UNIVERSITÉ MARIEN NGOUABI

FACULTÉ DES LETTRES ET DES SCIENCES
HUMAINES DÉPARTEMENT DES SCIENCES DU LANGAGE
TRANSMISSION GÉNÉRATIONNELLE
DES LANGUES À GAMBOMA
MÉMOIRE
Pour l'obtention du diplôme de Master en sciences
du langage (SDL)
Présenté et soutenu publiquement Sous la
direction
Par De
Frydh ONDELE Antoine LIPOU
Maître-Assistant CAMES
Année académique 2013-2014
Ce travail est dédié à tous ceux
qui reconnaissent que :
« ...tout peut se dire, s'écrire,
s'enseigner dans n'importe quelle langue.1 »
I
1 Calvet, L.-J., Pour une écologie des
langues du monde, Paris, Plon, 1999, p.12.
II
Remerciements
Nous tenons à remercier sincèrement :
Notre directeur de recherche, M. Antoine Lipou qui, en
dépit de ses multiples occupations a sérieusement dirigé
ce travail et nous a soutenu financièrement lors de notre
deuxième enquête. Nous le remercions également pour toutes
les remarques qu'il a apportées aux versions antérieures de ce
travail.
M. Josué Ndamba qui s'est énormément
battu en sacrifiant son temps pour nous aider à obtenir de l'aide
financière lors de notre première enquête ; qui nous a
accompagné à Gamboma et a dirigé ladite enquête.
Nous le remercions aussi pour ses observations.
Gracia Davinie Ibara et Estime Aubain Nzalakanda Moukouyou,
étudiants en Master 1 des Sciences du Langage qui ont participé
à la première enquête en tant qu'enquêteurs.
Les autorités de Gamboma pour leur accueil chaleureux,
notamment : - M. Félicien Ernest Ondzia, Maire de Gamboma,
- M. François Mathurin Nkou, Attaché politique du
Maire,
- M. Adrien Otou, Attaché économique du Maire,
- M. Adolphe Nzenzeki, Secrétaire Général du
district de Gamboma.
Nos formateurs qui nous ont fait confiance et qui nous ont
soutenu moralement :
- M. Guy-Roger Cyriac Gombé-Apondza, Chef du
Département des Sciences du Langage,
- M. Georges Elounga, - M. Jean Boyi,
- M. Marcel Missakiri.
Tous les membres de la famille qui nous ont apporté
toute forme de soutien : Auguste, Cyriac, Justin, Crépin et Roublanc
Ondélé.
III
Nous tenons à remercier sincèrement et
particulièrement L'Honorable député de Gamboma, Maire de
la ville de Brazzaville, Hugues NGOUELONDELE qui nous
a redonné espoir dans la réalisation de ce travail par son
soutien financier intégral lors de notre première et principale
mission.
Nous remercions aussi toutes les personnes qui nous ont
soutenu de diverses manières, mais que nous ne pouvons citer ici.
IV
Abréviations
Agri et arti = Agriculteurs et artisans
Akw = akwa,
Ang = anglais
Aut = autre
Bom = boma
Con = conversation
Dem = demande
Dom = domicile
Éco = école
Eff.T= effectif total
Fra = français
Gan = gangoulou
Kit = kituba
L.pub = lieu public
L1 = langue première
L2 = langue seconde
LA1 = première langue africaine
Lin = lingala,
Mar = marché
Mbo = mbochi
Moy = moyi
Nbre = nombre
Nég = négociation
Obs = observation
Ték = téké
Véh = véhiculaire
Ver = vernaculaire
V
Résumé
Le plurilinguisme urbain est à l'origine de plusieurs
phénomènes relevant de la sociolinguistique urbaine parmi
lesquels le changement codique entre générations. Actuellement,
dans notre pays, notamment en villes, certains parents n'accordent plus
d'importance à la transmission des langues vernaculaires comme langues
premières à leurs enfants au profit des langues
véhiculaires.
Au centre urbain de Gamboma, dans le département des
Plateaux situé au centre du Congo, les parents n'échappent pas
à cette tendance. L'enquête que nous y avons menée montre
qu'en général, les langues véhiculaires sont plus
transmises que les langues vernaculaires. Les trois langues hautement
transmises sont le lingala, le gangoulou et le français.
Plusieurs facteurs sont à l'origine de ce
phénomène d'émergence des langues véhiculaires
comme L1 des enfants : l'influence des langues véhiculaires,
l'hétérogénéité linguistique des couples, le
niveau intellectuel des parents etc. Bien que les langues locales soient
faiblement transmises, les enquêtés reconnaissent la
nécessité de les sauvegarder. Ainsi, ils ont évoqué
diverses raisons et institutions pour la sauvegarde de celles-ci.
Mots-clés : Transmission des langues -
Changement codique - Mort des langues - Langue véhiculaire - Langue
vernaculaire - Langue première - Vitalité des langues -
Plurilinguisme
Summary
Urban Multilingualism is at the origin of many phenomenons
related to urban sociolinguistics such as language change between generations.
Currently in our country, especially in cities, some parents give more
importance to the transmission of vernacular languages as first languages to
their children than to the transmission of vehicular languages.
In the urban center of Gamboma, in the department of Plateaux
located in the center of Congo, parents are no exception to this trend. The
survey we conducted shows that usually, vehicular languages are more
transmitted than vernacular languages. The three highly transmitted languages
are lingala, gangoulou and french.
Several factors are responsible for the phenomenon of
emergence of vehicular languages as first language for children: the influence
of vehicular languages, couples' linguistic heterogeneity, the intellectual
level of parents... Although local languages are poorly transmitted, surveyed
individuals recognize the need to save them. Thus, they mentioned various
reasons and institutions to save them.
Keywords : Languages transmission- Language change -
Death of languages - Vehicular language - Vernacular language - First language
- Languages vitality - Multilingualism
1
0. INTRODUCTION
Les rapports entre langue et société s'observent
sur différents terrains dont la ville. Par son attraction, celle-ci
agglomère différentes communautés linguistiques et
renferme ainsi divers problèmes sociolinguistiques tel le changement
codique entre générations. Ce phénomène est l'une
des causes de la rupture de transmission des patrimoines linguistiques.
La transmission des langues implique l'acquisition
perpétuelle du langage, la maitrise des normes, du vocabulaire d'une
langue et son maintien à travers le temps. Dans la transmission
générationnelle des langues, celles-ci sont
léguées, apprises et continuellement parlées.
Le mot génération « ...est un concept
sociologique utilisé en démographie pour désigner une
sous-population dont les membres, ayant à peu près le même
âge ou ayant vécu à la même époque historique,
partagent un certain nombre de pratiques et de représentations du fait
de ce même âge ou de cette même appartenance à une
époque. La durée d'une génération humaine
correspond généralement au cycle de renouvellement d'une
population adulte apte à se reproduire, à savoir environ vingt
ans.2 »
Le phénomène de transmission des langues est
observé dans toutes les communautés de locuteurs d'une langue
donnée. La famille et l'école sont les instances les plus
privilégiées. Néanmoins, le cercle familial y est
considéré comme l'institution attitrée. Ainsi, Fabienne
Leconte observe que :
« Un des points communs aux phénomènes
de contacts de langues et de cultures sur tous les continents est le
rôle primordial de la
2 Génération (sociologie) -
Wikipédia,
http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Génération
(sociologie&oldid=102858165
2
famille dans la transmission des langues minoritaires aux
enfants et partant des cultures qu'elles véhiculent. L'importance de la
famille comme instance de transmission des langues minoritaires est en outre
accentuée quand les langues ne bénéficient d'aucun soutien
institutionnel ou de statut reconnu.3»
La famille en Afrique a un sens étendu. Pour L.-J.
Calvet, au sens africain du terme, la famille est constituée des :
« ...grands-parents, leurs fils, leurs épouses
et les enfants. Cette famille étendue regroupe donc, si on la regarde du
point de vue de l'enfant, des frères et soeurs, des demi-frères
et des demi-soeurs (dans le cas du père polygame), des cousins et
cousines (les enfants des frères du père), des oncles (les
frères du père), des tantes (leurs épouses), le
père, la mère et les grands-parents.4 »
Nous abordons ici le phénomène de transmission
générationnelle des langues, des parents aux enfants à
Gamboma. Le terme parents renvoie aux parents géniteurs, aux
oncles, aux tantes ou encore aux grands-parents. Avec les fils et filles, les
neveux et nièces, ils forment la famille.
Dans cette introduction, nous présentons
premièrement la problématique de notre thème de recherche.
Nous faisons l'état de la question, nous dégageons l'importance
du problème et les objectifs de recherche poursuivis.
Deuxièmement nous exposons la méthodologie. Troisièmement,
nous procédons à une brève présentation de la ville
de Gamboma. Et quatrièmement, nous annonçons le plan du
travail.
3 Leconte, Fabienne, La famille et les langues.
Une étude sociolinguistique de la deuxième
génération de l'immigration africaine dans l'agglomération
rouennaise, Paris, L'Harmattan, 1997, p.9.
4 Calvet, L.-J., Les voix de la ville :
introduction à la sociolinguistique urbaine, Paris, Payot &
Rivages, 1994, p.131.
3
0.1. PROBLÉMATIQUE
Le problème de la disparition des langues est un
phénomène qui intéresse et préoccupe les
linguistes. Dans les années 2000, plusieurs travaux ont
été menés sur la question de la « mort des langues
». Selon les linguistes, le nombre de langues recensées dans le
monde varie entre six mille et sept mille. Médéric Gasquet-Cyrus
affirme que selon Claude Hagège, vingt-cinq langues meurent par
année ; vingt-quatre selon D. Crystal, et dix selon R. Bjeljac-Babic et
R. Breton5.
En effet, les ethnolinguistes estiment qu'au cours des trois
siècles derniers, des langues se sont éteintes ou ont disparu
dans des proportions dramatiques et à un rythme sans cesse croissant, en
particulier en Amérique et en Australie. Aujourd'hui, au moins trois
mille langues sont menacées dans de nombreuses régions du monde.
Ainsi, estiment-ils qu'en Afrique, sur mil quatre cent langues locales, au
moins deux cent cinquante sont menacées et cinq cent à six cent
sont sur le déclin. L'Europe, compte une cinquantaine de langues en
péril. En Océanie, l'Australie affiche un nombre record de
langues récemment disparues ou menacées dans la région,
seules vingt cinq langues aborigènes y demeurent couramment
parlées sur quatre-cent. Quant au continent américain, au Mexique
par exemple, quatorze langues locales sont en péril ou moribondes ;
trois cent soixante quinze langues survivent en Amérique du Sud, dont
une grande proportion est gravement menacée ou moribonde6.
En 2003, l'UNESCO dans son rapport intitulé
Vitalité et disparition des langues affirme que «
même les idiomes qui comptent plusieurs milliers
5 Gasquet-Cyrus, Médéric, « La
métaphore du poids des langues et ses enjeux », in Le
poids des langues : dynamiques, représentations, contacts, conflits,
Gasquet-Cyrus, Médéric et Pétijean, Cécile,
Paris, L'Harmattan, 2009, p.22.
6 Diversité linguistique : 3 000 langues
en péril,
http://www.unesco.org/bpi/fre/unescopresse/2002/02-07f.shtml
4
de locuteurs ne sont plus appris aux enfants ; plus de 50 %
des langues du monde perdent des locuteurs. Selon nos estimations, 90% d'entre
elles pourraient être remplacées par des langues dominantes d'ici
la fin du XXIe siècle.7»
À partir de ces affirmations, nous constatons que la
mort des langues est un phénomène très répandu et
inéluctable qui suscite des conséquences négatives : la
menace de la diversité linguistique dans le monde,
particulièrement en Afrique. C'est en effet sous l'effet du « poids
»8 de certaines langues, notamment les langues coloniales
(langues de grande diffusion) que les langues autochtones tendent à
disparaître.
0.1.1. ÉTAT DE LA QUESTION
Le phénomène de transmission des langues retient
l'attention de plusieurs auteurs et, divers travaux sont menés à
ce sujet. Anna Ghimenton par exemple a étudié en 2010 la
transmission intergénérationnelle du plurilinguisme
sociétal de Vénétie (nord-ouest de l'Italie)9.
Elle part d'un corpus de trente cinq heures d'enregistrements d'interactions
dynamiques et multipartites dans le contexte familial. Partant des analyses
quantitatives et qualitatives des fréquences de choix de langues dans la
production d'un enfant et cinq adultes notamment ses parents, ses
grands-parents et une tante, elle montre que l'italien est la langue
privilégiée lorsque l'enfant est
7 UNESCO, Vitalité et disparition des
langues,
http://www.unesco.org/culture/heritage/intangible/2003
8 Le terme « poids » ici a deux
acceptions, le poids physique qui renvoie au statut
socio-politico-économique de la langue aux plans national et
international et le poids moral qui renvoie aux représentations
(qualité méliorative ou dépréciative) qu'ont les
individus vis-à-vis d'une ou des langues donnée(s). Cette notion
de « poids de langues » est aussi « intimement liée
à la nature des liens entre communautés linguistiques, aux
relations qu'entretiennent les membres d'une même communauté, et
à la dynamique sociale » selon Gasquet Cyrus et Cécile
Pétijean, 2009.
9 Ghimenton, Anna, Analyse des interactions
familiales entre trois générations dans la région
italienne de Vénétie : réflexions sur les voies de la
transmission des langues minorées, Travaux neuchâtelois de
linguistique, 2010, 52, 109-124.
5
directement impliqué dans l'échange, alors que
le dialecte est la langue qui caractérise les échanges entre les
adultes.
Réné Houle de son côté, a
examiné l'évolution de la transmission des langues immigrantes
entre 1981 et 2006 au Canada10. Il a procédé en
premier lieu par une comparaison de la situation de deux recensements
espacés de 25 ans, une comparaison historique de deux populations
définies de façon identique, soit les mères immigrantes
ayant des enfants de moins de 18 ans ; en second lieu par un
intérêt accordé à la dimension
intergénérationnelle de la transmission des langues immigrantes.
Il compare les mères immigrantes qui, au recensement de 1981, avaient
des enfants de moins de 18 ans nés au Canada à leurs enfants, 25
ans plus tard, alors que ces dernières sont âgées de 25
à 42 ans et elles-mêmes devenues mères. Il montre que pour
l'ensemble des groupes linguistiques, au recensement de 1981, la langue
immigrante a été transmise à 41% des enfants de moins de
18 ans nés au Canada, et, au recensement de 2006, 55%, soit 14 points de
plus. Le constat fait est la persistance des langues immigrantes au Canada dans
un contexte de flux migratoires soutenus.
Aucune étude sur la transmission des langues à
Gamboma n'a été antérieurement entreprise. La
présente étude s'inscrit dans le cadre des travaux initiés
par M. Ndamba Josué sur les langues premières des enfants dans
les centres urbains du Congo.
Sous l'effet d'une urbanisation ultrarapide au Congo, les
langues locales vernaculaires sont entrées en contact avec les langues
véhiculaires du territoire national : le lingala, le kituba et le
français. On se retrouve devant des situations de pluriglossie
enchâssée dans lesquelles les langues véhiculaires «
nationales » exercent leur suprématie sur les langues
10 Houle, Réné, Évolution
récente de la transmission des langues immigrantes au Canada,
http://www.statcan.gc.ca/pub/11-008-x/2011002/t/11453/tbl004-fra.htm
6
vernaculaires et, sont elles-mêmes confrontées au
poids de la langue officielle. Face à ce déséquilibre,
certains parents n'accordent plus d'importance à la transmission des
langues vernaculaires à leurs enfants. Par conséquent, ces
derniers ont pour langue première une langue véhiculaire. Ce qui
entraîne systématiquement la réduction du nombre de
locuteurs des langues vernaculaires qui pourrait avec le temps entraîner
leur disparition, induisant ainsi la réduction de la diversité
linguistique. Etant donné que chaque langue véhicule une culture
donnée, celle de ses locuteurs, les cultures véhiculées
par ces langues en danger tendront à disparaître. Les enfants
s'identifieront à la culture des langues qu'ils parleront.
Dans ce travail, nous avons choisi d'aborder les points
particuliers suivants :
- les usages des langues à travers les situations de
communication à Gamboma ;
- la ou les langue(s) hautement transmise(s) des parents aux
enfants. À l'opposé, la ou les langue(s) faiblement transmise(s)
;
- les facteurs qui sont à l'origine de la progression
et de la régression de la transmission générationnelle des
langues ;
- la nécessité et les perspectives de sauvegarde
des langues faiblement transmises.
0.1.2. IMPORTANCE DU PROBLÈME
L'un des indices d'identification d'une langue en danger,
c'est la rupture de transmission générationnelle. En effet,
l'UNESCO distingue six facteurs qui concourent à l'évaluation du
degré de vitalité ou d'érosion linguistique : la
transmission de la langue d'une génération à l'autre ;
le
7
nombre absolu de locuteurs ; le taux de locuteurs sur
l'ensemble de la population ; l'utilisation de la langue dans les
différents domaines publics et privés ; la réaction face
aux nouveaux domaines et médias ; et les matériels
d'apprentissage et d'enseignement des langues. Parmi ces indices, la
transmission générationnelle est l'indice le plus couramment
utilisé.11 D'une manière générale, une
langue disparaît quand il n'y a plus suffisamment de locuteurs pour la
parler et le nombre de locuteurs d'une langue diminue quand les parents ne la
transmettent plus à leurs enfants. Ainsi, le premier symptôme de
la régression d'une langue apparaît quand un peuple commence
à ne plus utiliser sa langue, quand il l'abandonne pour la remplacer par
une autre qu'il estime plus rentable12.
Cette étude a pour but de montrer que les locuteurs des
différentes langues parlées au Congo et spécifiquement
dans la commune de Gamboma sont les personnes susceptibles d'assurer le
maintien de leur langue en l'utilisant, ou son abandon en ne l'utilisant pas
dans leurs communications.
0.1.3. OBJECTIFS DE RECHERCHE
L.-J. Calvet affirme que «...telle une pompe, la
ville aspire du plurilinguisme et recrache du monolinguisme, et elle joue ainsi
un rôle fondamental dans l'avenir linguistique de la région ou de
l'État.13 » Elle se présente comme un
facteur d'unification linguistique14. Pour Josué
Ndamba,
11 UNESCO, Vitalité et disparition des
langues,
http://www.unesco.org/culture/heritage/intangible/2003
12 La mort des langues,
http://www.axl.cefan.ulaval.ca/Langues/2vital_mortdeslangues.htm
13 Calvet, L.-J., Les voix de la ville :
introduction à la sociolinguistique urbaine, Paris, Payot &
Rivages, 1994, p.130.
14 Calvet, L.-J., op.cit., p.136.
8
« La ville joue donc un rôle de
développement pour les langues véhiculaires et de
régression pour les langues vernaculaires. 15»
Dans la présente étude, nous allons
procéder à l'évaluation du pourcentage de transmission des
langues dans les familles dans le centre urbain de Gamboma ; observer si le
phénomène de rupture de transmission des langues vernaculaires
est attesté. Nous visons également montrer aux locuteurs des
langues et aux autorités du pays, la nécessité de
sauvegarder les langues du territoire national congolais ; et
particulièrement aux autorités, l'urgence d'amorcer une politique
de sauvegarde des langues et des cultures locales menacées
d'extinction.
0.2. MÉTHODOLOGIE
Pour étudier ce phénomène de transmission
générationnelle des langues, des parents aux enfants à
Gamboma, nous nous sommes rendu deux fois à Gamboma pour recueillir des
données.
La première mission a été dirigée
par Monsieur Ndamba Josué. Nous étions accompagné de deux
autres étudiants de Master 1, Gracia Davinie Ibara et Estime Aubain
Nzalakanda Moukouyou. Les données ont été recueillies
pendant trois jours, du 21 au 23 novembre 2014. Nous sommes partis de deux
méthodes d'enquête : le questionnaire et l'observation des
pratiques réelles.
La deuxième fois nous nous y somme rendu seul afin de
compléter les fiches des enfants recueillies à la première
enquête, que nous avions estimées
15 Ndamba, Josué, «
Des véhiculaires aux vernaculaires à Brazzaville : la ville et
les changements de fonctions linguistiques », in Le
plurilinguisme urbain, actes du colloque de Libreville "Les villes
plurilingues" (25-29 septembre 2000), Calvet, L-J. &
Moussirou-Mouyama, A., Institut de la Francophonie, Diffusion Didier
Érudition, Paris, 2000, p.139.
9
insuffisantes et quelques fiches d'observation. Cette
dernière a duré deux jours, du 15 au 16 décembre 2014.
Un questionnaire était destiné aux enfants et un
autre aux parents. Nous nous sommes servi de deux types de questionnaires
sociolinguistiques16 :
- un questionnaire se rapportant au contenu (questions de fait
et d'opinion).
