Analyse critique de la menace terroriste dans la zone frontalière Bénin-Burkina Faso-Togopar Kocou Mano Hermann ATTUY Université de Parakou - Master 2 option Études Stratégiques, Sécurité et Politique de Défense 2020 |
CHAPITRE 1 : LES FACTEURS QUI FAVORISENT LE TERRORISME DANS LA ZONEFRONTALIERE BENIN - BURKINA FASO - TOGODans ce premier chapitre, il sera question d'identifier et d'expliquer les facteurs qui favorisent le terrorisme dans la zone frontalière Bénin-Burkina Faso-Togo. La littérature et l'enquête sur le terrain procurent une liste longue et diverse des facteurs possibles causes du terrorisme ou de facteurs de risque dans l'espace frontalier Bénin-Burkina Faso-Togo. Ses facteurs sont les suivants : les facteurs naturels, politiques, socioéconomiques, religieux et culturels.
Plusieurs facteurs naturels favorisent le terrorisme notamment : la croissance démographique, le changement climatique et certaines politiques publiques qui privilégient le développement de l'agriculture extensive. La croissance démographique entraîne une forte concurrence pour l'accès aux ressources naturelles et notamment, une intense course aux terres qui suscite des tensions communautaires et un sentiment d'abandon par l'État à cause de l'absence d'un plan d'aménagement territorial. Le complexe WAP58(*)est un ensemble des aires protégées (resserve de flore, de faune et site touristique), interdit d'accès aux riverains qui ne peuvent ni prélever de tisanes, ni faire paître les animaux, ni cultiver, ni chasser, etc. Alors que c'est de ces activités qu'ils vivent. Par contre les touristes et gardes faune ou Rangers ont accès. Ce qui crée une frustration et colère au sein des riveraines. Depuis un moment le parc Arly du Burkina Faso et 10 Km59(*)d'emprise et linéaire le long des frontières du Bénin avec le Burkina Faso sont aux mains des Groupes Armés Terroriste (GAT) ou Groupes Armés (GA) de par sa richesse en animaux sauvages pour leur subsistance alimentaire de même pour la contrebande de tout genre. Ils servent de base logistique et de repli pour préparer et planifier les attaques aux GAT. Des chasseurs de la commune de Matéri, au cours d'une chasse ont rencontrés des GAT et seront en lien avec les djihadistes du Burkina actuellement car certains seraient endoctrinés.60(*) La géomorphologie permet aux djihadistes de se réfugier dans ces zones à relief accidenté et difficile d'approche aux FDS. Le changement climatique et la désertification, source de la rareté des précipitations, amènent certains éleveurs et agriculteurs non résiliant à se donner au gain facile en intégrant des groupes criminels pouvant s'affilier aux GAT. Les personnes interrogées dans le cadre de ce travail ont des avis partagés sur les indicateurs constituants les facteurs naturels qui favorisent l'extension des terroristes dans l'espace frontalière Bénin-Burkina Faso-Togo. Ainsi, dans le complexe WAP et ses environs, la zone délimitée en rouge sur la figure N°1 constitue un `'biotope'' idéal aux GAT, de par la végétation qui permet de se camoufler, la géomorphologie qui rend l'accès difficile de la zone aux FDS, la faune un moyen d'alimentation et de trafic puis les ressources minières telles que l'or dont son exploitation clandestin constitue un moyen de financement du terrorisme. Figure 3: Synthèse de l'avis des personnes interrogées Source : Enquête terrain juillet 2021
L'incidence de la pauvreté d'existence dans le département de l'Atacora est de 50,4% en 201361(*) et pourrait dépasser ce chiffre ces dernières années. La pauvreté pousse certains jeunes des communes de Boukoumbé, Cobly et Matéri à l'exode vers les communes productrices du Coton comme Banikoara, Kérou et même vers d'autres pays comme le Burkina Faso, le Ghana, le Nigéria et le Togo. Aujourd'hui avec la situation sécuritaire dans la sous-région ouest africaine avec la floraison des groupes armés, certains jeunes en exode pourraient être enrôlés par ses groupes armés et constitués des cellules dormantes dans le triangle Bénin-Burkina Faso-Togo. La création du camp peul « Gouré Potal »62(*) à la frontière Bénin-Togo dans l'arrondissement de Tapoga commune de Cobly constitué uniquement des peuhls ressortissants burkinabés et nigériens qui ne sont pas administrativement tous enregistrés est une