous parlerons d'une dynamique existentielle qui est le résultat d'une ambivalence culturelle. Pour l'appréhender, on suppose qu'elle doit suivre le cheminement qui lui est consacré tout naturellement, c'est-à-dire la modernité, et rompre avec les idéaux de son passé. Mais, à mesure qu'elle croit, elle ne peut s'établir définitivement en mettant un terme à la perspective traditionnelle. Chez Karima Berger, elle se manifeste comme une obsession double, sorte de superposition douloureuse de son expérience des deux mondes. Par cela, elle affirme et soutient cette subjectivité qui est un peu la sienne, tout en étant aussi celle des autres.

Or, quête de l'identité ne doit pas signifier uniquement, dans ce cas de figure, quête de modernité... Car dans le cheminement inverse, cela revient à peu près au même. Et que cette dernière, c'est-à-dire la « la quête de la modernité [si elle avait lieu] n'a pas toujours signifié rupture avec les valeurs de la société. »59(*). Si l'on s'accorde ainsi aux dires des philosophes, c'est un processus qui s'insinue dans les deux sens, qui puise autant dans le passé commun que dans le devenir de l'individu, dans le tas que dans l'unité. D'ailleurs, fait important, un roman - tel que le nôtre - n'est jamais que l'expression d'une crise (identitaire), l'identité elle-même étant pure abstraction.

Il y a donc un certain fond commun, un parallèle qui s'établit entre affirmation de soi et appartenance à de plus grands ensembles. Cette jonction vient suppléer en l'occurrence les besoins du terrain en se prévalant d'une certaine neutralité à l'égard de ces acteurs potentiels présumés. Ces deux conceptions de l'identité sont partout à l'oeuvre, que ce soit au sein des sociétés nouvelles ou anciennes. Nous verrons qu'avec L'enfant des deux mondes, une conscience identitaire riche s'y trame d'un bout à l'autre.

En définitive, l'identité personnelle a ceci de différent avec l'identité dite sociale (collective) : elle est davantage appréhendée dans la rupture que dans la poursuite des liens d'origine. En effet, la somme de ces identités complexes repose sur le caractère fonctionnel de l'une (en dépit des rapports extérieurs) et l'exigence matérielle de l'autre (tout ce qui permet à autrui d'identifier un individu sur la base de données préexistantes). Elle est alors synchronique dans le premier cas et diachronique dans l'autre. L'absorption ainsi continue de ces deux aspects/moments de l'identité constitue de ce fait un ensemble de facteurs plus vastes à définir, qui fonde par conséquent l'identité culturelle, à la fois comme représentation subjective de soi (Ipse) et représentation objective de la société (Idem). On passe ainsi impunément d'un processus à l'autre sans pour autant renoncer à la particularité qui les distingue l'une et l'autre. Si, comme on l'a vu la culture ne relève ni du domaine de l'aristocratie, ni de celui plus abstrait de l'idéologie, elle est tout à la fois la matrice originelle de cet accomplissement pluriel en société et de la continuité excentrique propre au sujet dont elle est la synthèse.

RÉSUMÉ :

Depuis la parution du livre Essai sur l'entendement humain de John Locke et la régie des identités chez Aristote, l'identité est appréhendée dans la pluralité de ses rapports subjectifs à la personne humaine. La notion est depuis lors travaillée du point de vue objectif en épistémologie pour aboutir, au tournant des XVIII éme et XIX éme siècles, à une mise en enfermement de l'identité par rapport à tout dualisme inhérent au vécu subjectif de l'homme. L'identité est dès lors posée comme un phénomène mental, irréductible à la seule dimension physique, laquelle est dénuée de consistance face à la mobilité du caractère humain. Identité à sens national craignant le changement et l'évolution de ses rapports avec l'étranger : elle est, davantage dans son ambigüité, associée à une nation, une langue, une race, une ethnie ou à toute autre entité de définition abstraite, visant à l'unité des hommes dans leurs relations mutuelles. L'identité « logique » est celle qui ne rend pas compte de sa variabilité spatio-temporelle, et propose toute une gamme de modèles et de valeurs sur lesquels l'homme prochain doit appréhender son existence. Elle fait face, du reste, à de nombreuses considérations philosophiques en termes de mêmeté, de temporalité, de changement, de pluralité... survenus suite à des processus naturels mais aussi idéologiques (l'exclusion de toute altérité).