- et un questionnaire se rapportant à la forme : forme
structurée et forme non structurée. La forme structurée
comportait des questions fermées avec réponse positive ou
négative et des questions semi-fermées à choix multiples
et une proposition à spécifier. La forme non structurée
comportait des questions ouvertes, sans suggestions de réponses.
Les modèles utilisés par Talani
Nanitelamio17 nous ont servi de base. Nous les avons
aménagés en écartant certaines questions qui nous ont
semblé moins pertinentes et y incluant d'autres jugées plus
pertinentes par rapport à nos questions de recherche. Nous avons
légèrement modifié la numérotation et nous avons
également reparti les questions par thèmes.
Quant à la méthode d'observation18,
elle concernait les interactions linguistiques entre deux locuteurs (Locuteur 1
et Locuteur 2). L'âge des enquêtés observés varie
entre cinq et plus de vingt-cinq ans. Nous les avons enquêtés dans
la rue, à domicile, à l'école, au marché et dans
des lieux administratifs, à travers les types d'interactions tels : la
conversation, la négociation, la demande etc.
16 Cf. Boukous, Ahmed, « Le Questionnaire
», in L'enquête sociolinguistique, Calvet L.-J. et
Dumont Pierre, Paris, L'Harmattan, 1999.
17 Talani Nanitelamio, Émergence des
langues véhiculaires comme langues vernaculaires chez les enfants
d'Owando, Mémoire de maitrise, FLSH, Brazzaville, 2009.
18 Juillard, Caroline, «
L'observation des pratiques réelles », in L'enquête
sociolinguistique, Calvet, L.-J. et Dumont, Pierre, Paris, L'Harmattan,
1999.
10
0.2.1. POPULATION CIBLE ET ÉCHANTILLON DE
L'ENQUÊTE
La méthode employée pour sélectionner
l'échantillon est celle des échantillons probabilistes, notamment
l'échantillon aléatoire simple19. La population
ciblée est constituée des enfants de 10 à 25 ans qui
équivalent à peu près aux élèves qui sont en
fin de cycle primaire, au collège et au lycée, et aussi les
parents.
Deux cent quatre-vingt fiches ont été remplies
pour les deux méthodes abordées. Pour le questionnaire, nous
avons rempli au total cent soixante-quinze fiches dont soixante-douze pour les
parents et cent-trois pour les enfants, tenant compte de la répartition
par sexe, par tranches d'âge, par emploi exercé et par niveau
intellectuel des parents. Cent-cinq fiches ont été
établies pour l'observation des pratiques réelles tenant
également compte du sexe, des tranches d'âges des locuteurs, de
leur localisation, de la ou des langue(s) utilisée(s) et du type
d'interaction.
0.3. PRÉSENTATION DU DISTRICT DE GAMBOMA
Le département des Plateaux est l'un des douze que
compte la République du Congo. Il comprend onze districts,20
dont celui de Gamboma.
19 Cf. Bruno Marien et Beaud, Jean Pierre,
Guide pratique pour l'utilisation de la statistique en recherche : le cas
des petits échantillons, Réseau Sociolinguistique et
dynamique des langues, Agence universitaire de la Francophonie, Québec,
Mai 2003.
20 CRIPOL (Cercle Républicain pour
l'Innovation Politique) : Les Plateaux, 53ème
anniversaire de l'Indépendance du Congo, Djambala, 15 août
2013.
11

12
0.3.1. ASPECTS PHYSIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
Situé au centre du département des plateaux, le
district de Gamboma est délimité : au Nord par le district
d'Ongogni ; au Nord-est par le district de Makotipoko ; au Sud par les
districts de Ngo et de Mpouya ; à l'Est par le fleuve congo et à
l'Ouest par les districts de Mbon et d'Abala.
Il compte environ deux cent quatre villages repartis sur dix
axes et recouvre une superficie de 6.628 km2 pour une population de
43.221 habitants.21
Dominé par des plateaux, des collines et quelques
cuvettes alluviales dans les environ des villages Tsampoko, Entonton et Obaba,
le district de Gamboma jouit d'un climat de type sub-équatorial avec des
précipitations plus ou moins abondantes (1200 à 1300 mm d'eau par
an) et des températures de 23 à 25oc.
La végétation du district de Gamboma est
formée de nombreux lambeaux forestiers dont la plus
caractéristique est la forêt galerie qui s'étire le long
des cours d'eau et des savanes tantôt herbeuses, tantôt arbustives.
Elle est aussi caractérisée par des bosquets et des
boqueteaux.
Les sols sont généralement sablonneux et on y
trouve aussi des sols hydromorphes très acides dans les zones
marécageuses (Entonton, Inta, Obala). Le district de Gamboma est
principalement arrosé par la rivière Nkéni, navigable en
toute saison sur 60km22.
21 CNSEE (Centre National de la
Statistique et des Études Économiques), Le RGPH-2007 en
quelques chiffres, Brazzaville, juillet 2010.
22 Archives de la mairie de Gamboma, Plan
quinquennal de développement économique et social du
département des Plateaux, 2009-2013, Département des
Plateaux, conseil départemental, Djambala, février 2009.

13
Sa commune urbaine compte huit quartiers dont Agnié,
Bene, Komo, Louara, Mbambié, Mpaire 1, Mpaire 2 et Nkéni. Au
dernier recensement (celui de 2007), sa population était estimée
à 18.514 habitants23.
Le quartier Bene n'apparaît pas sur le plan de la
commune parce qu'il est un ex. village qui a été
intégré comme quartier ; et jusqu'à présent, la
carte des huit quartiers n'est pas encore produite.
23 CNSEE, op.cit.

14
SOURCE : CERGEC
0.3.2. APERÇU ÉCONOMIQUE ET
SOCIO-CULTUREL
L'économie du district de Gamboma est
caractérisée par une très faible productivité. Les
habitants de Gamboma vivent essentiellement de l'agriculture, de
l'élevage, de la pêche, de la chasse et de l'artisanat. Les
produits de ces différentes activités sont le manioc, l'igname,
l'arachide, le poisson, le gibier etc. Ils sont destinés à la
subsistance. Néanmoins, ces différents produits sont aussi
écoulés sur les marchés municipaux (le marché
du jour, le plus grand et le marché de nuit) et aussi
à Brazzaville.
15
La commune de Gamboma a une école maternelle et compte
onze écoles primaires (dont sept relèvent du secteur public et
quatre du secteur privé), cinq collèges d'enseignement
général (dont un du secteur public et quatre du secteur
privé) et un collège d'enseignement technique relevant du secteur
public. Elle a un lycée d'enseignement général.
Le centre urbain de Gamboma dispose des structures
essentielles d'une ville : un grand hôpital, des hôtels, une
mairie, une inspection de l'enseignement, une sous-préfecture, un grand
marché etc. On y trouve des associations culturelles, et on y pratique
des danses culturelles et des activités religieuses.
0.3.3. RÉPERTOIRE LINGUISTIQUE DE LA COMMUNE DE
GAMBOMA
Sur le territoire du centre urbain de Gamboma, nous avons
listé treize langues en présence dont onze langues bantu (deux
langues véhiculaires, le lingala et le kituba et neuf langues
vernaculaires) et deux langues étrangères (le français et
l'anglais). Les onze langues bantu sont rangées selon la classification
linguistique proposée par Malcolm Guthrie, remaniée par Y.
Bastin.
1- Les langues bantu :
- le lingala, C36, qui est
la langue véhiculaire la plus répandue de la zone
nord du Congo. Il est employé dans toutes les
situations de communication étudiées (chapitre 1), chez les
parents comme chez les enfants.
- le kituba, langue
véhiculaire la plus répandue de la zone sud du pays. À
Gamboma, il est très faiblement employé par les enfants,
uniquement entre amis dans la rue, en situation de bilinguisme.
16
- le gangoulou (ångugwål),
B72, langue autochtone24 des habitants de Gamboma.
Comme le lingala et le français, il est la seule langue vernaculaire
à être utilisée dans toutes les situations de communication
chez les parents et chez les enfants.
- le mbochi (åmb?si), 5. Il
est utilisé dans la communication familiale entre parents et enfants ;
entre conjoints ; par les enfants avec leurs frères et soeurs ; entre
les parents et leurs amis et entre voisins dans le quartier.
- le boma, B74a, langue
utilisée en famille entre enfants et parents ; par les enfants avec
leurs frères et soeurs ; entre conjoints et entre parents et voisins
dans le quartier.
- le téké, B71. Il est
faiblement présent dans la situation de communication en famille entre
enfants et parents. Il est aussi employé par les enfants et leurs
frères et soeurs ; entre conjoints et entre les parents et leurs
amis.
- le koyo, 4, utilisé en
famille par les enfants avec leurs frères et soeurs et dans une
situation de bilinguisme entre les enfants et les parents.
- le laari, H16f, très
faiblement employé en famille, entre conjoints.
- l'akwa, 2. Son usage est
attesté en situation de bilinguisme par les parents avec leurs amis.
- le moyi, C38 qui n'est aucunement
attesté dans une situation de communication.
- le kikoongo, H16g. Il n'est
employé dans aucune situation de communication.
24 Langue de la population originaire de Gamboma.
17
2- Les langues étrangères :
- le français, langue
étrangère, véhiculaire et officielle attestée dans
toutes les situations de communication comme le lingala.
- l'anglais, langue
étrangère, très faiblement employée par les parents
avec leurs amis.
0.4. PLAN
Ce travail renferme six parties, hormis l'introduction et la
conclusion :
· Chapitre 1 : Langues parlées à Gamboma ;
· Chapitre 2 : Transmission des langues par les parents aux
enfants ;
· Chapitre 3 : Langues premières
déclarées par les enfants ;
· Chapitre 4 : Facteurs de progression et de
régression de la transmission générationnelle des langues
;
· Chapitre 5 : Observation des pratiques linguistiques
réelles ;
· Chapitre 6 : Sauvegarde des langues.
18
Chapitre 1 : Langues parlées à
Gamboma
H. Gobard distingue dans la langue quatre fonctions : la
fonction de communion, la fonction de communication, la fonction techno-ludique
et la fonction magique25. Selon lui, à ces quatre fonctions
sont liés quatre types de langages : le langage vernaculaire
attaché à la fonction de communion, le langage véhiculaire
correspondant à la fonction de communication, le langage
référentiaire à la fonction techno-ludique, et le langage
mythique à la fonction magique.
Dans ce chapitre, nous examinons, premièrement chez les
parents et deuxièmement chez les enfants, les fonctions (de communion et
de communication) des langues répertoriées dans la commune de
Gamboma, à travers les situations de communication ci-dessous.
1.1. USAGES DES LANGUES PAR LES PARENTS
Chez les parents, nous étudions ces usages à
travers les situations de communications tels qu'en famille avec les enfants et
les conjoints, dans la rue avec les amis, dans le quartier avec les voisins, et
au marché avec les commerçants ou vendeurs.
1.1. 1. LANGUES DÉCLARÉES PARLÉES EN
FAMILLE AVEC LES ENFANTS
Sur les soixante-douze fiches des parents, soixante-neuf ont
été retenues et trois ont été
écartées parce que les enquêtés n'ont pas
répondu à la
25 Gobard, Henri, L'Aliénation linguistique
; Paris, Flammarion, 1976, p.p.23-30.
19
question posée, à savoir quelle (s) langue
(s) parlez-vous en famille avec votre ou vos enfant(s) ?
Selon les réponses obtenues, en situations de
monolinguisme familial, nous trouvons les parents qui déclarent utiliser
la seule langue véhiculaire nationale la plus répandue de la zone
; qui font usage d'une langue vernaculaire ; et qui emploient la langue
officielle.
En situations de bilinguisme, nous distinguons : les parents
qui parlent à leurs enfants en se servant d'une langue
véhiculaire et une langue vernaculaire ; ceux qui utilisent la langue
officielle et une langue véhiculaire nationale ; et ceux qui font usage
d'une langue officielle et d'une langue vernaculaire.
Voici les résultats dans le tableau ci-dessous :
Statuts des Langues
|
Nbre de cas
|
%
|
Véhiculaire
|
28
|
40,58
|
Vernaculaires
|
23
|
33,33
|
Officielle
|
5
|
7,24
|
Véhiculaire+vernaculaire
|
7
|
10,14
|
Véhiculaire+officielle
|
5
|
7,24
|
Officielle+vernaculaires
|
1
|
1,45
|
Total
|
69
|
100
|
Tableau 1 : Statuts des langues
déclarées parlées par les parents en famille avec les
enfants
Vingt-huit cas de familles déclarent utiliser le
lingala comme langue exclusive en communication familiale, soit 40,58%, ceci
dans les familles dont les parents ont la même langue maternelle ou non.
Cinq cas de familles utilisent exclusivement la langue officielle, le
français, soit 7,25%.
Les langues vernaculaires sont utilisées à
33,33%, soit vingt-trois enquêtés. Le gangoulou employé par
dix-neuf enquêtés arrive en tête avec un pourcentage de
27,54% ; le mbochi est utilisé par trois enquêtés, soit
4,34% ; le boma est employé par 1,45% des parents (un seul cas).
Pour les familles plurilingues, sept enquêtés
(10,14%) ont déclaré se servir d'une langue véhiculaire
(lingala) et d'une langue vernaculaire. Il s'agit des duos suivants :
lingala+gangoulou, six cas ; lingala+mbochi, un cas.
Cinq enquêtés se servent du lingala et du
français, soit 7,24%.
Un cas où on se sert de la langue officielle, le
français et d'une langue vernaculaire, le gangoulou, soit 1,45%.
Il est à retenir que des cinq langues utilisées
en situations de monolinguisme, le lingala est la langue dominante (40,58%),
suivi du gangoulou (27,54%). Le français vient en troisième
position (7,25%), suivi du mbochi (4,34%). Et le boma vient en dernière
position (1,45%).
En duo, le lingala+gangoulou arrive en tête (8,70%),
puis le lingala+français (7,24%). Les duos lingala+mbochi et
français+gangoulou arrivent en dernière position avec 1,45%)
chacun.
20
Les résultats sont présentés dans le tableau
suivant :
21
|
Langues
|
Nbres de cas
|
%
|
monolinguisme
|
Lingala
|
28
|
40,58
|
Gangoulou
|
19
|
27,54
|
Français
|
5
|
7,25
|
Mbochi
|
3
|
4,34
|
Boma
|
1
|
1,45
|
Bilinguisme
|
Lingala+gangoulou
|
6
|
8,70
|
Lingala+français
|
5
|
7,24
|
Lingala+mbochi
|
1
|
1,45
|
Français+gangoulou
|
1
|
1,45
|
|
Total
|
69
|
100
|
Tableau 2 : Langues parlées par les parents en
famille avec les enfants
1.1.2. ENTRE CONJOINTS
Sur soixante-douze fiches, vingt et une fiches ont
été écartées parce que les enquêtés
n'ont pas répondu à la question posée. Les
résultats des cinquante et un enquêtés sont les suivants
selon l'ordre chronologique :
- En situations de monolinguisme, le gangoulou arrive en
premier avec dix-neuf enquêtés, soit 37,25%. Le lingala arrive en
deuxième position avec dix-sept cas, soit 33,33%. Avec trois
enquêtés, le mbochi occupe la troisième place avec 5,88%,
suivi du boma et du français avec chacun deux cas, soit 3,92% pour
chacun. Le téké apparaît en dernier avec un seul
enquêté, soit 1,96%.
22
- En situations de bilinguisme, celui du lingala+gangoulou
s'élève à 7,85% avec quatre cas. Ceux du
lingala+français, français+mbochi, lingala+laari sont
utilisés à 1,96% avec un seul cas chacun.
Voici les résultats sous forme de tableau :
|
Langues
|
Nbres de cas
|
%
|
Monolinguisme
|
Gangoulou
|
19
|
37,26
|
Lingala
|
17
|
33,33
|
Mbochi
|
3
|
5,88
|
Boma
|
2
|
3,92
|
Français
|
2
|
3,92
|
Téké
|
1
|
1,96
|
Bilinguisme
|
Lingala+gangoulou
|
4
|
7,85
|
Lingala+français
|
1
|
1,96
|
Français+mbochi
|
1
|
1,96
|
Lingala+laari
|
1
|
1,96
|
|
Total
|
51
|
100
|
Tableau 3 : Langues parlées entre conjoints en
famille
Contrairement à la situation de communication avec les
enfants où une langue nationale véhiculaire, le lingala,
établit sa suprématie, nous constatons que c'est une langue
vernaculaire, le gangoulou, qui domine dans la communication entre conjoints.
Ceci s'explique par le fait qu'elle soit la langue autochtone de Gamboma. La
majorité des parents l'ont pour langue
23
première. Ils ont appris à parler en cette
langue (63,89%) et s'en servent dans leurs conversations.
1.1.3. ENTRE AMIS
Tous les enquêtés ont répondu à la
question, soit soixante-douze personnes. Celles-ci déclarent utiliser
dans la rue avec leurs amis essentiellement le lingala et le gangoulou à
un pourcentage de 73,61%. Soit 38,89% pour le lingala et 34,72% pour le
gangoulou. Le français est utilisé à 8,33%.
Les langues véhiculaires, notamment le lingala et le
français sont utilisées à 47,22%. Les parents ne se
servent aucunement du kituba.
Dans cette situation, les langues véhiculaires ne sont
pas les seules langues qui exercent la suprématie. Le gangoulou, langue
vernaculaire, apparaît ici comme deuxième langue de communication
dans la rue : cela est rare dans la plupart des cas en ville. Bien que Gamboma
soit un centre urbain, ses habitants se servent hautement de la langue
vernaculaire autochtone qui est le gangoulou.
Les situations de bilinguisme ont un pourcentage de 12,50%. Il
s'agit du lingala+gangoulou, 5,55% ; du lingala+mbochi, 2,78% ; du
lingala+français, 2,78% et du français+gangoulou, 1,39%. Le
lingala, comme en situation de monolinguisme est la langue la plus
employée.
Certains parents ont déclaré utiliser trois
langues. Il s'agit des trilinguismes lingala+français+gangoulou et
lingala+français+téké, soit 1,39% chacun.
24
D'autres se servent de quatre langues :
lingala+français+gangoulou+anglais (2,78%).
Les réponses des enquêtés sont
présentées dans le tableau ci-dessous.
|
Langues
|
Statuts
|
Nbres de cas
|
%
|
Monolinguisme
|
Lingala
|
Véh
|
28
|
38,89
|
Gangoulou
|
Ver
|
25
|
34,72
|
Français
|
Véh
|
6
|
8,33
|
Bilinguisme
|
Lin+gan
|
Véh+ver
|
4
|
5,55
|
Lin+fra
|
Véh+véh
|
2
|
2,78
|
Lin+mbo
|
Véh+ver
|
2
|
2,78
|
Fra+gan
|
Véh+ver
|
1
|
1,39
|
Trilinguisme
|
Lin+fra+gan
|
Véh+véh+ver
|
2
|
2,78
|
Lin+fra+ték
|
Véh+véh+ver
|
1
|
1,39
|
Quadrilinguisme
|
Lin+fra+gan+ang
|
Véh+véh+ver+véh
|
1
|
1,39
|
Total
|
|
|
72
|
100
|
Tableau 4 : Langues parlées par les parents
avec amis
1.1.4. AVEC LES VOISINS DANS LE QUARTIER
Dans cette partie, nous étudions les usages des langues en
présence par les habitants de Gamboma dans leurs interactions
communicatives avec les voisins dans les quartiers.
Les habitants de Gamboma utilisent les langues
véhiculaires à 52,18%, et les langues vernaculaires à
40,07%. Trente-cinq enquêtés sur soixante-douze ont
déclaré employer le lingala comme langue exclusive de
communication, soit 48,61%. Vingt-huit d'entre eux emploient le gangoulou, soit
38,88%. Le français est utilisé par trois enquêtés,
soit 4,17%. Le boma avec un seul enquêté, est utilisé
à 1,39%.
Les langues suivantes sont utilisées en situations de
bilinguisme : lingala+mbochi, 4,17% ; lingala+gangoulou, 1,39% ; et
français+lingala, 1,39%. Tout comme dans des situations de communication
précédentes, nous constatons la grande concurrence entre le
lingala (véhiculaire) et le gangoulou (vernaculaire), langue autochtone
de la commune de Gamboma.
