UNIVERSITÉ DE DSCHANG
UNIVERSITY OF DSCHANG
ÉCOLE DOCTORALE
POST GRADUATE SCHOOL
UNITE DE FORMATION ET DE RECHERCHE TRAINING AND
RESEARCH UNIT DSCHANG SCHOOL OF LAW AND POLITICAL SCIENCE
LA CONSTITUTION TCHADIENNE DU 04 MAI 2018 ET LA CONSOLIDATION DE
L'ÉTAT DE DROIT
Mémoire soutenu pour l'obtention du diplôme
de Master
Filière : Droit Public
Option : Recherche
Réalisé par :
TCHIAKIKA KEUMAYE
Maitrise en Droit Public
CM-UDS-18SJP0485
Sous la direction de :
Monsieur WANDJI KEMAJOU Axel Docteur en Droit
Public
Chargé de cours à l'Université de
Dschang
Août 2020
AVERTISSEMENT
La Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de
l'Université de Dschang n'entend donner aucune approbation, ni
improbation aux opinions émises dans ce Mémoire. Celles-ci
doivent être considérées comme propres à leur auteur
qui en assume l'entière responsabilité.
DÉDICACE
II
À ma Maman et à mon défunt
père.
III
REMERCIEMENTS
Nos remerciements vont à tous ceux et celles qui ont
rendu possible la présente réflexion et qui nous ont soutenu
durant son élaboration.
Nous tenons tout d'abord à adresser notre profonde
gratitude à notre Directeur de mémoire, Docteur WANDJI KEMAJOU
Axel qui, malgré ses immenses charges, a accepté sans aucune
réserve, de diriger ce mémoire. Ses directives, remarques et
suggestions nous ont été importantes pour l'aboutissement de ce
travail.
Notre reconnaissance est adressée aux enseignants et
personnels administratifs de la Faculté des Sciences Juridiques et
Politiques de l'Universités de Dschang, pour la qualité de la
formation reçue.
Nos remerciements vont également à tous nos
frères et soeurs et particulièrement à ZUSANNE Augustin,
YAKBA Pauline, GUEPELBE René, GABHINGONNE BAYZOUMMY, BIAKSOUBO KADJERE,
pour leur soutien financier et moral dans le cadre de cette recherche. Nous
leur serons à jamais reconnaissant pour cette abnégation.
Nous remercions du fond du coeur tous les membres de notre
grande famille KEUDEU MAO (parents, oncles, tantes, frères, soeurs,
cousins, cousines) sans distinction aucune, pour l'éducation et le
soutien multiforme.
Que soient aussi vivement remerciés tous nos
condisciples notamment FOTSO Alain Blaise, KOURALEING David, OLEMEM ALYO
Maxime, ZENFACK NANGUE Naomie Flore, ABDOULAYE MANGSOUNA MADOUKA, POUANGAM
James, NDOUM Mathieu, Béni ADIBANG, HINANSOU NASSOUR MAHAMAT, DJIINGAR
NGAROUBA Hyacinthe et tous ceux dont leurs noms n'ont pas été
cité, qu'ils reçoivent nos sincères remerciement pour leur
soutien. Nous remercions nos ainés académiques tels que DOUNA
NANG-WEYE Dieudonné, FANDEBNE TAMSOU et TCHINENBA Armand pour les
sacrifices consentis.
iv
RÉSUMÉ
Deux décennies après la Constitution du 31 mars
1996, il a été constaté que certaines institutions qui en
sont issues ne répondaient plus convenablement aux exigences actuelles
des États modernes et que l'arrimage du Tchad aux nouvelles donnes
paraissait nécessaire. C'est ainsi que des réformes ont
été entreprises pour aboutir à l'adoption de la
Constitution du 04 mai 2018. Sa contribution à la consolidation de
l'État de droit, objet de cette étude, s'est avérée
mitigé. D'une part, la Constitution tchadienne participe à la
consolidation de l'État de droit à travers la mise en place des
mécanismes juridictionnels de protection des droits fondamentaux des
citoyens. Ces mécanismes sont mis en oeuvre grâce au juge
constitutionnel qui joue un rôle principal et les juges ordinaires, qui
jouent un rôle accessoire. En plus, le pouvoir exécutif se trouve
limité, car soumis au contrôle parlementaire renforcé.
D'autre part, la Constitution de 2018 présente des obstacles persistants
qui entravent l'émergence d'un véritable État de droit au
Tchad. Ces obstacles sont l'indépendance incertaine des juges dans
l'exercice de leurs fonctions. Le juge constitutionnel et le juge ordinaire ne
semblent pas être dans une bonne position pour jouer normalement leur
rôle. Il y a également la protection non juridictionnelle des
droits fondamentaux qui est limitée. Il convient donc de corriger ces
obstacles pour un bon encrage de l'État de droit au Tchad.
Mots clés : Constitution, Droits fondamentaux,
État de droit, État moderne, juge constitutionnel.
V
ABSTRACT
Two decades after the Constitution of march 31, 1996, it has
been found that certain institutions resulting from this Constitution no longer
adequately meet the current requirements of modern States and that the tying
down of Chad to the new deal appeared necessary. This is how reforms were
undertaken to lead to the adoption of the Constitution of 04 may 2018. His
contribution to the consolidation, object of this study, is show mitigate. On
the one hand, the Chadian Constitution participates in the consolidation of the
rule of law through the establishment of jurisdictional mechanisms to protect
the constitutionally enshrined fundamental rights of citizens. And these
mechanisms are implemented seriously in the work of the constitutional judge
who plays a leading role and the ordinary judges who play an incidental role.
In addition, the executive authority is limited because it's submitted at
enhance parliamentary control. On the other hand, the 2018 Constitution
presents persistent obstacles that hinder the emergence of a true rule of law.
These obstacles are the uncertain independence of judges in the exercise of
their functions. The constitutional judge and ordinary judge do not seem to be
in a good position to play their role normally. There is also limited
non-judicial protection of fundamental rights. These obstacles should therefore
be corrected in order to anchor the rule of law in Chad.
Keywords: Constitution, fundamental rights, State of law,
Modern state, constitutional judge.
vi
SIGLES ET PRINCIPALES ABRÉVIATIONS
AN : Assemblée Nationale.
ANS : Agence Nationale de
Sécurité.
CA : Chambre Administrative.
CADHP : Charte Africaine de Droits de l'Homme
et des Peuples.
CC: Conseil Constitutionnel.
CE : Conseil d'État.
CERAD: Centre d'Étude et de Recherche
Administratives et de Droit.
CF: Confère.
CNDH: Commission Nationale de Droits de
l'Homme.
CNS: Conférence Nationale
Souveraine.
CS : Cour Suprême.
CSJN: Cour Suprême de la Justice
Nationale.
CSM: Conseil Supérieur de la
Magistrature.
DEA: Diplôme d'Étude
approfondie.
DUDH: Déclaration Universelle de
Droits de l'Homme.
FNI: Forum National Inclusif.
FSJP: Faculté des Sciences Juridiques
et Politiques.
HAMA: Haute Autorité des Médias
et de l'Audiovisuel.
HCCACT: Haut Conseil des Collectivité
Autonomes et des Chefferies Traditionnelles
HCRI: Haut Conseil des Réformes
Institutionnelles.
Ibidem: Même ouvrage.
LGDJ: Librairie Générale de
Droit et de Jurisprudence.
OPJ: Officier de Police Judiciaire.
PUF: Presse Universitaire
Française.
RDP: Revue de Droit Public et des Sciences
Politiques en France et à l'étranger.
RFDC: Revue Française de Droit
Constitutionnel.
SC: Section Contentieuse.
SMT: Syndicat des Magistrat du Tchad.
Vol: Volume.
VII
SOMMAIRE
INTRODUCTION GÉNÉRALE 1
PREMIÈRE PARTIE : LA CONSTITUTION DU 04 MAI 2018
ET LES AVANCÉES
PERCÉPTIBLES DE L'ÉTAT DE DROIT AU
TCHAD. 19
CHAPITRE 1 : LA GARANTIE GRADUELLE DES DROITS
FONDAMENTAUX
DANS LA CONSTITUTION DU 04 MAI 2018 21
SECTION 1 : LA GARANTIE PRINCIPALE DES DROITS
FONDAMENTAUX PAR
LE JUGE CONSTITUTIONNEL 22
SECTION 2 : LES GARANTIES SUBSIDIAIRES DES DROITS FONDAMENTAUX
ASSURÉES PAR LES AUTRES JUGES 31
CHAPITRE 2 : LA LIMITATION CONSTITUTIONNELLE DE LA
PUISSANCE DU
POUVOIR EXÉCUTIF 41
SECTION 1 : LE CONTRÔLE DE L'EXÉCUTIF PAR LE
PARLEMENT 42
SECTION 2 : LA CONSÉCRATION DE LA RESPONSABILITE DES
MEMBRES DU
GOUVERNEMENT 50
SECONDE PARTIE : LA CONSTITUTION DU 04 MAI 2018 ET LES
OBSTACLES PERSISTANTS A L'ÉMERGENCE D'UN VÉRITABLE ÉTAT DE
DROIT AU
TCHAD 63
CHAPITRE 1 : L'INDÉPENDANCE DISCUTABLE DU JUGE
DANS LA GARANTIE
DES DROITS FONDAMENTAUX AU TCHAD 64
SECTION 1 : L'INDÉPENDANCE CONTESTABLE DU JUGE
CONSTITUTIONNEL
TCHADIEN 65
SECTION 2 : LES MENACES PORTÉES A L'INDÉPENDANCE
DES AUTRES
JUGES DANS LA PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX 74
CHAPITRE 2 : LA PROTECTION LIMITÉE DES DROITS
FONDAMENTAUX AU
TCHAD. 83
SECTION 1 : LA PROTECTION NON JURIDICTIONNELLE DES
DROITS
FONDAMENTAUX LIMITÉE. 83
SECTION 2 : LES AUTRES OBSTACLES RELATIFS A LA PROTECTION DES
DROITS FONDAMENTAUX 90
CONCLUSION GENERALE 100
1
INTRODUCTION GÉNÉRALE
2
Les changements politiques intervenus depuis 1990 ont
donné, au sujet de la gouvernance en Afrique, une dimension
renouvelée en raison essentiellement des mutations juridiques touchant
l'intégrité de la Constitution1. L'histoire
constitutionnelle des États africains indépendants a
été particulièrement mouvementée et ressemble
à un parcours difficile et tortueux. C'est dans un contexte social,
culturel, économique et politique diversifié que le
constitutionnalisme africain a été confronté à la
problématique de son émergence, de son élaboration, de sa
réactualisation et de sa légitimation2. L'idée
de mettre sur pied une Constitution était au coeur du fonctionnement des
systèmes démocratiques qui suppose non seulement, dans chaque
État, l'adoption d'une Constitution placée au sommet de la
pyramide des normes, mais aussi la mise en place des dispositifs
institutionnels garantissant le respect de cette Constitution. Cette
Constitution apparait, par sa stabilité et son caractère
solennel, comme la meilleure protection contre les décisions arbitraires
et excessives des gouvernants, en même temps elle promeut un ordre
légitime universel.
Vers les années 1990, sous la poussée multiforme
des changements sociaux, des crises économiques et culturelles, des
revendications politiques nationales, les sociétés africaines ont
basculé dans la démocratie représentative d'inspiration
occidentale, comme témoigne l'actuel Préambule de l'Union
Africaine3 (UA). L'idéologie nouvelle impose désormais
à chaque État africain de se conformer aux nouvelles donnes, qui
sont la souveraineté électorale du peuple, le multipartisme, le
respect des droits et libertés fondamentaux des citoyens, la
reconnaissance des droits de l'opposition politique. Mais la pratique
constitutionnelle montre bien que la rigidité de la norme suprême
proclamée par la Constitution elle-même ne suffit pas pour
garantir sa stabilité. C'est pourquoi, en Afrique, nous assistons
à une modification constante de la Constitution au détriment des
pouvoirs en place. Nous ne pouvons dire qu'une Constitution remplie ses
fonctions en raison des modifications rares ou multiples qu'elle a subies. Les
vingt-quatre modifications4 apportées à la
Constitution française de 1958 et les différentes modifications
apportées à la Constitution tchadienne de 1996 n'en font pas
moins une norme fondamentale qui, selon la doctrine
française5 et tchadienne, remplit sa fonction.
1 NGUELÉ ABADA Marcelin, «
L'indépendance des juridictions constitutionnelles dans le
constitutionnalisme des États Francophones post guerre froide : exemple
du Conseil Constitutionnel camerounais »,
Revue de la Fondation Raponda-walker pour la science et la culture, 2010,
p.1.
2 ZOGO NKADA Simon-pierre, « Le nouveau
constitutionnalisme africain et la garantie des droits socioculturels des
citoyens : cas du Cameroun et du Sénégal », RFDC,
N°92/2012, p.5.
3 NYAMSI Franklin,
L'État de droit ou le plus grand défi de la
civilisation politique africaine du 21e siècle,
Paris, Edition du net, 2018, p.1.
4 Mélin-souscramanien, Constitution de la
République française de 1958, Paris, Dalloz, 2008, pp.
102-104.
5 WALINE Joël, « Les révisions de
la constitution de 1958 », in droit et politique
à la croisée des cultures, Mélanges en honneur de Philipe
ardant, Paris, LGDJ, 1999, pp. 235-249 ; VERPEAUX Michel, La
révision
3
En clair, les multiples révisions constitutionnelles
n'ont pas donné aux Constitutions une garantie de leur stabilité.
C'est avec les exigences théoriques intégrées dans les
Constitutions africaines que certains ont pu penser que nous assistons au
retour du droit constitutionnel et au rêve d'une ère de discipline
politique et de la judiciarisation de la vie politique. Et pourtant, ces
révisions constitutionnelles à répétition
s'inscrivent en réalité dans une perspective d'entrave au nouveau
constitutionnalisme africain6. Ces révisions ne favorisent
non plus la consolidation de l'État de droit, même si une nuance
doit être faite concernant certains amendements qui viennent à
point nommé renforcer, dans une certaine mesure, la démocratie.
C'est dans cette logique que le Professeur AIVO Frédéric
Joël affirmait que : « la forme constitutionnelle se fragilise
par la sensibilité des amendements qui lui sont apportés. Cette
thèse défendue tant de fois par tant de voix et de forte belle
manière, se ramène à une idée clé : les
révisions constitutionnelles africaines, pour la plupart, se
particularisent par leur objet peu licite et controversé. La doctrine a
déjà relevé de façon convaincante que les
modifications apportées depuis 1996 aux constitutions africaines sont
peu fortifiantes pour l'État de droit. »7. Le
constat est clair en Afrique, quand il y a révision constitutionnelle
dans un pays, cette mutation est souvent accompagnée de
soulèvements de la part des gouvernés qui sont assoiffés
de la démocratie. Le cas du Tchad en est une parfaite illustration
lorsqu'en 2017, le Haut Comité pour les Réformes
Institutionnelles (HCRI) entame ses travaux pour déboucher, en mars
2018, sur la convocation d'un forum national inclusif. Ces réformes ont
été boycottées par l'opposition et la
Société Civile.
Comme dans tous les pays d'Afrique noire francophone,
l'histoire constitutionnelle du Tchad est accompagnée de
l'évolution des régimes politiques qui se sont
succédés. Chaque fois qu'un régime nouveau prend la
tête du pouvoir, généralement, intervient la
révision ou la modification de la Constitution. En effet, les
réformes politiques, institutionnelles ou constitutionnelles sont
inhérentes à la vie démocratique d'un pays8. En
2016, le Président tchadien a entamé des réformes. Cette
volonté de réformer les institutions s'est traduite par le
décret n°681/PR/PM/2016 du 26 octobre 2016 instituant le Haut
Comité Chargé des Réformes Institutionnelles. Après
le Forum National Inclusif tenu du 19 au 29 mars 2018, l'Assemblée
constitutionnelle à l'arracher,
in révision de la Constitution : la Vème
République rénovée ? À propos de la loi
constitutionnelle du 23 juillet 2008, n°31-35, pp. 16-21.
6 HOLO Théodore, « Démocratie
revitalisée ou démocratie émasculée ? Les
constitutions du renouveau démocratique dans les États de
l'espace francophone africain: régime juridique et système
politique », RBSJA, 2006, n° 16, pp. 31-39.
7 AIVO Frédéric Joël,
« La crise de la normativité de la
constitution en Afrique », RDP,
Décembre 2012, n°1, p.141.
8 Rapport alternatif des organisations de la
société civile tchadienne, Les réformes
institutionnelles au Tchad : entre ambitions partisanes et unité
nationale, Ndjamena, octobre 2017, p.51.
4
Nationale a adopté le projet de loi constitutionnelle
le 30 mars 20189. Ce qui a conduit le Président de la
République à promulguer la nouvelle Constitution le 04 mai
2018.
Cette Constitution procède à des
réaménagements tant sur le plan institutionnel
qu'organisationnel. Ainsi, ces aménagements nous amènent à
nous atteler sur l'apport de la nouvelle Constitution dans le renforcement de
la démocratie au Tchad. Alors, il apparait donc important pour nous de
porter un regard critique sur l'évolution de la démocratie et de
l'État de droit à l'aune de la nouvelle Constitution.
Il conviendrait donc de mettre, dans un premier temps, en
évidence son cadre théorique (I), avant d'explorer son cadre
opératoire (II), dans son second temps.
I - LE CADRE THÉORIQUE DE L'ÉTUDE
Il convient d'aborder ici, le contexte de l'étude (A),
la définition des concepts clés du sujet (B) et la
délimitation de l'étude (C).
A - LE CONTEXTE DE L'ÉTUDE
La présente étude est abordée dans des
contexte historique (1) et juridico-politique (2) bien précis.
1 - Contexte historique
Devenu République en 1958, le Tchad acquiert son
indépendance le 11 Août 1960. Après la proclamation de la
République, les élections de 1959 ont été
remportées par le Parti Progressiste Tchadien (PPT). Son leader
TOMBALBAYE François a été désigné Premier
Ministre10 puis Président de la République à
l'indépendance de 196011. Mais la gestion du pouvoir va
être très vite critiquée. Ces critiques vont conduire une
partie importante des populations du Nord et du Centre à se
révolter. Cette révolte est à l'origine de la
création du premier mouvement rebelle au Tchad, le Front de
Libération Nationale du Tchad, (FROLINAT)12. Depuis 1963, le
pays est entré dans un cercle infernal de guerres13.
Après la
9 François Albert-Stauder, « Tchad :
une nouvelle République sans État de droit ? »,
Fondation pour la recherche stratégique, 12 juin 2018, p.1.
10 DINGAMADJI Arnauld, Les gouvernements du Tchad. De
Gabriel LISSETE à IDRISS DEBY ITNO 1957-2010, Paris, L'Harmattan,
2011, p.70.
11 DINGAMADJI Arnauld, NGARTA TOMBALBAYE :
Parcours et rôle dans la vie politique du Tchad, 19591975, Paris,
L'Harmattan, 2007, p.44.
12 BUIJTENHUIJS Robert, Le Frolinat et les
guerres civiles du Tchad (1977-1984): la révolution introuvable,
Paris, Karthala, p.47.
5
chute de TOMBALBAYE, le 13 avril 1975, et la prise du pouvoir
par le général Félix MALLOUM en avril 1975, le pouvoir
passe aux mains des leaders de FROLINAT, GOUKOUNI WEDDEY en 1978 puis HISSEIN
HABRE le 07 Juin 1982. Ce dernier instaure une dictature avec son parti unique,
Union Nationale pour l'Indépendance et la Révolution (UNIR) et sa
police politique, la tristement célèbre Direction de la
Documentation et de la Sécurité (DDS). HABRE a été
chassé du pouvoir par IDRISS DEBY le 01 décembre 1990.
La prise du pouvoir d'IDRISS DEBY a coïncidé avec
le vent de la démocratie qui soufflait sur le continent africain. Ne
pouvant échapper à cette logique de démocratisation de
l'espace politique, une Conférence Nationale Souveraine (CNS) fut
organisée en 1993 pour arrimer le pays à la vague du processus
démocratique. La CNS a jeté les bases d'un nouvel ordre
constitutionnel. Une période de transition a été
observée jusqu'à l'adoption de la loi fondamentale du 31 Mars
1996. Elle prit fin avec les premières élections de la même
année.
La vie politique semble retrouver alors une relative
tranquillité mais qui ne sera que de courte durée. Car,
dès 2005, une réforme constitutionnelle est intervenue et a fait
sauter le verrou constitutionnel de limitation du nombre de mandat
présidentiel. Ainsi, le FNI a été organisé pour
aboutir à l'adoption de la nouvelle Constitution.
2 - Contexte juridico-politique
Au niveau du contexte juridico-politique, le climat s'est
dégradé avec une succession de boycott du processus
électoral par une partie importante de la classe politique : celui du
recensement électoral de 2005, du référendum
constitutionnel de juin 2005, puis des élections présidentielles
de mai 2006 et 2011. La crise née du boycott de l'élection
présidentielle de 2006 va conduire les acteurs politiques à
entamer des négociations qui vont déboucher sur la signature de
l'accord politique du 13 août 2007 en vue du renforcement du processus
électoral et la consolidation de la démocratie au Tchad. C'est
donc dans un contexte difficile que le Président de la République
IDRISS DEBY ITNO, décide de traduire en acte le volet institutionnel de
ses promesses électorales.
En effet, le constituant tchadien a voulu rompre avec le
« système semi-présidentiel » à la
française instauré par la Constitution de 1996 et effacer la
dualité de l'Exécutif en supprimant le poste du Premier Ministre.
Les diverses raisons ayant conduit le constituant à entamer cette
réforme n'ont pas convaincu la majorité des citoyens tchadiens.
De l'organisation du FNI à l'adoption de la nouvelle constitution, la
société civile tchadienne et
13 ERLEMARI NEBARDOUM, Le labyrinthe de
l'instabilité politique au Tchad, Paris, L'harmattan, 1998,
p.141.
6
une partie de l'opposition ont exprimé leurs
mécontentements à travers le processus de réforme.
Malgré tout ceci, à l'issue du FNI, la Constitution le 04 mai
2018 a été promulguée.
B - DÉFINITION DES CONCEPTS
Comme le recommande DURKHEIM Emile, le chercheur doit pour
toute étude, définir au préalable les termes afin que l'on
sache bien de quoi il est question14. Partant de cette exigence, il
s'avère judicieux de définir tour à tour la Constitution
(1), la consolidation (2) et l'État de droit (3).
1 - La Constitution
La Constitution, du latin constituo
qui est dérivé du verbe constituere,
qui veut dire « établir,... », est l'ensemble
des règles fondamentales qui régissent l'organisation et les
rapports des pouvoirs publics et fixent les grands principes du Droit Public
d'un État15. A côté de cette définition,
la Constitution peut être définie du point de vue matériel
et du point de vue formel.
Du point de vue matériel, la Constitution est
l'ensemble des règles qui déterminent les conditions
d'acquisition et d'exercice du pouvoir politique. Elle est définie
également en fonction de ses règles et de son contenu. C'est le
sens du contenu de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de
1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des
droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs
déterminée, n'a point de constitution »16
Du point de vue formel, la Constitution est l'ensemble des
règles, qu'elles soient ou non contenues dans un document unique, qui
ont été adoptées selon une procédure
spécialement prévue à cet effet. La Constitution est un
acte juridique, le plus souvent concrétisé par un ou plusieurs
documents écrits nouveaux. Cet acte se situe au sommet de l'ordre
juridique et tout autre norme juridique de rang inférieur doit
être conforme à ses prescriptions. Ainsi, selon la théorie
de la hiérarchie des normes17, la Constitution se trouve
être la loi fondamentale qui légitime toutes les normes
inférieures. Cette théorie est complétée par le
principe de
14 DURKHEIM Emile, Les règles de la
méthode sociologique, Paris, PUF, 7ème
édition, 1993, p.31.
15 CAPITANT Henri, Vocabulaire juridique,
4ème édition, 1930, p.162.
16 Article 16 de la Déclaration des Droits de
l'Homme et du Citoyen de 1789.
17 Théorie développée
notamment par Hans KELSEN où chaque règle de droit est
légitimée par une règle de droit supérieure et
à laquelle elle doit être conforme. Par exemple, le
règlement est inférieur à la loi, elle-même
inférieure aux traités qui, sont inférieurs à la
constitution.
7
constitutionnalité18, qui indique que la
Constitution est le principe suprême du droit d'un État et que son
respect obligatoire et nécessaire, est assuré par une Cour
Constitutionnelle, un Conseil Constitutionnel ou une Cour Suprême selon
l'organisation institutionnelle d'un État.
Dans la logique de la doctrine constitutionnaliste, la
fonction centrale de toute Constitution est la garantie des droits fondamentaux
de la personne humaine. En aménageant la garantie des droits, la
séparation des pouvoirs ainsi qu'une représentation politique des
citoyens, la Constitution établit un système de garanties de la
liberté19. D'après la définition
empruntée à PRELOT Marcel et BOULOUIS Jean, la Constitution fixe
les règles juridiques « suivant lesquelles s'établit,
s'exerce et se transmet le pouvoir politique »20. La
plupart des Constitutions des États démocratiques fondent leur
organisation institutionnelle et politique sur les principes de pluralisme
d'expression des opinions, de liberté de choix des gouvernants, et
d'effectivité de la séparation des pouvoirs, et garantissent,
tout en les mentionnant explicitement, les droits sociaux et culturels des
peuples qui vivent sous leur protection juridique21. En d'autre
terme, la Constitution est la norme fondamentale, le pilier dont l'organisation
politique et institutionnelle d'un État est assise.
La Constitution, selon JACQUE Pierre, est la loi que s'est
donné le peuple afin de régir tant les modalités de
dévolution et d'exercice du pouvoir que les rapports entre gouvernants
et gouvernés22. A l'analyse de cette définition, il
faut noter que la Constitution, selon JACQUE, est un instrument juridique qui
organise les modalités d'exercice du pouvoir ainsi que les rapports
entre les détenteurs du pouvoir politique et les citoyens.
La notion de la Constitution cohabite avec les notions
voisines comme la convention de Constitution et la loi constitutionnelle. La
convention de Constitution est une règle non écrite
précisant l'exercice de pouvoirs juridiques. En Grande Bretagne, le roi
ne refuse jamais, depuis le début du XVIIème siècle,
d'accorder sa sanction à tout bill (texte de loi) adopté
par le Parlement, bien qu'aucune règle juridique ne lui en
impose l'obligation23. La loi
18 Principe de constitutionnalité ou le
constitutionnalisme est le principe en vertu duquel la constitution d'un
État est la norme suprême au sein de son ordre juridique. Ce
principe a pour conséquence la constitutionnalisation progressive du
droit.
19 GERKRATH Jorg, « Signification et fonction
d'une constitution », Verfasungs révision, Paris, Mai
2009, p.23.
20 PRELOT Marcel et BOULOUIS Jean, Institutions
politiques et droit constitutionnel, Paris, Dalloz,
10ème édition Coll. « précis », 1987,
p.80.
21 ZOGO NKADA Simon-Pierre, « Le nouveau
constitutionnalisme africain et la garantie des droits socioculturels du
citoyen : cas du Cameroun et du Sénégal », op.
cit., p.1.
22 JACQUE Pierre, Droit constitutionnel et
institutions politiques, Memento, Dalloz, 4e édition,
2000, p. 58.
23 AVRIL Pierre et GICQUEL Jean, Lexique du droit
constitutionnel, PUF, 4ème édition, 2008, p.
37.
8
constitutionnelle est une loi adoptée selon la
procédure spéciale prévue par la Constitution pour sa
révision au titre du pouvoir constituant
dérivé24.
In fine, la Constitution est la norme
fondamentale qui détermine les conditions d'acquisition d'un pouvoir
politique et celles de la gestion des institutions de
l'État.
2 - La consolidation
La consolidation, selon le Dictionnaire français
LAROUSSE, vient du verbe consolider, qui veut dire rendre plus solide,
raffermir davantage. Elle est également la réunion de l'usufruit
à la nue-propriété.
Ce concept est accompagné des notions voisines telles
que la contribution, la préservation, la promotion et la protection. La
préservation vient du verbe préserver qui veut dire garantir
quelque chose d'un mal qui pourrait lui arriver25. La contribution
désigne tout un ensemble des efforts ou des apports faits à une
chose pour la rendre plus solide.
La promotion est également une notion voisine à
la consolidation. Elle désigne l'ensemble des moyens mis en oeuvre pour
promouvoir un bien, un service ou un évènement. Tandis que la
protection, du latin protecio, qui est une action de protéger,
de défendre quelqu'un contre un danger, un mal, un risque26.
Exemple : réclamer la protection des lois.
Durant ce travail, la définition qui sera
retenue de la consolidation est le fait de rendre plus solide.
3 - État de droit
Tout État se réclamant l'étiquette
démocratique et libérale aménage son pouvoir pour une
finalité principale, notamment la mise en place d'un État de
droit à l'effet de s'insurger contre l'arbitraire des
gouvernants27. D'origine allemande (Rechtsstaat), l'État de
droit apparait dans les travaux de certains auteurs comme un système
institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Il a
été défini au début du vingtième
siècle par le juriste autrichien HANS Kelsen comme un État dans
lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte
que sa puissance s'en trouve limitée. L'État de droit est un
État dont les autorités politiques et administratives (centrales
et locales) agissent en se conformant
24 AVRIL Pierre et GICQUEL Jean, Lexique du droit
constitutionnel, op. cit., p. 88.
25
www.wikipédia.com,
consulté le 25 juillet 2020.
26
www.Larousse.fr,
consulté le 25 juillet 2020.
27 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L'apport
du parlement à l'État de droit au Tchad,
Mémoire de Master, Université de Dschang, 2018,
p.12.
9
aux règles de droit, et dans lequel tous les individus
bénéficient également de droits et de libertés
fondamentaux. Supposant notamment l'indépendance de la justice,
l'État de droit subordonne le principe de légitimité au
principe de légalité et protège contre l'arbitraire du
politique28. Ainsi, la théorie de l'État de droit
connait aujourd'hui des nouvelles configurations29. Elle met en
relief le sens du terme de l'État de droit du point de vue formel et du
point de vue substantiel.
D'un point de vue formel, l'État de droit s'entend de
tout État qui est limité par le droit, et qui n'est
habilité et légitimé à agir que dans le cadre de
celui-ci30. Cette conception formelle repose donc sur l'idée
du respect de la norme juridique ou du respect de la règle de droit.
Elle se forge autour du principe de légalité et s'appuie sur une
structure juridique ordonnée et sur le postulat de la séparation
équilibrée des pouvoirs31. Elle renvoie à la
définition que les auteurs allemands ont donné à la notion
d'État de droit. Seulement, cette conception formaliste semble quelque
peu insuffisante pour rendre compte de la substance même de l'État
de droit. Le Professeur KAMTO Maurice relève que si l'État de
droit c'est le respect de la norme, alors dans le régime totalitaire, il
y'a État de droit dans la mesure où l'on respecte les lois
mêmes si elles sont tyranniques32. Cette remarque favorise
l'importance d'une conception substantielle.
Du point de vue substantiel, l'État de droit est un
État qui est limité par le droit. Il s'agit pour l'État de
se soumettre à un droit porteur des valeurs libérales et
démocratiques. La conception substantielle repose essentiellement sur la
sécurité juridique, les droits et les libertés
fondamentaux.
28 ABDELKERIM Marcelin,
« La présidentialisation du système
parlementaire tchadien », Paris, Edilivre, 2016, pp.
8-9.
29 CHEVALLIER Jacques, L'État de
droit, 6ème édition, Paris,
LGDJ, 2017, p.160. L'auteur fait observer que de la conception purement
formelle, reposant sur l'idée de la hiérarchie des normes, le
défi des régimes totalitaires a conduit au dépassement de
cette conception de l'État de droit au profit d'une conception
matérielle, substantielle qui privilégie la protection des droits
fondamentaux par rapport aux risques d'arbitraire du pouvoir.
30 SOKENG DONFACK Léopold, « A la
recherche de l'État de droit, notion, acception, application
», communication au colloque de la CIB, Yaoundé, Palais de
congrès, 2016, p.1.
31 L'indépendance de la justice se trouve au
coeur du système de l'État de droit. Elle est sous-jacente au
régime de la séparation des pouvoirs et est au service de la
sauvegarde des droits et libertés. Conçue à l'origine pour
combattre l'absolutisme qui caractérisait les monarchies de droit
divins, la séparation des pouvoirs a pour but ultime de protéger
la personne humaine contre la tyrannie que peut porter toute forme de
souveraineté, y compris la souveraineté populaire. Si l'office du
juge n'est pas l'objet immédiat de la théorie de LOCKE et de
MONTESQUIEU, KANT posa quant à lui expressément le principe d'une
séparation équilibrée des pouvoirs avant d'en
déduire l'exigence d'indépendance de la justice. Pour plus de
détails, voir LOCKE John, Traité du gouvernement
civil, Traduction de David MAZEL, Paris, Flammarion,
1992, p.251 ; MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, Paris, Flammarion,
1979, pp. 294 et suivant ; KANT Emmanuel, Métaphysique des
moeurs, Doctrine du droit, Doctrine de la vertu, Traduction de RENAUT
Alain, Paris, Flammarion, Tome 2, 1994, pp.48 et suivant.
32 NGATTI Etienne, La
contribution du Conseil Constitutionnel à la consolidation de
l'État de droit au Cameroun, Mémoire de Master,
Université de Dschang, 2018, p 13.
10
Selon MPUTU Jean-Pierre, l'État de droit dans son sens
objectif serait celui qui fonctionne sur la base des règles de conduite,
justes équitables, consensuelles et préalablement
édictées et sanctionnées par ce qu'on a coutume d'appeler
« le pouvoir », en vue de régir les relations entre les
citoyens33.
Conçu dans l'intérêt des citoyens,
l'État de droit a pour but de le prémunir et de le
défendre contre l'arbitraire étatique. Cela se traduit par un
pouvoir d'agir devant une autorité juridictionnelle à l'effet
d'obtenir l'annulation, la reformation ou, en tout cas, la non application des
actes administratifs qui auraient porté atteinte aux droits de
l'individu. C'est dans ces objectifs que CONAC Gérard affirme que
l'État de Droit, c'est l'existence des « magistrats capables de
juger l'État, qu'il s'agisse des actes administratifs (ce qui est le cas
du Conseil d'État...) ou qu'il s'agisse des actes et abus possibles du
législateur, c'est le rôle du Conseil Constitutionnel
»34. C'est dire que « ...l'État ne
crée pas la loi pour d'autres, mais bien pour tous y compris
lui-même. Il ne pourrait appeler avec succès au respect de la loi
s'il ne la respecte pas lui-même »35.
Nous pouvons, avec le Professeur VUNDUAWE, rappeler que
l'État de droit implique trois (3) choses : que les actes des
autorités publiques soient soumis au droit et à des règles
préétablies, que tous les actes des autorités
administratives et autres soient soumis au contrôle d'un juge
compétent et indépendant, que son système politique soit
démocratique36.
Le terme État de droit est en connexité avec
l'expression État légal. Selon Toupictionnaire, le dictionnaire
de politique, l'expression « État légal »
désigne un système politique dans lequel l'État est soumis
au principe de la légalité. La loi est alors
considérée comme la seule expression de la volonté
générale voulue par le peuple souverain par
l'intermédiaire de ses représentants au
Parlement37.
Alors, l'État de droit est un mécanisme
visant le raffermissement des principes démocratiques à travers
la mise en commun des critères donnés à la notion de
l'État de droit dont on a notamment le respect des normes juridiques,
selon la hiérarchie, dans un pays.
33 MPUTU Jean Pierre, « L'étude du
caractère d'État de droit de la RDC : coquille vide ou
réalité ? », Annales de l'Université de
Kinshasa, 2011, P.24.
34 CONAC Gérard. (Dir), L'Afrique en
transition vers le pluralisme, Paris, Economica, 1993, p.79.
35 KAMTO Maurice, L'urgence de la Pensée,
réflexions sur une précondition du développement en
Afrique, Yaoundé, Mandara, 1993, p.104.
36MPUTU Jean Pierre, « L'étude
du caractère d'État de droit de la RDC : coquille vide ou
réalité ? », op., cit., 2011, p.35.
37 Voir
www.Toupictionnaire.org,
consulté le 25 juillet 2020.
11
Ainsi, l'État tchadien, dans sa quête
perpétuelle de l'État de droit, a toujours semblé enclin
à satisfaire à ces exigences. C'est pourquoi la Constitution
tchadienne du 04 mai 2018, tout en réitérant le principe de la
primauté38 du droit, a pris en compte les réformes
institutionnelles permettant de garantir une bonne démocratie.
La définition des termes clés nous conduit à
la délimitation de l'étude.
C - LA DÉLIMITATION DE L'ÉTUDE
La délimitation de l'étude consiste à
circonscrire celle-ci dans un cadre bien précis. Ainsi, il est judicieux
que soient délimités le cadre temporel (1), le champ spatial (2)
et matériel (3) de cette étude.
1 - La délimitation temporelle
L'étude de la Constitution tchadienne de 2018 s'inscrit
dans un cadre temporel qu'il convient de relever.
Les réformes constitutionnelles ont permis aux
gouvernants de mettre sur pieds des nouvelles règles qui vont conduire
la vie institutionnelle d'un État. Ainsi, l'étude de la nouvelle
Constitution tchadienne couvre la période de 2018 jusqu'à nos
jours. Toutefois, il ne sera pas exclu de remonter le temps, ceci dans l'ultime
optique de faire de simple démonstrations. Cependant, la
délimitation de cette étude dans le temps ne suffit pas, encore
faudrait-il la situer dans l'espace.
2 - La délimitation spatiale
Le Tchad est un pays d'Afrique Centrale avec une superficie de
1.284.000 Km2 sur laquelle vit une population d'environ 12.000.000
d'habitants39. Il est le berceau de l'humanité40.
