PARTIE 1 : ÊTRE LOCUTEUR LANGUE(S) IN POSSE EN
BELGIQUE.
En classe, la maîtresse avait la voix douce, et
je comprenais presque tout. Quand je me trompais, elle disait : « Non, pas
comme ça », et je reprenais en langue du dehors, sans
difficulté. Mais mes condisciples ne faisaient aucun effort,
j'étais larguée. Ils parlaient à toute vitesse, savaient
des tas de chansons, de jeux, de comptines que moi j'entendais pour la
première fois. Je les admirais de connaître tant de choses,
surtout dans la langue de dehors. Les mots, de l'école, de la rue,
servaient à parler aux autres enfants, aux inconnus, à affronter
les difficultés de la vie. Une langue un peu sèche, presque
hostile, comme une arme pour se défendre.
(Alonso I., 2006, L'exil est mon pays, p.
84).
Ce projet de recherche a pour objet d'analyser les
processus cognitifs que les locuteurs migrants, en Belgique, entretiennent avec
la langue française. Préalablement, nous préciserons deux
points élémentaires. Tout d'abord, nous avons adopté la
dénomination de « locuteur » au lieu de celle d' «
apprenant ». Ce choix renvoie de façon cohérente, au
raisonnement du linguiste-didacticien. Il affirme l'idée selon laquelle
l'appropriation d'un idiome requiert une certaine intuition et maestria
linguistique. Nous croyons qu'il existe une forte corrélation entre le
discours des individus et leur intériorisation d'une langue. Les
énoncés, tel que l'extrait ci-dessus, suggèrent des
appartenances linguistiques en quête d'une entente culturelle au sein
d'un nouveau cadre de référence. D'autre part, lorsqu'on parle de
langue in posse, nous faisons allusion à la langue
française de la Communauté12 française de
Belgique. Sur le plan diatopique, cette dernière a évincé
les langues régionales (le wallon, le picard et le lorrain) en devenant
l'idiome fédérateur. La question du français à
Bruxelles est à concevoir dans une situation de bilinguisme,
généralement divergent, puisque la capitale représente un
espace francophone en territoire néerlandophone. Pareillement, en tant
que métropole européenne, Bruxelles relève d'un espace
riche des répertoires plurilingues de ses habitants.
12 « Les Communautés :
déterminées par un critère culturel et linguistique, elles
sont également au nombre de trois (flamande, française et
allemande) ». Cité dans Thibault A., 2013, « Francophonie et
variété des français », séminaire Master 1 et
2, Université de Paris-Sorbonne, p. 2.
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Afin de mieux comprendre l'établissement du
locuteur en Français Langue in posse, nous présenterons
dans cette première partie, une vision générale des
locuteurs migrants ainsi que les enjeux socioculturels et politiques de
l'appropriation du français en Belgique.
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