Voici le tableau synoptique présentant toutes les
réponses :
|
Langues
|
Statuts
|
Nbres de cas
|
%
|
Monolinguisme
|
Lingala
|
Véh
|
35
|
48,61
|
Gangoulou
|
Ver
|
28
|
38,88
|
Français
|
Véh
|
3
|
4,17
|
Boma
|
Ver
|
1
|
1,39
|
Bilinguisme
|
Lin+mbo
|
Véh+ver
|
3
|
4,17
|
Lin+gan
|
Véh+ver
|
1
|
1,39
|
Lin+fra
|
Véh+ver
|
1
|
1,39
|
Total
|
|
|
72
|
100
|
25
Tableau 5 : Langues parlées par les parents
avec les voisins dans le quartier
26
1.1.5. AU MARCHÉ
« Tous les jours, en tous les points de la terre, des
centaines de milliers de personnes se rencontrent, ont besoin de communiquer
mais n'ont pas la même langue. Et le commerce est la pratique sociale qui
connait le plus fréquemment ce problème : comment vendre et
acheter à des gens de langue différente ?26
»
- Dans les marchés municipaux, les parents
échangent avec les vendeurs congolais en se servant en grande
partie d'une langue véhiculaire, le lingala avec quarante-huit
enquêtés, soit 67,61%. Le gangoulou occupe la deuxième
place avec dix-sept cas, soit 23,94%. Le français est
représenté à 1,41%. Le kituba n'est pas signalé en
situations de monolinguisme. Nous constatons ici que le lingala et le gangoulou
sont dans l'ensemble utilisés à 91,55%.
En duo, le lingala+gangoulou sont utilisées à
4,23% ; et le lingala+français à 2,81%.
- Avec les étrangers ou inconnus, les parents
ont déclaré utiliser exclusivement les langues
véhiculaires à 88,74%. Toutefois, la tendance est
renversée. Ce n'est plus le lingala qui arrive en premier comme dans la
plupart des cas ci-dessus, mais le français avec trente-quatre cas, soit
47,89%. Vingt-neuf enquêtés ont déclaré employer
lingala, soit 40,85%. Cinq parents utilisent exclusivement le gangoulou,
7,04%.
Le bilinguisme français+lingala est utilisé dans
trois cas, soit 4,22% de la population enquêtée.
26 Calvet, L.-J., la guerre des
langues et les politiques linguistiques, Paris, Payot, 2005, [1987],
Réed. Hachette, p.107.
27
Pour mieux visualiser les résultats, nous les
présentons dans le tableau suivant :
|
|
Langues
|
Statuts
|
Nbres de cas
|
%
|
Vendeurs Congolais
|
Monolinguisme
|
Lingala
|
Véh
|
48
|
67,61
|
Gangoulou
|
Ver
|
17
|
23,94
|
Français
|
Véh
|
1
|
1,41
|
Bilinguisme
|
Lin+gan
|
Véh+véh
|
3
|
4,23
|
Lin+fra
|
Véh+ver
|
2
|
2,81
|
|
|
Total
|
|
71
|
100
|
Vendeurs Etrangers
|
Monolinguisme
|
Français
|
Véh
|
34
|
47,89
|
Lingala
|
Véh
|
29
|
40,85
|
Gangoulou
|
Ver
|
5
|
7,04
|
Bilinguisme
|
Lin+fra
|
Véh+véh
|
3
|
4,22
|
|
|
Total
|
|
71
|
100
|
Tableau 6 : Langues parlées par les parents
avec les commerçants
Nous remarquons qu'au marché, dans leur conversation
avec les commerçants, qu'ils soient congolais, étrangers ou
inconnus, les parents se servent exclusivement de trois langues : une langue
vernaculaire, le gangoulou et deux langues véhiculaires, le lingala et
le français, parce que le marché est un endroit cosmopolite parmi
tant d'autres et accueille les individus de langues maternelles
différentes, d'où intervient la fonction de communication
principalement liée au langage véhiculaire. La présence du
gangoulou dans le cas des commerçants congolais peut s'expliquer par le
fait
28
que les parents connaissent les commerçants et leur langue
maternelle qui serait le gangoulou. Avec les étrangers (Mauritaniens,
Libanais, Camerounais etc.), les parents s'adressent à eux au moyen des
interprètes gangoulous.
1.2. USAGES DES LANGUES PAR LES ENFANTS
Cinq situations de communication ont été retenues :
en famille avec les parents, avec les frères et soeurs ; avec les amis
dans la cour de l'école, dans la rue ; avec les commerçants au
marché.
1.2.1. AVEC LES PARENTS
Les cent-trois enfants enquêtés parlent les
langues véhiculaires et vernaculaires avec leurs parents en situations
de monolinguisme, bilinguisme et trilinguisme.
En situations de monolinguisme, les langues
véhiculaires sont plus utilisées dans les interactions avec les
parents (41,74%) que les vernaculaires (37,86%). Le lingala demeure la langue
la plus utilisée dans cette situation de communication avec 37,86%,
suivi du gangoulou, 32,04%. Le français est utilisé à un
même pourcentage que le boma, 3,88%. Le mbochi et le téké
sont faiblement représentés à hauteur de 0,97% chacun.
Tous les cas de bilinguisme enregistrés sont
représentés à 17,48% ; 8,74% d'enfants font
simultanément usage du français + lingala. Le bilinguisme lingala
+ gangoulou (les deux langues à haut pourcentage), est employé
à hauteur de 5,83%. Les cas du lingala + téké,
français + gangoulou et gangoulou + koyo sont utilisés à
hauteur de 0,97% chacun.
29
Un seul cas du trilinguisme est enregistré. Il s'agit du
lingala + gangoulou + français, soit 2,92%.
Les résultats sont présentés dans le tableau
suivant :
|
Langues
|
Statuts
|
Nbres de cas
|
%
|
Monolinguisme
|
Lingala
|
Véh
|
39
|
37,86
|
Gangoulou
|
Ver
|
33
|
32,04
|
Français
|
Véh
|
4
|
3,88
|
Boma
|
Ver
|
4
|
3,88
|
Mbochi
|
Ver
|
1
|
0,97
|
Téké
|
Ver
|
1
|
0,97
|
Bilinguisme
|
Lin+fra
|
Véh+ver
|
9
|
8,74
|
Lin+ gan
|
Véh+ver
|
6
|
5,83
|
Lin+ték
|
véh+ver
|
1
|
0,97
|
Gan+fra
|
Ver+véh
|
1
|
0,97
|
Gan+koy
|
Ver+ver
|
1
|
0,97
|
Trilinguisme
|
Lin+gan+fra
|
Véh+ver+véh
|
3
|
2,92
|
Total
|
|
|
103
|
100
|
Tableau 7 : Langues parlées par les enfants
avec les amis dans la rue
1.2.2. ENTRE FRÈRES ET SOEURS
Dans leurs interactions entre frères et soeurs, les
cent-deux enfants ayant répondu à la question posée
déclarent utiliser plus la langue véhiculaire
la plus répandue de la zone, le lingala, avec un
pourcentage de 63,73%. Le gangoulou qui occupe le plus souvent la
deuxième place est utilisé avec un pourcentage de 14,71%. Le
français qui est utilisé à 6,86% est suivi par le mbochi,
1,96%, le téké et le koyo, 0,98% chacun. Dans cette situation, il
est à retenir que les enfants de Gamboma, se servent beaucoup plus des
langues véhiculaires que des vernaculaires. Dans l'ensemble, les
véhiculaires représentent 70,59%, et les vernaculaires 18,63%.
Les cas de bilinguisme enregistrés sont les suivants :
le lingala + gangoulou, 4,90% ; le français + gangoulou, 0,98% ; et le
lingala +français, 3,92%.
Voici le tableau qui nous permet de mieux visualiser la situation
:
|
Langues
|
Statuts
|
Nbres de cas
|
%
|
Monolinguisme
|
Lingala
|
Véh
|
65
|
63,73
|
Gangoulou
|
Ver
|
15
|
14,71
|
Français
|
Véh
|
7
|
6,86
|
Mbochi
|
Ver
|
2
|
1,96
|
Koyo
|
Ver
|
1
|
0,98
|
Téké
|
Ver
|
1
|
0,98
|
Boma
|
Ver
|
1
|
0,98
|
Lin+gan
|
Véh+ver
|
5
|
4,90
|
Bilinguisme
|
Lin+fra
|
Véh+véh
|
4
|
3,92
|
Gan+fra
|
Véh+ver
|
1
|
0,98
|
Total
|
|
|
102
|
100
|
30
Tableau 8 : Langues parlées par les enfants
avec frères et soeurs
31
1.2.3. AVEC LES AMIS À L'ÉCOLE
Les interactions entre enseignants et apprenants, et entre
apprenants en classe se font en français. Si les élèves
sont obligés de communiquer entre eux en français, et que les
interactions en langues nationales sont interdites, plus encore en langues
vernaculaires, cependant dans la cour de l'école, ils communiquent dans
la langue de leur choix.
Sur les cent-un enquêtés ayant répondu
à la question posée, soixante-treize affirment parler les langues
véhiculaires dans des situations de monolinguisme, soit 72,27%. Le
français est la langue dominante dans la cour de l'école avec
40,59%, suivi du lingala avec 31,68%. Cette domination du français se
traduit par le fait idéologique selon lequel à l'école,
les élèves doivent parler la langue française et aussi par
leur désir de vouloir la maitriser pour « mieux réussir dans
la vie scolaire. »
En situations de bilinguisme, deux cas sont
enregistrés. Le bilinguisme véhiculaire+véhiculaire,
français+lingala, soit 24,75%. Le deuxième cas concerne une
langue véhiculaire et une langue vernaculaire. Il s'agit du
français+gangoulou, 0,99%. Si les langues vernaculaires ne sont
aucunement attestées en situation de monolinguisme dans la cour de
l'école, néanmoins elles sont représentées en
situation de bilinguisme par le gangoulou.
Un seul cas de trilinguisme a été
attesté, celui du français+lingala+gangoulou, 1,99%.
Ces enfants enquêtés n'utilisent pas les langues
vernaculaires parce que tous n'ont pas la même langue vernaculaire et
tous ne parlent pas les langues vernaculaires. La présence du gangoulou
est signalée parce qu'il s'agit de la langue autochtone de la commune de
Gamboma. Les écoliers qui se
32
connaissent et qui l'ont comme langue première
l'emploient sans gêne dans leurs interactions. Le lingala par contre
étant la langue « nationale », à fonction
véhiculaire, est connue ou maitrisée par la plupart des
enquêtés et utilisé par ceux-ci.
Les écoliers bilingues et trilingues se servent de
l'une ou l'autre langue en tenant compte de la langue que maitrise leur
interlocuteur.
Nous présentons les résultats dans le tableau
ci-dessous :
|
Langues
|
Statuts
|
Nbres de cas
|
%
|
Monolinguisme
|
Français
|
Véh
|
41
|
40,59
|
Lingala
|
Véh
|
32
|
31,68
|
Bilinguisme
|
Fra+lin
|
Véh+véh
|
25
|
24,75
|
Fra+gan
|
Véh+ver
|
1
|
0,99
|
Trilinguisme
|
Fra+lin+gan
|
Véh+véh+ver
|
2
|
1,99
|
Total
|
|
|
101
|
100
|
Tableau 9 : Langues parlées par les enfants
avec les amis dans la cour de l'école
1.2.4. AVEC LES AMIS DANS LA RUE
Dans cette situation de communication, les enfants
enquêtés sont monolingues, bilingues et trilingues. Ils utilisent
en majorité des langues véhiculaires et en minorité des
langues vernaculaires.
Des cent-trois enfants, quatre-vingt-dix emploient en
situations de monolinguisme les langues véhiculaires avec les amis dans
la rue, soit 87,38%. La langue dominante dans cette situation de communication
est le lingala (80,58%), suivi du français (6,80%). Le gangoulou est
l'unique langue vernaculaire attestée dans cette situation (1,94%).
Quant aux cas de bilinguisme, celui du lingala+français
arrive en tête avec 4,86% suivi du français+lingala, 2,91% ; 0,97%
est le pourcentage des cas du lingala+kituba et du français+gangoulou.
On note ici la faible apparition d'une autre langue véhiculaire du pays,
le kituba.
Le trilinguisme lingala+français+gangoulou est
représenté à 0,97%. Voici les réponses sous forme
de tableau :
|
Statuts
|
Langues
|
Nbres de cas
|
%
|
Monolinguisme
|
Véh
|
Lingala
|
83
|
80,58
|
Véh
|
Français
|
7
|
6,80
|
Ver
|
Gangoulou
|
2
|
1,94
|
Bilinguisme
|
Véh+ver
|
Lin+ gan
|
5
|
4,86
|
Véh+véh
|
Lin+fra
|
3
|
2,91
|
Véh+ver
|
Fra+gan
|
1
|
0,97
|
véh+véh
|
Fin+kit
|
1
|
0,97
|
Trilinguisme
|
véh+véh+ver
|
Fin+fra+gan
|
1
|
0,97
|
Total
|
|
|
101
|
100
|
33
Tableau 10 : Langues parlées par les enfants
avec les amis dans la rue
1.2.5. AU MARCHÉ
Dans les deux marchés municipaux de Gamboma, les
enfants s'adressent principalement aux commerçants en langues
véhiculaires. Le lingala est la langue dominante du marché
employé avec un pourcentage très élevé, soit
92,08%. Le français est utilisé à 2,97%. Ceci est dû
au fait qu'au marché ils se trouvent en présence de
commerçants qu'ils ne connaissent pas, ainsi le statut de
véhicularisation intervient-il. La forte domination du lingala
s'explique par le fait que ses enfants sont conscients de la situation du
lingala comme langue véhiculaire la plus répandue de la zone.
Quant aux langues vernaculaires, elles sont faiblement utilisées par
ceux-ci, soit 2,97%. Seul le gangoulou est attesté.
Certains enfants ont déclaré utiliser
simultanément deux langues. Il s'agit du bilinguisme français +
lingala et du bilinguisme français + gangoulou, soit 0,99% pour chaque
cas.
Les résultats sont présentés dans ce tableau
:
|
Langues
|
Statuts
|
Nbres de cas
|
%
|
Monolinguisme
|
Lingala
|
Véh
|
93
|
92,08
|
Français
|
Véh
|
3
|
2,97
|
Gangoulou
|
Ver
|
3
|
2,97
|
Bilinguisme
|
Fra+lin
|
Véh+ver
|
1
|
0,99
|
Fra+gan
|
Véh+ver
|
1
|
0,99
|
Total
|
|
|
101
|
100
|
34
Tableau 11 : Langues parlées par les enfants au
marché
35
1.3. CONCLUSION PARTIELLE
Les enquêtés font usage des langues diverses. Ils
se servent en majorité des langues véhiculaires. Les langues
vernaculaires sont faiblement représentées.
En famille entre parents et enfants, sur cent-soixante-douze
enquêtés, la langue dominante en cas de monolinguisme est le
lingala, utilisé à 38,95% suivi du gangoulou, 30,23%. Le
français occupe la troisième place du classement, soit 5,23%.
Toutes les langues vernaculaires confondues en dehors du gangoulou sont
faiblement employées en famille entre parents et enfant s, soit 5,81%.
Le cas du bilinguisme le plus utilisé est celui du lingala+gangoulou,
6,98%. Avec les frères et soeurs, les enfants de Gamboma communiquent
dans la langue véhiculaire la plus répandue de la zone : le
lingala (63,73%). Le gangoulou est utilisé à hauteur de 14,71%,
le français à 6,86%. Toutefois entre conjoints, la langue
dominante est le gangoulou, utilisé à 37,25%, suivi du lingala
(33,33%), et du mbochi, 5,88%.
Dans les autres situations de communication, surtout dans des
milieux hétérogènes (marché, école etc.) les
langues qui sont généralement utilisées en grande partie
sont des langues véhiculaires.
Avec les voisins et dans la rue entre amis bien que la langue
dominante soit le lingala, il est de très près suivi par le
gangoulou.
36
Chapitre 2 : Transmission des langues par
les parents aux enfants
L'une des questions que nous étudions dans notre
travail est celle de savoir quelles sont les langues hautement et faiblement
transmises à Gamboma. Nous établissons le rapport entre les
caractéristiques sociales des parents et les langues
déclarées transmises. Puis nous abordons l'évolution de la
transmission des langues entre la génération des grands-parents
et celle des parents.
2.1. LANGUES DÉCLARÉES TRANSMISES PAR LES
PARENTS AUX ENFANTS
Sur soixante-douze enquêtés, ayant répondu
à la question quelle(s) langue(s) première(s)
transmettez-vous à vos enfants, trente disent avoir transmis
exclusivement une langue véhiculaire du pays, soit 41,67% ; tandis que
vingt-deux d'entre eux déclarent avoir transmis une langue vernaculaire
aux enfants soit 30,56%. L'écart entre langues véhiculaires et
langues vernaculaires est de huit points (11,11%) au profit des langues
véhiculaires.
En général, les parents déclarent avoir
transmis les langues véhiculaires à leurs enfants plus que les
langues vernaculaires.
Le lingala est déclaré avoir été
transmis par vingt enquêtés comme langue première des
enfants, soit 27,78%, suivi du gangoulou avec dix-huit enquêtés
soit 25%. Le français qui arrive en troisième position est
transmis
par dix parents, soit 13,89%. Trois parents ont
déclaré avoir légué le mbochi, soit 4,17% ; le
laari a été déclaré par un parent, soit 1,39%.
Un quart des enquêtés ont déclaré
avoir transmis aux enfants deux langues premières. Il s'agit :
- d'une langue véhiculaire plus une langue
vernaculaire, 15,27%. Les enquêtés disent avoir transmis à
leurs enfants le lingala+gangoulou à 11,11% ; le lingala+boma à
2,77% ; et le lingala+mbochi à 1,39%.
- de deux langues véhiculaires, 8,33%. Le
lingala+français à 5,55%. Le français+kituba et le
français+anglais sont transmis à 1,39% chacun. L'anglais est
considéré comme langue véhiculaire non parce qu'il remplit
cette fonction au Congo, mais à travers le monde.
- deux langues vernaculaires. Un seul cas a été
enregistré, celui du mbochi+moyi à 1,39%.
Deux cas de trilinguisme ont été
repérés : lingala+gangoulou+français et
lingala+mbochi+akwa, 1,39% chacun.
37
Voici les résultats dans le tableau suivant :
38
|
Langues
|
Statuts
|
Nbres de cas
|
%
|
Monolinguisme
|
Lingala
|
Véh
|
20
|
27,78
|
Gangoulou
|
Ver
|
18
|
25
|
Français
|
Véh
|
10
|
13,89
|
Mbochi
|
Ver
|
3
|
4,17
|
Laari
|
Ver
|
1
|
1,39
|
Bilinguisme
|
Lin+gan
|
Véh+ver
|
8
|
11,11
|
Lin+fra
|
Véh+véh
|
4
|
5,55
|
Lin+bom
|
Véh+ver
|
2
|
2,77
|
Lin+mbo
|
Véh+ver
|
1
|
1,39
|
Fra+kit
|
Véh+véh
|
1
|
1,39
|
Fra+ang
|
Véh+véh
|
1
|
1,39
|
Mbo+moy
|
Ver+ver
|
1
|
1,39
|
Trilinguisme
|
Lin+gan+fra
|
Véh+ver+véh
|
1
|
1,39
|
Lin+mbo+akw
|
Véh+ver+ver
|
1
|
1,39
|
Total
|
|
|
72
|
100
|
Tableau 12 : Langues déclarées avoir
été transmises par les parents aux enfants
2.2. LANGUES TRANSMISES SELON LES
CARACTÉRISTIQUES SOCIALES DES PARENTS
Qui transmet quelle(s)
langue(s) ? Nous examinons dans cette partie la
répartition des parents selon les catégories
socio-démographique (origine
39
géographique, genre), socio-économico-culturelle
(emploi exercé et niveau d'étude).
2.2.1. SELON LES LIEUX D'ORIGINE
Sur les soixante-douze enquêtés, la
majorité (61,11%) sont des parents qui sont nés et ont grandi
à Gamboma. La minorité (38,89%) des parents est née
ailleurs.
Les parents natifs de Gamboma ont
affirmé avoir transmis exclusivement les langues véhiculaires
à hauteur de 29,17%, et les langues vernaculaires à 16,67%.
Gamboma étant un centre urbain, les langues véhiculaires ont
été plus transmises que les langues vernaculaires. Le lingala a
été transmis à 22,22%, et le français à
6,94%. Le gangoulou, langue autochtone a été
déclaré transmis à 15,28%. Le laari, langue du groupe H
est déclaré avoir été transmis (à hauteur de
1,39%) par une parente née à Gamboma. Il s'agit de la langue de
son conjoint qu'elle maitrise.
Les situations de bilinguisme ont été transmises
à 13,89%. La situation la plus transmise est celle du lingala+gangoulou
(8,33%), suivi du français+lingala (2,78%). Les situations de
bilinguisme, lingala+boma et français+anglais ont été
transmis à 1,39% chacun.
L'unique situation de trilinguisme constatée est
constituée du lingala+gangoulou+français (1,39%).
Les parents nés ailleurs,
sont issus des villages comme Étoro, Élion, Olouo
etc. et des autres centres urbains telsque
Brazzaville, Owando, Ouesso, Makoua.
40
Ils ont déclaré avoir transmis en situation de
monolinguisme les langues vernaculaires (13,89%) plus que les langues
véhiculaires (12,50%). Le français a été transmis
à hauteur de 6,94%, le lingala à 5,56%. Le gangoulou a
été transmis à 9,72%, suivi du mbochi, 4,17%.