Il est enclavé et partage ses frontières au Nord avec la Libye,
à l'Est, avec le Soudan, au Sud, avec la République
Centrafricaine et à l'Ouest, avec le Cameroun, le Nigeria et le
Niger.
N'Djamena est sa capitale et les langues officielles sont le
Français et l'Arabe. La population est estimée à 11,04
millions d'habitants pour une densité de 8,6 habitants par
Km2 selon les résultats du recensement général
de la population et de l'habitat réalisé en 2009. Les
résultats de ce recensement indiquent que 78% de la population
tchadienne résidaient en
38 Article 1 de la Constitution de 1996.
39 Rapport de l'institut de statistique et démographique
sur le recensement général de la population de 2011.
40 À travers la découverte par MICHEL BRUNOT, du
crâne de TOUMAI dans le désert de DJOURAB, en 2001.
12
milieu rural et seulement 22% en milieu urbain. Selon une
projection démographique, cette population atteindra les 19,34 millions
d'habitants en 2025 et serait de 44,21 millions en 205041.
Cela étant, l'étude aura comme domaine spatial
l'ensemble du territoire national tchadien. Il faut, cependant, procéder
à la délimitation matérielle de l'étude.
3 - La délimitation matérielle
La délimitation matérielle de l'étude
commande qu'on apporte des éclairages sur les différentes
réformes apportées dans la nouvelle constitution tchadienne ayant
des impacts sur l'organisation générale de l'État. Tout
spécifiquement, l'étude portera essentiellement sur la
Constitution tchadienne de 2018 avec deux éléments de
l'État de droit. Ces éléments sont la protection des
droits fondamentaux et la soumission de l'État au droit.
II - CADRE OPÉRATOIRE DE L'ÉTUDE
Le mémoire doit respecter les codes et canons en
vigueurs dans le champ scientifique. Comme le disait FRAGNIERE Jean Pierre, le
mémoire est élaboré « dans une perspective qui
s'efforce de tenir compte des règles de l'activité scientifique
»42.
En effet, la méthode constitue le substrat même
de toute oeuvre scientifique. Seront successivement mis en relief, les
intérêts du sujet (A), la problématique et
l'hypothèse (B), les méthodes et techniques de recherche (C) et,
enfin, la démarche (D).
A - INTÉRÊTS DU SUJET
Étymologiquement, l'intérêt vient du
latin interest, qui signifie important. Selon le
Dictionnaire Larousse, l'intérêt désigne ce qui importe, ce
qui vient en quelque manière que ce soit, à l'utilité,
à l'avantage d'une personne ou d'une collectivité. A cet effet,
il importe de dire que l'intérêt du sujet est
appréhendé au regard de son originalité, sa qualité
et son utilité. Cela dit, le chercheur doit être capable
d'apporter les arguments qui militent en faveur de l'option d'analyse d'un tel
sujet plutôt que d'un autre. Ainsi, CASSIN René relève que
l'intérêt consiste à « démontrer que le
sujet est important tant du point de vue théorique que
41 Institut National de la Statistique, des
Études Économiques et Démographiques : « Projections
démographiques régionales 2009-2050 ».
42 FRAGNIERE Jean-Pierre, Comment réussir
un mémoire, Paris, Dunod, 1986, p.65
13
pratique »43. Suivant cette
affirmation, notre sujet présente un double intérêt :
théorique (1) et pratique (2).
1-Intérêt théorique
Une étude n'a de valeur qu'au regard de l'avantage
qu'elle procure44. Sur le plan théorique, l'étude de
cette thématique présente divers intérêts. Elle nous
offre tout d'abord l'occasion d'expliquer et d'analyser profondément la
Constitution tchadienne, et au-delà, elle nous permet d'apporter notre
modeste contribution à l'édification du droit constitutionnel
tchadien. Pour ce faire, cette présente étude contribue à
enrichir la littérature existante.
Par ailleurs, cette thématique s'inscrit dans une
perspective plus globale de la recherche de l'État de droit. Ainsi, la
présente étude vise à démontrer l'apport de la
Constitution tchadienne à la consolidation de l'État de droit et
assure par-là une meilleure sécurité juridique. Cette
dernière selon FAVOREU Louis, est « la propriété
d'un système juridique de procurer à tous les destinataires un
cadre normatif relativement déterminé et permettant ainsi une
orientation précise de ses choix à un moment
déterminé »45. Cette sécurité
juridique est une garantie pour les investissements et l'essor
économique d'un pays. Il n'est de meilleur gage que la garantie des
droits constitutionnellement admise pour permettre un développement
économique. A ce propos, le Professeur GADJI Abraham note que «
la projection vers le développement économique auquel aspire
l'ensemble de ces États (d'Afrique francophone) exige un ordre
constitutionnel dynamique »46. Ce besoin de
sécurité apparait également dans le domaine administratif,
pénal, civil, etc.
2- Intérêt pratique
Sur le plan pratique, l'intérêt de cette
étude est indéniable car elle permet au pouvoir public de voir la
portée réelle des réformes entreprises sur le
fonctionnement de l'État. Cela permet également au Gouvernement
tchadien et aux Gouvernements des autres États, qui emprunteront la
même voix, de jauger le niveau de leur action dans le processus de la
consolidation de l'État de droit. A cet effet, la présente
étude permettra au Gouvernement
43 CASSIN Robert, Méthodologie de la
thèse de doctorat en droit, cité par ALLANGOMBAYE NDONAYE
KOINGAR, La carrière du fonctionnaire au Tchad, Mémoire
de Master, Université de Dschang, 2019, p.23.
44 DJIEPMOU Bertrand,
Le juge constitutionnel camerounais et la régulation
du processus démocratique, Mémoire de Master,
Université de Dschang, février 2016, p.18.
45 FAVOREU Louis, GAIA Paul et al., Droit
constitutionnel, Paris, Dalloz, 2016, p.94.
46 GADJA Abraham, « L'économie dans les
nouvelles constitutions des États d'Afrique francophone », in AIVO
Frédéric Joel (coord.), La constitution béninoise du
décembre 1990 : un modèle pour l'Afrique ? Mélanges en
honneur de Maurice Ahanhanzo Glèlè, Paris, l'harmattan,
2014, p.790.
14
tchadien d'apporter des correctifs aux égarements
contenus dans la Constitution du 04 mai 2018. La présente étude
peut être aussi utile pour le juge constitutionnel pour cerner
l'immensité de sa tâche dans la régulation de l'État
de droit.
B - PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSE
Pour comprendre l'hypothèse (2), il faut chercher
à poser d'abord la problématique (1) que soulève le
thème.
1 - La problématique
La problématique selon BEAUD Michel est «
l'ensemble construit autour d'une question principale, des hypothèses et
des lignes d'analyse qui permettront de traiter le sujet choisi. Elle est une
composante essentielle dans le travail de préparation de la thèse
»47. En termes différents, explique le Professeur
ONDOA Magloire, la problématique est « l'objet de la recherche,
mais un objet construit autour d'une question fondamentale qui éclaire
la démonstration et la guide »48. Il est donc
à préciser que la problématique apparait comme l'axe
principal de recherche ou encore le fil conducteur. Elle se présente
comme l'approche théorique que nous décidons d'apporter afin de
résoudre un problème posé par l'idée
générale dans une étude. La problématique est
évidemment l'écart qui existe entre ce que nous savons et ce que
nous voudrions savoir à propos d'un problème donné.
En effet, l'État de droit est un élément
indéniable pour la vie d'un pays. Il faut donc le consolider à
travers divers mécanismes dont le plus important est le respect des
règles juridiques contenues dans la Constitution. Or, l'adoption de la
nouvelle Constitution suscite autant de débats tant par la doctrine que
par les citoyens et les hommes politiques. Alors se pose donc le
problème de sa contribution à la consolidation de l'État
de droit. Fort de ce constat, la question qui se pose est la suivante:
quel est l'apport de la Constitution du 04 mai 2018 dans la consolidation de
l'État de droit au Tchad ?
Pour répondre à ce questionnement, la
formulation d'hypothèse s'avère nécessaire
2 - L'hypothèse
VERGEZ et HUISMAN définissent l'hypothèse comme
ce qui est sous la thèse, le fondement d'une proposition49.
Et JAILLARDON Edith et ROUSSILLON Dominique
47 BEAUD Michel, L'art de la thèse,
Paris, Édition la Découverte, 2006, p.55.
48 ONDOA Magloire, Méthodologie de la
recherche, op. cit., p. 23, inédit.
49 VERGEZ André et HUISMAN Denis, Nouveau
« cours de philo »,
Paris, Fernand Nathan, 1981, p.236.
15
retiennent que « l'hypothèse permet de
sélectionner les éléments à prendre en compte, de
les interpréter, de leur donner un sens, ce qui facilitera la
compréhension de l'institution ou du mécanisme juridique
étudié et éventuellement contribuera à
l'élaboration d'une théorie (...), propositions de
réponses à des questions bien posées 50
».
L'hypothèse s'analyse en une réponse provisoire
à la problématique et constitue ainsi un élément
incontournable d'un travail scientifique. L'hypothèse tend à
formuler une relation entre les faits significatifs. Ainsi,
l'apport de la Constitution tchadienne du 04 mai 2018 à la
consolidation de l'État de droit au Tchad est
ambivalent.
Pour vérifier cela, l'usage des méthodes et
techniques de recherche apparait obligatoire.
C - MÉTHODES ET TECHNIQUES DE RECHERCHE
Dans tout travail scientifique, c'est la méthode qui
permet d'aboutir au résultat escompté. Ainsi, il convient de
choisir et de préciser les méthodes (1) et les techniques (2) de
recherche qui serviront à l'analyse.
1 - Les méthodes de recherche
Les méthodes de recherche s'apparentent à
l'ensemble des opérations intellectuelles. Elles traduisent la
manière de conduire sa pensée, de penser, de dire ou de faire
quelque chose suivant certains principes et avec certain ordre51.
Son importance est mise en exergue par le Professeur MERLE Michel lorsqu'il
affirmait que, « sans un minimum d'outillages conceptuels, le
chercheur se trouve en face d'une masse indistincte de faits dont il est hors
d'état de s'en servir »52. C'est à ce titre
que le Doyen KAMTO Maurice affirme que : « elle est au coeur de toute
oeuvre scientifique en ce sens qu'elle éclaire les hypothèses et
permet de déterminer les conclusions. Elle est la démarche
ordonnée que doit suivre l'esprit pour arriver à un but
»53. La principale méthode utilisée dans
cette étude est la méthode juridique. Mais en raison des
objectifs poursuivis et les contraintes particulières de notre recherche
touchant au droit constitutionnel tchadien, au droit administratif tchadien et
les pratiques
50 JAILLARDON Edith et ROUSSILLON Dominique,
Outils pour la recherche juridique, Paris, Éditions
Archives contemporaines, 2007, p.104.
51 Le dictionnaire Larousse,
op.cit., p. 540.
52 MERLE Marcel, Sociologie des relations
internationales, 4ème édition Paris,
Dalloz, 1988, p.119.
53 KAMTO Maurice, Pouvoir et droit en Afrique
noire, essai sur le fondement du constitutionnalisme dans les États
d'Afrique noire francophone, cité par KEUDJEU DE KEUDJEU John
Richard, Recherche sur l'autonomie des collectivités territoriales
décentralisées au Cameroun, Thèse de Doctorat,
Université de Douala, 2012, p.10.
16
politiques dans la société, il était donc
nécessaire d'avoir recours au droit comparé, à la
méthode socio-politique.
La méthode juridique est composée de
l'exégèse et de la casuistique. Celles-ci sont basées sur
l'interprétation et l'explication des règles de droits, tout
particulièrement celles contenues dans les lois et la jurisprudence.
Alors, ce travail s'oriente sur les documents mais aussi sur les
mécanismes de fonctionnement des institutions de l'État. Cette
méthode a permis, dans la présente étude,
d'interpréter et d'apprécier les textes régissant les
institutions et les décisions de justice.
Le droit comparé en tant que discipline juridique est
d'une très grande utilité dans l'appréhension et la
démonstration de l'hypothèse de travail. Comparer, c'est en
termes simple, comme le souligne DOGAN Mattei et PELASSY Dominique, «
établir des analogies ou des différences
»54 ou mieux, « assimiler et différencier
par rapport à un critère »55. Dans cette
étude, la méthode de droit comparé a permis de convoquer
les pratiques constitutionnelles dans certains pays pour les comparer avec
celles au Tchad.
La méthodes socio-politique n'a pas été
occultée. Elle a toute sa raison d'être dans cette étude
car c'est une méthode qui se veut pragmatique. C'est une approche qui se
distingue nettement de celle du juriste positiviste en ce sens qu'elle
s'intéresse beaucoup moins à la lettre des textes qu'aux
pratiques concrètes et aux jeux des forces sociales et politiques qui
les produisent.
2 - Les techniques de recherche
Concernant les techniques de recherche, elles permettent, dans
une approche qualitative, la collecte des faits et informations56.
À cet effet, nous avons essentiellement utilisé la technique
documentaire.
La doctrine a été d'une grande utilité
dans ce travail, en ce sens que « la doctrine elle-même qui
contribue substantiellement à l'élaboration du corpus
documentaire, est d'ailleurs, enseigne-ton, source du droit
»57. L'apport de ladite doctrine est attesté par la
lecture des articles publiés dans les revues tant nationales
qu'internationales. Cette documentation nous a permis de rassembler plus ou
moins de la documentation relative au sujet dans les différentes
54 Voir Mattei Dogan et Dominique Pelassy,
sociologie politique comparative : Problèmes et perspectives,
Economia, 1881, P.111.
55 Voir G. Sartori, cité par Mamadou Gozibo,
« La démarche comparative binaire : éléments
méthodologiques à partir d'une analyse de trajectoire
contrastées de démonstration », Revue Internationale de
politique comparée, vol. 9, 2002, p. 433.
56 MONGEAU Pierre, Réaliser son
mémoire ou sa thèse, Québec, Presses de
l'Université du Québec, 2009, p. 37.
57 YANN TANGUY, La recherche documentaire en
droit, Paris, PUF, 1991, p.17.
17
bibliothèques, à savoir la Bibliothèque
centrale de l'Université de Dschang, la Bibliothèque doctorale de
la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques (FSJP) de
l'Université de Dschang et la Bibliothèque du Centre
d'Étude et de Formation au Développement (CEFOD). On y a
consulté des documents relatifs au droit constitutionnel, tels que les
ouvrages, les lois et règlements, les thèses, les
mémoires, les rapports, etc. Aussi, on a eu recours aux nouvelles
technologies de l'information et de la communication (NTIC), notamment,
l'internet, qui ont constitué la source d'information virtuelle.
D - DÉMARCHE
La démarche est la partie de l'introduction qui donne
une ouverture sur le corps du travail58. Au regard de notre
problématique et hypothèse ci-dessus formulées, il est
important d'apporter des réponses à cette question en organisant
le travail en deux grandes parties. Ainsi, nous démontrons la
Constitution du 04 mai 2018 et les avancées perceptibles de
l'État de droit (première partie) puis les
obstacles persistants à l'émergence d'un véritable
État de droit (seconde partie).
58 DJAMTO Galy, Les compétences des
Collectivités Autonomes en matière de préservation de
l'environnement au Tchad, Mémoire de Master, Université de
Dschang, 2019, p.21.
18
PREMIÈRE PARTIE : LA CONSTITUTION DU 04
MAI 2018 ET LES AVANCÉES PERCÉPTIBLES DE L'ÉTAT DE
DROIT AU TCHAD
19
L'avènement de la nouvelle Constitution au Tchad marque
une étape importante vers l'émergence d'un véritable
constitutionnalisme, avec les retombées juridiques remarquables.
Le constitutionnalisme en Afrique de manière
générale et au Tchad en particulier a connu un progrès
indéniable. Il faut d'abord souligner que le Tchad, après les
indépendances, a connu une évolution institutionnelle et
constitutionnelle mouvementée. Des années de dictature et de
parti unique ont empêché l'éclosion de toute culture
démocratique59. Les tchadiens, ont décidé de
tourner cette page sombre pour entrer dans une nouvelle ère. Celle-ci a
été consacré d'abord dans la Constitution du 31 mars 1996
révisée en 2005 et 2013 puis celle du 04 mai 2018.
L'étude de la Constitution tchadienne s'inscrit dans
l'optique de consolidation de l'État de droit tant voulu par le
constituant. En effet, il ne suffit pas de mettre sur place tout un arsenal
juridique pour affirmer qu'il y a État de droit. De plus, la
République n'est donc pas seulement la forme neutre de l'organisation du
pouvoir public. Elle affirme l'idée selon laquelle la loi est
l'expression de la volonté générale du peuple, mais que
celle-ci ne peut trouver son fondement juridique que dans un texte qui lui est
antérieur60. Ce texte est la Constitution.
La Constitution tchadienne de 2018, à l'analyse,
présente une étape vers la préservation de l'État
de droit. Les auteurs comme CHEVALLIER Jacques61, DESWARTE
Marie-Pauline62 et autres donnent une liste des critères de
l'État de droit. Ces critères se résument, dans cette
partie, en deux points. Il s'agit de la garantie graduelle des droits
fondamentaux (Chapitre 1) et la limitation de la puissance du
pouvoir exécutif (Chapitre 2) consacrés par la
Constitution du 04 mai 2018.
59 Préambule de la Constitution du 04 mai
2018.
60 TRIMUA Christian Eninam, « L'idée
républicaine de la Constitution en Afrique francophone »,
Afrilex, RDP, Janvier 2015, p. 6.
61 CHEVALLIER Jacques, L'État de
droit, 6e édition, Paris, Dalloz, 2017, p. 27.
62 DESWARTE Marie-Pauline, Droits sociaux et
État de droit, RDP,1995, p. 51.
20
CHAPITRE 1 : LA GARANTIE GRADUELLE DES
DROITS FONDAMENTAUX DANS LA CONSTITUTION DU 04 MAI 2018
Le droit constitutionnel moderne est marqué par
l'idée de la réalisation de l'État de droit. La
réalisation passe notamment par le rôle joué par les juges
qui est un rôle protecteur des droits fondamentaux.
Les droits fondamentaux sont un concept fréquemment
utilisé par la doctrine. Le concept n'est pas aisé à
définir, car il semble être justiciable de plusieurs acceptions.
La notion des droits fondamentaux fait penser à des termes voisins tels
« droit de l'homme et libertés publiques
»63. Elle cohabite ainsi avec des concepts souvent
assimilés, tels que celui de « libertés fondamentales »
si bien que l'utilisation de l'une ou l'autre prête parfois à
équivoque.
En dépit de la polysémie du terme64,
voire le caractère changeant de sa terminologie, l'envol des droits
fondamentaux dans le système juridique tchadien sous l'égide de
sa consécration constitutionnelle est visible.
En effet, si l'État de droit traduit un modèle
d'organisation politique, le transit par le droit reste toujours un
élément objectif de ces significations65. Il devient
dès lors moins surprenant que l'État de droit trouve une relation
avec ceux qui ont la charge de dire le droit. Alors, le système
juridique tchadien est donc marqué par une poignante montée en
puissance de la place accordée au juge au sein de l'ordre juridique
interne. Cette forte ascension du juge conduit à une «
judiciarisation » de plus en plus étendue de la vie sociale. La
concrétisation de
63 Les droits de l'homme, qui sont
des droits naturels tenant à l'essence même de l'être
humain, constituent des prérogatives gouvernées par des
règles que la personne détient en propre dans ses relations avec
d'autres personnes ou avec le pouvoir. Quant aux libertés publiques,
elles désignent une consécration juridique des droits de l'homme
et bénéficient de la protection de la loi. Dans la plupart des
cas, c'est la jurisprudence qui s'avère plus protectrice des droits et
libertés des individus, car la Constitution, étendue lato
sensu, ne garantit pas simplement des standards minimums de protection.
RIVIER Maurice, « Les divergences de jurisprudence », Publication de
l'Université Saint-Etienne, 2003, p. 203.
64 La notion des droits fondamentaux est
éminemment problématique, les incertitudes portent tant sur le
critère de la fondamentalité que sur la substance et le
régime juridique de ce droit. PICARD Etienne, « Droits fondamentaux
» in ALLANT Dénis et STEPHANE Rials, Dictionnaire de la culture
juridique, Paris, PUF, 2003, pp. 244-249.
65 CHEVALLIER Jacques, « La
mondialisation de l'État de droit », in droit et politique à
la croisée des cultures, Mélanges ARDANT Philipe, L.G.D.J., p.
325.
21
l'État de droit est fortement marquée par la
présence et l'épanouissement du juge constitutionnel qui assure
la garantie principienne des droits fondamentaux (Section 1),
le juge ordinaire intervient subsidiairement dans la garantie de ces droits
fondamentaux (Section 2).
Le rôle joué par la Commission Nationale des
Droits de l'Homme (CNDH) ne sera pas développé dans ce chapitre
du simple fait qu'il s'agit, ici, uniquement de la garantie juridictionnelle
des droits fondamentaux des citoyens.
SECTION 1 : LA GARANTIE PRINCIPIENNE DES
DROITS FONDAMENTAUX PAR LE JUGE CONSTITUTIONNEL
La notion du juge constitutionnel est la réunion du mot
« juge » et de l'adjectif « constitutionnel »66.
De manière générale, le juge est « tout organe
doté d'un pouvoir juridictionnel, c'est-à-dire du pouvoir de dire
le droit et trancher un litige »67. Il est dit juge
constitutionnel parce qu'il a ce pouvoir de dire le droit qui se rapporte
à la Constitution et de trancher les litiges en fonction de ce droit
constitutionnel. Ainsi, on considère généralement que
seuls les juges de la Chambre constitutionnelle sont des juges constitutionnels
au Tchad. Ils détiennent principalement la charge d'assurer le respect
de la Constitution à travers leur office.
L'avènement de la justice constitutionnelle tchadienne
est le fruit de la loi constitutionnelle du 31 mars 1996 modifiée par la
loi constitutionnelle N°08/PR/2005 du 15 juillet 2005. Devenue une Chambre
constitutionnelle de la Cour Suprême, la justice constitutionnelle au
Tchad à d'importants pouvoirs68. Outre ses missions
constitutionnelles, l'ordonnance n°015/PR/2018 portant attribution,
organisation, fonctionnement et règles de procédure devant la
Cour Suprême est venue compléter ses missions. Ainsi, au terme de
l'article 60 de l'ordonnance précitée, la justice
constitutionnelle voit son domaine de compétence
s'étendre69.
De ce fait, il devient indéniable que toute ossature de
l'État de droit durable et stable dépend en grande partie de
l'effectivité du contrôle de constitutionnalité. Ce
contrôle de constitutionnalité traduit le prolongement logique,
naturel et nécessaire de l'exigence de l'État
66 L'adjectif « constitutionnel » est
dérivé du mot Constitution.
67 CORNU Gérard, Vocabulaire
juridique, 7ème édition, Paris, PUF, p.472.
68 Article 157 alinéa 1 de la Constitution.
69 Il en résulte de cette disposition que :
« La chambre constitutionnelle est juge de la
constitutionnalité des lois, des traités et accords
internationaux. La chambre constitutionnelle statue obligatoirement sur la
constitutionnalité des lois organiques et des lois sur les
libertés publiques et les droits de l'homme avant leur promulgation, du
règlement intérieur de l'Assemblée Nationale et de ceux
d'autres institutions prévu par la constitution avant leur application
».
22
de droit, stimulé par le développement de
l'emprise des droits et libertés fondamentaux sur le système
juridique70. Alors, ce contrôle est mis en oeuvre par le juge
constitutionnel (paragraphe1) selon un mécanisme
précis et ayant une portée indéniable (paragraphe
2).
Paragraphe 1 : La mise en oeuvre du contrôle de
constitutionnalité
Le contrôle de constitutionnalité, selon le
Lexique de droit constitutionnel, est « l'ensemble des moyens
juridiques mis en place en vue d'assurer la régularité interne et
externe des normes juridiques par rapport à la Constitution
»71. En dépit des apparences techniques, le
contrôle de constitutionnalité revêt un caractère
inévitablement politique72. Cela s'explique par le fait que
la mise en oeuvre du contrôle pose un problème complexe concernant
notamment la détermination des personnes qui sont habilitées
à saisir le juge constitutionnel. Pourtant l'intérêt
accordé à la justice constitutionnelle par sa mise en place dans
les régimes démocratiques revêt toute son importance. C'est
d'ailleurs ce qui amène le Professeur HOLO Théodore à dire
que « la justice constitutionnelle est consubstantielle au
constitutionnalisme triomphant à nouveau sur le continent africain
depuis l'effondrement dans la dernière décennie du XXe
siècle des différents régimes autoritaires qui avaient
fleuri au lendemain de la décolonisation »73. Ce
nouveau statut fonde certains changements dans la fonction du juge
constitutionnel.
La fonction première du juge constitutionnel tchadien
est le contrôle de constitutionnalité des lois. Ce contrôle
participe à la garantie des droits fondamentaux. La mise en oeuvre de ce
contrôle implique la saisine du juge constitutionnel (A) et la
définition des modes de contrôle (B).
A - La saisine du juge constitutionnel tchadien
La saisine du juge constitutionnel est strictement
limitée en droit tchadien. Les textes limitent l'accès au juge
constitutionnel à une catégorie des
requérants74 mais nous ne devons
70 MATHIEU Bertrand et VERPEAUX Michel,
Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, Paris, 2002,
LGDJ, p. 117.
71 MATHIEU Bertrand et VERPEAUX Michel,
Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, Paris, 2002,
LGDJ, p, 117.
72 CHANTBOUT Bernard, Droit
constitutionnel, Université, 13ème
édition, p.44. Cité par ALLAH-ADOUMBEYE Djimadoumngar, « Le
contrôle de la constitutionnalité des lois au Tchad »,
Centre d'Étude et des Recherches administratives et Politiques
(CERAP) Paris 13, p. 6.
73 HOLO Théodore, « L'émergence de
la justice constitutionnelle », Pouvoirs, N°129, 2009,
p.101.
74 Article 61 de l'ordonnance n°015/PR/2018
portant attributions, organisation, fonctionnement et règles de
procédure devant la Cour Suprême : « La chambre
Constitutionnelle, à la demande du Président de la
République, du Président de l'Assemblée Nationale ou d'au
moins un dixième (1/10) des membres de l'Assemblée Nationale, se
prononce sur la constitutionnalité d'une loi avant sa promulgation
».
23
pas perdre de vue le rôle des particuliers devant la
juridiction constitutionnelle. Ils ont un accès indirect75 au
juge constitutionnel. Ainsi, ce recours indirect se fait au moyen du principe
d'exception d'inconstitutionnalité76. Dans certains pays
comme l'Allemagne77, le Bénin78, le
Gabon79, le juge constitutionnel peut être directement saisi
par voie d'action. JACQUÉ Jean Paul le qualifie d'un procès
objectif fait à la loi80. A cet égard, il faut
souligner que cette saisine conduit au contrôle par voie d'action qui est
le véritable procès intenté à l'encontre d'une loi
dont il est demandé l'anéantissement pour
l'inconstitutionnalité. L'objet principal est l'annulation de la loi. Ce
contrôle est abstrait81 dans la mesure où il porte sur
la conformité de la loi aux normes qui composent le bloc de la
constitutionnalité.
Ce type de contrôle produit des effets. Il
débouche, si la loi est jugée inconstitutionnelle, sur son
annulation. Une telle loi ne saurait être promulguée car elle est
frappée d'une nullité absolue. La loi ainsi sanctionnée
est réputée n'avoir jamais existé. La déclaration
d'inconstitutionnalité est investie de l'autorité absolue de la
chose jugée.
Ensuite, il y a la saisine par voix d'exception82.
Ici, la loi a été promulguée sans être soumise au
contrôle de constitutionnalité ; et, elle est entrée en
vigueur, elle ne peut plus faire l'objet du recours par voie
d'action83 ; toutefois, elle reste soumise à une forme de
contrôle qui est l'exception d'inconstitutionnalité. L'exception
d'inconstitutionnalité selon Michel de
75 Article 62 de l'ordonnance
précitée : « tout citoyen peut soulever l'exception
d'inconstitutionnalité devant une juridiction dans une affaire qui le
concerne. Dans ce cas, la juridiction sursoit à statuer et saisi le
Conseil Constitutionnel qui doit prendre une décision dans un
délai maximum de quarante-cinq (45) jours ».
76 C'est un incident de
procédure dans le cadre d'un procès à l'occasion duquel un
justiciable met en cause la conformité d'une loi à la
Constitution. Le juge saisi sursoit à statuer et saisit le Conseil ou la
Cour Constitutionnel (le) pour le contrôle de conformité. Aux USA,
le juge saisi au fond est le juge de l'exception. Voir AVRIL Pierre et GICQUEL
Jean, Lexique des termes constitutionnels, PUF, 4ème
édition, p. 62.
77 FAVOREU Louis, Droit constitutionnel,
Dalloz, 18ème édition, 2016, p. 287.
78 AIVO Frédéric
Joël « Contribution à l'étude de la garantie
juridictionnelle des droits fondamentaux : retour sur vingt ans de
jurisprudence (active) au Bénin », Afrilex, Mai 2016, p.9.
Voir également article 3 alinéa 3 de la loi n°90/32 du 11
décembre 1990 portant Constitution du Bénin qui dispose que
« tout citoyen a le droit de pourvoir devant la Cour Constitutionnelle
contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels
».
79 Article 86 de la Constitution
gabonaise du 26 mars 1991.
80 JACQUE Jean Paul, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Mémentos Dalloz,
7ème édition, 2008, p. 59.
81 Il y a contrôle abstrait
des normes dans la mesure où les litiges soumis aux juridictions
constitutionnelles ne présentent pas une confrontation classique entre
deux parties et ne suppose pas la résolution d'un litige particulier
antérieur. Lire à cet égard FAVOREU Louis, Droit
constitutionnel, Dalloz, 13ème édition, 2010, p.
246.
82 Le contrôle par voie d'exception est
né et s'est développé aux USA au XIXe
siècle. Dans une décision Marbury contre Madison (1803), la Cour
suprême américaine a considéré que le juge ordinaire
avait le pouvoir de faire un tel contrôle. La Cour a estimé que ce
contrôle était inhérent à la fonction de juger. Car
le juge doit toujours faire prévaloir la norme supérieure sur la
norme inférieure ; ici, la Constitution sur la loi. En cas de
contradiction, il ne fera pas application de la
loi.
www.droitconstitutionnel.net/constitution-cours.htm consulté le
29 avril 2020.
83 C'est le cas de la
requête du député MBAIREMTAR Prosper et vingt-et-un autres
en inconstitutionnalité d'un projet de loi tendant à la
modification de la loi n°008/PR/2007 du 9 mai 2007 portant
réglementation de l'exercice du droit de grève dans les services
publics.
24
VILIER, est « une technique procédurale par
laquelle une partie à un procès oppose à son adversaire la
non-conformité à la Constitution de la loi invoquée contre
lui. Si le juge admet l'exception, la loi n'est pas invalidée mais
déclarée inapplicable à l'espèce
»84. Autrement dit, lorsque le citoyen soulève
l'exception d'inconstitutionnalité devant le juge administratif ou
judiciaire, celui-ci doit sursoir à statuer jusqu'à la
décision du juge constitutionnel. Dans ce cas, le juge ordinaire
s'exécute sans pouvoir d'appréciation de l'exception ni de son
caractère abusif. Il subit, pour ainsi dire, l'exception
d'inconstitutionnalité, quelle que soit l'intention dissimulée ou
manifeste du requérant85. C'est en cela que l'article 157
alinéa 486 de la Constitution et l'article 62 de l'ordonnance
n°015/PR/2018 portant attributions, organisation, fonctionnement et
règles de procédure devant la Cour suprême précisent
que : « tout citoyen peut soulever l'exception
d'inconstitutionnalité devant une juridiction dans une affaire qui le
concerne. Dans ce cas, la juridiction sursoit à statuer et saisit le
Chambre Constitutionnelle qui doit prendre une décision dans un
délai maximum de quarante-cinq (45) jours ». Alors,
l'expression " tout citoyen" ne doit pas être entendue au sens
large. Il s'agit d'un citoyen mis en cause dans une affaire devant le juge. En
revanche, lorsque l'ordonnance parle de " la juridiction", elle exclue
que la transmission puisse être faite par des organisme qui ne sont pas
réellement des juridictions ou qui ne sont pas habilités à
le faire. L'exception d'inconstitutionnalité transmise par la chambre
d'accusation de la Cour d'Appel de N'Djamena, dans une affaire, est une
parfaite illustration. Ainsi, la Cour ordonnant le renvoi de la demande des
conseils des parties civiles au Conseil Constitutionnel aux fins de se
prononcer sur l'exception d'inconstitutionnalité de l'ordonnance
N°004/PR/MJ/93 du 27 février 1993 soulevée par
ceux-ci87.
Lorsque la Chambre constate qu'il y a violation de la loi
fondamentale par un texte interne ou international à lui soumise, elle
peut la soulever d'office. L'article 267 de l'ordonnance n°015/PR/2018
dispose en substance que : « si la Chambre constitutionnelle, dans la
loi contestée ou l'engagement international soumis à son examen,
constate une violation de la Constitution qui n'a pas été
invoquée, elle doit la soulever d'office ». Ainsi, le
84 DE VILIER Michel, Dictionnaire
de droit constitutionnel, 3ème édition, Paris,
Armand Colin, 2001, p. 106.
85 AIVO Frédéric
Joël, « Contribution à l'étude de la garantie
juridictionnelle des droits fondamentaux : retour sur vingt ans de
jurisprudence constitutionnelle au Bénin », Afrilex, 2010,
p. 10.
86 Article 157 alinéa 3 de la Constitution
« La Cour statue sur l'exception d'inconstitutionnalité
soulevée par tous citoyen devant une juridiction dans une affaire qui le
concerne. Dans ce cas, la juridiction sursoit à statuer et saisit la
Cour Suprême qui doit prendre une décision dans un délai
maximum de quarante-cinq (45) jours ».
87 Cf. décision
N°002/PCC/SG/001 sur l'exception d'inconstitutionnalité par les
victimes de crimes et répressions politiques relative au dossier
pénal ouvert contre les agents de la Direction de la Documentation et de
la Sécurité (DDS) de Monsieur HISSEIN HABRÉ
précité.
25
juge constitutionnel tchadien dispose d'un pouvoir
étendu. Dès qu'il est saisi de l'affaire, il procède au
contrôle suivant les modes appropriés.
B - Les modes de contrôle
Le contrôle de constitutionnalité est
exercé soit par un tribunal constitutionnel88, soit par le
tribunal supérieur89 qui est le seul habilité à
déclarer l'inconstitutionnalité d'une loi. C'est le
contrôle exercé par le tribunal constitutionnel qui nous
intéresse dans cette étude. Selon EISENMANN Charles, ce
modèle permet la création d'une instance unique qui
présente essentiellement un double avantage : celui d'éviter les
divergences d'interprétations constitutionnelles susceptibles de
naître du travail des juridictions diverses ; une juridiction unique
permet de donner immédiatement une « vérité
constitutionnelles » et assure l'unité
jurisprudentielle90.C'est ce modèle européen que le
Tchad a hérité
Parlant justement des modes du contrôle, il convient
d'évoquer le contrôle qui intervient avant la promulgation de la
loi ou après la promulgation de celle-ci. Il s'agit du contrôle
a priori et le contrôle a posteriori.
Le contrôle de constitutionnalité a priori
de la loi est effectué par le juge constitutionnel sur saisine des
autorités habilitées à le faire. Il revient au
Président de la République, au président de l'AN et
à un dixième (1/10e) des députés de
saisir la Chambre constitutionnelle d'un recours en inconstitutionnalité
d'une loi non encore promulguée91. La Chambre
constitutionnelle dispose un délai bien précis pour rendre sa
décision92. Sa décision ne peut être remise en
cause.
Ce contrôle a priori a pour avantage
d'éviter la naissance de tout grief lié à
l'inconstitutionnalité de la loi. Les éléments contraires
à la Constitution sont supprimés du
88 C'est notamment le cas du Tchad, du Bénin,
du Togo, du Sénégal etc.
89 Tel est le cas de l'Argentine dotée d'une
Cour Suprême de Justice de la Nation (CSNJ). C'est à elle que
revient le dernier contrôle de constitutionnalité de la loi.
Cité par ALLAH-ADOUMBEYE, « Contrôle de
constitutionnalité des lois au Tchad », op., cit., p. 12.
90 EISENMANN Charles, La justice
constitutionnelle et la haute cour d'Autriche, 1928,
Réédité, Paris, Economica, 1986, p. 291. Cité par
KALUBA DIBWA Dieudonné, Du contentieux constitutionnel en
République Démocratique du Congo. Contribution à
l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice
constitutionnelle, Thèse de doctorat, Université de
Kinshasa, 2010, p. 93.
91 Article 61 de l'ordonnance
précitée.
92 Article 266 de l'ordonnance n°015/PR/2018,
« En matière du contrôle de constitutionnalité des
engagements internationnaux et des lois, la chambre constitutionnelle, saisit
d'un texte, statue dans quinze (15) jours.
Toutefois, à la demande du Gouvernement, et en cas
d'urgence, ce délai est ramené à huit (8) jours. Dans ce
cas, la saisine de la chambre constitutionnelle suspend le délai de
promulgation ».
26
texte avant même d'avoir pu porter atteinte à un
justiciable. L'inconstitutionnalité est neutralisée. Ainsi,
VERDUSSEN Marc affirme que :« le rôle d'une Cour
Constitutionnelle, qui entend assurer pleinement son rôle de
contre-pouvoir, est d'écouter et, s'il échait de protéger
ceux dont leurs intérêts ont été
délaissés dans les hémicycles parlementaires et les
cénacles gouvernementaux »93.