bombe à retardement, vu le sinistre qui a conduit à la création dudit village. Cette population était à 4213en201863(*).Ce chiffre est actuellement dépassé vu la situation au Burkina Faso et Niger. Le financement de la construction des mosquées par des pays arabes, le recrutement des enfants et jeunes de la commune de Matéri pour l'école coranique au Togo ou Burkina-Faso et le flux migratoire en juin des Burkinabés vers Porga fuyant les attaques des GA sans de renseignements sur ces individus sont des facteurs à risque de terrorisme. De plus, la porosité des frontières, l'accès de Doga à Koualou par des pistes secondaires (zone dans laquelle des matériels militaires ont été découverts) et les trafics de tout genre qui se font à Koualou sont des sources probables de financement des GAT. En effet, les liaisons routières entre les États, communes et arrondissements sont mal assurées dès lors que la frontière est loin des zones urbaines : plus on s'éloigne du centre et plus l'État et son administration disparaît. Les personnes interrogées dans le cadre de ce travail, nous déclarent que dans la commune deBoukoumbé, Cobly, Matéri et Tanguiéta le chômage, la déscolarisation, la pauvreté, l'inégalitéet l'immigration sont lequotidien de la population.Ces Communes sont dans la zone frontalière Bénin-Burkina Faso-Togo. Figure N°4 : Synthèse de l'avis des personnes interrogées Source : Enquête terrain juillet 2021
Le litige d'appartenance de la zone de Koualou entre les États Béninois et Burkinabè fait de celle-ci une zone de tous trafics et d'économie grise. A aucune représentation de FDS. L'enclavement d'espace frontalier, l'accès aux services sociaux de base et l'animation économique locale constituant des facteurs majeurs pour que la population transfrontalière se laisse endoctriner par les djihadistes du fait de l'abandon de l'État. La commune de Matéri, est située au Nord-Ouest du Département de l'Atacora. D'une superficie de 4 800 km², elle est comprise entre 10° 38' et 11° 4' de latitude Nord et 0° 48' et 1°10' de longitude Est. Elle est limitée à l'Est par la Commune de Tanguiéta, au Sud par celle de Cobly, au Nord par la République du Burkina-Faso et à l'Ouest par la République du Togo.64(*)La Commune est frontalière à deux pays dont l'un (Burkina-Faso) est accessible par la voie inter-État Tanguiéta-Porga (en dégradation avancée), et l'autre (Togo), est difficile d'accès du fait du manque de pont sur la rivière Oti. Dans la commune de Matéri, plusieurs personnes se sont déjà radicalisées. Elles estiment être abandonnées par l'État central. Pas grand accès aux services sociaux de base. Le centre de santé souffre d'un véritable problème de personnels et de moyens. Le plateau technique du centre de santé ne répond plus aux exigences et la plupart des malades sont référés à l'hôpital Saint Jean de Dieu de Tanguiéta, un centre privé qui, avec sa réputation aujourd'hui, il faut disposer de moyens nécessite pour avoir un soin de qualité65(*). Pas d'accès à l'énergie électrique 24/24 ; les voies reliant les arrondissements et villages n'étant pas carrossables notamment, celle reliant Tiélé à Doga. L'arrondissement de Gouandé donne accès au Togo par le village de Doga dans lequel toute sorte de transaction se fait. On peut également rejoindre le Burkina Faso toujours en passant par Doga et Namboni, traverser la rivière Pendjari et se retrouver à Koualou, zone frontière d'économie grise. Les villages Namboni et Nambouli de l'arrondissement de Tantéga sont fréquentés par des individus de toutes nationalités sans aucun contrôle. A Matéri, les peulhs n'ont pas le même droit que les autochtones. Ils ne peuvent se plaindre contre un autochtone de peur de se faire expulsé du village, même s'il y est né.66(*) Cet état de chose crée une frustration au sein de cette communauté. La commune de Matéri est exposée aux vents violents et aucune politique n'est menée pour la résilience de la population qui se demande si elle n'est pas béninoise. La commune de Boukoumbé, l'une des neuf (09) communes que compte le département de l'Atacora, est située au Nord-Ouest du Département. Elle est localisée entre 10° et 10°40' de la latitude Nord et 0°75' et 1°30' de la Longitude Est. La superficie de Boukoumbé est de 1 036 Km2 dont, 342 km2 sont cultivables (soit 33%). La Commune de Boukoumbé est limitée au Nord-Est par la Commune de Tanguiéta, au Nord-Ouest par celle de Cobly, au Sud par la Commune de Natitingou, à l'Est par la Commune de Toucountouna et à l'Ouest par la République du Togo.67(*) Dans la commune Boukoumbé, l'État est peu représenté. Pas de couverture réseau GSM dans les arrondissements frontaliers de Dipoli, Korontière. La quasi inexistence de FDS au niveau des frontières est notée. Deux (02) Commissariats d'Arrondissements pour sept (07) arrondissements dont le Commissariat d'Arrondissement (CA) Manta qui ne dispose pas de moyens roulants68(*) pour sécuriser les frontières avec le Togo. Les voies d'accès aux arrondissements de Dipoli et de Korontière sont impraticables. A Dipoli, plusieurs personnes se sentent Togolais plus que Béninois du fait des opinions politiques. Elles sont isolées et on note également une faible couverture réseaux GSM dans l'arrondissement. Aussi, ces arrondissements ne disposent pas assez d'addition d'eau villageoise (AEV). Les quelques-unes disponibles en pannes. Il faut se rendre au Togo Photo N°1 : État du pont de la voie reliant l'arrondissement de Dipoli à l'arrondissement de Korontière dans la commune de Boukoumbé Vue prise par : ATTUY, Juin 2021 pour avoir de l'eau potable et gratuitement. La Commune de Cobly située au Nord-ouest du Bénin dans le Département de l'Atacora est limitée au Nord par la Commune de Matéri, au Sud par la Commune de Boukombé, à l'Est par la Commune de Tanguiéta et à l'Ouest par la République du Togo. Elle couvre une superficie d'environ 825 km2 subdivisée administrativement en quatre arrondissements (Cobly, Tapoga, Datori, Kountori) et 26 villages. Dans la commune de Cobly, l'État est peu représenté en général en particulier, les services sociaux de base. Pas d'eau courante 24/24. Dans le domaine sécuritaire, pas de présence militaire. Deux commissariats pour quatre arrondissements. Tout est politisé à Cobly et l'impunité est remarquable. Le lycée agricole attribué à la commune de Cobly en conseil des ministres serait détourné au profil de la commune de Matéri pour cause politique69(*). Les frontières avec le Togo sont poreuses. Le niveau d'enclavement est tel que les populations ont plus facilement accès aux marchés au Togo par Datori qu'aux marchés des grands centres de consommation au Bénin pour l'écoulement de leurs productions. La marginalisation de la communauté peulh d'un côté et, de l'autre côté, les conflits autour des ressources naturelles (la terre) sont autant de facteurs à risque de terrorisme. La commune de Tanguiéta couvre une superficie de 5.456 km² et est située dans le département de l'Atacora au Nord-Ouest de la république du Bénin. Elle est traversée par la route Inter-États Bénin-Burkina-Faso. La commune de Tanguiéta est entourée des montagnes de la Chaîne de l'Atacora et limitée au Nord par le Parc de la Pendjari. Au Sud, elle est limitée par les communes de Toucountouna et de Boukombé ; à l'Ouest par les Communes de Matéri et de Cobly, à l'Est par les communes de Toucountouna, de Kérou et de Kouandé.70(*)Tanguiéta où des hommes suspects viennent régulièrement se faire soigner à l'hôpital Saint-Jean de Dieu, réputé dans toute la région pour la qualité de ses soins. En septembre 2020, des présumés djihadistes recherchés au Burkina Faso y ont été vus avant d'être arrêtés. Cette ville riveraine du parc de la Pendjari est située à une cinquantaine de kilomètres de la frontière avec le Burkina Faso. C'est un motif d'inquiétude pour les autorités locales ainsi que pour la direction du centre hospitalier.71(*)Seul l'arrondissement central bénéficie de la présence effective de l'État. Les arrondissements de Cotiakou et de Tanongou qui se situent dans la chaîne de l'Atacora soufrent d'accès à l'eau et à l'énergie électrique. Celui de N'dahonta entièrement en plaine, alors que les terroirs de Tanguiéta et Taïacou comportent les deux types de reliefs. Les voies d'accès sont dégradées et les villages sont difficilement accessibles. La vente d'essence de contrebande est une spécialité des commerçants de Tanguiéta qui seraient en contact avec les terroristes. Des incursions en petit nombre existent, notamment au niveau de Tanguiéta, où des hommes suspects viennent régulièrement. En raison