Déborder le cadre de cette logique de définition, suppose un autre regard sur la réalité subjective du sujet (qui du reste est polémique : voir la réception qu'en donne Nietzsche à propos du mythe personnel). La relativité du changement de la personne humaine durant son existence, demeure pour ainsi dire le principal écueil pour cerner, intégralement, la relation identitaire et ses interférences multiples. Ce qui lui confère, dès suite de Paul Ricoeur, un caractère de nos jours encore suffisamment abstrait : identification à soi-même, en partie dans l'Idem, mais aussi dans l'Ipse, qui fait que, l'identité d'un sujet confrontée à diverses épreuves temporelles équivaut à la même. Cette structure est dite permanente car elle est continue. Non pas qu'elle soit figée ou réifiée en elle, chose d'autant absurde que la visée ontologique dont se réclame l'identité nationale, mais (voir la métaphore du bâtiment60(*) chez Locke) qu'elle est porteuse, en quelque endroit de son évolution, d'une conscience figurative de soi. De même que l'identité-narration prouve cette particularité, de même le sujet conçoit en ses propres termes le rapport de son évolution.

Ainsi posée sur le terrain de la logique, l'identité est intimement liée à la pensée du devenir humain (dans son immuabilité et son intelligibilité platoniciennes61(*)), plutôt qu'à l'ensemble des processus subjectifs, susceptibles de corrompre cette union et de restituer à l'homme moderne sa véritable diversité naturelle. C'est en ce sens que naît une philosophie de l'être et une philosophie du devenir, réunies par Jean-Paul Sartre dans L'Être et le Néant. Le projet d'ensemble est en soi similaire à cette grande entreprise morale, là où elle trouve écho dans l'oeuvre générale de Kant. C'est, finalement, souscrire à une concession idéale de l'identité, tant individuelle (sur le plan affectif) que collective (sur le plan essentiel).

*

Le tableau ci-dessous est une représentation générale des propriétés spécifiques de chaque type d'identité abordées en corps de texte, dans le premier chapitre. Il est à vocation illustrative.

Identité personnelle

Identité sociale

Identité d'aspiration

Identité prescrite

Fonction interne

Fonction externe

Relation affective

Liens substantiels

Aspect dynamique

Aspect immuable

Spécificité concrète

Spécificité virtuelle

Opinion subjective

Opinion objective

Propriété expansive

Propriété rétroactive

État d'excentricité

Principe de circumduction

Situation irrégulière

Situation régulière

Forme hétéroclite

Apparence conforme

Irréductibilité

Référentialisation

À posteriori

À-priori

Eccéité

Orthodoxie

Descendante

Ascendante

Transversale

Linéaire

Synchronique

Diachronique

Res privatae

Habitus

Sui generis

Ad populum

Singulière

Plurielle

Ipse

Idem

(c) Tableau récapitulatif

? CHAPITRE DEUXIÈME : Sur la question nationale en Algérie62(*).

Mon Algérie à moi, c'est donc toute cette histoire et toute cette géographie, certes mouvementées, certes chamboulées mais avec cette permanence fabuleuse, cet ancrage dans le terroir et dans le territoire, toujours ouverts aux autres, aux vents et aux ressacs. À la vie vraie, quoi !

Rachid Boudjedra.

Les notions d'identité exhibées tout en haut, dans le chapitre un, reflètent à coup sûr l'imperméabilité de l'immensité du champ théorique dans lequel ont été précipitées, sinon prises au dépourvu, des réalités complexes mais non moins consistantes et qui - de par leur platitude théorique - nécessitent une contextualisation générale, compte tenu de l'ambigüité caractéristique de la situation culturelle en Algérie. Ce dont témoigne, par exemple, l'apparition de liens extravagants et amphibologiques dans le domaine de la société : il en va ainsi de l'identité et des valeurs ancestrales au temps de la modernité, comme au temps déjà lointain de la colonisation.

