Le malaise identitaire et sa quete dans l'enfant des deux mondes de Karima Berger : vers une représentation romanesque de l'hybridepar Amar MAHMOUDI UMMTO - Master 2 2021 |
2.1. L'exil, ou la renaissance dans l'ailleurs :L'enfant des deux mondes est l'oeuvre d'un déracinement multiple qui surgit avant et après l'indépendance. D'abord le départ des colons, puis celui des Pieds-noirs ; ensuite le « choc de[s] systèmes »300(*) achève d'« effacer la rencontre entre les deux mondes » (K. Berger, 1998, p. 105.) et scelle définitivement le destin du pays. Le roman en question fonctionne comme un hymne à la redécouverte et à la recherche continue des origines. Deux perspectives s'offrent désormais à l'enfant : assister impuissante à « l'injustice de chaque jour » (idem, p. 105.), et participer d'un air aphasique à la débâcle de sa propre histoire, au travestissement des ses origines ; ou alors contribuer à la réconciliation des deux mondes, à la sauvegarde et à l'authentification des mémoires : Là-bas, de l'autre côté de la Méditerranée, la production intellectuelle sur la période coloniale, pourtant prolifique, n'a ni épuisé le sujet ni même soulevé le coin du voile de ce qu'est en vérité une histoire coloniale. (K. Berger, 1998, p. 105.) Pour faire face aux manoeuvres somme toute aliénantes des nouveaux maîtres, l'enfant est en passe de conclure à une alternative qui s'avère inéluctable pour le devenir de toute une nation : l'exil, comme autre tentative de dépassement. Mais ce n'est pas tant un sacrifice à vrai dire qu'une opportunité de circonstance. En effet, « Depuis, l'enfant savait que partir était un premier deuil, une façon de se purifier. » (K. Berger, 1998, p. 114.). Aussi voit-on s'affirmer dans l'exil la nécessité d'un choix - affilié à l'être hybride dans ce qu'il a de plus complexe en termes de diversité ou d'hétérogénéité - qui s'affermit sous la dualité des regards et des espaces, c'est-à-dire d'un état à surmonter afin de réaliser la synthèse et non autrement. Le rejet et la révolte sont alors deux façons de faire prévaloir la rencontre. En effet : La séparation revêt non seulement l'aspect d'une révolte juvénile contre les coutumes préétablies et les mentalités figées de ses concitoyens, mais aussi contre l'enracinement définitif dans le même cadre spatio-temporel et contre le sédentarisme séculaire.301(*) C'est que dorénavant, tout, dans cet univers illusoire et incertain des indépendances, frise la voie du chaos et de la démesure. Aussi bien, pour l'enfant qui doit éviter de succomber à ses vaines tentations, l'exil revêt un rôle constructif dans la mesure où il a seul le pouvoir de stimuler sa mémoire, d'élargir son horizon d'attente au-delà des simples préoccupations raciales ou ethniques. En clair, de briguer une nouvelle vision du monde sur voie de réminiscence :
Dans l'exil, tout concourt au renforcement des liens, à la proclamation des « lieux [divers] de la culture », au refus de ce qui existe en soi comme indépendamment de l'Autre. Ainsi, la situation de l'enfant (hétéroculturelle) s'apparente de beaucoup à celle de Jean Amrouche (Kabyle, Algérien, chrétien, Français...). Outre la « Crise de dénomination »302(*), celle de l'exil achève de leur insuffler le goût de l'étrange. Ce qui, en définitive, permet à l'enfant de mieux assumer le choc des valeurs face à des supports identificatoires depuis lors remis en cause - quand la plupart ne sont pas tout juste absents de signification. Eu égard à ces caractéristiques, nous pouvons dire en effet que l'exil, précédé de tous ces points, signe en l'occurrence l'échec des stratégies identitaires propres aux milieux postcoloniaux. C'est, à proprement parler, le triomphe du sujet. * 300 Brahim GHAFA, op. cit., p. 52. * 301 Mohammad Abouzeid FADWA, « Identité et altérité : Le voyage vers l'Autre et la renaissance de Soi dans La goutte d'or de Michel Tournier », op. cit., p. 4. * 302 Beïda CHIKHI, « Jean Amrouche », in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature maghrébine d'expression française, op. cit., p. 31. |
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