Le contrôle a posteriori s'effectue sur renvoie des
juridictions ordinaires. Ici, la loi est entrée en vigueur. La
décision du Conseil Constitutionnel n°002/PCC/SG/001 sur
l'exception d'inconstitutionnalité soulevée par les victimes des
crimes et répression relative au dossier pénal ouvert contre les
agents de la Direction de la Documentation et de Sécurité (DDS)
de l'ex Président HISSEIN HABRÉ précitée est
révélatrice du contrôle a posteriori.
Malgré la volonté du législateur tchadien
d'accorder une marge d'intervention au citoyen dans la mise en mouvement du
contrôle de constitutionnalité, les dispositions
législatives précitées ne nous permettent pas de faire une
observation favorable en terme d'avancée démocratique de la
saisine directe du juge constitutionnel par les citoyens tchadiens comme c'est
le cas au Bénin94.
Le contrôle exercé par le juge constitutionnel
tchadien a une portée indéniable.
Paragraphe 2 : La portée du contrôle de
constitutionnalité
CONAC Gérard affirmait que : « la
suprématie constitutionnelle est le trait le plus évident des
régimes qui ont réussi à se consolider
»95. Le respect du principe de la hiérarchie des
normes se trouve être le principal enjeu de la mise en oeuvre de
l'État de droit. Le contrôle de constitutionnalité est
apparu comme nécessaire ou du moins utile à la consolidation de
l'État de droit. Dans son ouvrage classique, HAURIOU Maurice expliquait
l'importance qu'il fallait accorder au principe de la soumission de
l'État au droit. Pour lui, ce principe contribue à la
réalisation de l'État de droit, car la rédaction d'un
statut constitutionnel entraîne la distinction des lois
constitutionnelles et des lois ordinaires, la subordination de ces
dernières et, par-là, la subordination du droit gouvernemental au
statut96. Aujourd'hui, le contrôle de
93 VERDUSSEN Marc, « Les douze juges, la
légitimité de la justice constitutionnelle », Bruxelles,
Édition Labor, 2004, p. 11. Cité par ALLAH-ADOUMBEYE, «
Contrôle de constitutionnalité des lois au Tchad »,
op. cit., p. 13.
94 AIVO Frédéric Joël, «
Contribution à l'étude de la garantie juridictionnelle des droits
fondamentaux : retour sur vingt ans de jurisprudence constitutionnelle au
Bénin », Afrilex, 2010, p.7.
95 CONAC Gérard, « portrait du Chef de
l'État », Pouvoir, 1983, N°25, p.125.
96 HAURIOU Maurice, Principe de droit
public, 2ème édition, 1916, Paris, Sirey, p.165.
Cité par DIALLO Fatimata, Le juge constitutionnel dans la
construction de l'État de droit au Sénégal,
Mémoire de maîtrise, Université GASTON Berger de
Saint-Louis, 2007, p. 44.
27
constitutionnalité est devenu le critérium des
démocraties modernes au même titre que la séparation des
pouvoirs, l'indépendance du pouvoir judiciaire, le pluralisme des partis
politiques et la liberté d'expression97.
Ainsi, le contrôle de constitutionnalité
participe de la garantie des droits fondamentaux (A) et à l'ajustement
de l'ordre juridique interne (B).
A - La garantie des droits fondamentaux
La fonction essentielle du juge constitutionnel est la
protection des droits fondamentaux contre le législateur ; essentielle,
non seulement par l'intérêt qu'elle présente pour les
citoyens mais aussi pour la réalisation de l'État de
droit98.
Si, dans d'autres pays comme le Bénin, on ne peut pas
nier les prérogatives de la Cour Constitutionnelle béninoise en
matière de la protection des droits fondamentaux99, il en va
autrement pour le Tchad. Ni la Constitution ni l'ordonnance n°015/PR/2018
donnent expressément attribution au juge constitutionnel tchadien le
droit de protéger les droits fondamentaux des citoyens consacrés
constitutionnellement. La Chambre constitutionnelle, dans sa décision
n°003/CS/CC/2018100, s'est déclarée
incompétente pour statuer sur la censure des réseaux sociaux par
l'État tchadien (liberté d'expression et d'opinion). Toutefois,
quoiqu'on dise sur cette grossièreté, la Constitution tchadienne
aborde la question dans sa globalité et en donne compétence
à la haute juridiction de contrôler la constitutionnalité
des lois avant leur promulgation. Cette technique de contrôle permet de
vérifier que la loi votée est conforme à la Constitution
et donc ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux de l'homme. De même
lorsque l'inconstitutionnalité échappe à la loupe du juge
constitutionnel, elle pourra être rattrapée sur le terrain de son
application par le procédé du contrôle a
97 DIALLO Fatimata, Le juge constitutionnel dans
la construction de l'État de droit au Sénégal,
op. cit. ; p. 45.
98 ROUSSILLON Henry, Le Conseil
Constitutionnel, Dalloz, 6ème édition, 2008, p.
51.
99 Ainsi que le rappelle chaque fois la Cour
Constitutionnelle béninoise, selon l'article 3 al.3 de la Constitution,
« toute loi, tout texte règlementaire et tout acte
administratif contraire à ces dispositions sont non avenus. En
conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour
Constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés
inconstitutionnels ». C'est à la suite de ce texte que
l'article 117 al. 1 tiret 1.3 dispose qu'elle : « statue
obligatoirement sur la constitutionnalité des lois et des actes
règlementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de
la personne humaine et aux libertés publiques et, en
général, sur la violation des droits de la personne humaine
»
100 La chambre constitutionnelle de la Cour Suprême
s'est déclarée, dans sa décision du 11 décembre
2018, incompétente à statuer sur la censure des réseaux
sociaux par l'État tchadien. Elle a rendu sa décision suite
à sa saisine par une requête introduite par des organisations de
la société civile pour atteinte aux libertés d'opinion et
d'expression (article 28 de la constitution). Cette requête de la
société civile tchadienne reçue au greffe le 27 novembre
2018, visait à mettre un terme au préjudices liées aux
libertés d'opinion et d'expression, droits constitutionnels
prévus et protégés.
28
posteriori reconnu aux citoyens et consacré
par l'article 61 de l'ordonnance n°015/PR/2018 précitée.
Le contrôle de constitutionnalité des lois se
trouve au coeur de la matière des droits et libertés des
individus. D'après FAVOREU Louis, « ce contrôle, quelles
que soient la forme ou la procédure utilisée, est peu fait pour
donner satisfaction directement aux individus. Sa justification et donc sa
légitimité, consiste surtout à remplir un certain nombre
de fonctions à caractère général absolument
indispensable pour le fonctionnement des institutions dans un État
moderne et assurer la promotion et la protection des droits fondamentaux
»101.
Au regard de cette conception, les juges constitutionnels
africains, à l'instar des juges constitutionnels américains et
européens, rendent des décisions assez importantes visant
à protéger les droits fondamentaux de l'homme. Mais au Tchad en
particulier, le juge constitutionnel n'a rendu aucune décision
spécifique, à notre connaissance, en matière de protection
des droits fondamentaux. Néanmoins, sa décision
n°010/CC/SG/2014 sur la requête du député KEBZABO
Saleh et 28 autres relative au projet de loi portant code pastoral en
République du Tchad est importante bien des égards. Cette
décision est transversale car elle concerne non seulement
l'inconstitutionnalité dudit code, mais elle intègre
également le principe d'égalité des citoyens devant la
loi102 et la sacralisation de la propriété
privée103. Dans cette affaire, les requérants
demandent au CC de déclarer non conforme à la Constitution la loi
portant code pastoral en République du Tchad votée à l'AN
le 11 novembre 2014 au motif que « la loi portant code pastoral
consacre la rupture de l'égalité des citoyens devant la loi, le
principe de l'inviolabilité de la propriété privée
consacré par l'article 41(ancien) de la Constitution est violé...
». Après avoir jugé la requête recevable, le CC
constate la violation de la Constitution et déclare anticonstitutionnel
le projet de loi portant code pastoral en République du Tchad. Par
l'exercice de ce contrôle de constitutionnalité, le juge
constitutionnel était amené à apporter la précision
sur la portée de certains droits constitutionnellement consacrés,
en particulier le principe d'égalité, le principe de
l'inviolabilité de la propriété privée et le droit
de fixer librement son domicile ou sa résidence en un lieu quelconque du
territoire national reconnu aux tchadiens. Certaines de ces libertés
font partie des conventions ratifiées par le Tchad. Ces conventions font
partie du bloc de
101 FAVOREU Louis, Cours constitutionnelles, Coll. Que
sais-je ?, Paris, PUF, 1992, p.27.
102 L'article 13 de la Constitution dispose que « Les
tchadiens de deux sexes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Ils sont égaux devant la loi ».
103 Article 45 de la Constitution : « la
propriété privée est inviolable et sacrée. Nul ne
peut être déposséder que pour cause d'utilité
publique dument constatée et moyennant une juste et préalable
indemnisation ».
29
constitutionnalité. Il s'agit de la Déclaration
Universelle de Droits de l'Homme et la Charte Africaine des Droits de l'Homme
et du Peuple
Le contrôle de constitutionnalité ne participe
pas seulement de la préservation des droits fondamentaux des citoyens
mais, il concourt également à l'ajustement de l'ordre juridique
interne.
B - L'ajustement de l'ordre juridique interne
La fonction de la Constitution est d'assurer sa
prééminence sur les autres normes au plan national. Elle le fait
notamment à travers le contrôle de la conformité des lois,
des actes règlementaires104 exercé par la Chambre
constitutionnelle. Autrement dit, l'ordre juridique est un ensemble
hiérarchisé des normes qui s'appuie sur un principe de
concrétisation du droit par degrés ; chaque norme est en ce sens
et à la fois application d'une norme supérieure et
création pour les normes de degrés
inférieurs105. C'est justement avec l'arme du contrôle
de constitutionnalité que la justice constitutionnelle est en mesure de
s'assurer que la Constitution, en tant que norme suprême fondant la
validité de toutes les autres normes du système, sera
respectée.
Il convient donc de préciser que l'intérêt
du contrôle de l'ajustement des normes juridiques se situe à trois
niveaux.
Premièrement, nous l'avons déjà dit, le
rôle principal de la Chambre constitutionnelle est de veiller à la
conformité des lois à la Constitution106. En effet, la
Constitution représente souvent l'identité d'un État, ses
principes fondateurs. Alors, la justice constitutionnelle a été
créée comme un garde-fou afin de protéger ce texte contre
le législateur et le pouvoir exécutif, et de protéger les
libertés fondamentales dans la Constitution. Les différents
aspects de cette justice spéciale sont fusionnés d'une
manière qui est propre à chaque pays107. C'est
à ce niveau que se situe l'intérêt pour la Chambre
constitutionnelle d'effectuer un contrôle étendu jusqu'au bloc de
constitutionnalité.
Deuxièmement, le contrôle de
constitutionnalité renforce le principe de la séparation des
pouvoirs. La justice constitutionnelle permet une séparation des
pouvoirs. Ainsi, « l'apparition puis l'accentuation des interventions
d'une Cour ou d'un Conseil Constitutionnel relève en principe d'une
logique de limitation de pouvoir exécutif et surtout
104 Les lois votées avant leur promulgation et
après leur entrée en vigueur par le procédé du
contrôle a posteriori.
105 ALLAH-ADOUMBEYE, « Contrôle de
constitutionnalité des lois au Tchad », op. cit.,
p. 16.
106 Le contenu de la règle ne doit pas entrer en
contradiction avec celui de la règle supérieure qui est la
Constitution.
107
www.chevalierdesgrandsarrêts.com/contrôledeconstitutionnalité
consulté le 30 avril 2020.
30
législatif »108. La
contribution de la justice constitutionnelle s'effectue par
l'énonciation des principes participant ainsi à la construction
d'un nouvel ordre juridique.
Troisièmement, le contrôle de
constitutionnalité, en tant qu'élément central de la
justice constitutionnelle, permet de réguler l'exercice de
l'activité normative des pouvoirs publics en faisant en sorte que
celle-ci s'accomplisse dans le strict respect des compétences
fixées par la Constitution. Ainsi, le contrôle de
constitutionnalité remplit une triple fonction : la fonction de
répartition entre la législation ordinaire109 et la
législation constitutionnelle110 ; entre la
législation ordinaire et le pouvoir règlementaire111
et enfin entre les autorités centrales de l'État et les
autorités décentralisées.
Cependant, il faut noter qu'en matière du
contrôle constitutionnalité, la compétence de la Chambre
constitutionnelle est limitée aux normes qui supposent une intervention
de l'AN112. Toutes les normes juridiques autres que la loi,
échappent au contrôle de constitutionnalité. GELARD Patrice
précise qu'elles n'échappent pas pour autant à tout
contrôle juridictionnel de constitutionnalité, mais ce sont
d'autres juridictions qui s'en chargent113. Il convient de souligner
que ces juridictions ne contrôlent ni la constitutionnalité des
lois ni celle des actes administratifs pris en application d'une loi.
Si le juge constitutionnel tchadien joue un rôle
principal dans la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux, les autres
juges, quant à eux, jouent un rôle subsidiaire.
SECTION 2 : LES GARANTIES SUBSIDIAIRES DES
DROITS FONDAMENTAUX ASSURÉES PAR LES AUTRES JUGES
108 BALDET Sory, « Juge constitutionnel et transition
démocratique. Etude des cas en Afrique subsaharienne francophone »,
p.5. Article disponible sur le site http//
www.juridicas.unam.mx/wccl/ponencias/16.
Consulté le 30 avril 2020.
109 Il s'agit de la loi votée par l'AN dans le contexte
tchadien où il y a une seule chambre. Dans d'autre cas (Cameroun et
autres) nous parlons de la loi votée par le parlement.
110 Nous faisons référence aux lois organiques
ayant valeur constitutionnelle.
111 Il s'agit fondamentalement des actes unilatéraux.
112 Ce contrôle ne concerne que les
lois organiques, les lois ordinaires, le règlement de l'AN et
traités internationaux.
113 GELARD Patrice, Institutions politiques et droit
constitutionnel, Montchrestien, 4ème édition,
2001, p. 34.
31
Le pouvoir judiciaire au Tchad est traditionnellement
composé du juge administratif et du juge judiciaire114. Cette
composition matérielle laisse entrevoir que les deux juges doivent
connaître de matières spécifiques et différentes par
leur nature.
En matière des droits fondamentaux, le juge judiciaire
a un rôle traditionnel de gardien des libertés individuelles des
citoyens (Paragraphe 2). Cette mission le conduit à
connaître essentiellement des litiges nés des rapports entre les
particuliers. Mais exceptionnellement, il peut être amené à
connaitre des violations des droits fondamentaux dans des rapports entre les
particuliers et l'administration qui, eux nous intéressent ici, eu
égard aux pouvoirs énormes détenus par les pouvoirs
publics. Ce type de relation est originellement dévolu à la
compétence du juge administratif. C'est ainsi que le juge administratif
affirme son rôle sans cesse grandissant dans la protection des droits
fondamentaux (paragraphe 1).
Paragraphe 1 : La protection des droits fondamentaux par le
juge administratif.
Le contrôle de la validité des actes
administratifs relève de la compétence du juge administratif au
Tchad, compte tenu du rôle important joué par celui-ci dans le
domaine de la protection des droits fondamentaux. Il ressort de l'article 157
alinéa 1 de la Constitution que : « la Cour Suprême est
la plus haute juridiction du Tchad en matière judiciaire,
administrative, constitutionnelle et des comptes ». De cette
formulation, il convient de noter que la Chambre Administrative de la Cour
Suprême, qui est juge administratif dans l'ordre juridique tchadien, mais
les sections administratives des Cour d'Appel et des tribunaux115
jouent également le rôle du juge administratif. Le juge
administratif protège les droits fondamentaux à travers le
contrôle les actes des autorités administratives (A) et les
recours spéciaux (B).
A - Le contrôle des actes administratifs
Le contrôle du juge administratif porte normalement sur
les éléments de la légalité, c'est-à-dire la
légalité externe116 et la légalité
interne117 qui font l'objet du recours. En matière
114 Article 148 de la Constitution : « Le pouvoir
judiciaire est exercé au Tchad par la Cour Suprême, les Cours
d'Appel, la Haute Cour Militaire, les tribunaux et les justices de paix. Il est
gardien des libertés et de la propriété individuelle. Il
veille au respect des droits fondamentaux »
115 Article 148 de la Constitution précitée.
116 Les éléments de la légalité
externe sont : la compétence, les procédures et la forme.
32
des droits fondamentaux et des libertés,
l'élément de la légalité, qui est le plus souvent
discuté, est la qualification juridique des faits118. Le
contrôle de cet élément dépend en principe de la
nature du pouvoir de l'administration sur la base de laquelle la
décision attaquée a été prise.
En effet, la fonction du juge administratif n'est pas
prioritairement de protéger les libertés mais de réguler
l'action de l'administration dans son intérêt même,
c'est-à-dire dans l'intérêt public. Ce second point est
lié au premier par cette idée que seul un juge spécifique,
par son lien avec l'administration, peut assurer correctement cette
régulation. S'il doit sans doute en résulter une limitation de la
puissance administrative et, par-là, une protection des libertés,
ce n'est pas l'objectif prioritaire119. L'arme technique au service
de cette fonction est le recours pour excès de pouvoir.
Le juge administratif contrôle la validité des
actes administratifs par la procédure du recours pour excès de
pouvoir. Ce recours est défini par le Professeur DUPUIS comme «
un recours contentieux par lequel toute personne intéressée
peut demander au juge administratif d'annuler, en raison de son
irrégularité, une décision d'une autorité
administrative »120. L'acte administratif doit ainsi, pour
être attaqué devant le juge, émaner d'une autorité
administrative, être irrégulier, c'est-à-dire être en
contradiction avec une norme supérieure, mais surtout faire un grief,
autrement dit, causer un tort à un administré. C'est ainsi que se
manifeste l'intérêt du recours pour excès de pouvoir pour
la protection des droits fondamentaux. En effet, cet intérêt
« réside dans la saisine par les particuliers d'une instance
spécialisée »121. Mais si le recours pour
excès de pouvoir est d'un intérêt primordial pour la
protection des droits par le juge administratif, c'est sans nul doute par ce
qu'il constitue, de l'avis du Professeur JEZE Gaston, « la plus
merveilleuse création des juristes, l'arme la plus efficace, la plus
économique, la plus pratique qui existe au monde pour défendre
les libertés »122. Ainsi, la Chambre Administrative
de la Cour Suprême, dans un arrêt n°016/CS/CA/SC/2008 du 16
avril 2008 X...c/Ministère de l'agriculture, a décidé
qu'« il y a
117 Les éléments de la légalité
interne sont : le but, les motifs de fait et de droit et l'objet (la
conformité à la loi du contenu de la décision).
118 KERKATLY Yehia, Juges administratifs
et les libertés publiques en droit libanais et français,
Thèse Doctorat, Université de Grenoble, 2006, p. 87.
119 PETIT Jacques, Les armes du juge
administratif dans la protection des libertés fondamentales, Revue
général du droit, Colloque organisé par l'association des
étudiants du droit public le 03 avril 2015 à l'université
de Rennes 1, article disponible sur
www.revuegénéraldesdroit.com
consulté le 01 mai 2020.
120 DUPUIS G, Droit administratif,
8ème édition, Paris, Armand Colin, 2002, p. 572,
cité par DIME LI NLEP Paul, La garantie des droits fondamentaux au
Cameroun, Mémoire DEA, Université Abomey-Calavi, 2004, p.
145.
121 DIME LI NLEP Paul, La garantie des
droits fondamentaux au Cameroun, op. cit., p. 145.
122 JEZE Gaston, cité par FLAMME Maurice,
Droit administratif, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 613.
33
violation du principe d'égalité
d'accès à l'emploi, qu'il y a détournement de
procédure induisant au détournement de pouvoir ; qu'il y a
urgence de prendre les mesures conservatoires puisque ledit arrêté
cause de préjudice au requérant dont les conséquences
risquent d'être difficilement réparables et ordonne le sursit
à exécution ». De cette décision, il convient de
préciser que le juge administratif tchadien intervient surtout en cas de
violation des droits fondamentaux, qu'ils soient individuels ou collectifs. Sur
le même principe d'égalité d'accès aux emplois
publics, le juge administratif a annulé un arrêté
interministériel violant ledit principe123.
Le juge administratif s'est prononcé également
sur la rupture de l'égalité des citoyens devant la loi dans un
arrêt n°008/CS/CJ/SS/11 du 06 septembre 2011 au motif que : «
l'organisme habilité à organiser les élections
communales a fixé à moins de six (6) mois la date du scrutin
communal en méconnaissance des dispositions législatives en
vigueur. Se faisant, la Cour reconnaît que la décision
arrêtant la date du scrutin emporte une rupture d'égalité
des citoyens devant la loi. Considérant le caractère
spécial du contentieux électoral, la Cour a ordonné le
sursis à exécution de la décision fixant la date des
élections communales ».
Il est donc possible de constater que l'intervention du juge
est en parfaite évolution dans la dynamique de protection des droits
fondamentaux des citoyens. Dans le même sens, la Chambre Administrative
de la Cour Suprême a annulé l'arrêté
n°033/PM/MISP/08 du 17 octobre 2008 sur l'illégalité et le
non-respect du principe de parallélisme de forme124.
En tout, la finalité ainsi assignée au
contentieux administratif en tant que mécanisme de protection des
libertés, appelé par ses perfectionnements à exprimer une
conception libérale de la société a parfois
été discutée ; car le contrôle dévolu
à un juge sur l'action administrative ne peut révéler
qu'une stratégie politique « susceptible de fournir un
exécutoire légal au mécontentement dont tout régime
autoritaire redoute la fermentation »125.
Le juge administratif ne contrôle pas seulement les
actes administratifs mais protège également les droits
fondamentaux à travers les recours spéciaux.
B - La protection des droits fondamentaux à
travers les recours spéciaux
123 Arrêt n°10/CS/CA du 06 juillet
2011, service public-contrat de travail-violation du principe d'égal
accès aux emplois publics-licenciement-annulation de
l'arrêté de licenciement.
124 Arrêt de la chambre administrative de
la Cour suprême n°09/2009 du 25 février 2009.
125 RIVERO Jean, Droit administratif, Précis
Dalloz, 13ème édition, p. 299.
34
Le juge administratif tchadien intervient dans la protection
des droits fondamentaux des citoyens à travers les recours
spéciaux. Ces recours spéciaux sont le sursis et le
référé administratif qui sont la composante de l'urgence
administrative.
Il y a les procédures de référés
qui existent devant les juridictions administratives depuis longtemps. La
juridiction administrative s'est dotée d'outils pour pallier aux actes
administratifs qui sont toujours exécutoires et dont le recours contre
eux ne suspend pas leur exécution, il y a le sursis à
exécution. Le sursis est une mesure que peuvent prononcer les
juridictions administratives pour retarder jusqu'à la décision au
fond l'exécution d'un acte administratif attaqué devant elles,
quand cette exécution aurait des conséquences difficilement
réparables. Les cours administratives d'appel peuvent sous la même
condition ordonner en outre le sursis à l'exécution des jugements
ou arrêts qui leur sont déférés lorsque certaines
conditions sont remplies126. Tandis que le
référé administratif est une procédure permettant
au juge des référés administratifs, en cas d'urgence,
d'ordonner toute mesure utile, à la demande de l'Administration ou d'un
administré, sans faire obstacle à l'exécution d'une
décision administrative127. En effet, il existe deux
principaux types de référés qui sont la suspension,
permettant d'arrêter une décision de justice et la liberté
qui préserve les libertés fondamentales d'une personne
menacée. Dans le dernier cas, le juge administratif tchadien s'est
montré souvent protecteur.
Ainsi, la Chambre administrative de la Cour Suprême,
dans une affaire opposant la Société Tchadienne d'Hydraulique
à l'État tchadienne, a décidé que « l'avis
et l'ordre de fermeture ont été notifiés à la
requérante sans expédition préalable de l'avis de mise en
demeure valant commandement de payer , · que de ce fait, la Direction
Générale des Impôts a violé la procédure de
la fermeture d'établissement , · que cette mesure
pénalise la requérante. Et ordonne la réouverture des
portes de la Société Tchadienne d'Hydraulique
»128. Dans la même lancée et dans l'optique
de protéger le droit de fixer son domicile dans n'importe quelle partie
du territoire129, les juges de la Cour Suprême ont
ordonné la suspension de la décision n° 013/DKA/2000 du
15/03/2000 de Monsieur le Préfet du KANEM portant déguerpissement
du sieur ABBA ADOUMA130.
En matière de sursis à exécution, le juge
administratif tchadien a ordonné le sursis à exécution de
la décision d'une autorité qui a suspendu le salaire d'un agent.
La Chambre
126 GUINCHARD Serge, DEBARD Thiery, Lexique des termes
juridiques, op. cit., p. 1987.
127 GUINCHARD Serge, DEBARD Thiery, Lexique des termes
juridiques, op. cit., p. 1964.
128 Arrêt n°01/CS/CA/SC/2005 du 18 janvier 2005 de la
Chambre administrative de la Cour Suprême.
129 Article 47 de la Constitution du 04 mai 2018.
130 Arrêt n° 19/CS/CA/SC/2000 du 04 octobre 2000 de la
Chambre administrative de la Cour Suprême.
35
administrative de la Cour suprême a observé qu'il
y a incompétence du Directeur Général en matière de
retenu du salaire et que le caractère vital du salaire constitue la
seule source de revenu pour le requérant. Et donc il y a lieu de dire
qu'il y a urgence et péril en la demeure131. Le juge
administratif tchadien s'est montré également comme protecteur
des droits fondamentaux à travers la préservation de
l'égalité des citoyens aux emplois publics sans
discrimination132. C'est dans l'affaire ADOUM OROZI Mehenimi c/
Ministère de l'agriculture que le juge a ordonné le sursis
à exécution partielle de l'arrêté n°
034/PR/PM/MA/SG/DAAFM/SP/05 du 13 mai 2005 en ce qui concerne la nomination du
sieur ADJI TCHARI KOSSEI au détriment du sieur ADOUM OROZI Mehenimi en
qualité d'Assistant Comptable.
Si le juge administratif joue un rôle important dans la
protection des droits fondamentaux des citoyens, il n'en demeure pas moins pour
le juge judiciaire.
Paragraphe 2 : Le rôle du juge judiciaire dans la
protection des droits fondamentaux
Le fondement de la compétence du juge judiciaire est
l'article 148133 de la Constitution. La connaissance des litiges
nés entre les particuliers et le pouvoir public ne relevait pas toujours
de la compétence des juridictions judiciaires. Nonobstant, par exception
à ce principe, le juge judiciaire a eu à connaître de tels
litiges. Dès lors, sa compétence de connaitre les litiges issus
du rapport entre les particuliers et les pouvoirs public est affirmée
(A). Les matières originelles relatives à la protection de la
liberté individuelle et des autres droits fondamentaux dans les rapports
entre les personnes privées (B) relèvent également de la
compétence du juge judiciaire.
A - La connaissance des litiges nés du rapport
entre les particuliers et les pouvoirs publics
En droit tchadien, concernant les violations verticales des
droits fondamentaux, le juge judiciaire intervient en premier lieu dans la
régulation des rapports qui tendent à restreindre la
liberté individuelle des citoyens. En France, à ce propos et
selon l'article 136 du Code de procédure pénale issu de la loi du
07 février 1933 sur les garanties de la liberté individuelle,
131 Arrêt n°09/CS/CA/SC/2001 du 07 avril 2001 de la
Chambre administrative de la Cour Suprême.
132 Article 33 de la Constitution du 04 mai 2018.
133 Article cité ci-dessus.
36
« dans tous les cas d'atteinte à la
liberté individuelle, le conflit ne peut jamais être
élevé par l'autorité administrative et les tribunaux de
l'ordre judiciaire sont toujours compétents ». De plus,
l'article 66 de la Constitution française du 04 octobre 1958
précise : « nul ne peut être arbitrairement détenu
; l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle,
assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi
». A ce niveau, il y a une affirmation du rôle du juge
judiciaire dans la protection de cette liberté.
Au Tchad, la liberté individuelle et les droits
fondamentaux sont constitutionnellement consacrés et ils ne doivent en
aucun cas être restreints, sauf lorsque la loi prévoit
expressément cela. Les droits fondamentaux doivent, dans tous les cas,
être le principe et la restriction, l'exception selon la formule
rappelée par le Commissaire du Gouvernement LAGRANGE134.
Le juge tchadien se montre dès lors implacable dans les
cas d'atteintes à la liberté et à la sûreté
des individus. Dans les cas de contrôle de privation des libertés
d'un suspect en procédure pénale, il peut intervenir au niveau de
l'enquête de la police lorsqu'il est saisi des cas
d'irrégularités ou d'abus à ce stade de la
procédure. Le juge judiciaire peut, par exemple, prendre une ordonnance
interdisant à un Officier de Police Judiciaire (OPJ) de procéder
à une arrestation sans mandat de justice dans le cadre d'une
enquête préliminaire. Il peut aussi interdire à un OPJ de
procéder de son propre chef à une garde à vue et à
travers ces deux techniques, protéger valablement la liberté
individuelle des citoyens.
Le juge judiciaire tchadien ne se contente pas seulement de
protéger la liberté individuelle, il peut protéger aussi
les autres droits des citoyens135. Les atteintes contre la vie et
celles contre l'intégrité physique et morale sont
sévèrement réprimées dans l'ordre juridique
tchadien et c'est au juge judiciaire qu'il revient de prononcer les sanctions
prévues dans les textes en vigueur, notamment le Code pénal
tchadien.
Le rôle du juge judiciaire est perceptible encore
lorsqu'il intervient pour protéger les droits fondamentaux des citoyens
en cas de litige avec l'administration. Cette intervention se fait dans le cas
de voie de fait et d'emprises administratives. La voie de fait est un acte
où un agissement exécuté par l'administration sans qu'il
puisse être rattaché à l'un de ses pouvoirs et constituant
une atteinte grave à la liberté fondamentale ou à la
propriété privée. Le fondement juridique de la voie de
fait est que l'administration, en agissant hors des textes qui régissent
ses pouvoirs, ne bénéficie plus de son privilège de
juridiction, lequel a été institué
134 CE, 05 Février 1937, BUJADOUX, Rec.153, D. 1939, 3, 19
Concl. LAGRANGE. Cité par DIME LI NLEP Paul, Les garanties des
droits fondamentaux au Cameroun, op. cit. p. 98.
135 Ces droits peuvent être le droit
à la vie, à l'intégrité physique etc.
37
pour répondre à la spécificité de
ses pouvoirs136. L'emprise, quant à elle, est le fait pour
l'administration de déposséder un particulier d'un bien
immobilier, légalement ou illégalement, à titre temporaire
ou définitif, à son profit ou au profit d'un tiers137.
L'articulation de la compétence du juge judiciaire dans les deux notions
permet ainsi de distinguer d'une part que, la constatation et la qualification
juridique de la voie de fait est du ressort du juge administratif et d'autre
part, la réparation des conséquences imputables à la voie
de fait et à l'emprise irrégulière ainsi que les
injonctions éventuelles adressées à l'administration
ressortissent de la compétence du juge judiciaire.
Le juge judiciaire connaît également des
contentieux nés du rapport entre les particuliers.
B - La connaissance des litiges issus des rapports
entre les particuliers
Les droits et libertés fondamentaux tels que, le droit
d'appartenir à une famille138, l'inviolabilité de la
propriété privée139, le droit à un
environnement sain140, la liberté d'opinion141
etc., sont des droits constitutionnellement consacrés et le juge est
appelé à les protéger. Cette protection est assurée
par le juge judiciaire.
Si l'administration, dans ses actions, peut porter atteinte
aux libertés individuelles et collectives des citoyens, il n'en demeure
pas moins pour les particuliers. Les citoyens, eux-mêmes, violent la
liberté des autres et cette violation entraîne des sanctions
prévues par les textes en vigueur. Ainsi, la section civile de la Cour
Suprême, par sa décision n°137/CS/CJ/SC/08 du 05 juin 2008, a
cassé l'arrêt n°100/05 du 09 septembre 2005 de la Cour
d'appel de N'Djamena au motif de violation du Code relatif au droit de la
succession142. Dans la même lancée, la Cour d'Appel de
N'Djamena a prononcé la déchéance du mémoire
136 KERKATLY HEHIA, Le juge administratif et les
libertés publiques en droit français et libanais,
op. cit., p. 160.
137 GUINCHARD Serge, Lexique des termes
juridiques, op. cit,, p. 871.
138 Article 41 de la Constitution.
139 Article 45 de la constitution.
140 Article 51 de la Constitution.
141 Article 28 de la
Constitution.
142 Dans cette affaire, les juges de la Cour
Suprême affirment qu'il y a violation des articles 734 et 735 du code
civil qui disposent que : « les enfants ou les descendants
succèdent à leur père et mère ou autres ascendants
sans distinction de sexe, ni de progéniture même s'ils sont issus
d'union différentes ». Qu'en l'absence de conjoint
susceptible, les parents sont appelés à succéder ainsi
qu'il suit :
1) Les enfants et leurs descendants ;
2) Les pères et mères, les frères et soeurs
et les descendants derniers ;
3) Les ascendants autres que les pères et mères
;
4) Les collatéraux autres que les frères et soeurs
et descendants de ces derniers. Chacun de ces quatre (4) catégories
constituent un ordre d'héritiers qui exclus les autres.
ampliatif déposé au greffe pour l'appel contre
une décision du Tribunal de première instance qui a
condamné le demandeur au versement d'une somme à titre de
dommages-intérêts suite au partage à part égale d'un
terrain litigieux143.
S'agissant du droit de propriété, le juge
judiciaire tchadien s'est montré très objectif quant à sa
protection. La Section Civile de la Cour Suprême a rendu un arrêt
infirmatif d'un pourvoi en cassation contre le jugement du 13 juin 2005 du
Tribunal de Première Instance de N'Djamena, accordant le droit de
propriété à une personne qui n'est pas légalement
propriétaire. La Cour soutient que la décision du juge d'instance
a violé les dispositions de l'article 544 du Code civil selon laquelle :
« la propriété est le droit de jouir de la chose la plus
absolue pourvu qu'on en fasse pas l'usage prohibé par la loi ou les
règlements » et qu'en vertu du principe général
de droit selon lequel en matière de la vente, seule
l'antériorité de l'acte prime et qu'en se prévalant d'un
acte signé en 2002 alors que l'appelant détient un acte attestant
qu'il a acquis le terrain en 1998, la cour ne pourra que déclarer ce
dernier légitime propriétaire du terrain
querellé144.
Ainsi, l'ampleur de la mission confiée par le
constituant à juge judiciaire, gardienne des libertés est grande.
Cela se justifie à travers l'office du juge judiciaire.
38
143 Cour d'Appel de Ndjamena, Arrêt n°523/08 du 15
août 2008.
144 Cour Suprême, arrêt n°079/CS/CJ/SC/08 du 23
décembre 2008.
39
Conclusion du chapitre 1
La finalité de l'État de droit étant la
sauvegarde des droits fondamentaux par la limitation des pouvoirs publics par
le droit. Cette mission est, en grande partie, remplie par le juge
constitutionnel tchadien. Les juges de l'administration, juge administratif et
juge judiciaire, apparaissent comme un protecteur secondaire des droits et
libertés fondamentaux des citoyens. Malgré les réformes
institutionnelles qui ont profondément changé le statut du juge
constitutionnel au Tchad, cela n'a pas empêché celui-ci de jouer
pleinement son rôle de protecteur des droits et libertés
fondamentaux garantis par la Constitution. De plus, le constituant tchadien n'a
pu donner l'occasion aux citoyens d'accéder directement au juge
constitutionnel comme cela se passe dans certains pays. Les juridictions
administratives constituent une pièce importante dans
l'édification de l'État de droit en soumettant l'État au
droit. Le juge judiciaire vole également au secours des citoyens
offensés par l'administration dans ses actions. Si la Constitution
confère aux juges de l'administration la protection des droits et
libertés fondamentaux, il faut souligner cependant que les citoyens ne
maîtrisent pas assez les procédures devant les juridictions afin
de dénoncer les atteintes portées à leurs droits
fondamentaux.
Si les libertés sont protégées par le
juge, il faudra limiter la puissance du pouvoir exécutif pour un bon
encrage de l'État de droit au Tchad.
40
CHAPITRE 2 : LA LIMITATION CONSTITUTIONNELLE DE
LA PUISSANCE DU POUVOIR EXÉCUTIF
Saint-Just avançait en 1793 que « le peuple
n'a qu'un seul ennemi dangereux, c'est le Gouvernement
»145. Cette affirmation montre que le pouvoir
exécutif est potentiellement porté à menacer les droits et
libertés du peuple. C'est dans ce sens que le constituant a entendu
limiter le pouvoir exécutif en le soumettant au droit.
L'analyse de toute question liée au pouvoir
exécutif requiert une définition préalable de celui-ci.
Ainsi, au sens organique, le pouvoir exécutif désigne l'organe ou
l'ensemble des organes chargés d'exercer à titre principal la
fonction exécutive146.
Le nouveau constitutionnalisme issu des transitions
démocratiques a apporté des profonds changements dans l'histoire
politique et constitutionnelle des États africains en
général et celle du Tchad en particulier. L'un des changements
réside dans la constitutionnalisation du contrôle du pouvoir
exécutif par l'Assemblée Nationale (Section 1).
Ce contrôle qui trouve son fondement dans l'idée même de la
soumission de l'État et de ses administrations au droit147
est perceptible. L'autre changement est la consécration
145 Cité par GICQUEL Jean, Droit constitutionnel et
institution politiques, XVe édition, Montchrestien,
1990, p. 495.
146 MOYEN Godefroy, « L'exécutif dans le nouveau
constitutionnalisme africain : les cas du Congo, du Bénin et du Togo
», op. cit., p. 41.
147 La redécouverte du concept de l'État de
droit par les philosophes et les juristes est l'un des phénomènes
marquants de la fin du XXe siècle et du début du
XXIe siècle. Il supposait une distinction entre l'État
de droit et l'État de police suivant les thèses
développées par certains juristes comme Mohl et Stahl.