Ce sont les parents issus des différents villages qui
ont transmis les langues vernaculaires (11,11%) plus que les langues
véhiculaires (1,39%). Les parents nés dans les autres centres
urbains ont transmis les langues véhiculaires à hauteur de 11,11%
et les langues vernaculaires à hauteur de 1,39%.
Les cas de bilinguisme s'élèvent à
11,11%. Il s'agit du lingala+gangoulou, du lingala+français, soit 2,78%
chacun ; lingala+mbochi, lingala+boma, mbochi+moyi et du
français+kituba, 1,39% chacun.
Le trilinguisme lingala+mbochi+akwa, est transmis à
1,39%.
2.2.2. SELON LE SEXE
L'échantillon de l'enquête était
constitué de quarante-quatre hommes, soit 61,11%. Le nombre des femmes
s'élève à vingt-huit, soit 38,98%.
Les hommes ont déclaré
avoir transmis aux enfants en situation de monolinguisme, 29,17% des langues
véhiculaires. Il s'agit du lingala (16,67%), et du français
(12,50%). Les langues vernaculaires l'ont été à 15,18%. Le
gangoulou est la langue vernaculaire hautement transmise dans cette situation
(11,11%), suivi du mbochi (4,17%).
Ceci peut s'expliquer par le fait que les hommes ont souvent
tendance à quitter leurs lieux de résidence, à se
déplacer pour les raisons de travail, et
41
suite à ces déplacements, ils apprennent les
langues véhiculaires et les transmettent à leurs enfants.
Ils ont aussi déclaré avoir transmis
simultanément deux langues à leurs enfants, soit 15,28%. Le cas
de bilinguisme le plus attesté est celui du lingala+gangoulou (8,33%),
celui du lingala+boma s'élève à 2,78%. Les autres cas
(français+anglais, lingala+mbochi et mbochi+moyi) sont
représentés chacun à hauteur de 1,39%.
L'unique cas de trilinguisme est constitué du
français+lingala+gangoulou (1,39%).
En situations de monolinguisme, les femmes
(38,89%) ont transmis plus de langues vernaculaires (15,28%) par
rapport aux langues véhiculaires (12,50%). Le gangoulou est la langue
vernaculaire la plus transmise, soit 13,69%, suivi du laari, soit un faible
pourcentage de 1,39%. Quant aux langues véhiculaires, le lingala est
transmis à hauteur de 11,11%, le français à 1,39%.
Les situations de bilinguisme s'élèvent à
9,72%. Le cas le plus hautement enregistré est celui de deux langues
véhiculaires, soit 6,94% ; celui d'une langue véhiculaire plus
une langue vernaculaire est constaté à 2,78%.
Une seule situation de trilinguisme a été
signalée, soit 1,39%.
Nous remarquons que les hommes ont transmis à leurs
enfants beaucoup plus les langues véhiculaires que les langues
vernaculaires. Alors que les femmes ont transmis plus les langues vernaculaires
que les langues véhiculaires.
42
2.2.3. SELON L'EMPLOI EXERCÉ ET LE NIVEAU
D'ÉTUDE
L'objectif est de voir (sans tenir compte de la situation
socio-économique et culturelle de l'autre conjoint) l'impact des
métiers et du niveau intellectuel dans la transmission des langues. Car,
«...a priori, on pourrait croire que les pères et mères
qui exercent un métier « intellectuel » seraient plus prompts
à « donner » comme L1 à leur progéniture le
français, tandis que ceux qui exercent des métiers non «
intellectuels » feraient acquérir à leurs descendants une
langue vernaculaire 27»
Soixante-neuf parents ont répondu à la question
posée. Ils sont répartis en cinq catégories :
1- les fonctionnaires qui regroupent les enseignants du
primaire et du secondaire, les médecins et infirmiers, les policiers et
militaires etc. (26,39%),
2- les commerçants ou vendeurs au marché
(22,22%),
3- les agriculteurs et artisans (33,33 %),
4- Les ouvriers (8,33%),
5- les retraités (9,73%).
Chez les 26,39% de fonctionnaires,
les langues vernaculaires ont été transmises
à hauteur de 11,11%. Les langues véhiculaires (lingala et
français) l'ont été à 8,33%.
Le gangoulou a été transmis à 6,94%. Le
mbochi arrive en deuxième position (2,78%), suivi du laari (1,39%). Le
français est la langue véhiculaire la plus transmise (6,94%). Le
lingala est transmis à 1,39%.
27 Talani Nanitelamio, Émergence des langes
véhiculaires comme langues premières chez les enfants d'Owando,
Mémoire de maitrise, FLSH, Brazzaville 2009, p.21.
43
Le cas du bilinguisme le plus fréquent est celui du
français+lingala, 2,78%. Les cas de bilinguimes français+anglais,
lingala+ gangoulou et lingala+boma ont été transmis à
hauteur de 1,39% chacun.
L'hypothèse selon laquelle le français serait la
langue transmise par les parents exerçant un métier «
intellectuel » est ici confirmée en raison de son taux de
transmission par rapport à celle des autres professions ci-dessous.
Toutefois ces parents ont transmis à un haut degré non seulement
le français, mais aussi le gangoulou, langue vernaculaire. Les parents
fonctionnaires l'ayant transmis l'ont eux-mêmes pour langue
première.
Nous avons enregistré 22,22% des parents
commerçants. En situations de monolinguisme,
ceux-ci ont déclaré transmettre trois langues (le lingala, le
gangoulou et le français) à leurs enfants. Les langues
véhiculaires sont transmises à hauteur de 11,10%, tandis que les
vernaculaires le sont à 2,78% représentées par le
gangoulou seul. Le lingala est la langue la plus transmise, soit 9,72% de la
sous-population. Le français arrive en troisième position, soit
1,39% après le gangoulou.
Le taux des commerçants ou vendeurs au marché
déclarant transmettre simultanément deux langues
s'élève à 5,56%. Le cas le plus répandu est celui
du lingala+gangoulou, 2,78%. Tous les autres le sont à 1,39% chacun. Il
s'agit, du lingala+français, du français+kituba.
Deux cas de trilinguisme ont été
répertoriés avec un pourcentage de 2,78%. Il s'agit du
lingala+français+gangoulou et du lingala+mbochi+akwa, soit 1,39%
chacun.
Notre échantillon était constitué de
33,33 % d'agriculteurs et artisans. Ils ont
déclaré transmettre les langues véhiculaires à
16,67%. Les vernaculaires l'ont été à 8,33%.
44
Le lingala est la langue la plus transmise, soit 13,89%. Il
est suivi par le gangoulou, 6,94%. Le français arrive en
troisième position avec 2,78%. Le mbochi occupe la quatrième
place avec 1,39%.
Aucun cas du trilinguisme n'a été
déclaré. 8,33% d'entre eux disent avoir transmis
simultanément deux langues à leurs enfants. Le duo
lingala+gangoulou est le plus représenté, 2,77%. Les duos
lingala+français, lingala+mbochi, lingala+boma et mbochi+moyi sont
représentés à égalité, soit 1,39% chacun.
Les ouvriers (8,33% de
l'échantillon) ont déclaré transmettre le lingala et le
français à hauteur de 2,78% chacun. Le gangoulou est transmis
à 1,39%.
Le bilinguisme lingala+gangoulou est transmis à 1,39%.
Certains parents retraités
(9,73%) ont déclaré avoir transmis exclusivement
une seule langue, une vernaculaire, le gangoulou à 6,95%.
D'autres ont déclaré avoir transmis
simultanément deux langues. Un seul cas est attesté, celui du
lingala+gangoulou, à 2,78%.
2.3. ÉVOLUTION DE LA TRANSMISSION DES LANGUES
ENTRE LA GÉNÉRATION DES GRANDS-PARENTS ET CELLE DES PARENTS
Dans cette partie, nous comparons le pourcentage de
transmission des langues premières entre la génération des
grands-parents et celle des parents.
Les soixante-douze parents enquêtés ont
déclaré avoir transmis à leurs enfants en situations de
monolinguisme, les langues véhiculaires à 41,67% et les
vernaculaires à 30,56%. Les situations de bilinguisme et de
trilinguisme
45
s'élèvent à 27,78% ; alors que ces
mêmes parents avaient pour langues premières, les
véhiculaires à 25% et les vernaculaires à 72,22% selon
leurs déclarations.
À la première génération, celle
des grands-parents, le lingala était transmis à 20,83%, tandis
que dans celle des parents il l'est à 27,78%, soit 6,94% de plus.
Le gangoulou qui était la langue la plus transmise dans
la génération des grands-parents avec un pourcentage
énorme (63,89%) fait une chute libre et passe à 25% à la
génération des parents après le lingala. En d'autres
termes il perd ses 38,89% de transmission.
Le français passe de 2,78% à 13,89%, soit, une
augmentation de 11,11%.
De la première à la deuxième
génération, le mbochi passe de 5,56% à 4,17%. Soit un
recul de 1,39%.
Les cas de bilinguisme qui n'étaient
représentés qu'à 2,78% chez les grands-parents,
apparaissent chez les parents à 25%, soit une augmentation de 22,22%.
Les cas de trilinguisme font également leur apparition à
2,78%.
Le boma, le moyi et le kituba qui avaient 1,39% chacun
à la génération des grands-parents, ne sont plus
exclusivement transmis à celle des parents, mais apparaissent
plutôt dans des cas de bilinguisme constitués d'une langue
véhiculaire et une langue vernaculaire, puis de deux langues
véhiculaires.
Toujours dans la deuxième génération, on
note l'apparition du laari dans la transmission en cas de monolinguisme
(1,39%), de l'anglais et de l'akwa dans des cas de bilinguisme et de
trilinguisme.
Pour mieux visualiser les résultats, nous les
présentons dans le tableau suivant :
46
|
Langues
|
Statuts
|
1ère
génération
(grands- parents)
|
2ème
génération (parents)
|
De la 1ère à la
2ème génération
|
Recul
|
Hausse
|
|
|
|
Eff
|
%
|
Eff
|
%
|
Eff
|
%
|
Eff
|
%
|
Monolin guisme
|
Lingala
|
Véh
|
15
|
20,83
|
20
|
27,78
|
|
|
5
|
6,94
|
Gangou- lou
|
Ver
|
46
|
63,89
|
18
|
25
|
28
|
38,89
|
|
|
Français
|
Véh
|
2
|
2,78
|
10
|
13,89
|
|
|
8
|
11,11
|
Mbochi
|
Ver
|
4
|
5,56
|
3
|
4,17
|
1
|
1,39
|
|
|
Boma
|
Ver
|
1
|
1,39
|
|
|
|
|
|
|
Moyi
|
Ver
|
1
|
1,39
|
|
|
|
|
|
|
Kituba
|
Véh
|
1
|
1,39
|
|
|
|
|
|
|
|
Laari
|
Ver
|
0
|
|
1
|
1,39
|
|
|
|
|
Bilinguis me
|
Lin+gan
|
Véh+ver
|
1
|
1,39
|
8
|
11,11
|
|
|
16
|
22,22
|
Lin+fra
|
Véh+véh
|
|
|
4
|
5,55
|
|
|
lin+bom
|
Véh+ver
|
|
|
2
|
2,77
|
|
|
Lin+mbo
|
Véh+ver
|
|
|
1
|
1,39
|
|
|
Lin+ték
|
Véh+Ver
|
1
|
1,39
|
|
|
|
|
fra+kit
|
Véh+véh
|
|
|
1
|
1,39
|
|
|
Fra+ang
|
Véh+véh
|
|
|
1
|
1,39
|
|
|
Mbo + moy
|
Ver+ver
|
|
|
1
|
1,39
|
|
|
Trilingui sme
|
Lin+gan +fra
|
Véh+ver +véh
|
|
|
1
|
1,39
|
|
|
|
|
Lin+mbo +akw
|
Véh+ver +ver
|
|
|
1
|
1,39
|
|
|
|
|
Total
|
|
|
72
|
100
|
72
|
100
|
29
|
40,28
|
29
|
40,27
|
Tableau 13 : Comparaison des langues transmises entre
la génération des grands-parents et celle des parents
47
Nous constatons une grande différence et un grand
écart dans la transmission des langues entre les deux
générations. Lorsque les parents étaient enfants, leurs
parents (grands-parents par rapport à la génération des
enfants) leur avaient hautement transmis les langues vernaculaires. Plus le
temps passe et suite à diverses raisons que nous verrons dans le
chapitre 4, la tendance a complètement basculé.
Autrefois, avant la tendance actuelle de l'émergence
des langues véhiculaires comme langues premières (L1) chez les
enfants dans les certains centres urbains, particulièrement à
Gamboma, les langues vernaculaires étaient plus transmises que les
langues véhiculaires avec un écart considérable de
trente-quatre points, soit 47,22%. Actuellement, les langues
véhiculaires prennent le relais et sont plus transmises que les
vernaculaires avec un écart de huit points, soit 11,11%. Aujourd'hui cet
écart n'est peut-être pas énorme, dans l'avenir, avec
l'allure où vont les choses il pourrait être accentué et
causer avec le temps l'extinction des langues vernaculaires.
Quand nous avons posé aux enfants (de la
troisième génération par rapport à celle des
grands-parents) la question de savoir quelle(s) langue(s)
souhaiteraient-ils transmettre à leur tour à leurs enfants,
la majorité (quatre-vingt-quatre sur cent-trois) ont
déclaré souhaiter transmettre les langues véhiculaires (y
compris l'anglais et l'espagnol en tant que langues
préférées, soit 0,98% chacun) à 82,35%, et les
vernaculaires à 5,88% seulement. Le pourcentage de ceux qui souhaitent
transmettre à la fois deux langues véhiculaires est de 5,88% ;
une langue véhiculaire plus une vernaculaire est de 3,92% ; 1,96% est le
pourcentage de ceux qui souhaitent à la fois trois langues, soit deux
véhiculaires plus une vernaculaire.
Le constat fait est que des 82,35% des langues
véhiculaires que ces enfants de la dernière
génération envisagent transmettre, le français à
lui seul
48
représente 69,61%, le lingala 10,78%, le gangoulou
3,92%, le mbochi et le téké 0,98% chacun.
En deux générations (celles des grands-parents
et des parents), nous observons un grand changement dans la transmission des
langues. Nous sommes passés de la dominance des langues vernaculaires
à celle des langues véhiculaires.
Si la génération des enfants arrive à
réaliser ses souhaits, alors dans l'avenir, ce ne sera plus le statut de
langue véhiculaire nationale qui dominera comme facteur dans le
choix de la transmission des langues, mais plutôt le statut de langue
officielle. La langue officielle exercera sa suprématie
sur les langues véhiculaires nationales. Ceci vient appuyer la
tendance générale selon laquelle :
« Il y a donc en ville..., une baisse sensible de la
« production linguistique » vernaculaire qui entraîne tout
naturellement le ralentissement puis l'arrêt du développement de
la langue vernaculaire, du fait que le « le procès de reproduction
» n'est plus assuré... » ; « Dans un deuxième
temps, le développement des langues véhiculaires et des
koinè se trouve confronté au poids de la langue française.
Celle-ci étant la seule à jouer la fonction de communication dans
toutes les activités officielles, se trouve être la seule à
avoir un statut élevé, à jouir de tout le prestige
dans la société. Et le poids de la domination
socioculturelle, économique et politique aidant, la langue officielle se
trouve être la langue dominante, et les langues véhiculaires les
dominées.28 »
28 Ndamba, Josué, « Des
véhiculaires aux vernaculaires à Brazzaville : la ville et les
changements de fonctions linguistiques », in Le
plurilinguisme urbain, actes du colloque de Libreville "Les villes
plurilingues" (25-29 septembre 2000), Calvet, L-J. &
Moussirou-Mouyama, A., Institut de la Francophonie, Diffusion Didier Erudition,
Paris, 2000, p.p.142-143.
49
2.4. CONCLUSION PARTIELLE
Nous retenons que, selon leurs déclarations, les
parents enquêtés ont transmis à leurs enfants plus de
langues véhiculaires que de langues vernaculaires. Le lingala est la
langue véhiculaire la plus transmise (27,78%). Le gangoulou, langue
vernaculaire autochtone de la commune arrive en deuxième position (25%),
suivi du français (13,89%). Les autres langues vernaculaires sont
faiblement représentées comme L1 des enfants, très souvent
en situations de bilinguisme et de trilinguisme.
Les lieux d'origine des parents ont aussi un impact dans la
transmission des langues. Les parents issus des centres urbains ont transmis en
majorité, les langues véhiculaires que les langues vernaculaires
; par contre, ceux qui proviennent des villages ont plus légué
les langues vernaculaires que les langues véhiculaires.
Nous avons aussi vu que les langues véhiculaires sont
en plus grand nombre transmises par les hommes que les langues vernaculaires ;
tandis que chez les femmes la tendance est inversée.
Le français est la langue véhiculaire la plus
transmise comme L1 chez les parents ayant un niveau intellectuel
élevé, au même titre que le gangoulou, langue vernaculaire,
soit 6,94% chacun.
La comparaison des langues transmises par les grands-parents
et par les parents a montré que les langues véhiculaires
émergent de plus en plus comme L1 des enfants ; par contre, les langues
vernaculaires sont de moins en moins L1.
50
Chapitre 3 : Langues premières
déclarées
par les enfants
Nous étudions dans ce chapitre, les langues
premières déclarées par les enfants, premièrement
en tenant compte de leurs lieux d'origine. Deuxièmement, nous
répartissons ces enfants selon les tranches d'âge et le sexe.
Troisièmement, nous identifions les langues maternelles des parents et
des enfants.
3.1. LES ENFANTS, LEURS LANGUES ET LEURS LIEUX
D'ORIGINE
Les langues véhiculaires ne sont pas les seules
hautement déclarées langues premières (L1), car le
gangoulou ne cesse de manifester sa haute transmission comme L1 chez les
enfants de Gamboma.
Des cent-trois enfants enquêtés, le lingala et le
gangoulou sont les deux premières langues déclarées L1 des
enfants, soit 37,86% chacun. Le français est déclaré
à 7,77% suivi du mbochi, 3,88%. Le boma et le téké
viennent juste après, soit 2,91% chacun. Le kituba est la langue
véhiculaire la plus faiblement transmise comme L1, soit 0,97%.
Dans chaque cas de bilinguisme, on note toujours la
présence d'une langue véhiculaire. Le bilinguisme
lingala+gangoulou arrive en tête avec 2,91% suivi de celui du
lingala+français, 1,95%.
Le seul cas de trilinguisme est constitué des trois
premières langues fortement transmises
(lingala+gangoulou+français), soit 0,98%.
Nous constatons qu'à Gamboma, les langues
véhiculaires sont déclarées comme langues premières
des enfants à hauteur de 46,60%. Le lingala est la L1 des enfants ayant
un pourcentage élevé par rapport aux autres langues
véhiculaires. Il est suivi par le français. On note ici la faible
transmission du kituba comme L1 des enfants à Gamboma.
Les langues vernaculaires sont déclarées L1
à hauteur de 47,56%. Le fait que ce pourcentage surpasse celui des
véhiculaires comme L1, est dû au pourcentage élevé
du gangoulou. Bien qu'il en soit ainsi, hormis le gangoulou qui est ici
déclaré L1 des enfants au même titre que le lingala ; les
autres langues vernaculaires sont individuellement très faiblement
représentées.
Nous présentons ces résultats dans le tableau
ci-dessous :
|
Langues
|
Statuts
|
Eff
|
%
|
Monolinguisme
|
Lingala
|
Véh
|
39
|
37,86
|
Gangoulou
|
Ver
|
39
|
37,86
|
Français
|
Véh
|
8
|
7,77
|
Mbochi
|
Ver
|
4
|
3,88
|
Boma
|
Ver
|
3
|
2,91
|
Téké
|
Ver
|
3
|
2,91
|
Kituba
|
Ver
|
1
|
0,97
|
Bilinguisme
|
Lin+gan
|
Véh+ver
|
3
|
2,91
|
Lin+fra
|
Véh+véh
|
2
|
1,95
|
Trilinguisme
|
Lin+gan+fra
|
Véh+ver+véh
|
1
|
0,98
|
Total
|
|
|
103
|
100
|
51
Tableau 14 : Langues premières
déclarées par les enfants
52
Nous remarquons que les lieux de naissance des enfants
enquêtés n'ont pas un impact considérable sur l'acquisition
des langues véhiculaires comme langues premières chez les enfants
à Gamboma. 79,61% de l'échantillon est constitué des
enfants qui sont nés et qui ont grandi au centre urbain de Gamboma.
Ainsi, 38,83% d'entre eux ont pour L1 les langues véhiculaires et 35,92%
des langues vernaculaires. Les cas de bilinguisme
véhiculaire+vernaculaire s'élèvent à 2,91%, tandis
que celui constitué de deux langues véhiculaires
s'élève à 0,97% au même titre que l'unique cas de
trilinguisme, véhiculaire+vernaculaire+véhiculaire.
