Le malaise identitaire et sa quete dans l'enfant des deux mondes de Karima Berger : vers une représentation romanesque de l'hybridepar Amar MAHMOUDI UMMTO - Master 2 2021 |
1.1. L'identité nationale (collective) :En tant que concept opérant dans l'ensemble des disciplines académiques, la problématique de l'identité s'affirme plus nettement dans l'entre-deux-guerres 33(*)(mondiales) exclusivement en tant qu'identité nationale définie sous une autorité politique affiliée aux idéaux officiels de la Nation. Elle est donc, et premièrement, une définition dans le tas, dis-cernée parmi le plus grand nombre d'adhérents à la vaste communauté nationale à travers le temps filial de la poursuite des origines. Identification au même (l'« idem » selon Paul Ricoeur) ; identité prescrite dans le destin originel d'une nation autour de valeurs (refuges) désignées comme étant les mêmes en dépit de l'épreuve temporelle qui les incarne, et constituant les invariants itératifs d'une dynamique culturelle : la personnalité de base qui fonde l'identité collective. Face à ce trait réactionnaire de l'identité nationale, P. Bourdieu parle d« illusions essentialistes » pour désigner ces identités collectives telles qu'elles sont véhiculées et reproduites au sein des modèles nationalistes. La critique moderne et même postmoderne d'une conception substantialiste de l'identité (ou de l'« illusion essentialiste34(*) ») s'appuie essentiellement sur trois constats : « celui de la temporalité, qui soumet toute identité au changement [interdisant de `concevoir' des éléments de culture comme étant une substance inaltérable] », de la « médiation d'une mise en forme », sorte de « continuité remémorée », ou tout simplement de récit (Paul Ricoeur). Celui enfin de la « pluralité » sans cesse renouvelée dans la personne qui la porte. C'est donc une conception erronée que celle « soumise aux aléas du temps, du récit et de la pluralité. » (Heinich, 2018, 19.). « Identité malheureuse - embarras de l'identité - malaise identitaire - énigme de l'identité - piège de l'identité - hystérie identitaire ... », tout laisse entendre à la suite de Nathalie Heinich que le mythe de l'identité nationale, telle que la donne à lire P. Bourdieu, n'est ni une donnée objective ni un processus en soi illusoire, mais participe bel et bien de la norme historique et processuelle : Mais ce n'est pas parce que l'identité nationale est variable et historiquement construite qu'elle est une pure illusion sans aucune consistance [Bourdieu] : ni illusion ni, à l'opposé, réalité objective, elle est une représentation mentale - une représentation largement partagée, exactement comme le sont les valeurs (et la nation est d'ailleurs bien, elle-même, une valeur, pour peu qu'elle fasse l'objet d'une valorisation. Autrement dit, l'identité nationale est une représentation que se font les individus de ce qu'est, ou de ce que doit être, un pays - donc une idée, au sens cognitif, en même temps qu'un idéal, au sens normatif.35(*) De ce fait, l'identité ne se réduit pas à la seule identité nationale (idem, chap. 3) comme en Algérie, décrétée sur le modèle archétypal de l'arabo-islamisme - car l'ensemble des coutumes dont dispose le pays, généralement indistinctes et protéiformes, forment une culture et un patrimoine (parfois étranger dans le cas de la langue) qu'il conviendrait d'ériger en identité nationale. Au titre de ces composantes de l'identité, l'historien Pierre Nora énumère : l'État, la langue, la conscience historique - encore qu'inégalement répartie -, le patrimoine, la mémoire collective ..., ce qui, encore une fois, demeure uniquement envisageable sous le prisme du politique en matière des droits nationaux. Ce qui favorise le repli sur soi dès l'abord de l'indépendance du mouvement national de libération où prime, face à l'héritage colonial, une conception - un idéal - portée systématiquement sur le rejet de l'autre (étant particulièrement différent de soi et donc corruptible à son égard et à celui de la personnalité de base), mais aussi par bon nombre de préventions frôlant le cadre de l'anomie : l'instauration de nation séculaire et ancestrale sur le seul modèle de l'arabisme - que préfigure le culte du religieux -, la mise en place d'une politique mono-linguistique, l'uniformisation du patrimoine culturel, l'ancrage institutionnel ... et beaucoup d'autres stratagèmes36(*). Irréversiblement, l'identité se confond en Algérie avec la seule « mémoire militante », laquelle est d'emblée située sous le joug d'un positionnement ultra-nationaliste : Il existe cependant, parallèlement à cette réduction du monde à l'alternative entre réalité et illusion, une autre réduction préjudiciable à la compréhension de la question de l'identité : c'est sa réduction à la seule identité nationale - corrélative d'ailleurs de la réduction au politique.37(*) Mais