L'État doit se soumettre au régime de droit et l'administration,
bien qu'elle puisse agir contra legem... La seconde étape date
de la fin du XIXe siècle et du début du XXe
siècle lors de la floraison des travaux de Gerber qui trouvent leur
couronnement dans l'oeuvre du juriste autrichien HANS Kelsen et leur
philosophie dans le positivisme juridique. La troisième étape
dite contemporaine suppose une substitution au lien civil fondé sur la
guerre et la conquête, une société politique établie
sur la paix, dans laquelle les litiges sont arbitrés par la
négociation juridique et où le souverain doit reconnaître
et garantir le droit à la sûreté des individus. Il se
caractérise plus particulièrement par diverse institutions et
techniques juridiques : indépendance des juges, séparation des
pouvoirs, contrôle de
41
constitutionnelle de la responsabilité des membres du
Gouvernement (Section 2) qui est un élément
important dans la réalisation de l'État de droit.
SECTION 1 : LE CONTRÔLE DE L'EXÉCUTIF PAR
LE PARLEMENT
Le contrôle politique est l'une des missions
assignées aux parlements à l'instar de la fonction
législative. L'exercice de ces missions forme la fonction essentielle du
parlement. Pourtant, à la différence de la mission
législative dont les procédures sont largement
détaillées par la Constitution148 et le
règlement intérieur de l'AN, le contrôle parlementaire n'y
est qu'à peine évoqué alors qu'il occupe une place
prépondérante dans l'activité parlementaire. Cette
prérogative reconnue à l'AN du Tchad est un moyen par lequel l'AN
vérifie le bon comportement, c'est-à-dire la bonne application du
programme d'actions, des lois, des règlements et du budget de
l'État149. C'est également un vecteur de bonne
gouvernance et de la construction d'un État de droit. De manière
pratique, le contrôle parlementaire concourt à élever
l'efficacité et l'efficience dans la gestion des affaires publiques.
Le contrôle exercé par le Parlement
résulte également du principe de responsabilité des
gouvernants, dans les démocraties pluralistes et libérales,
où la souveraineté appartient au peuple. En effet, les titulaires
du pouvoir d'État doivent en assumer l'exercice dans le cadre de leurs
attributions légales respectives, mais également, rendre compte
au peuple150. La fonction de contrôle est une des plus
importantes activités du Parlement moderne151, en ce sens que
l'essentiel de ses efforts portent sur cette fonction152. C'est un
principe fondamental dans tout État de droit qui résulte du fait
qu'aucun organe du Gouvernement n'a d'autorité qui s'étend
au-delà des bornes qui ont été prescrites par la loi.
constitutionnalité des lois et de la
légalité des actes administratifs ainsi que la protection des
droits de la personne. Voir DUHAMEL Olivier, MENY Y., Dictionnaire
constitutionnel, PUF, 1992, p. 415-418.
148 Voir titre V de la Constitution du 04 mai 2018.
149 BYAZA-SANDA LUTALA David, Le rôle des
Commissions dans le contrôle parlementaire, rapport
présenté au colloque de l'Association des secrétaires
généraux des parlements francophones du 23 au 26 août 2011
à Libreville, p. 2.
150 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L'apport du parlement
à l'État de droit au Tchad, op. cit., p. 51.
151 BUJADOUX Jean-Félix, « le nouveau Parlement :
la révision du 23 juillet 2008 », Fondation pour
l'innovation politique, Novembre 2011, p. 22.
152 DEBBASCH Charles, BOURDON Jacques, PONTIER Jean-Marie et
RICCI Jean-Claude, La Ve République, 2e
édition, Paris, Montchrestien, 1985, p. 485.
42
Au Tchad, le contrôle s'exerce à travers
l'interpellation et les questions parlementaires (paragraphe
1), d'une part et le contrôle de l'exécutif à
travers la commission d'enquête et l'évaluation de la politique
publique, d'autre part (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le contrôle de l'Exécutif
à travers l'interpellation et les questions parlementaires
Le contrôle de l'Exécutif est un moyen dont
dispose l'AN pour s'informer. Ainsi, l'article 145 de la Constitution dispose
que : « le Gouvernement est tenu de fournir à
l'Assemblée Nationale les explications qui lui sont demandées sur
la gestion et sur ses activités ». A cet effet, les
activités informatives du Parlement sont déterminantes dans le
fonctionnement des pouvoirs publics, car elles constituent les moyens à
travers lesquels le peuple doit connaitre le contenu et les motifs des mesures
prises par le Gouvernement153. L'initiative de l'information peut
émaner de l'Exécutif soit parce que la loi contraint celui-ci
à la transmettre au Parlement, soit il considère une telle
initiative nécessaire dans le cadre de l'exercice de ses missions.
Cependant, seule la recherche de l'information à l'initiative des
parlementaires154 paraît nécessaire dans cette
étude. Ainsi, l'information parlementaire participe à
l'encadrement des pouvoirs de l'État. Il s'agit de l'interpellation (A)
et les questions parlementaires (B).
A - L'interpellation des membres du Gouvernement
C'est en vertu des articles 145 alinéa 1 de la
Constitution et 138 du Règlement intérieur de l'AN que les
parlementaires font usage du mécanisme de l'interpellation, comme outil
servant d'information au Parlement. Ce mécanisme s'inscrit dans le cadre
de suivi de la mise en oeuvre effective des politiques publiques par
l'Exécutif, car aux termes des dispositions précitées, le
Gouvernement peut, dans l'exercice de ses fonctions, être
interpellé par l'AN sur toutes questions d'actualité et
d'intérêt national155.
En effet, l'interpellation apparaît comme un instrument
d'analyse, de suivi et de contrôle du Gouvernement et des organismes
publics, y compris la mise en oeuvre des
153 Commission des affaires parlementaires de
l'Assemblée Parlementaire de la Francophonie, du 6-9 juillet 2006, p.
6.
154 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L'apport du parlement
à l'État de droit au Tchad, op. cit., p. 52.
155 Ibidem
43
politiques et de la législation. Elle est une demande
d'explication faite par un député au Gouvernement pour qu'il
s'explique sur ses actions ou sur sa politique lors d'une séance
publique de l'AN. Elle engage un débat auquel d'autres parlementaires
peuvent prendre part. L'objectif de l'interpellation est de soutenir
l'État de droit. Les parlementaires doivent protéger les droits
des citoyens en contrôlant les politiques et en examinant
d'éventuels abus de pouvoir, comportements arbitraires, et conduites
illégales ou anticonstitutionnelles de la part du Gouvernement.
L'interpellation se fait au moyen d'une demande qui porte sur
un fait ou un acte de gestion du Gouvernement ; et qui au regard de l'urgence
et de la gravité du fait ou de l'acte nécessite une prise de
position de l'AN. La demande doit être déposée au Bureau de
l'AN au moins 72h avant la tenue de la séance156. La
conférence des présidents de l'AN saisie, apprécie
souverainement la demande et règle son inscription à l'ordre du
jour. Lorsqu'elle juge recevable la requête, elle mandate le
Président de l'AN pour communiquer au Gouvernement ou au membre l'objet
de l'interpellation ainsi que les dates et heures de la séance qui y
seront consacrées. Il s'ensuit qu'au cours de la séance, le
député auteur de l'interpellation dont la présence est
constatée en salle, dispose au maximum de 5 minutes pour en exposer la
teneur. Il faut noter qu'aucun vote, de quelque nature que ça soit, ne
peut avoir lieu à l'occasion de cette interpellation. Cependant, dans la
pratique, les interpellations donnent lieu à de recommandations et
à la constitution des commissions d'enquête.
Bien que l'interpellation prenne la forme des questions
orales, les deux procédés ne doivent pas être confondus.
Dans ce dernier cas, les ministres se bornent à répondre aux
députés qui les interrogent, sans aucune autre intervention dans
le débat et sans vote de clôture. L'interpellation comporte, au
contraire, un développement plus long de la part de son auteur. Elle
ouvre, par conséquent, un débat auquel peuvent participer
d'autres députés157.
En fait, en raison de son importance, l'interpellation est
l'un des modes de contrôle-information les plus usités au sein de
l'AN du Tchad. C'est le procédé privilégié de
l'opposition parlementaire qui y a souvent recours. A titre d'exemple, le
Ministre des postes, des nouvelles technologies de l'information et de la
communication a été interpellé par les
députés le 11 novembre 2019 sur les questions en lien avec les
nouvelles technologies, de l'information et de la communication. Le Ministre a
été interrogé sur la restriction des réseaux
sociaux, la mise en écoute des citoyens par l'Agence Nationale de
Sécurité (ANS). Cette restriction constitue une atteinte aux
droits des citoyens constitutionnellement consacrés. Le
156 Article 132 du Règlement intérieur de l'AN.
157 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L'apport du parlement
à l'État de droit au Tchad, op. cit., p. 62
44
Ministre a énoncé les raisons
sécuritaires pour expliquer cette restriction qui a duré à
peu près un an. Il renchérit que « le Tchad est un pays
de droit. Toutefois, pour des raisons de sécurité, les agents de
renseignement surveillent et ce, pour la protection de nos citoyens
»158.
Dans la même lancée, le Ministre de la
santé publique a été interpellé par les
députés le 04 mai 2020 sur la gestion de la pandémie de
COVID-19 au Tchad. Les députés disent ne pas comprendre la
gestion peu orthodoxe de la crise sanitaire en dépit des moyens
injectés par le Gouvernement pour la prise en charge des malades du
Coronavirus. De plus, la réquisition des hôpitaux pour la prise en
charges des malades apparaît, aux yeux des députés, comme
une exposition des citoyens tchadiens aux intempéries, alors que les
citoyens ont droit à un environnement sain et doivent être bonne
santé. En réquisitionnant les hôpitaux de tout genre, le
Gouvernement foule au pied ces droits. Le député KEBZABO Saleh a
fait des propositions telles que : l'ouverture d'un stade avec les tentes pour
la prise en charge des malades, l'assouplissement de certaines mesures telles
que la réouverture des marchés hebdomadaires dans les coins
reculés, afin de permettre à la population rurale de survivre
économiquement159.
Au regard de tout ceci, la pratique des interpellations reste
dominante au sein de l'institution parlementaire tchadienne et contribue
à la modération du pouvoir des institutions et organes de
l'État. Elle a permis, à travers le passage des membres du
Gouvernement, de faire la lumière sur les opérations du
Gouvernement en fournissant un espace public où les politiques et les
actions de l'Exécutif sont débattues et livrées à
l'opinion publique. Il en est ainsi des questions qui, elles aussi, permettent
d'évaluer d'éventuels abus de pouvoir.
B - Les questions parlementaires
Les questions parlementaires constituent l'outil le plus
usité par les parlementaires. Elles permettent aux parlementaires
d'interroger individuellement le Gouvernement dans l'objectif de clarifier ou
de discuter, en vue d'obtenir des renseignements détaillés, longs
ou techniques concernant les aspects ponctuels de sa
politique160.
158 Dr IDRISS SALEH BACHAR ministre des postes, des nouvelles
technologies de l'information et de la communication. Propos disponible sur
www.tchadinfos.com
consulté le 05 mai 2020.
159 Propos du députés KEBZABO Saleh à l'AN
le 04 mai 2020.
160 KOUAME N'GUESSAN, Les moyens parlementaires du
contrôle de l'action gouvernementale dont les moyens d'interpellation
dans l'espace francophone, Assemblée parlementaire de la
francophonie juillet 2015, p. 8.
45
C'est une des formes constitutionnelles des relations entre le
Gouvernement et le parlement161. Aux termes de l'article 144
alinéa 6 de la Constitution de 2018, « une séance par
quinzaine est réservée aux questions des membres de l'AN et aux
réponses du Gouvernement ». Une question parlementaire est par
définition une demande d'information. Le parlement peut poser
régulièrement des questions au Gouvernement pour lui demander des
comptes. Il va de soi que les parlementaires peuvent obtenir des informations
par d'autres moyens, en communiquant par exemple de manière informelle
avec des responsables importants de l'administration162 .
Les questions parlementaires sont comme le souligne PASCAL
Jean, « de procédés de dialogue direct, elles sont
posées oralement ou par écrit »163. C'est
suivant ce principe que la Constitution et le Règlement intérieur
de l'AN ressortent deux typologies de questions : les questions écrites
et les questions orales164. Cependant, il faut préciser
qu'une forme nouvelle de questions est apparue récemment avec la
Constitution du 04 mai 2018, ce sont les questions
d'actualité165.
Ainsi, les questions écrites, en vertu du
Règlement intérieur de l'AN, sont considérées comme
une demande de renseignement ou de consultation adressée à un
membre du Gouvernement que comme un moyen de l'interpellation sur un dossier
dont il a la charge. Elles doivent à cet effet être sommairement
rédigées, remises au Président de l'AN qui les transmet au
membre du Gouvernement concerné et ne peuvent contenir aucune imputation
d'ordre personnel à l'égard des tiers nommément
désignés. Il s'agit, en effet, d'une obligation faite aux
parlementaires de faire preuve à la fois de concision et de
précision dans la rédaction des questions pour permettre au
Ministre destinataire d'y répondre avec autant de clarté. A ce
propos, les questions écrites ne peuvent être posées que
par un seul député à un seul membre du Gouvernement.
Celui-ci dispose d'un délai de 15 jours à partir de la date de
notification, pour répondre. Toutefois, certaines questions ont un
caractère technique et appellent à des recherches et analyses de
la part du Gouvernement ; ce qui peut, par conséquent, donner lieu
à un délai supplémentaire. Lorsqu'une question
écrite n'a pas obtenu de réponse dans ces
161 TRICOT Bernard, HADAS-LEBEL Raphael, KESSLER David,
Les institutions politiques françaises, op. cit., p.
389.
162 YAMOTO HIRONORI, « Les outils du contrôle
parlementaire : étude comparative portant sur les 88 parlements
nationaux », Union interparlementaire, Genève, 2007, p. 52.
163 PASCAL Jean, Cité par DOUNA NANG-WEYE
Dieudonné, L'apport du parlement à l'État de droit au
Tchad, op. cit., p. 68.
164 Cf. les articles 145 alinéa 2 et 142.
165 Les questions d'actualité figurent désormais
parmi les moyens d'information et de contrôle de l'AN sur l'action du
gouvernement. Elles sont régies par les articles 144 et 145 de la
nouvelle constitution de 2018. Aux termes de l'article 144 (7), « Une
séance par mois est réservée aux questions
d'actualité au gouvernement ».
46
délais, son auteur est invité par le
Président de l'AN à faire connaitre, s'il entend ou non, la
convertir en question orale. Dans l'affirmative, cette question est inscrite
d'office à l'ordre du jour de la séance suivante166.
Cependant, ce procédé n'est pas, dans la pratique, d'usage
récurrent par les parlementaires tchadiens qui préfèrent
les questions orales.
La séance des questions, qui est la période
inscrite régulièrement à l'ordre du jour de l'AN pour les
questions orales au Gouvernement et les réponses de celui-ci, permet au
Gouvernement comme au public d'obtenir des informations
opportunes167. Les questions orales sont prévues par les
articles 142, 143 et 144 du Règlement intérieur de l'AN du Tchad,
et sont considérées comme les plus solennelles. Aux termes de ces
dispositions, tout député qui se propose de poser une question
orale à un membre du Gouvernement en remet le texte au président
de l'AN qui le lui communique.
Les questions orales peuvent être sans débat ou
avec débat. Cependant, dans la pratique tchadienne, elles sont
généralement suivies de débats. Après la
clôture de la discussion générale d'une question orale avec
débat, une lecture des propositions et de résolutions est faite.
Le Président de l'AN peut soumettre au vote lesdites propositions et
résolutions de l'AN. Une commission d'enquête consécutive
à la question peut être constituée en fonction de
l'importance de la question168.
De manière générale, le contrôle
par le biais des questions ne donne lieu à aucun vote. Les
séances des questions orales en République du Tchad se passent en
direct à la télévision et à la radio, et sont
généralement appréciées par la population. A la
vérité, l'activation de ce procédé d'information
incite le Gouvernement à l'action. Il soutient l'État de droit,
en ce qu'au moyen des débats, le parlement veille aux éventuels
abus de pouvoirs, comportements arbitraires et conduites illégales de la
part du Gouvernement.
De par son contrôle exercé sur le Gouvernement
à travers l'interpellation et les questions parlementaires, l'AN utilise
aussi d'autres moyens comme la commission d'enquête et
l'évaluation de la politique publique.
Paragraphe 2 : Le contrôle de l'Exécutif
à travers la commission d'enquête et l'évaluation des
politiques publiques
166 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L'apport du parlement
à l'État de droit au Tchad, op. cit., p. 65.
167 YAMOTO HIRONORI, « Les outils du contrôle
parlementaire : étude comparative portant sur les 88 parlements
nationaux », op. cit., p. 53.
168 Il en est ainsi de la résolution n°001/AN/2017 du
13 juillet mettant en place, la commission d'enquête à
l'effet de poursuivre la recherche des solutions aux questions
éducatives.
47
Si les procédés précédemment
étudiés s'inscrivent dans les procédures qui sont mises en
oeuvre à l'initiative des parlementaires, individuellement ou
collectivement, il en est autrement pour la commission d'enquête (A) et
l'évaluation des politiques (B). Ces mécanismes marquent par
rapport à d'autres, une différence et une accentuation notable de
la fonction de contrôle, étant donné que, eux, sont mis en
oeuvre soit à l'initiative des organes de l'AN, soit par la constitution
des organes pour connaitre des faits déterminés.
A - La commission d'enquête parlementaire
Les commissions d'enquêtes parlementaires, si elles
n'ont pas existé dans la pratique parlementaire des partis uniques,
celles-ci sont la marque caractéristique des nouveaux
textes169 régissant le droit parlementaire tchadien, dans le
souci de transparence dont la finalité est de contraindre le
Gouvernement à rendre compte de la gestion des biens qu'incarnent les
services et les entreprises publics.
Les commissions d'enquête permettent à l'AN, au
titre du contrôle de l'action gouvernementale, de recueillir des
informations sur des faits précis. Le droit d'enquête est
considéré comme la conséquence du droit de contrôle
reconnu à l'AN par la Constitution170.
Ainsi, la création de la commission d'enquête
résulte d'une proposition de résolution ; laquelle
détermine avec précision soit les faits donnant lieu à
l'enquête, soit les services ou les entreprises publics dont la gestion
sera examinée, et le délai. La proposition est ainsi
déposée au bureau de l'AN pour examen et discussion. Au nom de la
séparation des pouvoirs, il ne peut être créé de
commissions d'enquêtes parlementaires sur des faits ayant donné
lieu à des poursuites judiciaires. C'est pour cette raison qu'obligation
est faite de notifier toute proposition de résolution tendant à
la création d'une commission d'enquête parlementaire au Ministre
de la justice.
La spécificité des commissions d'enquêtes
parlementaires réside dans leurs pouvoirs particuliers, du fait qu'elles
mènent en toute liberté l'enquête, procèdent
à des investigations sur le terrain, c'est-à-dire, la
possibilité pour ces commissions de se rendre dans une administration ou
une entreprise, interroger les fonctionnaires et les employés qui y
travaillent ou se faire communiquer tous les documents de service qu'elles
jugent utiles pour mener à bien leurs travaux171. Une fois
les investigations et les auditions terminées, les commissions
169 Cf. Les articles 140 de la Constitution et 148 du
règlement intérieur de l'AN.
170 MACHALELE Moussa, Le contrôle de
l'Assemblée nationale sur les politiques publiques au Niger :
réalisations et perspectives, Mémoire de Master,
Université de Strasbourg, 2018, p. 21.
171 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L'apport du parlement
à l'État de droit au Tchad, op. cit., p. 68.
48
d'enquêtes parlementaires doivent produire un rapport
qui est discuté en séance plénière, et peut
entrainer une recommandation ou une résolution à l'endroit du
Gouvernement.
Au Tchad, depuis la première législature, il est
constaté que le Parlement a de plus en plus recours à la
procédure des commissions d'enquêtes dans le cadre de sa fonction
de contrepoids. Quelques exemples peuvent illustrer notre démonstration.
En effet, au cours de l'année 2000, soit trois ans après
l'expérience de vie parlementaire, deux commissions d'enquêtes ont
été créées. L'une relative à la gestion de
la Société d'Eau et d'Électricité (STEE), et
l'autre, à celle des postes et de télécommunication.
L'autre exemple est récent : c'est l'adoption de la résolution
n°001 du juillet 2017, après l'interpellation de quatre ministres en
charge de l'éducation du 16 au 17 juin, tendant à la
création d'une commission d'enquête sur le système
éducatif. De plus, une commission d'enquête a été
créée en 2008 pour faire la lumière sur le rôle
joué par la France au Tchad. Au fait, il s'agit de l'engagement
militaire, diplomatique et politique de la France dans les attaques rebelles
sur N'Djamena en avril 2006 et en février 2008.
La commission d'enquête est un moyen traditionnel de
contrôle que détient le Parlement. Cependant, il y a encore un
moyen nouveau permettent à l'AN de contrôler les actions du
Gouvernement au Tchad. Il s'agit bien évidemment de l'évaluation
des politiques publiques.
B - L'évaluation des politiques publiques
Les politiques publiques « désignent
l'intervention d'une autorité investie de puissance publique et de
légitimé gouvernementale sur un domaine spécifique de la
société ou de territoire »172 . Les
politiques publiques sont la traduction d'un ensemble d'idées en actions
concrètes en vue d'atteindre des objectifs précis.
Le contrôle des politiques publiques est un
mécanisme à travers lequel les députés surveillent
les actions et les interventions du Gouvernement. Dans un contexte
économique difficile, et où les exigences des citoyens sont de
plus en plus fortes, le contrôle parlementaire apparait comme un gage de
bonne gouvernance.
Le contrôle des politiques publiques est un moyen
nouveau de contrôle que le constituant tchadien reconnait à l'AN.
Il ne figurait pas dans la Constitution du 31 mars 1996
172 BOUSSAGUET Laurie, JACQUOT Sophie et RAVINET Pauline,
Dictionnaire des politiques publiques, Sciences politiques, 2010, p.
420, cité par MACHALELE Moussa, Le contrôle de
l'Assemblée nationale sur les politiques publiques au Niger :
réalisations et perspectives, op. cit., p. 9.
49
révisée par les lois constitutionnelles de 2005
et de 2013173. Dans la nouvelle Constitution, c'est l'article 145
qui le consacre. L'évaluation des politiques publiques a pour ambition
particulière d'apprécier l'ensemble des maillons de la
chaîne de l'action publique et d'appréhender jusqu'aux impacts
finaux d'une politique. Elle comporte toujours un jugement de valeur sur des
politiques ou des actions publiques, mais un jugement élaboré
à travers un processus cognitif rigoureux qui implique la mobilisation
d'un appareil critique et le plus pertinent possible.
Comme c'est un moyen nouveau, les députés
à l'AN ne sont pas assez outillés dans la matière afin
d'évaluer efficacement les politiques publiques au Tchad. Ainsi, l'AN en
partenariat avec l'Ambassade des États-Unis au Tchad, avait
organisé des journées d'information et de sensibilisations des
députés, du 20 au 21 mai 2019, sous le thème «
évaluation des politiques publiques sensibles au genre ». C'est
pendant ces deux jours que les députés ont compris en quoi
consiste l'évaluation des politiques publiques, comment doit s'organiser
cette évaluation, à quelle fin doit évaluer les politiques
publiques, en quoi l'évaluation des politiques publique diffère
des autres moyens de contrôle de l'action gouvernementale, à qui
serviront les résultats de cette évaluation?174 Pour
le premier vice-Président de l'AN, cette formation vise le renforcement
des capacités des députés sur la compréhension de
l'environnement politique dans un contexte de rareté des ressources et
du changement du cadre institutionnel fondamental. Elle contribuera à
l'efficacité du pouvoir législatif, conformément à
l'article 112 de la Constitution de la 4ème
République175.
En tout, l'évaluation des politiques publiques permet
aux députés d'avoir des informations fiables sur la contribution
des politiques publiques à résoudre les problèmes
collectifs, à satisfaire les besoins sociaux reconnus, à
renforcer les conditions optimales de la vie des citoyens. Ce contrôle
permet de limiter l'arbitraire du Gouvernement dans ses actions. Même si
le Gouvernement échappe à ce contrôle, sa
responsabilité peut être engagée devant le juge.
SECTION 2 : LA CONSÉCRATION DE LA RESPONSABILITE
DES MEMBRES DU GOUVERNEMENT
BOBIO Norberto affirmait que « Le problème
politique par excellence n'est pas tant la question de qui détient le
pouvoir, mais du moyen de contrôler et limiter celui-ci. Le bon
173 CF article 141 de la Constitution de
1996.
174 Article disponible sur
www.lepays.com consulté le 07
mai 2020.
175 Propos de KADAM Moussa, premier
Vice-Président de l'AN devant les élus le 20 mai 2019. CF
www.lepays.com consulté le 07
mai 2020.
50
Gouvernement ne se juge pas à l'aune du petit et du
grand nombre de ceux qui le possède mais du petit ou grand nombre des
choses qu'il leur est autorisé à faire »176.
Ce propos montre bien que l'un des problèmes essentiels à
l'établissement d'une République est le contrôle et la
limitation du pouvoir du dirigeant suprême177 , plus
précisément sa responsabilité.
Évoquant le caractère fondamental et
sacré de la responsabilité dans toute organisation politique, le
Professeur AVRIL Pierre affirme que « le principe (de
responsabilité) est inhérent au constitutionnalisme
démocratique178et résulte impérativement des
exigences de ce type d'organisation politique : le pouvoir d'un organe implique
nécessairement la responsabilité de cet organe...
»179. La responsabilité joue en effet un rôle
de limitation et de contrôle permanent du pouvoir et apparait comme la
meilleure garantie contre l'arbitraire. En Afrique, la question de la
responsabilité du Gouvernement se pose avec acuité dans le
système politique de certains pays, notamment pays d'Afrique noire
francophone, en raison de l'actualité marquée par un débat
renouvelé sur cette question180.
De manière traditionnelle, les membres du Gouvernement
encourent une triple responsabilité civile, pénale et politique.
De l'étymologie latine « respondere », être
responsable signifie que l'on doit répondre de ses actes en subissant
une sanction, entendu comme toute mesure, même réparatrice,
justifiée par la violation d'une obligation181. LITTRE Emile
définit à cet effet la responsabilité comme «
l'obligation de répondre, d'être garant de certains actes
»182. La responsabilité civile engage
individuellement et contraint à réparer en nature ou par
équivalent le dommage que l'on a causé à
autrui183. La responsabilité pénale, quant à
elle, signifie que l'on est obligé de répondre des infractions
délictuelles ou criminelles
176 BOBBIO Norberto, Libéralisme et
démocratie, Paris, Cerf, 1990, p. 70.
177 BARTHELEMY Joseph note dans le même sens qu'«
au premier rang des problèmes que soulève
l'établissement de la responsabilité, s'imposent comme les plus
important et les plus délicats ceux qui intéressent le pouvoir
exécutif » et notamment sa limitation, in Le rôle du
pouvoir exécutif dans les Républiques modernes, Paris, Giard
et Brière, 1906, p. 5.
178 La démocratie constitutionnelle ou «
démocratie par la Constitution » peut être définie
comme un système politique démocratique fondé sur le
respect d'une Constitution formelle qui se trouve au sommet de la
hiérarchie des normes. Phénomène relativement
récent, la démocratie constitutionnelle s'est imposée
comme une forme nouvelle et moderne de la démocratie. Dans ce
système politique, la démocratie, la protection des droits des
citoyens et le respect de la Constitution sont garantis par l'instauration
d'une justice constitutionnelle placée de fait au sommet de l'ordre
juridictionnel. Voir FRIEDRICH Carl Joachim, la démocratie
constitutionnelle, PUF, Paris, 1958, p. 19.
179 AVRIL Pierre, « Pouvoir et responsabilité
», Mélanges offerts à Georges BURDEAU, in le pouvoir,
LGDJ, PARIS, 1977, p. 14.
180 Cas récents au Togo en 2010 et au Burkina Faso en
2015.
181 OURO-BODI Ouro-Gnaou, « La responsabilité des
titulaires du pouvoir politique dans les pays d'Afrique noire francophone
», Afrilex, 2018, p. 3.
182 Dictionnaire de la langue française,
Édition Hachette et Cie, Paris, 1877.
183 GUILLIEN Raymond, VINCENT Jean, Lexique des termes
juridiques, Dalloz, 8e édition, Paris, 1990, p. 432.
51
commises et de subir la peine prévue par les textes qui
les répriment, peine consistant en une amende ou un emprisonnement.
Considérée comme un principe autonome et spécifique par
rapport aux autres types de responsabilité, la responsabilité
politique ne relève, selon le Professeur AVRIL « ni de la
faute, ni du risque »184. Elle apparait comme étant
l'obligation pour le Gouvernement ou toute personne titulaire d'un pouvoir
politique de répondre de son acte pour un motif politique. Plus
clairement, la responsabilité politique est « l'obligation pour
le titulaire d'un mandat politique de répondre de son exercice devant
celui de qui il le tient »185. Même s'il existe,
quelque fois, une confusion entre la responsabilité pénale et
celle politique, il est acquis qu'il faille détacher la
responsabilité pénale des membres du Gouvernement de leur
responsabilité politique, car « à faute pénale,
sanction pénale, à faute politique, sanction politique
»186.
La question de la responsabilité des gouvernants au
Tchad paraît cruciale du fait de sa constitutionnalisation. Si dans
certains pays d'Afrique francophone187, la responsabilité
pénale du Chef de l'État apparait peu claire dans leurs
Constitutions, sa responsabilité pénale est apparente dans la
Constitution tchadienne (paragraphe 1). Pour les ministres,
leur responsabilité est duale du simple fait que celle-ci peut
être politique et pénale (paragraphe 2) selon les
infractions énumérées dans la loi fondamentale.
Paragraphe 1 : La constitutionnalisation du statut
pénal du Président de la
République
L'article 103 de la Constitution dispose que « le
Gouvernement est composé du Président de la République et
des ministres ». Cela signifie que le Président est aussi
membre du Gouvernement.
Les systèmes politiques africains ont toujours
été marqués par la prééminence du Chef de
l'État sur toutes les autres institutions. Cette
prééminence était absolue sous le monopartisme : le
Président de la République, Chef de l'État, Chef du
Gouvernement exerçait constitutionnellement et pratiquement un pouvoir
suprême, exclusif et incontestable188.
184 AVRIL Pierre, « Pouvoir et responsabilité »,
op. cit., p. 9.
185 GUILLIEN Raymond, VINCENT Jean, Lexique des termes
juridiques, op. cit., p. 510.
186 COHENDET Marie-Anne, Le Président de la
République, Dalloz, Paris, 2002, p. 31.
187 Le Cameroun, le Gabon, le Congo, le Sénégal,
etc.
188 ONDO Telesphore, La responsabilité introuvable
du Chef de d'État africain : analyse comparée de la contestation
du pouvoir présidentiel en Afrique noire francophone. (Les exemples
camerounais, gabonais, tchadien et togolais), Thèse Doctorat,
Université de Reims Champagne-Ardenne, 2005, p. 53.
52
Si dans les pays d'Afrique noire francophone, de
manière générale, la responsabilité politique du
Chef de l'État est quasiment introuvable, le constituant tchadien n'est
pas resté en marge de la consécration constitutionnelle de
l'irresponsabilité politique du Président de la
République. Le constituant tchadien, dans la Constitution de la
4ème République, a consacré la
responsabilité pénale du Président de la République
(A) même si cette responsabilité reste incertaine dans sa mise en
oeuvre (B).
A - La responsabilité pénale
consacrée du Président de la République
Le régime juridique qui protège, dans les
systèmes démocratiques en Afrique, les dirigeants politiques,
notamment chef d'État et Ministre, est fait des règles
constitutionnelles et législatives tangibles mais peu complètes,
peu précises et par conséquent, objets d'interprétation et
parfois des vives polémiques189. Mais au Tchad, le
constituant a bâti la responsabilité du Président de la
République sur le principe traditionnel et universel de deux
immunités distinctes, l'irresponsabilité et
l'inviolabilité qui impliquent cependant sa responsabilité
pénale pour haute trahison. L'article 83 de la Constitution tchadienne,
reprenant l'article 68 de la Constitution française190,
dispose que : « le Président de la République n'est
responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de
haute trahison telle que prévue à l'article 157 ». Cela
signifie que le Président n'est ni politiquement ni pénalement
responsable dans l'exercice de ses fonctions, sauf en cas de haute trahison.
Cette irresponsabilité est perpétuelle, car elle continue
même après l'expiration du mandat.
Si cette formulation laconique, répandue dans les
textes constitutionnels de certains pays africains191, fait
apparaitre les incertitudes que les constitutionnalistes et politistes ainsi
qu'acteurs politiques se sont évertués à clarifier, il
n'en demeure pas moins dans la Constitution tchadienne du 04 mai 2018.
Afin de remédier aux incertitudes
précitées, le constituant tchadien a apporté des
précisions en ce qui concerne le contenu de la haute trahison. Ainsi,
aux termes de l'article
189 AÏVO Frédéric Joël, « La
responsabilité pénale des gouvernants dans les régimes
politiques africains d'influence française », op. cit.,
p.12.
190 L'article 68 dispose que : « le Président
de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice
de ses fonctions qu'en cas de haute trahison ».
191 Voir article 101 de la Constitution
sénégalaise du 22 janvier 2001 ; Article 138 de la Constitution
Burkinabé du 02 juin 1991 ; Article 136 de la Constitution
béninoise du 11 décembre 1990 ; Article 109 de la Constitution
ivoirienne du 01 août 2000 ; Article 118 de la Constitution
nigérienne du 18 juillet 1999 ; Article 78 de la Constitution gabonaise
du 26 mars 1991 et enfin l'Article 95 de la Constitution malienne du 25
février 1992.
53
157 al 6 de la Constitution, « constitue un crime de
haute trahison, tout acte portant atteinte à la forme
républicaine, à l'unicité et à la
laïcité de l'État, à la souveraineté, à
l'indépendance et à l'intégrité du territoire
national ». L'alinéa 7 du même article de poursuivre que
: « sont assimilés à la haute trahison, les violations
graves et caractérisées des droits de l'Homme, le trafic de
drogues et l'introduction des déchets toxiques ou dangereux en vue de
leur transit, dépôt ou stockage sur le territoire national
». Dans sa forme primaire et d'un point de vue juridique, il ressort
de l'examen des textes192 que la haute trahison est l'ancêtre
des chefs d'accusation par lesquels monarques, puis présidents de la
République et enfin membres du Gouvernement furent soumis à la
justice des hommes. Initialement dans la haute trahison, il y a l'idée
d'entrave, par le fait du souverain, monarque ou Président de la
République, au fonctionnement régulier de l'État. Á
cette première compréhension de la haute trahison, s'est
substitué à partir de 1946, le principe que le Chef de
l'État devrait pouvoir aussi répondre des infractions
pénales commises dans l'exercice de ses fonctions. Mais, ces
premières approches ne rendent pas totalement compte du cheminement qui
fut celui de la notion de haute trahison à travers le temps et les
régimes193. D'abord, elle a été nettement
détachée de la responsabilité politique. Ensuite, la haute
trahison a progressivement été érigée comme le
principal support du mécanisme de mise en oeuvre de la
responsabilité pénale du Président.
La Constitution tchadienne, s'inspirant largement de la
Constitution française du 04 octobre 1958, a fait de la notion de haute
trahison, le motif majeur, sinon exclusif, pour lequel, le Président de
la République peut voir sa responsabilité pénale
engagée devant la Cour Suprême.
En effet, en ce qui concerne la juridiction compétente,
c'est la Cour Suprême qui est chargée de juger le Chef de
l'État pour la haute trahison. L'article 157 al 5 de la Constitution
dispose que « la Cour Suprême est également
compétente pour juger le Président de la République et les
membres du Gouvernement ainsi que leurs complices en cas de haute trahison
». Une Chambre non permanente, représentant la Haute Cour de
justice dans la Constitution de 1996, au sein de la Cour Suprême est
compétente pour connaître de la haute trahison. Elle est
composée de sept (7) députés et de quatre (4) magistrats
de la Cour Suprême élus par leurs pairs194.
192 Ces textes peuvent être
consultés dans l'ouvrage du professeur Maurice DUVERGER. Il s'agit
d'abord de la Constitution française du 05 fructidor an III (22
août 1795), in Maurice DUVERGER, Constitution et documents
politiques, op. cit., pp. 129-134.
193 AIVO Frédéric Joël,
« La responsabilité pénale des gouvernants dans les
régimes politiques africains d'influence française »,
op. cit., p.13.
194 Article 157 alinéa 7
54
La procédure de mise en accusation du Président
de la République est organisée par l'ordonnance
n°015/PR/2018 portant attributions, organisation, fonctionnement et
règles de procédure devant la Cour Suprême. L'article 271
de l'ordonnance dispose que : « la mise en accusation du
Président de la République et des membres du Gouvernement est
votée, au scrutin secret, à la majorité des deux tiers
(2/3) des membres de l'Assemblée Nationale »195. En
cas de mise en accusation, le Président de la République et les
membres du Gouvernement sont suspendus de leur fonction196. Le
Président de l'AN, après adoption de la mise en accusation,
communique sans délai la résolution au Procureur
Général près la Cour Suprême. Le Procureur
Général accuse réception et déclenche l'action
publique en notifiant la mise en accusation au Président de la Chambre
non permanente et au Président de la commission d'instruction. La
commission d'instruction n'est saisie qu'à l'égard des seules
personnes visées dans l'accusation197. Lorsqu'elle estime la
procédure complète, la commission peut décider de la suite
du dossier198. La Chambre non-permanente, après clôture
des débats, statue à la culpabilité par un vote suivant
certaines conditions199 et prononce la sentence200.