Par contre, pour les enfants nés hors la commune,
(20,39% de l'échantillon), nous constatons que les langues
véhiculaires sont faiblement représentées en situation de
L1, soit 7,76% ; alors que les vernaculaires le sont à 11,65%. Ceci
s'explique par le fait que la plupart de ces autres lieux de naissance sont des
villages non urbanisés où les langues vernaculaires ont tendance
à se maintenir comme L1 des enfants. L'unique cas de bilinguisme est
celui qui est constitué du lingala+français, soit 0,97%.
Ce qui est remarquable, c'est le maintien du Gangoulou comme
L1 chez les enfants à Gamboma, qui est bien un centre urbain où
les langues vernaculaires sont en parfaite régression comme l'ont
confirmé les études antérieures sur les langues
premières des enfants en milieux urbains (Nkouka Martial, Brazzaville
(Bacongo et Ouenze), 2001 ; Talani Nanitelamio, Owando, 2009 ; Guina
Joséline Kounghat, Brazzaville (Talangaï), 2013).
3.2. LANGUES PREMIÈRES DES ENFANTS PAR
TRANCHES
D'ÂGE
Nous avons reparti les enfants en trois tranches d'âges
: la tranche de 10-14 représentée par quarante-deux enfants, soit
40,78% ; de 15-18
53
représentée par cinquante-deux, soit 50,49% de
l'échantillon ; et de 19-25 ans représentée par neuf, soit
8,73%.
Les langues véhiculaires sont utilisées à
24,27% par les enfants dont l'âge oscille entre 10 et 14 ans tandis que
les vernaculaires le sont à 14,56%. Le lingala est utilisé par
cette tranche d'âge à 19,42%, le gangoulou à 9,71%, le
français à 3,88%. Le kituba est utilisé uniquement par
cette tranche d'âge. Toutes les autres langues vernaculaires sont langues
premières de ces enfants à un faible pourcentage (4,86%). Le
pourcentage de ceux ayant déclaré avoir deux langues
(véhiculaire+vernaculaire) est de 0,97% ; le trilinguisme
véhiculaire+vernaculaire+véhiculaire est aussi
représenté à 0,97%.
Quant aux enfants de la tranche d'âge variant entre
15-18 ans, les langues vernaculaires sont L1 à 27,18%, tandis que les
véhiculaires le sont à 19,41%. C'est le gangoulou qui a le
pourcentage le plus élevé comme L1, soit 25,24%. Il est
secondé par le lingala, 16,50%. Le français arrive en
troisième position avec 2,91%. Le mbochi et le téké sont
déclarés L1 des enfants de cette tranche d'âge à
0,97% chacun. Le bilinguisme lingala+gangoulou et celui constitué du
lingala+français représentent chacun 1,95% des L1 des enfants de
cette tranche.
Enfin, sur les 8,74% d'enquêtés dont l'âge
va au-delà de 18 ans, les langues vernaculaires sont L1 de 5,83%
d'enfants alors que les véhiculaires le sont à 2,91%.
Les résultats sont présentés dans le tableau
suivant :
|
L1
|
Eff
|
10-14 ans
|
15-18 ans
|
19-25 ans
|
|
|
|
Eff
|
%
|
Eff
|
%
|
Eff
|
%
|
Monolinguis
|
Lingala
|
39
|
20
|
19,42
|
17
|
16,50
|
2
|
1,94
|
54
me
|
Gangoulou
|
39
|
10
|
9,71
|
26
|
25,24
|
3
|
2,91
|
Français
|
8
|
4
|
3,88
|
3
|
2,91
|
1
|
0,97
|
Mbochi
|
4
|
1
|
0,97
|
1
|
0,97
|
2
|
1,94
|
Boma
|
3
|
3
|
2,92
|
0
|
0
|
0
|
0
|
Téké
|
3
|
1
|
0,97
|
1
|
0,97
|
1
|
0,97
|
Kituba
|
1
|
1
|
0,97
|
0
|
0
|
0
|
0
|
Bilinguisme
|
Lin+gan
|
3
|
1
|
0,97
|
2
|
1,95
|
0
|
0
|
Ling+fra
|
2
|
0
|
0
|
2
|
1,95
|
0
|
0
|
Trilinguisme
|
Lin+gan+fra
|
1
|
1
|
0,97
|
0
|
0
|
0
|
0
|
|
Total
|
103
|
42
|
40,78
|
52
|
50,49
|
9
|
8,73
|
Tableau 15: Répartition des L1 des enfants par
tranches d'âge
Le constat fait dans le rapport entre L1 et tranches
d'âge est que plus on descend dans les tranches d'âge, plus ce sont
les langues véhiculaires qui sont L1 des enfants, plus on remonte, plus
ce sont les langues vernaculaires qui le sont.
Les enquêtés de 19-25 ans avaient reçu
comme L1 plus de langues vernaculaires que de langues véhiculaires. Et
dans cette tranche, la L1 dominante était le gangoulou, une
vernaculaire. En descendant, dans l'espace de quelques années, environ 7
ans, malgré la toute dominance du gangoulou, et les langues
vernaculaires qui prenaient le dessus sur les langues véhiculaires, on
commence à constater un léger changement. Le lingala qui
était L1 des enquêtés au même pied
d'égalité que le mbochi dans la tranche précédente
prend un sursaut et surpasse celui-ci avec un écart de 15,53%. On voit
également le pourcentage du mbochi diminuer de 0,97%. Le français
qui
55
était à 0,97% triple son pourcentage et surpasse
également le mbochi. Le téké maintient le sien (0,97%).
C'est finalement dans la dernière tranche d'âge,
11 ans environ (4 ans environ par rapport à la deuxième tranche),
la tendance bascule dans toute son ampleur. On voit les langues
véhiculaires prendre la domination en pourcentage comme L1 des enfants.
Cette fois-ci, ce n'est plus le gangoulou, une langue vernaculaire, mais c'est
plutôt une langue véhiculaire, le lingala, qui arrive en
tête. Le pourcentage du français a également
augmenté. Le boma fait son apparition dans la course avec un pourcentage
de 1,94%. Le kituba également apparaît avec un faible pourcentage
de 0,97%. En général, les langues vernaculaires hormis le
gangoulou sont faiblement transmises.
Ceci nous amène à prédire qu'une
enquête menée plus tard, révélera que le lingala
aura fortement surpassé le gangoulou comme L1 ; que la majorité
des enfants dont l'âge varie entre 5 et 9 ans actuellement ont
certainement à un pourcentage élevé le lingala comme L1.
Le français de son côté ne fera que croitre son
pourcentage. Dans à peu près 20 ans, il sera difficile de dire
que les enfants auront encore des langues vernaculaires comme L1 à
Gamboma. Ceci dit, on assistera également à une
dégradation du gangoulou qui, aujourd'hui, prolonge son statut de L1 des
enfants.
Quant aux cas de bilinguisme, ils ont commencé à
apparaître dans la tranche de 10-14 ans. Ceci entre les
véhiculaires et vernaculaires et aussi entre véhiculaires.
L'unique cas de trilinguisme
(lingala+gangoulou+français) apparaît dans la tranche de 10-14
ans, à 0,97%.
56
3.3. LANGUES PREMIÈRES DES ENFANTS SELON LE
SEXE
Sur cent-trois enquêtés, notre échantillon
était constitué de soixante-quatorze garçons, soit 71,84%
de la population, et vingt-neuf filles, soit 28,16%. Le faible pourcentage des
filles par rapport aux garçons est dû au fait que celles-ci
étaient réticentes et refusaient de se faire enquêter.
À Gamboma, les garçons ont en majorité
des langues vernaculaires comme L1, soit 39,8%, tandis que les langues
véhiculaires sont L1 à 29,13%. Le gangoulou à lui seul
occupe les 32,04%. Le lingala vient juste après avec 23,30%. Le
français arrive en troisième position (5,83%), suivi du mbochi
(3,88%). Le boma et le téké sont les L1 des garçons
à 1,94% chacun. Un cas de bilinguisme et un cas de trilinguisme sont
recensés. Il s'agit du lingala+gangoulou, 1,94 et du
lingala+gangoulou+français, 0,97%.
Les filles quant à elles ont en majorité les
langues véhiculaires pour L1, soit 17,47%. Les vernaculaires sont L1
chez les filles à 7,77%. Le lingala, L1 de 14,56% des filles est
secondé par le gangoulou (5,83%). Le français arrive en
troisième position avec 1,94%, puis le boma, le téké et le
kituba, 0,97% chacun ; de même que le bilinguisme lingala+gangoulou.
Celui constitué du lingala+français est représenté
à 1,95%.
Voici le tableau des résultats obtenus :
|
L1
|
Eff
|
M
|
F
|
|
|
|
Eff
|
%
|
Eff
|
%
|
MonolinguisGangoulou me
|
Lingala
|
39
|
24
|
23,30
|
15
|
14,56
|
|
39
|
33
|
32,04
|
6
|
5,83
|
Français
|
8
|
6
|
5,83
|
2
|
1,94
|
57
|
Mbochi
|
4
|
4
|
3,88
|
0
|
0
|
Boma
|
3
|
2
|
1,94
|
1
|
0,97
|
Téké
|
3
|
2
|
1,94
|
1
|
0,97
|
Kituba
|
1
|
0
|
0
|
1
|
0,97
|
Bilinguisme
|
Lin+gan
|
3
|
2
|
1,94
|
1
|
0,97
|
Lin+fra
|
2
|
0
|
0
|
2
|
1,95
|
Trilinguisme
|
Lin+gan+fra
|
1
|
1
|
0,97
|
0
|
0
|
|
Total
|
103
|
74
|
71,84
|
29
|
28,16
|
Tableau 16 : Répartition des L1 des enfants
selon le sexe
3.4. IDENTIFICATION DES LANGUES MATERNELLES DES PARENTS
ET CELLES DES ENFANTS
Notre propos ici est d'identifier les langues maternelles des
parents et celles qu'ils ont transmises à leurs enfants. Nous
établissons la différence entre les langues premières
transmises par les couples homogènes (ayant une même langue
maternelle) et les couples mixtes (ayant des langues maternelles
différentes).
3.4.1. COUPLES HOMOGÈNES
Des cent-trois enfants enquêtés, soixante-dix,
soit 67,96% ont des parents ayant une même langue maternelle.
Pour les enfants monolingues, 36,89% (sur 47,56% des langues
vernaculaires déclarées L1) sont issus des couples
linguistiquement homogènes. Par contre, 28,16% (sur 46,60% des langues
véhiculaires) sont nés des parents ayant cette même
condition linguistique. Le gangoulou est la langue dominante de cette
situation, soit 31,07%. Il est secondé par le lingala, 24,27% ; puis
viennent les langues suivantes : français, 3,88% ; mbochi, 2,91% ;
téké, 1,94% ; boma, 0,94%.
Les seuls cas de bilinguisme et de trilinguisme
déclarés sont constitués chacun de la langue maternelle
des parents plus une ou deux langues véhiculaires. Il s'agit du
lingala+gangoulou, 1,94% et du lingala+gangoulou+français, 0,98%.
3.4.2. COUPLES MIXTES
Sur 32,04% des couples mixtes enquêtés, 18,45%
ont transmis comme L1 à leurs enfants les langues véhiculaires.
Les vernaculaires le sont à 10,68%. Le lingala est L1 à 13,59% ;
le gangoulou, 6,80% ; le français, 3,88% ; le boma, 1,94% ; le mbochi,
le téké et le kituba, 0,97% chacun.
Le lingala+français (1,95%) et le lingala+gangoulou
(0,98%) sont des cas de bilinguisme repérés.
58
Voici le tableau synoptique présentant les
résultats :
59
|
L1
|
Eff.T
|
Couples Homogènes
|
Couples mixtes
|
|
|
|
Eff
|
%
|
Eff
|
%
|
Monolinguis me
|
Lingala
|
39
|
25
|
24,27
|
14
|
13,59
|
Gangoulou
|
39
|
32
|
31,07
|
7
|
6,80
|
Français
|
8
|
4
|
3,88
|
4
|
3,88
|
Mbochi
|
4
|
3
|
2,91
|
1
|
0,97
|
Boma
|
3
|
1
|
0,97
|
2
|
1,94
|
Téké
|
3
|
2
|
1,94
|
1
|
0,97
|
Kituba
|
1
|
0
|
0
|
1
|
0,97
|
Bilinguisme
|
Lin+gan
|
3
|
2
|
1,94
|
1
|
0,97
|
Ling+fra
|
2
|
0
|
0
|
2
|
1,95
|
Trilinguisme
|
Lin+gan+fra
|
1
|
1
|
0,98
|
0
|
0
|
|
Total
|
103
|
70
|
67,96
|
33
|
32,04
|
Tableau 17 : Langues premières transmises aux
enfants selon les couples linguistiques
Nous relevons que les langues vernaculaires (36,89%)
apparaissent comme L1 des enfants plus que les langues véhiculaires
(28,16%) dans le cas où les parents ont une même langue
maternelle. Tandis que dans le cas des parents ayant des langues maternelles
différentes, ce sont les langues
60
véhiculaires (18,45%) qui sont plus L1 des enfants que
les langues vernaculaires (10,68%).
Nous allons approfondir notre analyse en examinant les 10,68%
des langues vernaculaires des enfants issus des couples mixtes.
L.J. Calvet affirme que :
« Dans un certain nombre de cultures,...le couple est
bien un lieu de pouvoir anthroponymique, le pouvoir du mari sur la femme... si
la cellule familiale est un lieu de transmission du nom, vers la femme puis
vers les enfants, elle est aussi un lieu de transmission de la langue, lorsque
le couple est monolingue, ou des langues, lorsque les parents n'ont pas la
même langue maternelle.29»
Étant donné que selon la culture congolaise, la
femme une fois mariée porte le nom de son mari et que les enfants
portent également le nom de leur père, la question que nous nous
posons est celle de savoir si cette réalité est la même sur
le plan linguistique. Quelle est la ou les L1 de l'enfant, est-ce la langue du
père ou celle de la mère, ou encore les deux ?
Sur 10,68% des couples mixtes ayant transmis à leurs
enfants une vernaculaire comme L1, dans 6,80% des cas il s'agit de la langue du
père contre 3,88% pour la langue de la mère.
À Gamboma, au plan linguistique, c'est la langue du
père qui est plus transmise comme L1 des enfants.
Les résultats prouvent aussi que lorsque le gangoulou
est une langue maternelle de l'un des parents, il est dans tous les cas L1 des
enfants, parce
29 Calvet, L.-J., La guerre des langues et les
politiques linguistiques, Paris, Payot, 2005, [1987], Réed.
Hachette, p.95.
61
qu'il est la langue vernaculaire dominante du milieu. La
langue de la mère est L1 que dans les cas où il s'agit du
gangoulou. Excepté un cas où le téké l'est.
Deux facteurs interviennent à cet effet : l'influence
du père sur la mère qui interfère sur le plan linguistique
et fait en sorte qu'on privilégie la langue du père, dans les cas
où le gangoulou n'est pas L1 ; la position du gangoulou en tant que
langue vernaculaire dominante du milieu.
Nous présentons les résultats dans le tableau
ci-dessous :
|
L1
|
Eff.T
|
Couples mixtes
|
|
|
|
Eff
|
%
|
Langue du père
|
Langue de la mère
|
Eff
|
%
|
Eff
|
%
|
Monolinguis me
|
Lingala
|
39
|
|
|
|
|
|
|
Gangoulou
|
39
|
7
|
6,80
|
4
|
3,88
|
3
|
2,91
|
Français
|
8
|
|
|
|
|
|
|
Mbochi
|
4
|
1
|
0,97
|
1
|
0,97
|
0
|
0
|
Boma
|
3
|
2
|
1,94
|
2
|
1,94
|
0
|
0
|
Téké
|
3
|
1
|
0,97
|
0
|
0
|
1
|
0,97
|
Kituba
|
1
|
|
|
|
|
|
|
Bilinguisme
|
Lin+gan
|
3
|
|
|
|
|
|
|
Ling+fra
|
2
|
|
|
|
|
|
|
Trilinguisme
|
Lin+gan+fra
|
1
|
|
|
|
|
|
|
|
Total
|
103
|
11
|
10,68
|
7
|
6,79
|
4
|
3,88
|
Tableau 18 : Langues premières (vernaculaires)
des enfants selon les couples mixtes
62
3.5. CONCLUSION PARTIELLE
Pour conclure ce chapitre, nous retenons qu'en
général, les langues premières déclarées par
les enfants enquêtés sont, en majorité, les langues
vernaculaires. Dans les détails, ce sont le lingala et le gangoulou
(langue vernaculaire) qui arrivent en tête avec 37,86% chacun, suivi du
français (7,77%). Les autres langues vernaculaires sont très
faiblement représentées.
Ce sont les enfants issus de centres urbains qui ont en grande
partie les langues véhiculaires comme L1 que ceux qui sont issus des
villages.
Les enfants de la tranche d'âge de 10-14 ans ont pour
langues premières, les véhiculaires plus que les vernaculaires.
Par contre, dans les tranches de 15-18 ans et de 19-25 ans, ce sont les langues
vernaculaires qui dominent comme L1.
Chez les garçons, ce sont les langues vernaculaires qui
dominent comme L1 ; tandis que chez les filles ce sont les langues
véhiculaires.
Nous avons aussi vu que les enfants nés de couples
linguistiquement homogènes ont pour L1, la langue de leurs parents qui
est dans la plupart des cas une langue vernaculaire. Tandis que ceux qui sont
nés de couples mixtes ont les langues véhiculaires comme L1. Dans
le cas où ils ont une langue vernaculaire, c'est soit la langue du
père, soit la langue vernaculaire la plus répandue de la commune,
le gangoulou.
63
Chapitre 4 : Facteurs de progression et de
régression de la transmission
générationnelle des langues
Dans ce chapitre, nous abordons les raisons qui sont à
l'origine de la transmission des langues par les parents, c'est-à-dire
les facteurs qui motivent le choix de la forte transmission de certaines
langues par les parents et de la faible transmission d'autres. Ceci nous
permettra de répondre à l'une des questions de notre
problématique : Quels sont les facteurs qui sont à l'origine
de la progression, de la régression ou rupture de transmission
linguistique générationnelle entre les parents et les enfants
?
Nous avons soumis une question sur les raisons de transmission
des langues aux soixante-douze parents enquêtés. Un parent n'a
trouvé aucune raison. Les diverses réponses ou raisons des
soixante-onze répondants sont réparties comme suit :
1- Pour les parents qui transmettent une langue : 28,17% ont
dit la transmettre parce que « c'est la langue parlée dans le
quartier » ; 26,76% ont déclaré que « c'est la langue
des aïeux » ; 14,08% ont affirmé que « c'est la langue
qu'ils parlent ou encore leur langue » ; 12,68% ont proclamé que
« c'est la langue officielle » et 7,03% ont affirmé que «
c'est la langue nationale. »
2- Pour les parents qui transmettent deux ou plus de langues
: 2,82% ont indiqué que parce que « ce sont les langues nationale
et officielle », « ce sont les langues nationale et des aïeux
». 1,41% des parents ont dit que « ce sont les langues nationale et
parler dans le quartier », « ce sont
64
les langues nationales que nous parlons ». Certains
parents (1,41%) ont avancé trois raisons à la fois, «
langues nationale, que nous parlons et du quartier » ; d'autres (1,41%)
ont avancé quatre raisons, « langues officielle, nationale, que
nous parlons et du quartier ».
Toutefois, en analysant ces différentes raisons
évoquées, nous ne pouvons pas nous empêcher de percevoir
les facteurs extralinguistiques : les faits socio-économiques,
politiques et culturels.
4.1. LA CONCURRENCE DES LANGUES
Dans le domaine de contacts des langues, les
représentations qu'ont les locuteurs vis-à-vis des langues en
présence confèrent à l'une d'elles un poids physique
élevé par rapport à l'autre.
En effet, on ne peut parler des langues sans tenir compte des
sociétés qui les parlent. Les sociétés humaines
sont de plus en plus interconnectées et par là, il y a d'autres
facteurs qui influent sur le contact des langues. Et, étant donné
que les sociétés sont inégalitaires dans leurs rapports
les unes aux autres, les langues sont également inégalitaires
sous deux aspects : dans leurs fonctions et dans leurs statuts. Les
inégalités sociétales influent donc sur les rapports entre
langues.
Dans ce sous-chapitre nous présentons le poids du
français et celui des langues nationales qui interviennent dans le choix
de la transmission générationnelle des langues à
Gamboma.
65
4.1.1. LE POIDS DU FRANÇAIS
Le français est la seule langue officielle du pays.
