Changement des mentalités.par Ilunga Ntambo Biamungu Université de Lubumbashi - Licence 2015 |
ü Le patriotisme économique d'inspiration listienneDavid Todd (2007) Le patriotisme d'inspiration listienne se décline en trois objectifs : créer un protectionnisme éducateur, renforcer le sentiment d'appartenance nationale et instaurer un État développeur et catalyseur d'énergie. Un fort sentiment patriotique à l'égard de la nation allemande, que l'on retrouve chez nombre d'auteurs romantiques ou d'historiens allemands, a incontestablement influencé les travaux de Friedrich List, notamment lorsqu'il souligne l'importance qu'il convient d'accorder à l'appartenance collective. David Todd (2007) rappelle, à cet égard, que List fut un « farouche partisan de l'unité allemande » et le « père spirituel du Zollverein (union douanière des États allemands réalisée sous l'égide de la Prusse en 1834) ». ü La défense d'un protectionnisme éducateurList plaide en 1841 en faveur d'un protectionnisme éducateur qui consiste pour un État à protéger, au moins provisoirement, les industries naissantes et fragiles contre la concurrence des pays plus avancés. Il s'oppose, dans ses écrits, à la doctrine rocardienne de la spécialisation naturelle qui repose sur la loi des coûts comparés. Selon lui, le libre-échange ne peut que perpétuer la domination des nations qui ont su très tôt mettre en place une industrie porteuse. ü La nécessité d'un État développeur « catalyseur d'énergie »List est persuadé que le processus d'industrialisation nécessite l'intervention active du gouvernement qui peut, seule, coordonner les énergies nécessaires, définir les règles du jeu national, superviser l'interaction des divers acteurs et fédérer les énergies des multiples intervenants au service de l'intérêt national et du développement économique.Ainsi, le patriotisme économique développé par List reposant sur la dimension collective de la nation et prenant en compte l'intérêt des générations futures s'inscrit dans le cadre du développement durable. 4.3. Le patriotisme économique d'inspiration keynésienneLe patriotisme d'inspiration keynésienne se décline en trois principes : indépendance des politiques économiques nationales, primauté de la finance nationale et possibilité de concilier justice sociale et efficacité économique. Keynes n'a toutefois traduit son patriotisme économique en termes protectionnistes qu'à partir de 1933, alors que, dans les années 1920, il ne soutenait pas une telle stratégie économique. Le premier principe consiste à renforcer l'indépendance des politiques économiques nationales qui ne doivent viser qu'un seul objectif, celui du plein emploi. Pour lutter contre le chômage par une « politique d'intérêt autonome » et « d'investissements nationaux », l'État doit se libérer des contraintes provenant des mouvements de capitaux. Sur ce point Keynes estime, dans son texte de 1933 sur l'autosuffisance nationale, que « si l'on pouvait éviter les fuites de capitaux, les politiques intérieures seraient plus faciles à déterminer » (Keynes, 1933 : 8). Il est clair que la nécessité de maintenir le taux d'intérêt à un niveau élevé pour éviter ces fuites de capitaux peut réduire le développement de l'investissement. Par ailleurs une politique de soutien de la demande exige une certaine autonomie de l'économie nationale, pour que la demande stimulée par l'action de l'État ne se traduise pas par des importations. Selon le deuxième principe, il convient de rendre sa primauté à la finance nationale. Keynes dénonce la participation de capitalistes étrangers dans le capital des sociétés nationales. Selon lui, ces rentiers visent plus la réalisation de plus-values par cession de titres sur un second marché que la pérennité d'une affaire. Il accuse surtout ceux qui font pression contre une réduction des taux d'intérêt en menaçant de quitter le pays. Par ailleurs, il oppose la dimension nationale des citoyens soucieux de développer des équipements collectifs sur leur propre territoire ou même de protéger certains aspects de l'environnement à la dimension apatride des capitalistes. Keynes est ainsi conduit à préconiser une finance principalement nationale. Une citation, tirée de son article de 1933 sur l'autosuffisance nationale, éclaire sa profonde conviction à ce sujet : « Produisons chez nous chaque fois que c'est raisonnablement et pratiquement possible, et surtout faisons en sorte que la finance soit en priorité nationale » (Keynes, 1933 : 9). Selon le troisième principe retenu par Keynes, il convient de concilier justice sociale et efficacité économique, tout en sauvegardant le capitalisme auquel il reste attaché. Bornons nous à citer, en guise d'illustration, un passage des Essais de persuasion : » Le problème politique de l'humanité est de concilier trois choses : un meilleur rendement économique, la justice sociale et la liberté individuelle » (Keynes, 1931 : 163). Selon lui, la politique de redistribution des revenus est compatible avec une politique de soutien de la demande. Une fiscalité correctrice des inégalités de revenus est un moyen efficace pour augmenter la consommation nationale. En favorisant les ménages qui ont de bas revenus et dont, par conséquent, la propension à consommer est forte, une politique de redistribution doit permettre de relancer l'activité économique. Une telle mesure est juste et efficace. Sur ce point, Keynes écrit dans la Théorie Générale : « En ce qui concerne la propension à consommer, l'État sera conduit à exercer sur elle une influence directrice par sa politique fiscale, par la détermination du taux d'intérêt, et peut être aussi par d'autres moyens » (Keynes, 1936 : 371). Au terme de cette analyse sur les conceptions historiques du patriotisme économique (mercantiliste, listienne et keynésienne), un constat s'impose. Les trois approches ont comme point commun, la maîtrise du capitalisme et le rôle central de l'État dans la sauvegarde des intérêts nationaux. Toutes s'intéressent à une ou plusieurs dimensions du développement durable ; la conception mercantiliste, que nous avons retenue, met l'accent uniquement sur la dimension économique en recommandant un développement industriel indispensable pour assurer la puissance de l'État et pour favoriser, même si ces auteurs n'ont pas expressément mentionné cet aspect, la satisfaction des besoins des générations futures. List exprime directement son souci de la prospérité des générations futures et on peut considérer qu'il prend en compte ainsi implicitement les dimensions économique et sociale du développement durable. Quant au patriotisme de Keynes, il vise implicitement le développement durable dans ses trois dimensions ; toutefois, les préoccupations environnementales n'étant pas très fortes à l'époque de Keynes, ce dernier ne fait référence à la protection de l'environnement qu'en mentionnant la « beauté de la campagne ». Tous ces auteurs ont eu l'intuition que l'application de certaines formes de protectionnisme économique, traductions qu'ils donnent de leur patriotisme économique, était susceptible de favoriser un développement durable, même si ce concept n'est apparu que plus tardivement au cours des années 1970 et 1980, lorsque la crise écologique se profilait à l'horizon. |
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