De tout ce qui précède, la responsabilité
pénale du Chef de l'État est constitutionnellement
consacrée dans la Constitution au Tchad. Cette consécration de la
responsabilité pénale du Président de la République
est un signe important dans un système qui se veut démocratique.
Elle caractérise également l'État de droit car celle-ci
apparait comme l'un des éléments de l'État de droit.
Néanmoins, la mise en oeuvre de la responsabilité pénale
du Chef de l'État semble être une entreprise difficile à
réaliser dans la pratique.
B - La difficile mise en oeuvre de la
responsabilité pénale du Président de la
République
Si le constituant tchadien a pu définir la haute
trahison ayant ôté l'incertitude dans l'esprit de certains
constitutionnalistes en ce qui concerne le contenu de la haute trahison,
195 Article 271 de l'ordonnance régissant la Cour
Suprême.
196 Article 272 de l'ordonnance n°015/PR/2018.
197 CF article 276 de l'ordonnance n°015/PR/2018.
198 Article 278 de l'ordonnance précitée :
« après règlement du dossier, la commission
d'instruction peut :
- Soit dire qu'il n'y a pas lieu à suivre ;
- Soit, si les faits reprochés aux accusés sont
établis, les renvoyer devant la chambre non permanente ».
199 Article 284 de l'ordonnance n°015/PR/2018 : «
si l'accusé est déclaré coupable, il est voté
sur l'application de la peine. Toutefois, après deux (2) votes dans
lesquels aucune peine n'aura obtenu la majorité des voies, la peine la
plus forte proposée dans le vote sera écartée pour le vote
suivant et ainsi de suite en écartant chaque fois la peine la plus forte
jusqu'à ce qu'une peine soit prononcée à la
majorité absolue des votants ».
200 Article 285 de l'ordonnance citée ci-dessus, «
En cas de condamnation, le Président de la république est
déchu de ses charges et les ministres de leur fonction par la chambre
non permanente ».
55
d'autres incertitudes demeurent encore. La première est
en rapport avec les actes accomplis par le Président de la
République dans l'exercice de ses fonctions mais non susceptibles de
constituer le crime de haute trahison ou encore sans lien avéré
avec l'exercice de la fonction. La seconde concerne les actes antérieurs
à la fonction. Ce sont des actes, certes constitutifs de crime ou
délits, commis non pas par le Président de la République,
mais par le futur Président de la République201. Ces
deux catégories d'actes qualifiés de «
détachables » ou d'« antérieurs
» excluent a priori toute compétence de la Cour
Suprême. Le Président agissant en tant qu'individu pourrait-il
être poursuivi à la fin de son mandat devant les juridictions de
droit commun comme c'est le cas de certains pays202 ?
qu'adviendra-t-il en cas du silence des textes203.
Au Tchad, il n'existe pas, à notre connaissance, des
jurisprudences pouvant illustrées les incertitudes concernant les actes
antérieurs à la fonction du Président. Mais la
jurisprudence française peut nous servir ici en ce qui concerne la
responsabilité pénale à l'égard des actes accomplis
pendant le mandat mais en dehors des fonctions ou ceux accomplis avant
l'entrée en fonction du Président. Le problème s'est
posé à l'occasion de la procédure mettant en cause le
Président Jacques CHIRAC à raison de faits antérieurs
à son élection. Dans une décision importante du 22 janvier
1999, le Conseil Constitutionnel français a radicalement exclu toute
possibilité de poursuite devant les tribunaux judiciaires de droit
commun pour les motifs suivants. Le Président bénéficie
d'une immunité pour les actes accomplis dans l'exercice de ses
fonctions. Et s'agissant des actes commis antérieurement à
l'entrée en fonction ou des actes qui sont détachables de
l'exercice de ses fonctions, le Conseil affirme que la responsabilité
pénale du Président n'est pas possible devant les juridictions de
droit commun. Elle ne peut être engagée que devant la Haute Cour
de justice.
Cette atteinte au principe d'égalité devant la
loi est justifié par la représentation du Président comme
étant le représentant de l'autorité204. Il est
nécessaire d'accorder une protection fonctionnelle au Président
afin de le préserver des poursuites engagées pour des raisons
purement politiques. Mais il faut éviter de faire du Président
une personne intouchable, au-dessus des lois.
201 AIVO Frédéric Joël, « La
responsabilité pénale des gouvernants dans les régimes
politiques africains d'influence française », op. cit.,
p.14.
202 COHENDET Marie-Anne, Le Président de la
République, op. cit., p. 33.
203 OURO-BOD Ouro-Gnaou I, « La responsabilité des
titulaires du pouvoir politique dans les pays d'Afrique noire francophone
», op. cit., p. 18.
204 Article 84 de la Constitution dispose que « le
Président de la République est le Chef de l'État, Chef du
Gouvernement et de l'administration. A ce titre, il détermine et conduit
la politique de la Nation, il exerce le pouvoir règlementaire
».
56
Toutefois, si la responsabilité pénale du Chef
de l'État est prévue par la Constitution, la mise en oeuvre reste
très hypothétique. Il faut tout d'abord questionner
l'indépendance de l'organe en charge de juger le Président de la
République pour haute trahison. La Constitution accorde la
compétence à la Cour Suprême, à travers une Chambre
non permanente205. La Cour, chargée de mettre en oeuvre la
responsabilité du Président paraît être
inféodée au pouvoir politique. Elle constitue un simple
maquillage démocratique selon les propres termes du juriste togolais
Ouro-Gnaou OURO-BODI206. La Chambre chargée de la haute
trahison peut être qualifiée d'une Chambre politique pour
plusieurs raisons. Il s'agit d'une juridiction politique du fait de ses
principaux justiciables, le Chef de l'État et les membres du
Gouvernement qui sont presque des hommes politiques. Il s'agit ensuite d'une
juridiction politique du fait que les infractions qu'elle est appelée
à connaître sont des infractions qui peuvent être
aisément qualifiées de politiques. Elle est enfin de nature
politique du fait de sa composition particulière qui intègre les
hommes politiques, notamment les parlementaires.
Fort de tout cela, la responsabilité pénale du
Président de la République est d'une consécration
constitutionnelle au Tchad mais sa mise en oeuvre est difficile pour des
raisons des immunités présidentielles. S'il doit y avoir une
protection, c'est le Président qui devait être
protégé et non l'individu ordinaire avec ses faiblesses, ses
erreurs et qui devrait répondre de ses actes devant le juge
pénal.
Paragraphe 2 : La consécration constitutionnelle de
la responsabilité des
ministres
OURO-BODI Ouro-Gnaou affirmait qu' « il n'y a pas de
pouvoir sans responsabilité et de responsabilité sans sanction
»207. Ainsi, les ministres, détenteurs des
pouvoirs, doivent voir leur responsabilité être engagée.
Cette responsabilité prend une double nature notamment politique et
pénale. La responsabilité politique des ministres au Tchad est
engagée devant le Président de la République (A). La
motion de censure et la question de confiance qui sont des mécanismes
permettant la mise en oeuvre de la responsabilité collective du
Gouvernement devant l'AN ne figurent plus dans la Constitution tchadienne de
2018. Á côté de la responsabilité politique des
ministres, il y a également la responsabilité pénale de
ceux-ci devant le juge (B).
205 Article 157 alinéa 7 de la Constitution.
206 OURO-BODI Ouro-Gnaou, « La responsabilité des
titulaires du pouvoir politique dans les pays d'Afrique noire francophone
», op. cit., p. 11.
207 Ibidem p. 6.
57
A - La responsabilité politique des Ministres
devant le Président de la
République
L'article 82 al 2 de la Constitution dispose que «
les membres du Gouvernement sont responsables devant le Président de
la République ». Il s'agit là d'une
responsabilité individuelle des Ministres devant le Chef de
l'État. Á l'analyse, les institutions de la IVème
République sont, en pratique, dominées par le Président de
la République. L'une des manifestations de cette omnipotence
réside précisément dans le pouvoir de révocation
des Ministres par le Président. De cette consécration
constitutionnelle, le Ministre peut être limogé ou demis de ses
fonctions pour faute grave par le Chef de l'État.
Dans la pratique, plusieurs Ministres ont été
limogés par le Président de la République pour
différents motifs. Ainsi, en mai 2017, deux Ministres ont
été révoqués par le Président208
a indiqué le décret présidentiel sans donné les
raisons de ce limogeage en bonne et due forme, puisque les deux Ministres n'ont
pas été remplacés à leurs postes respectifs.
Nonobstant, dès lors que le présidentialisme
vise à protéger le pouvoir exécutif et notamment le Chef
de l'État, cette protection s'étend aussi aux Ministres qui
deviennent ainsi politiquement irresponsables209. Cela s'observe
à travers l'arbitraire de certains Ministres qui violent
allègrement les lois établies et qui porte atteinte aux
libertés des citoyens.
Si la responsabilité des Ministres peut être
engagée devant le Président de la République, elle peut
également être engagée devant le juge.
B - La responsabilité pénale des
Ministres devant le juge
« Celui qui fait exécuter les lois doit y
être soumis ». Cette phrase, issue De l'Esprit des lois
de Montesquieu210 , met en évidence le fait que tous les
membres de l'Exécutif doivent être punis pour toutes les
infractions commises comme n'importe quel autre individu. La
responsabilité pénale est l'obligation de répondre des
infractions commises et de subir la peine prévue par les textes qui les
répriment. La Constitution de 2018 prévoit dans son article 108
al 2 que : « les membres du Gouvernement sont justiciables devant les
juridictions de
208 Ils ont été limogés par le
Président de la République à travers un communiqué
relayé sur les ondes des chaînes publiques dans la soirée
du mardi 31 mai. Ces deux personnalités faisaient pourtant partie du
Gouvernement pour avoir occupé de très hautes fonctions au sein
de l'exécutif et au niveau du cabinet présidentiel. « Il
est mis fin aux fonctions du ministre de l'aménagement du territoire
HAMIT MAHAMAT DAHALOB et du ministre des mines et de la géologie David
HOUDEINGAR »
209 OURO-BODI Ouro-Gnaou, « La responsabilité des
titulaires du pouvoir politique dans les pays d'Afrique noire francophone
», op. cit., p. 11.
210 MONTESQIUIEU, De l'esprit des lois, Barrillot,
Genève, 1748.
58
droit commun pour les crimes et délits
économiques et financiers commis par eux dans l'exercice de leurs
fonctions ». De cette formulation, il est admis qu'un Ministre peut
voir sa responsabilité pénale engagée sur la base des
actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions. A ce niveau, il faut
dissocier les actes rattachés au Ministre de ceux qui lui sont
extérieurs. Pour connaître les actes accomplis dans l'exercice de
la fonction ministérielle et considérés, au regard de la
législation en vigueur, au moment de leur commission, comme étant
un crime ou un délit, le constituant a voulu confier cette
compétence aux juridictions de droit commun. La Cour Suprême
connaît également la responsabilité des Ministres pour la
haute trahison211. C'est l'ordonnance n°015/PR/2018 portant
attribution, organisation, fonctionnement et règles de procédures
devant la Cour Suprême qui détaille les procédures
d'engagement de la responsabilité pénale des ministres. Ainsi, la
mise en accusation du Président de la République et des membres
du Gouvernement est votée, au scrutin secret, à la
majorité de deux tiers (2/3) des membres de l'AN212. En cas
d'accusation, le Ministre est suspendu de ses fonctions. La suite de la
procédure devant la Chambre non permanente de la Cour Suprême est
la même que celle de l'engagement de la responsabilité du
Président de la République.
En effet, dans les faits, plusieurs ministres ont fait l'objet
des poursuites judiciaires. Ainsi, en décembre 2019, le Ministre
d'État, ministre Secrétaire Général de la
présidence KALZEUBE PAHIMI DEUBET avait été poursuivi
notamment pour tentative de détournement. KALZEUBE aurait
été soupçonné de malversation par l'Inspection
Générale d'État (IGE). Il avait été
convoqué le 01 décembre 2019 pour être entendu sur des
accusations de complicité d'escroquerie, abus de fonction et tentative
de détournement des deniers publics. Après quelques jours
passés en prison en attendant la décision de la Cour
Suprême, KALZEUBE PAHIMI DEUBET a été déclaré
non coupable par la Cour. Le 06 février 2020, le ministre SGP est
réhabilité dans sa fonction par le décret
présidentiel n°005/PR/2020213.
Dans la même veine, le Ministre de l'économie et
de la planification du développement, Dr ISSA DOUBRAGNE, a
été interpellé par l'IGE le 04 décembre 2019. Il
aurait été demandé au Ministre de rembourser conjointement
avec son Directeur général plus de 800 millions de FCFA. Chose
qui a semblée effective dans un bref délai.
En tout, l'engagement de la responsabilité des
Ministres apparaît important dans un État qui veut soumettre les
autorités aux lois établies. Cela a pour but de limiter
l'arbitraire des autorités dans l'exercice de leur fonction.
211 Article 157 al 5 de la Constitution.
212 Article 271 de l'ordonnance précitée.
213 Décret portant abrogation du décret
n°2050 qui a désigné le 09 décembre 2019 un
intérimaire au poste de Ministre d'État, Ministre
Secrétaire Général de la Présidence de la
République.
59
Conclusion du chapitre 2
L'État de droit est un système institutionnel
dans lequel la puissance publique est soumise au droit. C'est-à-dire que
tous les mandataires politiques sont tenus par le droit qui a été
édicté. Pour ce faire, il faut que le législateur respecte
ce principe en limitant constitutionnellement la puissance publique. Cette
limitation est remarquable à travers le contrôle de
l'Exécutif par le Parlement et la consécration de la
responsabilité des Gouvernant.
Le Gouvernement reste en principe hors de toute atteinte, le
contrôle parlementaire est un contrepoids dans un régime dont la
tendance de la gouvernance est assise sur le respect du droit
édicté par lui-même. Ainsi, la Constitution a prévu
le contrôle de l'Exécutif par la représentation nationale.
Ce contrôle exprime l'idée que le peuple est et demeure le seul
détenteur du pouvoir. C'est donc au nom du peuple que l'AN exerce son
contrôle sur l'action de l'Exécutif. L'objectif visé par le
constituant était de parvenir, au gré des circonstances, à
l'encadrement du pouvoir exécutif si bien que le contrôle
n'aboutit pas à l'engagement de la responsabilité politique du
Gouvernement.
L'encadrement du pouvoir exécutif passe aussi par le
positionnement de l'Exécutif vis-à-vis de sa
responsabilité. L'évolution de la politique de ces
dernières années montre que l'opinion publique demande plus de
transparence dans la gestion des affaires publiques. Les citoyens sont aussi
exigeants sur la moralité et la probité de ceux et celles qui,
dans la mise en oeuvre du système représentatif,
bénéficient de leur confiance pour agir en leur nom. Á
défaut, il faut des coupables et des sanctions. Ainsi, la
responsabilité des membres du Gouvernement est une notion
constitutionnellement claire aujourd'hui. Et si l'effectivité des
règles et mécanismes de leur mise en oeuvre ne sauraient
prêter à interprétation, comme dans les années
antérieures, il reste seulement à s'assurer de leur
efficacité à l'épreuve des réalités de la
vie politique au Tchad.
60
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
La Constitution tchadienne du 04 mai 2018 présente des
avancées considérables dans la préservation de
l'État de droit dans ce pays. Ces avancées sont variables et
présentent un intérêt important dans un contexte où
les pouvoirs publics tentent d'outrepasser leurs limites constitutionnelles. A
cet égard, la Constitution a prévu des garanties des droits
fondamentaux de manière graduelle et a limité la puissance du
pouvoir exécutif.
Afin de répondre aux exigences de l'État de
droit, le constituant tchadien a porté un regard sur la protection des
droits fondamentaux reconnus à la personne humaine. Ainsi, la
Constitution apparait à la fois comme le symbole et l'instrument de
perpétuation de la démocratie et sa suprématie doit
être assurée par le juge constitutionnel. Si les juridictions
constitutionnelles sont l'expression de l'État de droit214,
nous comprenons donc leur rôle dans le contrôle de l'action de
l'Exécutif. Le juge de l'administration joue également un
rôle important dans le contrôle de l'action gouvernementale. Le
juge administratif apparaît comme le juge de l'activité du pouvoir
règlementaire. Le juge judiciaire quant à lui est le gardien des
droits fondamentaux par excellence.
La protection des droits fondamentaux n'apparait pas seulement
à travers la garantie de ceux-ci, mais elle s'observe également
à travers la limitation du pouvoir de l'Exécutif. Il est
indispensable d'éviter que les gouvernants tordent le cou, par leurs
actions, aux libertés contenues dans la Constitution. C'est ainsi que la
Constitution a confié le contrôle de l'Exécutif à
l'AN. Même si les conséquences du contrôle parlementaire sur
l'Exécutif ne sont pas politiquement importantes, la simple institution
de ce contrôle suffit à considérer le pouvoir
Exécutif comme désormais encadré et surveillé dans
son action. En plus, l'aménagement de statut pénal du Chef de
l'État et la responsabilité des membres du Gouvernement est ainsi
présenté à la fois comme une exigence de transparence et
une exigence de justice, malgré sa mise en oeuvre difficile. Une
réforme, qui nécessite une dose de
214 Voir GICQUEL Jean, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, 2002, p. 715
cité par MOYEN Godefroy, « L'exécutf dans le nouveau
constitutionnalisme africain : les cas du Congo, du Benin et du Togo »,
op, cit., p. 55.
courage de la part des autorités, est nécessaire
pour rendre la fonction présidentielle et ministérielle moins
monarchiques, plus transparentes et plus conformes à l'idéal
républicain et aux valeurs démocratiques modernes.
Alors, la Constitution tchadienne de 2018 présente des
avancées visibles mais elle contient également des obstacles
persistants à l'émergence de l'État de droit.
SECONDE PARTIE : LA CONSTITUTION DU 04 MAI 2018 ET LES
OBSTACLES PERSISTANTS A L'ÉMERGENCE D'UN VÉRITABLE ÉTAT DE
DROIT AU TCHAD
61
62
L'effectivité du droit ne se résume pas au seul
droit posé par les légistes215. En effet, le
problème de l'applicabilité des droits fondamentaux conditionne
l'effectivité de ses normes. FAVOREU Louis précise que «
c'est seulement dans la mesure où l'ensemble des droits
constitutionnellement garantis pourront être mis en oeuvre, par les
organes juridictionnels, que la proclamation constitutionnelle sera efficace
»216. Autrement dit, l'effectivité des normes ne
peut être réelle que si nous assistons à la validité
des normes, voire à leur efficacité. D'où, l'existence
d'un lien qui unit l'effectivité à la validité sinon, la
protection des droits fondamentaux trouvera son « talon d'Achille
».
Ainsi, l'applicabilité des normes est confiée
à un organe juridictionnel par la Constitution. C'est le pouvoir
judiciaire qui est habilité à dire le droit. C'est d'ailleurs son
rôle traditionnel. Eu égard à cet important pouvoir
dévolu au pouvoir judiciaire, la protection des droits fondamentaux
constitutionnellement consacrés dépend en général
de l'office du juge. Le juge doit se trouver dans une position assez
confortable et sans contraintes extérieures pour jouer pleinement son
rôle. C'est dans ce sens que la question de son indépendance
s'affirme. La protection efficace des droits fondamentaux est donc tributaire
de l'indépendance du juge dans l'exercice de ses fonctions. En effet, la
Constitution tchadienne du 04 mai 2018 présente des obstacles
persistants dans la préservation de l'État de droit.
L'indépendance du juge apparait discutable dans la protection de ces
droits fondamentaux au Tchad (Chapitre 1).
S'il existe des mécanismes juridictionnels de
protections des droits fondamentaux, il n'en demeure pas moins pour les
mécanismes non juridictionnels permettant la garantie des
libertés fondamentales des citoyens tchadiens. Aux vues du dispositif
institutionnel non juridictionnel de protections de droits de l'homme et des
libertés actuellement en vigueur au Tchad, il est très
aisé de constater d'énormes difficultés entravant ladite
protection au plan matériel. A l'instar de l'indépendance
discutable des juges dans la garantie des droits de l'homme au Tchad, cette
garantie se trouve toujours limitée (Chapitre 2).
215 KEUDJEU DE KEUDJEU John Richard, «
L'effectivité de la protection des droits fondamentaux en Afrique
subsaharienne francophone », Juridis Périodique, n°109,
Janvier-Février-Mars 2017, pp. 161-178.
216 FAVOREU Louis, Droit des libertés
fondamentales, Paris, Dalloz, 2016, 7ème édition,
p. 122.
63
CHAPITRE 1 : L'INDÉPENDANCE DISCUTABLE DU JUGE
DANS LA GARANTIE DES DROITS FONDAMENTAUX AU TCHAD
Quelle que soit la manière dont on envisage le
problème du juge en Afrique, on ne peut éviter de partir d'un
constat malheureusement amer : le juge africain et par là même la
justice en Afrique, est « en panne »217. Ce constat n'est
pas nouveau et a été déjà établi par des
nombreux observateurs qui ont cherché, par des remarquables
études218, à découvrir les causes de cette
panne. Nous avons tendance à croire, de nos jours, que le juge ne
bénéficie guère de l'idée que nous faisons
habituellement et légitimement d'un organe chargé de dire le
droit, de rendre la justice. Le juge, dont la haute mission est de trancher les
conflits et protéger les citoyens contre les violations de leurs droits
et contre tout arbitraire de la part des pouvoirs publics, est
soupçonné d'être dépendant.
L'article 157 alinéa 1 de la Constitution dispose que
« la Cour Suprême est la plus haute juridiction du Tchad en
matière judiciaire, administrative, constitutionnelle et des comptes
». Il ressort de cette formulation que la Cour regroupe des juges
constitutionnels, administratifs et judiciaires. Ces trois juges ont pour
mission de veiller au respect des droits fondamentaux des citoyens
conformément à l'article 148 de la Constitution219.
Leurs attributions législatives montrent, à l'analyse, que leur
indépendance apparaît problématique dans la mesure
où l'indépendance du juge constitutionnel apparaît
contestable (Section 1). Cela s'observe à travers la
réduction de l'ex Conseil Constitutionnel en une Chambre au sein de la
Cour Suprême. En dehors de l'indépendance incertaine de la
juridiction constitutionnelle, il y a également les menaces importantes
portées à l'indépendance des autres juges dans la
protection des droits fondamentaux (Section 2).
217 BADARA FALL Alioune, « Le juge, les justiciables et
les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place
du juge dans le système politique en Afrique », In les
défis des droits fondamentaux, Bruxelles, Bruylant, 2003,
p. 1.
218 Voir en particulier, les analyses faites sur la justice en
Afrique, in Afrique contemporaine, numéro spécial, 1990
cité par BADARA FALL Alioune, « Le juge, les justiciables et les
pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place du
juge dans le système politique en Afrique », op.cit, p. 1.
219 L'article 148 de la Constitution : « Le pouvoir
judiciaire est exercé au Tchad par la Cour Suprême, les Cours
d'Appel, la Haute Cour militaire et les justices de paix. Il est gardien des
libertés et de la propriété individuelle. Il veille au
respect des droits fondamentaux ».
64
SECTION 1 : L'INDÉPENDANCE CONTESTABLE DU
JUGE CONSTITUTIONNEL TCHADIEN
Le principe de la séparation des pouvoirs, tel que
systématisé par MONTESQUIEU220, concerne les trois
pouvoirs constitués que sont les pouvoirs exécutif,
législatif et judiciaire. Les juridictions constitutionnelles, instances
équivalentes, ne peuvent pas s'inscrire, en principe, dans la
formulation du principe de la séparation des pouvoirs lorsqu'elles sont
situées en dehors de l'ordre judiciaire.
Au Tchad, la juridiction constitutionnelle est un organe
situé dans la hiérarchie judiciaire221. Elle
bénéficie des garanties statutaires et organiques pour asseoir
son indépendance. Mais tout ceci ne suffit pas pour qu'on puisse parler
d'une véritable indépendance de la juridiction. Il en faut plus,
car la pratique révèle que l'indépendance du juge
constitutionnel est tributaire de plusieurs facteurs. Ces facteurs
compromettent considérablement l'indépendance de la juridiction
qui est, en principe, appelée à être véritablement
indépendante dans l'exercice de ses fonctions.
Il n'est plus à rappeler le rôle primordial du
juge constitutionnel tchadien dans la garantie des droits fondamentaux des
citoyens. Il a montré son audace à travers le contrôle de
constitutionnalité des lois et des conventions internationales. Mais
à l'analyse des dispositions constitutionnelles et législatives,
l'indépendance organique (paragraphe 2) et
fonctionnelle (paragraphe 1) de la Chambre constitutionnelle
paraissent incertaine.
Paragraphe 1 : L'indépendance fonctionnelle
menacée de la Chambre constitutionnelle
La juridiction constitutionnelle étant une Chambre de
la Cour Suprême, cet état de chose ne rend pas compte de
l'effectivité de l'autonomie de celle-ci. Ainsi, l'indépendance
fonctionnelle de la Chambre constitutionnelle se trouve sérieusement
menacée. Son indépendance à l'égard de la Cour est
discutable (A) ainsi qu'à l'égard des autres pouvoirs (B).
220 Montesquieu : De l'Esprit des lois précité.
221 Article 157 de la Constitution du 04 mai 2018.
65
A - L'indépendance organique discutable de la
Chambre à l'égard de la Cour Suprême
Aux termes de l'article 157 alinéa 8 de la
Constitution, « la Cour Suprême comprend cinq chambres : une (1)
chambre judiciaire, une (1) chambre administrative, une (1) chambre
constitutionnelle, une (1) chambre des comptes et une (1) chambre non
permanente ». La Chambre constitutionnelle joue le rôle de la
juridiction constitutionnelle. Le statut de la Cour confère une
indépendance fonctionnelle à la Chambre constitutionnelle. En
effet, l'autonomie de la Chambre constitutionnelle s'entend de la
faculté pour cette dernière de s'auto-organiser et de
définir la procédure et les règles de son fonctionnement.
On distingue traditionnellement trois formes d'autonomie : l'autonomie
administrative, financière et normative222 . Ce triptyque
permet de mesurer l'étendue de la maîtrise de la Chambre sur les
règles de son organisation et de son fonctionnement.
Ainsi que le soulignait le Doyen FAVOREU, l'autonomie
administrative s'entend de la nécessité pour une juridiction
constitutionnelle de disposer d'une administration interne autonome. Cela
suppose donc l'existence d'un siège autonome de l'institution distinct
et séparé. Ce n'est pas le cas en ce qui concerne la Chambre
constitutionnelle de la Cour Suprême du Tchad. En effet, la Constitution
s'est limitée à donner la composition de la Cour sans toutefois
précisé avec exactitude les membres de la Cour qui seront
affectés à la Chambre constitutionnelle. L'article 158 de la
Constitution dispose que : « la Cour Suprême est composée
de quarante-et-trois (43) membres dont un (1) président et
quarante-et-deux (42) conseillers ». Cet état des choses
n'augure pas une indépendance certaine de la juridiction qui est
appelée à être véritablement indépendante.
L'ordonnance n°015/PR/2018 portant attributions, organisation,
fonctionnement et règles de procédure devant la Cour
Suprême en son article 259223 permet de se rendre à
l'évidence de l'incertitude de l'indépendance la Chambre à
l'égard de la Cour. Or, la bonne norme de l'autonomie administrative
aurait voulu que c'est le Greffier en chef de la Chambre constitutionnelle qui
doit recevoir directement les requêtes.
Le régime des sanctions des membres de la Chambre
apparaît comme un élément important dans l'analyse de son
indépendance. En principe, dans le souci de protection des
222 FAVOREU Louis, « Théorie
générale de la justice constitutionnelle », in FAVOREU Louis
et sa suite, Droit constitutionnel, Dalloz, coll. «
précis. Droit public. Science politique », 11ème
édition, 2008, pp. 254-255 cité dans le rapport de la
2ème conférence mondiale sur la justice
constitutionnelle à rio de Janeiro, 2011, p. 2.
223 Article 259 alinéa 3 de l'ordonnance
n°015/PR/2018, « les requêtes sont enregistrées
dès leur réception par le Greffier en chef de la Cour
suprême qui les transmet au Greffier de la chambre constitutionnelle. Il
ouvre un dossier pour chaque requête ».
66
juges constitutionnels, la loi devrait donner le pouvoir
à celle-ci d'organiser sa propre police. De ce fait, les membres doivent
tenir informé le Président de ladite Chambre des changements qui
peuvent intervenir lors des activités. Elle devrait apprécier
elle-même le manquement aux obligations d'un membre. Ainsi, la Chambre
pourrait facilement sanctionner l'un de ses membres. En accordant le pouvoir
disciplinaire et de police à la Cour, la Chambre se trouve
dépendante de celle-ci et elle ne peut exercer efficacement sa mission
de garant des droits fondamentaux.
Parler de l'indépendance de la juridiction
constitutionnelle c'est parler aussi de son autonomie de fonctionnement,
c'est-à-dire l'autonomie de la Chambre quant à la
détermination de certains éléments essentiels de son
organisation. Cette autonomie d'organisation se manifeste à travers la
désignation du Président de la Chambre. Ni la Constitution ni
l'ordonnance n°015/PR/2018, n'ont précisé les
modalités de désignation du président de la Chambre, mais
tout porte à croire que celui-ci serait désigné par le
Président de la Cour. Cette position du Président de la Chambre
peut considérablement compromettre l'indépendance de la
juridiction, surtout à travers les décisions qu'elle va
rendre.
En tout, la résurgence de la Chambre constitutionnelle
peut constituer un obstacle grave à l'indépendance de la
juridiction constitutionnelle. Or, la juridiction constitutionnelle est au
coeur de la construction de l'État de droit et donc il faut lui donner
une position confortable vis-à-vis des autres pouvoirs pour qu'elle
puisse accomplir sa mission en toute impartialité et
neutralité.
B - La dépendance de la Chambre
constitutionnelle à l'égard des autres
pouvoirs
D'après MAMADOU Samb, « l'indépendance
de la justice s'exprime, de prime à bord, par une autonomie à
l'égard du pouvoir politique »224. Malgré
les garanties textuelles d'indépendance, les rapports entre les pouvoirs
judiciaires et le politique laissent apparaitre la domination du politique sur
le pouvoir judiciaire.
Le juge constitutionnel africain a été pendant
longtemps dans une situation vulnérable à cause de sa
dépendance au pouvoir politique. Aujourd'hui encore et malgré
l'ouverture démocratique, et la mise en place des juridictions
constitutionnelles, le débat se pose encore.
224 MAMADOU Samb, « La gouvernance politique : changement
ou continuité ? », Karthala, 2004, cité par MAMADOU Gueye,
Le Conseil Constitutionnel sénégalais et la vie
politique, Thèse de doctorat, Université Cheikh Anta DIOP,
2011, p. 269.
67
L'indépendance du juge constitutionnel vis-à-vis
des autres pouvoirs n'est pas conquise de manière
parfaite225. Ainsi, la Chambre constitutionnelle étant
déjà dans l'ordre judiciaire, son indépendance
vis-à-vis des autres pouvoirs ne pourrait être tangible. Proclamer
l'indépendance des juges dans les textes est une étape importante
mais cela ne peut suffire à mettre les juges à l'abri des
pressions ou de l'autocensure226.
En effet, le constat est qu'en dépit des garanties
statutaires d'indépendance formelle227, le juge
constitutionnel tchadien est en réalité placé dans un
rapport de dépendance et de subordination statutaire à
l'égard du pouvoir politique. Dans ses rapports avec le pouvoir
politique, le juge constitutionnel doit bénéficier d'un
régime particulier lui permettant de réaliser effectivement son
indépendance. Et pourtant, l'existence même du juge
constitutionnel se justifie principalement, à l'origine, par la
volonté de préserver la conception de la séparation des
pouvoirs. Sa mission essentielle est en effet de réguler
l'activité des pouvoirs publics et particulièrement leur
activité normative. Mais l'extension des normes de
référence du contrôle de constitutionnalité aux
droits fondamentaux a eu pour conséquence de renforcer le rôle du
juge constitutionnel dans les relations entre pouvoirs publics. Cette position
actuelle de la juridiction constitutionnelle au Tchad apparaît peu
fortifiante en matière de régulation des relations entre les
pouvoirs, en ce sens que la Chambre se trouve sous le pouvoir judiciaire, en
l'occurrence la Cour Suprême. Il semble paradoxal que la Chambre puisse
agir en toute indépendance dans l'exercice de ses missions qui sont
d'ailleurs importantes dans la préservation de l'État de
droit.
Au regard de la pratique actuelle au Tchad, surtout dans le
fonctionnement du système judiciaire, le juge constitutionnel parait
résister peu aux pressions politiques venant du pouvoir exécutif
qui estime qu'il peut tout faire. En plus, les raisons avancées par le
comité des réformes nous semblent peu convaincantes lorsqu'il
justifie l'entrée de la juridiction constitutionnelle, qui était
un organe indépendant, sous l'ordre judiciaire par la raréfaction
des ressources. C'était peut-être dans le souci de mieux
maîtriser le juge constitutionnel par le pouvoir exécutif que le
constituant avait pensé opérer cette réforme qui est venue
détruire l'architecture de l'État de droit au Tchad. Rappelons
que les articles 161 et suivants de l'ancienne Constitution faisaient du
Conseil Constitutionnel à la fois le juge de la
constitutionnalité des lois, le responsable du contentieux des
élections nationales et l'organe
225 DIALLO Ibrahima, « La légitimité du
juge constitutionnel africain », Revue Africaine des Sciences
Juridiques et Politiques, Dakar, 2015, p. 15.
226 BADARA FALL Alioune, « Le juge, les justiciables et
les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place
du juge dans le système politique en Afrique », op.cit, p.
4.
227 Article 148 de la Constitution, « le pouvoir
judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir
législatif ».
68
régulateur du fonctionnement des institutions. C'est
devant lui que le Président prêtait serment. Même si pendant
ses deux décennies d'existence, le Conseil Constitutionnel n'a pas
réussi à marquer la vie politique et administrative du pays de
son emprunte et ne s'est pas montré audacieux dans ses décisions,
il faut noter que c'est après un long débat au sein des instances
de la CNS de 1993 qu'il avait décidé d'imposer un Conseil
Constitutionnel, à côté de la Cour Suprême, pour
« répondre à l'importance des enjeux de la construction
de l'État de droit » dans le pays228.
Élément indispensable de contre-pouvoir, la
juridiction constitutionnelle ne doit pas être dépendante dans un
pays où la population a véritablement besoin de la protection
juridictionnelle de ses droits et libertés fondamentaux.
Conféré la matière constitutionnelle à la Cour
Suprême comme l'a fait le constituant tchadien dans la Constitution de
2018 constitue un handicap important dans la perspective de la consolidation de
l'État de droit. Il ne suffit pas d'avoir une juridiction
constitutionnelle, mais rendre autonome et indépendante celle-ci sera un
idéal qu'il faut chercher à atteindre.
La Chambre constitutionnelle n'est pas seulement
fonctionnellement dépendante mais son indépendance organique
reste également à interroger.
Paragraphe 2 : L'indépendance organique incertaine
de la Chambre constitutionnelle
L'importance de la juridiction constitutionnelle dans la vie
publique est incontestable. Juridiction la plus haute au sein de l'État,
la Chambre constitutionnelle est chargée de vérifier que la loi
respecte les droits et libertés garantis par la Constitution. Ainsi, le
juge constitutionnel doit bénéficier d'une indépendance
organique. Or, cette indépendance étant entendue de façon
relative comme une prérogative acceptée par les pouvoirs publics.
C'est justement à cet égard que l'indépendance du juge
constitutionnel est véritablement mise en cause229. Cela
s'observe à travers la nomination qui semble politisée (A) du
simple fait que les autorités qui interviennent dans la
désignation des juges sont des autorités politiques. Dans la
nomination, le pouvoir politique a une forte propension de désigner, du
moins en apparence, les personnalités sensibles à des
obédiences politiques230. En plus,
l'irrévocabilité de la juridiction constitutionnelle dans son
ensemble comme dans ses composantes individuelles
228 STAUDER François-Albert, « Tchad
: une nouvelle république sans État de droit ? », op.
cit., p. 6
229 DIALLO Ibrahima, « La
légitimité du juge constitutionnel africain », op.
cit., p. 20.
230 BADARA FALL Alioune, « Le juge, les
justiciables et les pouvoirs publics : pour une appréciation
concrète de la place du juge dans le système politique en Afrique
», op.cit, p. 34.
69
qui est la garantie statutaire (B) ne serait opposable aux
pouvoir publics, en l'occurrence les autorités de
nomination231.
A - La nomination politique des membres de la
chambre
Le Doyen ROUSSEAU souligne qu' « une institution,
surtout lorsqu'elle se construit, dépend toujours pour une part, de la
personnalité des hommes qui l'incarnent et la font vivre
»232. Cette assertion révèle l'importance
accordée à la politique de nomination par la classe politique qui
reste encore à la recherche d'un mode idéal, non politisé
de désignation.
Parler de la nomination des membres de la Chambre
constitutionnelle revient à passer en revue la nomination des membres de
la Cour Suprême. La nomination est politique du simple fait que les
autorités qui interviennent dans la désignation sont des
autorités politiques. Tout d'abord, la Cour est composée de
quarante-et-trois (43) membres selon l'article 158 alinéa 1 de la
Constitution. S'agissant des membres de la chambre constitutionnelle, il
convient de noter qu'ils sont aux nombre de sept (7).