Tout ce qui concerne l'administration se fait en français. C'est la
langue de l'enseignement, de la justice, de l'armée, de l'hôpital,
des médias, etc. Bref, c'est la langue de tous les actes de
l'État. Et, il semble offrir les atouts qu'il faut pour la
réussite sociale. Certains parents se disent que pour la réussite
scolaire de leurs enfants, l'apprentissage et la maitrise du français
apparaissent comme la condition sine qua non. Ainsi, ils sont obligés de
leur transmettre le français depuis la maison, en famille. Ainsi,
Martial Nkouka affirme :
« Pour justifier le choix du français à
leurs enfants, certains parents affirment qu'il s'agit ici comme d'un
phénomène de « mode » : la plupart des enfants qui
naissent sont initiés d'abord au français. En tenant compte des
différences de classes sociales, « donner » le français
aux enfants devient pour beaucoup de parents une manière de s'approprier
une place dans un univers convoité et jusque là inaccessible. Le
français étant considéré par beaucoup comme la
langue de l'élite, des gens riches et puissants, en leur donnant cette
langue, beaucoup de parents espèrent voir leurs enfants
réussir.30 »
C'est ainsi que 12,68% des parents ont affirmé
transmettent à leurs enfants le français comme L1 parce que c'est
la langue officielle.
30 Nkouka, Martial, « Émergence des
langues véhiculaires comme langues premières chez les enfants de
Brazzaville », in Le plurilinguisme urbain, actes du colloque de
Libreville "Les villes plurilingues" (25-29 septembre 2000), Calvet, L-J.
& Moussirou-Mouyama, A., Institut de la Francophonie, Diffusion Didier
Erudition, Paris, 2000, p.151.
66
4.1.2. LE POIDS DES LANGUES NATIONALES
Les deux langues qui bénéficient officiellement
du statut de langues nationales ont la fonction de communication liée au
langage véhiculaire. Ce sont le lingala et le kituba.
Étant donné que «...tous cohabitent,
échangent produits et services au marché, dans les bureaux, dans
les écoles, à l'hôpital, dans les restaurants ; tous sont
bien obligés de se saluer, de se marier, de se connaître,
etc.31», par conséquent sont obligés de se
servir d'une langue à fonction de communication : une langue
véhiculaire. Les habitants venus de divers horizons et n'ayant pas les
mêmes langues maternelles, s'en servent. Le lingala étant la
langue la plus répandue de la zone, est la langue que les individus
choisissent pour communiquer. De plus, l'État congolais a accordé
à ces deux langues (le lingala et le kituba), le statut de langues
nationales et sont adoptées par tous. C'est pourquoi il n'est pas
étonnant que les quelques parents enquêtés (7,04%) qui ont
bien en tête ce fait n'aient pas hésité à
déclarer qu'ils transmettent ces langues parce que ce sont les
langues nationales. Ainsi, Zachée Denis Bitjaa Kody affirme
:
« Les parents ont une tendance naturelle à
transmettre à leur progéniture l'éducation qu'ils jugent
être la meilleure. Parmi les composantes de cette éducation, la
langue figure en bonne place. Nous en voulons pour preuve, la correction
quotidienne des fautes que les adultes décèlent dans le parler de
leurs enfants. Le choix de la langue que les enfants doivent utiliser au foyer
ne relève donc pas du hasard ; il est un acte conscient des parents qui,
sur la base de leur appréciation du marché linguistique de la
ville de résidence
31 Talani Nanitelamio, Émergence des
langues véhiculaires comme langues vernaculaires chez les enfants
d'Owando, Mémoire de maitrise, FLSH, Brazzaville, 2009, p.36.
67
ou de l'ensemble du pays, opèrent un choix, soit
pour la transmission de la LA1, soit pour le changement linguistique en faveur
de la langue d'intégration à la ville.32
»
4.2. L'HÉTEROGÉNEITÉ LINGUISTIQUE
DES COUPLES, LA VÉHICULARITÉ ET LE NIVEAU INTELLECTUEL DES
PARENTS
Sur 32,04% des couples linguistiquement
hétérogènes (mixtes), 18,45% ont transmis à leurs
enfants les langues véhiculaires plutôt que les langues
vernaculaires ; 2,91% ont déclaré transmettre une langue
véhiculaire et une langue vernaculaire. Étant donné que
les parents sont de langues maternelles différentes ils optent pour la
transmission d'une langue véhiculaire à leurs enfants : le
lingala ou le français. Il est à préciser que le kituba,
langue véhiculaire, est faiblement transmis parce qu'il n'est pas
très répandu dans la zone nord du pays.
D'autres parents apprennent à leurs enfants à
parler une langue véhiculaire plus une langue vernaculaire. Dans ces
conditions, bien que chaque conjoint veuille que ce soit la sienne, c'est le
plus souvent la langue du père qui est transmise dans les cas où
il ne s'agit pas du gangoulou. Si les parents ayant des langues maternelles
différentes consentent à transmettre les langues
véhiculaires à leurs enfants, c'est parce qu'elles ne sont les
langues d'aucune ethnie et jouent un rôle protecteur. Dans cette
perspective, Talani Nanitelamio montre que dans les situations de conflits
interethniques qui ont eu lieu dans le pays, les gens « ...qui ne
parlaient que leur langue vernaculaire devant les « ennemis »,
couraient plus de risque. Même si le
32 Bitjaa Kody, Zachée Denis, «
Vitalité des langues à Yaoundé : choix conscient »,
in Le plurilinguisme urbain, actes du colloque de Libreville "Les villes
plurilingues" (25-29 septembre 2000), Calvet, L-J. &
Moussirou-Mouyama, A., Institut de la Francophonie, Diffusion Didier
Érudition, Paris, 2000, p.171.
68
kituba est plus répandu au Sud du Congo et le
lingala au Nord, ils garantissent mieux la neutralité linguistique en
cas de conflits interethniques.33 »
Le caractère cosmopolite de Gamboma qui est à
l'origine du plurilinguisme nécessite une ou des langue(s) de
communication à caractère véhiculaire. L.-J. Calvet
affirme :
« ...ce que nous montre le phénomène
véhiculaire, c'est que partout où apparaît un
problème de communication, la pratique sociale lui apporte une solution
: la communication s'établit malgré le plurilinguisme. Et ces
langues véhiculaires constituent donc une façon de relever, in
vivo, le défi de Babel. Mais toute expansion linguistique
s'établit toujours au détriment d'autres langues et
l'émergence d'une langue véhiculaire relève de la
compétition linguistique.34»
C'est ainsi que se justifie la transmission des langues
véhiculaires par les parents aux enfants, car ceux-ci sont conscients
qu'ils vivent dans un univers où tous n'ont pas la même langue
maternelle et que tous ne parlent pas une seule langue. Ainsi, s'impose la
nécessité de la transmission d'une ou des langues
véhiculaires aux enfants, car ils seront en communication avec les
personnes venues de diverses horizons.
L-J Calvet montre encore que « ...le rôle
joué par la ville dans la diffusion de langue s'explique par
différentes raisons. La ville est d'abord le lieu où se concentre
l'administration, et les fonctionnaires, amenés par leur
33 Talani Nanitelamio, op.cit., 2009, p.40.
34 Calvet, L.-J., La guerre des langues et les
politiques linguistiques, Paris, Payot, 2005, [1987], Réed.
Hachette, p.p.134-135.
69
travail à se déplacer à travers le
pays, apprennent plus facilement les langues véhiculaires que le paysan
qui ne quitte pas son village.35 »
Nous nous rendons compte que l'emploi exercé qui est
aussi lié au niveau intellectuel des parents est un facteur très
important dans la transmission des langues. Les parents jouissant d'un niveau
de scolarisation élevé (Baccalauréat et plus) transmettent
plus facilement à leurs enfants les langues véhiculaires. Le
français par exemple est transmis à 6,94% par les parents
fonctionnaires qui sont censés être « intellectuels »
par rapport aux commerçants (1,39%), aux agriculteurs et artisans
(2,78%), aux ouvriers (2,78%) qui, pour la plupart ont un niveau intellectuel
bas. Les parents qui ont fait de longues études ont comme
préoccupation de transmettre à leurs enfants le français ;
ceux qui ne les ont pas faites transmettent les langues véhiculaire et
vernaculaire dominante du district (le lingala et le gangoulou).
4.3. L'ENVIRONNEMENT LINGUISTIQUE
L'écologie linguistique est l'un des facteurs
très important dans la progression et la régression de la
transmission générationnelle des langues. L-J. Calvet affirme que
:
« La langue est au contraire une
propriété collective sur laquelle l'individu n'a ni droits ni
pouvoirs réels et qui, surtout, se valorise d'autant plus qu'elle est
plus utilisée...sur un certain laps de temps, plus une langue sert plus
elle se valorise. Et cette valeur est un des facteurs de choix : un
individu choisira plutôt d'apprendre une langue très parlée
dans le monde que la langue d'une petite tribu indienne d'Amazonie,
une langue qu'il pense pouvoir utiliser sur le
35 Calvet, L.-J., op.cit.p.131.
70
marché du travail, une langue qui ajoutera un «
plus » à son curriculum.36 »
Dans la transmission générationnelle des
langues, le nombre de locuteurs d'une langue joue un rôle capital. Si les
locuteurs qui constituent l'écologie externe directe des
langues37 choisissent d'apprendre une langue très
parlée dans le monde en raison de son poids, les parents
à Gamboma cherchent non seulement à apprendre, mais aussi
à transmettre à leurs enfants non pas une langue très
parlée dans le monde mais une langue très parlée dans le
quartier, qu'ils pensent pouvoir assurer une communication avec tous dans le
quartier ou partout ailleurs dans la ville. C'est pourquoi la raison la plus
avancée (28,17%) qui justifie la transmission des langues par ceux-ci
est « parce que c'est la langue parlée dans le quartier.»
À Gamboma, les parents et les enfants sont
exposés aux médias : la radio et la télévision. La
plupart des émissions qu'ils suivent (journal, sport, musique etc.) sont
diffusées en langues véhiculaires. L'exposition à ces
émissions signifie exposition aux langues véhiculaires et
l'exposition aux langues véhiculaires influence la transmission des
langues à leur profit.
4.4. LA LANGUE DES AÏEUX, LANGUE DES PARENTS
Tous les facteurs cités ci-dessus sont à
l'origine de l'augmentation continue de la transmission des langues
véhiculaires et de la régression des langues vernaculaires.
36 Calvet, L.-J., Pour une écologie des
langues du monde, Paris, Plon, 1999, p.12.
37 Mufwene, Salikoko S., Créoles,
écologie sociale, évolution linguistique, Paris, Institut de
la francophonie, L'Harmattan, 2005, p.p.95-97.
71
Toutefois, les raisons que les parents avancent pour justifier
la transmission des langues vernaculaires sont : elles sont les langues des
aïeux (26,76%), et des parents (14,08%).
Tous les parents qui ont déclaré transmettre
à leurs enfants une ou des langue(s) vernaculaire(s) disent l'avoir fait
parce que « c'est ou ce sont la ou les langue(s) des aïeux, des
ancêtres ». Leurs ancêtres les ont transmises de
génération en génération jusqu'à la leur et
deviennent par la suite leurs langues. Ainsi, pour « honorer » les
ancêtres et ne pas faire disparaitre leurs langues, ils ont choisi de les
transmettre à leurs enfants espérant que ceux-ci feront la
même chose à leur tour.
4.5. CONCLUSION PARTIELLE
Les facteurs qui sont à l'origine de la progression et
de la transmission générationnelle des langues sont multiples et
de nature extralinguistiques.
À Gamboma, les parents ont choisi de transmettre
à leurs enfants les langues qui ont un poids élevé. Ils
ont préféré transmettre le français parce que c'est
la langue de l'administration, de l'enseignement ; il paraît assurer la
réussite scolaire des enfants. Ils ont aussi transmis les langues
nationales véhiculaires, à fonction de communication, notamment
le lingala.
L'hétérogénéité
linguistique des parents est aussi un facteur capital dans la progression et la
régression de transmission des langues. Les parents ayant des langues
maternelles différentes ont transmis à la majorité des
enfants, les langues véhiculaires. Il en va de même pour les
parents ayant un certain niveau intellectuel.
72
Ils ont aussi légué certaines langues à
leurs enfants, parce qu'elles sont les langues auxquelles ils sont
exposés, dans le quartier ou dans les médias.
Les parents ont transmis les langues vernaculaires parce
qu'elles sont les langues des aïeux. Ils doivent les transmettre pour les
maintenir.
73
Chapitre 5 : Observation des pratiques
linguistiques réelles à Gamboma
Après avoir étudié le
phénomène de transmission générationnelle des
langues à Gamboma, nous avons jugé bon de ne pas nous limiter aux
simples déclarations des enquêtés, mais aussi de
présenter les différentes langues utilisées selon les
pratiques réelles de communication à l'aide de la méthode
d'observation.
Nous présentons d'abord les différentes langues
employées dans les interactions entre locuteurs, puis leurs usages selon
les deux générations concernées. Par ailleurs, nous
localisons ces langues selon les lieux de communication.
5.1. LANGUES D'INTERACTIONS OBSERVÉES
À Gamboma les locuteurs se servent effectivement des
langues véhiculaires et vernaculaires dans leurs interactions. Ils
utilisent les langues véhiculaires à 71,43%, tandis que les
langues vernaculaires sont utilisées à 24,76%. Cela confirme les
déclarations des enquêtés.38
En ce qui concerne particulièrement les langues
véhiculaires, le lingala étant la langue la plus répandue
de la zone, exerce la suprématie de la communication à travers la
ville entre interlocuteurs à hauteur de 68,57%. Le français est
faiblement utilisé (1,90%). Quant au kituba, il est très
faiblement employé, soit 0,95%.
38 Cf. 1.3. Conclusion partielle des
langues parlées à Gamboma.
74
Nous avons également observé les cas où
les locuteurs font usage de deux langues différentes (3,81%), l'un se
servant d'une langue véhiculaire, l'autre d'une langue vernaculaire. Il
s'agit des individus qui comprennent la langue de leur interlocuteur, mais ne
la parlent pas, ou encore qui la comprennent et la parlent, mais prennent
l'option de ne pas s'en servir parce qu'ils ne sont pas habitués
à la parler.
Ces différentes langues ont été
observées à travers divers types d'interactions. Le type le plus
constaté est la conversation, soit 79,05%. Les demandes
représentent 15,24%, les négociations, 1,90% et les autres types
d'interactions (tels les disputes, les blâmes), 3,81%.
Quelle est la génération qui se sert des langues
véhiculaires et/ou vernaculaires plus que l'autre ?
5.1.1. PRATIQUES LINGUISTIQUES RÉELLES ENTRE
PARENTS
La génération des parents emploie les langues
vernaculaires à 19,05% et les langues véhiculaires à
12,38%. Les parents utilisent les langues vernaculaires plus que les
véhiculaires, soit un écart de 6,67% des pratiques linguistiques
réelles entre vernaculaires et véhiculaires des parents, au
profit des vernaculaires. Ceci s'explique par le fait que la majorité de
cette génération des parents (72,22%) a acquis comme langue
première (L1), une langue locale39. Et ils s'en servent dans
leurs interactions.
Toutefois, sur 34,29% d'interactions linguistiques, nous avons
constaté 2,86% de cas où l'un des interlocuteurs fait usage d'une
langue véhiculaire et l'autre d'une langue vernaculaire. Ceux qui
s'expriment en langue véhiculaire font partie des parents qui l'ont
acquise comme L1, ou encore comme L2.
39 Cf. 2.3. Évolution de la transmission des
langues entre la génération des grands-parents et celle des
parents.
75
5.1.2. ENTRE ENFANTS
La génération des enfants n'utilise comme langue
véhiculaire que le lingala à 51,43%. Les langues vernaculaires ne
servent dans la communication entre enfants qu'à 4,76%, soit un
écart énorme de 46,67%.
Aucun cas du français, ni du kituba, ni de bilinguisme
n'est attesté.
Le constat fait est que les enfants se servent des langues
locales à un très faible pourcentage, alors que les parents qui
se servent plus des langes locales, se servent moyennement des langues
véhiculaires.
5.1.3. ENTRE PARENTS ET ENFANTS
Les interactions entre parents et enfants ont
révélé que les parents se servent faiblement des langues
vernaculaires, soit 0,95% sur 9,52% des cas observés.
Les cas de communication uniquement en langues
véhiculaires sont représentés à 7,62%.
Les cas d'usage de deux langues différentes entre
interlocuteurs sont faiblement représentées, soit 0,95%. Il
s'agit des parents qui s'adressent à leurs enfants en langues
vernaculaires, et ceux-ci répondent en langues véhiculaires.
Sur 9,52% des pratiques observées, les parents parlent
à leurs enfants en langues véhiculaires à hauteur de
7,62%, et 1,90% en langues vernaculaires.
76
Nous constatons qu'en général, les parents
s'adressent à leurs enfants beaucoup plus en langues véhiculaires
qu'en langues locales comme dans les déclarations des
enquêtés.40
5.2. LOCALISATION DES PRATIQUES LINGUISTIQUES
RÉELLES
Nous avons observé les enquêtés dans
divers lieux, dans la rue (39,05% des cas d'interactions), au marché
(25,71%), dans des domiciles (15,24%), dans des écoles (14,29%) et dans
les lieux publics (institutions administratives, 5,71%).
Dans les rues de Gamboma, un grand
nombre d'interlocuteurs s'expriment en langues véhiculaires, soit 29,52%
; 7,62% d'interactions se font en langues vernaculaires. Cette domination des
langues véhiculaires ne contredit en aucun cas les déclarations
des enquêtés : d'après les déclarations des parents
et des enfants avec leurs amis dans la rue, cette même tendance est
observée. Les interactions en deux langues différentes (une
langue véhiculaire et une langue vernaculaire) ont été
observées à 1,90%.
Au marché, les interactions
entre acheteurs et vendeurs se font en langues vernaculaires à hauteur
de 14,29%, et en langues véhiculaires à 11,43%. Cette situation
paraît contradictoire aux déclarations des enquêtés.
Selon leurs déclarations, les enquêtés se servent en
majorité des langues véhiculaires que des langues vernaculaires,
qu'il s'agisse des parents (69,02% avec les vendeurs congolais, 88,74% avec les
vendeurs étrangers) ou des enfants (95,05%) parce que le marché
est un lieu cosmopolite qui accueille les locuteurs de langues maternelles
différentes ; cela témoigne de la nécessité des
langues véhiculaires.
40 Nous ne tenons pas ici compte des
différences de pourcentages parce que l'effectif de l'échantillon
n'est pas le même dans les deux méthodes.
77
Si la tendance est ici inversée, c'est parce que, la
plupart des acheteurs et vendeurs dans ces marchés sont des personnes
adultes. Or à Gamboma, la majorité des personnes adultes, soit
72,22% ont pour L1 une langue locale qu'ils maitrisent. Ainsi, s'ils ont la
même langue maternelle, se connaissent et se rencontrent au
marché, en qualité de vendeurs et acheteurs, ils n'ont pas besoin
de faire usage d'une langue véhiculaire entre eux. D'où cette
domination des langues locales. Les enfants quant à eux, utilisent moins
les langues vernaculaires au marché.
Les résultats des pratiques réelles dans
les domiciles dévoilent que les langues
véhiculaires sont employées à 12,38% contre 2,86% des
langues vernaculaires. Encore une fois le faible emploi des langues
vernaculaires par rapport aux langues véhiculaires est attesté
comme dans la méthode du questionnaire. Ces langues vernaculaires sont
employées dans la plupart d'interactions entre personnes adultes ou
encore entre conjoints et un peu moins entre eux et les enfants ou encore entre
enfants. Les véhiculaires le sont en grande partie dans les interactions
entre enfants.
À l'école, les
résultats sont les mêmes que ceux des déclarations des
enfants. Dans la cour de l'école les observations ont
révélé que ce sont les langues véhiculaires qui
sont exclusivement utilisées par les enfants.
Enfin, dans les lieux publics, les
langues véhiculaires dominent naturellement dans les interactions. La
raison en est que les enquêtés conçoivent que dans ces
milieux de travail, les individus communiquent en langues véhiculaires
surtout en langue officielle. Les langues vernaculaires sont faiblement
attestées dans des situations d'usage avec une langue véhiculaire
(l'un des interlocuteurs se servant d'une véhiculaire et l'autre d'une
vernaculaire), soit 1,90% sur 5,71% de cas observés.
78
5.3. CONCLUSION PARTIELLE
Nous retenons que les langues véhiculaires dominent les
interactions entre locuteurs à Gamboma. Le lingala arrive en tête
avec 68,57%, suivi du français (1,90%) et du kituba, très
faiblement employé (0,95%). Toutes les langues vernaculaires sont
représentées à 24,76%. D'autres interactions (3,81%) ont
eu lieu en deux langues différentes entre interlocuteurs.
Les langues vernaculaires sont, en majorité,
utilisées dans les interactions entre parents ; tandis que, les langues
véhiculaires sont utilisées dans les communications entre
enfants. Les interactions entre parents et enfants sont
caractérisées par la domination des langues
véhiculaires.
Dans les milieux cosmopolites, ce sont surtout les langues
véhiculaires qui sont en usage. Toutefois, au marché, entre
personnes adultes, ce sont les langues vernaculaires qui sont plus
employées.