Abordée de surcroît sous cet angle-là de la domination plutôt que sous celui de la socialisation, la culture (et son désir de conformisme) semble réellement être le véritable enjeu - quitte à entraver les liens sociaux et garrotter le génie de l'individu - du maintient indéfectible du ressort communautaire, ainsi que le support central de toute identification en Algérie. Mais, s'il peut être dit par moment que l'identité soit de nature mouvante et diversifiée, la culture, elle, d'emblée représentée à l'échelle de la nation, paraît tout particulièrement figée dans ses rapports à la mémoire qui tendent à subsumer autant la personne humaine que la dure réalité de l'histoire. Or, dans ce cheminement d'idées-là, on puit s'apercevoir nettement que la résultante de ces deux composantes influe vers la réalisation d'une identité culturelle à part, n'eu égard aux exigences du terrain.

Seulement, cette mystification catégorique des identités ne tardera pas à percevoir, elle aussi, ses limites dans un monde fulgurant qui donne à voir d'incessants bouleversements : d'abord parce qu'on ne se définit guère plus que par une série de préventions futures (abstraction faite du présent et du passé) - le devenir qui, à l'instar des investissements économiques, étant désormais plus préoccupant - ; ensuite, par la somme de tous les changements survenus au niveau des structures sociétales anciennes. En effet, pour citer Stewart Hall, l'« l'identité culturelle est une question de « devenir » aussi bien que d' «être». »63(*). À cela s'ajoute la primauté de l'identité-sujet sur les valeurs héritées de la société. Néanmoins, dans le cas de l'Algérie comme dans celui de beaucoup d'autres pays, ce rapport ambigu à la modernité s'accompagne d'un regain d'affection pour le passé, et, le sujet, tout en excluant ses rapports avec l'étranger, contribue à façonner de la même manière son destin d'ancien colonisé et d'assumer, in petto, tout en la reproduisant dans son affirmation à venir, la suprématie dont s'est accommodé à juste titre l'ancien colonisateur. À la lueur de ces efforts investis dans la problématique sociale et identitaire, il semblerait que, face à l'écroulement de ce passé, le futur lui-même soit plus ou moins compromis. À cela, à cette « prise de conscience » qui s'accroche, il y a une raison. C'est qu'en effet :

Dans une société à transformations lentes, l'acteur se définissait par son appartenance à des collectivités et par ses rôles sociaux. [...] Dans une société à transformations rapides, [...] où l'héritage social perd de plus en plus des son importance, dans une société définie par son avenir plus que par son passé, par son changement plus que par ses règles, l'identité sociale perd de plus en plus de son contenu.64(*)

Un sérieux problème idéologique et politique résulte dès lors de cette conception de l'identité faite de rémanences et de dénis (la constitution d'une « identité frauduleuse » menant à une « culture de musée », c'est-à-dire, précisément, à cet « éloge suranné d'une authenticité biaisée. »65(*) qui engagent un positionnement ambigu, sitôt qu'elle est coincée entre des orientations pour le moins arbitraires. L'identité ainsi admise dans le contexte sociopolitique algérien entraîne, nécessairement, de nombreux problèmes relatifs à la conjoncture historique précédente. L'enjeu de ce chapitre étant de corroborer ces liens existants entre identité culturelle et relation mémorielle, il s'agira pour nous de voir à quelles manifestations près de l'identité donne lieu ce présent amalgame, et, partant, de retranscrire ces données sur la base des considérations formulées dans le premier chapitre, soit aux deux principes de figement (stato-nationalité) ou de métamorphose (contractualité).