Au regard de l'alinéa 4 de l'article 158, les membres
de la Chambre constitutionnelle sont désignés de la façon
suivante : « sept (7) parmi les spécialistes du droit
constitutionnel dont : quatre (4) par le Président de la
République et trois (3) par le Président de l'Assemblée
Nationale ». En effet, dans la nomination, le pouvoir politique a une
forte propension et une fois nommé, l'autorité politique attend,
dans une certaine mesure, du juge constitutionnel qu'il délibère
dans le sens de ses options politiques233. Le cas
échéant, le pouvoir politique peut aller jusqu'à remettre
en cause la valeur de la décision de la haute juridiction et faire plier
ce dernier à sa volonté. Cette pratique est plus
récurrente dans nos sociétés politiques et plus
précisément au Tchad. Même s'il n'y a pas, à notre
connaissance, une décision de la juridiction constitutionnelle
tchadienne pour en illustrer, il faut juste jeter un regard dans la pratique
des États d'Afrique noire francophone pour se rendre à
l'évidence. Il en est ainsi du juge burkinabé qui a dû
rendre une seconde décision de conformité d'un accord de
financement entre l'État burkinabé et la Banque Islamique de
Développement, alors que dans une première décision, il
avait estimé que la soumission dudit accord au principe de la
Charia234 contrevenait au principe constitutionnel de la
laïcité de l'État235. Incontestablement,
231 CHEVALLIER Jacques, « Le juge constitutionnel et
l'effet Becket », in renouveau du droit constitutionnel, Mélange en
l'honneur de FAVOREU Louis, Paris, Dalloz, 2007, pp. 83-89, cité par
DIALLO Ibrahima, « La légitimité du juge constitutionnel
africain », op. cit., p. 21.
232 ROUSSEAU Dominique, Droit du contentieux
constitutionnel, Paris, 8ème édition,
Montchrestien, 2008, p. 37.
233 DIALLO Ibrahima, « La légitimité du juge
constitutionnel africain », op. cit., p. 21.
234 La loi islamique.
70
l'exigence formelle d'un juge constitutionnel «
apolitique » échoue d'ailleurs et la politisation demeure une
réalité. Or, le rôle de légitimation
démocratique est reconnu au juge constitutionnel. Ce rôle de
légitimation démocratique est source des crises profondes
remettant ainsi en cause l'État de droit et la démocratie.
En fait, l'indépendance du juge constitutionnel
dépend en pratique de l'environnement juridico-politique dans lequel il
se déploie. En effet, si dans certains pays notamment les pays où
le niveau de culture juridique et démocratique est élevé,
la tâche du juge est relativement aisée, il en va
différemment dans d'autres pays où les décisions
audacieuses des juridictions constitutionnelles peuvent avoir pour
conséquences la suppression pure et simple de ces
juridictions236 ou la tentative des pouvoirs publics d'invalider ces
décisions237. Alors, le Président de la
République en procédant discrétionnairement à la
nomination des conseillers constitutionnels va certainement, comme les
français le disaient du Président de la Vème
République française, exercer « une magistrature d'influence
» en privilégiant ses amis politiques238. Cette
prérogative est plus ou moins critiquable en comparaison avec d'autres
institutions des pays souvent cités comme modèle de
démocratie.
Pour une juridiction constitutionnelle véritablement
indépendante, il est important de revoir le mode de nomination des juges
constitutionnels. Il faudra rechercher un mode idéal239 qui
fera écarter toute soupçon d'obédience politique dans la
désignation des membres de la Chambre. Il s'agit pour la classe
politique de s'assurer de la haute qualité morale des futurs membres et
surtout le changement du système de nomination destiné à
garantir leur totale indépendance et la dignité de leurs
fonctions. Dans une démocratie juvénile, dotée de justice
constitutionnelle, peu expérimentée et moins prouvée par
le temps, avec la mission combien importante que la juridiction
constitutionnelle est appelée à accomplir dans son travail de
235 Décision n°2003/CC/JB du 23 décembre
2003 aux fins de contrôle de conformité à la Constitution
du 2 juin 1991 de l'accord de prêt conclu à Kuala Lumpur, le 17
octobre 2003 entre le Gouvernement du Burkina Faso et la Banque Islamique de
Développement pour le financement partiel du projet de construction de
la route Kaya-Dori.
236 C'est le cas de la dissolution, par le
Président de la République, de la Cour Constitutionnelle
nigérienne en 2009, pour avoir donné un avis contraire au projet
présidentiel de révision et le déclarer contraire à
la Constitution. Voir CC du Niger, avis n°2/CC du 25 mai 2009 et
arrêt n°04/CC/ME du 12 juin 2009.
237 Communication du Conseil Constitutionnel
du Burkina Faso à l'occasion du deuxième congrès de la
conférence mondiale sur la justice constitutionnelle, organisée
par la cour suprême fédérale du Brésil et la
commission de Venise du conseil de l'Europe à Rio de Janeiro du 16-18
janvier 2011.
238 MAMADOU Gueye, Le Conseil
Constitutionnel sénégalais et la vie politique, Thèse
de doctorat, Université Cheikh Anta DIOP, 2011, p. 267.
239 L'idéal voulu pour une
indépendance certaine peut être illustré par le mode de
nomination des juges constitutionnels du Niger. Ces juges sont
désignés suivant un procédé mixte qui allie la
nomination et les élections, les organes politiques et les organes
corporatifs (article 121 de la Constitution de 2010). C'est le même
système à Madagascar (article 114 de la Constitution). On peut
s'en féliciter de la nomination du Président de la Cour
Constitutionnelle malienne par ses pairs (article 92 de la Constitution
malienne).
71
protection des droits fondamentaux, la désignation
exclusive des membres par le Chef de l'État et le Président de
l'AN est révélatrice d'un péril certain.
En dehors de la nomination politique des juges
constitutionnels, il y a également leur statut qui est contestable quant
à la garantie d'indépendance.
B - Le statut contestable des juges
constitutionnels
Dans tous les pays, il y a un minimum de règles
destinées à assurer aux juges constitutionnels une
indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Ces règles
sont relatives à la durée du mandat, l'inamovibilité des
fonctions et la révocabilité. Toute ces règles sont
organisées par la Constitution ou une loi organique.
Au Tchad, l'article 158 alinéa 6 de la Constitution
dispose que « les membres de la Cour Suprême sont
désignés pour un mandat de sept (7) ans renouvelable ».
En effet, malgré cette affirmation, l'effectivité de
l'indépendance et de l'impartialité du juge constitutionnel peut
toujours être douteuse au regard notamment de la durée de son
mandat associée à son caractère renouvelable. On peut
penser que les juges désignés, dans l'espoir de rechercher
à renouveler leur mandat, seront tentés d'adopter des
comportements partisans vis-à-vis du pouvoir politique. Ainsi,
l'indépendance serait sans doute mieux garantie si le mandat des juges
était non renouvelable quitte à ce qu'il soit plus
long240. De plus, la meilleure protection du juge constitutionnel
à l'égard du pouvoir politique résulterait d'une garantie
d'irrévocabilité doublant la garantie
d'inamovibilité241. Ainsi, l'irrévocabilité de
la juridiction constitutionnelle dans son ensemble comme dans ses composantes
individuelles serait
opposable aux pouvoirs publics, en l'occurrence aux
autorités de nomination242. L'inamovibilité ne
constituerait pas une garantie d'indépendance du juge
constitutionnel.
240 C'est notamment le cas du mandat des membres de la cour de
justice internationale qui est de neuf (9) ans non renouvelable. C'est en ce
sens également qu'il avait été proposé, en droit
communautaire européen, d'allonger la durée du mandat des membres
de la cour pour une période de douze (12) ans non renouvelable.
241 AIVO Joël, Le juge constitutionnel et
l'État de droit en Afrique. L'exemple du modèle
béninois, Paris, l'Harmattan, 2006, p. 143 et ss.
242 La force et la pertinence de cette argumentation
résident dans la différence conceptuelle entre
l'irrévocabilité et l'inamovibilité. La première
signifie que le juge constitutionnel ne peut faire l'objet d'une interruption
de ses fonctions en cours de mandat et la seconde signifie qu'il ne peut faire
l'objet de mutation à d'autres fonctions ou responsabilités en
cours de mandat. Ces deux notions se recoupent mais ne se confondent pas. Voir
CHEVALLIER Jacques, « Le juge constitutionnel et l'effet Becket », in
renouveau du droit constitutionnel, Mélange en l'honneur de FAVOREU
Louis, op. cit., pp. 83-94.
72
La question de la révocabilité des juges
constitutionnels est loin d'être claire qu'elle y paraît. Sont-ils
révocables ? Et si oui, par qui ? le constituant a évoqué
l'inamovibilité243 mais c'est simplement que l'on
présume qu'ils sont irrévocables pendant l'exercice de leur
mandat. Comme en France244, au Tchad, aucun article de la
Constitution et de l'ordonnance portant attribution, organisation,
fonctionnement et règles de procédure devant la Cour
Suprême ne prévoit l'irrévocabilité des juges
constitutionnels. C'est au regard des pratiques constitutionnelles dans
certains pays d'Afrique noire francophone, notamment le Cameroun245
qu'on déduit l'irrévocabilité des juges constitutionnels
tchadiens.
Au regard de tout ceci, le mandat long et non renouvelable est
envisageable pour une bonne justice constitutionnelle dans un pays comme le
Tchad. Le mandat long et non renouvelable est un élément
essentiel pour deux raisons : d'abord elle permet aux juges constitutionnels de
travailler sereinement dans la durée et ainsi de forger des techniques
de travail acceptables par tous. Enfin, elle permet aux juges d'être
à l'abri des invectives du responsable ou du camp politique auquel ils
doivent leurs nominations. Le fait que le mandat soit non renouvelable est
indispensable pour que les juges ne cherchent pas à plaire à ceux
qui les ont désignés. Ce non renouvèlement du mandat se
présente comme un gage d'indépendance par rapport à
l'autorité de nomination. Le Professeur KAMTO notait en ce sens,
à propos d'une organisation, que « la non
rééligibilité des juges devrait conforter leur
indépendance dans la mesure où elle les libère des
contraintes voire des compromissions qu'aurait pu dicter à un juge en
fin de mandat une campagne pour sa réélection
»246.
Si le juge constitutionnel tchadien est limité dans son
rôle de garantie des droits fondamentaux, les autres juges ne sont pas du
reste.
SECTION 2 : LES MENACES PORTÉES A
L'INDÉPENDANCE DES AUTRES JUGES DANS LA PROTECTION DES DROITS
FONDAMENTAUX
243 Article 159 de la Constitution : « les membres de la
Cour Suprême sont inamovible pendant leur mandat ».
244 En France, aucun article de la loi organique sur le
Conseil Constitutionnel ni le texte même de la Constitution ne
prévoit, l'irrévocabilité, seule l'absence de
désignation d'une autorité compétente pour révoquer
un conseiller constitutionnel, permet de dire qu'ils sont révocables.
Cette présomption en France n'a jamais été violée,
parce que la France est une vieille démocratie où la culture des
contres pouvoirs est admise même si la légitimité du CC a
été parfois remise en cause. Voir MANANGOU, Les
évolutions récentes du constitutionnalisme en RDC,
Mémoire de master, Université de Cergy-Pontoise, 2009, p. 197.
245 Article 9 de la loi n°2004/005 du 21 avril 2004
fixant le statut des membres du CC au Cameroun dispose que : « les
membres du Conseil Constitutionnel sont inamovibles ; leur mandat ne peut
être ni révoqué, ni renouvelé »
246 KAMTO Maurice, « Les cours de justice des
communautés et des organisations d'intégration africaines »,
AADI, vol. 6, 1998, p. 112.
73
L'indépendance de la justice sous-tend l'État de
droit et elle est indispensable au fonctionnement de la démocratie et au
respect des droits de l'homme. Condition sine qua non dans l'État de
droit, l'indépendance de la justice dépend d'une combinaison de
plusieurs conditions, c'est-à-dire l'organisation et le fonctionnement
de la justice, du statut, des attributions et des moyens des juges. Ces
attributs permettraient aux juges, pièce centrale de l'appareil
judiciaire, d'être à la fois le protecteur naturel des
libertés individuelles contre les atteintes émanant notamment des
pouvoirs publics. Cet appareil judiciaire est un acteur du processus de
démocratisation par une correcte application du droit, en dehors de
toute pression ou autres contraintes extérieurs247.
Bien que les textes proclament, dans une certaine mesure,
l'indépendance de la justice, les résultats ne sont pas à
la hauteur des attentes. L'ineffectivité de l'indépendance des
juges apparait grande dans un pays où les droits et libertés
fondamentaux des citoyens sont bafoués au quotidien par les pouvoirs
publics. Cette situation rend la justice inefficace, et les raisons de cette
inefficacité sont multiples. Elles se résument cependant aux
restrictions qui relèvent des règles statutaires
(paragraphe 1) et des diverses menaces à
l'impartialité des juges (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les restrictions relevant directement des
règles statutaires
Les menaces qui pourraient porter atteinte à
l'indépendance des juges sont celles qui proviendraient du statut qui
organise sa carrière. Ce statut est organisé par la loi
fondamentale qui est la Constitution. Ainsi, l'article 146 de la Constitution
dispose que « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir
exécutif et du pouvoir législatif ». Certes, il y a une
formulation claire de l'indépendance de l'appareil judiciaire au Tchad,
mais l'analyse de certaines dispositions de cette même Constitution
corrobore l'idée selon laquelle le juge n'est pas totalement
indépendant dans l'exercice de ses fonctions. Il apparait donc que les
magistrats n'échappent à l'emprise directe ou indirecte des
autorités. Le juge est sous le contrôle du Conseil
Supérieur de la Magistrature (CSM) présidé par le Chef de
l'État. Il importe alors d'analyser le Conseil supérieur de la
magistrature et l'indépendance des juges (A) et les restrictions au
principe d'inamovibilité (B).
247 BADARA FALL Alioune, « Les menaces
internes à l'indépendance de la justice », In les
défis des droits fondamentaux, Dakar,2007, p. 5.
74
A - Le Conseil Supérieur de la Magistrature et
l'indépendance des juges
Dans plusieurs pays, il existe un Conseil Supérieur de
la Magistrature qui vient assister le Président de la République
garant de l'indépendance de la justice248. Le Tchad n'est pas
en marge de ce principe. En effet, l'article 150 de la Constitution dispose que
« le Président de la République est le garant de
l'indépendance de la magistrature. Il veille à l'exécution
des lois et des décisions de justice. Il est assisté par le
Conseil Supérieur de la Magistrature ». Ce Conseil n'a pas
toujours fait l'objet des commentaires élogieux. Les magistrats ne
cessent de dénoncer les dysfonctionnements, tant au sujet des
nominations qu'au niveau des sanctions prises à leur encontre dans le
cadre de la procédure disciplinaire.
C'est dans ce sens que le Syndicat des Magistrats du Tchad
(SMT) a exprimé son mécontentement à travers un
communiqué n°029/SMT/SG/19 de décembre 2019,
dénonçant, les immixtions dans le cours normal de la justice.
Selon le SMT, « ces ingérences se caractérisent par des
interpellations intempestives des juges, les poursuites sélectives des
magistrats devant le conseil de discipline, les détentions arbitraires
et les libérations illégales dont les deux derniers
cas249 relèvent purement et simplement de l'arbitraire et
porte gravement atteinte au principe constitutionnel d'égalité
des citoyens devant la loi ».
L'autre cas d'immixtion des autorités dans la justice
est récent. Á travers un communiqué n°032/SMT/2020,
le SMT a dénoncé le comportement du Gouverneur de la province de
Wadi-Fira relatif aux immixtions et intimidations dans le cours normal de la
justice. Selon le communiqué, le SMT estime que « les propos
tenus par le Gouverneur frisent le ridicule et sont constitutifs des faits
d'outrage à magistrat, d'empiètement sur les fonctions
judiciaires, des menaces et exposent les magistrats à toutes formes
d'insécurité »250.
Le constat fait dans le passé concernant l'emprise du
CSM reste le même aujourd'hui et les magistrats semblent encore
être sous le contrôle de cet organe, hérité du
système français, qui fait beaucoup de critiques et de
réticences. Le CSM est suspecté souvent de
248 C'est le cas au Bénin, au Burkina-Faso, au
Cameroun, en Egypte, en France, au Gabon, en Guinée, à
Madagascar, au Mali, au Niger et au Niger ou encore au Sénégal
249 Il s'agit d'un scandale qui s'est déroulé le
09 octobre 2019 au palais de justice de Ndjamena. Le journal en ligne
www.tchadtribune.com aurait
rapporté qu'en ce jour, un général de l'armée
aurait été condamné sur siège pour avoir
menacé une tenancière d'un hôtel de la place, chinoise de
nationalité, au moyen d'une arme à feu et de guerre. Grâce
à la caméra de surveillance, cette menace a été
filmée et versée au dossier. Déféré au
parquet, un mandat de dépôt a été
décerné à son encontre. Curieusement, le dossier se
retrouve en citation directe et le général a comparu libre ce
jour 09 octobre. Et il a été condamné à deux ans de
prison ferme. Aussitôt condamné, le général aurait
été libéré sur instruction du Ministre de la
justice.
250 Communiqué de presse du Bureau exécutif du
Syndicat des Magistrats du Tchad suite aux correspondances
n°002/MJCH/CS/CAA/TGI/PR-GUE/2020 et
n°004/MJCH/CS/CAA/TGI/PR-GUE/2020 des chefs de juridiction de Guereda.
75
connivence avec le pouvoir en place et ne dispose, le plus
souvent, d'aucune crédibilité, aussi bien au sein de la
magistrature elle-même qu'auprès de population, de plus en plus
attentive aux décisions rendues par la justice de leur
pays251. En plus, le CSM dont la mission essentielle et
première est d'assurer le bon fonctionnement du service public de la
justice et la garantie de l'indépendance des magistrats, est
présidé par le Président de la
République252.
En conséquence, le magistrat tchadien se trouve ainsi
dans une situation de dépendance vis-à-vis de cette haute
autorité. En présence du Président de la République
et du Ministre de la justice en tant que vice-président253,
le CSM semble gardé toute son influence sur le corps judiciaire. Il en
est de même pour certains pays où cet organe a fait l'objet des
réformes importantes destinées à atténuer la
présence excessive des autorités de l'État dans ce
Conseil. En effet, le Conseil de la Magistrature au Togo est désormais
présidé par le Président de la Cour Suprême ; au
Mali, c'est aussi le Président de la Cour suprême qui
préside le Conseil lorsque la poursuite concerne un magistrat du
siège, et par le Procureur général près la Cour
Suprême s'il s'agit d'une incrimination dirigée contre un
magistrat du parquet254.
Il faut dire que ces modifications sont mineures et ne
semblent pas affecter de manière décisive l'influence directe ou
indirecte du pouvoir politique sur le fonctionnement de la justice,
l'indépendance ou la carrière des magistrats à travers le
Conseil de la magistrature. Des réformes sont envisageables dans ce pays
pour que le fonctionnement de cet organe fasse l'objet de modifications
susceptibles d'introduire suffisamment de transparence dans la gestion de la
carrière des magistrats.
L'indépendance des magistrats n'est pas affectée
seulement par la prééminence du CSM mais aussi par la restriction
au principe de l'inamovibilité.
B - Les restrictions au principe de
l'inamovibilité
En Afrique de manière générale, la
réalité que traduisent les Conseils de la Magistrature dans leur
composition comme dans leur fonctionnement, ne favorise pas les principes
d'indépendance et d'inamovibilité255 solennellement
inscrits dans les textes. L'inamovibilité des magistrats constitue l'un
des éléments d'une garantie de la bonne
251 BADARA FALL Alioune, « Les menaces internes à
l'indépendance de la justice », op. cit., p.14.
252 Article 151 alinéa 1 de la Constitution, «
le Président de la République préside le Conseil
supérieur de la Magistrature ».
253 Article 151 alinéa 2 de la Constitution.
254 Voir BADARA FALL Alioune, « Les menaces internes
à l'indépendance de la justice », op.
cit., p.15.
255 Article 159 de la Constitution, « les membres de la
Cour Suprême sont inamovibles durant leur mandat ».
76
administration de justice, et plus particulièrement une
garantie de l'indépendance des juges à l'égard du pouvoir
central. En vertu de cette garantie d'inamovibilité, un juge ne peut
être affecté à un poste sans son consentement. Dire d'un
juge qu'il est inamovible signifie qu'il ne peut faire l'objet d'une mesure
individuelle quelconque prise à son encontre par le Gouvernement
(révocation, suspension, déplacement, mise à la retraite
prématurée), en dehors des conditions prévues par la loi.
Cependant, ils peuvent faire l'objet d'un déplacement suite à une
sanction ou pour nécessité de service. C'est à cette
occasion qu'autant des atteintes sont portées à ce principe.
L'article 154 de la Constitution dispose que : « la
discipline et la responsabilité des magistrats relèvent du
Conseil Supérieur de la Magistrature ». Ainsi, se fondant sur
la nécessité du service et la sanction, le CSM, dirigé par
le Président et le Ministre de la justice, pourrait facilement exploiter
cette brèche pour déplacer les juges dans n'importe quel lieu et
sans son consentement et sans que cela soit commandé par les
nécessités du service. Ces atteintes au principe
d'indépendance et d'inamovibilité sont souvent
dénoncées par les magistrats tant au niveau de nomination qu'au
niveau des sanctions prises à l'encontre des juges, notamment dans le
cadre de la procédure disciplinaire.
De ce fait, il est souhaitable que le législateur
procède à des réformes textuelles substantielles, pour que
les magistrats soient à l'abri des influences de l'Exécutif. Ces
réformes s'imposent, d'autant plus qu'à cette violation chronique
du principe d'indépendance de la justice et de celui de la
séparation des pouvoirs, s'ajoute une ingérence aussi
néfaste que réelle du pouvoir politique dans l'exercice de la
justice et largement dénoncée et contestée. Il existe des
atténuations légales, certes, au principe du consentement des
juges en ce qui concerne les mutations lorsque ceux-ci sont affectés
pour des nécessité du service. Pour éviter un usage abusif
de nécessité de service, ces mesures qui constituent toujours des
exceptions au principe d'inamovibilité, devaient être assujetties
au contrôle, ou au moins à l'approbation préalable d'un
organe indépendant. Quelle que soit son appellation, il importe que cet
organe soit réellement indépendant du pouvoir exécutif.
A côté des restrictions relevant directement des
règles statutaires il y a également l'impartialité du juge
qui est menacée.
Paragraphe 2 : L'impartialité menacée du
juge
77
L'indépendance et l'impartialité sont des
valeurs séparées, mais elles sont étroitement
liées256. L'indépendance des juges et des tribunaux
renvoie à l'absence de lien de soumission envers le législateur
et le Gouvernement dans l'exercice de la fonction judiciaire.
L'impartialité quant à elle, renvoie à un état
d'esprit ou une attitude du juge faisant abstraction de toute autre
considération que celle d'appliquer aux faits la règle de droit
pertinente. Cette impartialité est organisée par un
texte257.
Ce sont des facteurs objectifs qui créent
l'indépendance des juges et des tribunaux, mais cette
indépendance n'a de valeur que parce qu'elle établit certaines
des conditions nécessaires pour assurer l'impartialité des
décisions de justice en éliminant les possibilités
d'ingérence du Législatif et de l'Exécutif. Mais elle ne
suffit pas à elle seule à écarter toutes les interventions
externes susceptibles de compromettre l'impartialité du juge dans une
affaire précise, ou encore l'apparence d'impartialité de la
juridiction au sein de laquelle il exerce sa fonction. Les circonstances
susceptibles de compromettre l'impartialité des juges sont les
pesanteurs hiérarchiques (A), la nomination et le renouvellement du
mandat (B) font parties également des obstacles.
A - Les pesanteurs hiérarchiques
Le Professeur BADARA FALL Alioune affirmait qu'« Il
peut paraitre curieux et même paradoxal d'évoquer la notion de
hiérarchie en matière de justice dès lors qu'elle implique
une idée de subordination qu'il est difficile de concevoir dans ce
domaine. Il faut cependant accepter l'idée que la justice, en tant que
service public, est également concernée par la hiérarchie
»258. Ainsi, l'organisation hiérarchique permet non
seulement de structurer le corps judiciaire, mais elle protège le
citoyen contre l'arbitraire grâce au recours qu'il pourra
éventuellement exercer lorsqu'il fait l'objet d'une décision de
justice qui ne lui donne pas satisfaction.
Ce principe de la hiérarchie touche à la fois
les magistrats (qui forment ainsi un corps hiérarchisé) et les
juridictions ; il permet de situer les responsabilités et donne une
certaine cohésion au corps judiciaire. En matière de justice
toutefois, cette hiérarchie est particulière et n'entraîne
pas une dépendance du juge à l'égard de ses
supérieurs ou de sa juridiction
256 DUPLE Nicole, « Les menaces externes
à l'indépendance de la justice », in
L'indépendance de la justice, 2007, Dakar, p.11.
257 Article 4 de la loi n°11/PR/2013 du
7 juin 2013 portant Code de l'organisation judiciaire au Tchad «
l'impartialité des juges est garantie par les dispositions du
présent code ainsi que par les règles d'incompatibilité
fixées par le statut de la magistrature »
258 BADARA FALL Alioune, « Les menaces
internes à l'indépendance de la justice », op.
cit., p.12.
78
lorsqu'il s'agit des juges du siège. Tel n'est pas le
cas pour les magistrats du parquet qui obéissent à d'autres
règles à ce sujet.
La hiérarchie au sein des juridictions ne
soulève pas de problèmes particuliers. La meilleure justice est
celle permettant au requérant qui n'est pas satisfait de la
décision rendue par la première juridiction, de saisir la
juridiction hiérarchiquement supérieure. Et si celle-ci devait
rendre une décision contraire, cela ne constituerait pas une atteinte
à l'autonomie de la décision de la juridiction inférieure
dès lors que chaque juridiction est libre de statuer comme elle l'entend
et quelle que soit sa place dans la hiérarchie259.
En revanche, la hiérarchie entre les personnes
crée des rapports plus complexes et soulève plus de questions
quant à l'indépendance du magistrat. D'abord, ce pouvoir
hiérarchique ne concerne nullement la prise de décision ;
celle-ci relève de la seule conscience de chaque juge qui n'a de compte
à rendre ni à son chef de juridiction, ni à qui ce soit.
Cela dit, les chefs de juridictions sont investis de pouvoirs administratifs
qui peuvent constituer des menaces à l'indépendance du juge s'ils
ne sont pas limités aux nécessités du service. Il leur
revient en effet le pouvoir de réglementer l'organisation des audiences,
de pourvoir aux affectations et d'évaluer l'activité
professionnelle de magistrats placés sous leur autorité
(élément important pour leur avancement). Même si des
garanties entourent ces pouvoirs pour éviter tout arbitraire de leur
part, le juge n'est pas à l'abri de pressions ou de sanctions de la part
de ses supérieurs hiérarchiques, si les rapports qui les lient
dans le service ne sont pas d'une parfaite sérénité.
Ces pesanteurs hiérarchiques ne favorisent pas
l'épanouissement du juge dans l'exercice de sa mission qui est celle de
garant des libertés individuelles. Il faudra repenser au fonctionnement
de la justice de telle manière que l'impartialité du juge ne soit
pas compromise par les pesanteurs hiérarchiques. Si ces dernières
compromettent l'impartialité du juge, il n'en demeure pas moins en ce
qui concerne la nomination et le renouvellement de mandat.
B - La nomination et le renouvellement du mandat
La nomination et le renouvellement du mandat des juges
apparaissent souvent comme des situations qui pourront porter atteinte au
principe de l'impartialité des juges. Comme partout ailleurs, les juges
tchadiens ne sont pas à l'abri de ces situations. C'est la Constitution
tchadienne qui consacre le mécanisme de nomination des juges à la
Cour Suprême. Mais ce
259 Ibidem.
79
mécanisme de nomination n'augure pas assez
l'impartialité du juge dans l'exercice de ses fonctions. Le principe de
nomination des juges interpelle des principes juridiques fondamentaux :
l'indépendance judiciaire, l'impartialité des juges, la
démocratie voire la transparence.
Au niveau de la Cour Suprême, le pouvoir de nomination
des juges est partagé entre deux (2) autorités politiques que
sont le Président de la République et le Président de
l'AN260. Ce mécanisme de nomination, bien que
constitutionnellement consacré, parait peu efficace pour permettre aux
juges d'exercer leurs missions en toute liberté. Dans une telle
hypothèse, la liberté de choix de l'autorité de
nomination, bien que restreinte, est néanmoins certaine, et on peut
craindre que la personne nommée se sente redevable envers
l'autorité qui l'a choisie.
En ce qui concerne les autres juges, c'est le CSM et le
Président de la République qui détiennent le pouvoir de
nomination. L'article 153 de la Constitution dispose que : « les
magistrats sont nommés par décret du Président de la
République après avis conforme du Conseil Supérieur de la
Magistrature. Ils sont révoqués dans les mêmes conditions
». En effet, le processus de nomination des juges n'est pas
susceptible de faire naître de soupçon raisonnable quant à
l'indépendance d'esprit de ceux-ci. Les juges se sentiront redevables
envers l'autorité de nomination. Même s'il convient de souligner
que le Président doit recueillir l'avis du CSM, il faut dire cependant
que le CSM est présidé par le Président lui-même et
le Ministre de la justice est en le premier vice-président. Cette
position ne semble pas empêcher le Président de choisir qui il
veut.
Pour ne pas dégrader l'image de la justice, il importe
que ceux qui sont nommés selon un processus susceptible de compromettre
leur impartialité apparente, leur indépendance puisse se
vérifier en ce qui concerne le déroulement de leur
carrière; ils doivent être à l'abri des décisions
arbitraires qui pourraient leur être imposées pour sanctionner une
trop grande indépendance d'esprit ou le manque de soumission envers
l'Exécutif dont ils auraient fait preuve dans une affaire donnée
ou dans plusieurs261.
L'impartialité du magistrat peut être mise en
doute en raison des caractéristiques des avancements262 et du
renouvellement de mandat263 à durée limitée. La
participation du pouvoir exécutif dans ce processus peut amener les
justiciables à douter de l'indépendance
260 Article 158 de la Constitution.
261 DUPLE Nicole, « Les menaces externes à
l'indépendance de la justice », op. cit., p.12.
262 Article 152 de la constitution « le Conseil
Supérieur de la Magistrature propose les nominations et les avancements
des magistrats ».
263 Article 158 alinéa 4 de la Constitution.
80
d'esprit du juge qui espère le renouvellement de son
mandat. Alors, il faudra que le mandat des juges soit long et non renouvelable
pour leur permettre de travailler en toute impartialité.
Conclusion du chapitre 1
De tout ce qui précède, il apparait que le juge
occupe une place centrale dans le système juridique et politique. Cela
ne veut certainement pas dire que le juge est un « acteur » devant
intervenir dans l'arène politique au même titre que les pouvoirs
Législatif et Exécutif ; loin de là. Sa fonction reste
celle « de juger »264. Il n'en demeure pas moins que tant
pour l'instauration de l'État de droit que pour le respect des droits et
libertés individuels, les populations attendent du juge qu'il remplisse
son rôle, c'est-à-dire faire respecter la loi et s'assurer que les
principes démocratiques comme les droits de l'homme ne soient pas
impunément bafoués. Bien évidemment, sans une
réelle indépendance, dans le cadre d'une séparation des
pouvoirs, garantie à la fois par des textes et confirmés dans la
pratique, ce rôle du juge ne sera que théorique.
Il convient de souligner que l'État de droit et la
démocratie constituent une quête permanente, et se
présentent comme des défis quotidiens jamais
définitivement acquis. Pour cela, de profondes mutations au sein de la
justice nécessitent d'être entreprises et accompagnées,
tout particulièrement par les autres acteurs constitutionnels et
politiques (majorité et opposition, etc.).
264 La justice semble tout de même jouer aujourd'hui un
rôle important de contre-pouvoir dans nos sociétés
démocratiques contemporaines... (V. F. HOURQUEBIE, Sur
l'émergence du contre-pouvoir juridictionnel sous la Vème
République, Bruylant, 2007, 277), cité par BANDARA FALL Alioune,
« Les menaces internes à l'indépendance de la justice
», op. cit., p.28.
81
CHAPITRE 2 : LA PROTECTION LIMITÉE DES
DROITS FONDAMENTAUX AU TCHAD
Les droits fondamentaux constitutionnellement consacrés
doivent faire l'objet d'une garantie. Cette garantie n'est pas seulement
juridictionnelle mais aussi matérielle. Cependant, la mise en oeuvre de
ces mécanismes de garantie est confrontée à certains
obstacles qui continuent de persister. Les obstacles à la protection
juridictionnelle persistants ont fait l'objet d'un développement dans le
chapitre précédent, ceux de la protection non juridictionnelle et
d'autres obstacles feront l'objet du développement dans ce chapitre.
L'effectivité de la protection en droit est à la
fois formelle et matérielle265. Or, au regard de cette
dernière considération et aux vues du dispositif non
juridictionnel de protection des droits de l'homme et des libertés
actuellement en vigueur au Tchad, il est très aisé de constater
d'énormes difficultés entravant ladite protection au plan
matériel, et ceci à toutes les fois que l'on s'attèle
à apprécier les effets concrets ou l'efficacité des
règles juridiques prévues à cet effet. La
démocratie ne peut véritablement exister que si elle
débouche sur la mise en oeuvre effective et efficace des droits et
libertés fondamentaux de l'homme. C'est parce que ces derniers (droits
et libertés fondamentaux) apparaissent comme un patrimoine commun de
l'humanité qu'ils nécessitent une reconnaissance et des garanties
de la part des États. C'est dans ce sens que certains organes ont
été mis sur pieds pour jouer ce rôle et pallier aux
insuffisances de la protection juridictionnelle. Il s'agit notamment de la
CNDH.
Á côté des obstacles à la
protection non juridictionnelle, il y a également d'autres obstacles
visibles dans la Constitution qui concourent à l'amenuisement des
efforts consentis dans la protection des droits fondamentaux. Ces obstacles
s'analysent par les effets des circonstances exceptionnelles et la protection
de certaines autorités publiques.
Ainsi, il convient de voir les limites à la protection
non juridictionnelle des droits fondamentaux (section 1) avant
de passer en revue les autres obstacles (section 2).
265 GUISWE Norbert, « Les limites de la protection non
juridictionnelle des droits de l'homme en droit positif camerounais »,
Village de la justice, 2019, p. 1.
82
SECTION 2 : LES LIMITES Á LA PROTECTION
NON JURIDICTIONNELLE DES DROITS FONDAMENTAUX
La notion de protection des droits au plan opérationnel
renvoie à l'effectivité et à l'efficacité de cette
dernière. L'effectivité vise ce qui se réalise en fait
pour être valable ou opposable aux sujets de droit, ce qui prévaut
dans les faits et dont l'existence palpable justifie la connaissance ou
l'opposabilité. Il s'agit d'un moyen de création de droit au
profit des sujets de droit. Ainsi, à cette question, écrit
AMSELEK Paul « l' étude de l'effectivité statuée
par les normes juridiques interroge sur le contenu même d'une norme
juridique, tandis que l'analyse de l'effectivité des règles de
droit porte sur la question de leur stricte application par les organes
chargés de les mettre en oeuvre au plan matériel »
266. Il s'agit de leur efficacité.
C'est dans la recherche de cette efficacité de
protection des droits de l'homme que l'État tchadien va mettre sur pieds
des nombreuses autres institutions et organismes non juridictionnels de
protection, parmi lesquels la CNDH. Rappelons que la CNDH a vu le jour le 09
septembre 1994267 à la suite de la CNS. Quelques
années plus tard, avec la révision constitutionnelle de 2005,
elle a disparu. Conscient du rôle considérable que joue cet organe
dans la consolidation de l'État de droit, le constituant de 2018 a
constitutionalisé cet organe. C'est à l'issue de l'ordonnance
n°024/PR/2018 portant attributions, organisation et fonctionnement de la
CNDH que la commission a été mise sur pied.
Au regard de toutes ces considérations sus
évoquées, il semble donc, en effet particulièrement
logique sinon nécessaire que l'on s'attache à apprécier
les effets concrets de la protection non juridictionnelle des droits de l'Homme
et des libertés publiques en droit tchadien, au regard des règles
juridiques prévues à cet effet. Il est à noter que la CNDH
présente des limites constitutionnelles considérables dans la
protection des droits fondamentaux. Il s'agit bien évidemment des
limites institutionnelles (paragraphe 1) et les limites
d'ordre juridique (paragraphe 2).
266 AMSELEK Paul, Cheminement de la
philosophie du droit, cité par GUISWE Norbert, « Les limites
de la protection non juridictionnelle des droits de l'homme en droit positif
camerounais », op. cit., p. 2.
267 Voir la loi n°03/PR/94 portant
création de la CNDH.
83
Paragraphe 1 : Les limites institutionnelles de la CNDH
dans la protection des droits fondamentaux
Consacrée par le titre IX de la Constitution, la CNDH
est une institution administrative268 , indépendante et a
pour mission269 de formuler des avis au Gouvernement sur les
questions relatives aux droits de l'Homme, y compris la condition de la femme,
les droits de l'enfant et des handicapés. Elle assiste le Gouvernement
et les autres institutions nationales et internationales pour toutes les
questions relatives aux droits de l'Homme au Tchad en conformité avec la
charte des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales. La
Commission est autonome quant aux choix des questions qu'elle examine par
auto-saisine. Elle est entièrement libre de ses avis qu'elle transmet au
Président de la République et dont elle assure la diffusion
auprès de l'opinion publique270. Dans le cadre de la
protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la CNDH
est chargée de recevoir les plaintes et ouvrir les enquêtes sur
les cas de violation des droits de l'homme. Elle effectue des visites
régulières, inopinées ou notifiées des
établissements pénitentiaires et de tous les lieux de
détention et de privation des libertés aux fins de
prévenir la torture et toute violation des droits de
l'homme271. Elle peut aussi saisir le Ministère Public ou
ester en justice au nom des victimes sur les violations constatées.
Des manquements sont à recenser au niveau des
règles juridiques relatives aux droits de l'Homme et des libertés
au Tchad. Des obstacles sont relevés au niveau des mécanismes
chargés d'assurer son implémentation et sa réalisation
effective. La garantie non juridictionnelle des droits de l'Homme et des
libertés au Tchad fait ainsi face à divers niveaux dans la
pratique à des difficultés sérieuses mettant à mal
la propension à réaliser efficacement ses missions visant
à mieux promouvoir et protéger les droits de l'être humain.