peut-on dès lors appréhender cette conception de l'identité (nationale) suivant le contexte d'assimilation dans lequel est sommée d'évoluer - d'agir tout au plus - une catégorie de personnes biculturelles ? Pour contrer l'identité psychologique d'obédience étrangère contractée dans le giron de l'humanisme occidental, l'État, à travers son institution, reconfigure le « paysage mental38(*) », ou la logique d'adhésion à la vaste communauté nationale. En effet, l'usage de la notion d'identité recouvre deux domaines encastrés de la vie quotidienne : d'une part le domaine traditionnel et moderne, de l'autre les appartenances multiples et variées, individuelle et collective mais qui, suivant une certaine logique, se retrouve réduite à la seule dimension nationale. Face à la dualité caractéristique de l'identité collective, la culture nationale et son idéologie attenante ne peut prêter à une définition « d'en-haut », mais est l'expression d'une collectivité ou de plusieurs en voie de consensus paritaire, notamment en termes de pensée et d'organisation. Une problématique qui ne relève guère plus de l'opposition binaire colonisé/colonisateur, mais de la confrontation de ces cultures et idéologies dans l'espace national fortifié, livrant passage aux tensions qui ne cessent de croître entre les personnes d'une même famille ou entre des membres de la même société dédaignant les balises d'une culture étroite et sélective, caractéristique également de cette génération d'écrivains affrontant les déboires de l'édification nationale en matière de modernité et de droits de l'Homme. Ce propos est explicité par Frantz Fanon dans les damnés de la terre : La culture nationale est l'ensemble des efforts faits par un peuple sur le plan de la pensée pour décrire, justifier et chanter l'action à travers laquelle il s'est constitué et s'est maintenu.39(*) On ne peut que constater, en termes de « construction de l'appartenance », l'échec relatif de l'identité nationale comme héritage républicain, devant la nécessité impérieuse d'un ancrage culturel et affectif pour l'individu (l'originalité de son appartenance) où toutes les particularités sont dissoutes en faveur d'une appartenance commune. Pour référer une fois de plus à l'excellente synthèse de Nathalie Heinich, on dira que l'identité (nationale) n'est pas offerte selon le degré d'unilatéralisation caractérisant le modèle étatique, ni même constructible à partir du seul héritage commun traditionnel ; elle est ou n'est pas. Les lieux de la culture s'affirment non plus comme l'expression d'un bloc homogène, mais sont désignés dans un vaste mouvement traversé par des courants concordants mais aussi contradictoires40(*). Pour illustrer ce trait d'ambivalence référant à l'ordre symbolique de l'organisation identitaire, notons que la culture en Algérie (à dominante phallocentrique) est traversée de courants novateurs en matière de progrès qui sont non moins nocifs pour l'ancienne structure sociale et familiale, d'où son incohérence à coexister durant le passage du sacré (traditionnel) à l'historique (moderne)41(*). Ce passage de Platon à Kant42(*) inaugure une nouvelle voie d'affirmation pour l'identité nationale, hors de la violence stratégique consacrée aux dépens des évolutions sociales : Mais il faut pour cela accepter de renoncer à une définition unilatérale, au profit d'une pluralité d'approches, dont la combinaison compose le sentiment de ce qu'on peut appeler « identité ». Bref, il faut accepter de prendre au sérieux la complexité du monde vécu, pour en faire non seulement la clé théorique de son déchiffrement mais aussi, concrètement, le cadre d'analyse des données observées.43(*) Parallèlement à ces propos, il est évident que la nouvelle voie de progrès et de modernisation, influant sur la crise culturelle en Algérie, passe par la théorie du changement social et inclut, malgré soi, une psychologie de l'interculturel par rapport à la variation du patrimoine identitaire jusque-là implicitement désigné. Néanmoins, et face à la reconduction des ambivalences Tradition / Modernité, le choix est volontairement porté sur la revivification du discours confessionnel (et ontologique) à l'origine de la lutte anticoloniale. Ce procédé d'affirmation et de ré-enracinement de l'être dans sa perspective essentielle de globalisation semble tenir, en partie grâce à sa prééminence dans le passé, d'une stratégie revendicative (selon le triptyque : islamité - arabité - ancestralité), et ce pour une raison bien particulière : Le fait qu'ici, la quête de l'origine, légitime au départ, soit déviée vers l'originalité psychologique par le truchement de la modernité, explique l'incapacité de l'identité ainsi réduite, à résister au déracinement et à restaurer l'équilibre dans l'être de l'homme.44(*) Face à ce phénomène général de socialisation de l'identité, selon