79
Chapitre 6 : Sauvegarde des langues locales
À la question de savoir pensez-vous qu'il soit
important de sauvegarder ou de conserver les langues locales ?
cent-soixante-treize enquêtés sur cent-soixante-quinze
(parents et enfants), y ont répondu. Le nombre de ceux qui ont
répondu positivement à la question s'élève à
cent-soixante-huit, soit 97,11%, alors que cinq enquêtés (enfants)
y ont répondu négativement, soit 2,89%.
6.1. MOBILES DU MAINTIEN DES LANGUES LOCALES
Pour les cinq enquêtés, il n'est pas
nécessaire de sauvegarder les langues vernaculaires parce qu'ils ne les
comprennent pas et sont inutiles. L'autre raison principale est que ces langues
doivent disparaître afin qu'on puisse apprendre à parler d'autres
langues, les langues de grandes diffusion. C'est ainsi que l'un deux a
affirmé qu'« il n'est pas important de les sauvegarder pour
qu'on puisse causer seulement en français. »
Les cent-soixante-huit enquêtés par contre ont
évoqué diverses raisons pour conserver les langues locales ; nous
les avons reparties en six catégories
:
- le maintien de la diversité linguistique ;
- la constitution de l'identité ;
- la conservation des coutumes et des traditions ;
- la base de l'éducation ;
- la communication avec les personnes adultes ;
80
- la survie en cas de conflits interethniques.
6.1.1. LE MAINTIEN DE LA DIVERSITÉ LINGUISTIQUE
Les enquêtés (29,14%) ont évoqué la
raison selon laquelle les langues vernaculaires doivent être
conservées parce que la diversité linguistique doit être
maintenue. Pour eux, il n'est pas question d'admettre que les langues
vernaculaires disparaissent au profit d'autres langues,
étrangères.
Les premiers contacts entre colons et colonisés ont
engendré la bataille linguistique entre la langue du colon et celle du
colonisé dans un rapport de couple langue dominante/langue
dominée. Langue dominante parlée par les élites et
langue dominée parlée par le reste de la population. En effet, le
colonialisme a institué un champ d'exclusion linguistique à
double détente : exclusion de la langue dominée des
sphères du pouvoir et exclusion des locuteurs de cette langue (ceux qui
n'ont pas appris la langue dominante) de ces mêmes sphères en
établissant une langue exclusive : la langue dominante41.
C'est ainsi, que « Le premier anthropophage est venu d'Europe, il a
dévoré le colonisé. Et, au plan particulier qui nous
concerne, il a dévoré ses langues, glottophage donc.42
»
Pour ces enquêtés, les langues locales doivent
continuer d'exister comme toutes les langues de grande diffusion afin de
maintenir la diversité linguistique à travers le monde, il n'est
pas question qu'elles soient dévorées par celles-ci. D'où
les raisons comme « on doit les conserver pour éviter leur
disparition », « pour qu'elles existent continuellement »,
« pour qu'il y ait beaucoup de langues ».
41 Calvet, L.-J., Linguistique et colonialisme,
petit traité de glottophagie, Paris, Payot, 1974, p.65.
42 Calvet, L.-J., op.cit. p.12.
81
6.1.2. LES LANGUES LOCALES : LANGUES DES AÏEUX,
MARQUEURS D'IDENTITÉ
Dans les rapports entre langue et identité, la langue
est un facteur qui permet l'identification de l'individu, son exclusion et
aussi son intégration. Les individus qui parlent la même langue se
reconnaissent et s'identifient comme faisant partie d'une même
communauté, d'un même peuple. Ils considèrent comme
étrangers ceux qui ne la parlent pas et intègrent en leur sein
ceux qui parlent la même langue qu'eux. La langue est marqueur
d'identité de l'individu. 34,44% des enquêtés reconnaissent
que les langues locales ont été les langues des ancêtres,
puis leurs langues et constituent leur identité, ce qu'ils sont. Ainsi,
ils ont multiplié les réponses : « ce sont les langues des
aïeux, langues transmises depuis les aïeux jusqu'aux petits-fils
», « ce sont les langues de nos parents », « ce sont les
langues du pays », « elles sont nos langues », « elles sont
notre identité », « ce sont les langues que nous aimons
», « nous sommes fiers de ces langues », « elles sont
bonnes. »
Les enquêtés reconnaissent que ces langues sont
des langues congolaises, et elles doivent être sauvegardées.
Elles sont les langues des ancêtres, devenues langues
des grands-parents, langues des parents puis langues des enfants par le biais
de la transmission. Ainsi, elles doivent exister pour honorer ou
vénérer les ancêtres, elles sont un outil servant à
s'adresser à eux car ils n'ont connu d'autres langues que les langues
vernaculaires étant donné qu'à l'époque les langues
véhiculaires n'étaient pas répandues comme aujourd'hui.
82
6.1.3. LES LANGUES LOCALES : VÉHICULES DES COUTUMES
ET CULTURES
Chaque langue véhicule la culture à laquelle
elle est associée. Si la langue française véhicule la
culture française, les langues congolaises véhiculent les
cultures congolaises et sont les seules langues qui peuvent les revaloriser.
5,96% des enquêtés ont affirmé que les langues locales sont
les gardiennes de leurs cultures. Les réponses données sont les
suivantes : « pour la conservation de nos coutumes ou traditions et
cultures », «pour que les enfants n'oublient pas les traditions
», « pour maintenir les ethnies. »
Ils sont conscients du fait que pour que les cultures se
maintiennent de génération en génération, les
langues doivent être transmises. La disparition de ces langues locales
équivaudrait à la disparition des coutumes et des traditions, car
les cultures sont principalement véhiculées par les langues.
Au Congo, généralement le nom de l'ethnie est le
nom de la langue. Si les ethnies existent, les langues doivent aussi exister.
Si la langue mbochi disparait, l'ethnie mbochi va disparaitre, si la langue
téké disparait, l'ethnie téké va disparaitre, si la
langue koongo disparait, l'ethnie koongo va disparaitre etc., car une ethnie se
définit notamment par sa culture qui est véhiculée par sa
langue.
6.1.4. LES LANGUES LOCALES : BASE DE LA PÉDAGOGIE
DES LANGUES ÉTRANGÈRES
Les enquêtés (3,97%) ont aussi affirmé que
« le bon départ de l'éducation commence par la langue locale
», « elle passe avant toute langue étrangère ».
Ces enquêtés qui ont pour L1 une langue locale, juge que la langue
locale est la base de l'éducation, de l'apprentissage des langues
83
étrangères. Pour mieux apprendre les langues
européennes il faut bien maitriser les langues locales et celles-ci
serviront de base à l'apprentissage, à la pédagogie de
celles-là.
L'enseignement d'une langue qu'on ne maitrise pas passe
nécessairement par une langue qu'on comprend bien. Si les locuteurs des
langues locales veulent mieux apprendre les langues de «grande diffusion
», elles doivent être enseignées dans les langues locales
qu'ils parlent. C'est pourquoi Paul Nzété écrit :
« Beaucoup de ceux qui s'intéressent aux
langues africaines (notamment les Européens) cherchent plutôt
à répondre à la question suivante qu'ils se posent d'un
air préoccupé : comment mieux enseigner une langue
étrangère (européenne en l'occurrence), il faut commencer
par l'enseignement de la langue maternelle (pour que la langue
européenne prenne le relais après) ; deuxièmement, pour
mieux enseigner la langue européenne , il faut tenir compte des
structures de la langue maternelle de l'enfant, notamment pour mieux
prévoir les faits d'interférences.43 »
Si nous voulons enseigner les langues locales ou maternelles,
nous souhaiterons qu'elles restent dynamiques, et nous trouverons qu'il est
nécessaire de les sauvegarder.
6.1.5. UTILITÉ DES LANGUES LOCALES POUR LES
NON-LETTRÉS
Si les langues véhiculaires du pays sont
maitrisées par tous les lettrés, il n'en est pas ainsi des
illettrés, plus particulièrement des personnes adultes.
43 Nzété, Paul, Les langues
africaines pour quoi faire ? Revue du CELCO, no 6/7, UMNG,
FLSH, DIMI, 1984-1985, p.4.
84
7,95% des enquêtés ont évoqué les
raisons suivantes pour la conservation des langues locales : « pour causer
en famille, et en secret », « pour la confidentialité des
causeries devant un étranger », « pour parler avec les
locuteurs de ces langues », « pour la communication », «
tout le monde ne parle pas les langues véhiculaires », « pour
communiquer avec les adultes. »
Nous ressortons les fonctions de communion et de communication
dans ces réponses. Les langues locales permettent de s'intégrer
aux communautés qui les parlent car l'intégration à une
communauté ou à une société passe par la langue.
Certains enquêtés jugent que tout n'est pas à dire devant
tout le monde ou devant n'importe qui. Il existe certains messages
spécifiques à la famille, qu'il faut passer en secret. Ainsi, la
langue vernaculaire renforce et rend plus étroits les liens familiaux
car « la solidarité entre les membres d'une même famille,
la cohésion, passent à travers la langue en ce que celle-ci est
l'outil par excellence de communion.44 »
Les illettrés ne sont pas isolés du reste de la
société, ils sont en contact avec le reste de la population du
pays ; « les gens sont appelés à se déplacer d'un
endroit à un autre... on peut voyager soit pour satisfaire une
curiosité, soit pour travailler ou pour une autre raison. Où
qu'on aille, il sera impératif que l'on communique avec
l'autre.45 » Les enquêtés ont conscience du
fait que si les individus veulent directement communiquer avec les personnes
qui n'ont pas la maitrise des langues véhiculaires, ils n'ont pas
d'autres possibilités que d'acquérir la langue locale du milieu,
de la maitriser. C'est pourquoi il est nécessaire de la sauvegarder.
Les personnes qui n'ont jamais été à
l'école, qui n'ont jamais eu l'occasion d'apprendre les langues
véhiculaires ont besoin de communion et de communication. Les seuls
codes qui leur sont accessibles sont les langues
44 Talani Nanitelamio, op.cit., p.100.
45 Talani Nanitelamio, op.cit., p.98.
85
locales ou maternelles. En famille, elles communient en ces
différentes langues, s'il y a lieu de communiquer une information
à un étranger, c'est encore en ces langues.
6.1.6. UTILITÉ DES LANGUES LOCALES EN CONTEXTE DES
CONFLITS INTERETHNIQUES
Sur les cent-soixante-huit enquêtés ayant
avancé les raisons motivant la conservation des langues locales, 18,54%
ont signalé les raisons suivantes : « pour la défense en cas
d'arrestation », « pour s'identifier pendant la guerre », «
en cas d'une guerre mes enfants doivent se défendre », « parce
que c'est important pendant les moments difficiles, en prenant le cas de la
guerre ».
Pendant les guerres civiques (1993, 1997 et 1998) qui ont
marqué l'histoire du pays, on a assisté à de nombreux cas
d'arrestations d'individus par les combattants. Ces derniers leur posaient la
question de savoir de quelle ethnie êtes-vous ? Si vous
étiez de la même ethnie que les combattants et que vous parliez la
langue de ladite ethnie, ils vous laissaient la vie sauve. Dans le cas
contraire, ils vous abattaient quelques fois. Les enquêtés
étant conscients des conséquences de ces événements
passés ont jugé nécessaire la sauvegarde des langues
locales : parler la même langue que les combattants dans ces conditions
vous mettaient en situation de communion avec eux. Dans ces conditions, les
langues vernaculaires pourraient bien être un outil de
sécurité, de conservation de la vie. Dans ce même ordre,
Talani Nanitelamio écrit que « la langue peut être une
bouée de sauvetage en cas de conflits interethniques puisqu'elle
établit implicitement l'appartenance ethnique ou communautaire
du locuteur : tu parles la même langue que moi, donc
nous appartenons à la même communauté. Nous sommes de ce
fait « unis ».46 »
6.2. INSTITUTIONS ET MESURES DE SAUVEGARDE
Les enquêtés ont évoqué
différentes institutions et mesures de conservation des langues locales.
Ils ont reconnu que les autorités politiques, les linguistes du pays,
les communautés de locuteurs, les parents, et même les
églises ont des tâches à accomplir.
6.2.1. LES AUTORITÉS POLITIQUES OU L'ÉTAT
Sur cent-soixante enquêtés ayant répondu
à la question, 34,38% jugent que ce sont les autorités
politiques, particulièrement celles de Gamboma qui sont censées
sauvegarder les langues locales. Ainsi, la question qui se pose est celle de
savoir comment l'État peut assurer cette tâche, quelle est
l'intervention directe et volontaire de l'État congolais dans la gestion
et la sauvegarde des langues locales ?
Dès la fin des années 50, on commençait
déjà à parler de politique linguistique et de
planification linguistique. L-J. Calvet définit « ...la
politique linguistique comme l'ensemble des choix conscients effectués
dans le domaine des rapports entre langue et vie sociale, et
particulièrement entre langue et vie nationale, et la planification
linguistique comme la recherche et la mise en oeuvre des moyens
nécessaires à l'application d'une politique
86
46 Talani Nanitelamio op.cit., p.100.
87
linguistique.47 » Nous pouvons
constater avec lui que la politique linguistique est comme liée à
l'État.
Dans notre cas, l'État congolais devrait établir
une politique linguistique nationale qui privilégiera la
diversité linguistique à travers le pays afin que les locuteurs
desdites langues se fassent des représentations mélioratives
vis-à-vis de celles-ci. Dans cette perspective, Talani Nanitelamio
parlant de l'amélioration du statut des langues locales, pense que
«...les langues vernaculaires devraient bénéficier de la
part de l'État d'un soutien institutionnel ou d'un statut reconnu
clairement.48 »
L'État devrait prendre les décisions pour la
sauvegarde de ces langues, investir les moyens (financiers) nécessaires
pour leur description (tâche du linguiste), afin de leur donner un
alphabet, de moderniser leur vocabulaire en l'adaptant à des domaines de
communication (science, enseignement, etc.) Les experts de l'UNESCO en
matière de langues en danger affirment que le soutien de celles-ci passe
aussi par « la formation linguistique et pédagogique
élémentaire : proposer aux professeurs [locaux] de langues une
formation sur les bases de la linguistique, les techniques et méthodes
d'enseignement des langues, la planification de programmes d'études et
la préparation de matériels didactiques.49
»
L'État devrait mettre en oeuvre des programmes
pédagogiques dans les langues locales, créer des centres
d'enseignement et d'apprentissage de ces langues.
47 Calvet, L.-J., La guerre des langues et les
politiques linguistiques, Paris Payot, 2005, [1987], Réed.
Hachette, p.p.154-155.
48 Talani Nanitelamio, op.cit.,
p.109.
49 UNESCO : Vitalité et disparition des
langues,
http://www.unesco.org/culture/heritage/intangible/2003
.
88
Sur cent cinquante-quatre enquêtés ayant
répondu à la question sur les mesures pratiques et commodes de
sauvegarde des langues locales, 59,74% ont souligné le rôle des
médias. Gamboma disposant d'une chaîne de radio et de
télévision locales, les enquêtés ont jugé bon
que l'État mette les moyens en jeu pour la création et la
diffusion des émissions à la radio et à la
télévision en langues vernaculaires. Par exemple les
émissions du genre Questions pour un champion en langues
locales, et rémunérer les champions. Ceci encouragera
les locuteurs à y participer afin de maitriser leurs langues. Favoriser
les émissions comme les sketchs, les contes ; stimuler les chanteurs
à chanter en langues locales etc.
Si l'État Congolais à travers ses
ministères tel que celui de la Culture et des Arts se porte garant de la
conservation des cultures congolaises, il devrait sauvegarder les langues qui
véhiculent ces cultures.
6.2.2. LES LINGUISTES
Les enquêtés (25,32%) ont jugé
nécessaire la conception d'ouvrages et de dictionnaires en langues
locales. Nous constatons que les linguistes ont aussi un grand rôle
à jouer. Ils devraient se mobiliser dans la description des langues
locales, manifester cette volonté d'aller sur le terrain, de collecter
et d'analyser les données en vue de ravitailler ces langues en
documentation (manuels et dictionnaires).
L'État et les linguistes devraient travailler ensemble.
L'État devrait financer les recherches pour que les ces derniers
décrivent ces langues et conçoivent des ouvrages et des
dictionnaires en celles-ci.
89
6.2.3. LES COMMUNAUTÉS DE LOCUTEURS
Les communautés de locuteurs ont aussi un rôle
considérable dans la sauvegarde des langues. Une langue existe parce
qu'elle est parlée par un certain nombre d'individus. Ceux-ci
constituent la communauté linguistique. Fabienne Leconte définit
la communauté linguistique comme « l'ensemble de personnes
parlant la même langue.50 » Il est souvent
constaté que les communautés de locuteurs parlant les langues
vernaculaires ont tendance à les abandonner estimant qu'elles sont
révolues ou dépassées, périmées et
inefficaces dans la plupart des cas par rapport au poids
socio-politico-économico-culturel d'autres langues. C'est ainsi que 15%
d'enquêtés ont reconnu la place des communautés de
locuteurs dans la conservation des langues locales.
Les locuteurs de ces différentes langues doivent se
mobiliser en premier, juger nécessaire la protection de leurs langues.
Parce qu' « en fin de compte, ce sont les locuteurs, non les personnes
extérieures, qui, maintiennent ou abandonnent une langue.
Néanmoins, dès lors que les communautés demandent qu'on
les aide à protéger leurs langues en danger, les linguistes
devraient mettre leurs compétences à leur disposition en
travaillant avec ces minorités.51 »
Les locuteurs de ces langues (parents et enfants) devraient
les parler sans complexe et sans gêne en famille, dans la rue, au
marché etc. ; ils ne devraient pas avoir des représentations
dépréciatives à l'égard des langues locales, ne
devraient pas les dévaloriser.
50 Leconte, Fabienne, La
famille et les langues. Une étude sociolinguistique de la
deuxième génération de l'immigration africaine dans
l'agglomération rouennaise, Paris, L'Harmattan, 1997, p.131.
51 UNESCO : Vitalité et disparition des
langues,
http://www.unesco.org/culture/heritage/intangible/2003
90
6.2.4. LE RÔLE PARTICULIER DES PARENTS
Les enquêtés ont aussi souligné le
rôle des parents dans la conservation des langues locales à
savoir, leur transmission. Ils devraient les transmettre à leurs enfants
afin que celles-ci subsistent davantage. Ces enfants une fois devenus parents
sont conviés à faire de même, de génération
en génération car la transmission des langues est un facteur
très important dans la mesure où si tous les locuteurs d'une
langue meurent sans laisser de descendants qui la parlent, cette
dernière disparait par extinction.
Ils ont aussi reconnu qu'ils devraient raconter les contes aux
enfants dans ces différentes langues. Ceux-ci étant
fascinés par les contes s'y intéresseront, et en écoutant,
ils acquerront en même temps la langue. Les parents pourront aussi
régulièrement amener ou envoyer leurs enfants dans leurs villages
d'origine, ce qui renforcera l'acquisition des langues locales.
6.2.5. LES ÉGLISES
Les enquêtés (2,50%) ont déclaré
que les églises sont aussi considérées comme des instances
qui peuvent s'engager dans la sauvegarde des langues locales ; au moyen des
enseignements bibliques. Si les enseignements de la Parole de Dieu sont
données en français ou en lingala, les églises peuvent
jouer ce rôle à travers les traducteurs en langues locales. Si
ceci est fait, ces langues bénéficieront d'un poids important
dans le domaine religieux et n'apparaitront pas aux yeux des locuteurs comme
inutiles.
91
6.3. CONCLUSION PARTIELLE
Les raisons évoquées pour sauvegarder les
langues locales sont multiples.
Selon les enquêtés, la diversité
linguistique dans le monde doit être maintenue, les langues locales
doivent donc être conservées.
Elles méritent d'être sauvegardées parce
qu'ils s'identifient par elles ; et elles véhiculent les coutumes et les
cultures auxquelles elles sont associées.
Les langues locales sont nécessaires dans la mesure
où elles peuvent être des langues moyen d'enseignement, servant
à la maitrise des langues étrangères chez les locuteurs
non-lettrés ; elles remplissent les fonctions de communion et de
communication chez ces mêmes locuteurs.
Les enquêtés ont aussi souligné que les
langues locales ont été utiles lors des guerres civiques qu'a
connues le pays car, la maitrise de ces langues a épargné de
nombreux citoyens de la mort.
Les institutions impliquées et les mesures à
prendre sont diverses. Il s'agit de l'État, à travers sa
politique et sa planification linguistiques.
Les linguistes doivent se mobiliser pour la description de ces
langues, la conception d'ouvrages et de dictionnaires.
Les communautés de locuteurs ont un rôle capital
: parler ces langues sans honte et les transmettre de générations
en générations.
Les enquêtés ont aussi reconnu que les
églises peuvent aussi servir par le biais des traducteurs
d'enseignements bibliques en langues locales.