Le cadre institutionnel est relativement dépendant (A) et quasi inactif
(B).
A - La relative indépendance institutionnelle de
la CNDH
En principe, les organes de garantie non juridictionnelle des
droits et libertés au regard du cadre juridique national et
international, sont pour la plupart autonomes et
indépendants272.
268 Article 171 de la Constitution.
269 Article 172 de la Constitution.
270 Article 173 de la Constitution.
271 Article 5 de l'ordonnance n°025/PR/2018 portant
attributions, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale des
Droits de l'Homme.
272 Article 2 de l'ordonnance n°024/PR/2018, «
La CNDH est une autorité administrative indépendante de
promotion et de protection des droits de de l'homme et des libertés
fondamentales. Elle est dotée de la
84
Dans le contexte tchadien, il s'agit toutefois d'une
indépendance voilée, textuelle et de façade. Ces organes,
dans la pratique et du point de vue institutionnel, ne semblent pas
réellement refléter des organes de protection
véritablement indépendants. L'une des limites à laquelle
les institutions de protection non juridictionnelle font face principalement
aujourd'hui est d'ordre statutaire.
Plus loin encore, le législateur met
l'approvisionnement financier de ces institutions à la charge de
l'État273. Leurs ressources financières proviennent
des : dotation inscrites chaque année au budget de l'État ;
appuis provenant des partenaires nationaux et internationaux ; dons et legs.
Cette approche législative tendant plus vers la
soumission des membres de l'organe non juridictionnel de protection des droits
et libertés au pouvoir exécutif va un tout petit peu en
contradiction mais légère et pas des moindres, avec les
règles internationales en la matière. Il y a d'abord les
Principes de Paris274. Ceux-ci mettent un accent sur la
nécessité de la neutralité des institutions nationales des
droits de l'Homme. Ensuite, la Déclaration des Nations Unies du 9
décembre 1998 en son article 14 alinéa 3, met également
à la charge de l'État, la responsabilité et l'obligation
d'appuyer le développement des institutions nationales
indépendantes, visant à assurer la promotion et la protection des
droits et libertés fondamentaux sur leurs territoires.
L'indépendance des institutions non juridictionnelles
est donc, une exigence sur laquelle insistent les textes internationaux
protégeant les droits de l'homme. Une exigence à laquelle
l'architecture institutionnelle de protection non juridictionnelle telle
qu'aménagée législativement au Tchad, ne souscrit pas
véritablement. Même si en matière de désignation des
membres de la CNDH le pouvoir de nommer est partagé entre un
représentant de l'AN, un magistrat de la Cour Suprême, un membre
de la Haute Autorité des Médias et de l'Audiovisuel (HAMA) et un
membre du Haut Conseil des Collectivités Autonomes et des Chefferies
Traditionnelles (HCCACT)275, il faut dire qu'il existe toujours de
doute sur l'indépendance réelle de l'organe.
Au regard de tout ce qui précède, l'on se rend
bien compte que l'État a ainsi la pleine maîtrise des moyens
d'action, et partant, de l'indépendance de cet organe. Cette
maîtrise des
personnalité morale et jouit de l'autonomie
financière. Tous les services de l'Etat doivent lui accorder
l'assistance nécessaire dans l'accomplissement de sa mission
».
273 Article 34 de l'ordonnance n°024/PR/2018.
274 Voir GUISWE Norbert, « Les limites de la protection
non juridictionnelle des droits de l'homme en droit positif camerounais »,
op. cit., p. 4.
275 Article 14 alinéa 3 de l'ordonnance
n°024/PR/2018.
85
moyens d'action par l'État rend la CNDH non active et
non matériellement active dans la protection des libertés.
B - La quasi inactivité de la CNDH
Un organe de protection des droits des citoyens doit
être en principe actif et prompt. Au
Tchad, c'est tout à fait le contraire. L'organe non
juridictionnel de protection des droits fondamentaux au Tchad est presque
inactif, parce qu'il n'est pas véritablement autonome et
indépendant. Ses agissements sont parfois orientés. Or la
présence de la CNDH dans l'espace public devrait la rendre accessible.
L'accessibilité regroupe non seulement la connaissance de l'institution
(rapport avec les médias pour la diffusion des activités) mais
également l'accessibilité matérielle, c'est à dire
les promptes réactions lorsqu'il faille garantir un droit quelque part
sur l'étendue du territoire. Il faut noter aussi que la CNDH a son
siège seulement à N'Djamena276 et pourtant, il y a des
graves violations des droits de l'Homme dans les zones reculées du pays
qui nécessiteraient absolument l'intervention de celle-ci.
En effet, comme tous les autres organismes privés
offrant des services, les institutions non juridictionnelles efficaces devaient
se faire connaitre aux citoyens, car leur accès ne peut être
possible que si les populations dans leur généralité
connaissent leur existence et leurs fonctions. Mais force est de constater que
la grande majorité des tchadiens ne connait pas l'existence de la CNDH
et on déduit ipso facto qu'elle ne connait pas également
les fonctions de cet organe. Bien que l'ordonnance n°024/PR/2018
précise dans son article 6 alinéa 1 que « dans le cadre
de la promotion des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, la
CNDH est chargée d'assurer sur l'étendue du territoire national,
la promotion des droits de l'homme en général avec un accent
particulier sur les droits de la femme, de l'enfant, des personnes en situation
de handicap, des personnes vivants avec le VIH, ainsi que toutes autres
personnes vulnérables à travers notamment l'information,
l'éducation et la communication ». De cette formulation, la
Commission est appelée à porter ses actions sur toute
l'étendue nationale tchadienne mais la pratique parait montrer le
contraire.
Les informations publiques relatives à ces organes et
à leurs méthodes de travail ne sont même pas parfois
accessibles à tous, sous forme écrite et orale dans les
différentes langues officielles du pays. Toujours dans ce sens, on note
également un faible taux de
276 Article 3 de l'ordonnance n°024/PR/2018, «
le siège de la CNDH est fixé à N'Djamena. Toutefois,
si les circonstances l'exigent, il peut être transféré en
tout autre lieu du territoire national sur décision des deux tiers (2/3)
de ses membres ».
86
fréquentation des médias par ces institutions,
or cela est également essentiel, car les moyens de communication des
masses sont devenus aujourd'hui le vecteur dominant du processus de formation
des idées et d'expression des opinions libres. A cet égard,
étant donné que les médias jouent un rôle plus
important dans la formation et l'expression de l'opinion publique, ils peuvent
être des partenaires privilégiés extrêmement
précieux pour l'institution à laquelle il revient d'assurer la
sensibilisation aux droits de l'homme.
A côté de cela, il y a également le manque
de ressources humaines conséquentes pour permettre à la CNDH de
mener efficacement ses actions de prévention et de protection des droits
fondamentaux. La Commission est composée de onze (11) membres, dont au
moins quatre (4) femmes277. Ces onze (11) personnes ne peuvent pas
répondre au besoin pressant de la population en matière de
protection des droits de l'homme. De plus, il faut également affirmer
sans risque de se tromper qu'en plus de ce besoin pressant et visible en
ressources humaines, le personnel déjà déployé fait
face à d'importantes et énormes carences en matériel et
à des défis logistiques considérables.
Les difficultés d'ordre juridique quant à elles
ne cessent à leur tour d'empêcher les membres de cette institution
de jouer pleinement leur rôle de protection des droits de la personne
humaine.
Paragraphe 2 : Les limites d'ordre juridique de la
protection non juridictionnelle des droits fondamentaux
La limitation de la protection des droits par les institutions
non juridictionnelles peut aussi découler du fait que ces institutions
ne jouissent pas d'un réel pouvoir de sanctions des violations des
droits de l'homme. Cette limitation peut être également le fait de
la théorie des circonstances exceptionnelles. Ces limites s'analysent
à travers le caractère non contraignant des décisions de
la CNDH (A) et l'efficacité relative de la CNDH en période de
crise (B). Ces obstacles juridiques peuvent impacter négativement la
garantie effective des droits de l'homme et des libertés par
l'institution non juridictionnelle.
A - Le caractère non contraignant des
décisions de la CNDH
Les moyens et les décisions par lesquels la CNDH
s'exprime sont souvent variés et peu efficaces. Or, le respect d'une
sentence ou décision dépend de la force juridique qui lui est
attachée. Au Tchad, l'organe de protection non juridictionnelle est
dépourvu d'un réel
277 Article 10 de l'ordonnance n°024/PR/2018.
87
pouvoir de décisions faisant office de sanctions.
L'article 7 alinéa 1 de l'ordonnance n°024/PR/2018 dispose que :
« la CNDH est aussi chargée de formuler à titre
consultatif au Gouvernement, à l'Assemblée Nationale et à
tout autre organe, soit à la demande des autorités
concernées, soit en usant de sa faculté d'auto-saisine, des avis,
recommandations et propositions concernant les libertés fondamentales et
les droits de l'homme ». Il ressort de cette disposition que les avis
émis par la Commission ne sont pas contraignants et les autorités
peuvent ou non les prendre en compte. Mais bien plus, la Commission peut saisir
le Ministère Public des cas de violations des droits de l'homme et elle
peut aussi ester en justice au nom des victimes sur les violations
constatées et résoudre par la médiation278.
En effet, la CNDH dispose des pouvoirs les plus étendus
sur toutes les questions relevant des droits de l'homme et des libertés
fondamentales. Á ce titre, elle reçoit les plaintes des victimes,
de leurs ayants droits, des associations et d'organisations non
gouvernementales des droits de l'homme et de toute personne physique ou morale.
Elle reçoit également les dépositions des témoins
et les déclaration des présumés auteurs279. De
ce fait, l'absence de contrainte des décisions peut pousser les victimes
de violations des droits de l'homme et des libertés à refuser de
saisir cet organe à causes de ces faiblesses juridiques, parce que
craignant la non-exécution de ses décisions.
Ces faibles moyens et pouvoirs des décisions et
d'expression dont disposent cet organe de garantie non juridictionnelle des
droits de l'homme et des libertés publiques au Tchad semblent à
notre avis peu rentables, inefficaces et limités, étant
donné qu'il n'est pas obligatoire et manque d'une réelle force
juridique et sont même doublement limité en périodes
exceptionnelles.
B - L'efficacité diminuée de la CNDH en
période de crise
La limitation d'ordre juridique de la protection non
juridictionnelle peut être également le fait des circonstances
exceptionnelles. La théorie des circonstances exceptionnelles, qui
consiste à admettre que dans certaines circonstances et conditions, de
très graves urgences, politiques ou sociales, le pouvoir exécutif
puisse s'affranchir du respect intégral et pointilleux de la loi dans sa
généralité et des libertés fondamentales en
particulier, afin de préserver les services publics et les
intérêts supérieurs de l'État. Autrement dit, les
circonstances exceptionnelles sont une condition mais aussi une excuse pour
appliquer un
278 Article 5 de l'ordonnance n°024/PR/2018.
279 Article 38 de l'ordonnance précitée.
88
régime de légalité constituant ainsi un
obstacle à la garantie des droits et des libertés ; il s'agit
ainsi d'une limitation du droit par le droit280.
La liberté « est le droit de faire tout ce que
les lois permettent ; et si un citoyen pouvait faire tout ce qu'elles
défendent, il n'aurait plus de liberté, parce que les autres
auraient tout de même ce pouvoir », c'est ainsi que Montesquieu
définit la liberté et ses limites dans son célèbre
ouvrage De l'esprit des lois281. L'affirmation de
Montesquieu semble être un paradoxe à la première vue, mais
elle apparait ensuite comme évidente. L'article 12 de la Constitution du
04 mai 2018 dispose que : « les libertés et les droits
fondamentaux sont reconnus et leur exercice garanti aux citoyens dans les
conditions et les formes prévues par la Constitution et la loi
». Comme pour dire que les libertés fondamentales sont des
situations garanties par le droit, et aux noms desquelles chacun est
maître de soi-même et exerce comme il veut mais avec certaines
limites. Une liberté, c'est en réalité l'exercice sans
entrave de telle faculté ou activité garantie par le droit, telle
que par exemple la liberté de la presse ou la liberté de
circulation.
Mais, il est cependant des situations apportant certaines
limites aux garanties de ces droits et libertés fondamentaux. Il s'agit
des circonstances exceptionnelles qui sont cette fois posées à
l'article 96 de la même Constitution, et aux noms desquelles
l'État intervient pour fixer avec contraintes, des limites d'ordre
juridique pour assurer l'ordre social. En période de circonstance
exceptionnelle, tous les types de dérogations au principe de
légalité en général et des violations des droits
fondamentaux en particulier peuvent être autorisés. C'est ainsi
que l'administration peut enfreindre les droits.
Dans des telles circonstances, les exigences des garanties de
l'intérêt général et des libertés ne sont pas
les mêmes qu'en période normale et entrainent forcement des
perturbations
au niveau des droits et libertés des citoyens. Face
à ces circonstances, les pouvoirs de la CNDH sont réduits car
elle ne peut agir efficacement du simple fait qu'il s'agit, pour le
Gouvernement, de répondre aux menaces dont le pays fait face.
La protection non juridictionnelle des droits fondamentaux au
Tchad se trouve limitée. Mais il y a également certains obstacles
qui viennent en limiter davantage cette protection.
280 GUISWE Norbert, « Les limites de la protection non
juridictionnelle des droits de l'homme en droit positif camerounais »,
op. cit., p. 8.
281 Montesquieu, De l'esprit des lois, cité
par GUISWE Norbert, « Les limites de la protection non juridictionnelle
des droits de l'homme en droit positif camerounais », op. cit., p. 8.
89
SECTION 2 : LES AUTRES OBSTACLES RELATIFS A
LA PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX
Les droits et libertés fondamentaux des citoyens sont
en principe garantis par la Constitution. Ils ne doivent pas faire l'objet
d'une restriction quelconque, sauf les cas de restriction prévus par la
loi. C'est ainsi que le législateur a prévu certaines
hypothèses où les libertés et les droits des citoyens sont
rétrécis, mettant ainsi à mal la protection de ceux-ci.
Cela entraine l'absence de justiciabilité des droits des citoyens.
Le Professeur BILONG Salomon soulignait que : «
comment le droit peut-il s'épanouir si le juge est
lésé dans sa matière même ? Si son domaine de
compétence varie au gré des humeurs d'un autre pouvoir (pouvoir
législatif) ? »282. Il est admis dans toutes les
nations dotées d'un État moderne que « l'État de
droit est celui dans lequel les citoyens peuvent déférer devant
les tribunaux compétents les actes émanant du pouvoir
exécutif et même dans une certaine mesure les lois, par le biais
du recours pour excès de pouvoirs »283. Par
conséquent, soustraire certains actes de tout contrôle par quelque
juge que ce soit ne peut donc être qu'une mesure spéciale visant
une catégorie d'actes clairement définie ou au besoin strictement
limitée.
Et comme l'a écrit le Doyen FAVOREU Louis, «
aucun acte de l'Exécutif ne peut logiquement se voir
reconnaître le statut juridique d'acte incontestable, car quelle que soit
l'activité qu'il exerce, l'exécutif est soumis à la loi,
du moins à la Constitution »284. Ainsi,
l'injusticiabilité de certains actes émanant de l'Exécutif
trouve son origine dans l'idée que certains actes des autorités
administratives sont pris non pas en vertu du pouvoir règlementaire,
mais plutôt pour des raisons politiques; par conséquent, ils
échappent à la connaissance de toute juridiction.
L'immunité juridictionnelle dont bénéficient certains
actes (paragraphe 1) apparait évidemment contraire au
regard des principes de l'État de droit.
A côté de ces actes, il y a aussi certaines
autorités qui sont protégées par la Constitution. Ces
autorités bénéficient des immunités
juridictionnelles (paragraphe 2).
282 BILONG Salomon, « Le déclin de l'État
de droit au Cameroun : le développement des immunités
juridictionnelles », Juridis périodique n°62, 2005,
p. 56.
283 KAMTO Maurice, « Actes de
gouvernement et droits de l'Homme au Cameroun », in Lex Lata, n°026,
mai 1996, p. 9.
284 FAVOREU Louis, Du déni de justice en droit
public, Paris, LGDJ, 1964, p. 169. Cité par FOPA TAPON Cyrille
Arnaud, Les interventions du législateur dans le fonctionnement de
la justice administrative au Cameroun, Mémoire de Master,
Université de Dschang, 2012, p. 87.
90
Paragraphe 1 : Les actes bénéficiant de
l'immunité juridictionnelle
L'établissement d'un État de droit suppose que
l'État soit soumis au droit. Cette soumission peut être
réalisée s'il existe un juge compétent pour exercer le
contrôle des actes de l'administration, contrôle fondé sur
le droit. Mais certains actes demeurent immunisés du contrôle
juridictionnel.
En effet, l'établissement d'un État de droit ne
suppose pas seulement la soumission de l'État au droit mais aussi la
protection des droits fondamentaux des citoyens. Cependant, la garantie de ces
droits se trouve limitée lorsque certains actes, susceptibles de porter
atteinte aux droits et libertés fondamentaux, ne sont pas susceptibles
de recours devant le juge. Il s'agit de l'injuticiabilité des actes de
gouvernement (A) et les actes administratifs (B).
A - L'injusticiabilité des actes de
gouvernement
La qualification d'acte de gouvernement entraine l'exclusion
du recours pour excès de pouvoir. Elle a donc une conséquence
importante alors qu'il n'existe pas une définition
générale et précise. Il faut cependant noter que l'acte de
gouvernement est une « qualification à prétention
explicative donnée à certains actes émanant
d'autorités de l'État, dont les juridictions administratives que
judiciaires se refusent à connaitre et qui en général,
soit concernent les relations du Gouvernement et du Parlement, soit mettent
directement en cause l'appréciation de la conduite des relations
internationales par l'État »285. La genèse
des actes de gouvernement trouve sa justification dans le fait que certains
actes de l'administration, notamment ceux portant sur les relations entre le
Gouvernement et le parlement, et ceux concernant la conduite des relations
internationale par l'État, au regard de leur délicatesse, ne
sauraient être justiciables devant le juge administratif ou judiciaire.
Ces actes sont pris non en vertu du pouvoir règlementaire mais
plutôt en vertu des pouvoirs de gouvernement286.
La notion d'acte de gouvernement existe depuis longtemps,
même si cette terminologie n'est pas toujours employée.
Déjà dans les années 1800, dans sa décision, le
Conseil d'État français se fondait sur l'existence d'un «
mobile politique »287 pour se déclarer
incompétent pour statuer sur les recours pour excès de pouvoir.
Toutefois, l'intérêt politique
285 GUINCHARD Serge et DEBARD Thierry, Lexique des termes
juridiques, 25ème édition, 2018, p. 67.
286 BILONG Salomon, « Le déclin de l'État
de droit au Cameroun : le développement des immunités
juridictionnelles », op. cit., p. 52.
287 Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative, CE,
19 février 1875, prince Napoléon.
91
de l'acte, de même que le fait que l'acte ait
été délibéré en Conseil des ministres, n'est
pas suffisant pour qualifier d'un acte de gouvernement.
La jurisprudence française distingue deux
catégories d'actes de gouvernement. La première catégorie
d'actes comprend les actes de droit interne qui se rattachent aux rapports
entres les pouvoirs publics constitutionnels, c'est-à-dire les actes
relatifs aux rapport entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.
C'est le cas par exemple, des décisions de mettre en oeuvre les pouvoirs
de crise288 de l'article 16 de la Constitution française de
1958 et de l'article 96 de la Constitution tchadienne de 2018. La seconde
catégorie d'actes de gouvernement correspond aux actes de conduite des
relations internationales. Alors, la qualification d'acte de gouvernement
exclut la possibilité d'avoir recours pour excès de pouvoir comme
cela existe pour d'autres types d'actes administratifs.
Le recours pour excès de pouvoir est un recours
objectif tendant à l'annulation d'un acte administratif. Ce recours est
possible lorsque l'acte administratif porte grief aux droits consacrés.
Le juge administratif ne peut connaître, dans le cadre d'un recours pour
excès de pouvoir, que les actes administratifs faisant grief. Les actes
de gouvernement sont aussi des actes qui font grief. Cela est en
contrariété avec les principes d'État de droit, de
légalité et de droit au recours. La Charte Africaine des Droits
de l'Homme et de Peuple, dont le Tchad est partie, réaffirme le principe
selon lequel toute personne dont les droits et libertés reconnus ont
été violés, a le droit à l'octroi d'un recours
devant une instance nationale, alors que la violation même aurait
été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs
fonctions289.
Le refus d'un juge de connaitre d'un litige heurte
frontalement le droit à un procès équitable290.
Ce droit fondamental, exigence propre des démocraties et de
l'État de droit, se trouve bafoué par le principe de
l'injusticiabilité des actes de gouvernement. Celui-ci implique que soit
assuré l'accès à un tribunal et respectés les
droits de la défense291 dès lors qu'une sanction
revêt le caractère d'une punition.
Il existe d'autres actes administratifs qui
bénéficient des immunités de juridiction.
B - L'injusticiabilite des autres actes
administratifs
288 Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative, CE,
Ass. 2 mars 1962, Rubin de Servin, 19ème
édition, Dalloz, p. 536.
289 Article 7 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des
Peuples (CADHP).
290 Article 13 de la Constitution.
291 Article 25 de la Constitution.
92
Certains actes administratifs, de par leur nature,
bénéficient des immunités juridictionnelles. D'abord,
l'acte administratif est un acte qui, considéré sous l'angle de
ses caractères propres du point de vue formel, est toute décision
prise par une autorité administrative. Du point de vue matériel,
est un acte visant un individu ou des individus identifiés ou
identifiables292. Considéré sous l'angle de son
régime juridique, l'acte administratif est tout acte relevant du droit
administratif et de la compétence de la juridiction administrative, que
cet acte soit unilatéral ou conventionnel, qu'il émane ou non
d'une autorité administrative293. Il est à remarquer
que d'après cette dernière définition, les actes
administratifs sont des actes faisant grief, c'est-à-dire susceptibles
d'être contestés devant le juge administratif, soit par un recours
pour excès de pouvoir, soit par un recours de plein contentieux lorsque
ceux-ci portent atteinte aux droits des individus. Mais force est de constater
que certains de ces actes sont injusticiables.
L'étude de la jurisprudence administrative
française révèle l'existence des nombreux actes
administratifs insusceptibles de recours contentieux. Malgré leur
extrême diversité, un nombre restreint des raisons communes
explique leur inattaquabilité. Ces actes engendrent naturellement un
défaut de protection juridictionnelle des administrés. Ils
constituent une atteinte à leur droit au juge. Le juge administratif est
donc tiraillé entre ces exigences contradictoires.
Il existe des actes pour lesquels le juge administratif se
déclare incompétent pour connaître les litiges les
concernant. Il s'agit des actes parlementaires par exemple. Les actes
parlementaires sont ceux qui sont pris par les bureaux ou les présidents
des assemblées parlementaires dans le cadre de la gestion interne de
leur assemblée respective. Ils peuvent être les actes
sanctionnant, suspendant, révoquant un agent de l'AN. Ces actes ne
doivent être confondus ni avec les actes législatifs ni avec les
actes de gouvernement. Ils ne constituent pas des actes législatifs
puisqu'ils ne peuvent être rattachés à la conduite de la
procédure d'adoption des lois. Ils ne constituent pas non plus des actes
de gouvernement car ils sont purement internes aux assemblées alors que
la catégorie évoquée tend plutôt à recenser
les actes qui mettent en cause les relations entre les pouvoirs. En France, le
Conseil d'État refuse de contrôler ces actes pour le motif que ces
actes se situent en dehors du « domaine de l'appréciation des
tribunaux »294.
292 GUINCHARD Serge et DEBARD Thierry, Lexique des termes
juridiques, op. cit.,p.64.
293 Ibidem.
294 Le CE français estime que l'élection de deux
membres de l'Assemblée à siéger au parlement
européen n'est pas susceptible de recours (CE, 27 mars 1996,
Antagnac).
93
Au Tchad, ni la Constitution ni la loi n°2011/PR/2013
portant code de l'organisation judiciaire n'ont expressément fait
mention des actes administratifs insusceptibles de recours devant le juge
administratif. Mais la jurisprudence française et camerounaise nous
permet de mieux analyser cette situation pour des raisons que le système
de droit dans ces pays est presque le même.
Ainsi, l'injusticiabilité de ces actes présente
une conséquence grave sur les droits fondamentaux des citoyens. Cela
porte atteinte au droit à un procès équitable. Le droit
à un procès équitable est au coeur de la doctrine
juridique, car c'est un élément central et essentiel de
l'État de droit, en tant qu'organisation de la soumission collective,
c'est-à-dire les institutions collectives et privées et les
personnes qui habitent cet État, au droit295. Et comme l'a
affirmé le Professeur NGUELE ABADA Marcelin296, la
construction d'un État de droit démocratique suppose la
manifestation de la volonté d'être régi par le droit,
à l'exclusion de toute autre manoeuvre et, partant, la garantie d'un
ordre social fondé sur la liberté et l'égalité.
C'est également édifié un ordre juridique cohérent
à partir et autour de la Constitution et organiser la sanction des
violations du droit grâce à des juridictions qualifiées et
totalement dévouées à la cause du droit297.
La protection constitutionnelle de certaines autorités
participe également à la limitation de la protection des droits
fondamentaux des citoyens.
Paragraphe 2 : La protection constitutionnelle des
autorités politiques
Certaines autorités politiques
bénéficient de la protection dans l'exercice de leur fonction.
Cette protection a pour but essentiel d'éviter les ennuies à
celles-ci dans l'accomplissement de la mission à elles assignée.
Au Tchad, ces autorités politiques bénéficiant de la
protection sont le plus souvent le Président de la République et
les députés à l'AN.
Bien que constitutionnellement consacrées, les
immunités dont bénéficient le Président et les
membres de l'AN constituent un obstacle à la mise en oeuvre des
principes de l'État de droit. D'abord, le principe de l'État de
droit veut à ce que les autorités soient soumises au droit. En
plus, il faut que les droits et libertés fondamentaux des citoyens
soient garantis et
295 NGUELE ABADA Marcelin, « La réception des
règles du procès équitable dans le contentieux de droit
public », in Juidis périodique, n°63,
Juillet-août-septembre 2005, p. 19.
296 NGUELE ABADA Marcelin, État de droit et
démocratisation : contribution à l'étude de
l'évolution politique et constitutionnelle au Cameroun,
Thèse de Doctorat, U.F.R - Droit Administration et Secteur Publics,
Université de Paris 1 - Pathéon Sorbonne, 1995, cité par
FOPA TAPON Cyrille Arnaud, Les interventions du législateur dans le
fonctionnement de la justice administrative au Cameroun, op. cit., p.
94.
297 NGUELE ABADA Marcelin, article précité, p.
20.
94
protégés. Or, le dernier principe se trouve
limité par les immunités que les autorités
précitées bénéficient. Dans l'exercice de leur
fonction et durant leur mandat, elles peuvent porter atteinte aux droits
fondamentaux à travers leurs actes.
Seront abordées ici les immunités
présidentielles (A) et les immunités parlementaires
(B).
A - Les immunités présidentielles
Les immunités des Chefs d'État est un principe
du droit international public qui veut qu'un Chef d'État en exercice ne
puisse être forcé à comparaître devant aucune
instance étrangère ni être sanctionné, civilement ou
pénalement par une telle instance298. Autrement dit, il
existe ce qu'on appelle une immunité de juridiction du Président
devant le tribunal de tout autre pays, sauf en cas de crime de guerre et crime
contre l'humanité.
En droit interne, l'immunité présidentielle est
une idée qui procède d'une théorie selon laquelle la
responsabilité des corps constitués ne peut jamais être
qu'une responsabilité politique et non civile ou pénale. Ainsi,
le constituant tchadien a prévu une immunité partielle du
Président de la République. Il ressort de l'article 83 de la
Constitution que « le Président de la République n'est
responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de
haute trahison telle que prévue à l'article 157 ». De
ce fait, il convient de souligner que tous les actes du Président de la
République qui ne sont pas qualifiés de haute trahison ne sont
pas justiciables devant le juge. Ainsi donc, le Président de la
République, pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions et
hors le cas de haute trahison, bénéficie d'une immunité.
Au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité
ne peut être mise en cause que devant la chambre non permanente de la
Cour Suprême299.
Ceci a fait l'objet des interprétations doctrinales
impressionnantes. Reprenant l'interprétation de AIVO Joël
Frédéric, les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions
qui ne constituent pas un manquement à ses devoirs manifestement
incompatibles avec l'exercice de son mandat, le Président
bénéficie d'une immunité qui survit au mandat. Il est
affranchi de toute responsabilité pénale et n'en répond
devant aucune juridiction pendant et après son mandat300. Et
pourtant, ses actes peuvent porter atteinte aux droits des citoyens. Pour
garantir ces droits fondamentaux consacrés, le constituant devait
réaménager ce régime de protection du Président de
la République.
298
www.wikipédia.com
consulté le 21 mai 2020.
299 Article 157 de la Constitution.
300 AIVO Joël Frédéric, « La
responsabilité pénale des gouvernants dans les régimes
politiques africaines d'influence française », op. cit.,
p. 28.
95
En France, dans son arrêt du 10 octobre 2001 rendu en
assemblée plénière, la Cour de Cassation a fait deux
choix. Premièrement, elle a opté pour l'irresponsabilité
du Chef de l'État pendant son mandat pour les actes antérieurs
à sa fonction. Deuxièmement, la Cour de Cassation remet en cause
le privilège de juridiction érigé par le juge
constitutionnel301. En somme, il ressort des indications du juge
judiciaire français que le Chef de l'État est responsable de ses
actes détachables ou antérieurs, non plus devant la haute Cour de
justice, mais plutôt devant les juridictions judiciaires. Mais plus
précise, la Cour n'ouvre la procédure qu'après son mandat.
Les poursuites, ainsi que les délais de prescription sont, à cet
effet, suspendus durant toute la présidence302. Cette
position de la Cour de cassation française apparaît importante
pour conforter la garantie des droits fondamentaux et cela éviterait les
arbitraires des Chefs d'État dans l'exercice de leur fonction.
Outre les immunités présidentielles, les
immunités parlementaires constituent un obstacle à la protection
des droits fondamentaux.
B - Les immunités parlementaires
Les immunités parlementaires s'inscrivent dans les
traditions historiques selon lesquelles les parlementaires doivent être
protégés lorsqu'ils exercent leurs fonctions. La protection dont
jouissent les députés se définit comme une «
immunité particulière »303 prévue à
l'article 117 alinéa 1 de la Constitution, selon laquelle « les
membres de l'Assemblée Nationale bénéficient de
l'immunité parlementaire. Aucun député ne peut être
poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé
pour des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions
». Pour DUHAMEL Olivier, « l'immunité parlementaire
recouvre deux garanties différentes : l'irresponsabilité et
l'inviolabilité »304. La différence entre
les deux notions tient à ce que les domaines qu'elles définissent
sont distincts. L'une est afférente à la liberté des
paroles parlementaires ; l'autre au fait que l'on ne puisse arrêter un
parlementaire sans l'accord de son Assemblée, sauf cas de flagrant
délit. Les deux protections représentent les immunités
parlementaires305 qui « se rattachent intimement aux
exigences primordiales du
301 PRETOT Xavier, « Quand la cour de cassation donne une
leçon de droit au Conseil Constitutionnel », RDP,
n°6, 2001, pp. 1625-1643 cité par AIVO Joël
Frédéric, article précité, p. 27.
302 Voir AIVO Joël Frédéric, article
précité, p. 28.
303 AVRIL Pierre, JICQUEL Jean, Lexique-Droit
constitutionnel, Paris, PUF, 2001, p.75.
304 DUHAMEL Olivier, MENY, Dictionnaire
constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p. 487. Voir également CORNU
Gérard, Vocabulaire juridique, 3ème
édition, Paris, PUF, 2002, p. 493.
305 Par exemple dans ce sens VEDEL Georges affirme que les
deux immunités parlementaires sont l'irresponsabilité et
l'inviolabilité. Si l'irresponsabilité exonère de toute
imputabilité du fait du dommage, ceci n'est pas « incompatible
» avec des sanctions disciplinaires d'ordre intérieur que le
règlement de chaque
96
régime représentatif et au jeu normal des
institutions dans les gouvernements constitutionnels »306.
La première relève de l'indépendance du parlementaire ; la
seconde, de l'entrave à l'exercice de ses fonctions307. Le
but essentiel consiste à préserver les membres du Parlement de
toutes poursuites judiciaires intempestives et
injustifiées308.
En effet, les effets de l'irresponsabilité des
députés apparaissent comme allant à l'encontre du principe
de l'égalité de tous devant la loi309. Ainsi, les
poursuites sont interdites s'il s'agit d'attaquer le parlementaire pour des
opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions, le
parlementaire est de ce point de vue irresponsable. Dans les autres cas, le
parlementaire n'est pas irresponsable, mais on considère que sa personne
est inviolable310. L'irresponsabilité parlementaire a pour
effet d'écarter toute poursuite pénale ou civile, même si
cela doit aller à l'encontre de l'article 1382311 du Code
civil.
Depuis la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme
de 1948, la protection et l'attention accordées aux droits et
libertés fondamentaux ont considérablement augmenté. Toute
atteinte doit être valablement et suffisamment justifiée et
proportionnée. La liberté d'opinion et d'expression des
députés est considérée comme une des
libertés fondamentales, mais force est de reconnaître qu'elle peut
parfois conduire à des dérives, à des abus.
Si la liberté d'expression est essentielle et si sa
protection est primordiale, elle n'en est pas moins à encadrer ou
à limiter dans certains cas. En effet, « chacun sait qu'on ne
peut impunément tout dire, et qu'on ne peut être poursuivi si l'on
porte atteinte à l'honneur ou à la réputation d'autrui, si
on viole l'espace de la vie privée ou si l'on met en péril la
présomption d'innocence, si l'on appelle au meurtre ou à la
violence imminente, si l'on divulgue des secrets d'Etat
»312. La liberté d'expression s'accompagne de
devoirs et responsabilité, celui
assemblée prévoit à l'encontre de ses
membres. Voir VEDEL Georges, Manuel élémentaire de droit
constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, p. 402
306 Les immunités parlementaires
« tiennent à l'économie de la division des pouvoirs et au
principe de la souveraineté législative. Elle sanctionne
pratiquement l'indépendance et la liberté du parlement dans
l'accomplissement de sa mission. Elles s'identifient en quelque sorte avec le
droit de la nation de manifester sa volonté par l'organe de ses
mandataires. Ce sont des prérogatives sans doute, c'est-à-dire
des exigences supérieures de la vie gouvernementale. Voir BEAUMONT
Didier, « Liberté d'expression et irresponsabilité des
députés », Afrilex, Paris, 2003, p. 2.
307 AVRIL Pierre, GICQUEL Jean, Droit
parlementaire, 2ème édition, Paris,
Montchrestien, 1996, p. 45.
308 VEDEL Georges, Manuel
élémentaire de droit constitutionnel, op. cit., p.
412.
309 GICQUEL Jean, Droit constitutionnel et
institution politique, op. cit., p. 641.
310 Article 117 alinéa 2 de la
Constitution, « aucun député ne peut, hors session,
être arrêté sans l'autorisation du bureau de
l'assemblée Nationale, sauf en cas de flagrant délit, de
poursuites autorisées ou de condamnation définitive
»
311 « Tout fait quelconque de
l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel
il est arrivé, à le réparer ».
312 BALIS Zoé, Mise à
l'épreuve de l'irresponsabilité parlementaire face aux droits
d'autrui : analyse en remise en cause du régime belge à la
lumière du droit comparé, Mémoire de master,
Université catholique de Louvain, 2015, p. 19.
qui s'exprime est tenu de respecter autrui et de tenir compte
de sa liberté. Le juge peut être confronté à un
conflit entre deux droits constitutionnellement consacrés, tel que
l'irresponsabilité et l'inviolabilité des députés
et le droit au respect de la vie privée des citoyens. Il doit faire
alors une pondération des intérêts pour atteindre le
meilleur équilibre, la meilleure « compatibilité des
libertés »313 possible.
Il apparait alors que les immunités parlementaires
dérogent au principe d'égalité et de non-discrimination en
prévoyant un régime spécifique pour les parlementaires,
régime, nous l'avons vu, qui peut avoir pour conséquence de
limiter des droits et libertés d'autrui.
97
313 HAARSCHER Georges, « Paradoxe de la liberté
d'expression », p. 103, cité par BALIS Zoé, Mise
à l'épreuve de l'irresponsabilité parlementaire face aux
droits d'autrui : analyse en remise en cause du régime belge à la
lumière du droit comparé, op. cit., p. 20.
Conclusion du chapitre 2
En dehors de l'indépendance discutable du juge qui
limite considérablement la protection des droits et libertés
fondamentaux au Tchad, il y a d'autres éléments qui viennent
encore s'ajouter.
Premièrement, la protection non juridictionnelle
à travers la CNDH se trouve limitée. Cela s'explique par
plusieurs raisons notamment l'indépendance incertaine du cadre
institutionnel, le caractère non obligatoire des décisions de
celle-ci. Il ressort des dispositions314 de l'ordonnance
n°024/PR/2018 portant attributions, organisation et fonctionnement de la
Commission Nationale des Droits de l'Homme que l'institution formule à
titre consultatif au Gouvernement des avis et recommandation concernant les
libertés fondamentales et droits de l'homme. Cet état de chose
n'augure pas une efficacité avérée de la Commission qui
devrait jouer un rôle important dans la garantie des droits
fondamentaux.
Deuxièmement, certains actes des autorités ainsi
que les autorités elles-mêmes sont immunisés. Ainsi,
l'administration se trouve immunisée dans la prise de certains de ses
actes. De plus, les autorités politiques telles que le Président
de la République et les parlementaires bénéficient des
immunités juridictionnelles permettant leur protection dans l'exercice
de leurs fonctions. Cette protection constitutionnelle des autorités est
aux antipodes du principe de l'égalité des citoyens devant la
loi.