une perspective plus ou moins commune à l'ensemble des individus, il y a lieu de poser le problème de l'aliénation de l'identité individuelle, ou minoritaire, par celle majoritairement constituante du « groupe dominant » et établissant des rapports de force strictement univoques, ou en provenance du noyau central idéologique agissant sous le prisme de déterminismes sociaux et caractérisant les assignations identitaires, en fonction de leur rôle ou des idéologies établies. La remise en question de ces structures sociales telle que supposée par A. Touraine, devient, à terme, « un appel contre les rôles sociaux, à la vie, à la liberté, à la créativité. », au sens que lui confère par la suite A. Erikson en forgeant le concept de l'« identité-Harmonie », soit comme un « sentiment subjectif et tonique d'une unité personnelle » sur l'axe diachronique, préfigurant par là-même l'idée d'une continuité personnelle affective. Mais sommes-nous concrètement, au jour d'aujourd'hui, en mesure d'affirmer que la culture - ses reliefs tout au moins - constitue un patrimoine qu'il convient de préserver tout entier vis-à-vis du fulgurant éclat de la modernité ? Si les troubles occasionnés par ce concept de l'identité relèvent pour une bonne partie de la psychopathologie individuelle (A. Adler), la crise qui s'en suit, témoigne sur le refus de l'acteur (sujet personnel) de se conformer au rôle qui lui est signifié par les instances collectives et sociales. En outre, face à la sinuosité du pluralisme culturel, l'accent est ici établi sur cet état de confrontation où l'identité (dans tous ses états) serait conjointement menacée de la tradition comme de la modernité. Demeure l'idée d'un juste-milieu, à l'heure actuelle où sont engagés des processus d'ordre naturel, capable de situer ce sentiment de l'identité comme une manifestation supposée de l'organique et du virtuel, nonobstant l'accumulation effrénée de facteurs idéologiquement succincts. L'idée qu'on puisse ainsi avoir et donner (au sens de renvoyer, réfléchir, etc.) de l'identité n'est en soi pas importante, en tant que construction [pas plus abstraite qu'objective] sociale de l'ensemble des opérations par lesquelles « un prédicat est affecté à un sujet »45(*) ; le fait est que : « ni la famille, ni la nation, ni la religion, ni la langue n'assure au sujet le sentiment intérieur de son identité. »46(*). En ce sens, on pourrait dire que l'élément le plus concret de cette manifestation de l'être en particulier, réside dans son à-priori relatif à l'environnement de crise dans lequel les tensions entre l'Ipse et l'Idem stagnent sur le modèle de la stato-nationalité, et qui est donc une raison majeure de distorsion du « travail identitaire » dont se réclame le sujet, notamment en termes d'identification ou de présentation vis-à-vis des dispositions communautaires. Ce qui, de fait, rompt la particularité nationale et fonde une autre voie d'affirmation, divergente, celle-ci, du pacte intégral de reproduction, dite : l'identité personnelle. * 33 Ce qui coïncide, dans la même marge temporelle en Algérie, à l'affirmation de la crise dite berbériste (1949) en sa qualité de noyau contestataire de l'orientation nationaliste sur le modèle de l'arabo-islamisme, réfractaire aux diversités locales entretenues sur le plan du communautarisme. En ce sens, peut-on interpréter la montée en puissance du thème identitaire cher à la diversité collective comme étant une tentative de sécularisation (sur le modèle individuel) envers le monopole arabo-islamique alors érigé par la droite nationaliste ? * 34 Selon une définition de Pierre BOURDIEU, « l'illusion essentialiste consiste à figer et réifier ce qui est intrinsèquement fluctuant, mouvant et diversifié. ». * 35 Nathalie HEINICH, Ce que n'est pas l'identité, op. cit., p. 21. * 36 Nous nous référons au livre de Rachid ALI-YAHIA, Sur la question nationale en Algérie, Tizi-ouzou, Achab, 2011, p. 102. * 37 Nathalie HEINICH, op. cit., p. 24. * 38 Concept emprunté à Ali BENMAKHLOUF, désignant l'ambigüité conceptuelle de l'identité en situation de pluralité. Voir, Ali BENMAKHLOUF, L'identité, une fable philosophique, Paris, PUF, 2011, 180 p. * 39 Frantz FANON, Les damnés de la terre, Alger, ANEP, 2006, pp. 182-183. * 40 Rachid ALI-YAHIA, op. cit., p. 95. * 41 Suivant l'otique de Jacques BERQUE. Dépossession du monde, Paris, Seuil, 1964, 221 p. * 42 Lahouari ADDI, La crise du discours religieux musulman. Le nécessaire passage de Platon à Kant, Tizi-ouzou, Frantz Fanon, 2020, 390 p. * 43 Nathalie HEINICH, op. cit., p. 42. * 44 Hamza BENAÏSSA, Tradition et identité, op. cit., p. 108. * 45 Nathalie HEINICH, op. cit., p. 75. * 46 Nicole BERRY, Le sentiment d'identité, Paris, Éditions Universitaires, 2004, p. 11. Cité par Nathalie HEINICH, op. cit., p. 38. |
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