du choix politique de l'État central pour le développement des communes au Bénin, les populations des communes de Boukoumbé, Cobly, Matéri et Tanquiéta estiment être oubliées par l'État vu le développement actuel des communes du sud. Elles expliquent que seule la commune de Boukoumbé qui a connue un développement éclaire par le bitumage de la bretelle Natitingou-Boukoumbé. En termes d'occupation et actions vers les frontières, seules les bornes misent en terre à la frontière avec le Togo peuvent être constatées. La plupart des bornes ont été vandalisées,malgré la forte médiation des actions que mènent l'ABeGIEF. Ainsi, les frontières au Nord-ouest sont poreuses. Les personnes interrogées dans le cadre de ce travail rapportent que la mauvaise représentation de l'État, la corruption, l'impunité, la mauvaise gouvernance, le favoritisme sont des maux des Communes d'étudeainsi, desterreaux fertiles pour les GAT. Figure N°5 : Synthèse de l'avis des personnes interrogées Source : Enquête terrain juillet 2021 Conclusion partielle En résumé, les indicateurs des facteurs naturels, socioéconomiques, religieux, culturels et politiques sont au rouge dans l'espace frontalier Bénin-Burkina Faso-Togo. Les facteurs favorisant l'extension de la menace terroriste sont transversaux.Ils sont constitués des indicateurs qui sont : la croissance démographique, la végétation, la géomorphologie, le changement climatique, la désertification, la répartition de ressources minières, peu représentation de l'état, corruption, impunité, exclusion sociale, transhumance, pauvreté, chômage, crise économique, exclusion ethnique, prêche excitant au djihad, conflits religieux, conflits entre agriculteurs et éleveurs, le financement de construction de mosquées et école coranique par des pays arabes, etc.Ilssont en proportion inquiétantes dans la commune de Boukoumbé, de Cobly, de Matéri et de Tanguiéta.Ils sont des terreaux fertiles sur lesquels les djihadistes peuvent ou ils s'y appuient pour s'attirer des sympathies locales. Toutefois, il est important que les autorités à divers niveaux prennent au sérieux les problèmes de la populationtransfrontalière. Car, de la menace terroriste à l'attaque terroriste, c'est juste un pas. * 58 Les parcs W, Arly et Pendjari dont W et Pendjari au Bénin et Arly au Burkina-Faso * 59 Entretien avec responsable AViGEF * 60 Entretien avec un notable de Nambouli 27/06/2021 * 61Principaux indicateurs socio-démographiques et économiques, RGPH-4, 2013, p.17 * 62 Après l'affrontement entre peul éleveur et population à Pentinga, arrondissement de Tapoga dans la commune de Cobly ayant fait sept morts dans le rang des peuls suite à une affaire de braquage. Un domaine d'utilité publique d'une superficie de 835,26 ha a été déclaré par le conseil communal de Cobly en session extraordinaire du 26 octobre 2018 pour installer les peuls déplacés au cours de cet évènement. Le domaine fait office de village de nom Gouré Potal * 63 Statistique des peuls à l'installation dans Pentinga en 2018. Source Point Focal Risques et Catastrophes de la mairie de Cobly * 64 Monographie de la commune de Matéri, 2006, p.11 * 65 Entretien avec un élu local le 27/06/2021 * 66 Entretien avec un éleveur le 26/06/2021 * 67 Monographie de la commune de Boukoumbé, 2006, p.11 * 68 Le commissariat d'arrondissement de Manta couvre quatre (04) arrondissements dont deux frontières (Dipoli et Korontière). Le CA Manta gère les quatre arrondissements en créant trois postes avancé (Dipoli, Korontière, Tabota). Ses postes avancé sont gérés chacun par un effectif très réduit de Fonctionnaire de la Police Républicaine (FPR) sans moyen roulants (ni moto ni véhicule de dotation). En dehors du panneau de bienvenue implanté par l'ABeGIEF et du poste avancé plus rien ne démontre la présence immédiate de l'État dans cet espace frontalier avec le Togo. A chaque cent mètres du coté Togolais le constat est claire des mesures de sécurité avec des checkpoints par force (Douane, Police, Infanterie, Gendarmerie). * 69 Entretien avec une autorité communale le 26/06/2021 * 70Monographie de la commune de Tanguiéta, 2006, p.11 * 71 Promediation, Nord des pays du Golfe de Guinée : La nouvelle frontière des groupes djihadistes ?, Avril 2021 |
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