98
314 Article 7 de l'ordonnance n°024/PR/2018
précitée.
99
CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE
En tout état de cause, la Constitution tchadienne du 04
mai 2018 présente des obstacles persistants à l'émergence
d'un véritable État de droit. Alors, quelques aspects importants
ont retenu notre attention. Il s'agit bien évidemment de
l'indépendance discutable du juge dans la garantie des droits
fondamentaux et d'autres limites de la protection de ces droits fondamentaux au
Tchad.
Le juge est un acteur incontournable dans la garantie des
droits fondamentaux et ipso facto, il devient indispensable dans un
État qui se réclame l'étiquette d'un État de droit.
Cependant, il se trouve confronté à certaines difficultés
qui ne favorisent pas la meilleure protection des droits des citoyens. Ces
difficultés ne sont rien d'autres que la question de
l'indépendance de celui-ci (le juge) dans l'exercice de sa mission. Le
statut du juge ne paraît pas assez confortable pour qu'on puisse parler
d'une indépendance certaine. Les juges constitutionnel, administratif et
judiciaire subissent des pressions venant soit du pouvoir exécutif soit
de la hiérarchie. Ces injonctions ne sont pas de manière à
mettre le juge dans une position d'indépendance totale lorsqu'il joue
son rôle de protecteur des libertés des citoyens.
Outre l'indépendance incertaine du juge, certains
obstacles persistants viennent limiter la protection des droits fondamentaux.
Si le pouvoir public a entendu constitutionnaliser la CNDH qui avait une
existence législative, c'est pour renforcer l'État de droit
à travers les missions assignées à cet organe. Mais force
est de constater que cet organe, constitutionnalisé, ne dispose pas
véritablement des moyens juridiques conséquents pour la mise en
oeuvre des missions à lui confiées. Ainsi, la protection de droit
de l'homme se trouve limitée. Elle est également limitée
par la protection des certaines autorités politiques qui
bénéficient des immunités dans l'exercice de leurs
fonctions.
100
CONCLUSION GÉNÉRALE
Aux termes de cette analyse, il convient de noter que la
contribution de la Constitution tchadienne du 04 mai 2018 à la
consolidation de l'État de droit est ambivalente. Car, certes il y a une
avancée perceptible de l'État de droit mais il y a
également des obstacles persistants pour un bon ancrage de l'État
de droit. En effet, l'État de droit présente des divers
critères qui doivent être réunis. Parmi ces
critères, deux ont été retenus. Il s'agit de la soumission
de l'État au droit qu'il a lui-même édicté et la
garantie des droits fondamentaux. Le choix de ces deux critères vient du
simple fait qu'ils sont perceptibles dans la Constitution, objet de
l'étude. C'est donc dans le souci de garantir les droits fondamentaux
des citoyens que le constituant tchadien a mis en place des mécanismes
qui assurent le respect de ces droits. Le mécanisme juridictionnel est
le premier mécanisme de protection. Il se fait à travers la mise
en oeuvre du rôle du juge constitutionnel, celui-ci (juge
constitutionnel) est un acteur principal dans la garantie des droits et
libertés fondamentaux. Il est clair que le juge constitutionnel a
fortement participé à la construction de l'État de droit.
En effet, l'apport des travaux du juge constitutionnel tchadien a
été plus que considérable pour l'édification de
l'État de droit. D'ailleurs, comme nous l'avons remarqué il est
beaucoup plus aisé de poser les bases de l'État de droit que de
les perpétuer et de les maintenir en bon état dans la mesure
où l'État de droit est « moins un État qu'un
mouvement de rationalisation et de mise en ordre voué par essence
même à l'incomplétude et à l'inachèvement
»315. Pourtant, le juge constitutionnel malgré ses
moyens limités est parvenu, par le biais de ses attributions, à
apporter sa contribution à l'édification de l'État de
droit au Tchad. En effet, par le contrôle de constitutionnalité,
il a su faire respecter les droits et libertés fondamentaux au nombre
desquels on compte aujourd'hui le droit de propriété, les droits
à la défense, à la présomption d'innocence,
à l'égalité, à l'équité, à la
dignité, etc. Il a su aussi mettre au-devant de la scène des
valeurs tels que la non-rétroactivité des lois, la
séparation des pouvoirs, l'indépendance du pouvoir judiciaire, la
sauvegarde de l'intérêt général, de l'ordre public,
etc. Mais, il lui reste encore du chemin à faire dans ce processus aux
exigences mouvantes.
Les juges administratif et judiciaire jouent un rôle
subsidiaire mais important dans la garantie des droits fondamentaux. L'oeuvre
du juge administratif est observable. Elle est visible à travers une
version positive selon laquelle le juge administratif aurait
définitivement réussi à soumettre l'administration au
droit et à permettre aux requérants de sauvegarder leurs
315 CHEVALLIER Jacques, « État de droit »,
RDP, 1988, p. 139.
101
droits ou leurs intérêts particuliers. Le juge
judiciaire, gardien des libertés individuelles, à travers ses
attributions, joue un rôle non négligeable dans la garantie des
droits fondamentaux.
De plus, la soumission de l'État au droit est un
principe important dans la construction de l'État de droit. Cela se fait
à travers les mécanismes de contrôle parlementaire
consacré par la Constitution. Ceci permet aux députés de
contrôler les actions du Gouvernement dans la mise en oeuvre de son
programme politique. Ce contrôle apparaît nécessaire dans un
contexte où l'arbitraire des membres du Gouvernement dans l'exercice de
leurs fonctions est une monnaie courante au Tchad. Si les membres du
Gouvernement arrivent à s'échapper du contrôle
parlementaire, ils ne peuvent pas s'en passer des sanctions via la mise en
oeuvre de leur responsabilité prévue par la loi fondamentale.
Cette responsabilité est purement pénale pour le Président
de la République même si sa mise en oeuvre apparaît un peu
difficile. Elle est politique et pénale pour les ministres.
Nonobstant les avancées perceptibles de l'État
de droit dans la Constitution, il existe également des obstacles
persistants à l'émergence de celui-ci. Tout d'abord, les juges ne
sont pas totalement indépendants dans l'exercice de leur noble
tâche. Le juge constitutionnel tchadien se trouve dans une autre posture
qui ne favorise pas tellement son indépendance et son
impartialité. Si avant la Constitution de 2018 la justice
constitutionnelle était un organe indépendant de l'ordre
judiciaire, il n'en est plus le cas avec la venue de la IVe République.
Son statut comme une Chambre dans la Cour Suprême semble être un
signe de dépendance vis-à-vis du pouvoir judiciaire et à
l'égard du pouvoir exécutif au regard des autorités qui
interviennent dans la nomination des juges constitutionnels. Les juges
ordinaires se retrouvent également dans cette posture à travers
les immixtions intempestives des autorités dans le judiciaire. Cela
paralyse sérieusement le bon fonctionnement de la justice qui est
censée jouer un rôle nécessaire dans la protection de
droits des citoyens.
Á côté de l'indépendance discutable
des juges, il y a aussi la protection non juridictionnelle qui se trouve
limitée. Cette protection est assurée par la CNDH qui
bénéficie d'un statut constitutionnel avec les réformes de
2018. L'institution ne dispose pas des moyens adéquats et possède
un pouvoir de décision limité. Cet état des choses ne
parait pas favorable pour la protection des droits de l'homme qui est une
mission principale assignée à la CNDH. Il y a également
les immunités juridictionnelles dont bénéficient certaines
autorités qui limitent le pouvoir des juges dans la protection des
droits fondamentaux.
Ainsi, Il importe au pouvoir public de revoir le statut des
juges car ceux-ci (juges) participent à la construction de l'État
de droit afin qu'ils puissent jouer normalement et efficacement leurs
rôles. Ce statut passe par la formation des magistrats, la réforme
de la
102
justice, le rapprochement de la justice des justiciables afin
que ceux-ci puissent saisir le juge en cas de violation de droits fondamentaux.
Le constituant doit élargir la liste des personnes qui peuvent saisir le
juge constitutionnel en incluant le citoyen qui saisira directement
celui-ci.
103
ANNEXES
1 - Extrait de la constitution tchadienne du 04 mai 2018.
2 - Décision n°10/CC/SG/2014 du Conseil
Constitutionnel.
104
Annexe 1 : extrait de la Constitution tchadienne du à' mai
2018.
1
LA CONSTITUTION DE LA REPUBLIQUE DU TCHAD PROMULGUEE LE
04 MAI 2018
PREAMBULE
Le Tchad, proclamé République le 28 Novembre 1958,
a accédé a la souveraineté nationale et internationale le
11 août 1960.
Depuis cette date, il a connu une évolution
institutionnelle et politique mouvementée
Des années de dictature et de parti unique ont
empêché l'éclosion de toute culture démocratique et
de pluralisme politique.
Les différents régimes, qui se sont
succédés, ont créé et entretenu le 'I
régionalisme, le tribalisme, le népotisme, les
inégalités sociales, les violations des Droits de l'Homme et des
libertés fondamentales individuelles et collectives, dent les
conséquences ont été la guerre, la violence politique, la
haine, l'intolérance et la méfiance entre les différentes
communautés qui composent la Nation
tchadienne.
Cette crise institutionnelle et politique qui a secoué le
Tchad pendant pies de quatre décennies n'a pas pour autant entamé
la détermination du Peuple tchadien à parvenir a
l'édification d'une Nation, à la dignité, à la
liberté, à la paix
et à la prospérité.
Ainsi, la Conférence Nationale Souveraine tenue
à N'Djamena du 15 Janvier au 7 Avril 1993 à l'initiative du
Président de la République et ayant réuni les Partis
Politiques, les associations de la société civile, les corps de
l'Etat, les autorités traditionnelles et religieuses, les
représentants du monde rural et les personnalités ressources, a
redonné confiance au Peuple Tchadien et permis
l'avènement d'une ère nouvelle.
Cette nouvelle ère a été consacrée
dans la Constitution du 31 mars 1996 révisée en 2005 et 2013.
Après deux décennies d'expérimentation
des institutions issues de cette Constitution, le Forum National Inclusif tenu
à N'djamena du 19 au 27 mars 2018 a permis d'apporter les
réformes nécessaires au renforcement de la démocratie
et de l'Etat de droit.
Ce processus de réformes validé par le Peuple et
consacré par la présente loi constitutionnelle adopte la forme
d'un Etat unitaire fortement décentralisé et modernise en
profondeur les institutions de l'Etat.
En conséquence, Nous, Peuple Tchadien :
105
En cas de désaccord entre le Président de la
République et l'Assemblée Nationale, la Cour Suprême, a la
demande de l'une ou de l'autre des parties,
statue dans un délai de huit (8) jours.
Article 141 La discussion des projets de
loi porte sur le texte présenté pa: le President de la
République.
Article 142 Les projets et propositions
de lois sont envoyés pour examen aux commissions spécialement
désignées à cet effet.
Les projets et propositions pour lesquels une telle demande n'a
pas été faite sont :envoyés à l'une des commissions
permanentes-
Article 143: Les membres de
l'Assemblée Nationale et le Gouvernement ont te droit d'amendement
Lorsque l'Assemblée Nationale a confié l'
examen d'un projet de texte à un e Commission, le Gouvernement
peut, après l'ouverture des débats, s'opposer à l'examen
de tout amendement qui n'a pas été préalablement soumis
â cette
Commission.
Si le Gouvernement le demande, l'Assemblée Nationale se
prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne
retenant que les amendements proposés ou acceptés par lui,
Article 144 : L'ordre du jour de
l'Assemblée Nationale est fixé par la Conférence des
Présidents dont la composition est déterminée par le
Règlement Intérieur.
Un membre du Gouvernement y assiste de droit,
Trois (3) semaines de séance par mois sont
réservées par priorité à l'ordre du jour
fixé par le Gouvernement
Une (1) séance par semaine est réservée
à l'examen et à l'adoption des propositions de loi.
Deux (2) séances par session sont réservées
au contrôle et à l'évaluation des politiques publiques.
Une (1) séance par quinzaine est réservée
aux questions des Députes et aux réponses du Gouvernement.
Une (1) séance par mois est réservée aux
questions d'actualité au Gouvernement.
Article 145 : Le Gouvernement est tenu de
fournir à l'Assemblée Nationale toutes les explications qui lui
sont demandées sur sa gestion et sur ses activités.
Les moyens d'information et de contrôle de
l'Assemblée Nationale sur l'action du Gouvernement sont :
106
107
Sont assimilés à la haute trahison, les violations
graves et caractérisées des droits de l'Homme, le trafic de
drogues et l'introduction des déchets toxiques ou dangereux en vue de
leur transit, dépôt ou stockage sur le territoire national.
La Cour Suprême comprend cinq (5) chambres
· une (1) chambre judiciaire ;
· une (1) chambre administrative ;
· une (1) chambre constitutionnelle ;
· une (1) chambre des comptes
· une (1) chambre non permanente composée de sept
(7) députés et de quatre (4) magistrats de la Cour Suprême
élus par leurs pairs chargée des cas de haute trahison.
La Cour Suprême statue en dernier ressort et ses
décisions sont sans recours.
Article 158 La Cour Suprême est
composée de quarante-et-trois (43) membres dont un (i) Président
et quarante-et-deux (42) Conseillers
Le Président de la Cour Suprême est choisi parmi
les hauts magistrats professionnels.
IL est nommé par décret du Président de la
République après avis du Président de l'Assemblée
Nationale.
Les autres membres sent désignés de la
façon suivante
-Dix sept (17) choisis parmi les hauts magistrats professionnels
dont:
· neuf (9) par te Président de la
République
· huit (8) par le Président de l'Assemblée
Nationale ;
· Sept (7) parmi les spécialistes du Droit
Administratif dont
· quatre (4) par le Président de la
République ;
· trois (3) par ie Président de l'Assemblée
Nationale
-Onze (11) parmi les spécialistes du Droit
Budgétaire et de la Publique dont :
· six (6) par ie Président de la
République
· cinq (5) par le Président de l'Assemblée
Nationale
|
Comptabilité
|
|
|
|
108
Pour être pris en considération, le projet ou la
proposition de révision doit être votée à !a
majorité des trois cinquième (3/5) des membres de
l'Assemblée Nationale,
La révision de ia Constitution est approuvée par
référendum ou par un vote à la majorité des deux
tiers (2/3) des membres de l'Assemblée Nationale,
Article 227 : Aucune procédure de
révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'elle
porte atteinte
· à l'intégrité du territoire,
à l'indépendance ou à l'unité nationale ;
· à la forme républicaine de l'Etat, au
principe de la séparation des pouvoirs et à la
laïcité ;
· aux libertés et droits fondamentaux du citoyen
;
- . au pluralisme politique,
Article : Aucune procédure de révision ne peut
être engagée lorsque le
Président de la République exerce les pouvoirs
exceptionnels ou lorsqu'un Président intérimaire exerce les
fonctions du Président de la République conformément aux
dispositions des articles 82 et 95 de la présente Constitution_
TITRE XVII : DES DISPOSITIONS TRANSITOIRES
FINALES ET
Article 229 : Jusqu'à la mise en place des nouvelles
institutions; continuent d'exercer leurs fonctions et attributions
réglementa en vigueur, celles en place
conformément aux lois et
Le mandat du Président de la République en exercice
court jusqu'à son
Article 230 : La législation actuellement en
vigueurterme
ce qu'elle n'a rien de contraire à la présente au
Tchad reste applicable en nouveaux
Constitution, sauf adoption de textes
Article 231 Nonobstant les
Articleution, le Nonobstant
ntde la République
de l'article
en oeuvre des Actes du Forum qUe est
autorisé 132 de la présente
d'ordonnances. National dans le cadre de la mise
Inclusif, à légiférer par voie
Article La présente Constitution
le Président de la République s dans les
huit entreen vigueur des sa
(8) jours suivant son adoption,
promulgation par
109
Annexe 2 : décision n°010/CC/SG/2014 du Conseil
Constitutionnel.
110
Sur le fait
111
et
'ue le ·astoralisme ne relève .as du domaine de
la loi 'ue la loi .ortant code ·asforal
n'a ·as ·ris en comte toutes
les activités rurales
Considérant que les requérants soutiennent que
le pastoralisme n'est pas du domaine de loi ; que l'article 121 de la
Constitution classe les lois en deux catégories, la première,
celles des lois qui fixent les règles et peuvent de ce fait aller dans
les détails des matières qui relèvent de son domaine, la
seconde, constituée de celles qui ne déterminent que les
principes fondamentaux ; qu'ainsi, selon toujours les requérants, les
lois relevant de cette deuxième catégorie ne doivent se limiter
qu'à l'évocation des grandes orientations laissant aux actes
réglementaires le soin d'apporter des précisions et de
définir les modalités d'application ; qu'en outre le dernier
tiret de cette deuxième catégorie indique que la loi
détermine les principes fondamentaux de l'agriculture, l'élevage,
de la pêche, de la
faune, des eaux et forêts ; qu'il n'est nulle part fait
mention du pastoralisme ; que la loi ne devrait fixer ici que les principes
fondamentaux en matière d'élevage en
général ; qu'en n'étant
de ce point de vue qu'un mode particulier d'élevage, le
pastoralisme ne relève d'aucune de ces deux catégories. de la
loi
et par conséquent ne . devrait relever que du domaine
réglementaire conformément aux dispositions de l'article 122 de
la Constitution ;
Que par ailleurs, une loi sur les principes fondamentaux de
l'élevage devrait se contenter de définir les grands axes de
cette politique en indiquant simplement les principaux modes d'élevage
au Tchad ; qu'au surplus, selon les requérants, il serait plutôt
préférable d'élaborer une' loi unique qui prendrait en
compte toutes les activités ayant en commun l'usage de la terre ; qu'en
passant outre ces pertinentes dispositions constitutionnelles, le projet de loi
a violé la Constitution
Considérant que pour écarter ce moyen,
l'Assemblée Nationale dans son rapport détaillé sur le
texte, allègue d'une part, l'existence d'une ancienne loi sur le
nomadisme et d'autre part,
Sur le fait
112
et
'ue le ·astoralisme ne relève .as du domaine de
la loi 'ue la loi .ortant code ·asforal
n'a ·as ·ris en comte toutes
les activités rurales
Considérant que les requérants soutiennent que
le pastoralisme n'est pas du domaine de loi ; que l'article 121 de la
Constitution classe les lois en deux catégories, la première,
celles des lois qui fixent les règles et peuvent de ce fait aller dans
les détails des matières qui relèvent de son domaine, la
seconde, constituée de celles qui ne déterminent que les
principes fondamentaux ; qu'ainsi, selon toujours les requérants, les
lois relevant de cette deuxième catégorie ne doivent se limiter
qu'à l'évocation des grandes orientations laissant aux actes
réglementaires le soin d'apporter des précisions et de
définir les modalités d'application ; qu'en outre le dernier
tiret de cette deuxième catégorie indique que la loi
détermine les principes fondamentaux de l'agriculture, l'élevage,
de la pêche, de la
faune, des eaux et forêts ; qu'il n'est nulle part fait
mention du pastoralisme ; que la loi ne devrait fixer ici que les principes
fondamentaux en matière d'élevage en
général ; qu'en n'étant
de ce point de vue qu'un mode particulier d'élevage, le
pastoralisme ne relève d'aucune de ces deux catégories. de la
loi
et par conséquent ne . devrait relever que du domaine
réglementaire conformément aux dispositions de l'article 122 de
la Constitution ;
Que par ailleurs, une loi sur les principes fondamentaux de
l'élevage devrait se contenter de définir les grands axes de
cette politique en indiquant simplement les principaux modes d'élevage
au Tchad ; qu'au surplus, selon les requérants, il serait plutôt
préférable d'élaborer une' loi unique qui prendrait en
compte toutes les activités ayant en commun l'usage de la terre ; qu'en
passant outre ces pertinentes dispositions constitutionnelles, le projet de loi
a violé la Constitution
Considérant que pour écarter ce moyen,
l'Assemblée Nationale dans son rapport détaillé sur le
texte, allègue d'une part, l'existence d'une ancienne loi sur le
nomadisme et d'autre part,
que la question serait déjà Penchée par lo
Cour suprême dans°' son avis juridique erg le décrcirc'nt
rclever du domaine de la loi ;
Considérant cependant que l'ancienne loi fui
élaborée en son _ temps sous l'empire d'une loi fondamentale qui
avait expressément inséré le nomadisme dans liû
domaine de la loi
qu'en l'espèce, la Conslitulion en vigueur vise
l'élevage dans sa globalité comme faisant partie du domaine de la
loi ; que le morceler comme l'a fait le présent projet de toi conduirait
à une pléthore de lois sur l'élevage et ouvrirait ainsi la
voie â un désordr
législatif ;
Qu'aussi, l'allégation tirée de la décision
de la Cour suprême ne saurait s'imposer à la compétence du
juge constitutionnel ;
Que de ce qui précède, il y a lieu de conclure que
le pastoralisme
en tant qu'un mode d'élevage parmi tant d'autres ne peut
relever du domaine de la loi au sens- de l'article 121 de la
· Constitution en son dernier tiret, donc contraire
à cette disposition
iiiiimeconstitutionnelle ;
Sur !a rupture de l'égalité des citoyens devant
la loi I
Considérant que les requérants soutiennent
égalerrient que la
section 1 du chapitre 1 du Titre Il du projet de loi fait
obligation à l'Etat et à ses démembrements d'assurer un
maillage complet du .ei territoire de la République en
couloirs de transhumance, en puits pastoraux, en aires de stationnement, en
aires de séjour ; qu'en outre, l'article 46 impose à l' Etat de
creuser un puits tous les 50 km en zone saharienne, tous les 25 km en zone
sahélienne et soudanienne, tandis que l'article 49 interdit
l'implantation des villages sédentaires dans la zone d'emprise des puits
pastoraux que pour les requérants, au regard des normes de maillage de
l'article 46 susvisé, il est à craindre que cette disposition ne
signe la fin des villages sédentaires en zone soudanienne où il
n'y a presque plus d'espace libre entre les villages ; qu'en outre, en
référence à l'article 52 du projet de loi, comment
empêcher lesdi villageois riverains des puits pastoraux d'user des eaux
de ces puits construits sur fonds publics alors que dans le même temps,
l'article 54 permet aux éleveurs d'accéder sans restriction
à tout ouvrage l
113
114
Nul ne peut en
être dépossédé que pour
cause d'utilité publique dûment
constatée et moyennant une juste et
préalable
indemnisation n
Considérant que le champ fait effectivement partie
intégrante de la propriété privée du paysan ; que
par définition la propriété est le fait
de jouir et de disposer de son bien de manière la plus
absolue pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par la loi ;
Mais que la disposition de l'article 62 du projet
querellé impose un calendrier qui obligerait le propriétaire d'un
champ à le libérer au profit du bétail transhumant ; que
cette disposition (article 62) en obligeant le paysan à se plier
à un calendrier et libérer son champ (propriété)
non pour cause d'utilité publique, ni moyennant une juste
rémunération (indemnisation) mais juste. pour des
intérêts particuliers, viole de manière frontale le droit
de propriété garanti par l'article 41 de la Constitution, donc
contraire à celle-ci ;
Sur l'inopportunité d'une loi portant sur le
nomadisme
Considérant que les requérants estiment par
ailleurs que la loi portant sur le nomadisme est inopportune ; que le Tchad ne
peut se transformer en un vaste territoire uniquement dédié au
nomadisme tandis que la tendance actuelle dans tous les pays modernes est
à la sédentarisation ; que par cette loi noire pays ne manquera
pas de devenir un ranch ou un vaste parc animalier ;
Considérant que ce moyen tiré de
l'inopportunité du code pastoral se veut plus un voeu pour une option
vers la sédentarisation de l'élevage ;
Que par ailleurs, les réponses apportées au premier
moyen paraissent suffisantes ;
Sur le non respect du Réellement
Intérieur de l'Assemblée Nationale
Considérant enfin que les requérants
soulèvent le non respect des alinéas 1 et 2 de l'article 108 du
Règlement Intérieur de l'Assemblée Nationale ; que le
rapport de la commission ayant examiné le projet de loi portant cade
pastoral a été déposé dans les baltes des
Députés le dimanche 09 novembre 2014 soit moins
4
du Président de l'Assemblée Nationale est du 08
novembre
115
de trois jour marli son examen en plénière
fixé pour le 11 novembre 2014 alors qu'il n'y avait pas urgence ; qu'en
dépit de leur insistance el le rappel sur la nécessité du
respect du
Règlement Intérieur, la molarité est
passée outre pour adopter le texte ;
Considérant en effet que l'article 108 du Règlement
intérieur en ses alinéas 1 et 2 dispose :
1) c; Tout projet ou proposition de loi soumis â
l'étude d'une commission doit faire l'objet d'un rapport et
être présenté en séance publique par le
président ou le rapporteur de ladite
commission.
2) le rapport de cette commission doit, sauf en cas
d'urgence, être distribué aux députés au moins
trois (3) jours avant la séance au cours de laquelle il sera
discuté »;
Qu'en l'espèce, le projet de loi a été
confié â la commission Développement Rural et Environnement
qui a produit un rapport et déposé dans les boîtes des
députés ; que ledit rapport a été aussi
présenté en séance plénière par le
président de la commission ; que de ce qui précède,
l'alinéa 1 de l'article 108 du Règlement Intérieur de
l'Assemblée Nationale ne souffre d'aucune violation ;
Que l'alinéa 2 impose la distribution du rapport par la
commission aux députés au moins 3 jours avant la séance de
discussion ;
Que de l'avis des requérants, le rapport a
été déposé le, dimanche 09 novembre 2014 dans la
boîte des députés et soumis, à l'examen
le mardi 11 novembre d 9h, ce qui fait que le délai de trois jours n'a
pas été respecté, alors même qu'aucune urgence n'a
été déclarée ;
Considérant qu'à la lecture dudit apport, joint
â .la requête, les signatures du président de la commission
et de son rapporteur datent du 07 novembre ; ei que la date de son
dépôt au c bineil =,-'
b
Que le Conseil Constitutionnel ne dispose pas de preuves
suffisantes pouvant justifier le retard du dépôt par la
commission
·
w
116
1
de son rapport dans les boîtes des députés
; que ce moyen mérite d'être écarté ;
Considérant que les moyens soulevés par les
requérants sont ainsi épuisés ;
Considérant cependant que, suivant les dispositions des
articles 27 et 57 respectivement de la loi organique N°19/PR/98 du 02
novembre 1998 portant organisation et fonctionnement du Conseil Constitutionnel
et de son Règlement Intérieur : rr si le Conseil
Constitutionnel, dans la loi contestée ou dans l'engagement
international soumis à son examen, constate une violation
de la Constitution qui n'a pas été invoquée.
il doit la soulever d'office t) ;
Que conformément â ces pertinentes dispositions,
le Conseil se fait le devoir de soulever certaines violations de la
Constitution contenues dons le projet de la loi querellée, non
soulevées par les requérants
Considérant que l'article 204 de la Constitution
dispose : if les collectivités Territoriales
Décentralisées s'administrent librement par des
Assemblées élues qui règlent par leurs
délibérations les affaires qui leurs sont
dévolues par la Constitution et par la loi.
Les délibérations des Assemblées
locales sont exécutoires de plein droit dés leur
publication.
Toutefois, elles ne peuvent être contraires aux
dispositions constitutionnelles, législatives et
réglementaires aL
Et que l'article 203 de ladite constitution de dire : « les
collectivités Décentralisées sont dotées
de la personnalité morale.
oiLeur autonomie administrative, financière,
patrimoniale et économique est garantie par la Constitution »
Considérant que les articles 18, 19, 24, 25 et 28 obligent les
,.collectivités territoriales décentralisées à agir
dons tel ou tel sens au profit des transhumants ; Que de ce qui
précède, en obligeant tes collectivités territoriales
décentralisées à poser des actes, ces
dispositions entrent en conflit
117
avec les dispositions consiiiutionnelles susvisées ;
qu'il y a lieu de les déclarer non conformes à la Constitution
;
Considérant en autre que l'article 49 interdit
l'implantation des villages sédentaires dans tes zones d'emprise des
puits pastoraux ; que cette disposition est contraire à l'article 43 de
la Constitution qui dispose : sr Tout Tchadien a le droit de fixer
librement son domicile ou sa résidence en un lieu
quelconque du territoire national»;
Considérant par ailleurs que les articles 43 et 44 du
projet de loi font obligation aux agriculteurs de clôturer et surveiller
à tout moment leurs parcelles maraîchères et leurs champs
;
Que ces articles participent à la violation du droit de
propriété garanti par l'article. 41 susmentionné de la
Constitutiôn ; qu'il ya lieu de les déclarer non conformes
à la Constitution ;
Considérant que l'article 90 du projet de loi limite le
droit applicable dans le cadre de ladite loi au droit commun en matière
de responsabilité civile ; mais que dans le même temps, les
articles 91 et 92 prévoient des peines pénales ; qu'au surplus,
ils ne font pas de distinction entre la contravention de simple
police, le délit et le crime ;
Qu'il s'ensuit que ces quatre articles du projet de loi se
contredisent ;
Considérant en définitive, qu'en combinaison de
toutes ces violations somme toute massives de la Constitution que renferme le
projet de loi déféré à l'examen du Conseil
Constitutionnel par les requérants, il ;onvieni de déclarer le
projet de loi sur le pastoralime en République du Tchad contraire
à la Constitution ;
Par ces motifs
Pir
DECIDE
Ili
Article 1 : La requête du
député SALEH KEBZABO et autres est recevable .6n la forme ; -`
,,;
118
119
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institutions, Ndjamena, août 2017, 60 p.
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Ndjamena, 27 mars 2018,12 p.
V- LÉGISLATION
A - LÉGISLATION NATIONALE
1. Constitution tchadienne du 04 mai 2018.
2. Ordonnance n°13/PR/2018 faisant application de
l'article 31 de la constitution de 2018.
3. L'ordonnance n°015/PR/2018 portant attribution,
organisation, fonctionnement et règles de procédures devant la
Cour Suprême.
4. Règlement intérieur de l'Assemblée
nationale du Tchad du 17 Mai 2013.
B - LÉGISLATION INTERNATIONALE
1. Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples de
1981.
2. Charte des Nations Unies de 1945.
3. Déclaration universelle de droit de l'Homme de
1948.
VII - LES DÉCISIONS DE JUSTICE
A - LES DÉCISIONS NATIONALES
Les décisions de la Chambre
constitutionnelle
1. Décision n°010/CC/SG/2014 sur la requête du
député KEBZABO Saleh et les 28
autres relative au projet de loi portant code pastoral en
République du Tchad.
2. Décision n°002/PCC/SG/001 sur l'exception
d'inconstitutionnalité par les victimes de crimes et répressions
politiques relative au dossier pénal ouvert contre les agents de la
Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS) de Monsieur
HISSEIN Habré précité.
3. Décision n°003/CS/CC/2018 sur la censure des
réseaux sociaux au Tchad. Les arrêts de la Cour
Suprême
1. Arrêt n°016/CS/CA/SC/2008 du 16 avril 2008
X...c/Ministère de l'agriculture
2. Arrêt n°008/CS/CJ/SS/11 du 06 septembre 2011
relatif aux élections communales.
3. Arrêt n°10/CS/CA du 06 juillet 2011, service
public-contrat de travail-violation du principe d'égal accès aux
emplois publics-licenciement-annulation de l'arrêté de
licenciement.
4. Arrêt n°09/2009 du 25 février 2009
relatif au non-respect du principe de parallélisme
de forme.
5. Arrêt n°137/CS/CJ/SC/08 du 05 juin 2008, violation
du principe de succession.
6. Arrêt n°079/CS/CJ/SC/08 du 23 décembre 2008
relatif à la violation du droit de propriété.
7. Arrêt n°19/CS/CA/SC/ 2000 du 4 octobre 2000
relatif à la suspension des es effets de la décision N°
013/DKA/2000 du 15/03/2000 de Monsieur le Préfet du KANEM portant
déguerpissement du sieur ABBA ADOUMA.
8. Arrêt n°09/CS/CA/SC/ 2001 du 7 avril 2001
relatif à la levée de la mesure suspendant le salaire d'un
agent.
9. Arrêt n°01/CS/CA/SC/2005 du 18 janvier 2005
relation au référé administratif. B - LES
DÉCISIONS ÉTRANGÈRES
1. CE, 05 Février 1937, BUJADOUX, Rec.153, D. 1939, 3,
19 Concl. LAGRANGE.
2. CE, assemblée, 2 mars 1962, Rubin de servens et
autres, requête n°55049.
3. CE, 28 juin 1918, Heyrès.
4. CE, 19 février 1875, prince Napoléon.
5. CE, Ass. 2 mars 1962, Rubin de Servin.
6. Décision n°2003/CC/JB du 23 décembre
2003 aux fins de contrôle de conformité à la Constitution
du 2 juin 1991 de l'accord de prêt conclu à Kuala Lumpur, le 17
octobre 2003 entre le Gouvernement du Burkina Faso et la Banque Islamique de
Développement pour le financement partiel du projet de construction de
la route Kaya-Dori.
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TABLE DES MATIÈRES
AVERTISSEMENT i
DÉDICACE ii
REMERCIEMENTS iii
RÉSUMÉ iv
ABSTRACT v
SIGLES ET PRINCIPALES ABREVIATIONS vi
SOMMAIRE vii
INTRODUCTION GÉNÉRALE 1
I - LE CADRE THÉORIQUE DE L'ÉTUDE
4
A - DÉFINITION DES CONCEPTS 6
B - LE CONTEXTE DE L'ÉTUDE 4
C - LA DÉLIMITATION DE L'ÉTUDE
11
2 - La délimitation spatiale.
11
II - CADRE OPÉRATOIRE DE L'ÉTUDE
12
A - INTÉRÊT DU SUJET 12
B - PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSE
14
1 - La problématique 14
C - MÉTHODES ET TECHNIQUES DE RECHERCHE
15
1 - Les méthodes de recherche.
15
D - LA DEMARCHE 17
PREMIÈRE PARTIE : LA CONSTITUTION DU 04 MAI 2018 ET LES
AVANCÉES
PERCÉPTIBLES DE L'ÉTAT DE DROIT AU TCHAD 18
CHAPITRE 1 : LA GARANTIE GRADUELLE DES DROITS
FONDAMENTAUX
DANS LA CONSTITUTION DU 04 MAI 2018 20
128
SECTION 1 : LA GARANTIE PRINCIPIENNE DES DROITS
FONDAMENTAUX
PAR LE JUGE CONSTITUTIONNEL 21
Paragraphe 1 : La mise en oeuvre du contrôle de
constitutionnalité 22
Paragraphe 2 : La portée du contrôle de
constitutionnalité 26
SECTION 2 : LES GARANTIES SUBSIDIAIRES DES DROITS FONDAMENTAUX
ASSURÉES PAR LES AUTRES JUGES 30
Paragraphe 2 : Le rôle du juge judiciaire dans
la protection des droits
fondamentaux 35
Conclusion du chapitre 1 39
CHAPITRE 2 : LA LIMITATION CONSTITUTIONNELLE DE LA PUISSANCE
DU
POUVOIR EXÉCUTIF 40
SECTION 1 : LE CONTRÔLE DE L'EXÉCUTIF PAR LE
PARLEMENT 41
Paragraphe 1 : Le contrôle de l'Exécutif
à travers l'interpellation et les questions
parlementaires 42
Paragraphe 2 : Le contrôle de l'Exécutif
à travers la commission d'enquête et
l'évaluation des politiques publiques
46
SECTION 2 : LA CONSÉCRATION DE LA RESPONSABILITE DES
MEMBRES DU
GOUVERNEMENT 49
Paragraphe 1 : La constitutionnalisation du statut
pénal du Président de la
République 51
Paragraphe 2 : La consécration
constitutionnelle de la responsabilité des ministres
56
Conclusion du chapitre 2 59
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE 60
SECONDE PARTIE : LA CONSTITUTION DU 04 MAI 2018 ET LES
OBSTACLES PERSISTANTS A L'ÉMERGENCE D'UN VÉRITABLE ÉTAT DE
DROIT AU TCHAD 61
CHAPITRE 1 : L'INDÉPENDANCE DISCUTABLE DU JUGE
DANS LA GARANTIE
DES DROITS FONDAMENTAUX AU TCHAD 63
SECTION 1 : L'INDÉPENDANCE CONTESTABLE DU JUGE
CONSTITUTIONNEL
TCHADIEN 64
Paragraphe 1 : L'indépendance fonctionnelle
menacée de la Chambre
constitutionnelle 64
Paragraphe 2 : L'indépendance organique
incertaine de la Chambre
constitutionnelle 68
SECTION 2 : LES MENACES PORTÉES A L'INDÉPENDANCE
DES AUTRES
JUGES DANS LA PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX 72
Paragraphe 1 : Les restrictions relevant directement des
règles statutaires 73
Paragraphe 2 : L'impartialité menacée du
juge 76
129
Conclusion du chapitre 1 80
CHAPITRE 2 : LA PROTECTION LIMITÉE DES DROITS FONDAMENTAUX
AU
TCHAD 81
SECTION 2 : LES LIMITES Á LA PROTECTION NON
JURIDICTIONNELLE DES
DROITS FONDAMENTAUX 82
Paragraphe 1 : Les limites institutionnelles de la
CNDH dans la protection des
droits fondamentaux 83
Paragraphe 2 : Les limites d'ordre juridique de la
protection non juridictionnelle
des droits fondamentaux 86
SECTION 2 : LES AUTRES OBSTACLES RELATIFS A LA PROTECTION DES
DROITS FONDAMENTAUX 89
Paragraphe 1 : Les actes bénéficiant de
l'immunité juridictionnelle 90
Paragraphe 2 : La protection constitutionnelle des
autorités politiques 93
Conclusion du chapitre 2 98
CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE 99
CONCLUSION GÉNÉRALE 100
ANNEXES 103
BIOGRAPHIE 118
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