Aussi, sommés d'interagir avec ces catégories d'ordre théorique, nous sommes ainsi dans la nécessité d'établir une approche politico-historique du fait (post)colonial dans toute sa durée relative, comprise sur le terrain de l'affirmation de l'identité nationale. Il sera question plus précisément d'établir une relation conséquente entre un état de pur conditionnement pratique (d'aspect colonial) et la formulation de ces identités dites « de désenchantement » ou postcoloniales. Pour ce faire, nous nous appuyons principalement sur l'apport des théories postcoloniales admises depuis Fanon, Sartre, Bhabha, Glissant ou Balandier.

* 47 Dans l'Europe ancienne, la culture était affaire de racines (spirituelles, intellectuelles...) au même titre que d'authenticité ethnique ou raciale.

* 48 À cet effet, François JULLIEN parle de la « délocalisation de la pensée » vers « un ailleurs de la pensée » en matière de culture. Il n'y a pas d'identité culturelle, Entretient France Culture, 2016. Source : https://www.Franceculture.fr/emissions/oeuvre/il-ny-pas-didentite-culturelle-0. Consulté le jeudi 27 mai 2021.

* 49 Voir Lydie MOUDILENO, Parades postcoloniales : la fabrication des identités dans le roman congolais, Paris, Karthala, coll. « Lettres du Sud », 2006, 170 p. 

* 50 Nathalie HEINICH, op. cit., p. 72. 

* 51 Albert CAMUS, Le mythe de Sisyphe : Essai sur l'absurde. Un raisonnement absurde. Les murs absurdes, Paris, Gallimard, coll. « Les classiques des sciences sociales », 1942, pp. 27-28. 

* 52 Nathalie HEINICH, op. cit., p. 51.

* 53 Béatrice FRAENKEL, La signature : genèse d'un signe, Paris, Gallimard, 1992, 336 p. - Citée par Nathalie HEINICH, op. cit., p. 34.

* 54 Nathalie HEINICH, op. cit., p. 30.

* 55 Paul RICOEUR, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 2015, 424 p.

* 56 Nathalie HEINICH, op. cit., p. 47.

* 57 À ce titre, la langue plus que la religion relève du ressort de l'individu : ce que Saussure appelle « langage » renseigne sur la capacité linguistique inhérente à tout être humain et diversement réalisée en chacun. Ferdinand DE SAUSSURE, Cours de linguistique générale, Béjaïa, Talantikit, 2002, 360 p.

* 58 Amin MAALOUF, Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, p. 17.

* 59 Mohammed BRAHIM-SALHI, op. cit., p. 14.

* 60 Le bateau de Thésée est une expérience de pensée philosophique corrélative à la notion de l'identité. Son emploi chez Locke résonne comme une réminiscence de l'ambigüité déjà présente chez les Grecs, celle de se situer dans le changement relatif à l'essence matérielle de l'être. Elle considère ainsi la situation : après bien des périples, le bateau subit quelques légers raccommodements avant de mouiller définitivement au port d'Athènes, où il stagne pendant des siècles. Afin d'assurer sa sauvegarde, il sera continuellement restauré par les Grecs, de sorte qu'aucune latte d'origine n'en fût la même dans toute sa composition. Ainsi, il n'en reste pratiquement rien de sa physionomie première qu'il demeure toujours la nef de Thésée. La question est : est-il réellement le même malgré tous ces revirements ?

* 61 Platon, Le Banquet, Béjaïa, Berri, 2020, pp. 88-89. Voir plus particulièrement la note de la page 88.

* 62 Ce titre est composé en référence à l'ouvrage pionnier de Rachid ALI-YAHIA.

* 63 Stuart HALL, Identités et cultures : Politiques des culturals studies, Paris, Amsterdam, 2017, 568 p.

* 64 Alain TOURAINE, Le retour de l'acteur : Essai de sociologie, Paris, Fayard, 1984, 348 p.

* 65 Ahmed CHENIKI, L'Algérie contemporaine : cultures et identités, Paris, 2019, p. 40. HAL, archives-ouvertes.fr : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02281109. Consulté le vendredi 11 juin 2021.

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