92
7. CONCLUSION GÉNÉRALE
À l'issue de notre travail, nous rappelons que la
problématique est organisée autour de différentes
questions de recherche que nous avons traitées tout au long du
développement. Partant de l'idée de la famille comme institution
attitrée dans la transmission des langues, et de l'hypothèse de
l'émergence des langues véhiculaires comme L1 transmises, nous
nous sommes mis à étudier les usages des langues à Gamboma
; à vérifier les langues hautement et faiblement transmises par
les parents aux enfants et les langues premières déclarées
par les enfants. Nous avons cherché à saisir les raisons pour
lesquelles les parents transmettent aux enfants telle ou telle langue. Enfin,
nous avons abordé la question de la sauvegarde des langues faiblement
transmises.
Avant d'aborder le phénomène dans son ampleur,
nous avons examiné la situation sociolinguistique de la commune de
Gamboma. Nous y avons identifié onze langues bantoues : deux langues
véhiculaires, le lingala et le kituba, et neuf langues vernaculaires, le
gangoulou, le mbochi, le boma, le téké, le koyo, le laari,
l'akwa, le moyi et le kikoongo. Le français et l'anglais sont les deux
langues étrangères répertoriées.
Des deux méthodes employées, le questionnaire et
l'observation, les deux générations des enquêtés
(parents et enfants) usent plus des langues véhiculaires que des langues
vernaculaires, notamment en milieux cosmopolites.
Globalement, les langues véhiculaires sont hautement
transmises par rapport aux langues vernaculaires. Toutefois dans les
détails, le lingala étant la langue transmise à un plus
haut degré, est suivi de très près par le
93
gangoulou. Langue vernaculaire et autochtone de la commune, le
gangoulou est fortement transmise et supplante les deux autres langues
véhiculaires du pays. Le français est la troisième langue
transmise suivi du mbochi. Les autres langues vernaculaires sont faiblement
transmises. Elles le sont surtout en situations de bilinguisme et de
trilinguisme, caractérisées par la présence d'une ou de
deux langue(s) véhiculaire(s).
Les parents natifs du centre urbain, particulièrement
les hommes ont transmis à un haut degré à leurs enfants
les langues véhiculaires. Par contre, ceux qui sont venus des villages,
en particulier les femmes ont en général transmis les langues
vernaculaires. Les parents ayant un niveau intellectuel (Bac et plus) ont
généralement transmis le français, qualifié de
langue des élites. Le gangoulou est fortement transmis
étant la L1 de ceux-ci.
L'évolution de la transmission des langues entre les
générations des grands-parents et des parents a
révélé que toutes les langues vernaculaires sont de moins
en moins transmises. À la génération des grands-parents,
elles exerçaient la suprématie de la transmission, alors
qu'à celle des parents, ce sont les langues véhiculaires qui
l'exercent.
Les langues véhiculaires sont plus L1 des enfants
enquêtés dont l'âge varie entre 10 et 14 ans. Les enfants
des tranches d'âge de 15 à 18 ans et de 19 à 25 ans ont
plus de langues vernaculaires comme L1. Plus les années
s'écoulent, plus le phénomène de l'émergence des
langues véhiculaires comme L1 des enfants gagne du terrain.
Nous avons vu que les facteurs qui sont à l'origine de
la progression et de la régression de la transmission des langues, des
parents aux enfants sont multiples : la concurrence des langues
véhiculaires, l'hétérogénéité
linguistique des couples, le phénomène de
véhicularité et le niveau intellectuel des parents.
L'environnement dans lequel les langues sont parlées
94
est aussi un facteur important de la progression de la
transmission de certaines langues (dominantes du milieu) et de la
régression d'autres. Néanmoins les enquêtés ont
affirmé transmettre les langues vernaculaires parce qu'elles sont les
langues des aïeux.
Les enquêtés ont reconnu la
nécessité de sauvegarder les langues locales qui sont en voie
d'extinction parce que la diversité linguistique doit être
maintenue à travers le monde. Ces langues locales sont les langues des
aïeux, et les locuteurs de ces langues s'identifient par elles. Elles
doivent être conservées parce qu'elles véhiculent les
cultures des communautés qui les parlent. Elles sont aussi utiles dans
l'apprentissage des langues européennes chez les locuteurs ayant ces
langues locales comme L1. Elles sont les seules langues de communion et de
communication des personnes n'ayant pas appris une langue véhiculaire
comme L2. Selon les enquêtés, la maitrise de ces langues est aussi
nécessaire en cas de conflits interethniques.
Plusieurs institutions peuvent s'impliquer dans la
conservation des langues vernaculaires. Chaque instance intervenant a un
rôle bien précis. Il s'agit de l'État ; des linguistes ;
des communautés de locuteurs, particulièrement des parents et
même des églises.
En dépit des différentes questions que nous
avons abordées et des réponses apportées, nous rappelons
que nous n'avons pas traité toutes les questions relatives à
cette étude. Les fiches des deux méthodes d'enquêtes
utilisées sont immenses et n'ont pas été
entièrement exploitées. D'autres questions auraient dû
être étudiées. Il s'agit des questions comme le rôle
des médias (Radio, T.V.) dans la transmission des langues ; les langues
parlées correctement par les enquêtés ; leurs
préférences linguistiques; les attitudes des
enquêtés vis-à-vis des langues locales dans une
génération où les individus aspirent à apprendre
à écrire et à parler les langues dominantes du territoire
national et les langues étrangères, de grande diffusion.
95
Ce travail ne constitue qu'un jalon des différents
travaux de sociolinguistique urbaine qui seront menés dans la ville de
Gamboma. Comme il se présente, il est à prendre comme un appel
à la valorisation, à la transmission et à la conservation
des langues locales, particulièrement des langues africaines ; car :
« Nous considérons la transmission des langues
comme un aspect important de la vitalité linguistique. Lorsqu'elle est
quantitativement bien assurée d'une génération à la
suivante, la langue gagne en locuteurs jeunes et est promis à un bel
avenir. Moins la transmission est assurée, plus la langue perd en
locuteurs potentiels et en vitalité au profit des variétés
concurrentes sur le marché linguistique. Les langues effectivement
transmises par les parents à leur progéniture sont exclusivement
celles que les parents utilisent quotidiennement avec leurs enfants.
52»
52 Bitjaa Kody, Zachée
Denis, « Vitalité des langues à Yaoundé : choix
conscient », in Le plurilinguisme urbain, actes du colloque de
Libreville "Les villes plurilingues" (25-29 septembre 2000), Calvet, L.-J.
& Moussirou-Mouyama, A., Institut de la Francophonie, Diffusion Didier
Érudition, Paris, 2000, p.171.
96
ANNEXES
ANNEXE 1 : QUESTIONNAIRES Questions auprès des
enfants
Fiche No
A- IDENTITÉ DES INFORMATEURS
1-Nom(s) et prénom(s)
Sexe : M F Age : 10-14 15-18 + 18
Etablissement . Classe .
2-Etes-vous né(e) à Gamboma ?
Oui Non
Si non, où êtes-vous né(e) ? Depuis quand
vivez-vous à
Gamboma ? Où viviez-vous avant d'arriver à
Gamboma ?
3-Que fait/où travaille votre mère
?
Fonctionnaire commerçant agriculteurs et
artisans retraité(e) autre
-Que fait/où travaille votre père
?
Fonctionnaire commerçant agriculteurs et
artisans retraité(e) autres
B- 97
PRATIQUES LANGAGIÈRES
4-En quelle(s) langue(s) avez-vous appris à
parler ? Lingala.
Français Autre(s)
5-Quelle est la langue première de votre
mère ?
- Quelle est la langue première de votre
père ?
6-Parlez-vous la langue première de votre
mère ?
-Parlez-vous la langue première de votre
père ?
7-Quelles langues parlez-vous correctement maintenant ?
Français
Lingala . Autre (précisez)
8-Des langues suivantes, laquelle
préférez-vous ? Français
Lingala Votre langue maternelle Autre(s) (préciser)
9-Quelle (s) langue (s) première (s)
souhaiteriez-vous transmettre à vos
enfants ? Lingala . Français
Votre langue maternelle/première . Autres
(précisez)
C- INTERACTIONS LINGUISTIQUES 10-Quelle(s)
langue(s) parlez-vous souvent avec :
- Vos parents ?
- Vos frères et soeurs ?
- Vos amis à l'école ?
- Vos amis dans la rue ?
- Au marché ?
98
-Parlez-vous votre langue première avec d'autres
adultes que ceux de
votre famille ? Oui Non . Dans quelles circonstances
:
- Dans la rue ?
- Au marché ?
- Partout ?
11-Avez-vous honte de parler votre langue première
devant : - Vos amis ?
- Les étrangers/inconnus ?
- Avez -vous honte de parler la langue première de
votre mère devant :
- Vos amis ?
- Les étrangers ?
- Avez -vous honte de parler la langue première de
votre père devant :
- Vos amis ?
- Les étrangers ?
D- LANGUES ET MÉDIAS
12-Ecoutez-vous la radio ? Oui Non
-Quelle(s) chaîne(s) de radio écoutez-vous souvent
-Quelles(s) est ou sont votre ou vos émission(s)
préférée(s) ?
-Dans quelle(s) langue(s) est ou sont-elle(s)
diffusée(s) ?
13-Regardez-vous la télévision?
Oui Non
99
-Quelle(s) chaîne(s) de télévision
regardez-vous
souvent ?
-Quelles(s) est ou sont votre ou vos émission(s)
préférée(s) ?
-Dans quelle(s) langue(s) est ou sont-elle(s)
diffusée(s) ?
E- SAUVEGARDE DES LANGUES
14-Pensez-vous qu'il soit important de prendre des
précautions pour
conserver les langues locales ? Oui Non
Pourquoi ?
-Qui doit prendre ces mesures ? autorités politiques
autorités
de Gamboma locuteurs les
églises Autres(précisez)
Lesquelles ? Faire des émissions à la radio
à
la télévision concevoir des ouvrages et des
dictionnaires Autres(précisez)
Date
Enquêteur
100
Questions auprès des
parents
Fiche No
A- IDENTITÉ / ÉTAT CIVIL DES
INFORMATEURS
1-Nom(s) et prénoms
Sexe M .. F
-Région/Village d'origine Lieu de
naissance
-Date d'arrivée à Gamboma Où
habitez-vous
avant9 Profession :
Fonctionnaire .....commerçant ....agriculteur et
artisan retraité(e) .autre
-Situation matrimoniale : Marié(e) .
Célibataire Divorcé(e) Veuf
(Veuve) ....Combien d'enfants avez-vous 9
Combien de femmes avez-vous 9 Quel est (sont) son (leurs)
lieu(x) de naissance 9
B- LANGUES PREMIÈRES
2-En quelle(s) langues avez-vous appris à parler ?
Lingala
Français . Autre(s)
-Quelle(s) langue(s) parlez-vous correctement maintenant
? Français
Lingala . Autres (précisez) .
101
-En quelle(s) langue(s) votre ou vos conjoint(s) a ou
ont-il(s)/elle(s)
appris à parler ?
-Quelle(s) langue(s) parle(ent)-t-il(s)/elle(s)
correctement maintenant ?
Français Lingala ..Autres
(précisez)
4-Permettez-vous à votre conjoint(e) d'apprendre
à vos enfants :
- Sa langue
- La votre
- Pourquoi ?
5-Quelle(s) est (sont) la (les) langue(s)
première(s) que vous transmettez à
vos enfants ?
-Lorsque vous vous adressez à vos enfants, vous
arrive-t-il :
-de passer tour à tour d'une langue à une autre ?
Oui non
-de mélanger deux ou plusieurs langues à la fois ?
Oui non
-Vos enfants vont-ils de temps en temps dans votre
village (ou région)
d'origine ? Oui Non
C- RAISONS DE TRANSMISSION
6-Quelles sont les raisons qui vous ont poussé
à transmettre cette (ces) langue(s) première(s) à vos
enfants ?
- C'est la langue officielle
- C'est la langue nationale .
- C'est la langue parlée dans le quartier
- C'est la langue que nous parlons .
102
- C'est la langue des aïeux
- Autres
D- INTERACTIONS LINGUISTIQUES 7-Quelle(s)
langue(s) parlez-vous souvent avec vos enfants :
- A la maison, quand vous êtes en famille
- A la maison en présence des étrangers
- Au marché
- Dans la cour de l'église
- Chez des amis congolais
- Chez des amis étrangers
8- Quelle(s) langue(s) parlez-vous souvent avec
:
- Votre conjoint
- Vos père et mère
- Vos frères et soeurs
- Vos amis
- Vos collègues
- Vos voisins
- Les commerçants ou vendeurs congolais au
marché
- Les commerçants ou vendeurs étrangers au
marché
9-Avez-vous honte de parler votre langue première
devant :
- Vos amis
- Les étrangers
10-De toutes les langues suivantes, laquelle
préférez-vous ?
Français Lingala . Votre langue
103
maternelle Autres(précisez)
E- LANGUES ET MÉDIAS
11- Ecoutez-vous la radio ? Oui non .
-Quelle(s) chaîne(s) de radio écoutez-vous .
-Quelles(s) est ou sont votre ou vos émission(s)
préférée(s)
-Dans quelle(s) langue(s) est ou sont-elle(s) diffusées
..
12-Regardez-vous la télévision?
Oui .non
-Quelle(s) chaîne(s) de télévision
regardez-vous .
-Quelles(s) est ou sont votre ou vos émission(s)
préférée(s)
-Dans quelle(s) langue(s) est ou sont-elle(s) diffusée(s)
F- SAUVEGARDE DES LANGUES
13-Pensez-vous qu'il soit important de prendre des
précautions pour
conserver les langues locales ? Oui Non
Pourquoi ?
-Qui doit prendre ces mesures ? Autorités politiques
.autorités de
Gamboma locuteurs églises autres
(précisez)
104
-Lesquelles ? Faire des émissions à la radio
à la
télévision concevoir des ouvrages et des
dictionnaires .autres (précisez) ...
14 -Croyez-vous que les parents aient un rôle
à jouer dans la conservation des langues locales ?
-Si non, pourquoi ?
- Si oui, comment peuvent-ils assumer ce rôle ? En parlant
leur(s)
langue(s) à leurs enfants en leur racontant des contes
dans leur(s)
langue(s) ....en les envoyant au village .autres
(précisez
Date
Enquêteur :
105
ANNEXE 2 : FICHE D'OBSERVATION
Lieu : Gamboma
Locuteur 1 Locuteur 2
M F M F
5-10 u
|
10-15 u
|
5-10 u
|
10-15 u
|
15-20 u
|
20-25 u
|
15-20 u
|
20-25 u
|
+20 u +25 u
Localisation
Rue u Domicile u
École u Marché u Lieu public u
Langue
Locale u Locale u
Lingala u Lingala u
Français u Français u
Autre u Autre u
Interaction
Conversation u Négociation u
Demande u Autre u
Date
Enquêteur .
106
ANNEXE 3 : ÉCHANTILLON
Enfants = 103
|
Âge
|
Sexe
|
Lieu de naissance
|
10-14 ans
|
15-18 ans
|
18-25 ans
|
M
|
F
|
Gamboma
|
Autre
|
Effectif
|
42
|
52
|
9
|
7
4
|
29
|
82
|
21
|
Total
|
103
|
103
|
103
|
Tableau 1 : Échantillon du questionnaire des
enfants
Parents
= 72
|
Sexe
|
Lieu de naissance
|
Catégories
|
M
|
F
|
Gambo ma
|
Autre
|
fonction naires
|
Commer çants
|
Agri et arti
|
Ouvriers
|
Retrait és
|
Effectif
|
44
|
28
|
44
|
28
|
19
|
15
|
22
|
7
|
6
|
Total
|
72
|
72
|
69
|
Tableau 2 : Échantillon du questionnaire des
parents
Fiche d'obs =
105
|
Localisation
|
Interaction
|
Rue
|
Dom
|
Éco
|
L. pub.
|
Mar
|
Con
|
Nég
|
Dem
|
Aut
|
Effectif
|
41
|
16
|
15
|
6
|
27
|
83
|
2
|
16
|
4
|
Total
|
105
|
105
|
107
Tableau 3 : Échantillon d'observation
108
BIBLIOGRAPHIE
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110
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http://www.unesco.org/bpi/fre/unescopresse/2002/02-07f.shtml
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http://www.unesco.org/culture/heritage/intangible/2003
Wikipédia Génération
(sociologie),
http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Génération_(sociologie&o
ldid=102858165
112
TABLE DES MATIÈRES
0. INTRODUCTION 1
0.1. Problématique 3
0.1.1. État de la question 4
0.1.2. Importance du problème 6
0.1.3. Objectifs de recherche 7
0.2. Méthodologie 8
0.2.1. Population cible et échantillon de l'enquête
10
0.3. Présentation du district de Gamboma
10
0.3.1. Aspects physiques et géographiques 11
0.3.2. Aperçu économique et socio-culturel 14
0.3.3. Répertoire linguistique de la commune de Gamboma
15
0.4. Plan 17
CHAPITRE 1 : LANGUES PARLÉES À GAMBOMA
18
1.1. Usages des langues par les parents 18
1.1. 1. Langues déclarées parlées en famille
avec les enfants 18
1.1.2. Entre conjoints 21
1.1.3. Entre amis 23
1.1.4. Avec les voisins dans le quartier 24
1.1.5. Au marché 26
1.2. Usages des langues par les enfants 28
1.2.1. Avec les parents 28
1.2.2. Entre frères et soeurs 29
1.2.3. Avec les amis à l'école 31
1.2.4. Avec les amis dans la rue 32
1.2.5. Au marché 34
1.3. Conclusion partielle 35
113
CHAPITRE 2 : TRANSMISSION DES LANGUES PAR LES
PARENTS
AUX ENFANTS À GAMBOMA 36
2.1. Langues déclarées transmises par
les parents aux enfants 36
2.2. Langues transmises selon les
caractéristiques sociales des parents 38
2.2.1. Selon les lieux d'origine 39
2.2.2. Selon le sexe 40
2.2.3. Selon l'emploi exercé et le niveau
d'étude 42
2.3. Évolution de la transmission des langues
entre la génération des
grands-parents et celle des parents 44
2.4. Conclusion partielle 49
CHAPITRE 3 : LANGUES PREMIÈRES
DÉCLARÉES PAR LES
ENFANTS 50
3.1. Les enfants, leurs langues et leurs lieux
d'origine 50
3.2. Langues premières des enfants par tranches
d'âge 52
3.3. Langues premières des enfants selon le
sexe 56
3.4. Identification des langues maternelles des
parents et celles des
enfants 57
3.4.1. Couples homogènes 57
3.4.2. Couples mixtes 58
3.5. Conclusion partielle 62
CHAPITRE 4 : FACTEURS DE PROGRESSION ET DE
RÉGRESSION DE
LA TRANSMISSION GÉNÉRATIONNELLE DES
LANGUES 63
4.1. La concurrence des langues 64
4.1.1. Le poids du français 65
4.1.2. Le poids des langues nationales 66
4.2.
L'hétérogénéité linguistique des couples, la
véhicularité et le niveau
intellectuel des parents 67
4.3. L'environnement linguistique 69
4.4. La langue des aïeux, langue des parents
70
114
4.5. Conclusion partielle 71
CHAPITRE 5 : OBSERVATION DES PRATIQUES
LINGUISTIQUES
RÉELLES À GAMBOMA 73
5.1. Langues d'interactions observées
73
5.1.1. Pratiques linguistiques réelles entre parents
74
5.1.2. Entre enfants 75
5.1.3. Entre parents et enfants 75
5.2. Localisation des pratiques linguistiques
réelles 76
5.3. Conclusion partielle 78
CHAPITRE 6 : SAUVEGARDE DES LANGUES LOCALES
79
6.1. Mobiles du maintien des langues locales
79
6.1.1. Le maintien de la diversité linguistique 80
6.1.2. Les langues locales : langues des aïeux, marqueurs
d'identité 81
6.1.3. Les langues locales : véhicules des coutumes et
cultures 82
6.1.4. Les langues locales : base de la pédagogie des
langues étrangères 82
6.1.5. Utilité des langues locales pour les
non-lettrés 83
6.1.6. Utilité des langues locales en contexte des
conflits interethniques 85
6.2. Institutions et mesures de sauvegarde
86
6.2.1. Les autorités politiques ou l'État 86
6.2.2. Les linguistes 88
6.2.3. Les communautés de locuteurs 89
6.2.4. Le rôle particulier des parents 90
6.2.5. Les églises 90
6.3. Conclusion partielle 91
7. CONCLUSION GÉNÉRALE 92
ANNEXES 96
Annexe 1 : Questionnaires 96
115
Questions auprès des enfants 96
Questions auprès des parents 100
Annexe 2 : Fiche d'observation
105
Annexe 3 : Échantillon 106
BIBLIOGRAPHIE 108
TABLE DES MATIÈRES 112
|